VITA DELLA CONGREGAZIONE

FRATERNITÉS S.C.J. EN MONDE OUVRIER

Compterendu du Comité
Les Ulis-Massy, mai 1997

Après le chapitre provincial de novembre 1996 et dans la perspective du chapitre général de mai 1997, les fraternités en monde ouvrier ont éprouvé le besoin de reprendre leur vie et leur mission.

Dans ce dossier, voici la contribution de la fraternité Les Ulis-Massy. On y trouvera quelques éléments d'histoire, le sens d'une vie religieuse en monde ouvrier, nos questions par rapport à l'avenir.

Voici le "Plan" de notre exposé:

I. La Communauté située dans une histoire.

II. En monde ouvrier, une vie religieuse proche et signifiante.

III. Questions pour demain: enjeux et défis.

En annexe: "Etre avec" au niveau de l'habitat, du partage du travail.

I. La Communauté située dans une histoire

1. Il y a eu la JOC... les P.O., la Mission Ouvrière... Il y a eu le Concile Vatican II...

La grande aventure qu'est l'évangélisation du monde ouvrier a changé le visage de l'Eglise. C'est à l'intérieur de cette aventure que beaucoup de religieuses-religieux se sont sentis interpellés. Et nous également.

L'accompagnement des Mouvements et la proximité de P.O. nous ont marqués très fort. De plus, cet élan missionnaire auprès des ouvriers correspondait tellement au charisme du Père Dehon.

Enfin, sous l'impulsion du Concile Vatican II, notre regard sur les hommes, sur le monde et sur nous-mêmes s'est transformé: l'Evangile nous appelle à "l'incarnation", à vivre notre humanité avec les hommes de notre temps.

En même temps, partout autour de nous, les Instituts religieux se séparaient de "leurs" hôpitaux, de "leurs" orphelinats, de "leurs" écoles... de "leurs" grandes maisons... Les religieuses-religieux ne voulaient plus se situer "à part", ni vivre "en séparés". Hommes, femmes, à égalité avec les hommes et les femmes qui les entouraient, ils cherchaient à prendre leur place dans la vie du monde: consacrés, envoyés dans le monde comme témoins de l'Evangile.

C'est au coeur de ce renouveau que, nous aussi, avec beaucoup d'autres Congrégations de religieuses-religieux, nous avons commencé notre présence en petites fraternités dans des quartiers ouvriers, dans des cités populaires.

2. Les étapes des implantations

- Dans le monde ouvrier: St-Quentin, 1970; Ste-Geneviève-des-Bois, 1972 à 1981; Les Ulis, 1975; Grigny "La Grande Borne", 1981 à 1986; Massy, 1990;

- et successivement dans le monde rural touché par les restructurations: Aubigny, Brazey-en-Plaine, Lacanche.

En 1982, la fraternité de Lacanche s'est jointe aux fraternités en M.O., du fait que bien des choses nous unissaient: les perspectives de vie religieuse SCJ, la mission en milieu défavorisé par la "vie-avec": habitat, travail salarié, ministère pastoral en lien avec les mouvements apostoliques, les "Equipes Associées"...

3. Nos insertions dans le monde ouvrier sont diverses

a) Les communautés habitent un quartier ouvrier et partagent la vie quotidienne des gens: une "vie-avec".

Parmi les membres de chaque communauté:

- un ou deux membres sont engagés dans le travail salarié. Cette vie avec les travailleurs les amène à participer aux actions, aux luttes pour de plus justes conditions de vie, pour plus de dignité... (syndicats, prud'hommes...);

- d'autres sont plus présents dans la vie de leur quartier ou de la cité, particulièrement dans la vie associative (Association de locataires, et diverses organisations pour un "mieux-vivre"...);

- nous sommes présents avec les hommes, les femmes, qui militent pour la fraternité, la solidarité, pour une vie plus "citoyenne" (Associations pour la Paix, pour l' "Amitié entre les peuples"...).

b) Notre présence en Eglise se veut proche du monde ouvrier, notamment par la participation à la Mission Ouvrière:

- par l'engagement dans le service des Mouvements (ACE, JOC/F, ACO, aumônerie, éveil et accompagnement...);

- par la participation aux Missions Ouvrières Locales, avec nos divers collectifs (de prêtres: P.O., GREPO...; de Vie Religieuse);

- religieux-religieuses en M.O., la même participation à la vie ouvrière et la même démarche de "révision de vie" nous ont amenés à nous rencontrer une fois par trimestre: partage et réflexion, prière et célébration... nous confortent dans notre mission de vie religieuse en fidélité avec nos charismes respectifs;

- c'est aussi essentiel pour nos différentes fraternités SCJ de nous soutenir à la lumière du charisme du P. Fondateur.

4. Dans cette histoire, des évolutions

- L'engagement des uns et des autres a évolué, parce que: parvenus à la retraite; une mission différente reçue du diocèse; le travail se termine et il faut en chercher un autre...

- les changements importants dans la société, dans les formes de travail: les travailleurs manuels sont moins nombreux, mais d'autres domaines s'ouvrent, par ex. les domaines sociaux (éducateur, formateur...)

- évolution au niveau d'une présence de vie d'Eglise dans les Cités. On est plus amenés à rencontrer: un monde d'immigrés, des situations d'exclusion, de pauvretés...; d'autres religions: musulmans, bouddhistes, etc.

II. En monde ouvrier, une vie religieuse proche et signifiante

1. La société d'aujourd'hui

Elle est marquée par un ensemble de mutations profondes: un monde disparaît, un autre est en train d'émerger; ce monde est le nôtre. C'est là, et pas ailleurs, que nous avons à discerner la présence agissante de l'Esprit-Saint. Les difficultés observées ne peuvent pas nous empêcher de penser aux potentialités énormes qui se déploient en matière de communications, de progrès scientifiques, de solidarité internationale.

Dans le même temps, on voit les réalités économiques peser de plus en plus, soumises elles-mêmes aux intérêts des puissances financières: entreprises multinationales, banque mondiale, fonds monétaire international. Des entreprises exportent leurs activités vers des pays où la main d'oeuvre est moins payée, d'autres font venir des travailleurs clandestins.

L'organisation du travail elle-même se trouve modifiée. La robotique a fait supprimer beaucoup d'emplois. Le chômage ne cesse de progresser, mettant les familles en difficulté pour se nourrir, pour se soigner, se loger. Un écart de plus en plus large se creuse entre ceux qui s'en sortent et ceux qui restent de côté. Il en résulte toutes sortes de détresses: dépressions nerveuses, suicides, drogue, violence...

Pour certains observateurs, cette situation est incontournable. Elle est "le prix à payer" pour accéder à la société moderne. Pour d'autres heureusement, il faut sortir de cet asservissement au pouvoir de l'argent et inventer une société qui fasse la première place à l'homme. Une société qui respecte tout homme et ne laisse pas de côté les plus faibles.

2. Une Eglise plus proche du monde ouvrier

En France, les relations entre le monde ouvrier et l'Eglise ont été longtemps marquées par la méfiance. Pour que les choses évoluent, il a fallu bien des initiatives. L'image forte des "prêtres ouvriers" est venue renforcer le témoignage de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et des militants chrétiens en monde ouvrier.

L'Eglise, stimulée par Vatican II, s'est faite plus proche des joies, des espoirs et des efforts des hommes. Leur vie, lieu de la rencontre avec Dieu, a fait l'objet d'une attention, d'un respect accrus. Les prêtres sensibles aux attentes du monde ouvrier ont déployé de nouveaux efforts pour une pastorale plus adaptée et pour accompagner les chrétiens engagés. Des Instituts masculins et féminins ont envoyé des communautés religieuses dans les Cités et engagé une recherche pour une vie religieuse plus parlante.

3. Fraternités SCJ en monde ouvrier

Directeur des oeuvres du diocèse de Soissons, animateur de Congrès ecclésiastiques, le père Dehon en termes vigoureux a incité les prêtres de sa génération à ne pas rester confinés dans les pieuses associations. "Il faut aller au peuple". Il est attentif aux besoins matériels des ouvriers autant qu'à leurs besoins religieux. Il ne se contente pas de soulager les pauvres, mais se préoccupe des causes de cette pauvreté et des remèdes à trouver.

Dans la vie du Père Dehon, l'union à Notre Seigneur et l'engagement social s'appelaient l'un l'autre, comme dans la vie de Jésus l'amour du Père et la passion des hommes.

Notre démarche de fraternité en monde ouvrier nous semble bien s'inscrire dans la spiritualité du Coeur de Jésus qui a animé notre fondateur. Elle est pour nous une des façons de mettre en oeuvre notre Régle de Vie (N° 18): "C'est aussi dans notre disponibilité pour tous, spécialement pour les petits, pour ceux qui souffrent, que nous vivons notre union au Christ. Comment, en effet, comprendre l'amour du Christ pour nous, sinon en aimant comme lui, en acte et en vérité?".

Après plus de 25 ans d'expérience et de vie partagée, nous découvrons ce que cette vie en proximité a transformé en nous-mêmes et autour de nous. Nous sommes témoins de la force nouvelle qui transforme les personnes quand elles se mettent à agir avec d'autres; témoins des gestes de solidarité dont elles sont capables, au coeur même de leur pauvreté.

Partageant cette vie en communauté, nous rendons grâce au Père qui révèle aux plus petits les secrets du Royaume. Nous sommes provoqués, en retour, à signifier par notre présence quelque chose de l'amour infini de Dieu, de sa tendresse, de sa volonté que tous aient la vie en abondance. "Etre avec", "vivre avec", "lutter et aimer avec", "participer aux efforts des hommes" qui agissent pour la justice... nous paraît s'enraciner dans le mystère du Christ venu sauver ce qui était perdu, et qui demande sans cesse à son Eglise de regarder au-delà de l'enclos (Jean 10).

La spiritualité dehonienne n'implique-t-elle pas d'investir nos forces en direction de ceux dont l'Eglise est loin, qui ne demandent rien, et semblent parfois ne plus rien espérer d'elle?

Pour notre part, nous exprimons le désir que cette perspective missionnaire soit très présente dans les priorités soutenues par la province, dans les débats du chapitre général, pour se concrétiser au quotidien dans la répartition de nos forces.

 

III. Des questions et des éléments de réflexion sur l'avenir de notre communauté

1. Le départ d'une communauté de religieuses implantées dans la Cité E. Zola

En 1995, trois religieuses sont appelées par leur Institut à dissoudre la communauté de Massy. L'exigence du regroupement a conduit à ce choix: les religieuses "retraitées" peuvent se déplacer plus facilement que les "actives". Il en résulte un grand vide:

- beaucoup de "petits" étaient rejoints par les religieuses

- des réseaux de vie où l'Eglise était présente

- présence dans les associations du quartier

- service des Mouvements...

Le MANQUE est ressenti encore aujourd'hui:

- au plan "service de l'HOMME" et principalement des "petits"

- au plan d'une présence de Jésus-Christ chez les pauvres

- au plan d'une naissance de vie d'Eglise en monde populaire.

2. Nous aussi: ce qui peut jouer

- L'âge, la santé, les aléas de la vie

- les appels, les urgences venant de la vie ouvrière, venant de l'Eglise

- l'état de la Province: en recherche...

- la fragilité de la communauté qui fait que si quelqu'un part, il ne peut pas être remplacé.

- Pour nous, ce n'est pas à court terme, mais il faut y penser à moyen terme, d'autant plus que l'avenir de Jean-Paul n'est pas forcément de rester dans notre communauté, et que nous sommes aussi très soucieux des besoins qui peuvent s'exprimer dans les autres fraternités, car c'est important qu'il y ait plusieurs Fraternités en Monde Ouvrier.

- La DUREE est importante dans ce genre de présence. Elle exprime une FIDELITE dans la SOLIDARITE, si on veut être un peu crédibles et porteurs d'ESPERANCE.

3. La situation concrète des uns et des autres et les évolutions possibles

a) - Pour les plus anciens: la fin de la "lettre de mission", quel avenir envisager?

- pour les "actifs", les "salariés": ...

- pour le plus jeune: ...

b) La communauté est ouverte pour accueillir:

- des jeunes en formation

- d'autres confrères intéressés par notre manière de vivre la vocation SCJ.

Cette proposition est à porter ensemble en province et en Congrégation.

c) On pourrait voir qu'un membre d'une Fraternité aille dans une autre pour la soutenir.

d) On est bien obligés, en pensant à l'avenir, de se rendre compte que les Fraternités ne pourront continuer leur présence de mission d'évangélisation que par l'envoi d'autres religieux.

(On a conscience que la province ne dispose que de peu de possibilités en personnel).

... Tout ceci est encore à approfondir en communauté et plus largement. On peut porter tout ceci dans l'orientation que nous offre la démarche du Chapitre Général dans le "Projet Global".

ANNEXE: "Etre avec"

Proximité par le logement

La plupart des familles ouvrières de la région parisienne ou des agglomérations urbaines vivent en habitat collectif. Notre fraternité a fait le choix de venir vivre parmi elles. Les problèmes rencontrés sont nombreux: mauvais entretien des bâtiments, laisser aller de certains habitants, chèreté des loyers et des charges locatives par rapport aux revenus modestes de ces familles, bruits nocturnes, insécurité provoquée par des manifestations de violence ou les trafics de drogue, etc.... Face à ces difficultés, les locataires cherchent à quitter le quartier dès qu'ils en auront les moyens, mais la plupart des gens n'a pas le choix.

Face à ces difficultés, quelques militants essaient de se retrouver pour chercher ensemble les améliorations possibles, au lieu de rester chacun isolé et passif. Maîtriser les charges locatives, apprendre à se connaître entre familles d'origines ethniques très diverses, prendre davantage en charge notre environnement, permettre l'expression de nos cultures, valoriser le savoir faire des uns et des autres... sont les objectifs visés par différentes associations.

Par notre insertion dans le quartier, par le fait surtout d'y durer et de participer à la vie des habitants, notamment à tout ce qui construit un monde aux couleurs de la fraternité et de la solidarité, nous constatons que la réserve des premiers contacts a fait place à une confiance mutuelle. On peut compter les uns sur les autres. L'action contre une expulsion, la participation à un collectif de soutien aux familles menacées de perdre leur logement, font dire à un militant: "Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en ce que vous vivez"; et à un autre: "Vous êtes très différents les uns des autres; comment vous faites pour vivre ensemble?". Croyants et non croyants, nous pensons qu'ensemble nous vivons quelque chose du Royaume et que notre présence dit quelque chose de l'amour de Dieu proposé et partagé. Dans l'échange du donner et du recevoir, sur fond d'égalité, nous voulons témoigner de celui qui s'est fait homme parmi les hommes, partageant notre condition en tout sauf le péché...

Proximité par le travail

Gagner son pain à la sueur de son front, rentrer le soir fatigué par sa journée de travail, ne disposer que du week-end, ou tard dans la soirée, pour la vie familiale et les démarches personnelles... c'est la condition de vie des travailleurs. Grâce à Jean-Claude, Etienne, Jean-Paul, toute cette vie est partagée au jour le jour avec les membres de la communauté. Ils nous font mesurer le poids de la vie ouvrière, la disproportion entre les rémunérations et le profit réalisé par la plupart des entreprises, la détérioration du droit du travail, les évolutions technologiques auxquelles il faut s'adapter.

Face à ces conditions de travail, la peur, l'individualisme, la réalité du chômage empêchent la plupart de réagir. Pourtant, avec un nombre réduit d'adhérents, des organisations syndicales continuent d'inviter les salariés à les rejoindre. Des militants défendent les droits des travailleurs dans les conseils prud'hommes. Là se côtoient des hommes, des femmes, croyants, non croyants, qui ont en commun de refuser la fatalité et l'injustice, et de prendre à coeur la défense des plus ménacés. Ils militent pour davantage de sécurité au travail, pour des salaires dont dépendent la vie de leurs familles et une amélioration de leurs conditions de vie.

Toute cette vie ouvrière, les craintes et les espoirs des travailleurs nous les portons ensemble sous des formes diverses, avec l'engagement syndical de Jean-Claude et Etienne, l'engagement aux prud'hommes d'Etienne, le travail précaire de Jean-Paul, les liens de Moïse avec le collectif des retraités. Tous, grâce au partage en communauté, nous nous approprions cette vie de travail, nous en portons dans la prière les lourdeurs et les richesses. Nous nous sentons de plus en plus proches et solidaires des hommes et des femmes de notre quartier qui la vivent.