DEUXIEME PARTIE
LA VIE DE LA CONGREGATION: SA PRESENCE ET SON
SERVICE
67. L'étude statistique élaborée
par le P. Bernard Rosinski nous permet d'avoir, en chiffres, une idée
de la Congrégation. Ces données numériques soulèvent
des sujets et des questions qui doivent trouver réponse si nous
voulons mieux comprendre notre vie religieuse et notre chemin de Congrégation
à propos des tendances, des valeurs, des noeuds problématiques
et des défis.
Développement de la Congrégation
68. On constate dans la Congrégation une progressive
diminution numérique à partir de 1968. L'année d'avant
nous avions atteint le nombre le plus élevé de membres de
toute notre histoire: 3.255 (2.718 religieux clercs et 537 religieux frères).
Depuis, durant cette période, des pauses ont eu lieu : en 1979 et
de 1981 à 1983, une légère augmentation s'est vérifiée
par rapport à l'année précédente; cette année
aussi, nous comptons 7 membres de plus qu'en 1995. Mais ce sont là
des variations sporadiques, elle n'indiquent pas une véritable inversion
de marche ou une modification de la tendance récessive. Pendant
ces six années, globalement, la congrégation a vu ses membres
diminuer de 99 unités.
69. Si nous confrontons les données, nous voyons
des éléments significatifs, positifs et négatifs,
dans l'interprétation de notre réalité. Les voici
:
- Pendant ces six années, les vocations n'ont pas
manqué: il suffit de penser que nous avons compté 461 nouvelles
professions, le doublement de scolastiques à voeux perpétuels
(de 26 à 52) et les scolastiques de voeux temporaires ont augmenté
de 40 unités.
- Six Provinces connaissent une augmentation numérique:
Portugal (LU) : 34 unités ; Pologne (PO): 17 ; Indonésie
(IN): 13 ; Brésil méridional (BM): 10 ; Zaïre (ZA):
7 ; Italie méridionale (IM): 3. Toutes les autres Provinces sont
en diminution.
- Il faut noter que les quatre Provinces où s'est
produit l'augmentation la plus importante (BM, IN, LU, PO) totalisent 38
% des membres de la Congrégation, 32 % des religieux de voeux
perpétuels, 73 % des religieux de voeux temporaires et 57 % des
novices. Selon leur distribution géographique, on ne peut donc pas
dire qu'actuellement la Congrégation augmente dans la partie sud
du monde et diminue dans la partie nord. Nous devons seulement constater
que la croissance se concentre dans quelques pays. Cependant, l'avenir
prochain pourra être sensiblement amélioré grâce
à une politique de développement en Asie et en Afrique, et
à une plus grande attention à la formation dans les autres
Provinces. Le niveau le plus élevé de persévérance
se trouve en LU (67%) et en PO (56%); le plus bas en IN (38%) et en BM
(29%).
70. - Dans les six dernières années, le
nombre des Frères a subi une baisse sensible de 16 %. A côté
des 26 nouvelles professions, il y a le retrait de 7 Frères de voeux
perpétuels et 18 de voeux temporaires. Il est encore trop tôt
pour dire si, dans ce domaine, la Conférence de Hales Corners pourra
apporter une inversion de ces tendances.
- Le nombre élevé de ceux qui laisent la
Congrégation reste préoccupant: 302 au cours des six dernières
années, dont 69 prêtres, 2 diacres et 12 religieux de voeux
perpétuels, les autres sont des religieux de voeux temporaires.
Pour 75 % d'entre eux, le retrait se produit avant les 10 ans de profession
et les 35 ans d'âge. Mais le nombre des religieux qui se retirent
après plus de 30 ans de vie religieuse est élevé :
cela correspond à la génération qui a connu la crise
de la période immédiatement postérieure au Concile.
Dans ces six années, certaines Provinces enregistrent davantage
de sorties que d'entrées (AU, CG, FL, GE, HI, NE, US).
- Dans ces six années, le total des abandons oscille
annuellement entre 10 et 15 % du total des membres. Une réalité
qui affaiblit la Congrégation, et dont les causes devraient être
étudiées à fond. Toutes les Provinces, en particulier
celles où la perte est manifestement disproportionnée, doivent
examiner sérieusement la situation et les causes de ces départs.
C'est là un souci constant du Gouvernement Général.
71. Un autre aspect dont il faut tenir compte et qui constitue
une source ultérieure de préoccupation, est la situation
de ces religieux qui, sur le plan juridique, appartiennent à la
Congrégation mais qui n'adhèrent à aucun de ses projets;
ils vivent plutôt isolés, ne conservant qu'un lien très
faible et seulement formel. Nombre de ces confrères sont des personnes
compétentes au plan de l'apostolat mais des circonstances complexes
les ont conduits à vivre en marge de leur Province. Leur nombre
est difficile à établir et on en trouve un peu partout, surtout
en Europe. La Congrégation ne peut plus compter sur eux et elle
en aurait pourtant énormément besoin.
Le vieillissement et l'ars moriendi
72. Même si, pendant ces six années, l'âge
moyen est resté le même, ou plutôt a légérement
diminué (51 ans), la Congrégation connaît un processus
de vieillissement. La donnée statistique dépasse ce qui correspondrait
à la moyenne de l'ensemble numérique de la Congrégation.
Cela est plus évident dans certaines Provinces,
où depuis des années il n'y a aucun renouvellement de génération
et où la quasi totalité des religieux a plus de 50 ans. Si
l'on veut être réaliste, il faut constater que ces Provinces,
en tant que telles, seront obligées, pour l'instant du moins, à
fermer leurs portes.
On constate aussi le vieillissement dans les Provinces
où les nouvelles recrues sont peu nombreuses et où existent
d'énormes trous entre les générations; il existe alors
un déséquilibre entre les âges. En conséquence,
la présence apostolique directe se trouve réduite, il devient
difficile de trouver des confrères pour assurer l'animation et le
gouvernement, et la capacité d'appel vocationnel des jeunes diminue.
Dans son ensemble, la Congrégation présente
une fourchette d'âge numériquement faible entre 35 et 55 ans,
correspondant à l'étape de la formation réalisée
pendant la période post-conciliaire: période de crise et
de renouveau.
73. Il ne serait guère utile de trop analyser ici
le phénomène de notre vieillissement. L'important c'est de
le vivre dans l'obéissance totale à l'Esprit, en vivant notre
charisme jusqu'au bout. En effet, n'étant pas directement lié
à une finalité fonctionnelle, mais à une "perspective
spirituelle" (cf. Const. 25 : "visée spirituelle"),
notre charisme a de nombreuses possibilités de se réaliser
dans cette étape également. Dans ses dimensions d'oblation,
d'abandon, de réparation, d'adoration, de collaboration à
l'oeuvre salvifique du Christ, de sens eucharistique, etc., toujours caractérisé
par l'amour, notre charisme peut se réaliser pleinement à
n'importe quel âge. Et il l'est tout spécialement pendant
la vieillesse, lorsqu'ayant atteint une certaine maturité, la personne
se trouve dans des conditions particulières pour être assimilée
au Christ, comme le grain qui meurt pour donner du fruit.
La capacité de bien vivre cette situation donne un sens à l'acceptation de la mort, aussi pour les institutions locales. Il n'est pas facile de gérer cette réalité; c'est véritablement un "art". Pour rendre fécond le moment où, après un passé glorieux, une Province vient à s'éteindre, il faut alors de grandes qualités humaines, spirituelles et charismatiques.
Entrer dans une telle mentalité peut, pour certaines
Provinces, pour certaines oeuvres, présenter beaucoup de difficultés;
mais c'est là un défi inéluctable si elles veulent
que leur vie religieuse ait un sens jusqu'au bout.
Toutefois, ces Provinces aussi ne doivent pas barrer le chemin de la vie, que la grâce de Dieu peut faire naître de façon inattendue dans un âge avancé, tout comme Sara (cf. Gn 18,9-4) devint la mère de nombreuses générations alors qu'elle avait atteint la vieillesse (cf. Lettre du 14 mars 1997, Prot. 20/97).
Dans ces cas il faut savoir accueillir les candidats et
les former dans d'autres Provinces.
73. Ce "passage" d'un âge à un
autre doit faire l'objet d'attention au plan spirituel. Il faut également
affronter de nombreux autres aspects pratiques, après les avoir
prévus à temps. Parmi ceux-ci : l'assistance aux personnes
âgées, la santé, la retraite, l'administration des
biens, les contacts avec les autres Provinces, la capacité d'accompagner
sereinement les événements du monde, la réalité
de l'Eglise, la vie scj. qui continue ailleurs, etc. Certaines Provinces
le réalisent déjà avec de bons résultats et
dans la sérénité, en faisant preuve, dans leur âge
avancé, d'une excellente vitalité et esprit de foi.
Déplacement dans la Congrégation
75. Divers changements adviennent dans la Congrégation.
Le plus significatif est un certain déplacement géographique,
social et culturel. Il s'agit d'un mouvement lent vers l'est de l'Europe
et vers le sud du monde, vers les pays les plus pauvres et de nouvelle
culture. Ce déplacement se vérifie non simplement en tant
que fait géographique extérieur, mais aussi plus profondément
en tant que modification culturelle de la Congrégation elle-même,
dans la mesure où celle-ci commence à vivre, à penser,
à s'exprimer et à être conditionnée à
partir de réalités nouvelles; conditionnée par la
présence et le protagonisme de religieux, dont les styles et les
moyens de vie s'éloignent, par rejet, du schéma occidental.
La Congrégation est en train d'acquérir
un nouveau visage; cela est nécessaire, pour qu'elle s'enrichisse
d'une plus grande vitalité. Jusqu'à présent, nous
avons surtout été occidentaux. Hors de l'Europe également,
en Amérique du sud et du nord, nous nous sommes développés
dans un milieu culturel plutôt européen-occidental. Le charisme
qui, de par sa nature, a une dimension universelle, s'appauvrit et s'épuise
lorsqu'il reste renfermé dans un modèle culturel unique.
Actuellement on voit une présence asiatique et africaine prendre
corps, présence qui, si Dieu le veut, pourra s'intensifier dans
les prochaines années. En Amérique latine également,
on assiste à un changement intérieur, avec l'entrée
de davantage de vocations autochtones.
Voilà un défi, et un enrichissement, qu'il
faudra savoir relever. Cela exige de nous une conversion, pour permettre
à ces confrères et à leurs expressions culturelles
de trouver une place, et d'assumer un rôle. Nous devons être
prêts à modifier les structures de gouvernement et les rapports
avec les cultures. Il est nécessaire de valoriser les nouveaux symboles
et les formes d'expression de la spiritualité.
76. Les nouvelles présences dans le sud et dans l'est, tout comme leur développement, placent la Congrégation devant plusieurs urgences :
- programmer, pour les prochaines années, un soutien adéquat en personnel, afin qu'il puisse bénéficier de ses propres énergies locales le plut tôt possible;
- préparer soigneusement la formation pour que les jeunes religieux puissent acquérir maturité et autonomie afin de soutenir l'héritage dehonien avec fermeté;
- assurer les moyens économiques et les structures
nécessaires pour que ces Provinces puissent gérer, en toute
autonomie, leur vie ordinaire.
Nouvelles Provinces et Régions
77. Au cours de ces six années, la Congrégation
a assuré plusieurs nouvelles présences ; le Gouvernement
Général a juridiquement érigé 3 Provinces et
3 Régions.
Les nouvelles présences se sont produites:
- en Albanie, assumée par la Province IM;
- en Slovaquie, assumée par la Province PO, en accord avec la Province FL. PO avait, à la fin des six années précédentes, commencé à assurer une présence apostolique en Biélorussie et en Moldavie, et ce pour répondre aux besoins des Eglises locales. Cette présence tend à s'accroître, en précisant mieux le service spécifique scj. La Province PO prévoit également une fondation en Ukraine, pour des raisons stratégiques de sécurité, d'avenir et de proximité à la Moldavie, outre que pour les raisons apostoliques normales;
- en Inde, sur l'initiative du Gouvernement Général, avec la collaboration internationale;
- la Province HI étudie la possibilité de commencer une présence en Equateur ;
- la présence en Lituanie, mise en route par le
Gouvernement Général, n'a duré que 13 mois, pour les
raisons que vous connaissez.
78. Les nouvelles Provinces créées sont: Chili (19 décembre 1991), détachée de la Province NE ; Afrique méridionale (28 novembre 1994), à partir de la fusion des Régions d'Aliwal North et De Aar, reliées respectivement aux Provinces GE et US ; Cameroun (30 novembre 1995), qui était jusqu'alors une Région de la GA, et avec une présence internationale significative.
Les nouvelles Régions sont : Maranhâo
(18 novembre 1991) et la Région brésilienne méridionale
(8 octobre 1994) en tant que faisant partie de la Province BM ; la Région
autrichienne-croate (27 décembre 1995), dépendant de la Province
GE et fruit de la collaboration de celle-ci avec la PO.
Ces six nouvelles réalités, avec leur caractéristique
juridique, n'ont pas été le fruit d'une improvisation. Leur
processus de création est venu de leur propre réalité
interne, sous la guide des Provinces-mères et du Gouvernement Général,
qui en a fixé les critères. Pour toutes cela a représenté
un long chemin, de plusieurs années souvent, chemin commencé
dans la plupart des cas déjà sous la précédente
Administration Générale.
79. Le principe général qui nous a guidés a été celui de favoriser la vie autochtone de ces parties de la Congrégation. Les critères et la forme suivis ont été ceux définis au n° 119 de notre Règle de Vie (Constitution et Directoire général), c'est-à-dire :
- un territoire prêt à recevoir un gouvernement et une administration propres;
- avec des oeuvres et des structures pouvant garantir une évolution autonome;
- avec un projet apostolique assez défini;
- et avec un espoir réel de voir se développer les vocations locales.
Dans le but de garantir un soutien économique raisonnable
en vue d'une autonomie de la vie ordinaire, il a été demandé
aux Provinces-mères de pourvoir à la constitution d'un patrimoine
adéquat, ou fonds de départ, et de continuer à fournir
une aide régulière pendant les premières années.
En Afrique du Sud, au plan du personnel, un contrat d'aide
a même été instauré par la Province PO pour
plusieurs années. Mais dans certains cas, il n'est pas possible
de demander un tel soutien aux Provinces-mères, qui manquent de
vocations; au contraire, cela a été un facteur qui a joué
dans l'accélération de l'autonomie locale.
80. En termes numériques, lorsque naissent ces
réalités (Provinces et Régions), elles sont plutôt
faibles et dépourvues de tout moyen économique (pauvres)
; mais elles naissent remplies d'espoir dans l'avenir, avec une conscience
claire de notre identité religieuse et le désir d'avoir,
au sein des Eglises locales, un rôle spécifique à jouer
selon notre charisme scj. A elles désormais de faire les choix opportuns
et prioritaires, en ayant conscience des forces dont elles disposent.
81. Dans l'ordre juridique et pratique, un autre événement
significatif a été le passage de la Région finlandaise
de la Province NE à la Province PO, le 10 janvier dernier, après
90 ans de notre présence en Finlande.
D'autres Régions, comme le Mozambique et le Vénézuela,
font le chemin pour devenir Provinces. Notre méthode est de les
aider pour que cela puisse arrive comme le fruit d'une maturation intérieure
coresponsable.
Les présences SCJ à Madagascar, aux Philippines
et en Inde représentent une réalité communautaire
qui n'est envisagée et qui ne rentre dans aucune de nos figures
juridiques actuellement existantes. Elles peuvent être considérées
comme des communautés territoriales (ou, comme on le dit parfois,
"spéciales", pour ne pas les confondre avec les communautés
locales). Madagascar dépend des Provinces IM et LU. Une assez forte
collaboration a été instituée dans la formation, avec
une figure intermédiaire d'animation et de gouvernement, en vue
du développement futur en tant que Région ou Province. Les
Philippines et l'Inde restent directement dépendantes de la Curie
générale, en attendant une définition ultérieure.
Entre temps, soutenues par la collaboration internationale, elles servent
les Eglises locales et cherchent leur avenir sur place.
82. Il faut noter que pour ce qui est du nombre des membres,
nos 22 Provinces sont très différentes entre elles; 8 Provinces
ont plus de 100 membres, 6 ont entre 50 et 100 unités, 8 comptent
moins de 50 membres. Parmi celles-ci, 4 ont même moins de 30 unités.
Nous sommes donc une Congrégation de petites Provinces. Ce qui implique
un choix plus ciblé dans les priorités et une forme de gouvernement
plus attentive, afin d'éviter une bureaucratie excessive et la dispersion
des forces. Si nous voulons avoir un avenir, c'est là un défi
sur lequel nous devons réfléchir soigneusement.
Missions et esprit missionnaire
83. Bien que nous ne soyons pas un Institut spécifiquement missionnaire comme d'autres, notre Fondateur nous a imprimé un esprit missionnaire qui a été toujours très vif parmi nous et qui continue à stimuler positivement les membres de la Congrégation.
C'est là une grâce et un service constant
dans notre histoire depuis 1888, quand le P. Dehon envoya ses premiers
religieux en Equateur; cela se poursuivit ensuite au Zaïre depuis
100 ans, dans les autres missions africaines, en Indonésie, en Amérique
(du sud et de nord) et dans l'Europe elle-même.
Une de nos caractéristiques a été
de nous rendre dans des lieux où l'on avait besoin de nous, difficiles,
que personne d'autre ne voulait..., là où l'Eglise nous a
envoyés. Partir, dans un esprit de gratuité et de générosité,
dans des lieux risqués où l'on payait aussi de sa propre
vie (le "martyre", les maladies, les décès prématurés
et bien d'autres inconvénients). En cela, en réalité,
nous ne sommes guère différents de tant d'autres Congrégations
mais ce qui nous est propre, d'après l'esprit de notre Fondateur,
c'est un choix et une acceptation conscients. La preuve en est aujourd'hui
le Zaïre, avec son histoire tourmentée de nos jours; les Philippines,
avec ses défis permanents de la pauvreté et du dialogue avec
les musulmans; le Mozambique, avec sa récente expérience
du marxisme et de la guerre; l'Albanie, avec la lutte d'un peuple à
la recherche de son identité; l'Afrique du Sud, avec ses situations
de minorités et de sécheresse; la Biélorussie et la
Moldavie, avec notre service total aux Eglises locales; etc...
84. Les 100 ans de service au Zaïre, l'évolution
du concept théologique et pastoral de la mission, tant de nouvelles
situations dans le monde, les limites et les possibilités qui touchent
la Congrégation aujourd'hui... tout cela devrait nous pousser à
toute une série de réflexion congrégationnelle sur
notre "politique missionnaire aujourd'hui". Nous sommes arrivés
au point où il est nécessaire de vérifier notre chemin
et de le programmer à nouveau. Nous devons accompagner la transformation
en cours, en revoyant notre concept de mission, nos méthodes d'évangélisation,
le style de notre présence, notre insertion culturelle, l'emploi
des moyens à notre disposition, nos choix concrets sur place.
85. Au cours des six années passées, aussi bien au Gouvernement Général que dans les Provinces et les Régions, nous avons plus d'une fois dialogué sur certains critères qui exigent d'être davantage approfondis et expérimentés :
- organiser notre présence missionnaire avec un personnel réduit en nombre mais avec une activité plus qualifiée au plan apostolique, selon nos possibilités et nos limites;
- les provinces engagées doivent, pour une période déterminée, garantir le remplacement nécessaire de personnel;
- que l'on garantisse des présences missionnaires qui puissent vivre la communion scj selon une continuité de projet;
- l'avenir doit être recherché sur place: tant pour les personnes que pour les moyens économiques. L'idéal est que les missionnaires s'adaptent à la culture et au rythme locaux; qu'ils cèdent le plus tôt possible leur rôle de gouvernement et de protagonisme, en choisissant de devenir les serviteurs et les collaborateurs d'une Eglise locale toujours plus autonome, autochtone et adulte. Renvoyer toujours à plus tard la remise des rôles directifs nuit à l'Eglise et bloque l'inculturation du missionnaire lui-même;
- avant de s'insérer dans de nouvelles réalités,
les missionnaires doivent recevoir une préparation adéquate,
si possible dans un pays neutre où il aura un premier impact avec
les diversités culturelles.
86. Un peu en nous tous religieux dehoniens s'affirme
le jugement positif sur les missions, ouvertes à la collaboration
internationale. Sans ignorer les difficultés d'harmoniser les cultures
diverses, nous devons considérer comme positives jusqu'à
présent, les expériences réalisées en Inde,
aux Philippines, au Zaïre, en Afrique du Sud, au Cameroun, etc.
Sans vouloir ni diminuer ni ôter aux Provinces la
possibilité d'ouvrir de nouvelles fondations, nous considérons
important que celles-ci puissent naître en étant ouvertes
à la collaboration internationale, en accord avec le reste de la
Congrégation, grâce à un discernement commun.
87. On constate dans la Congrégation une certaine
sensibilisation missionnaire, elle touche toutes les Provinces. Un exemple
clair est celui du Cameroun et du Brésil du nord, qui ont assuré
un premier envoi au-delà de leurs frontières. Quelque chose
de semblable se produit également au Chili, dans le pays lui-même.
La missionnarité est une caractéristique essentielle de l'Eglise
tout entière et elle doit être promue et vécue dans
toute la Congrégation. L'envoi au-delà des frontières
propres s'est déjà vérifié dans l'histoire
dans nombre de réalités scj. dès leur début
: par exemple, le premier religieux polonais a été envoyé
au Cameroun ; la même chose s'est produite avec le premier Frère
italien; etc...
Ce qui signifie que l'envoi missionnaire ne peut se limiter
uniquement aux grandes Provinces; il doit faire partie du bilan préventif
de toutes nos Provinces et Régions, selon leurs possibilités.
Il ne peut pas être seulement la conséquence d'un excédent
de membres, ni une décision imprudente qui oublie de tenir compte
de la réalité. Ce doit être un geste conscient de communion
et de coresponsabilité avec toute l'Eglise. Les Provinces trop fermées
sur leur propre réalité se rendent à elles-mêmes
un mauvais service.
88. L'esprit missionnaire ne consiste pas seulement dans
l'envoi au-delà des frontières. C'est une façon de
percevoir l'évangélisation et de s'engager dans le témoignage
et l'annonce de la Bonne Nouvelle en tous lieux. C'est aux Secrétaires
d'animation missionnaire, provinciaux et régionaux, qu'il revient
de stimuler cet esprit.
Beaucoup est déjà fait dans la Congrégation;
en précisant mieux la "politique missionnaire", on peut,
aujourd'hui, faire encore plus. L'expérience de l'Inde démontre
que même les Provinces anciennes et les personnes mûres sont
capables et nécessaires pour de nouveaux projets exigeants de mission,
dans la mesure de leurs possibilités. Il faudrait favoriser davantage
la mobilité missionnaire dans les Provinces disposant d'un personnel
nombreux qui risque de rester inemployé ou d'occuper des fonctions
peu motivantes.
L'engagement social
89. La sensibilité au social continue de croître;
celui-ci est vu comme composante de notre spiritualité réparatrice,
comme activité apostolique caractérisante et comme élément
essentiel de l'évangélisation. On voit se renforcer la conviction
de ramener à une unité de vie la dimension mystique et la
dimension sociale de notre charisme, comme le réalisa personnellement
le P. Dehon. Selon nous, la dichotomie séparant ou opposant ces
deux aspects est en diminution. A cela a contribué un discours cohérent
et insistant qui se poursuit dans la Congrégation depuis de nombreuses
années.
Nombreux sont les initiatives et les engagements dans
toutes les Provinces et Régions. Dans certains pays, nous avons,
comme dans le passé, des oeuvres significatives qui donnent notre
nom et spécifient l'identité locale d'une Province ou d'une
Région. Nous disposons aussi de personnalités caractéristiques
par leur courage, leur créativité et leur engagement dans
ce domaine.
90. Toutefois, en tant qu'Institut (Province ou Région), nous pourrions et devrions faire plus, en particulier en accentuant le défi de certaines pauvretés qui nous interpellent. Si l'on considère l'ensemble de la Congrégation, on peut dire que, dans ce domaine, on ne fait pas plus que d'autres religieux, prêtres ou laïcs. Nous connaissons tous tant d'initiatives qui existent un peu partout; mais nous, nous sommes stimulés par un charisme que nous devons faire fructifier, en tant que personne et en tant qu'institution.
Dans nombre de pays, nous manquons d'oeuvres significatives,
gérées communautairement et avec une tradition de service,
qui expriment le visage dehonien-social de la Province ou de la Région.
On a l'impression qu'on a peur des oeuvres demandant un engagement constant,
continu et peu gratifiant et où une préparation adéquate
est nécessaire.
On a aussi l'impression que les "prophètes"
n'ont guère de place parmi nous; ou alors qu'ils ne parviennent
pas à impliquer leurs confrères, de façon coresponsable,
dans le changement des structures.
91. Mais il est toujours plus évident que les candidats
dehoniens et les jeunes religieux doivent recevoir une formation à
l'engagement social. L'aptitude au social devient un élément
décisif dans le jugement vocationnel et formatif ; elle a été
insérée dans les Ratio Formationis.
92. L'enseignement social de l'Eglise est très
estimé. On reconnaît que nous devons nous engager, comme notre
Père Fondateur, dans le domaine de la formation des clercs, des
religieux et des laïcs. On voit croître une certaine conscience
critique dans l'évaluation de la réalité économique,
politique et sociale contemporaine; mais il y a encore beaucoup de chemin
à parcourir. A maintes reprises, la Commission Justice et Paix a
proposé des thèmes inévitables à notre réflexion:
par exemple, le néo-libéralisme, la pratique actuelle de
globalisation, l'emploi de l'argent et les modalités d'investissements,
la défense de la vie humaine, le droit du migrant, les problèmes
liés à la culture de la paix, etc. Autant de thèmes
qui doivent orienter nos jugements sur la réalité dans laquelle
nous vivons ou lorsque nous devons effectuer des choix apostoliques.
En général, les pauvres sont bien accueillis
et nous sommes bien présents parmi eux par nos oeuvres apostoliques,
en particulier dans le tiers monde. Nous devrions lier davantage notre
nom et notre apostolat à des oeuvres spécifiques dans ce
domaine. Nous devrions former des spécialistes dans la doctrine
sociale de l'Eglise et les destiner à un tel service, en promouvant
la communion et la collaboration internationales.
Priorités de la formation
93. La formation, initiale et permanente, a été
proposée comme la priorité numéro 1 dans les six années
écoulées. En général, cette insistance a été
accueillie avec sérieux; nous en récoltons les fruits, dans
un taux plus important de persévérance et de maturité
chez nos jeunes religieux. Cela a lieu surtout dans les Provinces et les
Régions qui ont su préparer les formateurs et où ceux-ci
se consacrent à ce service avec générosité.
Désormais, la conscience que les formateurs ne
peuvent pas s'improviser est plus claire, même si elle n'est pas
encore présenten en chaque scj., et aussi la conviction que l'expérience
personnelle ne suffit pas. On ressent toujours plus le besoin d'un approfondissement
et d'une systématisation des contenus (humains, religieux et dehoniens)
à transmettre de façon pédagogique.
94. Malgré cela, il reste des points qui ne sont pas encore bien assimilés; nous voudrions les signalons ci-après :
- L'utilité, pour les formateurs, d'une expérience internationale de Congrégation, afin qu'ils se confrontent à l'histoire de l'Institut, dans la recherche de lignes plus consistantes de formation.
- L'inadéquation d'une formation isolée pour un ou deux candidats, ou de les former dans des communautés non scj. A brève ou à longue échéance, cela se démontre négatif et comporte des solutions difficiles à trouver par la suite. Il vaut mieux former ces candidats dans d'autres Provinces ou Régions, en relativisant le poids excessif qui est attribué à la culture d'origine.
- La nécessité de revoir sans angoisse, mais en profondeur, le processus de formation de sa Province ou Région propre, lorsque celle-ci présente un taux élevé d'abandons. Il est clair que tout ne dépend pas de la formation, mais lorsque les défections sont nombreuses, il est impossible de ne pas examiner la formation et l'organisation générale.
- Donner la juste importance aux diplômes et aux
spécialisations. Se contenter des études mininum indispensables
ou d'une préparation générique n'est pas une bonne
politique.
Voilà les problèmes ouverts sur la formation
initiale; ils dénotent une politique de formation insuffisamment
définie ou non choisie en tant que priorité comme il se doit.
95. On voit croître l'intérêt et la
conscience pour la FORMATION PERMANENTE.
Certaines Provinces et Régions la favorisent et
la programment pour les membres qui en font la demande. D'autres ont fixé
des échéances périodiques pour donner à tous
la possibilité d'y participer. On constate une bonne disponibilité
à suivre des cours ou à prendre une période sabbatique.
Cependant, il existe des confrères peu motivés
pour se recycler; ils restent sur le bord du chemin actuel de la théologie,
de la spiritualité et du renouveau pastoral. Nombreux sont les religieux
qui, depuis plusieurs années, n'ont pas suivi de cours d'exercices
spirituels. Et certains confrères, remplis de zèle mais aussi
pris d'un pragmatisme apostolique, considèrent le temps consacré
à la lecture ou à l'étude comme étant perdu
ou mal employé.
Il faudrait donc focaliser davantage la FP par rapport
à la vie et aux défis quotidiens, pour y répondre
avec les moyens habituels de la prière, la méditation, la
lecture, l'étude, le dialogue fraternel dans la communauté
sur des faits quotidiens, l'emploi de certains espaces et de possibilités
culturelles à portée de main, l'analyse critique de certaines
expériences de vie, etc.
Il conviendrait d'accorder davantage d'attention à
la bibliothèque et à l'abonnement à certaines revues
particulièrement formatives. Dans certaines Provinces et Régions,
on constate avec sympathie la création d'une bibliothèque
et d'espaces adéquats (en général dans le bâtiment
central) au service de tous les confrères.
Il revient aux Supérieurs de stimuler la conscience
de la nécessité et de la valeur de la FP, en créant
des occasions pour qu'elle puisse se réaliser. Le danger d'appauvrissement
et de vide spirituel et culturel est grand; surtout si on manque de moments
quotidiens pour soi-même et pour préparer le message qui accompagne
notre ministère.
Engagement apostolique
96. La Congrégation a vive conscience d'être
un Institut apostolique, engagé depuis le début dans l'évangélisation,
selon de nombreuses formes de présence et de service.
Partout, nous nous caractérisons par une bonne
insertion dans les Eglises locales dont nous sommes des membres actifs
et fortement engagés dans la pastorale, selon les programmes et
les orientations diocésains. Il existe une communion avec les Evêques;
dans de nombreux cas, il y a aussi une entente et une collaboration étroites,
fondées sur le dialogue et sur l'estime réciproque. Bien
sûr, il existe des exceptions qui, en général, sont
dues à des problématiques plus vastes et non directement
liées à nos religieux.
La référence à l'Eglise universelle,
au Pape et au Magistère est plus respectueuse, plus sereine que
par le passé. Elle se situe sur un plan de foi et de communion ecclésiale.
Les relations et la collaboration avec le clergé diocésain,
avec les autres membres de vie consacrée et avec les laïcs
sont généralement bonnes. Il existe une participation et
collaboration normales au sein des organismes nationaux, diocésains
et de vie religieuse.
Le travail se fait avec grande générosité
et disponibilité. Bien des confrères âgés assurent
encore des activités avec enthousiasme et vitalité.
Les incertitudes du temps présent, caractérisé
par des changements rapides et de nombreux défis restant sans réponse,
se font durement sentir. On sent le poids de certaines questions, en particulier
dans le domaine du gouvernement de l'Eglise et de la pastorale morale,
questions qui ne sont pas encore affrontées de façon adéquate.
Une forte crainte de centralisme prévaut, de retour à des
positions conservatrices, d'involutions de genres divers : un peu dans
tous les domaines et dans le monde entier. Et donc, on sent le défi
de la fidélité à l'"aujourd'hui de Dieu"
et à l'Evangile, difficile à conjuguer avec de si nombreuses
réalisations actuelles marquées par le sécularisme.
97. Au plan apostolique, nous sommes davantage présents
dans la classe sociale moyenne; nous sommes pratiquement absents des classes
supérieures et des centres du pouvoir. La présence de la
Congrégation auprès des pauvres et à leur service,
dans différents ministères, est significative.
Nous avons plusieurs oeuvres qualifiées dans le
domaine de la culture et de la formation (séminaires, écoles
à tous niveaux, centres d'éditions, présence dans
les MCS), dans les organismes nationaux des épiscopats et des diocèses,
dans certains secteurs sociaux et d'évangélisation. Mais
nous nous consacrons en bonne partie à la pastorale ordinaire et
générale, où nos oeuvres ne se distinguent pas des
autres et ne présentent rien qui soit caractéristique de
notre esprit.
98. Dans les Provinces et Régions, on voit toutefois
grandir l'interrogation à propos de la spécification charismatique
de nos présences et de notre service dans les Eglises locales. La
définition d'un projet provincial apporte une aide dans ce sens
: en effet, là où existe un projet avec des choix apostoliques
plus cohérents avec notre esprit, là aussi le visage de la
Congrégation devient plus clair et attirant.
A l'intérieur de l'Eglise, nous nous identifions
par notre esprit, qui se manifeste souvent dans l'accentuation de certaines
valeurs qui traduisent la "culture du Coeur du Christ", et par
certaines oeuvres caractéristiques dans la ligne de l'héritage
reçu du P. Dehon (cf. Const. 30-31). Cela s'est produit dans le
passé dans l'histoire de nombreuses Provinces : leur identité
s'est appuyée sur une spiritualité et sur des oeuvres apostoliques
caractéristiques. Il faut que cela se répète aujourd'hui,
afin de pouvoir à nouveau acquérir sens et signification
au milieu du peuple de Dieu dans le monde.
Le manque d'un projet apostolique et d'oeuvres spécifiques
est à la base du caractère général et de la
dispersion des forces, comme il est arrivé en certaines Provinces,
précisément au moment du renouveau et du changement de vie
religieuse réalisés par le Concile.
Lumières et ombres dans le vécu de
la vie religieuse dehonienne
99. Nous voudrions maintenant vous dire comment nous avons
perçu, dans la Congrégation, le vécu de son être
religieux et dehonien. La vie religieuse dans la Congrégation est
un phénomène complexe et de lecture difficile. Il est impossible
de faire une synthèse reflétant totalement sa réalité.
Chaque Province et Région, et souvent aussi chaque communauté,
a sa caractéristique propre avec des éléments communs
et des aspects impossibles à réduire à un schéma
unique. En elles, ce ne sont pas seulement les différences culturelles,
sociales et ecclésiales qui jouent, mais aussi des facteurs externes
plus vastes comme le sécularisme, le matérialisme, l'individualisme,
les conflits socio-politiques, etc. qui, d'une manière ou d'une
autre, modifient la réalité historique et environnante et
pénètrent les tissus de la vie religieuse. Nous pouvons cependant
donner une idée générale qui mette en évidence
les lumières et les ombres, comme éléments sur lesquels
nous devons nous interroger.
1. Les lumières
100. En général, nous pouvons dire que nous
vivons un moment de grâce, qui s'amplifie depuis plusieurs années;
c'est-à-dire depuis le moment où, en tant que Congrégation,
nous avons accueilli l'invitation du Concile Vatican II à prendre
la voie du renouveau, avec l'Eglise tout entière. Nous aussi nous
avons vécu une crise, qui nous a infligé des blessures et
a laissé des traces. Mais la Congrégation a fait une grande
expérience de Dieu et une nouvelle redécouverte d'elle-même
et de sa mission.
- Elle a approfondi sa mission, davantage intégrée
dans l'Eglise locale et dans l'Eglise universelle. Aujourd'hui il devient
toujours plus clair pour tous que nous devons nous situer à l'intérieur
de l'Eglise au niveau de CHARISME, et non seulement pour partager la pastorale
et aider les forces locales en difficulté.
- Il y a une croissance d'identité, présentant
un aspect bien différent de celui d'avant le Concile. Il ne s'agit
pas d'une particularité, motif de considérations triomphalistes;
elle est vécue comme un ministère assuré en communion
avec le Peuple de Dieu. Les valeurs dehoniennes donnent forme et contenu
à notre expérience de Dieu et à notre mission.
- Apparaît clairement notre configuration en tant
qu'Institut apostolique, motivé par une grande "visée
spirituelle" et non par des nécessités particulières
ou des activités urgentes, avec une atttention particulière
aux défis du monde. Et donc dans la Congrégation, il existe
une forte insertion dans le monde et un style de proximité aux gens.
Ce qui explique la sensibilité sociale et la disponibilité
à l'évangélisation s'appuyant sur notre lecture spécifique
du mystère du Christ (cf. Const. 16).
- On voit s'affirmer à nouveau toujours plus l'importance
de notre vie communautaire. On entend souvent dire parmi nous :
"nous sommes des religieux missionnaires, et non pas vice-versa".
Non sans fatigue, nombre de Provinces, Régions et communautés
ont établi un programme de vie, dans lequel sont définis
les signes essentiels de communion qui ne doivent pas manquer parmi les
scj. Dans la Congrégation nous avons de belles fraternités,
où l'on vit et partage la vocation et la mission communes, dans
un grand respect pour les personnes.
- Une partie de l'Institut est sous l'impact du nouveau
phénomène de la "Famille Dehonienne". Notre
charisme et notre spiritualité ont dépassé les domaines
de la Congrégation, pour inspirer la vie chrétienne d'autres
personnes, consacrées et laïques. Tout comme nous, celles-ci
participent à la même "visée spirituelle du P.
Dehon", la réalisant dans des vocations et des états
de vie différents, de façon autonome mais en communion avec
nous.
Dans la Congrégation ces grands paramètres
se développent dans de nombreux détails significatifs, dans
lesquels nous ne voulons pas entrer; cependant, ils touchent la vie quotidienne,
personnelle, communautaire, institutionnelle, ecclésiale, apostolique,
etc. des scj. Nous pouvons dire qu'en général ces valeurs
de vie religieuse dehonienne reçoivent une adhésion croissante
de la part de nos confrères. Cela se produit non sans incohérences,
tentations, crises... mais la conviction grandit, tout comme le bon esprit.
101. Pour autant qu'on puisse le constater, la "visée
ou perpective spirituelle" héritée du P. Dehon (cf.
Const. 26, et 16) s'exprime tout particulièrement de la façon
suivante :
- Les valeurs dehoniennes les plus senties et facilement
identifiables, souvent invoquées par tous, semblent être:
l'esprit d'oblation, de disponibilité et d'abandon, placés
sous la spiritualité de l'Ecce Venio et de l'Ecce Ancilla.
Valeurs qui se développent dans un climat d'intimité avec
le Christ.
- Les accentuations ou insistances pastorales sur
l'amour de Dieu, la miséricorde, la compassion, la solidarité,
le service de réconciliation et l'accueil sont claires et fréquentes.
Nous voulons qu'à la base de notre Sint Unum et de nos rapports
ministériels, il y ait un coeur comme celui de Jésus.
- On rétrouve toujours plus la dimension sociale
du charisme. Elle est vue majeurement en consonance avec la dimension
mystique, en insistant sur l'unité de vie qui a caractérisé
le P. Dehon. A sa lumière, on redécouvre un nouveau sens
de la réparation, en particulier depuis la Conférence de
Brusque.
- La réparation, comme attitude spirituelle
d'accueil de l'Esprit, de coopération à l'oeuvre rédemptrice
du Christ, de reconstruction de l'humanité ... dans l'offrande des
propres souffrances, en communion avec celles du Christ et pour servir
l'Evangile (cf. Const. 23-25), est plus fortement perçue par les
religieux âgés. Pour nombre d'entre eux, arrivés au
crépuscule de la vie, elle constitue parfois le motif dominant.
Par contre, c'est un élément de spiritualité difficile
à proposer de façon appropriée aux jeunes.
- L'adoration eucharistique continue à retrouver
de l'importance dans la Congrégation, même si c'est selon
des modalités diverses. Dans certaines communautés apostoliques,
plus spécialement dans le tiers monde, elle est devenue un moment
de prière commune plus intense qui marque le début de la
journée de travail. Dans maints endroits, elle implique aussi la
participation de laïcs.
- La Congrégation est perçue comme une
oeuvre de Dieu, comme la voyait le Père Dehon. Et ce, sans triomphalisme
et sans cacher la réalité de pauvreté et de faiblesse
que nous traînons avec nous, tout en sachant que nous avons une "si
belle vocation", comme disait le Père Dehon lui-même.
2. Les ombres, ou noeuds problématiques
102. Notre chemin est toujours un chemin de pèlerins. Nous avançons vers un idéal tellement élevé, que la grâce de Dieu nous fait apprécier et nous aide à vivre, mais non sans de nombreuses incohérences.
Nous voudrions identifier certains noeuds de problèmes,
sur lesquels ouvrir les yeux, et proposer certains choix de vie et de gouvernement.
Selon notre façon de voir, ces noeuds indiquent la continuité
d'une crise de la vie religieuse qui n'est pas encore totalement dépassée;
ils exigent un renouveau plus ciblé et plus profond. Certaines réalités,
que nous dénonçons, ont des racines lointaines et anciennes
dans des événements historiques qui ont marqué l'institution
et les personnes.
103. Voici donc une analyse schématique :
1. Le moment de vérification de la vie religieuse
a coïncidé avec les changements historiques de notre société,
à l'origine de la chute de nombreux points de référence.
Comme conséquence, plus que le renouveau, on a souvent cherché
un arrangement ou une modernisation de la vie religieuse : ce qui
n'a pas donné les fruits espérés par le Concile. Aujourd'hui
encore, il nous reste le défi d'être fidèles aux signes
des temps, mais dans la dynamique évangélique d'une sequela
radicale du Seigneur. Si cette radicalité évangélique
n'est pas très visible dans notre style de vie, dans nos attitudes
de coeur, dans nos choix apostoliques et dans des signes concrets ...,
notre vie religieuse perd toute efficacité et attirance. Il y a
le risque que nous soyons dominés par le sécularisme, par
le consumisme ou par la vision globalisante du néolibéralisme
qui règnent de nos jours.
2. Une fois tombés les anciens signes et
symboles qui exprimaient notre spiritualité, et ceux-ci n'étant
pas remplacés de façon adéquate et ajournée,
une certaine privatisation de la vie religieuse a alors eu lieu.
C'est-à-dire que chez un grand nombre de religieux, les expériences
et les contenus de foi ont été limités au domaine
personnel et privé. C'est là un phénomène qui
affaiblit énormément la vie religieuse, la mène aux
bords de l'inefficacité et de la mort. La vie religieuse est une
expérience "communautaire" de Dieu. Il faut prendre en
considération le fait que, tout en ayant leur propre spiritualité,
certains religieux ne prient pas en commun; que, dans certaines communautés,
on se limite à une prière froide et formelle, à une
liturgie peu créative et à un moindre partage de la vie personnelle.
3. A côté d'une juste humanisation
de la vie religieuse et au dépassement de schémas communautaires
rigides, on a assisté à un important développement
de l'individualisme chez un grand nombre de religieux, compris comme une
recherche exagérée de la réalisation personnelle,
aux dépens d'un projet communautaire au service du Royaume. L'individualisme,
très prononcé dans la culture occidentale, constitue un énorme
obstacle à la disponibilité et à la participation
coresponsable de tous à la mission commune.
4. La dispersion de nombreuses énergies,
avec l'isolement d'un trop grand nombre de confrères qui, depuis
des années, vivent seuls en-dehors du projet provincial. Bon nombre
d'entre eux sont des personnes compétentes mais ils n'ont avec la
Congrégation que des rapports purement formels. Parfois il existe
une adhésion affective, mais cela ne suffit pas pour réinsérer
la personne dans un projet communautaire. Cela s'est produit dans deux
moments historiques : lorsque les séminaires ont été
fermés et lorsqu'un grand nombre de personnes sont rentrées
des missions. C'est alors qu'a manqué la proposition de choix provinciaux;
la recherche d'apostolats individuels a ainsi été favorisée,
ce qui a entraîné la dispersion des énergies. Ces faits
mériteraient d'être pris en considération, car ils
ont contribué en partie à la dissolution de certaines Provinces
qui, à cause du manque de projet, ont perdu des personnes valables
qui n'ont jamais été récupérées par
la suite.
5. Notre spiritualité est belle, mais difficile;
tous ne parviennent pas à en faire une synthèse personnelle.
Elle a été l'objet d'une reformulation théologique,
mais elle doit constamment être traduite dans un langage plus compréhensible,
dans des signes et des expressions plus actuels, dans des choix cohérents
et significatifs, dans un itinéraire spirituel plus organique. Il
y a, certes, notre témoignage de vie, mais il est souvent insuffisant.
Nous avons besoin de maîtres et de directeurs de spiritualité
qui sachent la présenter sous une forme systématique et équilibrée,
dans la fidélité au charisme du Fondateur et aux signes des
temps: ce qui ne se produit pas toujours. Il arrive alors que des religieux,
dont l'identité est faible et dont la spiritualité de référence
n'est pas dehonienne, recourent à d'autres spiritualités.
On voit alors se vérifier ce qu'on appelle le phénomène
de la double appartenance. Ce phénomème crée une
division intérieure dans la personne, un éloignement psychologique
et spirituel de l'Institut, au plan de la spiritualité comme à
celui de la mission. Plusieurs cas de ce genre ont été enregistrés
dans les six dernières années.
6. La généralité apostolique,
dont nous avons déjà parlé, constitue une autre ombre.
L'esprit a besoin d'un corps; la spiritualité doit s'exprimer dans
des choix cohérents et significatifs. Notre contribution à
l'Eglise locale et universelle est plus significative pour le peu que nous
réalisons selon notre spécificité que pour tout ce
qui se fait dans la généralité et l'indétermination.
7. Un certain manque de gouvernement : il
est plus facile de coordonner et de déléguer que d'assumer
un service d'animation, de communion et de gouvernement. On ne peut revenir
à des modèles autoritaires, désormais dépassés
et dangereux pour la vie religieuse fraternelle. Mais une autorité
est nécessaire, à tous les niveaux (général,
provincial, régional, territorial et local), au service de la fraternité
et capable de mettre en rapport la Parole de Dieu "avec chaque situation,
selon l'esprit de l'Institut", "agent d'unité" et
"sachant prendre la décision finale et en assurer l'exécution"
(cf. VFC 48-50).
Dans notre Institut, les ombres mentionnées sont
des réalités partielles et circonscrites qui doivent pouvoir
servir de sonnettes d'alarme afin d'éveiller notre attention sur
des aspects qui nous interpellent et requièrent une intervention
ou une présence plus adéquate de notre part.