PREMIER DISCOURS DE L'EDUCATION CHRETIENNE

Son but -- Ses instruments -- Sa méthode -- Ses fruits

 

MESSIEURS,

Nous nous présentons à vous comme des hommes d'éducation. Nous sentons toute l'importance de l'œuvre que nous entreprenons. Nous comprenons toute notre responsabilité devant les pères et les mères de famille qui nous confieront ce qu'ils ont de plus cher, devant la société dont nous allons former quelques membres choisis, devant Dieu qui aime tant l'enfance et qui veut qu'on la traite avec un souverain respect.

Cette importance de l'éducation est, du reste, une vérité de sens commun. Le ciel l'a proclamée par la Sainte Ecriture, et tous les échos de la terre l'ont répétée.

«C'est un proverbe, disait Salomon, que l'homme suit pendant toute sa vie la voie de sa jeunesse» .

Platon disait: «Les commencements sont tout dans une nature jeune et tendre, dont toutes les parties gardent l'empreinte qu'on leur donne» .

Et Leibnitz: «J'ai toujours pensé qu'on réformerait le genre humain, si l'on réformait l'éducation» .

Il suffit de citer ces deux philosophes entre mille.

Les questions d'éducation ont passionné toutes les générations. Elles ont toujours exercé sur les esprits un irrésistible attrait. Il n'est pas un penseur qui n'ait exposé ses vues sur l'éducation. Les philosophes y ont cherché un moyen de moralisation, les politiques un moyen d'influence. Toutes les législations ont essayé de l'organiser et de la diriger. Il n'est point de matière qui ait été traitée par un plus grand nombre d'écrivains

Vous attendez de nous notre profession de foi sur l'éducation et l'idéal que nous nous en sommes formé, sur ses instruments, sur la méthode qui a nos préférences, sur les fruits qu'on en doit espérer; nous allons vous l'exposer loyalement.

I

Qu'est-ce donc que cette oeuvre importante de l'éducation, et quel est son but?

Un homme du monde, de ceux qui vivent en dehors de notre milieu chrétien et qui ne portent pas bien haut leurs regards, me répondrait : «L'éducation, c'est 'acquisition des connaissances requises pour subir avec succès un examen, pour s'ouvrir une carrière et se faire une réputation d'homme instruit. C'est encore la formation au savoir-vivre, au bon ton, aux bonnes manières, à tout ce qu'il faut, en un mot, pour faire son chemin en ce monde».

Tout cela est bon, mais est-ce bien là tout?

Voici maintenant la pensée chrétienne, traduite dans le langage élevé et poétique d'un des évêques les plus éloquents de ce siècle .

«Tout chrétien baptisé est une fleur divine, ou plutôt c'est un dieu en fleur; chacun de ses actes doit être un pas vers la maturité, vers l'âge parfait, vers la grandeur et la taille divine.

Enfants du baptême, de la première communion, l'Eglise votre Mère vous a suggéré des prétentions immenses, vous a montré votre nature divine, vous a soufflé des haines sacrées contre le mal, contre la passion, contre le démon.

Un vrai chrétien n'est-il pas éminemment au-dessus d'un homme qui ne serait que roi? Ne doit-il pas avoir une âme plus grande, faire de plus nobles actions, porter une plus belle couronne? Instruisez-le donc dès sa plus tendre enfance, ou faites-le instruire, chaque jour, de la grandeur de ses destinées. Gardez-vous de laisser ramper à terre sa pensée et ses désirs. Revêtez-le de ces vertus évangéliques qui seront son manteau de gloire. Ce n'est pas une éducation royale, c'est une éducation divine qu'il faut pour élever à toute sa hauteur celui qui doit être l'émule de Dieu dans la carrière de la perfection et son commensal au banquet de l'éternelle félicité».

Disons plus simplement ces grandes choses.

Au fond de tout système d'éducation, il y a une pensée dominante et essentielle, un but, un idéal. Ce but est toujours en rapport avec les doctrines politiques et religieuses du philosophe qui conçoit ce système d'éducation, ou de la société qui l'institue. La direction imprimée à l'éducation dépend tout particulièrement de l'idée qu'on se forme de l'homme parfait. L'immense supériorité de l'éducation chrétienne sur toute autre vient de ce qu'elle a pris la perfection totale et surnaturelle de l'homme en cette vie et en l'autre comme son but et son idéal.

Platon, chez les Grecs, avait entrevu ce noble but. Il a donné de l'éducation la plus belle définition: «J'appelle éducation, disait-il, ce qui donne au corps et à l'âme toute la beauté et toute la perfection dont ils sont susceptibles» . Et dans cette perfection de l'âme, il n'avait pas seulement en vue la vie présente. «C'est une folie, pour une créature mortelle, dit-il ailleurs en parlant encore de l'éducation, d'avoir plus de souci de cette courte existence que de l'éternité» . Mais ces vues élevées de Platon ont été tout exceptionnelles et sont restées un idéal sans réalité.

Pour mieux comprendre l'idéal chrétien et le faire ressortir davantage, demandons à l'histoire ce qu'elle nous offre en dehors de lui.

Il y a eu l'idéal des peuples primitifs, celui de Sparte, celui de Rome avant les guerres puniques. Pour ces peuples, l'homme parfait c'est le soldat vaillant, dur à la fatigue, docile à la discipline. L'éducation, chez eux, se réduit presque au développement des forces physiques et de l'adresse du corps.

Il y a eu l'idéal politique. C'est celui des pouvoirs implantés par la force et qui veulent prévenir leur discrédit dans les esprits. C'était celui de la Convention en 1792. La politique devient alors la préoccupation presque exclusive des organisateurs de l'éducation nationale. Tout le reste, religion, délicatesse des mœurs, culture de l'esprit, noblesse du coeur, est absolument méprisé ou relégué au second plan. L'homme semble n'être qu'un animal politique, venu au monde pour connaître, aimer et servir la Constitution. La Déclaration des droits de l'homme 1887 était déjà, pour Talleyrand, le catéchisme de l'enfance . Pour Lepelletier de Saint-Fargeau, Barrère, Danton, et pour la Convention qui les approuve, la famille doit abdiquer ses droits devant l'Etat. Les enfants appartiennent à la grande famille sociale avant d'appartenir à leur famille privée .

Sur cette base on érigeait des systèmes qu'on aime à relire, ne serait-ce qu'à titre de divertissement. On proposait, par exemple, l'éducation commune de tous les enfants loin de leur famille, à partir de l'âge de cinq ans, éducation limitée aux connaissances élémentaires et confondue avec l'apprentissage professionnel, sans distinction de sexe, voire même avec costume identique .

Ce n'est pas là, vous le pensez bien, notre idéal.

L'idéal politique ne fut pas étranger non plus à l'organisation première de l'Université avec son monopole exclusif, sous le Consulat et l'Empire.

Il y a encore l'idéal utilitaire. C'est celui d'une nombreuse école anglaise contemporaine, celui des positivistes en France. Tout le développement de la personne humaine pour eux se réduit à l'activité physique et industrielle. L'homme n'est qu'un être matériel. D'âme, de morale, de culture intellectuelle, de religion, il n'en est guère question.

Il y a, enfin, l'idéal que j'appellerai critique, ou de l'art pour l'art. C'est celui d'un grand nombre de membres de l'enseignement officiel de notre temps. Ils cultivent les lettres et la philosophie, mais ils n'ont pas d'autre culte que celui de la forme dans la littérature et dans l'art. Ils rejettent tout principe religieux. Pour eux, Dieu n'est qu'une idée et toutes les religions sont des évolutions progressives de l'esprit humain.

L'idéal chrétien seul embrasse à la fois tous les éléments de la perfection humaine.

L'éducation chrétienne ne néglige pas ce qui importe au développement physique. Elle se préoccupe de l'hygiène et des exercices du corps. Elle regarde les lettres et les sciences comme nécessaires pour développer les facultés les plus essentielles de l'esprit, elle forme le jugement par la philosophie et par l'histoire, le goût par la connaissance des modèles de la littérature et de l'art, la volonté et le cœur par la religion, les mœurs et le caractère par les procédés délicats en usage dans la meilleure société.

Elever un chrétien, ce n'est pas seulement lui donner des notions de science humaine qui l'aideront à se créer une position dans la vie. Ce n'est pas seulement le former à une délicate politesse, lui donner une science profonde et en faire un homme qui puisse et veuille se mêler à tous les progrès du génie humain. C'est aussi et avant tout former en lui un noble et grand caractère, des mœurs pures, de mâles vertus. C'est faire croître en son âme la foi qui ouvre à l'entendement le monde invisible, l'espérance qui fortifie le cœur par la perspective d'une félicité méritée, et l'amour qui rend Dieu sensible dans les ombres froides de la vie.

Elever un chrétien, c'est encore former un homme de cœur, un homme de sacrifice et de dévouement, un homme qui ait secoué le joug de l'égoïsme. Quelle que soit la carrière qu'il embrassera un jour, prêtre, soldat, agriculteur, industriel ou magistrat, le disciple de l'éducation chrétienne y portera cette conviction ardente et profonde, qu'il a une influence régénératrice de parole et d'exemple à y exercer. Tout ce que Dieu lui a donné de talent ou de génie, tout ce que l'éducation lui a communiqué de forces intellectuelles et morales, tout cela ne sera pas seulement pour lui le moyen d'honorer sa vie; ce sera encore l'instrument du bien qu'il doit accomplir. Dans la sphère d'action où la Providence le placera, il sera le missionnaire de la vertu et la vivante image de Jésus-Christ.

Tel est le but de l'éducation chrétienne. Tel est le nôtre. Et si notre attente n'est pas trompée, nos élèves, ceux du moins qui répondront pleinement à nos soins, trouveront dans l'esprit que nous donnerons à la maison, dans le culte particulier du Sacré-cœur de Jésus et la protection de son aimable disciple saint Jean, une grâce spéciale de pureté, de douceur, de piété et de zèle pour le bien.

Tel est notre idéal. C'est aussi le vôtre, n'est-il pas vrai?

II

Disons maintenant ce que doivent être, selon nous, les instruments de l'éducation chrétienne, les maîtres qui la distribuent, les livres dont ils se servent.

Le maître a, vis-à-vis de son disciple, l'action d'une véritable paternité spirituelle. Il engendre véritablement en lui la vie et la ressemblance de son âme. La vie intellectuelle et morale s'épanche de l'âme de l'éducateur dans l'âme de son élève par deux sources: la parole et l'exemple. Il lui communique ses pensées. Il lui révèle le vrai, tel que son intelligence le conçoit; le beau, tel qu'il le comprend et qu'il a su l'aimer; le bien, tel que sa conscience le lui dicte.

Indiquer une telle mission, c'est assez dire sa responsabilité en même temps que sa noblesse. Aussi je comprends que les familles chrétiennes soient exigeantes vis-à-vis de ceux qu'elles acceptent comme des seconds pères pour les âmes de leurs enfants.

Il ne suffit pas qu'ils soient du vulgaire des vertueux, et le renom d'honnête homme n'est pas, pour eux, un brevet dont on puisse se contenter. Il faut qu'ils soient de grands chrétiens afin que l'enfant sente en quelque sorte, dans toute leur personne, le Maître des maîtres, le CHRIST qu'ils représentent et dont la dignité les couvre.

Et si, avec tout ce que je viens de supposer, l'instituteur catholique a reçu du ciel une vocation qui ne le voue pas seulement à la pratique du devoir mais à l'héroïsme de la vertu; s'il a fait le serment, non pas seulement de l'honnêteté, mais de la sainteté; s'il ajoute à la dignité qui lui vient de sa mission cette grandeur qu'il tient de l'onction divine et d'un caractère sacré; oh! alors nul ne peut dire ce que produira dans l'enfant cette action puissante et si élevée au-dessus de la nature.

Ce n'est pas à dire pour cela que le prêtre seul puisse donner à l'enfance le bienfait de l'éducation chrétienne. Tout homme profondément chrétien, prêtre ou laïque, régulier ou séculier, y suffit, mais un chrétien peut nier que le dévouement spécial à JESUS-CHRIST, imposé par l'onction du sacerdoce ou les vœux de la religion, ne soit, en général, dans l'éducation une force et un avantage de plus.

L'aveu en a souvent échappé à l'impartialité des éducateurs laïques eux-mêmes. Voici, par exemple, quelques pensées exprimées par un professeur de Faculté dans un ouvrage couronné par l'Académie .

«Il y a certainement beaucoup à dire en faveur de l'enseignement donné et dirigé par des ecclésiastiques ou des religieux. Nos préférences pour l'enseignement laïque ne nous empêchent pas de reconnaître quels avantages considérables sur certains points leur caractère assure aux professeurs ecclésiastiques. L'indépendance absolue vis-à-vis du monde, la suppression de tous les liens qui attachent chacun de nous à la famille et à la société civile, le renoncement à tout intérêt terrestre, la rupture avec les passions troublantes qui usent les forces et dévorent le temps, la solitude et la paix qui empêchent l'éparpillement de la pensée sur les curiosités du monde et les incidents de la vie, et qui permettent à la réflexion de se concentrer sur un objet unique; la hauteur de pensée nécessairement familière à quelqu'un qui croit travailler pour l'éternité; l'habitude de la discipline qu'il est plus facile d'imposer aux autres quand on est le premier à s'y conformer; enfin, et par-dessus tout, la force morale, l'autorité qui n'est jamais plus grande chez l'homme que lorsqu'il s'oublie lui-même pour parler et agir au nom de la divinité: voilà les conditions favorables où est placé le prêtre ou le religieux qui se fait professeur».

Nous aurions pas facilement mieux dit les avantages de l'enseignement ecclésiastique.

Un autre professeur éminent de l'Université rendait la même justice à l'abnégation, au dévouement, au zèle professionnel des prêtres et des religieux dans l'éducation, zèle sans lequel le maître le plus habile et le plus distingué est impuissant à faire le bien, et il en donnait entre autres motifs celui-ci: «II est difficile d'approcher la jeunesse sans l'aimer, et c'est une plus grande douceur pour des hommes qui ont rompu avec leur famille naturelle: ils retrouvent là ce qu'ils ont perdu».

Il y a du vrai en cela. C'est bien dans ces conditions que nous venons à vous. Indépendants vis-à-vis du monde, détachés de tout intérêt personnel, nous serons tout à notre oeuvre, tout à vos enfants. En travaillant pour eux, nous croyons travailler pour Dieu. Voilà les secrets de notre dévouement, les secrets de l'ardeur et du zèle que nous mettrons à aider vos enfants dans leur formation pour qu'ils répondent à votre attente et à celle de Dieu qui nous les confie.

Sans insister davantage sur l'idéal du maître à nos yeux, disons notre pensée sur les livres, qui sont comme des maîtres, eux aussi, et des instruments d'éducation.

Le livre est un des conseillers de l'enfant. Il le suit à chaque pas. Il enseigne avec ou contre le maître. Il influe considérablement sur l'âme du disciple.

En remontant le cours de vos années, quel est celui d'entre vous qui ne trouve pas, dans son âme, la trace profonde de quelque livre auquel se rattache telle direction de son esprit, telle idée prédominante dans sa vie?

Et pour ne parler que des influences innocentes, tel enfant aura puisé, dans le récit émouvant de naufrages fabuleux sur quelque île merveilleuse, le goût des aventures qu'il prend pour une vocation à courir les dangers de la mer. Nous en avons connu de ces marins improvisés, qui, grâce à ce genre de lectures, se déclarent décidés à l'âge où ils n'ont pas encore pu réfléchir. Cependant la tendresse inquiète de leurs mères s'agite autour de leurs projets menaçants. Heureusement l'expérience intervient pour imposer des délais à leurs désirs prématurés, et ces héros, qui se comptaient par centaines au début de l'adolescence, voient peu à peu leurs rangs s'éclaircir. Alors les aptitudes réelles apparaissent, les vocations sérieuses se dessinent, et la vie mieux discutée prend sa direction véritable.

Mais les conseils de la sagesse, utiles dans ces circonstances, pourront-ils toujours s'adresser avec fruit à des esprits profondément remués par un autre genre de lectures? Supposez que la raison de l'enfant soit saisie de bonne heure par le faux, que les notions du juste soient bouleversées dans son esprit, que ses passions soient éveillées par des images suspectes, et que son cœur soit dévoyé par les écrits malsains qui circulent, avec l'attrait du mystère, parmi les élèves de certaines maisons, la sagesse des parents et des maîtres n'aura plus seulement à lutter contre les erreurs d'une imagination jeune et imprévoyante; le combat sera plus sérieux et la victoire moins assurée, parce qu'il ne s'agira plus de discuter telle ou telle forme accidentelle de la vie, mais d'arracher la vie elle-même à une direction funeste.

Ce péril peut se rencontrer dans l'enseignement lui-même et dans les lectures de délassement qui accompagnent l'enseignement. Dans l'enseignement, il y a l'élément païen qui doit être présenté avec prudence.

Les auteurs profanes tiennent une grande place dans nos programmes officiels, une place beaucoup trop grande. Le Conseil supérieur de l'instruction publique, en 1875, avait rendu justice, bien que très imparfaitement encore, aux classiques chrétiens en les rétablissant au programme de la classe de troisième pour le grec, et de la classe de seconde pour le latin, et en les inscrivant parmi les auteurs de la licence.

L'Eglise voudrait l'enseignement mixte de ces deux littératures, qui ont toutes deux leurs chefs-d'œuvre et qui appartiennent à des civilisations différentes; mais elle voudrait aussi que l'enseignement des auteurs profanes fût entouré de précautions préservatrices toutes spéciales .

Le beau, n'est-il pas la splendeur du vrai selon la définition de Platon? De même que le beau, dans l'ordre naturel, propre à la civilisation païenne, se rencontre dans la première littérature latine, de même le beau, le sublime, naturel et surnaturel, abonde et resplendit dans la seconde.

L'art de bien dire, considéré dans sa source primitive, n'est-il pas une merveilleuse émanation du Verbe de Dieu, de la Parole de Dieu le Père?Comment donc pourrait-on croire que le Verbe incarné, qui avait daigné dispenser le don de la parole aux nations qui ne le connaissaient pas, l'aurait ensuite refusé à l'Eglise, son épouse, qu'il s'est acquise au prix de son sang précieux?

L'Eglise n'a jamais exclu les auteurs profanes de l'enseignement. Par sa pratique comme par sa doctrine, elle nous a appris qu'ils peuvent être les auxiliaires de la vérité, et elle les a admis en concurrence avec les auteurs chrétiens.

N'est-il pas avantageux d'étudier le beau et le sublime partout où ils se rencontrent? On doit tenir compte des hommes de génie, alors même qu'ils n'ont pas eu le bonheur de professer la vérité complète. Homère et Virgile seront toujours un sujet d'admiration, tant que la poésie continuera à être une des préoccupations du genre humain; et aussi longtemps qu'il sera question d'enseigner les préceptes de l'éloquence, les modèles indiqués seront toujours Démosthène et Cicéron.

Tel a été, sans contredit, l'enseignement traditionnel et constant de l'Eglise .

«Les livres profanes, disait saint Basile le Grand, sont aux Livres saints ce que le feuillage de l'arbre est aux fruits: il les précède, il les couvre aussi et leur sert de parure» . Et ce saint docteur admirait, dans la littérature profane, non seulement la forme brillante et la perfection du style, mais encore la beauté des exemples et l'élévation des pensées. Il demandait toutefois qu'on fit un choix des auteurs, et qu'on les lût comme les abeilles pillent les fleurs en n'en recueillant que le miel. Mais il voulait, lui aussi, qu'ils fussent les auxiliaires de la vérité et qu'on les étudiât conjointement avec les auteurs chrétiens.

Son sentiment fait autorité dans l'Eglise. «La coutume constante de l'Eglise, nous rappelait encore récemment notre vénéré pontife Pie IX , a été d'apprendre le latin aux jeunes gens par l'étude mixte des auteurs sacrés et profanes».

Personne ne met en doute que telle ait été la pratique des premiers siècles de l'âge des docteurs. Au moyen-âge même, l'Eglise, dans ses écoles monastiques, garda l'usage des grands classiques païens avec celui des auteurs chrétiens.

Si Charlemagne a pu ranimer le culte de la littérature et produire, avec l'aide d'Alcuin, une première renaissance, c'est qu'il a trouvé à Rome, dans les écoles pontificales, des traditions, des maîtres et des livres qu'il n'a eu qu'à transplanter en France, et l'on sait qu'il en rapporta les chefs-d'œuvre des littératures grecque et latine en même temps que les principaux écrits des Pères de l'Eglise.

Notre grand siècle classique, le XVIIe siècle, ne procédait pas autrement. Les auteurs chrétiens faisaient le fond de l'enseignement. Les auteurs profanes s'y ajoutaient, comme il convient, à la fin des études.

Fénelon n'est pas suspect, sans doute, d'ignorance ou de mépris des classiques, et l'on sait quelle direction il donna à l'éducation du duc de Bourgogne. Il commença par lui faire étudier les Livres sapientiaux dans l'Ecriture Sainte, puis quelques livres choisis de St Jérôme, de St Augustin, de St Cyprien, de St Ambroise, quelques poésies de Prudence et de St Paulin et l'Histoire de Sulpice Sévère . C'est seulement après ces premières études qu'il l'initia aux lettres païennes, en lui apprenant à les faire servir à la sagesse chrétienne, comme il en donne l'exemple dans son Télémaque et ses Dialogues des Morts.

C'est ainsi qu'il faudrait user de la littérature profane, pour qu'elle serve à la foi et ne la détruise pas. Nous en sommes loin aujourd'hui. Les étudiants de nos collèges arrivent à ce résultat, qu'ils connaissent mieux la mythologie que l'Histoire sainte, les faits et gestes des dieux du paganisme que ceux des héros chrétiens.

Montalembert en faisait le remarque dans l'introduction à son beau livre sur les moines d'Occident: «Ne sommes-nous pas tous sortis du collège, disait-il, sachant par cœur les traits peu édifiants de l'histoire de Jupiter, et ignorant jusqu'au nom même des fondateurs de ces ordres religieux qui ont civilisé l'Europe et tant de fois sauvé l'Eglise?».

Nous réagirons contre cet abus dans la mesure du possible, eu égard aux programmes que nous imposent les examens.

Quant aux lectures de délassement, nous veillerons à ce qu'elles soient choisies avec une délicate prudence, afin qu'elles ne pèchent ni par l'excès de gravité ni par la puérilité. Nous n'aimons ni les esprits légers ni les docteurs trop précoces. L'enfance est le printemps de la vie. C'est l'âge des fleurs plutôt que celui des fruits. L'épanouissement et la fraîcheur lui conviennent plus que la maturité. Dieu donne souvent à l'enfant la beauté, et sa naïve bonté est comme un parfum qui réjouit. Puissions-nous être, à l'égard de nos enfants, de dignes instruments du CHRIST! Puissions-nous répondre à une mission si belle et posséder, avec les qualités du maître chrétien, ce quelque chose de particulièrement élevé, suave et pur, que ne peut manquer de donner l'imitation de l'aimable Apôtre si dévoué aux enfants et l'union spéciale avec le Sacré-cœur de JESUS, ce Cœur si ami des enfants et si plein de grâces pour eux!

III

Après avoir traité des instruments de l'éducation, il faut parler de la méthode.

Une question capitale dans la méthode de l'éducation est celle du mobile à donner aux efforts de l'élève.

Le conduirons-nous par la crainte, par l'affection, par le sentiment de l'honneur ou de la foi?

Et d'abord, il faut poser en principe que l'enfant a besoin d'une direction puissante. Il apporte en naissant un mélange de bonnes et de mauvaises qualités, d'instincts funestes et d'heureuses inclinations.

La révélation mosaïque et chrétienne nous explique ce mystérieux combat dans l'âme de l'enfant par la déchéance originelle. Il y a là comme deux armées de penchants et d'inclinations contraires. Quel guide donnerons-nous aux tendances vers le bien? Il faut un point de ralliement à ces forces et comme un guidon qui les groupe. Ce sera la pensée dominatrice de l'âme et l'impression sous laquelle nous la mettrons.

Quelle sera cette pensée ou ce principe dominateur qui soutiendra l'âme de l'enfant dans le travail, dans le devoir, dans la vertu, dans la constance?

Les ressources humaines offrent spontanément la crainte, la honte ou l'honneur, et l'affection filiale. La crainte humaine: on ne peut pas se priver entièrement de son concours, mais en faire le mobile principal de l'enfant, n'est-ce pas aigrir et dessécher son cœur? N'est-ce pas le porter à la dissimulation? C'est à coup sûr étouffer les plus généreux élans de sa nature, et amoindrir son âme jusqu'à donner à toutes ses actions cette fin égoïste et sans noblesse, d'éviter une correction.

La honte ou l'honneur: c'est le principe qui est mis au premier rang quand l'éducation n'est pas fortement chrétienne. On appelle encore ce mobile, l'émulation; et bien souvent son nom vrai, c'est la vanité.

Ce principe a sa valeur. Il est souvent une ressource, mais souvent aussi il reste superficiel et dangereux. Superficiel, parce qu'il ne demande après tout que les dehors de la vertu. Peu importe, pour la plupart, ce que dit la conscience, si les apparences sont sauvées et si l'honneur est ménagé. Dangereux, parce qu'il se résout dans l'amour-propre, l'égoïsme et la complaisance en soi-même. C'est là une singulière préparation à la vie de dévouement, de devoir et de générosité que la société chrétienne attend de cet enfant.

Les parents mettent leur confiance en un troisième mobile: l'affection filiale. L'enfant, pensent-ils, sera fidèle au devoir et à la vertu pour plaire à ceux qu'il aime.

Ce sentiment est digne, et nous voudrions qu'il fût moins oublié.

Mais suffira-t-il toujours? Ne le voyez-vous pas échouer d'ordinaire à l'âge où l'adolescent consulte plus son imagination troublée et ses passions naissantes que les affections de son enfance?

Qu'avons-nous donc à offrir pour combler toutes ces lacunes? Nous avons le principe chrétien, et nous voulons que ce soit lui qui ait ici le premier pas.

La pensée de Dieu, leur créateur et leur maître, son omniprésence, sa justice, sa bonté, ses promesses, le CHRIST rédempteur et sa grâce, l'action toute-puissante de l'Eucharistie, et la douce influence de nos fêtes chrétiennes, telles sont nos ressources divines, qui produiront, nous en sommes certains, une éclosion merveilleuse de piété chrétienne et filiale, de travail, de douceur, de charité, de force et de constance.

Outre la grande question du mobile à donner à l'élève, il y a cent autres questions de méthode.

Il faudrait parler de la discipline, des diverses branches d'études: lettres, sciences, grammaire, littérature, philosophie, langues anciennes, langues vivantes, histoire, géographie; du classement de ces diverses parties de l'enseignement et de la part à donner à chacune d'elles. Il faudrait parler des procédés d'éducation et d'enseignement, de l'enseignement progressif, de l'enseignement par les yeux, de la psychologie de l'enfant et du développement de ses facultés. Il faudrait distinguer les études utiles et les études de luxe.

Mais toutes ces considérations seraient interminables. Nous avons un moyen plus simple de vous faire connaître notre méthode. Le voici: nous prendrons, dans son ensemble, la grande méthode chrétienne, celle qui a commencé après la paix de l'Eglise, avec les Pères de l'Eglise grecque et ceux de l'Eglise latine; celle qui est devenue successivement, en s'adaptant aux besoins de toutes ces époques, mais en gardant toujours ses grands principes fondamentaux, la méthode des écoles monastiques et des écoles épiscopales du moyen âge, celle des grandes universités du XIIe siècle, Bossuet, Fénelon, Fleury; celle qui a été codifiée par le savant et pieux Rollin dans son Traité des études.

Oui, ce beau livre de Rollin me paraît devoir rester définitivement le code de l'éducation. Les hommes les plus marquants de l'université contemporaine le reconnaissent eux-mêmes, ceux du moins qui ne se lais-sent pas aveugler par la passion antireligieuse. Villemain et Nisard seront, n'est-il pas vrai, des témoins autorisés. Ecoutons-les. «Dans les choses d'éducation, dit M. Nisard, le Traité des études, c'est le livre unique ou mieux encore, c'est le livre!» .

Villemain avait dit: «Je n'analyserai pas cet ouvrage, un peu négligé de nos jours, comme si l'on avait, depuis Rollin, découvert des méthodes nouvelles pour former l'intelligence et le cœur. Hélas! il n'en est rien: on n'a pas ait un pas; on ne fera pas un meilleur Traité des études» .

Oui, c'est bien la manière de former l'esprit et le cœur qu'enseigne Rollin et c'est là le but de l'éducation, et sa méthode est bien la grande méthode chrétienne. Je voudrais pouvoir l'analyser et vous faire remarquer comment il excelle dans l'art d'enseigner les lettres et dans l'art plus précieux encore de faire servir les lettres à la vertu. Pour la culture des mœurs et du caractère, aussi bien que pour l'enseignement technique des langues, de la rhétorique et de la philosophie, Rollin a tout dit, et tout dit excellemment.

Il est partout ce que Chateaubriand nous le montre comme professeur d'histoire: «La narration du vertueux recteur, dit-il, est pleine, simple et tranquille, et le christianisme, attendrissant sa plume, lui donne quelque chose qui remue les entrailles. Ses écrits décèlent cet homme de bien dont le cœur est une fête continuelle» .

Voilà nos maîtres et nos modèles.

Il est vrai que ce sénat des maîtres de l'éducation n'est plus entièrement à la mode. Leur vertu surtout est gênante. Il faut fouiller l'histoire et essayer de grouper quelques irréguliers de la grande armée des éducateurs. On a fait cela de nos jours et on a exhumé Rabelais, Montaigne, Ramus, Condorcet, Rousseau et les Conventionnels. On a même introduit quelques-uns de leurs écrits dans les programmes.

Il faut de la bonne volonté pour faire de cet ensemble une école de pédagogie, dite progressive, en regard des maîtres de l'éducation chrétienne.

Je ne désespère pas que ces recherches consciencieuses de nos adversaires ne servent puissamment notre cause.

Les hommes de bonne foi se diront: Les adversaires de l'éducation chrétienne n'ont trouvé que ces noms à opposer à ceux de Basile le grand, de Gerson, de Bossuet, de Fénelon, de Rollin: leur cause est jugée.

Y eût-il quelques idées acceptables au milieu des obscénités de Rabelais, qu'il ne serait guère de notre goût d'aller les chercher là.

Quant aux novateurs de la Révolution, ils sont souvent fort amusants à lire.

C'est Lequinio, déclarant que la littérature est inutile et qu'il est absolument superflu de s'en occuper . C'est Lepelletier, épris des usages de Sparte, proposant l'éducation commune des enfants des deux sexes, dans l'égalité absolue. «Il faut, dit-il, que tous aient un corps robuste, assoupli au travail. Pour cela, ils recevront une nourriture frugale, sans viande ni vin, et ils seront exercés à travailler la terre. S'il n'y a pas de culture à leur portée, ils iront sur les routes répandre et entasser des cailloux». C'est suffisamment démocratique. On ne leur parlera pas d'ailleurs de religion positive. C'est presque du Rousseau tout pur, et, de nos jours encore, Michelet s'extasiait devant ce projet de Lepelletier qu'il appelait «la Révolution de l'enfance» et «l'Evangile de la pédagogie» .

C'est Saint-Just, un élu du département de l'Aisne, qui veut aussi que les enfants soient élevés jusqu'à seize ans aux frais de l'Etat. Il est vrai que leur éducation ne sera pas dispendieuse. Leur nourriture se composera de fruits, de légumes, de lait, de pain et d'eau. Leur costume se rade toile dans toutes les saisons .

C'est Barrère, demandant qu'on se débarrassât au plus vite des livres, «de toutes ces paperasseries qui encombrent le genre humain».

C'est Fourcroy lui-même, Fourcroy, le chimiste, demandant qu'il n'y ait plus de collèges. «Instruire, c'est tyranniser; il fallait, disait-il, laisser l'enfant à lui-même».

C'est Cofinal, répondant à Lavoisier qui parlait en faveur des sciences: «Tais-toi, la République n'a pas besoin de chimie» .

C'est Bouquier, présentant, aux applaudissements de la Convention, un plan qui proscrivait à jamais toute idée d'études spéculatives et scientifiques. «Les plus belles écoles, disait-il, les plus utiles, les plus simples, sont les séances des comités. La Révolution, en établissant des fêtes nationales, en créant des sociétés populaires, des clubs, a placé partout des sources inépuisables d'instruction. N'allons pas, ajoutait-il, substituer à cette organisation simple et sublime comme le peuple qui la crée une organisation factice, basée sur des statuts académiques, qui ne doivent plus infecter une nation régénérée». Et son projet fut voté le 29 frimaire an 11 (19 décembre 1793).

Voilà certes bien des idées neuves auxquelles les éducateurs chrétiens n'avaient pas songé.

Mais c'est assez nous récréer.

Nous n'entendons pas, en gardant quant à la substance la grande méthode des anciens, rejeter les améliorations et les changements que le temps et l'expérience nous ont apportés.

Les progrès des sciences exigent qu'il leur soit donné plus de place dans l'éducation.

L'histoire, enrichie par les découvertes orientales et par l'étude des sources, doit être enseignée plus complètement.

La langue latine n'étant plus comme autrefois la langue du droit, de la médecine et de la philosophie, il n'est plus nécessaire de la savoir écrire et parler; il suffit de savoir comprendre ses chefs-d'œuvre.

La facilité des relations avec l'étranger nous impose la connaissance des langues vivantes.

Le développement de l'industrie a donné lieu à la création d'un nouveau système d'études, qui tient le milieu entre l'enseignement primaire et les humanités.

La diffusion de la gravure fournit une ressource nouvelle pour l'utilité et l'agrément de nos livres scolaires.

Nous entendons bien ne rien mépriser de ces changements qui s'imposent et ne rien négliger de ces progrès. Nous remplirons le cadre commun des études actuelles en les ennoblissant par les moyens propres à l'éducation chrétienne et en les complétant autant que la rapidité du temps le permettra.

Au résumé, sans méconnaître les exigences de notre temps pour la formation de l'esprit de nos enfants, nous suivrons, pour la formation de leur cœur, la méthode chrétienne traditionnelle que Rollin réduisait à ces grandes lignes:

Etudier le caractère des enfants, pour se mettre en état de les bien diriger; se faire aimer d'eux autant que craindre; leur parler raison; les accoutumer à être sincères; les former à la politesse; rendre l'étude aimable; et surtout faire régner parmi eux la piété, qui résume et renferme toutes les bonnes dispositions du cœur.

Si nous réalisons cela, j'ai la confiance que nous aurons bien mérité de vous, de la France et de Dieu.

IV

Enfin, messieurs, toute cette théorie si séduisante sur éducation chrétienne, son but, ses instruments, sa méthode, n'est-elle pas l'effet d'une illusion? L'éducation chrétienne produit elle les fruits que nous promettons? L'essai a-t-il été fait, a-t-il répondu à cette conception?

Je voudrais pouvoir lire dans les âmes, ou plutôt je voudrais pouvoir en ouvrir devant vous les horizons, pour vous faire mieux saisir les effets de l'éducation chrétienne. Je voudrais pouvoir vous dire ces effets d'une manière bien impartiale. Le mieux sera peut-être, pour écarter tout soupçon de partialité, de faire parler des témoins.

Il y a des âmes qui semblent avoir un don particulier pour se manifester, ce sont celles des poètes. La Providence nous a fait rencontrer le tableau des impressions d'un poète sentimental, qui avait connu la double éducation d'un collège indifférent et d'une maison religieuse. Voici deux pages qui sont de Lamartine, vous jugerez . Commençons par le collège indifférent:

«Semblable, dit-il, à ces fils de barbares qu'on trempait tour à tour dans l'eau bouillante et dans l'eau glacée pour rendre leur peau insensible aux impressions des climats, l'enfant a été jeté dans l'incrédulité et dans la foi. Il entre dans un collège divisé d'esprit et de tendances. Il lui faudrait deux âmes, il n'en a qu'une. On le tiraille et on le déchire encens contraire; le trouble et le désordre se mettent dans ses idées; il en reste quelques lambeaux à la foi et quelques lambeaux à la raison; sa foi s' éteint, sa raison sans ardeur se refroidit, son âme se sèche, et son enthousiasme se change en indifférence et en découragement».

N'est-ce pas là l'histoire de bien des âmes?

Voici maintenant l'impression que le poète avait gardée de l'éducation chrétienne dans une maison religieuse.

«Tout l'art de nos maîtres consistait à nous intéresser nous-mêmes aux succès de la maison et à nous conduire par notre propre volonté et par notre propre enthousiasme. Un esprit divin semblait animer du même souffle les maîtres et les disciples. Toutes nos âmes avaient retrouvé leurs ailes et volaient d'un élan naturel vers le bien et vers le beau. Les plus rebelles eux-mêmes étaient soulevés et entraînés par le mouvement général. C'est là que j'ai vu que l'on pouvait faire des hommes, non en les contraignant, mais en les inspirant».

Comme ce tableau est serein et radieux et comme il contraste avec les ombres du premier!

Après le témoignage du poète, voici l'affirmation du bon sens. Je donne la parole à un évêque anglican: l'Angleterre est la terre classique du sens pratique. Il parle de l'éducation en Amérique, pays des essais et des inventions. Là, on a créé des écoles neutres, c'est-à-dire des écoles sans dieu.

Le nom est pittoresque. On le pourrait prendre pour peindre bien des maisons d'éducation françaises où la religion est si peu vivante que ces maisons, à son égard, peuvent être classées dans le genre neutre. Que disait donc cet évêque anglican: «Qu'il aimerait mieux voir le mahométisme enseigné dans les pensions de son diocèse, que d'y voir s'implanter ces écoles d'où la religion est complètement bannie». Façon' Cité par le P. Monfat, Education, p. 104.de dire comment il apprécie les résultats des écoles sans Dieu en Amérique.

Voici maintenant le témoignage de l'homme d'expérience, de l'homme des affaires et du progrès. Je consulte le président de la commission français à l'exposition de Philadelphie en 1876. Le témoignage est assez récent. Le témoin est assez mêlé au mouvement industriel et scientifique.

Que dit-il dans son rapport sur l'enseignement en Amérique? Il raconte la décadence des écoles neutres et la supériorité incontestable, la prospérité croissante des écoles catholiques.

Les affirmations des grands esprits sont d'accord avec celles du sens commun et de l'expérience. Acceptez-vous comme témoins suffisamment variés et autorisés le comte de Maistre, M. Thiers et M. Guizot? Joseph de Maistre, représentant la philosophie catholique, M. Guizot représentant les cultes dissidents et M. Thiers représentant les idées dites modernes. Voici leurs dépositions: «Tout système d'éducation qui ne repose pas sur la religion, dit Joseph de Maistre, tombera en un clin d'œil ou ne versera que des poisons dans l'Etat. Si l'éducation n'est pas rendue aux prêtres, et si la science n'est pas mise partout à la seconde place, les maux qui nous attendent sont incalculables: nous serons abrutis par la science sans Dieu, et c'est le dernier degré de l'abrutissement».

M. Guizot disait: «On ne le croit pas encore assez, l'instruction n'est rien sans l'éducation. A quoi il faut aussitôt ajouter: II n'y a point d'éducation sans religion. L'âme ne se forme et ne se règle qu'en présence et sous l'empire de Dieu qui l'a créée et qui la jugera».

Enfin, pour clore la série des témoignages que nous pourrions prolonger indéfiniment, nous resterons sur ce mot de M. Thiers, qui marque son sentiment sur l'éducation: «L'école ne sera bonne que si elle reste à l'ombre de la sacristie» .

Ce que le témoignage vient d'affirmer, la raison ne le prouvait-elle pas?

L'éducation religieuse n'est-elle pas la culture des facultés les plus élevées de l'homme, la civilisation de l'intelligence et du cœur?

«Quel serait, demandait un des éloquents orateurs de la chaire de Notre Dame , un peuple dont la religion n'aurait pas réprimé dans l'enfance les instincts dépravés? Il pourrait avoir de la science, mais point foi; de l'intelligence, mais point de principes. Il connaîtrait la haine, non l'amour; la révolte, non l'obéissance; le mépris, non le respect; la volupté, non la chasteté. Il serait capable de s'enrichir, non de se dévouer. Il serait dans son ensemble un peuple égoïste, cupide, voluptueux, sans amour, sans générosité, et pour tout dire en un mot, un peuple mal élevé ! ».

Allez dans un pensionnat, dans un collège où la religion est négligée, écartée comme un commerce inutile, ou même, hélas! méprisée et insultée: quelle désolante vision! quelle laideur morale à l'âge où la vie a ses plus beaux rayonnements! Cherchez là des enfants qui domptent leur égoïsme, leur orgueil, leur indépendance, leur colère, leur volonté surtout; vous n'en trouverez pas: l'enfant sans religion ne dompte pas ses passions.

Là vous verrez l'enfant déjà incrédule, déjà impie peut-être; et ce jeune impie, il est hautain, orgueilleux, révolté, insolent, grossier, voluptueux, méchant, presque barbare.

L'éducation qui n'est pas franchement chrétienne, laisse le cœur sans ouverture, sans expansion et sans charité.

Elle manque de force et de grâce pour cultiver la plus belle des vertus, la pureté, vertu éminemment chrétienne, une de ces vertus réservées, comme disait Lacordaire, vertus qui sont la gloire de l'Eglise. Il faut, en effet, que le maître soit un homme de Dieu, pour faire une garde sainte autour du cœur de l'enfant, qu'habite une pureté encore ignorante et candide, ou autour du coeur de l'adolescent, qui renferme l'orage et déjà connaît l'honneur d'une chasteté éprouvée.

Seul l'homme de Dieu saura, dans son infatigable et intelligent dévouement, regarder ou écouter pour déjouer l'ennemi qui menace; ouvrir les yeux pour voir un signe, les oreilles pour entendre un mot révélateur;écarter d'une main discrète le poison qui se cache dans un livre, dans une amitié dangereuse; veiller en un mot avec une sollicitude maternelle ou sacerdotale, et sauvegarder avec la pureté toutes les vertus qui forment comme la gracieuse auréole de l'enfant chrétien.

Ainsi donc, la raison est d'accord avec l'expérience pour proclamer que l'éducation chrétienne doit présider aux premières années de la vie si l'on veut diriger cette vie vers son véritable idéal et si l'on veut obtenir des esprits véritablement éclairés, des caractères énergiques, des cœurs généreux, des hommes de foi et d'action, capables de toutes les grandes pensées, de toutes les résolutions vigoureuses, de tous les dévouements et de tous les sacrifices à la religion et à la patrie. Ce sera, j'espère, la consolation de Monseigneur l'évêque de Soissons, notre si digne et si vénéré pontife, d'avoir établi, avec le concours dévoué de M. l'Archiprêtre, son vicaire général, et sans s'arrêter devant aucun obstacle, cette maison de St-Jean, qui s'efforcera, tout en ne le cédant à aucune autre sous le rapport des études, de transmettre de génération en génération l'éducation chrétienne et la science du salut.

Maintenant, chers enfants, nous vous remettons à vos parents bien-aimés. Allez retrouver la vie de famille, et avec elle le repos et l'épanouissement du cœur.

Les cœurs des enfants s'ouvrent bien à leur mère. Soyez confiants pour vos mères. Tant que vos cœurs et les leurs seront d'accord, vous n'aurez rien à craindre.

Nous vous remettons avec confiance à la garde de Dieu qui vous aime;à la garde de vos parents qui sont vos anges visibles sur la terre; à la garde de vos consciences que Dieu illumine et fortifie.

Adieu pour quelques semaines! Soyez heureux, soyez sages, soyez prudents.

Notre affection pour vous nous dicte ces derniers conseils; vos bonnes dispositions nous assurent que vous y serez fidèles.