Lettre au novice Ernest J. Herr

Alphonsus M. Rasset, scj

"Reims, le 23 Avril 1880

Cher abbé,

Vous connaissez déjà ma manière d'apprécier les communications extraordinaires, faites à la Soeur du Couvent des Franciscaines. J'ai l'intime conviction qu'elles ne peuvent venir que de Notre Seigneur Lui-même. Elles sont évidemment empreintes du cachet divin; et la sainteté de la Soeur est si conforme à l'esprit de l'Evangile, qu'elle ne me paraît pas pouvoir être exposée aux illusions du démon, ni à celles de l'amour-propre. Si donc Notre Seigneur s'est exprimé au sujet de votre vocation, vous n'avez rien de mieux à faire qu'à obéir à son appel. N'est-ce pas pour faire de Vous un Oblat de son divin Coeur, qu'il Vous a fermé jusqu'à présent l'entrée dans notre Compagnie, malgré vos instances répétées. Dites donc, cher abbé, avec saint Pierre, "in verbo tuo laxabo rete" (cf. Lc 5,5), et avec ce saint apôtre, vous vous féliciterez d'avoir obéi à la voix de Jésus-Christ.

L'oeuvre des Oblats du Coeur de Jésus est magnifique. Quand vous la connaîtrez dans son but spécial, vous serez de mon avis; et quand plus tard, vous aurez à remplir le saint ministère, vous comprendrez combien elle est nécessaire.

Courage donc, cher abbé: devenez un saint Oblat du Coeur de Jésus, qui daigne vous choisir Lui-même pour cette sainte vocation, toute d'amour et d'immolation.

En union de vos bonnes prières,

Votre tout dévoué dans les Sts Coeurs de Jésus et de Marie et de St Joseph

A. Modeste S.J.

Mes affectueux respects au R.P. Supérieur."

(B 21/3.19; inv. 397.02)

Texte du Père Rasset au novice Ernest (Jacques) Herr, le 22 Juin 1881

"+ 22 Juin 1881

Bien cher frère In Corde Jesu,

Il peut vous être utile d'avoir le résumé des faits et des circonstances providentielles sur lesquels je m'appuie, pour croire que Dieu nous a réunis pour une oeuvre surnaturelle. Ma pauvre personne sera en jeu, vous pèserez ce que cela peut valoir.

J'ai toujours pensé que la première oeuvre à faire était celle de la sanctification du clergé. Au séminaire, de mon temps, l'idée dominante était qu'il fallait une association spéciale avec un genre de vie qui permît au prêtre de vaquer au saint ministère sans subir le détriment que nous constatons. Je vous dirai que causant de cette nécessité un soir avec Mr Elliat aujourd'hui Curé de Clastres, j'eus une espèce d'éblouissement qui l'impressionna vivement; nous convînmes ensemble avec quelques amis de prier chaque jour pour la création de cette Oeuvre ; les plus fervents adeptes du projet sont morts d'une façon au moins surprenante (Carlier, Vrevins, Brodin, Messager).

A ma sortie du séminaire, le R.P. de Chazournes, S.J., m'avait fortement recommendé de chercher à faire les Exercices sous la conduite du P. Modeste, "l'homme", disait-il, "qui a le plus l'esprit des Exercices et le discernement surnaturel". Ce digne père que j'ai recherché plusieurs fois m'a toujours fui comme je pensais le tenir pendant dix ans. Enfin j'apprends sur lui des détails qui l'entourent de l'auréole de la sainteté dans mon estime, et quelques mois après on m'annonce qu'il est mort. Je dis pour lui le De Profundis en pleurant. Jugez comme j'étais préparé à lui obéir aveuglément lorsque je le rencontrai au couvent en la fête du Sacré-Coeur le lendemain de mon arrivée à St Quentin.

Vous savez sa décision à Reims où j'ai été le trouver. Il ne connaissait rien auparavant, il plaida le faux d'abord, eut l'air de trouver inouïe, extraordinaire, impossible la fondation de cette congrégation qui devait devenir un ordre religieux, puis après avoir accumulé les difficultés et les raisons qu'on a de se défier des voies extraordinaires, brusquement il me dit: "Ici il n'y a pas à douter, et vous devez suivre la voie qui vous est tracée. Notre Seigneur se chargera de faire réussir son Oeuvre!".

Comment étais-je venu à St Quentin? Pendant le Congrès de Liesse au mois de Mars 1875 à la 1ère apparition de Mr Dehon, j'ai été vivement saisi par la persuasion que notre ancien projet du séminaire pourrait se réaliser et qu'il était l'homme pour cela. Je me suis proposé de lui en faire l'ouverture. En 1877 au Congrès de St Quentin, me rencontrant dans la rue il me dit: "J'ai bien des choses à vous dire en particulier". Je me suis esquivé si vite que je n'ai pas voulu voir les évêques, le Cardinal, les cérémonies du pèlerinage. C'est comme s'il m'avait dit: "Il vous faudra venir au patronage pour me remplacer pendant que je ferai autre chose". Il n'y avait dans tout cela rien qu'un pressentiment mais il fut tellement fort que j'étais comme écrasé et que je m'enfuis.

Cependant le projet des Oblats du Coeur de Jésus se formait, le 1er février 1878. N.S. disait à Sr M. I. qu'il voulait des prêtres victimes, et il répondait à l'objection posée: Où trouver les hommes? "Il n'y a qu'à me laisser faire, je les enverrai". Or le 2 février, ou aux environs, j'écrivais à Mr Dehon pour lui dire mon désir de m'aboucher avec lui au sujet d'une oeuvre importante. Le 12 février, il m'apprenait à St Quentin les faveurs de N.S. au Couvent des franciscaines. Le 18 Mars je lui écrivais mon désir bien arrêté, et j'envoyais ma demande à Monseigneur auprès de qui je brûlais mes vaisseaux en lui annonçant ma détermination d'entrer dans un ordre religieux.

Au mois de Juin (le 3), Mr Dehon aujourd'hui notre cher Supérieur me lut quelques pages que vous connaissez et je me souviens que je lui dis froidement: "Ce n'est pas une femme qui a trouvé cela". Je n'ai pas de raison pour parler autrement à présent que j'en connais davantage. Il y a certainement dans les révélations des détails fèminins, des nuages qui accusent bien le canal par où ces communications ont passé, mais il y a telle page capable de renverser par sa profondeur.

Le 16 juin, aniversaire de la révélation du Sacré-Coeur, je demandai une conversion impossible en apparence; je vous avoue que ma déception et ma douleur intérieures furent grandes quand je vis que tout était inutile. J'avais demandé cette preuve unique or comme j'étais à St Quentin depuis deux mois on me dit que la mort du malheureux que j'avais tant de fois en vain essayé de ramener, avait été bien indifférente. Un an après, juste le lendemain des premiers voeux que je prononçais, j'apprenais que j'avais été exaucé au delà de tout ce que j'aurais pu espérer et souhaiter. C'est pour moi au moins une confirmation.

Mr Dehon ne m'avait cité qu'un fait miraculeux en preuve de la divinité de l'oeuvre. C'est la maladie de Sr M. I., et sa mort mystique; mort pour laquelle il lui a donné l'extrême onction. Je ne vois pas pourquoi je révoquerais en doute le caractère surnaturel de son rétablissement, du moment que Mr Dehon l'affirme, lui qui avait tant d'intérêt à ne pas se laisser duper.

J'ai pour moi un autre fait du même genre. Je suis venu à St Quentin malgré que je connusse les hémorragies que Mr Dehon cachait soigneusement; je me disais que devant Dieu j'aurais au moins le mérite d'avoir voulu tenter q.q. chose de ce qu'il m'avait fait désirer et que si Mr Dehon mourait, au moins il n'emporterait pas dans la tombe le regret de n'avoir trouvé personne. J'ai su alors que le Dr Demouchaux disait à l'hôtel-Dieu et en ville que Léon n'en avait plus pour 3 mois, qu'il était phtisique à la 2ème période et très avancé déjà; vous connaissez les accidents du Congrès de Soissons où il remplissait des cuvettes de son sang.

Au mois d'Avril 1879 il me paraissait un homme perdu, or j'ai vu bien des malades et j'ai étudié les maladies de poitrine suffisamment pour prononcer avec assez de sûreté, et la preuve c'est que je ne me suis pas mépris avec les 4 Soeurs du couvent qui sont mortes, et cela dès le début de leur maladie.

C'est à cette époque que la Sr Marie de Jésus a fait son offrande héroïque. Pour moi jusqu'à présent il n'y a guère de bien vérifié que cela, mais je suis assuré que Mr Dehon aurait dû être mort pour l'hiver de 1879. En attendant, une prédiction s'est réalisée, c'est qu'il viendrait un certain nombre de disciples, ils sont venus; mais l'ex-frère Jean a dit assez souvent: "Y viendra personne", pour que je m'en souvienne.

J'ai eu bien des objections intérieures contre l'oeuvre et même l'esprit de l'oeuvre, mais le R.P. Bertrand de N.D. de Liesse dont le Curé d'Ars disait: "c'est un saint" avait répondu par avance à toutes les difficultés, comme s'il avait lu dans l'avenir et dans les révélations. S'il fallait plaider l'antithèse, personne n'en pourrait dire plus que moi et un jour j'ai pris la plume pour le faire avec l'intention de passer quelques jours en prière pour refaire mon élection. J'écrivis trois pages d'objection tirées des faits et ma conclusion a été de me jeter à genoux pour faire le voeu d'aider Mr Dehon dans tous ses projets, voeu qui étant au profit d'un tiers ne peut admettre de dispense. Il ne cesserait de m'obliger que s'il s'agissait de participer à un péché.

Depuis que je suis à Saint Quentin, mon plus fort argument contre l'oeuvre, c'est que j'y sois le premier et appelé à exercer une influence. Chacun des appelés porte cette objection en soi, et pour soi-même également, grosse comme une montagne. Il faut voir les fruits: de ceux qui sont ici l'un se serait damné très certainement sans cela, l'autre serait à la caserne et aurait perdu la foi, etc., etc.

Des merveilles de grâce et même des miracles nous sont annoncées pour l'avenir. Est-il insensé de l'espérer? Quand j'ai célébré la 1ère fois la sainte Messe au Couvent sans rien dire, ni marquer extérieurement, j'ai eu l'intention réparatrice et Sr. M. I. l'a connu. Depuis ce temps j'ai cru avoir plus d'une fois la preuve qu'elle avait connu ma pensée intime.

Un prêtre qui passait pour pieux et fervent, contredisait l'oeuvre; il y a eu des paroles de N.S. très sévères à son endroit et j'en ai été fort scandalisé: "Ainsi", me disais-je, "voilà une preuve de l'intervention du diable, il s'irrite d'être contredit". Or j'ai eu la preuve que ce malheureux (aujourd'hui, je pense, dans une meilleure vie), était un insigne maladroit, pour ne pas dire un scélérat. Il doit à l'intervention de Sr M. I. de ne pas aller en enfer. Je ne puis laisser soupçonner de quoi il s'agit, mais avoir appris cette histoire secrète que je n'ai pas connue tout entière et dont seul je possède certains détails qui demandent des larmes de réparation, je vous avoue que je n'ai plus la liberté suffisante pour contredire Sr M. I. Je pourrais au besoin révéler ces choses parce qu'il ne s'agit pas de la confession.

J'ai eu une grande peine de me voir désigné comme le confesseur du Couvent. J'avais bien juré de ne pas confesser Sr M. I. (or je pense que c'est elle qui s'est présentée à moi la première). J'ai laissé voir et entendre que je persistais à ne pas tenir à cette fonction. C'est un grand malheur! Car le scandale de Marie Hachet n'aurait pas eu lieu, si j'avais été son confesseur. Je savais ses infidélités aux règles de la pauvreté et de l'obéissance; j'ai jugé imprudemment qu'elle s'en confessait.

Il y avait, il y a trois ans, comme dame pensionnaire au Couvent, Mme Mathieu, séparée par jugement d'avec son mari, maire de Châlons s/Marne. N.S. disait à Sr M. I.: "Je veux l'union de ces deux cours" ; pendant 18 mois j'ai suivi l'action de la grâce sur cette âme livrée à la vanité extérieure et à l'esprit du monde. Son mari répondait aux lettres qu'on lui écrivait qu'il ne voulait plus d'elle et rien ne faisait présager un rapprochement. Chacune des morts survenues au couvent a été pour cette pauvre femme une résurrection à l'esprit de son baptême et je la regardais à la fin comme une sainte. Un beau jour contre toute vraisemblance Mr Mathieu est venu chercher sa femme; quelques semaines après, il avait la petite vérole, elle le soignait avec dévouement et la paix fut assurée; l'union des coeurs prédite était réalisée.

Toutes les personnes qui se sont soumises aveuglément à l'influence de Sr M. I. ont fait de rapides progrès dans toutes les vertus. Au contraire les Soeurs qui lui ont porté de l'aversion ont pris un mauvais chemin.

N.S. a formulé parfois des jugements foudroyants sur certaines Soeurs qui ont fini par quitter le couvent. Je ne puis dire combien j'ai souffert d'appréhensions à ce sujet. Finalement je puis affirmer que ces jugements étaient justes (je parle d'après les indices extérieurs que j'ai eus). J'ai eu deux fois des communications au sujet du patronage; la dernière qui semblait contredire les précédentes m'a blessé à vif et m'a rempli de doutes; il s'est trouvé que la Sr M. I. avait raison et un brave homme que je croyais bon chrétien, avait été trouvé un misérable hypocrite.

Ayant eu une fois la preuve que la Soeur lisait dans mon intérieur, j'ai accepté aveuglément deux autres communications qui ne me paraissaient pas fondées.

Plusieurs fois j'ai connu ce que la Soeur pensait de tel ou tel, j'ai été vivement impressionné de voir que mon jugement avait été conforme au sien. J'avais prononcé d'après l'habitude que j'ai des hommes et des consciences, et Sr M. I. souvent prononce sur des personnes qu'elle n'a jamais vues. Je ne connais pas un seul cas où elle se soit méprise dans ce discernement.

Trois exemples que je citerais bien, m'épouvantent. Il s'agit de ceux qui ayant eu un bon mouvement pour l'Oeuvre à fonder, ont reculé en arrière: l'un va tête baissée en enfer, l'autre à l'ivrognerie, le 3ème au scandale d'une autre façon. S'ils avaient suivi leur premier mouvement ils seraient dans une meilleure voie.

Ceux qui sont dans l'Oeuvre ne sont pas des saints, mais tous sont dans un meilleur état qu'ils n'étaient auparavant. Et il n'est pas sûr qu'ils se seraient ainsi amendés.

N'ayant jamais eu d'attrait que pour la Compagnie de Jésus et n'appréciant en fait de spiritualité que son esprit et sa règle, j'ai conservé longtemps un ressentiment très vif et très pénible contre les résistance qui ont empêché l'établissement du 3° an à St Quentin, et si j'avais su que Mr Dehon y fût pour quelque chose je ne me sarais pas joint à lui. Les événements ont fait voir que la gloire de Dieu n'avait rien perdu à la non-réussite de cette fondation qui eût été inutile par suite des expulsions. Sr M. I. avait annoncé la persécution et la destruction des établissements. Le jour de la fête de St Ignace 1879, N.S. lui dit qu'il accordait un sursis à la Compagnie, or ce jour-là le Sénat votait un amendement favorable; quel esprit peut lui avoir soufflé cela?

Elle a connu également que mon père allait mourir et a prié pour lui pendant son agonie. Elle a connu sa mort à l'heure où il venait de mourir. Il est vrai qu'elle n'a communiqué cette connaissance qu'après qu'on lui en eût parlé. Mais au lieu de me faire douter, cette appréhension qu'elle a toujours me donne la foi dans l'esprit qui la dirige. Révoquer en doute son témoignage ne serait plus l'accuser seulement d'illusion mais de mensonge et du désir de passer pour une sainte. Ceci je ne pouvais le faire sans pécher gravement étant donné ce que je connais de la candeur, de la simplicité et de l'humilité de cette âme.

Elle a bien des répulsion pour diverses personnes, mais quand il s'agit d'elle-même c'est un mépris, une haine telle contre la créature qui selon elle retarde l'oeuvre du Sacré-Coeur de Jésus, qu'on ne saurait l'exprimer.

Je n'ai encore rencontré cela que dans l'abbé P..., un prêtre avec qui le P. Ignace Schwindenhammer m'a mis en relation, et qui a obtenu de Notre Seigneur un miracle de 1er ordre en preuve de sa volonté concernant une oeuvre semblable à celle de St Quentin.

Dès le mois de Juin 1878 Sr M. de l. C., une religieuse stigmatisée, avait des transports et des ravissements ineffables quand on lui parlait de l'oeuvre de St Quentin. Elle continue avec l'abbé P. à soutenir que ce sera la même oeuvre. N.S. l'a dit à l'abbé P. en ma présence devant le S. Sacrement exposé à N.D. des Victoires. Le T.R.P. Ignace Schwindenhammer, de regrettée mémoire, m'a dit que notre oeuvre était la pensée intime que le V. P. Libermann n'avait pu réalisesr, mais qui vraisemblablement se fonderait parce que le vent surnaturel était de ce côté.

Le T.R.P. Ignace Schwindenhammer comme général du St Esprit avait fait prendre des renseignements sur Mr Dehon et sur la communauté des Soeurs en Alsace, et en 1879 il n'avait nulle confiance dans le succès malgré les preuves que lui fournissaient l'abbé P. et Sr M. de la Cr.

Les feuilles de Sr M. I. ne le convainquaient pas (il ne croyait pas à la discrétion et à la prudence de Mr Dehon!). Au mois de mai 1880, étant fort souffrant, il me fit appeler à sa chambre pour me

montrer les règles des prêtres réparateurs et les encouragements du Souverain Pontife Léon XIII qui avait: "Il y a quinze ans que je désire cette oeuvre". Le T.R.P. m'avait encouragé à faire des voeux pour un an malgré qu'il ne crût pas au succès; cette fois il m'assurait que le doigt de Dieu était là et qu'un jour l'oeuvre des Prêtres Réparateurs et celle des Oblats du Coeur de Jésus ne feraient qu'un Ordre, l'Ordre du Sacré-Coeur. Il me recommandait de prier beaucoup et de faire prier le V. Libermann qui apparaissait à Sr M. de l. C. et lui commandait de travailler à cette oeuvre pour laquelle sa vie était prorogée d'un an.

Nous avons eu depuis lors les renseignements fournis par Mr Captier, les prophéties à lui faites pendant sept ans sur l'Ordre du Coeur de Jésus, sa prophétie en chaire, confirmée par un miracle de bilocation et la connaissance des pensée intimes.

Tout cela forme-t-il une preuve absolue, juridique, sur laquelle on puisse asseoir un jugement canonique? Je ne le pense pas. Voilà pourquoi je me jette encore avec avidité sur les moindres confirmations de l'oeuvre des Oblats du Coeur de Jésus. Nous avons eu récemment la prédiction de la mort prochaine de la belle-mère de Mr Vilfort. Quand Mr Dessons, nommé vicaire de Vailly, est venu au couvent, contre toute vraisemblance la Sr M. I. annonça qu'il allait venir tout de suite au Sacré-Coeur, et elle s'est mise à rire quand on lui a dit de prier à ce sujet, disant que c'était réglé déjà.

Lorsque le P. Claude nous fut donné en la fête de l'Annonciation, je cherchais les moyens de l'amener à nous, et c'est lui-même qui me dit son dessein d'embrasser l'état ecclésiastique, sans oser encore avancer qu'il songeait au Sacré-Coeur, ce qu'il fit plus tard. Je n'ai eu qu'à le laisser dire lui-même.

Pour le P. Pierre de la Nativité je tremblais de tous mes membres en lui témoignant le désir de le voir se joindre à nous. Il me répondit en souriant que sa détermination était prise mais qu'il pensait ne pouvoir être libre qu'à 30 ans. Sa joie fut extrême quand il sut qu'il pouvait venir immédiatement.

Depuis lors j'ai fait recommander un autre jeune homme qui doit être le P. Clément Joseph; le même jour il demandait à faire partie de la conférence de S.V. de P., ce que je n'osais lui proposer. J'ai envoyé chaque dimanche depuis six mois deux enfants du patronage aux saluts du couvent. Je craignais un ridicule; tous ces enfants se mettent depuis lors à la piété.

Le F. Joseph un jour faisait la Ste communion au Couvent; N.S. dit à la Soeur qu'il était remis enfin. Quelques instants après il lui dit: "Le démon l'a repris". Il m'a fait cet aveu: "C'était pourtant vrai".

Que puis-je ajouter à tout cela? Il y a dans les révélations de Sr. M. I. des passages entiers de l'Ecriture Sainte cités en latin, et elle ne l'a jamais lue. J'ai besoin moi-même d'une concordance pour retrouver ces textes, par exemple ceux d'Isaïe. Cette pauvre fille par moment ne sait même plus son Confiteor, je me souviens que le 2 Août 1879 comme je donnais la communion à Sr Marie de Jésus malade, elle l'estropia tellement que c'était un véritable pot-pourri de latin impossible. Après tous ces faits je ne puis plus m'empêcher d'avouer que je suis impressionné et que je ne suis plus libre de contredire, à plus forte raison de reculer. Si nous sommes dans l'illusion, je suis digne d'une grande pitié, car la réaction serait terrible en moi et me ferait accuser d'illusion en beaucoup de choses de grands serviteurs de Dieu, la B. Marguerite M., Ste Catherine de Sienne, Ste Brigitte, etc...

Vous pouvez en juger par ce qui m'arriva dans le mois d'Août 1879, je condusais à Sr M. I. son neveu afin d'avoir un prétexte de l'entretenir; je la priai de le gronder un peu et de lui apprendre en allemand cette prière: "O ma Bonne Mère, préservez-moi du péché mortel". Elle me regarda, joignit les mains, et dit: "Mais il veut être prêtre, das ist nicht genug", alors elle se mit, moitié en français, moitié en patois allemand, à dire à son petit Joseph que le prêtre devait éviter toute espèce de péché même véniel si petit qu'il soit, que le prêtre devait être l'ennemi du péché. Je voulais soutenir son regard timide, ce fut impossible et pour me donner une contenance je caressais Joseph qui n'était guère aimable à mon endroit, ce dont sa tante lui fit les reproches les plus gracieux, ce qui ne me remit guère. Je rompis l'entretien et j'allais me prosterner devant le Saint Sacrement; je sanglotais et fondais en larmes comme si j'en avais eu une fontaine dans le coeur et m'écriais: "Oh! si nous prêtres, nous avions la haine du péché qu'a cette pauvre Soeur". "Si seulement du moins en chaire, au confessioanl, nous parlions avec cette conviction, cet accent! Ah! si je pouvais retrouver ce mouvement intérieur dans les actes de mon ministère, et dans mes exercices de piété!". Ce serait pour moi un douche de glace que d'être contraint de mettre sur le compte de mon imagination cette douleur intérieur que j'éprouvai en ce moment-là. Car il faudrait ne faire aucun compte de ce que j'ai jamais ressenti d'amour pour Dieu et d'horreur pour moi-même.

Demandez plutôt, bien cher frère in Corde Jesu, pour le misérable qui écrit ces choses, les renouvellement de semblables imaginations afin que je sois pour vous un frère utile.

P. Alphonse"
(B 37.1 h 1; inv. 651.01)