218.10

B18/9.1.10

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 10 janvier 1866

Chers parents,

Vous m'oubliez un peu et vos lettres sont trop rares. Peut-être le prix du port vous effraie-t-il. Malheureusement le tarif réduit n'a pas été accepté par l'Italie et il faudra toujours payer un franc.

Je continue à me trouver heureux et bien portant et je suis maintenant bien formé à mon travail, ce qui me le rend plus facile qu'au début. Je reconnais que j'avais bien besoin de faire de la philosophie, surtout comme on la fait à Rome. Le baccalauréat après la rhétorique tronque les études d'une façon déplorable. Nous avons eu pour Noël et la nouvelle année dix jours de vacances qui ont eu pour moi le double avantage de me reposer et de me donner du temps pour rattraper mon retard. Je suis très content de nos professeurs du Collège romain, qui sont pour nous d'une bonté paternelle. Je ne désespère pas de pouvoir prendre un grade en philosophie à la fin de l'année, et bien que ce soit secondaire, cela pourra m'être avantageux.

Je reçois quelquefois des visites au séminaire et dernièrement Mgr de Mérode a eu l'amabilité de venir me voir avec son frère de Trélon qui est à Rome en ce moment. Ils sont tous deux on ne peut plus gracieux et bienveillants1.

Hier j'ai reçu une lettre de Mr Demiselle2. Je ne sais pas encore si quelqu'un de notre pays viendra me voir cette année; mais je ne désespère pas. Si l'occasion se présente, envoyez-moi une chemise de flanelle, parce que j'en porte toujours, et puis, si vous le voulez bien, mille francs pour le reste de mon année.

J'ai bien peu de choses à vous dire et je ne puis vous écrire des lettres aussi variées que l'an passé, parce que mon temps se passe très uniformément à l'étude. Je ne pourrais que vous répéter toutes les délices que je trouve au service de Dieu. Je demande tous les jours à notre Sauveur ses grâces pour vous, surtout pendant la messe et quand je reçois la sainte communion. La religion ne diminue pas l'amour de la famille, mais le rend plus vrai et plus ardent.

Embrassez pour moi maman Dehon, Henri, Laure et ma petite nièce et rappelez spécialement mon affection à Mme Fiévet et à Adèle pour qui je vous envoie cette fois un portrait. Si vous en désirez d'autres, de l'une ou l'autre édition, j'en ai encore quelques-uns.

Je vous embrasse de tout mon cœur et vous prie de vous joindre à moi tous les soirs dans une prière commune les uns pour les autres.

Votre dévoué fils

Léon

Via Santa Chiara 47.

1 Cf. LD 37 (note 1).

2 Cf. LC 19 (5 janvier 1866).

218.11

B18/9.2.11

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 20 janvier 1866

Chers parents,

Nos communications ne sont pas très régulières. Je ne m'en inquiète pas, parce que je suppose que tout est calme à La Capelle comme à Rome, et qu'il n'y a pas de fait saillant. Ma vie est ici très réglée: nous sommes dans une période de travail jusqu'au carnaval. Mes études deviennent de plus en plus faciles à mesure que je m'y habitue.

Je suis toujours bien portant: je ne souffre que de quelques engelures. Ce n'est pas qu'il fasse bien froid, car il n'a pas neigé une seule fois et le printemps va commencer.

Vous savez que tous les jours nous faisons une promenade en guise de récréation, et c'est un des avantages du séminaire de Rome. Nos courses ont toujours un but instructif: tantôt ce sont les ruines païennes, temples, théâtres, bains ou tombeaux; tantôt ce sont les catacombes ou les basiliques des premiers siècles chrétiens ou enfin les riches églises modernes. Les catacombes sont bien ce qu'il y a de plus caractéristique à Rome: ce sont d'immenses circuits de couloirs souterrains où l'on marche entre deux rangs de tombeaux superposés, qui contenaient des milliers de martyrs. De distance en distance on y trouve de petits sanctuaires ornés de peintures des premiers siècles qui prouvent l'unité de notre foi: elles représentent des scènes de l'Ancien Testament, surtout celles qui figuraient la venue du Christ, ses miracles, la Sainte Vierge, etc. Ces galeries ont servi pendant les quatre premiers siècles de cimetières aux chrétiens et de refuge pendant les persécutions. Il y en a quelques-unes que l'on visite fréquemment avec leurs gardiens. J'espère faire la connaissance de M. de Rossi, le directeur des fouilles, avec la recommandation de Mr Vitet1.

Aujourd'hui j'ai fait visite à Mgr Place, auditeur de Rote, qui vient d'être nommé évêque de Marseille. Il m'a reçu avec beaucoup d'affabilité. Mr Poisson m'avait recommandé à lui2.

En même temps que la lettre de Laure, j'ai reçu cette semaine des nouvelles de Mr Demiselle, de M. Poisson et de Siméon, qui est maintenant chez Mtre Boinod, avoué 14 rue de Ménars, où il se plaît beaucoup3.

Palustre m'écrit quelquefois: il s'ennuie seul à Paris et s'il ne se marie pas, je ne serais pas étonné qu'il vînt me voir au printemps. Vous ne tarderez pas sans doute à aller à Paris, soit vous, soit Henri et Laure. Je suis bien désireux d'avoir des nouvelles de mon oncle et de ma tante de Montmartre4.

Parlez quelquefois de moi à Mr Clavel; je voudrais lui écrire, mais mon temps est très restreint et j'ai déjà beaucoup de correspondances.

Je remercie Laure de sa bonne lettre et vous embrasse tous de cœur, sans oublier ma petite nièce.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Via Santa Chiara, 47.

1 Giovanni-Battista de Rossi, archéologue et épigraphe italien (1822-1894), explora systématiquement de nombreuses catacombes autour de Rome. Il renouvela l'archéologie chrétienne et créa l'épigraphie chrétienne, élucidant une foule de problèmes d'antiquité sacrée et profane. Nombreux ouvrages. Sur M. Vitet (Louis) et ses relations avec Léon Dehon cf. LD 9 (note 5).

2 L'abbé Poisson cf. LD 25 et LC 3 (note 1).

3 La lettre de Mr Demiselle est toujours LC 19 (du 5 janvier 1866) déjà signalée en LD 38. Celles de M. Poisson et de Siméon, et celles de Palustre dont il est question ensuite, n'ont pas été conservées. Palustre vint en effet à Rome mais à la fin de 1866 (cf. NHV V, 75).

4 L'oncle et la tante Dehon (cf. LD 31 et 34).

218.12

B18/9.2.12

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 février 1866

Chers parents,

J'ai reçu aujourd'hui votre lettre. À Rome nous sommes en fête: c'est l'ouverture du carnaval. Les administrateurs de la ville en costumes princiers et dans leurs carrosses dorés ont parcouru la grande rue du Corso toute ornée de tentures. Après cela les réjouissances ont commencé. À Rome tout le monde y prend part, excepté les ecclésiastiques bien entendu. Il n'y a pas de costumes bizarres ni de masques sur la figure, mais de simples dominos qui ont surtout pour but de préserver des dragées enfarinées que l'on se jette. Les voitures du monde élégant qui parcourent le Corso reçoivent des bouquets ou des dragées suivant le caprice des curieux qui remplissent les balcons. La fête est très animée: elle sera close solennellement le mardi-gras.

Hier nous avons eu à St-Pierre pour la Purification une magnifique solennité. Rien n'est imposant comme ces fêtes à St-Pierre. Le Saint-Père y arrive porté sur sa chaise curule. Tous s'agenouillent sur son passage. Il est précédé d'un long cortège d'officiants, de dignitaires civils et religieux, de prélats, d'évêques de tous les rites et des cardinaux. Ils se rangent dans le chœur de l'immense basilique de chaque côté du trône du Saint-Père et derrière eux sont les tribunes réservées aux familles royales, aux princes, aux ambassadeurs et aux étrangers de distinction. La splendeur des ornements et du chant est en harmonie avec le reste. Hier avant la messe, le Saint-Père a béni les cierges et tout le chœur a fait le tour de l'église en procession: les représentants des nations suivaient avec leur cierge. Rien n'est plus frappant que cet empire de l'Église sur les peuples. Après l'office, les supérieurs des maisons religieuses et les chefs de communautés vont au Vatican faire l'offrande d'un cierge au Saint-Père. J'y allai pour accompagner notre supérieur et j'eus le bonheur de baiser les pieds du Saint-Père. Il aime beaucoup le séminaire français. Au mois de décembre, comme vous le savez, il nous a donné une audience commune et a dit des paroles affectueuses à quelques-uns de nous.

Nous allons avoir quelques jours de petites vacances pour reprendre ensuite le collier jusqu'à Pâques. Le mois de janvier a été laborieux. Mon travail est en bonne voie. J'ai eu, comme je vous le disais, des engelures aux mains: cela tient à l'humidité du climat; elles commencent à se passer.

Je n'espère pas voir Palustre maintenant: il est dans sa famille et cherche, je crois, une occasion pour se marier. Je n'ai reçu qu'une visite de France, c'est un breton, chevalier de La Teillais, que Mr de Caffarelli me recommande. Je ferai ce que je pourrai pour lui être agréable1.

Ne prévoyant pas que vous ayez l'occasion de m'envoyer de l'argent, j'ai pris aujourd'hui le moyen le plus expéditif et le moins frayeux2. J'ai fait une traite sur vous de 500 francs payable à vue. J'espère que vous ne ferez pas affront à ma signature. Cela me suffira pour jusqu'au mois de mai au moins.

Je n'affranchis pas ma lettre aujourd'hui. Quelquefois je la fais parvenir à Marseille par des occasions avec un timbre de 20 c.

Écrivez-moi toujours de bonnes et longues lettres et surtout plus de tristesse. Tout vous sourit: vos enfants sont heureux, vous devez en remercier Dieu tous les jours.

Dites-moi si maman Dehon n'est pas bien affectée de la mort de sa sœur. J'offre à Dieu mes prières pour elle3.

Embrassez pour moi Laure, Henri et Marthe.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Via Santa Chiara, 47.

1 Cf. LD 33 (note 3).

2 Sans doute terme du terroir picard (de «frais») pour signifier «coûteux».

3 Une sœur de la grand-mère Henriette-Esther Gricourt; pas autrement identifiée dans la généalogie.

218.13

B18/9.2.13

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 20 février 1866

Chers parents,

Je suis bien en retard à vous écrire; c'est que j'attendais de jour en jour votre lettre pour vous répondre.

Nous avons eu quelques jours de vacances et dans un mois nous en aurons d'autres. Mais ici les vacances ne sont pas complètement inactives, elles sont trop fréquentes pour cela. Seulement les cours sont suspendus et la promenade est tous les jours de trois heures. C'est aussi une occasion pour les élèves de faire une excursion à la campagne. J'ai passé deux jours en course avec un condisciple. Nous avons suivi la voie Appienne bordée de ruines d'antiques tombeaux et de villas romaines jusqu'à Albano, puis nous avons gravi le mont Albain, qui domine l'emplacement d'Albe et deux lacs ravissants et d'où l'on a une vue superbe sur Rome, et sa campagne sillonnée d'aqueducs en ruines, et la mer. De là nous sommes descendus à Velletri pour faire visite à quelques officiers des Zouaves pontificaux, qui ont eu la gracieuseté de nous inviter à dîner. Rien n'est touchant comme de voir ces jeunes gens des meilleures familles de France sacrifier leurs plus belles années par dévouement pour le Saint-Père, et mener dans les camps une vie religieuse et sage qu'on ne trouve dans aucune armée du monde. Le mardi-gras, notre économe nous a conduits dans une villa des environs où nous avons passé très gaiement la journée, et le soir nous assistions à la clôture du carnaval à Rome. Il est curieux de voir ce peuple s'amuser à ses heures avec entrain et gaieté mais innocemment. Après l'assaut ordinaire de bouquets et de dragées, qui était plus animé le mardi que les jours précédents et où l'on remarque le char élégant des élèves de l'Académie de France, on se livre, au coucher du soleil, à un jeu d'un effet indescriptible. Il consiste à tenir chacun une petite torche que l'on cherche à s'éteindre réciproquement. Le Corso est ainsi illuminé de la façon la plus complète à tous les étages, à toutes les fenêtres, sur les trottoirs et dans les voitures, tout le monde y prend part, même la famille royale de Naples; les anglais y sont bien représentés. C'est la fin du carnaval.

Le lendemain, avec le même zèle, chacun va recevoir les cendres et tous les jours de carême quelque église désignée comme station avec indulgence devient le but général des promeneurs.

Nous sommes maintenant remis au travail, mais j'espère faire encore à Pâques une petite excursion. Mes engelures sont guéries.

Je n'ai reçu depuis que je vous ai écrit qu'une lettre, c'est d'Édouard Foucamprez. J'ai pour condisciple un de ses anciens professeurs. Je lui répondrai bientôt. Nous avons eu ici pendant un mois le directeur du collège Stanislas, je lui parlais quelquefois de Paul Borgnon et il m'en a fait l'éloge1.

J'espère avoir vers le 15 mars la visite du cousin Palant s'il vient avec la caravane, et pour les fêtes de Pâques je compte voir quelques connaissances2.

Continuez à me donner des détails sur toute la famille. Vos lettres sont assez rares, qu'elles soient longues, c'est pour moi une grande jouissance.

J'ai fait visite récemment et reçu bon accueil chez le prince Borghèse, Mgr de Mérode et Mgr Place3.

Je vous embrasse mille fois et vous prie d'embrasser pour moi toute la famille, surtout Henri et Laure et de faire mes compliments aux personnes qui s'intéressent à moi.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Cet Édouard Foucamprez ne peut être l'oncle Foucamprez lui-même (cf. LD 34, note 1), dont le jeune prêtre du Nord, M. Cognard, n'a évidemment pu être professeur au collège de Marcq. De l'oncle Foucamprez, la généalogie ne signale qu'une fille Marie-Erminie-Clémence. Peut-être s'agit-il de quelque neveu du côté Foucamprez. Paul Borgnon, fils de Mme Borgnon (LD 21, LD 33).

2 Le cousin Palant, sans doute l'abbé Palant dont le voyage à Rome est évoqué en LD 37.

3 Mgr de Mérode (cf. LD 31, note 5, et LD 32, 33, 37). Mgr Place (cf. LD 39). Le prince Borghèse (Marcantonio V, 1814-1886), de l'illustre famille romaine et princière dont l'un des membres, Camillo, avait épousé en 1803 Pauline, sœur de Napoléon. Auprès du prince Borghèse, Léon Dehon avait été introduit, lors de son passage à Rome en juin 1864, sur recommandation de Mgr Dupanloup (NHV IV, 97).

218.14

B18/9.2.14

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 5 mars 1866

Chers parents,

Je n'attends pas votre lettre pour y répondre, de peur de me laisser retarder comme la dernière fois.

Je suis tout au travail depuis quinze jours et cela durera encore trois semaines, puis nous aurons quelques jours de retraite, puis des vacances qui nous permettront d'assister aux belles cérémonies de Pâques.

Je me complais de plus en plus dans ma vocation et je suis entièrement formé aux habitudes de mon nouveau genre de vie et surtout à mon costume que je ne quitterais plus volontiers1.

Le climat de Rome est agréable en ce moment: les arbres qui avaient perdu leurs feuilles les reprennent déjà, et la température est très douce; seulement les insectes, qui sont la plaie des pays chauds, commencent à reparaître.

Nous ne prenons aucune part aux préoccupations politiques qui passionnent Paris en ce moment. Vous lisez sans doute les débats de l'adresse: et j'espère que s'il y a quelque discours saillant, vous les mettrez de côté pour que je puisse les parcourir pendant les vacances2.

La philosophie prend à présent tout mon temps. Je crois que je ne vous ai guère parlé jusqu'à présent du Collège romain. C'est une université où les cours sont publics depuis les éléments de la grammaire jusqu'à la théologie, y compris les cours de langues, de sciences, d'histoire, etc. C'est un genre d'enseignement gratuit que nous n'avons pas en France. Grâce à un système de répétitions et d'argumentations quotidiennes, puis hebdomadaires et mensuelles, presque tous les étudiants finissent par savoir l'objet de leur travail. Ils sont tous connus des professeurs, ce qui rend les examens faciles et bien plus justes. Notre cours de philosophie a un curieux aspect: les laïcs en occupent la moitié; ils font généralement deux ans de philosophie. C'est exigé pour les carrières civiles, le droit, la médecine, etc. Il y a en outre des collèges de toutes les nations: les allemands sont en costume rouge, les orphelins en blanc3, d'autres en bleu, en violet, puis quelques religieux et des novices jésuites. C'est une babel: aussi il ne faut pas vous étonner si les cours se font en latin. C'est la seule langue qui soit connue de tous. Il y a là une marque frappante de l'universalité de l'Église. On y oublie les jalousies de nations et on y argumente fraternellement entre anglais, allemands, espagnols, américains, irlandais, belges, polonais, etc.

Je ne crois pas vous avoir parlé de cette gigantesque ruine qu'on nomme le Colysée. C'est un immense amphithéâtre ovale dont vous concevrez les proportions en songeant qu'il contenait cent mille spectateurs4. Il est assez ébréché à présent. Vespasien l'a bâti tout de pierre dans les jardins de la Maison dorée de Néron. Il servait de scène aux jeux sanglants des romains et des milliers de chrétiens y furent la proie des bêtes fauves. À cause de ces souvenirs on le vénère comme un monument religieux et tous les vendredis le peuple y fait le chemin de la croix.

Vous devez avoir payé maintenant la traite que je vous ai envoyée. L'escompte n'a coûté que 3 f. 75. Il pourra coûter moins encore si une autre fois vous faites déposer l'argent à la maison de la Congrégation du Saint-Esprit à Paris. Par la poste les lettres chargées pour Rome se perdent quelquefois.

Je vous embrasse tous de tout mon cœur et j'attends de bonnes nouvelles. Embrassez spécialement pour moi Laure, Henri, maman Dehon et Marthe.

Votre fils dévoué qui vous chérit

L. Dehon

Via Santa Chiara 47.

1 C'est pourtant ce qu'il devra faire aux vacances à La Capelle en août-septembre (cf. NHV V, 35).

2 05.03.1866 2 Allusion sans doute à la campagne menée par le clergé français et aux discussions engagées au Corps législatif à propos de la Convention du 15 septembre 1864 entre Napoléon III et Cavour pour l'évacuation de Rome par les troupes françaises.

3 05.03.1866 3 S'agit-il d'étudiants qui ne relevaient d'aucun collège national? Ou sans doute, plus simplement et au sens propre du mot, d'orphelins admis à fréquenter les cours, élémentaires ou autres, dispensés par le Collège romain?

4 50.000 selon des estimations plus récentes.

218.15

B18/9.2.15

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome: Fête de St Joseph 1866

Chers parents,

Les quinzaines passent vite et ne me paraissent longues que si vos lettres ont du retard. Dans quelques jours vont commencer les belles cérémonies du temps de Pâques qui attirent tant d'étrangers à Rome. Plusieurs de mes condisciples ont le bonheur de voir arriver leurs parents. Je ne désespère pas de vous y recevoir l'an prochain.

J'avais le projet après les fêtes d'aller passer quelques jours à Naples. Mais j'y renonce par économie, parce que j'ai déjà dépensé beaucoup cette année. Comme je suis à Rome pour plusieurs années, je trouverai bien une autre occasion de voir Naples.

Vous allez avoir plusieurs mariages peut-être, plusieurs fêtes joyeuses cet été; mais c'en sera une bien plus grande, j'espère, une bien plus touchante quand j'arriverai dans quelques années au sacerdoce.

Avez-vous quelquefois pensé à la sublime dignité du prêtre? Voyez ses fonctions, offrir, bénir, immoler Jésus-Christ lui-même, remettre les péchés, être le sanctificateur du peuple. Ces titres entraînent des devoirs immenses; en les considérant, tous les prêtres devraient travailler à acquérir une grande sainteté. Je suis sûr que vous ne tenez plus compte maintenant des préjugés de notre pays et que vous êtes heureux de donner un prêtre à Dieu, ce qui est toujours un bienfait pour une famille. J'espère que ma consécration à Dieu n'aura pas d'interruption et que je ne redeviendrai pas séculier, même pour quelque temps.

J'ai regagné, un peu superficiellement, il est vrai, tout le retard que j'avais en philosophie. J'espère être admis à l'examen et prendre un grade à la fin de l'année. Pour cela on me dispensera de la partie scientifique à condition que je présente mon diplôme de bachelier ès sciences. Il faut donc que vous me le fassiez parvenir. Vous le trouverez dans un sac de papier avec d'autres diplômes dans une petite armoire de mon bureau. Expédiez-le de suite par la poste au R.P. Peureux, rue des Postes, 30, avec une lettre pour le prier de la faire parvenir au Séminaire français de Rome par la première occasion. C'est le procureur de la maison mère de la congrégation qui nous dirige.

Vous trouverez, je crois, dans le bas de l'armoire aux minéraux ou dans une petite caisse sur les rayons du grenier, des cônes de cèdre. Vous pourrez en briser un pour en semer la graine. J'espère que le jardin sera bien garni et plus ombragé cette année et que nous aurons des vacances calmes et heureuses.

Nous sommes en fête aujourd'hui et dans la pensée que ma mère communiera probablement le jour de St Joseph, je me suis uni à elle ce matin. Le temps pascal est commencé, il faudra que mon père profite bientôt d'une occasion pour se mettre en règle, soit à Vervins avec son beau-frère, soit à Paris, à Liesse ou à Chimay1. Quant à Henri, il est plus fort que le respect humain et il ne redoute pas Mr Clavel.

J'ai trouvé le temps depuis quelques jours d'écrire à Mr Dehaene, à mon oncle de Paris, à Édouard et à Mgr Dours2.

Édouard vous demandera des timbres romains. Vous en aurez, je crois, de toutes les couleurs à lui donner. Si vous lui prêtez des livres, n'oubliez pas de les réclamer à son départ.

Embrassez pour moi toute la famille et surtout Henri, Laure et maman Dehon, puis la petite Marthe.

Compliments affectueux à Mme Fiévet et à la famille Lesur, dont je plains le prochain isolement3.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Le beau-frère de Vervins est l'oncle Félix Penant, époux de Juliette-Augustine (Vandelet) cf. LD 13 et 14.

2 Mr Dehaene, principal du collège d'Hazebrouck, lui répondra le 26.04.1866 (LC 22). L'Édouard Foucomprez de LD 41; l'oncle Dehon de Paris; Mgr Dours, l'évêque de Soissons.

3 On trouve un Paul Lesur parmi les élèves de Saint-Jean dès la première année de la fondation (cf. NHV XIII, 29, 187, 1

218.16

B18/9.2.16

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 avril 1866

Chers parents,

Je crains que votre dernière lettre ne se soit égarée: il y a aujourd'hui vingt-trois jours que je n'ai pas reçu de nouvelles de France.

Notre travail est suspendu depuis le dimanche des Rameaux jusqu'à dimanche prochain. Le premier jour de nos vacances c'était le commencement de ces fêtes solennelles qui attirent à Rome cinquante mille étrangers. Le Saint-Père bénit et distribua les palmes, puis il y eut une superbe procession suivie par tous les dignitaires ecclésiastiques, les princes et le corps diplomatique. Le chant de la passion, avec les chœurs des plus célèbres musiciens des siècles derniers, était très beau et très touchant. Ces diverses cérémonies parlent tant au cœur que bien des étrangers se prennent à pleurer d'émotion.

Le lundi, le mardi et le mercredi, il n'y avait point de fêtes; toute la ville était en retraite pour se préparer à la communion pascale du jeudi saint. Nous passâmes ces trois jours dans le silence et dans le calme pour régler notre bilan avec Dieu, examiner les progrès que nous avons pu faire et les réformes à apporter. Les hommes du monde, qui comprennent si bien l'importance de ce retour sur le passé pour leurs affaires temporelles, devraient bien examiner aussi de temps en temps où en est l'affaire bien plus importante de leur salut.

Le jeudi est un des grands jours du temps pascal. Le matin, la chapelle Sixtine fait entendre ses plus beaux chants, puis le Saint-Père, suivant l'exemple donné par Notre-Seigneur, lave les pieds à treize prêtres pèlerins à Saint-Pierre, il s'agenouille devant eux et baise leurs pieds quand il les a lavés. Après cela il les sert à table dans une salle dépendante de Saint-Pierre. Puis du balcon de la basilique, où on l'apporte en grande pompe, il appelle la bénédiction du ciel sur la foule innombrable qui occupe toute la place et jusqu'aux toits des maisons voisines. Le Saint-Père lit d'abord la bénédiction de sa belle et noble voix qu'on entend aux extrémités de la place, puis il se dresse, lève les bras au ciel et bénit cette foule agenouillée où les plus sensibles versent des larmes d'émotion. La bénédiction se renouvelle le jour de Pâques et elle est plus solennelle encore. Le cardinal Antonelli faisait diacre et Mgr Place sous-diacre1. Le soir, la façade et la coupole de Saint-Pierre étaient illuminées par 4.400 feux renouvelés après une heure par des feux plus brillants. Telles sont les splendeurs des fêtes de l'Église. Mais elle a des scènes plus touchantes encore. Pendant toute la Semaine sainte il arrive à Rome des pèlerins de toute l'Italie et même des autres pays d'Europe. Un immense hospice est destiné à recevoir les plus pauvres. Il y en a toujours cinq ou six cents qui se renouvellent tous les trois jours. Une pieuse association composée de prélats, de princes, de cardinaux y pratique le conseil de l'Évangile en leur lavant les pieds à tous, leur baisant les pieds et les servant à table. On les voit à l'œuvre tous les soirs pendant la Semaine sainte dans les immenses salles de cet hospice.

Tous les jours aussi, le Saint-Père reçoit en audience les étrangers et a pour chacun une parole bienveillante.

En admirant ces divers témoignages de la sainteté et de la sublimité de notre religion, vous remercierez Dieu de ce qu'il a daigné élire un de vos enfants pour le mettre au nombre de ses apôtres2.

Je reçois à l'instant votre lettre du 28 mars. Il sera difficile, je crois, de nous écrire sans que nos lettres ne se croisent. J'espère que l'indisposition de mon cher père n'a été que momentanée. Pour moi, on me dit que j'engraisse. Ce n'est pas étonnant, en séminaire!

Palustre ne se marie pas encore. Son projet était secret, ne lui en parlez pas. Embrassez pour moi toute la famille, surtout Henri, Laure et maman Dehon.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Le cardinal Antonelli, Secrétaire d'État pendant presque tout le pontificat de Pie IX (de 1849 à 1876). Cardinal resté diacre, sa personnalité et sa politique sont généralement jugées assez sévèrement par les historiens (cf. Histoire de l'Église, de Fliche et Martin, T. 21: Le Pontificat de Pie IX par R. Aubert pp. 85-86). Mgr Place, récemment promu évêque de Marseille (cf. LD 39 et 41).

2 On pourra comparer cette description à celle qu'en fera le P. Dehon en NHV V, 25-31.

218.17

B18/9.2.17

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 11 avril 1866

Mon cher père,

Je n'attends pas le délai ordinaire pour t'écrire, parce que c'est demain ta fête, et que je tiens à te faire part de mes souhaits1. Peut-être as-tu eu l'heureuse idée de choisir ce jour-là pour faire ta communion pascale; je suis sûr que tu n'y manqueras pas cette année. Tu as reconnu que c'était en même temps un devoir et une consolation. Demain je prierai ton patron pour toi dans cette intention.

Je compte bien que la petite indisposition dont tu souffrais il y a quelques jours n'aura été que passagère.

Tâche de te débarrasser de l'inquiétude et des préoccupations qui te poursuivent quelquefois. Pour cela, aie beaucoup de confiance en la providence. Remercie Dieu du bonheur de tes enfants et considère les choses et les événements au point de vue de l'autre vie.

Nous avons commencé hier notre second semestre d'étude: il ne sera pas long. Je suis heureux de faire une bonne philosophie. L'an prochain mon travail sera plus agréable encore, car il aura pour base en théologie les textes admirables de la Bible et des saints Pères. Mes compagnons vont recevoir la tonsure à la Trinité. Pour moi, je suis entièrement à ta disposition. Si tu me permettais de conserver mon habit de clerc, ce serait pour moi une source de grâces, une préservation et un grand bonheur, et tu en serais content toi-même après l'émotion du premier jour qu'il est inutile de retarder. Je te supplie donc de me donner cette permission2.

Le mardi de Pâques, nous avons eu un splendide feu d'artifice qui n'a pas pu être donné le lundi cette année à cause du mauvais temps. La pièce principale représentait une mosquée du Caire avec ses coupoles et ses minarets: c'était superbe. Il y a pour ces fêtes un emplacement unique: c'est une colline qui s'élève en face d'une plaine immense où se tiennent les spectateurs.

Le mercredi, j'ai commencé une excursion de touriste de quatre jours avec un confrère. Nous avons commencé par Tivoli, ville pittoresque, pleine des souvenirs des anciens poètes latins, et où un beau fleuve tombe en pittoresques cascades. De là nous avons remonté la vallée alpestre de l'Anio, où de pauvres villages sont singulièrement situés sur les hauteurs. À Vicovaro, une image miraculeuse de la Vierge attire des pèlerins surtout depuis trois ans et a ranimé la piété du peuple par de nombreuses guérisons miraculeuses et par un mouvement des yeux de l'image qui se reproduit presque tous les jours. Plus loin à Subiaco, la vallée devient plus sauvage. C'est là que saint Benoît fonda son ordre célèbre. Bien des souvenirs pieux s'y joignent à l'édification qu'inspirent plusieurs couvents modèles, riches aussi en œuvres artistiques du Moyen-Âge3.

Je crois que mon examen ne me laissera libre qu'à la fin de juillet.

Je te souhaite encore le bonheur et la paix de l'âme et te prie d'embrasser pour moi ma mère chérie, puis Henri, Laure, maman Dehon et Marthe, et mes parents de Paris si tu vas les voir.

Je t'embrasse de tout mon cœur.

Ton dévoué fils

L. Dehon

1 La Saint-Jules, le 12 avril selon l'ancien calendrier liturgique.

2 Ce sera la grande question de cette année 1866 et de l'année suivante, cf. LD 47 et LC 21; et en NHV V, 35-36.

3 Il fera encore cette excursion aux vacances de Pâques de 1868 (Tivoli, Vicovaro, Subiaco…); cf. NHV VI, 47-52.

218.18

B18/9.2.18

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 26 avril 1866

Chers parents,

Vous êtes en fête tous ces jours-ci, je souhaite que les mariages auxquels vous assistez soient tous heureux dans l'avenir1. Votre lettre a un fond de tristesse qui m'inquiète: je crains que vous ne manquiez de confiance en Dieu. Je vais vous citer deux passages d'un livre sur la providence; puissent-ils atteindre la racine du mal.

«Reposez-vous en toute assurance, pour vos enfants, sur les soins attentifs de leur Père céleste. Il disposera toutes choses pour assurer leur bonheur, même dès ici-bas, et il le fera d'une manière d'autant plus agréable que vous vous montrerez plus fidèles à vous préserver de toute vue mondaine à leur sujet et à remettre tout leur avenir entre ses mains.

«Veillez donc soigneusement sur vous-mêmes afin de ne vous arrêter, pour vos enfants qu'à ce qui peut contribuer davantage à les former à la vertu; et pour le reste, les confiant tout à Dieu, ne vous réservez que d'épier sa volonté sur eux, afin de les aider à marcher dans la voie où vous aurez reconnu qu'il les appelle, que cette voie soit celle de la retraite ou celle du monde; et croyez que dans le monde comme dans la retraite, il saura admirablement tout concilier à votre satisfaction dans le temps convenable, si vous pouvez vous rendre le témoignage que votre unique ambition est réellement de plaire à Dieu.

«Nous devons recevoir avec la même conformité à la volonté de Dieu les pertes d'argent et tous les autres dommages que nous éprouvons dans nos intérêts; et si nous avons des paiements à faire, il importe que nous les fassions aussi dans cet esprit, lors même qu'il s'agit de sommes qui nous semblent réclamées injustement; par exemple, pour des objets qu'on nous oblige à payer une seconde fois, etc. Si on a pouvoir de les exiger de nous, si on use de ce pouvoir, c'est Dieu qui le veut ainsi, c'est lui, devons-nous dire qui nous demande cet argent, et c'est aussi réellement à lui que nous le donnons, si nous faisons ce paiement dans la vue de lui plaire par notre conformité à sa volonté. Oh! que de grâces sont assurées à ceux qui agissent de la sorte! Sachez que quelque admirables que soient les avantages que l'aumône procure, même dès cette vie, à ceux qui la font, l'œuvre de la personne qui fait le sacrifice de son argent, non en faveur de quelqu'un de son choix, mais par esprit de conformité à ce que Dieu veut, est une œuvre plus profitable encore et plus agréable aux yeux de Dieu; et s'il est vrai de dire, d'après l'Écriture Sainte, comme d'après l'expérience de tous les siècles, que l'aumône attire sur les familles les plus abondantes bénédictions, on peut aussi attribuer à l'œuvre dont il s'agit des fruits plus merveilleux encore»2. J'ajoute que Dieu nous aime infiniment plus que les pères n'aiment leurs enfants et qu'il ne permet rien que pour notre plus grand bien.

J'ai reçu mon diplôme très exactement, il me servira pour mon examen si je suis en mesure de le subir3. Ce matin j'ai argumenté en public à la réunion solennelle du mois. Jusqu'à présent je n'avais pris part qu'aux réunions de la semaine ou de chaque jour. Je m'en suis tiré passablement.

J'ai reçu hier une lettre de Palustre. Il me dit qu'il a reçu à déjeuner Henri et Laure. J'espère qu'Henri me donnera des nouvelles de Paris. Priez-le de ne pas m'en vouloir si je ne lui écris guère. J'ai peu de temps et je compte bien qu'il lit les lettres que je vous écris.

Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'offrir mes félicitations à Aline Dehon et à mon nouveau cousin. Embrassez pour moi Laure, Henri, maman Dehon et Marthe qu'il me tarde aussi de revoir.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Le mariage notamment d'Aline Dehon (v. en fin de lettre), une cousine de Léon qui n'a pu encore être identifiée.

2 Citation empruntée au livre de Lehen: «La voie de la paix intérieure» (Paris, 2ème édit. 1858, pp. 29-31). Ce livre est indiqué par le P. Dehon comme une de ses lectures… pour la seconde année 1866-1867 (cf. NHV V, 74). Cette lettre montre qu'il en usait dès la première année 1865-1866.

3 Diplôme de bachelier ès sciences cf. LD 43.

218.19

B18/9.2.19

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À son père

Rome 6 mai 1866

Cher père,

J'apprends de plusieurs côtés que tu te tourmentes à la pensée de me voir si tôt en ecclésiastique. Tu sais que mon plus grand désir est d'éviter de te faire de la peine et puisque ce n'est pas essentiel à ma vocation, je te fais volontiers ce sacrifice, quoiqu'il me coûte beaucoup. Ce sera seulement au mois d'octobre que je prendrai définitivement la soutane1.

Notre séparation, chers parents, ne sera plus bien longue: dans deux mois et demi environ, nous serons réunis pour passer ensemble de bonnes vacances.

Nous continuons ici notre travail tranquillement et Rome n'a jamais été plus calme, tandis qu'il circule, dit-on, dans toute l'Europe des bruits de guerre2. Nous commençons à nous préparer aux examens: la chaleur nous sera un peu pénible. J'avais une chambre assez chaude et un peu haute pour l'été. J'en prends une autre plus fraîche au 4ème.

J'ai reçu la lettre d'Henri et de Mr Demiselle. J'y répondrai dans quelque temps. M. Dehaene m'a écrit aussi une lettre charmante où il me témoigne beaucoup d'intérêt et d'affection. Il se loue de la réorganisation de son établissement3.

Le dernier semestre est commencé et je n'ai pas assez d'argent pour le payer. Il est temps aussi de songer à mon retour. Afin de pourvoir à tout cela et pour être sûr de ne pas manquer, il me faudrait 600 francs. J'espère que vous aurez la bonté de me les envoyer. Voici le moyen le plus favorable en ce moment. Envoyez-les au R.P. Peureux, rue des Postes, 30, à Paris, avec une petite lettre explicative et prévenez-m'en immédiatement. Je ferai traite d'ici sur la maison de Paris directement. Les traites sur Paris se vendent avantageusement à Rome en ce moment à cause des circonstances politiques4.

Nos lettres se croisent encore cette fois; cependant je n'attends pas parce que j'ai une occasion pour Marseille.

J'attends de longs détails sur l'heureux mariage d'Aline Dehon. Mon oncle Alfred ne va-t-il pas chercher à remettre sa ferme pour venir habiter La Capelle5.

Dites-moi le nom du mari d'Alice Fiévet; je ne le sais pas encore, et parlez-moi un peu de son avenir6. Henri est-il guéri de ses clous?

Reprenez la gaieté qui fait défaut dans vos dernières lettres et ne vous faites pas un tourment de vaines inquiétudes.

Embrassez pour moi Henri, Laure et maman Dehon. Des compliments aux personnes qui s'intéressent à moi.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Mr Demiselle, entre autres, avait écrit à ce sujet à Léon Dehon le 22 avril: cf. LC 21.

2 L'année 1866 voit en effet, entre autres, l'alliance italo-prussienne (avril), l'occupation du Holstein par Bismarck (juin), la guerre contre la Prusse et la bataille de Sadowa (juillet) et les revendications de Napoléon III sur la rive gauche du Rhin (mai), le Luxembourg et la Belgique (août)…

3 De M. Demiselle LC 21; de Mr Dehaene LC 22.

4 Notamment sans doute la prévision du retrait des troupes françaises de Rome, en vertu de la convention du 15 septembre 1864.

5 Sur cette Aline Dehon cf. LD 46 note 1. L'oncle Alfred, dont il est question en LD 16, où il est question de regrets et de douleur dont la raison n'est pas autrement précisée; peut-être s'agit-il de cette ferme?

6 L'un des mariages dont il est question en LD 46 avec celui d'Aline Dehon. La famille Fiévet était très liée avec la famille Dehon.

218.20

B18/9.2.20

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 22 mai 1866

Chers parents,

Bien que j'attende une lettre incessamment, je vous écris après le délai ordinaire pour ne pas vous donner d'inquiétudes. Votre lettre du 27 avril était déjà à Rome quand je vous disais que je l'attendais, mais elle avait été remise à une autre adresse par erreur et je ne la reçus que plusieurs jours après. Je compte bien que la mienne sera parvenue plus exactement. Je vous priais d'envoyer 600 francs au P. Peureux (rue des Postes, 30) à Paris, pour que je puisse faire traite sur lui aussitôt que je saurai qu'il est nanti. Les traites sur Paris se changent très avantageusement à Rome. J'ai besoin de cette somme pour mon trimestre et pour mon retour.

Je ne puis pas fixer d'avance le temps de ma rentrée à La Capelle: j'aurai à tenir compte de mon désir de vous voir bientôt, de l'intérêt de ma santé et aussi de l'importance du travail et de l'examen.

Je n'ai rien de bien saillant à vous conter depuis quinze jours. Rome conserve son calme ordinaire pendant que toute l'Europe s'agite. Nous avons eu de belles fêtes pour la Pentecôte et nous reprenons notre travail à peine interrompu. La température se maintient bien fraîche et ne porte pas préjudice aux études.

J'ai reçu dernièrement une bonne lettre de mon oncle Dehon et de Marie. Ma tante va mieux, disent-ils, et se promet d'aller vous voir. Marie sait toujours semer son style des plus belles fleurs de la rhétorique1.

J'attends notre réunion pour m'entretenir avec vous de ma belle vocation et pour ramener chez vous la joie et la confiance en la providence. Je vous ai promis de retourner en habit laïc. C'est pour moi un sacrifice et une privation de grâces, mais il ne m'en coûte pas de vous donner cette satisfaction. Vous comprenez déjà tout notre bonheur et la sublimité de cette vocation et c'est sans doute par prudence que vous exigez ce dernier retard2.

Je ne vous ai pas conté, je crois, notre excursion à Ostie. C'était une fête de famille, il y a quelques semaines. Le gouvernement avait mis à notre disposition un petit vapeur pour descendre le Tibre jusqu'à la mer. Tout le séminaire y alla: ce fut une partie de plaisir qui avait surtout pour but la visite des ruines intéressantes que des fouilles ont découvertes à Ostie. On y joignit une tombola, des chants et un dîner champêtre sur le bord du fleuve. Ostie, l'ancien port de Rome, s'est trouvé enseveli sous les alluvions de la mer; des travaux récents ont mis à découvert une partie de la ville et les maisons sont conservées à mi-hauteur. C'est d'un intérêt moindre qu'à Pompéi, mais déjà bien important. Là aussi est la maison où mourut sainte Monique après les sublimes entretiens que saint Augustin nous rapporte. C'est maintenant une église3.

Je vous prie, en terminant, de m'écrire un peu plus souvent, si vous le pouvez. La taxe des lettres va, je crois, être diminuée.

Embrassez pour moi Laure, Henri, maman Dehon et Marthe. Mes compliments affectueux à Mme Fiévet.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 L'oncle Dehon, Dehon de Paris, et leur fille Marie cf. LD 9 (note 4).

2 Cf. LD 47 (note 1)

3 Cf. Confessions IX, 23-28.

218.21

B18/9.2.21

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 19 juin 1866

Chers parents,

J'aime beaucoup commencer mes lettres par ces mots qu'affectionnait papa Dehon: tout va bien1.

Tout va bien à Rome depuis quinze jours: matériellement la chaleur est modérée et le travail assez facile; spirituellement, ma joie intime est toujours la même et je suis toujours plus heureux d'avoir été appelé par Dieu à cette carrière de dévouement et d'apostolat.

Il y a déjà un an que je vis Rome pour la première fois et je vais assister de nouveau aux belles fêtes de juin. Après demain, c'est saint Louis de Gonzague, patron des étudiants: il étudiait comme nous au Collège romain et s'assit sur les mêmes bancs. Il y aura communion générale à l'église Saint-Ignace pour tous les élèves de l'université. Demain nous entendrons le panégyrique du saint par un professeur du Collège romain.

Dimanche dernier, nous avons eu le bonheur d'entendre au séminaire Mgr David, évêque de Saint-Brieuc, et huit jours avant, Mgr de Dreux-Brézé, évêque de Moulins. Ce sont autant de délassements qui rompent la monotonie du travail.

Lundi prochain, je figurerai à l'argumentation solennelle du mois: c'est un surcroît de besogne dont je serai bientôt quitte. Mon examen est fixé pour la fin de juillet. Aussitôt après je me mettrai en route et je m'arrêterai le moins possible, pour arriver au plus vite auprès de vous pour prendre de bonnes vacances.

J'ai reçu dernièrement une lettre fort aimable du curé de Cilly2. Je n'entretiens pas beaucoup de correspondances et je ne suis guère au courant de la politique. J'entends dire cependant que les allemands commencent à s'entre-détruire3. C'est un nouvel effort de la révolution et un effet partiel de l'abandon général des principes. À Rome nous avons la plus grande tranquillité. Cependant les finances du Saint-Père sont en très mauvais état. Mais la providence l'aidera. Il y a quelques jours encore l'évêque de Saint-Brieuc lui apportait cent mille francs comme offrande annuelle d'un seul diocèse. L'an dernier le denier de St Pierre a donné neuf millions. Notre pauvre diocèse n'a pas, je crois, un rang bien brillant parmi les bienfaiteurs du St-Siège.

Votre dernière lettre s'est croisée avec celle que j'écrivais à Henri: je crains qu'il n'en soit encore de même. J'espère que votre fatigue de la Fête-Dieu n'a pas laissé de traces. Je compte bien que nos parents de Paris se trouveront en même temps que moi à La Capelle. Les petites réunions de familles et les parties champêtres que nous ne manquerons pas de faire sont les moments les plus heureux des vacances. Donnez-moi des nouvelles de ma tante Vandelet, et dites-moi si la bonne Aline ne se trouve pas dépaysée à Fourmies. Y trouve-t-elle des relations dignes d'elle4.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et la petite Marthe. Écrivez-moi aussi exactement que vous le pouvez.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Le grand-père Dehon, Hippolyte-Alexandre, époux de «maman Dehon», décédé en 1863. Il était maire de La Capelle à la naissance de Léon, c'est lui qui en reçut la déclaration officielle (cf. acte de naissance).

2 Petit village de l'Aisne, canton de Marle, à une trentaine de km de La Capelle; il s'agit de l'abbé Palant, cf. LD 37 note 3.

3 Allusion à la guerre austro-prussienne cf. LD 47 (note 2).

4 Sur les «tantes Vandelet» cf. LD 18 (note 8). LD 50 parle de la «tante Vandelet du Nouvion»; il s'agirait alors de Juliette-Mathilde Vandelet, mariée à Charles Longuet. Peut-être est-ce Aline Dehon, récemment mariée (cf. LD 46), qui s'est installée à Fourmies (Nord).

218.22

B18/9.2.22

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 juillet 1866

Chers parents,

Le moment de notre réunion approche et si cela était possible, je le hâterais encore mais il faut prendre patience. Je suis trop près de l'examen pour y renoncer et si je le remettais à l'hiver prochain, ce serait traîner le boulet pendant mes vacances. Du reste, le jour du départ viendra bien vite et je ne suis pas encore fatigué. Je prends toutes les précautions nécessaires et ma santé est excellente. Comme j'avais vu l'an dernier les fêtes de la St-Pierre, je n'y ai pas assisté cette année et je suis allé avec un théologien passer cinq jours au bord d'un charmant lac. J'ai pu ainsi me reposer en respirant l'air frais et en même temps travailler un peu mon examen1. Nous avons eu à St Louis de Gonzague une fête très touchante. Tous les élèves du Collège romain au nombre de quinze cents environ, dont les deux tiers sont laïcs, ont reçu la sainte communion. On nous rappelait dans le panégyrique du saint que son père s'était opposé très vivement à sa vocation; et en jetant les yeux sur l'autel brillant et la statue triomphante de saint Louis, on se demandait s'il aurait acquis plus d'honneur en restant duc de Gonzague qu'en devenant simple jésuite. Je ne rappelle pas cette pensée pour vous faire un reproche. Je sais que vous n'avez retardé l'accomplissement de mon désir que par des motifs de prudence et pour éprouver ma vocation.

Nous n'allons plus avoir de cours que le matin et nous serons tout entiers aux concours et aux examens. J'espère être libre pour partir le 29 par un bateau direct. Je serai le 30 à Marseille et le 1er août à Paris.

Je ne crois pas rencontrer Palustre en chemin: il est maintenant à Vichy pour se guérir d'une maladie de foie. Je m'arrêterai une journée à Paris; mais je n'espère pas emmener en vacances ma tante et Marie. Elles paraissent avoir pris le parti de ne plus y aller.

Je n'ai pas de nouvelles de Mr Boute depuis plusieurs mois. Il doit être maintenant très occupé.

Siméon ne m'a pas écrit non plus depuis longtemps.

Faites mes compliments aux personnes qui s'intéressent à moi et embrassez pour moi toute la famille, en particulier ma tante Vandelet du Nouvion, si vous la voyez, puis Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.

Je vous embrasse de tout cœur.

L. Dehon

1 Cf. NHV V, 36: «En juin, anémié par le travail, j'avais dû prendre huit jours de repos. Je les passai à Genzano chez les Franciscaines, où l'air pur et les frais ombrages relevèrent mes forces.» Apparemment, sa santé n'était pas si «excellente» que le proclame la lettre qui se veut rassurante.

218.23

B18/9.2.23

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 21 juillet 1866

Chers parents,

Je ne vous écrirai pas une longue lettre aujourd'hui. Je suis très occupé. C'est le 25, comme vous savez, que je dois subir l'examen oral. J'aurai trois jours pour faire mes adieux et mes préparatifs et je m'embarquerai le 29 avec une douzaine de mes condisciples. J'ai fait ma thèse écrite le 16 et j'en suis assez content. Pour le reste, je compte plus sur l'indulgence des professeurs que sur ma préparation qui est très incomplète.

J'irai en deux jours de Marseille à Paris, ne me reposant guère que la nuit. Je m'arrêterai à Paris 24 heures. Je tâcherai de faire la commission d'Henri.

Je compte bien vous arriver en bonne santé. Je suis même moins fatigué qu'il y a un mois. La température est supportable et les insectes diminuent.

À mon passage à Paris, je logerai chez Palustre. Il est à présent dans sa famille. Il ira nous voir à la fin d'août.

Je n'ai pas de nouvelles de Mr Boute ni de Siméon depuis bien longtemps. Il est probable qu'une lettre de Siméon se sera perdue.

Je ne connaissais pas la mort de Gabriel Lefèvre et bien qu'il ait toujours eu une mauvaise santé, je ne puis m'habituer à cette idée.

Je passerai sans doute à Soissons pour voir Mr Demiselle et Mgr Dours. J'espère que vous m'écrirez à Paris chez mon oncle ou chez Palustre.

Je vous embrasse de tout cœur en esprit et j'espère le faire bientôt en réalité.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.

218.24

B18/9.2.24

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 26 juillet 1866. Ste Anne.

Chers parents,

Depuis quelques jours je surprends souvent mon imagination me représentant la maison paternelle, et cependant j'avais besoin de fixer ici toute mon attention sur l'examen que je préparais. Maintenant je puis lui laisser libre cours et être en esprit avec vous. J'ai subi l'examen hier soir convenablement, et je vous porterai un diplôme de docteur en philosophie1.

Je n'ai plus qu'à faire mes préparatifs de départ et à dire adieu aux personnes dont j'ai fait la connaissance. Je m'embarquerai dimanche avec une quinzaine de confrères. À Marseille je ne m'arrêterai pas et ne passerai pas par la ville où il y a un peu de choléra. Je prendrai le chemin de fer lundi en descendant du bateau et j'irai coucher quelque part sur la ligne de Lyon. Le mercredi j'arriverai à Paris.

Notre séparation a été longue. Nos vacances en seront plus heureuses.

Je me promets de bonnes jouissances. Puissions-nous n'avoir pas trop de fêtes et de courses pour être bien ensemble et dissiper dans de bonnes causeries les petits nuages qui vous assombrissaient l'année dernière.

J'ai besoin de me reposer un peu l'esprit et je ne travaillerai guère ces vacances. Mon père me trouvera toujours prêt à l'accompagner à ses propriétés. Je ne renonce même pas à faire quelques promenades à cheval avec Henri, s'il a un cheval facile à me prêter2.

Je quitte Rome avec la satisfaction d'y avoir passé une année bien remplie. Rome est bien la source la plus pure où l'on puisse puiser la science religieuse et l'esprit ecclésiastique. Puissent les événements politiques ne pas nous en tenir éloignés l'an prochain3.

Embrassez pour moi parents et amis, surtout Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Une copie authentifiée de ce diplôme est conservée aux AD (B76/2). Aucune trace de la thèse écrite du 16 (LD 51) n'a été retrouvée. Apparemment cela devait correspondre à une sorte de mémoire assez bref comme on en présente aujourd'hui pour la licence. À noter que ce doctorat est obtenu après une année seulement de philosophie, compte tenu sans doute du baccalauréat en sciences de Paris (cf. LD 43). Cf. NHV V, 34.

2 La famille Dehon faisait l'élevage des chevaux (d'où l'allusion aux fêtes et aux courses).

3 Il s'agit des menaces d'occupation de Rome par les troupes italiennes et Garibaldi après le retrait des troupes françaises prévu par la Convention du 15 septembre 1864 entre Napoléon III et Cavour, pour la fin 1866 (cf. LD 36 note 1).

218.25

B18/9.2.25

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À ses parents

Paris, 2 août 1866

Chers parents,

Je suis arrivé à bon port, mais ce matin seulement, à cause du mauvais temps qui nous a retenus 24 heures en Corse.

J'ai passé une heure à Montmartre; ils vont assez bien tous; ces dames promettent de partir pour La Capelle dans huit jours. Ce soir, je dînerai chez eux avec Siméon1.

Je partirai donc seul demain pour Landrecies. Je réserve ma course à Soissons pour mon retour. Je prendrai la diligence à Landrecies pour vous éviter une trop longue route. J'espère que quelqu'un pourra me venir chercher au Nouvion.

J'ai trouvé vos deux lettres, une à Montmartre et une chez Palustre.

Il me reste peu de temps pour mes commissions. J'abrège donc ma lettre et vous embrasse de tout cœur. À demain.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Chez l'oncle et la tante Dehon et leur fille Marie (ces dames).

218.26

B18/9.2.26

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Paris 17 octobre 1866

Chers parents,

La distraction et la pensée du devoir qui m'appelle à Rome ont diminué la peine que je ressentais en vous quittant1.

Mr Demiselle m'attendait le soir. J'ai passé le dimanche à Soissons et j'ai vu deux fois Mgr Dours qui m'a reçu avec la plus grande amabilité. Il m'a offert de choisir à mon retour dans le diocèse le poste que je voudrais. Il me propose Saint-Quentin et Soissons. Je ne m'inquiéterai de cela qu'après mes études2.

Le soir j'ai dîné avec Mr Demiselle chez Mr Rigaux, dans une des premières familles de Soissons3. Je ne suis arrivé à Paris que lundi à midi. J'ai dîné à Montmartre.

Mon oncle, ma tante et Marie sont bien portants, quoique ma tante ait assez mauvaise mine. Ils parlent encore vaguement d'aller à La Capelle et sont contents de leurs affaires.

Je déjeune aujourd'hui chez Mr Poisson et je dînerai à Montmartre. Demain je passerai l'après-midi à Orléans et après-demain je m'arrêterai à Bourges4.

Je vous écrirai de Turin ou d'Ancône.

Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri, maman Dehon et Marthe dont les adieux m'ont fait beaucoup d'impression.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Palustre vous envoie ses compliments.

1 NHV V, 37: «J'avais été heureux de revoir ma famille, mais combien je me réjouissais de retrouver la vie pieuse et réglée du séminaire et le saint habit ecclésiastique que j'avais dû quitter pour trois mois»!

2 Ce sera, en effet, la «grande décision» de 1871, cf. NHV IX, 63-71.

3 Mr Demiselle, ancien doyen de La Capelle, chanoine de Soissons, resté en relation assez suivie avec la famille Dehon et surtout Léon (cf. LC 13, 15…).

4 L'abbé Poisson (cf. LD 25, et LC 3 note 1). À Orléans où il verra Mgr Dupanloup (cf. LD 55 et 56). À Bourges chez un certain Desgardes (cf. NHV V, 37), un jeune avocat de ses amis (cf. LD 56).

218.27

B18/9.2.27

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À ses parents

Ancône 26 octobre 1866

Chers parents,

Me voici parvenu à quelques heures de Rome dans les meilleures conditions. Je compte m'installer demain au séminaire. Mon voyage a été long mais très heureux. Je me réserve de vous le raconter en détail dans ma prochaine lettre.

Aujourd'hui c'est seulement un certificat de bonne santé que je vous envoie.

Mgr Dupanloup a été charmant pour moi. Il m'invita à loger à l'évêché, mais j'étais déjà installé à l'hôtel: je le remerciai. J'ai dîné avec lui et ses grands vicaires et il m'a remis des lettres pour le Pape et pour la princesse Borghèse1.

Le mont Cenis est encore impraticable, j'ai passé par Nice et Gênes. La route est longue mais charmante. Je ne suis point du tout fatigué, n'ayant pas voyagé la nuit. Il me tarde d'avoir de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.

Votre dévoué fils

L. Dehon

47, Via Santa Chiara.

1 Cf. LD 4 et 28 (note 2 et 3) et sur le prince Borghèse LD 21, 33, 41.

218.28

B18/9.2.28

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 1er novembre 1866

Chers parents,

Je compte que vous avez reçu la petite lettre que je vous ai écrite d'Ancône. La vôtre m'est arrivée dimanche dernier. J'étais en retard d'une journée, mais la retraite n'a commencé que le 27 et j'ai pu y prendre part avec les autres. Elle s'est terminée ce matin1. Mon installation est complète. J'ai repris mes habitudes de l'an dernier. Je sens que j'y serai aussi heureux que par le passé. C'est une marque infaillible de ma vocation. J'ai repris la chambre que j'avais à la fin de l'année au quatrième. Nous allons avoir quelques jours de liberté dont je profiterai pour faire mes visites. Les cours ne commencent que le cinq. Nous allons voir tout à l'heure le St-Père à l'office pontifical, à la chapelle Sixtine.

Nous ne serons au séminaire qu'une quarantaine cette année. Quelques élèves ne reviennent pas parce qu'ils n'ont pas confiance dans l'avenir politique de Rome. Du reste, on est ici généralement inquiet. Pour nous, quand bien même le St-Père quitterait, nous pourrions, je crois, continuer nos cours2.

Cinq jeunes prêtres sortis d'ici au mois de juillet dernier viennent d'être nommés professeurs aux séminaires de Beauvais et de Poitiers. Jugez par là combien les études de Rome sont estimées en France.

Je vous ai déjà dit quelques mots de mon séjour à Paris. Je suis descendu chez Palustre. Il se trouve isolé et s'ennuie un peu. Il parle de venir passer l'hiver à Rome. J'ai trouvé mon oncle et ma tante contents de leurs affaires et assez bien portants. Mon oncle va acheter une propriété pour se retirer à la campagne. J'ai vu Gustave Fiévet et madame Lozouet qui était un peu souffrante. Mr Poisson doit aussi venir passer l'hiver à Rome.

J'ai passé une journée à Orléans. Mgr Dupanloup s'est bien rappelé qu'il m'avait conseillé de commencer à Saint-Sulpice3; cependant il m'a fort loué d'être à Rome. Il m'a fait l'accueil le plus gracieux et m'a confié des lettres que j'espère remettre moi-même au Pape et à la princesse Borghèse. J'ai vu aussi à Orléans la sœur de Mr Poisson.

À Bourges, j'ai visité la célèbre cathédrale qui renferme une splendide collection de vitraux et j'ai dîné chez un jeune avocat de mes amis, nouvellement marié et très bien installé. Le samedi, j'ai couché à Lyon et le dimanche à Toulon. J'ai eu le temps à Marseille de monter à N.D. de la Garde d'où l'on jouit d'un splendide panorama. Le lundi je consacrai trois heures aux ruines romaines de Fréjus et je m'arrêtai à Nice. De Toulon à Gênes, toutes les villes de la côte sont ornées de villas et d'hôtels habités spécialement l'hiver par des familles anglaises. Les habitations des coteaux de Cannes sont de véritables palais.

Je ne fis que jeter un coup d'œil sur Gênes la superbe et j'allai directement à Ancône. J'ai passé une journée à Lorette. C'était un complément de mon pèlerinage de Terre-Sainte. La santa-casa, maisonnette de la Vierge apportée de Nazareth, est dans une église riche en sculptures de la renaissance, en mosaïques et en pierres précieuses. Je fis là la connaissance d'un chambellan de l'empereur du Mexique, très inquiet sur l'avenir de son malheureux pays4.

Je vous engage à offrir à Dieu le sacrifice de vos dernières pertes d'argent et à lui demander de ne pas nous envoyer de plus grandes épreuves.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.

Annoncez à Laure que mon oncle Dehon a été prévenu officiellement du mariage d'Aline Née pour le mois de janvier 5.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

47, Via Santa Chiara.

1 Retraite prêchée par Mgr Gignoux de Beauvais: cf. NHV V, 38.

2 Toujours la crainte de troubles après le retrait des troupes françaises. Le bruit courait aussi que le Pape pourrait quitter Rome comme en 1849. Plusieurs pays lui offraient asile.

3 Sur ce conseil de Mgr Dupanloup cf. LD 28 note 3.

4 L'empereur Maximilien, soutenu puis abandonné par Napoléon III, devait être fait prisonnier et fusillé en 1867 (cf. LC 7 note 5).

5 Le mariage d'Aline aura lieu en janvier 1867, cf. LD 59, 62 et 64.

218.29

B18/9.2.29

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 13 novembre 1866

Chers parents,

J'ai reçu avec bonheur votre lettre. C'est pour moi une double joie quand vous m'écrivez tous les deux. Je suis remis à l'étude et j'y suis heureux. La théologie est la plus belle des sciences. Elle parle en même temps au cœur et à l'esprit, en élevant l'un et l'autre vers Dieu. J'étudie le dogme, la morale, l'hébreu et l'histoire ecclésiastique. Je tâcherai aussi d'entretenir les connaissances que j'ai acquises précédemment. Mes journées sont bien remplies sans que j'aie trop de travail1. J'espère que nous passerons l'année en paix, sans interrompre nos études. Les personnes les mieux renseignées ont assez de confiance dans l'avenir. Quant au choléra, les journaux doivent avoir déjà démenti le faux bruit qu'ils avaient propagé. Il n'y en a pas le moins du monde à Rome et l'on prend aux frontières toutes les précautions possibles pour qu'il ne soit pas apporté de France.

J'ai eu le bonheur d'avoir une audience du St-Père pour lui remettre la lettre de Mgr Dupanloup. Il m'a accueilli avec la bonté paternelle qu'il témoigne à tous ceux qui l'approchent. Il est attristé par la persécution barbare qui sévit contre la religion en Pologne et en Italie et il n'a pas pleine confiance dans le gouvernement français. Il m'a béni quelques chapelets et médailles que je vous reporterai aux vacances2.

J'ai été bien accueilli aussi par la princesse Borghèse qui m'a beaucoup parlé de Mgr d'Orléans et du comte Caffarelli. C'est la princesse mère, douairière, que j'ai vue. Elle est française et de la famille des Larochefoucault3.

Je n'ai pu échanger que quelques mots avec Mgr de Mérode. Il n'était pas libre quand je suis allé le voir4.

Je ne négligerai pas les relations que j'ai à Rome. Cependant je ferai en sorte qu'elles ne me fassent pas perdre de temps.

Vous apprendrez avec plaisir que j'ai obtenu un premier accessit pour le concours auquel j'ai pris part au mois de juillet avant mon examen. Je ne l'ai su qu'à mon retour, parce que la distribution des prix a lieu au mois de septembre5.

Nous avons eu dimanche dernier la messe et un discours de Mgr Bayès, ancien évêque de Luçon.

La lettre de maman a un air de tristesse que je voudrais voir disparaître. L'Évangile nous fait une loi d'être toujours dans une joie modérée. St Paul le répète dans presque toutes ses épîtres: «Réjouissez-vous, soyez toujours dans la joie; ne vous abandonnez pas à la tristesse comme ceux qui n'ont pas d'espérance»6. L'Église nous fait un devoir d'espérer le bonheur éternel par la miséricorde de Dieu. Cet espoir et la reconnaissance pour Dieu qui nous a mis dans la voie du salut doivent tempérer notre tristesse naturelle. Les peines et les séparations de cette vie sont peu de chose en comparaison du bonheur et de la réunion éternelle. Ce sont de simples vérités sans phrases ni exagérations.

Continuez à m'écrire régulièrement. Je vous répondrai tous les quatorze jours comme l'an dernier par la poste française.

Dites-moi combien Henri a payé la maison de la Haie Maubecque et quels achats vous avez fait à Chimay.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, et ma petite Marthe à laquelle je pense souvent aussi.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

47 Via Santa Chiara et non pas Chiarra.

Il peut arriver que quelqu'une de mes lettres se perde, comme je les envoie par occasion. Ne vous inquiétez pas. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles.

Palustre m'écrit qu'il arrivera ici le 15 décembre avec l'abbé Poisson.

1 Sur la théologie et le dogme le P. Dehon développera longuement sa pensée en NHV V, 44-53.

2 En Italie, extension aux régions conquises de la politique de laïcisation inaugurée dans le royaume de Piémont-Sardaigne depuis 1848; et en outre menace croissante de l'envahissement total des États pontificaux et de Rome. Des tentatives d'accord avaient bien eu lieu, mais 1866 voit de nouvelles mesures de laïcisation (mariage civil, confiscation des biens ecclésiastiques, etc.). En Pologne, c'était la politique de russification et les vexations contre les catholiques et les uniates. Le 29 octobre 1866, Pie IX condamnait solennellement les décrets impériaux contraires aux droits de l'Église et du Saint-Siège. La politique romaine de Napoléon III, soumise aux mouvements de l'opinion publique, est en effet fluctuante entre la promesse d'assistance au Pape et la connivence avec le royaume d'Italie. Ainsi, après le retrait des troupes françaises de Rome en 1866 (convention du 15 septembre 1864), l'envoi d'un corps expéditionnaire en renfort des troupes pontificales, qui permit la victoire de Mentana en 1867.

3 Adelaïde, née La Rochefoucault, femme de Francesco Aldobrandini, mort en 1839. Marcantonio V, prince de Borghèse, était son premier-né (cf. LD 41 note 3). Elle avait fondé à Rome et dans sa propre maison une école de filles. Sur le comte de Caffarelli cf. LD 33 (note 3).

4 Mgr de Mérode cf. LD 31 (note 5), 32, 33, 37, 41…

5 Premier accessit au concours de morale naturelle (cf. NHV V, 35).

6 Nombreuses références en S. Paul (Rom. 12, 15; Phil. 3, 1; 4, 4…; 1 Thes. 4, 13).

218.30

B18/9.2.30

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 27 novembre 1866

Chers parents,

Voici un mois que je suis arrivé à Rome. Il a passé rapidement, comme il arrive toujours quand on a une vie très occupée et bien remplie. Je suis déjà habitué à l'étude de la théologie et c'est pour moi autant un plaisir qu'un travail. Nous nous occupons en ce moment des traités de l'Incarnation et de la pénitence1. Rien de plus consolant que de considérer et de méditer sans cesse ces grands bienfaits de Dieu. Pour m'entretenir dans les connaissances que j'ai acquises précédemment, je fais chaque jour ma lecture spirituelle en allemand et ma lecture du Nouveau Testament en grec. Ces années de séminaire seront certainement les plus heureuses de ma vie.

Nous n'avons pas de grands froids ici et je n'ai pas encore fait de feu. Nous recherchons encore l'ombre dans nos promenades. Nous allons chaque jour dans nos courses là où il y a fête, et ainsi chaque année, nous visitons tous les sanctuaires de Rome. Il y a quelques jours, pour la fête de Ste Cécile, nous allâmes aux catacombes qui étaient illuminées. Il n'y a rien de plus touchant que de retrouver ces peintures des trois premiers siècles, qui attestent la foi des premiers chrétiens et qui représentent les mystères de notre rédemption et les divers sacrements. La vue seule de ces peintures a converti de nos jours un certain nombre de protestants.

Nous avons eu il y a quelques jours une audience du Saint-Père. Il nous a seulement adressé quelques bonnes paroles pour nous encourager et exciter notre zèle. Il paraît très bien portant, et très gai, malgré les tribulations dont il est menacé.

Nous sommes seulement quarante-cinq cette année. Parmi les nouveaux il y a un jeune homme de Crécy-sur-Serre, dans l'Aisne, mais il est attaché au diocèse de Beauvais. Il y en a un autre de Beauvais dont le frère a été substitut à Hazebrouck et est maintenant à Dunkerque. Il a entendu parler de moi par Vandelet. Il se nomme de Maindreville2.

Bientôt, vers le 15 décembre, Palustre et Mr Poisson arriveront ici pour y passer l'hiver. Je ne manquerai pas de connaissances cette année. Je ne pourrai sans doute leur consacrer que la promenade de jeudi.

J'ai fait dire les trois messes que ma tante Juliette m'avait demandées. J'ai donné 6 francs pour les honoraires, vous pourrez les lui réclamer3.

Donnez-moi quand vous pourrez des nouvelles de Mr le curé de Cilly4. Écrivez-moi souvent, d'autant plus que le port des lettres est moins cher que l'an passé.

Embrassez pour moi toute la famille et particulièrement maman Dehon. Présentez mes respects à Mr Clavel5.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Le traité de l'Incarnation avec Franzelin (cf. NHV V, 54-56); la Pénitence avec Ballerini (NHV V, 59-65). Aux AD sont conservés trois gros cahiers de notes du cours de Ballerini (B2/1 a-b-c).

2 Condisciple évoqué en NHV V, 39: délicat et artiste, «notre organiste».

3 La tante maternelle Juliette-Augustine, sa marraine.

4 Le curé de Cilly déjà évoqué en LD 49.

5 Mr Clavel en LD 34, 36, 37, 39, 43…

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B18/9.2.31

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 8 décembre 1866

Chers parents,

C'est aujourd'hui une bien belle fête et toute la ville de Rome redouble de ferveur et offre des prières pour que la Sainte Vierge protège le Saint-Père et l'Église. Nous espérons que tout se passera bien. Cependant, il peut arriver que dans le courant de l'hiver, après le départ des troupes françaises, il y ait quelque émeute partielle. Ne vous en inquiétez pas et soyez certains qu'il n'y aura pour nous aucun danger. Il y a ici des séminaristes de toutes les nations qui sont restés pendant la révolution de 1848 et on les a laissés continuer leurs études en paix. Du reste, nos directeurs sont prudents et prendront toutes les mesures qui seront nécessaires. S'il y avait quelque danger, nous prendrions l'habit laïc et nous quitterions Rome. Surtout ne vous en rapportez pas aux journaux qui sont payés pour vous donner de fausses nouvelles. Ils ont déjà annoncé une manifestation hostile à Viterbe et un assassinat à Rome qui sont de pures chimères. Les journaux ont été jusqu'à nommer deux personnes assassinées et ces deux personnes sont ici très bien portantes et très étonnées que l'on pleure leur mort en France1.

Monsieur Poisson est arrivé hier. Il loge, au moins provisoirement, au séminaire. J'aurai peu de rapports avec lui: cependant aux petites vacances de Noël je pourrai l'accompagner un peu dans ses promenades. Palustre doit arriver sous peu. Il m'a écrit dernièrement de Gênes. Il aurait pu m'apporter de l'argent. Cependant je n'en manque pas encore, bien que mon voyage ait été très coûteux à cause des longs détours que j'ai faits et du temps qu'il a duré. Il me reste près de 300 francs et ma pension est payée jusqu'au 1er février. Je me prive de quelques ouvrages de théologie qui me coûteraient une centaine de francs et dont je puis à la rigueur remettre l'acquisition à l'année prochaine pour ne pas vous être à charge cette année. Il suffira que vous m'envoyiez quelques centaines de francs à la fin de janvier pour payer le second trimestre de pension.

Mon travail est très intéressant et pas trop chargé et je jouis, dans le calme de l'étude et de la piété, d'un bonheur qu'il est plus facile de sentir que d'exprimer. Je prépare un examen d'ordination pour le 18 de ce mois. J'aurai la consolation de recevoir la tonsure le samedi 22 et les ordres mineurs quelques jours après. Ce sont des jours de grâce et de bénédiction.

J'espère que vous penserez ces jours-là à prier pour moi. Je prierai aussi pour vous et pour nos parents qui sont au purgatoire. La tonsure et les ordres mineurs n'imposent pas d'autre obligation que de vivre plus saintement dans le monde. C'est une consécration à Dieu et au ministère de ses autels. La tonsure ou la couronne des clercs a pour but de nous rappeler la couronne d'épines de Notre-Seigneur et de nous inviter à la mortification. Elle est aussi une marque de la dignité royale à laquelle sont élevés les clercs et de l'empire qu'ils doivent avoir sur leurs passions. Les ordres mineurs correspondent aux fonctions inférieures de l'Église, telles que garder les églises, lire les leçons de l'Écriture Sainte aux matines, enseigner la doctrine aux enfants, exorciser les possédés et servir la messe, etc. Ils n'ont plus aujourd'hui de fonctions précises comme dans la primitive Église. Ils sont au nombre de quatre et sont les degrés nécessaires par lesquels il faut passer avant d'arriver au sous-diaconat. J'espère que ces détails vous intéresseront2.

Nous avons depuis deux jours un nouvel élève dont l'histoire est très touchante. C'est un descendant du célèbre orateur anglais Fox, rival de Pitt. Il faisait partie depuis trois ans de la secte puséiste qui se rapproche chaque jour du catholicisme et il s'est converti depuis huit mois. Il a eu le courage de rompre avec sa famille qui est protestante et son père l'a privé de ses immenses revenus, 750.000 francs. Il lui laisse 25.000 francs de rentes. Ce jeune homme, âgé de 26 ans, veut se dévouer à la conversion de son pays et Mgr Manning, l'archevêque de Londres, qui estime beaucoup le séminaire français, vient de nous l'envoyer. Il était lié avec les cinq docteurs de l'université d'Oxford qui viennent de rentrer aussi dans l'Église catholique. Sa conversion fait beaucoup de bruit en Angleterre. Vous voyez que personne ne craint de venir à Rome en ce moment3.

Je viens de recevoir une bonne lettre de Mr Boute. Ils ont 185 pensionnaires et doivent bâtir encore au printemps. Ils sont très contents des succès de leur établissement4.

J'ai écrit récemment à Mr Clavel, à Mr Demiselle et à Siméon5.

Embrassez pour moi ma petite Marthe et dites-lui de ne pas manger de sucre pour qu'elle ait plus tard de belles dents et qu'elle n'en souffre pas comme il arrive quelquefois à son oncle.

Embrassez aussi pour moi Henri, Laure, et maman Dehon et offrez mes félicitations à Mr et Mme Ernest Lavisse6.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Ces lignes donnent quelque idée de l'espèce de psychose, entretenue par les journaux, qui sévissait alors sur ce sujet brûlant de la question romaine et de l'état de Rome après le retrait des troupes françaises. La révolution de 1848, l'instauration de la république romaine et la fuite du Pape à Gaète restaient dans les esprits comme une référence sinistre. C'était d'ailleurs grâce à l'intervention française que Pie IX était rentré à Rome.

2 Léon Dehon reçut la tonsure le 22 décembre et les ordres mineurs (portier-lecteur, le 23, et exorciste-acolyte le 26) selon le rituel en vigueur avant le Concile de Vatican II. En NHV V, 65-68, le P. Dehon dira ses dispositions et ses sentiments à cette occasion, en référence aux réflexions de M. Olier dans son «Traité sur les Saints-Ordres».

3 Charles James Fox (1749-1806), homme politique libéral, grand adversaire de William Pitt, notamment à propos de l'indépendance des colonies américaines et aussi de la Révolution française et de Napoléon. Il s'agit ici du fameux «Mouvement d'Oxford» («mouvement tractarien», propagé par tracts), né du désir de sauver l'Église anglicane établie du formalisme extérieur et aussi des empiétements de l'État sur l'Église. L'initiateur en fut John Keble en 1833. S'y rallièrent Newman, Manning, Faber, Ward, Wilberforce, Palmer… qui rejoignirent l'Église romaine, tandis que d'autres, notamment Keble lui-même, Pusey… restaient dans l'anglicanisme en une sorte d'anglo-catholicisme, connu sous le nom de puséisme, qui visait à restaurer les éléments catholiques de l'Église anglicane, sauf la reconnaissance de l'autorité papale. Henry Edward Manning (1808-1892), pasteur anglican, prédicateur à Oxford (1842) participa au Mouvement d'Oxford et à l'exemple de Newman, rejoignit le catholicisme romain. Ordonné prêtre, il succéda au cardinal Wiseman, archevêque de Westminster (1865). Au Concile de Vatican I il soutint vigoureusement la définition de l'infaillibilité pontificale. Il fut créé cardinal en 1875. Son action politique (pour l'Irlande) et sa doctrine sociale ont été importantes. Le P. Dehon s'y référera souvent.

4 Cf. LC 24.

5 À cette lettre répondra Mr Demiselle LC 25.

6 Cf. LD 9 (note 8) et 46 (note 1).

218.32

B18/9.2.32

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 20 décembre 66

Chers parents,

Je commence par vous rassurer sur les dangers que vous craignez pour moi. Il n'y a pas du tout de choléra à Rome et la paix y est aussi complète que pendant l'occupation française. Les français ont été remplacés par d'excellentes troupes très dévouées et l'on espère que l'ordre ne sera pas troublé. N'ayez donc pas d'inquiétude.

Ma santé ne laisse rien à désirer. Je suis plus fort même que l'année dernière. J'ai subi avant-hier un examen pour la tonsure et les ordres mineurs. Comme je vous l'ai annoncé dans ma dernière lettre, j'aurai le bonheur de recevoir la tonsure samedi prochain à l'ordination solennelle faite à Saint-Jean de Latran par le premier des cardinaux, qui est vicaire du Souverain Pontife pour le diocèse de Rome. Je recevrai le lendemain les deux premiers ordres mineurs et quelques jours après les deux derniers ordres mineurs. C'est un grand pas vers le sacerdoce, qui oblige à une grande sainteté de vie et qui nous obtient de grandes grâces.

Nous aurons de Noël au premier janvier quelques jours de vacances. Je les emploierai à approfondir ce que nous avons étudié depuis la rentrée, et je ferai quelques promenades dans Rome avec Mr Poisson et Palustre. Mr Poisson est arrivé le 7 de ce mois et Palustre le 9. Je les vois plusieurs fois par semaine au parloir pendant les récréations et je suis déjà allé deux fois en promenade avec eux. Mr Poisson est logé au séminaire même. Grâce à notre règlement ils ne me font pas perdre de temps pour mes études1.

Ma lettre vous arrivera quelques jours avant le 1er janvier. Cependant, bien que ce soit un peu prématuré, je lui confie mes souhaits. Je désire pour vous la santé et la prospérité temporelle, et surtout la paix du cœur et l'avancement dans le chemin du salut. J'espère que ces désirs seront remplis et pour cela je prierai avec ferveur surtout pendant ces jours de grâce et de recueillement où je serai plus près de Dieu. Mon affection et ma piété filiale envers vous s'accroissent chaque jour et souvent la pensée de la reconnaissance que je vous dois remplit mon cœur d'émotion. Je me demande alors ce que je pourrais faire pour vous; je prie et je m'efforce de vous satisfaire en devenant par un travail assidu et par un grand recueillement un prêtre digne de ce nom. J'attribue à la bonne direction que vous m'avez donnée dans mon enfance la grâce de la vocation et du zèle que Dieu m'a donnés. J'en rends grâce surtout à ma chère mère qui m'a toujours donné en même temps le précepte et l'exemple de la sainteté. Je vous prie de transmettre mes souhaits à mes oncles de La Capelle, de Dorengt, du Nouvion et de Vervins. J'écrirai seulement à Paris, parce qu'ils sont les aînés et qu'ils sont dans le malheur. Présentez aussi mes vœux de bonne année à Mr le doyen, à Mme Fiévet et aux autres personnes qui s'intéressent à moi2.

Je joins une petite lettre à celle-ci pour Henri et Laure et une pour maman Dehon.

Ayez la bonté de me mettre de temps en temps quelques timbres français dans vos lettres, parce que je n'en trouve pas très facilement à Rome.

Je vous embrasse de tout cœur et le ferai de nouveau en esprit le 1er janvier.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 De ces promenades, les NHV (V, 75-106) rapportent longuement les fruits: «L'art à Rome - Musées et galeries».

2 Les parents de Paris, à Montmartre, sont en effet les aînés du côté Dehon comme du côté Vandelet. Leur malheur n'est pas précisé. Selon LD 54, «ils sont contents de leurs affaires»; il s'agit sans doute de la santé de la tante, Sophie-Éléonore, qui avait assez mauvaise mine et qui, de fait, mourra prématurément.

218.33

B18/9.2.33

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 26 décembre 66

Chers parents,

Je vous écris sous l'impression du bonheur et de la joie que j'éprouve en ces jours de grâce et de bénédiction où le Seigneur nous comble de ces bienfaits. Combien je regrette de ne pas vous avoir eu auprès de moi pour vous faire participer à ces délicieuses jouissances que le monde ne connaît pas. J'ai beaucoup prié pour vous et j'espère que Dieu vous comblera de ses bénédictions. C'est samedi que, recevant la tonsure des mains du cardinal vicaire, je me suis consacré à Dieu et à son service. C'était à la grande ordination de Saint-Jean de Latran au milieu d'une pompe et d'une solennité touchantes. Mr Poisson et Palustre y assistaient. Ils étaient très émus et pensaient au sacrifice que vous faites. Dimanche j'ai reçu les deux premiers ordres mineurs et aujourd'hui même les deux derniers. Hier, j'ai assisté à Saint-Pierre à la belle solennité de Noël qui a été célébrée avec toute la pompe et le recueillement ordinaires. Bénissez Dieu avec moi de tant de grâces, d'honneurs et de bénédictions et ne regrettez qu'une seule chose, c'est que j'en sois bien indigne. Tous les autres regrets sont vains et contraires à la volonté de Dieu. C'est là la vérité. Je n'ai pas fait ce pas inconsidérément, mais selon l'inspiration de Dieu et le conseil de mes plus sages directeurs et conseillers et de ceux mêmes que vous vénérez le plus et qui vous sont le plus dévoués, et en négligeant votre inquiétude du moment, je vous ai préparé pour l'avenir un grand honneur et une grande joie. Vous reconnaîtrez la grandeur des faveurs de Dieu et vous comprendrez qu'un fils qui se consacre à lui ne s'éloigne pas de ses parents, mais au contraire s'attache à eux plus spécialement, plus véritablement et plus entièrement, en ne se créant pas une nouvelle famille. Je croyais du reste vous avoir dit souvent que je recevrais à Noël la sainte tonsure et je crois même vous l'avoir écrit à la Trinité dernière quand mes confrères l'ont reçue. Si je ne l'ai pas fait, je vous en demande pardon.

J'espère que vous allez retrouver la joie et la paix du cœur et je vous supplie d'unir pour cela vos prières aux miennes. C'est aujourd'hui St Étienne. C'est en latin le même nom que Stéphanie. C'est donc ton patron, chère mère, je vais prier pour toi auprès de ses saintes reliques et je te souhaite en même temps une bonne fête sous le patronage de ce saint martyr qui te témoignera sa protection en bénissant aujourd'hui l'ordination de ton fils.

Je vais reprendre mon travail assidûment et m'efforcer de croître en même temps en science et en vertu. Rome est aussi tranquille qu'elle ne l'a jamais été. Personne ne s'inquiète ici et on prépare des fêtes splendides pour le mois de juin prochain. Nous verrons ici les évêques du monde entier1.

Ma santé est parfaite et je ne souffre pas même de maux de dents ni d'engelures comme il m'arrivait quelquefois l'année dernière. Nous avons une très bonne saison et les fêtes de Noël ont amené à Rome beaucoup d'étrangers comme d'ordinaire. Plusieurs de mes confrères ont ici leurs parents. Nous allons avoir pendant quelques jours encore de très belles fêtes, St Jean, St Sylvestre, la Circoncision et l'Épiphanie, je prierai pour vous et pour tous les nôtres, vivants et morts.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe. Offrez mes respects à Mr Clavel et à Mme Fiévet.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Priez quelquefois votre fils premier-né qui est un ange au ciel et qui a obtenu de Dieu que son frère lui soit consacré sur terre2.

Si quelqu'un vous demande à quel degré je suis dans les ordres, dites que je suis minoré, c'est la formule ordinaire.

1 Les fêtes du centenaire de la mort des Apôtres Pierre et Paul.

2 Le petit Léon, mort à quatre ans, quelques mois avant la naissance du P. Dehon (cf. NHV I, 2 vº).