CORRESPONDANCE DU PERE DEHON: ANNEE 1872

08. 01. 1872 (de St Quentin) B 18/10. 20 (inv. 219. 20). Palustre

Mon bien cher ami,

Je lirais bien volontiers l'ouvrage de Mr Chevalier sur les origines de l'église de Tours, mais je n'ai pas encore pu me le procurer. Je l'ai demandé à Moulot qui ne l'a pas trouvé à Paris. Si tu voulais bien me le procurer en me disant le prix, je t'en tiendrais compte dans ma prochaine lettre. J'ai beaucoup entendu parler de cette controverse sur les origines apostoliques de nos églises. MM. Faillon et Darras tiennent, je crois, le premier rang parmi les écrivains qui s'en sont ocuupés. Cette question n'est pas étrangère à notre diocèse. St Sixte et St Simon, les fondateurs de l'évêché de Soissons, suivant St Grégoire de Tours et l'opinion la plus probable nous ont été envoyés par St Pierre. Suivant d'autres ils ne seraient venus qu'au IIIè siècle, après nos martyrs St Crépin et St Crépinien. Sans être entièrement connexes, toutes ces questions ne sont pas étrangères l'une à l'autre et les preuves de l'apostolicité d'une de nos églises peuvent être des présomptions pour l'apostolicité de plusieurs autres.

J'ai reçu le Bossuet en très bon état. Je crois me rappeler comme toi qu'il a coûté 160f et je te les envoie par cette lettre. Si tu le remplaces, tu feras bien d'acheter l'édition de Vivès. Elle n'est pas remarquable comme typographie, mais elle est bien supérieure aux autres comme texte. Pour les sermons en particulier nous n'avions jusqu'à présent de Bossuet que des sermons arrangés, composés de fragments réunis au gré des éditeurs. Vivès a rétabli tous les sermons conformément aux manuscrits.

Tu dois du reste connaître tout cela car tu es en bibliographie beaucoup plus habile que moi. J'aurai recours à tes avis quand tu viendras me voir.

Je suis depuis longtemps à la besogne et entièrement installé. Je me suis mis beaucoup mieux que je ne l'espérais au ministère actif. C'est une source de consolations de chaque jour. Les conversions tardives des mourants, les résolutions franches et naïves des enfants effacent en partie la tristesse que causent l'apathie et l'immoralité des masses.

Tu me donneras ton avis quand tu viendras me voir sur les restaurations et embellissements modernes de notre église. J'y vois avec peine de nombreux spécimens de ce gothique de commerce que l'on nous fabrique maintenant avec tant d'abondance et avec si peu de goût. L'art à bon marché est bien fait pour dégoûter de l'art.

Je suis allé dernièrement à La Capelle. J'y ai laissé tout le monde en bonne santé, sauf mon père qui avait une grippe plus pénible que dangereuse.

Mes respects à Madame Léon et pour vous deux mes souhaits de bonne année.

Tout à toi en N. S. L. Dehon, vic.

20. 01. 1872. B 18/11. 2. 1 (inv. 221. 01). Ses parents

Chers parents,

La lettre de papa m'avait beaucoup inquiété. Cependant je me défiais de sa facilité à s'alarmer. Il paraît que j'avais raison. J'espère que maman Dehon reprendra bientôt ses forces pout longtemps.

Nous avons eu hier ici une grande cérémonie qui s'est fort bien passée. La ville a fait grandement les choses. La belle nef de notre collégiale était tendue de noir et ornée de drapeaux et d'écussons qui rappelaient tous les régiments de l'armée du nord. Un magnifique catafalque s'élevait sous un dais de tentures. Des torches et des flammes bleuâtres brûlant dans des trépieds entouraient le catafalque avec des trophées couverts de crêpes. De nombreux choeurs d'hommes et de dames de la ville chantaient la messe en musique. Mgr officiait. Dans le choeur se trouvaient parmi les invités le général Ladmirault représentant le gouvernement, deux autres généraux, le préfet, le conseil général, plusieurs députés et les blessés de Champagne.

Un beau discours a été prononcé par un Père dominicain qui était aumônier de l'armée du nord et qui a été décoré. Après la messe on a été processionnellement au cimetière. Les rues étaient pavoisées avec des crêpes aux drapeaux et remplies d'une foule immense. On a posé la première pierre d'un monument à ériger en mémoire des victimes. Il y a eu encore là des discours du maire, du général Ladmirault, du général Gaulet d'Ivoy et d'Henri Martin le député. Le peuple a crié Vive la république. Du reste l'attitude de tous a été convenable.

Le général Ladmirault est un homme très digne. Le pauvre Henri Martin parle bien mal en public. Il a une façon de gesticuler monotone et fatigante. Du reste il a dit des choses sensées.

Le temps qui était très beau le matin s'est gâté l'après-midi. Cependant grâce à Dieu nous avons pu aller au cimetière et en revenir sans pluie. Les archevêques de Cambrai et de Reims qui avaient été invités à la cérémonie n'ont pas pu s'y rendre.

Monseigneur va rester ici plusieurs jours. J'ai causé avec lui. Il a été fort bienveillant, mais il ne m'a rien dit de bien important.

Ma santé est excellente. On me dit que j'engraisse. J'attribue cela à l'exercice que me donne le ministère. Embrassez pour moi maman Dehon, Henri, Laure et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

23. 01. 1872. B 82/8 (Inv. 1109.03) Au Père Daum

Arch. Séminaire français « Santa Chiara ». P. DaumArch. Séminaire français « Santa Chiara ». P. Daum

Au Père Daum

AD B 82/8

Inv. 1109.03 

+ Saint-Quentin 23 janvier 1872

Mon très révérend père,

Que devenez-vous au milieu des flots de buzurri1 qui montent autour de vous? Le bon Dieu nous en avait donné la figure dans cette inondation de boues et d'ordures pour les égouts et qui couvrirent jusqu'au pavé des sanctuaires. Quand vous sera-t-il accordé de voir toute cette fange refoulée par un vigoureux balai manié avec autant d'énergie que ceux de Sainte-Claire après l'inondation!

Tout le monde espère, mais comme dit le roi «l'heure est à Dieu».

Rien encore n'annonce une délivrance prochaine. C'est seulement en se basant sur les promesses faites par Dieu à l'Église que l'évêque de Poitiers a dit en son homélie pour la fête de saint Hilaire: «retournez à Rome dans quelques années et vous y verrez le concile se poursuivant autour du trône du pontife roi». Je souhaite qu'il ait dit vrai, que rappelé à Rome pour le concile j'aie le plaisir de vous y revoir.

Vous connaissez mon odyssée. Vous savez qu'après avoir erré de projets en projets j'ai fini par retrouver mon Ithaque. L'île de Calypso avait cependant bien des charmes. J'y ai laissé mon compagnon, l'excellent Père Désaire. Il paraît vouloir s'y fixer. A-t-il tort? Je n'oserais pas l'affirmer. Il compromet en quittant son œuvre de Notre-Dame-des-Châteaux et puis il est moins sensible que moi au manque de poids et de mesure dans lequel tombent quelques fois les Nîmois.

Dieu veuille que nous soyons chacun dans notre voie.

Ce pauvre ami a bien souffert depuis que je l'ai abandonné. Ses lettres ne m'apportaient plus que des larmes. Il reprend courage. Puisse-t-il ne pas passer par de nouvelles épreuves!

Je fais ici du ministère, comme tout le monde, sans avoir beaucoup le temps de songer à autre chose.

Je suis frappé de l'état de dissolution dans lequel est tombée notre société. Il règne ici une immoralité nauséabonde. La sanctification du dimanche est remplacée par la débauche du lundi. La matière absorbe toutes les facultés. L'âme est esclave des sens et de l'orgueil.

Il y a cependant un certain nombre d'âmes fidèles. Il y a même de saintes âmes. Espérons que Dieu trouvera parmi nous assez de justes pour nous épargner en leur faveur.

La lutte du bien et du mal est ardente et le combat est difficile. J'apprécie chaque jour davantage la préparation par laquelle je me suis formé à Rome pour cette lutte. C'est à vous que j'en suis en partie redevable et je ne saurais vous en exprimer toute ma reconnaissance.

Au revoir, mon révérend père, au moins au ciel.

Veuillez présenter mes affectueux respects au révérend père supérieur et au révérend père Brichet.

Votre tout dévoué disciple

L. Dehon

vic.

[De la main du père Daum: réponse 5 mars 1872.

Manuscrit original: Archives du Séminaire français]


Buzzurri: appellatif que les Romains donnaient aux Piémontais entrés à Rome en 1870.

06. 02. 1872. B 18/11. 2. 2 (inv. 221. 02). Ses parents

Chers parents,

Au moment où j'allais vous écrire, je reçois la lettre de maman qui s'inquiète trop facilement. Le temps ici passe vite, les journées sont coupées par la besogne, les relations, les visites; les semaines se succèdent rapidement et nous laissent peu de temps pour notre correspondance. Je tiens aussi à donner à l'étude un peu de temps chaque jour. Ne vous inquiétez donc pas des retards de mes lettres. Quand j'aurai des nouvelles importantes à vous faire connaître je vous écrirai plus souvent.

Je me trouve heureux à St Quentin. Je me mets chaque jour mieux au courant de l'état de la ville et de mon ministère. Ma besogne est facile sinon bien fructueuse. Bien que la population de St Quentin ne soit pas très religieuse, mes rapports avec elle ne sont pas du tout pénibles. Elle est généralement bienveillante pour nous. Nos offices se font bien et sont assez suivis.

Pour ce qui est de l'intérieur, la vie de communauté m'est fort égréable et mon appartement me plaît beaucoup depuis qu'il est complètement meublé. J'espère que vous viendrez le voir bientôt et je suis sûr que vous serez surpris de le trouver si bien organisé.

Je n'ai pas à me plaindre de Mr Mariolle pour la qualité de mes meubles. Je n'ai pas encore réglé mon compte avec lui. Je suis allé il y a quelques jours dîner chez lui avec son fils qui est à St Sulpice et qui était venu à St Quentin pour se remettre d'une indisposition.

J'ai vu dernièrement mademoiselle Fiévet qui m'a donné des nouvelles de La Capelle.

J'ai reçu une lettre de Siméon. Il est content de ses bénéfices.

Faites-nous des merveilles à La Capelle pour la fameuse souscription nationale. Ici on s'en occupe peu jusqu'à présent et on attend que l'assemblée nationale ait organisé quelque chose.

Je n'ai pas de nouvelles récentes de Mr Boute. Je suis heureux que chez vous les santés s'améliorent, mais je suis inquiet de voir maman Dehon se remettre si lentement.

Embrassez pour moi maman Dehon, Henri, Laure et les enfants. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon.

19. 02. 1872. B 18/11. 2. 3 (inv. 221. 03). Ses parents

Chers parents,

Le temps me paraît bien court à St Quentin. Nos occupations sont variées et nombreuses, sans être fatigantes. Les semaines passent ainsi bien rapidement.

Je suis tout à mon affaire et ne songe pas à m'ennuyer. Du reste notre ministère nous offre bien des consolations. Chaque jour ce sont des malades, des pénitents, des enfants qui se rapprochent de Dieu. Nous prenons tout cela à coeur, bien entendu, comme il convient pour les intérêts de Dieu qui nous sont plus chers que les nôtres. De cette façon nous sommes toujours joyeux, comme des conquérants qui remportent chaque jour quelque victoire. Ces résultats de notre ministère nous font du bien à nous-mêmes et nous aident à nous sanctifier.

Nous n'avons pas, vous le savez, beaucoup à prêcher. Du reste nous ne trouverions guère le temps de préparer de longues prédications. Nous avons pour le carême un prédicateur extraordinaire. C'est un chanoine de Bordeaux. Il a commencé hier. Il parle très bien et aura du succès. Nous n'avons à faire que des sermons moins solennels dans les chapelles de communautés, à l'hôtel-Dieu et à la Croix.

La vie de communauté m'est très agréable. Je suis heureux de n'avoir pas à m'occuper du ménage. Je m'entends fort bien avec mes confrères. J'ai trouvé en M. Mathieu un véritable ami.

Mgr se propose de changer l'un des vicaires dans quelque temps. Ma besogne sera alors allégée des petites charges qui pèsent sur le dernier venu et qui d'ailleurs ne sont pas bien lourdes.

Nous avons terminé ici la souscription nationale. On ne dit pas encore ce qu'elle a produit. Le clergé a fait la collecte avec les principaux habitants de chaque quartier. J'étais membre d'une commission, mais j'étais occupé à la paroisse le jour où elle a fait sa tournée et j'ai ainsi évité cette corvée. J'ai souscrit pour cent francs. On dit que nos riches industriels n'ont pas été généreux.

Mr Dehaene m'écrit que Mr Boute s'affaiblit de plus en plus. Il m'invite à aller le voir. Je ne sais pas si ma besogne me le permettra.

J'ai une caisse de linge à blanchir. La ferez-vous prendre par le commissionnaire de Mr Flamant, ou bien faut-il vous l'envoyer par la diligence?

Embrassez pour moi maman Dehon, Henri, Laure et les enfants. Je remercie Marthe de sa belle lettre. J'envoie une image pour elle et une autre pour Amélie.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

12. 03. 1872. B 18/11. 2. 4 (inv. 221. 04). Son frère Henri

Mon bien cher ami,

J'ai assisté mardi dernier à l'enterrement de notre excellent Mr Boute. J'espérais presque t'y rencontrer. Nous lui devons tant de reconnaissance que je n'ai pas hésité un instant à partir pour lui rendre ce dernier hommage.

Il y avait, comme tu le penses bien, un concours nombreux. Beaucoup d'anciens élèves étaient venus, surtout ceux appartenant au clergé. J'ai rencontré là Mr Evrard, l'abbé Dassonville, Zéphirin Debuschière et une foule d'autres que j'étais heureux de revoir. Il y avait aussi la soeur de Mr Boute. Il n'avait plus qu'elle de sa famille. On s'est réuni à St François. Le service s'est fait à l'église paroissiale et l'enterrement au cimetière, qui n'est pas éloigné de l'ancien collège. Mr Gantier ancien élève de Mr Boute et maintenant professeur à St François a lu un discours fort touchant qui rappelait les immenses services rendus par Mr Boute dans l'instruction.

La maison de St François est plus prospère que jamais. Elle compte 250 pensionnaires, tandis que le collège communal n'en avait pas plus de 130. L'établissement du reste est magnifique et c'est Mr Boute qui en a dirigé tous les travaux. Il espérait en jouir quelques années.

Il n'est pas mort de vieillesse, mais d'une tumeur peut-être concéreuse qu'il avait à l'épaule depuis longtemps sans s'en douter, attribuant ses douleurs à un rhumatisme. Il paraît qu'il s'était tout à fait desséché dans ces derniers temps et qu'il était méconnaissable.

Il avait laissé une liste de personnes à faire prévenir de sa mort. Il n'avait pas oublié ses connaissances de notre pays. Mr Lempereur a été prévenu et assistait à l'enterrement. Mr Dehaene ignorait plusieurs adresses, entre autres celle d'Aldégonde qui avait cependant été désignée par Mr Boute. On lui fera part de cette mort à l'occasion, ainsi qu'à Adèle et à Mme Fiévet.

Je me suis arrêté à mon retour à Douai et à Cambrai où j'avais quelques amis à voir. Mr Evrard et Dassonville voulaient m'emmener l'un à Roubaix et l'autre à Armentières pour voir sa mère qui est très malade, mais je n'avais pas le temps.

Je suis descendu à Hazebrouck chez Mr Wandewelle qui est bien portant mais fort vieilli. Siméon n'a pas pu venir. Il avait fait le voyage trois semaines auparavant.

On s'est informé de toi partout. Ici notre besogne va croître un peu avec le temps pascal. Je ne pourrai pas prendre de vacances de Pâques, mais j'espère que papa et maman viendront me voir. Je regrette que tu ne puisses pas les accompagner. Embrasse-les pour moi, ainsi que Laure, les enfants et maman Dehon. Je t'embrasse de tout coeur.

                Ton frère dévoué           L. Dehon, vic.

Mme Mouturier et Mme Demont aussi, je crois, donneraient volontiers l'hospitalité à papa et à maman.

01. 04. 1872. B 18/11. 2. 5 (inv. 221. 05). Ses parents

Chers parents,

J'attends une lettre qui m'annonce votre arrivée. Le temps est redevenu très doux, j'espère que maman pourra facilement faire ce petit voyage. Jules Demont est venu me voir pour me charger de vous prier de descendre chez lui. Il paraît y tenir beaucoup. Je crois que vous ferez bien d'accepter, plutôt que de loger à l'hôtel. Prévenez-moi afin que je le lui fasse savoir.

Je serai assez libre cette semaine pour être avec vous. Nous nous reposons un peu des fatigues de la semaine sainte.

Prenez vos mesures pour rester au moins deux jours. Vous ne pourrez pas vous dispenser de faire quelques visites.

Je dois dîner jeudi soir chez Mme Bernoville. Je n'ai pas pu refuser. Mais ce n'est pas une raison pour que vous ne veniez pas ce jour-là. Nous nous arrangerions pour ne pas nous séparer longtemps.

A bientôt donc. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon.

11. 04. 1872. B 18/11. 2. 6 (inv. 221. 06). Son père

Bien cher père,

Je voudrais être auprès de toi aujourd'hui pour te souhaiter une bonne fête. Je te recommanderai demain au saint sacrifice à l'illustre pontife St Jules 1er, qui t'a été donné pour patron au jour de ton baptême. C'est un grand pape qui est puissant pour te protéger et qui l'a montré en te conduisant à Rome recevoir Notre Seigneur de la main de son successeur.

Rappelle-toi les heureux moments que tu as passés à Rome et ne laisse pas perdre la grâce de Dieu que tu as retrouvée.

J'espérais que tu ferais ici ta communion pascale. Puisque ton voyage est retardé, fais-la à La Capelle. Tu ne peux pas résister à tant de grâces de Dieu sans exposer ton salut éternel. Il y a aussi une raison de patriotisme; si les hommes ne reviennent pas à la pratique de la religion, la France passera par de nouvelles épreuves.

Je compte que tu communieras samedi et je m'unirai à toi ici à cette intention-la. Tu dois donner l'exemple à La Capelle, dans l'intérêt de tous, et si les autres ne veulent pas comprendre les avertissements que Dieu leur a donnés, sauve au moins ton âme.

J'espère toujours te voir bientôt avec maman, quand vous irez tout à fait bien l'un et l'autre et que vous aurez moins de besogne. J'ai vu Lavisse qui se rendait à Paris et j'ai dîné chez Mme Née avec mon oncle Longuet qui m'a assuré que ton indisposition n'avait aucune importance. Hier j'ai dîné chez Me Robert qui va partir passer l'été à la Gerbette. Tu vois que malgré la besogne du temps pascal, j'ai encore quelques loisirs.

Les journaux nous annoncent en termes fort obscurs un chemin de fer qui doit passer par La Capelle. J'ai cru comprendre que la ligne de Guise serait continuée jusqu'à Maubeuge et qu'il y aurait un embranchement de Nouvion à Hirson par La Capelle. Est-ce bien cela qu'on vous promet? Et quand espérez-vous que tout cela sera construit?

Vos projets de filature paraissent avantageux au point de vue pécuniaire, mais il me semble que vous allez vous entourer d'une bien mauvaise population et diminuer la tranquillité de votre retraite.

J'ai enfin réglé mon compte avec Mr Mariolle. Il s'élève plus haut que je ne croyais, malgré la réduction qu'il m'accorde et qui est à peu près celle que tu lui as demandée. Il me faudrait pour le payer sans me mettre à sec 700 ou 800 francs. J'espère que tu pourras me les envoyer dans quelques jours. C'est ma dernière grosse dépense pour cette année, et je pourrai avec la différence qu'il me restera à recevoir jusqu'à 5.000 francs, c'est-à-dire avec 500 ou 600 francs, aller à peu près jusqu'au mois de novembre.

A bientôt. Embrasse pour moi maman, Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Je t'embrasse de tout coeur. Ton dévoué fils L. Dehon, vic.

10. 05. 1872. B 109/2 (inv. 1169.20) Abbé Désaire (Lettre insérée en mai 2003)

+ Saint-Quentin 10 mai 1872

Mon bien cher ami,

Depuis longtemps j'attendais chaque jour l'arrivée du courrier, espérant toujours y trouver votre missive. Enfin elle est venue et elle est à peu près telle que je la prévoyais. Je supposais bien que les occupations nombreuses qu'on allait vous donner diminueraient vos troubles sans les faire disparaître. Il me paraît clair maintenant que vous n'êtes pas où vous devez être et j'en suis d'autant plus désolé que j'ai contribué à vous y mettre.

Cette congrégation me paraît être une association de bons prêtres, mais non une œuvre divine et peut-être pas même une œuvre sérieuse et durable. Je crois que vous devez chercher votre voie ailleurs et vous préparer à sortir de là. Quand vous en serez éloigné de quelque temps je suis persuadé que vous en rendrez grâce à Dieu. Je ne sais vraiment ce que je dois vous conseiller de faire. De quel côté vous sentez-vous attiré ?

Quant à moi je remplis mon ministère, qui est fort absorbant, sans avoir beaucoup le temps de penser à autre chose. Je vois bien que je fais quelque peu de bien. Je ne sais pas si j'en ferais plus ailleurs. J'ai préparé jusqu'à présent la fondation d'un patronage et j'espère aboutir bientôt.

Il y a une œuvre capitale qui manque ici, c'est un collège catholique pour faire concurrence au lycée. Le moment serait favorable pour le fonder. Il y a en effet un petit pensionnat que le propriétaire, président de la conférence de Saint Vincent de Paul, céderait volontiers à des prêtres ou à des religieux. Il s'associerait même un prêtre qui n'aurait pas de fortune et qui paierait sa location sur les bénéfices. Le succès me paraît assuré. Envoyez-nous donc quelqu'un, Augustins ou autres.

Faute de cela toute notre bourgeoisie est élevée dans l'irréligion par l'université.

Le local qui est à céder est beau et l'occasion est très avantageuse.

J'espère que nous trouverons bientôt le moyen de nous voir. Etes-vous tenu rigoureusement d'être à Paris chaque jour du mois de mai ? Ne pourriez-vous pas venir passer une journée à Saint-Quentin ? Le trajet n'est que de 4 heures. Vous seriez le bienvenu au vicariat. Je ne puis pas m'absenter facilement avant un mois. Je prépare 50 enfants à la première communion et à la confirmation pour le 5 et le 6 juin. C'est un surcroît de besogne qui vient s'ajouter à celle de tous les jours.

Ecrivez-moi sans retard afin que nous avisions un moyen de nous voir. Combien de temps veut-on vous laisser à Paris ?

Prenons patience et prions. Je prie et je fais prier pour que le bon Dieu vous éclaire. Servez-vous de vos peines pour gagner le ciel.

A bientôt, mon cher ami. Je vous embrasse de tout cœur et me recommande à vos prières.

                        L. Dehon, vic.

16. 05. 1872. B 18/11. 2. 7 (inv. 221. 07). Ses parents

Bien chers parents,

Maman a-t-elle pu se remettre de son indisposition malgré la mauvaise saison? Nous avons ici depuis quinze jours un temps humide et froid. Espérons que l'été viendra bientôt réparer tout cela. Papa doit être heureux de voir pousser ses pâtures et son jardin. Il va être bien occupé pendant plusieurs mois.

Ici, outre la besogne ordinaire nous avons à préparer la première communion pour le 5 juin et la confirmation pour le 6. Ma part de la charge n'est pas lourde et j'espère bien n'en être pas fatigué.

J'ai reçu hier une lettre de la Soeur Gabrielle qui m'invite à aller prêcher à Bapaume pour la fête de St Vincent de Paul, le 19 juillet. Je n'ose pas le lui refuser et je lui répondrai que j'accepte son invitation. Elle se rappelle à votre bon souvenir et me prie de vous assurer de sa sincère affection.

Jules Demont va mieux depuis quelques jours. On lui a fait à Paris une incision à l'oeil pour en tirer les humeurs. Depuis lors il ne souffre plus, mais il ne voit pas encore de son oeil malade. Il s'y est reformé un peu d'humeur, on espère qu'elle se dissipera. Il va maintenant tous les jours à son bureau. Il est venu me voir hier.

Je vous ai envoyé ma caisse de linge. Quand vous me la renverrez, n'oubliez pas d'y mettre des culottes de coutil que j'ai laissées à La Capelle.

Donnez-moi bientôt de vos nouvelles. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

12. 06. 1872. B 18/11. 2. 8 (inv. 221. 08). Ses parents

Bien chers parents,

Le plus gros de notre besogne est fini pour cette année et j'aurai maintenant quelques loisirs. Monseigneur nous a quittés hier après un séjour d'une semaine. La première communion de nos 400 enfants s'est faite ainsi que leur confirmation dans les meilleures conditions. J'avais pour ma part les enfants à instruire et plus de 100 à confesser.

Mr Gobaille qui souffre depuis trois semaines d'une bronchite n'a pu prendre part à aucune cérémonie. C'est le vicariat qui a eu l'honneur de recevoir Monseigneur à dîner le jour de la confirmation. Nous avons pu le traiter convenablement, grâce aux diverses pièces de service que nos anciens ont reçues en cadeaux depuis quelques années. J'ai fourni pour ma part quelques bouteilles de vin et du cognac (ma cave n'est plus fort garnie).

Monseigneur était accompagné de Mr Dours, son frère. Ils ont eu presque chaque jour de longues cérémonies, confirmations au Lycée, à St Jean, à la Croix, aux petites-soeurs, prise d'habit à la Croix, etc. Nous les avons peu vus. J'ai cependant causé assez longuement avec Monseigneur qui m'a fait appeler en particulier. Il est on ne peut mieux disposé à mon égard et il prendra des mesures pour me délivrer bientôt de la besogne des derniers vicaires. Je ne suis pas sûr cependant qu'il y ait un changement de suite. Nous ne le saurons que dans quelques jours. Mgr n'a recueilli sur mon ministère que de bons témoignages.

J'ai vu aussi Mr Guyart qui est venu passer deux jours à St Quentin.

Aujourd'hui j'ai la visite de Mr le curé de Cilly qui va dîner avec nous. Je n'ai pas encore vu l'abbé Désaire, j'attends de ses nouvelles.

J'irai peut-être bientôt passer deux ou trois jours avec vous. Ce sera un premier acompte sur mes vacances.

Quelques personnes me conseillent ici d'aller prendre les eaux quelque part pour fortifier ma santé. Je ne suis pas très porté à me rendre à leur avis.

Je vous embrasse de tout coeur en attendant que j'aille le faire réellement. Embrassez pour moi tous les nôtres. Votre dévoué fils L. Dehon.

J'ai retrouvé un des mouchoirs qui me manquaient. J'espère que l'autre se retrouvera aussi quelque part.

20. 06. 1872. B 18/11. 2. 9 (inv. 221. 09). Ses parents

Bien chers parents,

Je me propose d'aller passer la semaine prochaine avec vous. Je partirai d'ici lundi matin à 8h et j'arriverai à Guise vers 11h. Si vous ne deviez pas aller à Guise ce jour-là, écrivez-le moi de suite, je passerais alors par Vervins. Je serai heureux de passer quelques jours en famille.

Les changements dans le personnel du diocèse ne sont pas encore décidés. Cependant il est toujours très probable qu'un des vicaires sera changé.

J'ai vu hier Monsieur Demiselle qui va prêcher une première communion à Wassigny. Il ira peut-être vous demander l'hospitalité lundi soir.

J'ai rencontré ces jours-ci dans mon ministère un fait tout à fait providentiel. Il y avait ici, sans que je le susse, un jeune homme de La Capelle, nommé Dupont, et petit-fils du père Marche. Il tenait une patisserie dans la rue d'Isle après avoir été patissier au Nouvion puis à Bohain. Ce pauvre garçon a mené une vie fort orageuse. Il a mangé la fortune que lui ont laissée ses parents. Il s'est marié et il a perdu sa femme il y a deux ans. Il était malade depuis plusieurs mois. Il avait eu la faiblesse de recevoir chez lui depuis la mort de sa femme une femme de mauvaise vie qui l'a quitté seulement il y a trois semaines. La maladie s'aggravant, on lui a proposé de voir un prêtre. Il a refusé deux fois de voir Mr Genty. Avant hier il a appris que j'étais à St Quentin. Il dit qu'il me verrait volontiers. Il m'a paru n'avoir plus que deux ou trois jours à vivre. Il m'a rappelé qu'il avait fait sa première communion avec moi et depuis lors il ne s'était pas inquiété de religion. Il a fait une bonne confession et il s'est converti très sincèrement. Hier je lui ai porté la sainte communion et l'extrême onction. Il a beaucoup prié. Il m'a demandé d'assister à ses derniers moments et de faire son enterrement. Je l'ai revu hier soir et ce matin j'ai été recevoir son dernier soupir. Je crois qu'il a fait une très bonne mort. Le pauvre garçon laisse trois petits enfants.

Comme il ne travaillait plus depuis sa maladie, il laisse des dettes et son mobilier déjà saisi devait être vendu demain. J'espère que les créanciers attendront au moins qu'il soit enterré. Ses parents de La Capelle et ses frères ne s'inquiètent pas de lui. Je crois qu'ils ne se chargeront pas de ses enfants et qu'il faudra les faire recueillir comme orphelins par l'hôtel-Dieu de St Quentin. A ses derniers moments il élevait le bras en disant „ma femme, au ciel!” Le bon Dieu a eu pitié de lui et lui a procuré une conversion tardive mais bien extraordinaire.

A lundi. Embrassez pour moi tous les nôtres.

Tout à vous en N. S. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

22. 06. 1872. B 109/2 (inv. 1169. 21). Abbé Désaire (Lettre insérée en mai 2003)

+ Saint-Quentin, 22 juin 1872

Mon bien cher ami,

Je regrette bien votre détermination de ne pas venir à Saint-Quentin. Je ne sais pas si je pourrai moi-même aller à Paris. Je me trouve un peu fatigué de la lourde besogne que j'ai eue ici depuis quelques mois. Je vais aller passer la semaine prochaine à La Capelle pour me reposer. Je trouverai peut-être au mois de juillet le moyen d'aller passer deux jours à Paris si vous y êtes encore.

Je crois bien d'ailleurs que notre entrevue ne changera rien à notre manière de voir. Je veux bien admirer avec vous quelques vues élevées et quelques idées hardies et généreuses de l'Assomption, mais je n'y puis reconnaître un véritable esprit religieux. Je suis persuadé que je n'y serais pas resté et je rends grâce à Dieu de m'avoir préservé des déboires qui m'y attendaient.

A l'inverse de ce qui vous arrive j'ai trouvé ici la paix la plus complète au sujet de ma vocation. Je n'ai pas éprouvé la moindre inquiétude. Je trouve ici un bien immense à faire. Je fais le peu que me permettent mes forces et la grâce de Dieu. J'éprouve souvent ces joies que vous avez goûtées pendant votre station par le retour de vieux pécheurs qui reviennent à Dieu. Le ministère auprès des enfants n'est pas non plus sans consolations. J'ai pu commencer un patronage qui me donne de grandes espérances.

Je ne pense plus du tout à quitter d'ici et l'intention de mon évêque est aussi de m'y laisser.

Quel contraste avec cet état d'inquiétude dans lequel vous êtes depuis un an ! Je crois bien que vous êtes appelé à la vie religieuse, mais il me semble que vous auriez été plus heureux ailleurs qu'à l'Assomption.

J'ai vu hier un de vos bons amis, monsieur le chanoine Demiselle. Il a un faible pour vous. Il admire comme moi quelques aspirations de votre congrégation, mais il doute de son esprit pratique. Il a le plus grand désir de vous voir.

Vous serez heureux d'apprendre que je monte en grade et que par suite d'un changement au vicariat de septième vicaire je deviens sixième. J'éviterai ainsi quelques corvées qui incombent au dernier venu. Il n'y a pas encore dans cet avancement un grand péril pour mon orgueil.

J'ai quelque désir de faire le pèlerinage de La Salette, mais je ne sais pas encore si je le pourrai. Nous sommes tenus ici comme des religieux et mon curé vient de me gronder parce que j'avais projeté sans l'en prévenir assez longtemps à l'avance le voyage de La Capelle.

Au revoir, mon cher ami, priez beaucoup pour moi et pour le succès de mon ministère.

Tout vôtre in Christo.

                                     L. Dehon, vic. 

05. 07. 1872. B 36/2d. 12 (inv. 629.12) : photocopie Ms P. Freyd [B 36/2a. 12 (inv. 626. 12). P. Freyd (copie dactylographiée)]]

Très révérend Père,

Voilà huit mois que je suis vicaire de St Quentin. Je remplis mon ministère de bon coeur comme si je n'avais jamais songé à autre chose et je ne pense plus à Nîmes. Ma besogne est toujours fort chargée mais elle n'est pas sans consolations. Quelques retours à Dieu sont particulièrement intéressants. Les malades et les enfants sont d'ordinaire assez souples. j'ai commencé l'organisation d'un patronage. Depuis quelques semaines je réunis le dimanche cinquante enfants qui sont fort bien disposés. Plusieurs confrères de St. Vincent de Paul me prêtent leur concours. Les Frères nous reçoivent chez eux en attendant que nous ayons loué un local. Mon évêque est fort heureux de voir cette oeuvre s'établir à St Quentin.

Nous avons eu l'honneur de posséder sa Grandeur à St Quentin pendant toute une semaine au mois de juin. Il n'a recueilli, grâce à Dieu, que de bons témoignages sur mon compte. Aussi m'a-t-il promis monts et merveilles. Il m'a dit qu'avant trois ans il donnerait à notre second vicaire, qui est un prêtre fort distingué et chanoine honoraire, un doyenné ou un archiprêtré, qu'il me nommerait directement second vicaire en me faisant passer par devant ceux qui me précèdent. C'est son projet d'aujourd'hui. Ce ne sera peut-être pas celui de demain. Je ne m'en inquiète pas et je remets tout entre les mains du bon Dieu.

Ma santé sans être vigoureuse se maintient à peu près et me laisse toujours croire que le bon Dieu ne me fera pas attendre pendant de trop longues années le bonheur d'aller à lui.

Quant à la vie spirituelle elle languit un peu au milieu des occupations absorbantes du ministère et des distractions du monde. J'espère la ranimer un peu dans une retraite que je tâcherai de faire le mois prochain.

Je n'ai pas encore vu l'excellent P. Désaire. Le P. Picard ne lui a pas permis de venir à St Quentin et moi je n'ai guère le temps d'aller le voir à Paris. Il m'écrit assez souvent. Il n'est pas aussi heureux à l'Assomption qu'il l'a laissé croire au P. Eschbach auquel il n'a pas dit toute sa pensée. Il change du reste fréquemment de manière de voir et dans sa dernière lettre il me paraît se rattacher à l'Assomption et vouloir y rester indéfiniment. Je l'ai engagé très carrément à en quitter. Il y est retenu par les oeuvres fort intéressantes de cette congrégation. J'espère que le bon Dieu l'en tirera si c'est sa volonté qu'il soit ailleurs.

Adieu, mon révérend Père. Mes respects affectueux au R. P. Brichet et au R. P. Daum. Mes amitiés à ceux de mes condisciples qui sont encore avec vous, Mr Pineau, Mr Bernard, Mr Rogerot, Mr de Vareilles, etc, etc. Agréez l'assurance de mon éternelle reconnaissance et de mon dévouement sans bornes. L. Dehon.

P. S. Ayez la bonté de me donner dans votre prochaine lettre l'adresse de l'agent dont vous vous servez pour obtenir des pouvoirs. L. D.

15. 07. 1872; B 18/11. 2. 10 (inv. 221. 10). Son frère Henri

Mon bien cher Henri,

Je suis en retard à te souhaiter une bonne fête. Ce n'est pas que je n'y aie pas pensé, mais tu sais combien le samedi et le dimanche nous sommes occupés. Je ne t'ai pas oublié à la sainte messe. Je me suis aussi uni en esprit à tes fillettes qui t'ont sans doute offert un magnifique bouquet et débité un joli compliment.

Voilà déjà quinze jours que j'ai quitté La Capelle. Je suppose que tu as eu assez de beau temps depuis lors pour rentrer toutes les récoltes qui te préoccupaient. Je n'ai jamais trouvé le temps aussi court qu'à St Quentin. Nos occupations continuelles et toujours variées font passer les journées comme des heures et les semaines comme des jours.

Nous allons avoir aujourd'hui même notre nouveau vicaire. Je me suis décidé à prendre la chambre de celui qui s'en va. Elle est plus agréable et plus commode que la mienne. Je serai obligé de la faire tapisser mais j'espère en être quitte pour cinquante francs. Mes meubles iront très bien dans cette chambre sauf mes rayons de bibliothèques qu'il faudra rétrécir; mais comme ils sont en bois blanc c'est une petite affaire. Je ferai défaire le plis de mes grands rideaux.

J'aurais pu me contenter de ma chambre pour attendre celle de Mr Mathieu, mais qui sait quand elle sera libre et qui sait si des anciens ne la réclament pas avant moi. Mr Mignot ne nous quitte que jeudi prochain; je ne serai pas installé dans ma nouvelle chambre avant une dizaine de jours.

Dis à maman qu'elle fasse prendre ma caisse de linge samedi prochain. On s'est présenté avant hier pour la demander, mais elle n'était pas prête. La bonne a demandé qu'on repasse un quart d'heure plus tard et on n'est pas revenu. Dis-lui aussi qu'elle peut m'acheter un surplis si le prix est avantageux.

Je dois dîner aujourd'hui chez Mr Demont. Jules Demont, sa femme et ses enfants partent demain pour passer quelques jours au Nouvion. Ils n'iront pas à La Capelle parce que les enfants ont la coqueluche et ils ont peur de la communiquer aux tiens.

Je compte partir jeudi pour Bapaume et en revenir samedi. C'est un long voyage à cause des détours qu'il faut faire en chemin de fer.

Au revoir, mon cher ami. Embrasse pour moi papa, maman, Laure et tes enfants.

Ton tout dévoué frère qui t'embrasse. L. Dehon, vic.

P. S. Demande à Mr Leponsé s'il a quelques renseignements à me donner sur la situation de fortune des enfants de Dupont.

25. 07. 1872. B 18/11. 2. 11 (inv. 221. 11). Ses parents

Chers parents,

Je suis installé dans ma nouvelle chambre. Elle est beaucoup plus belle et plus agréable que l'autre. Vous ne me plaindrez plus quand vous viendrez me voir. Ma chambre est plus haute, plus grande et mieux éclairée. Mon alcôve sera plus fraîche en été et plus chaude en hiver. L'escalier est plus large et plus facile.

Vous avez probablement comme nous des chaleurs romaines. Il paraît que les blés s'en trouvent bien. C'est une consolation car les hommes s'en trouvent assez mal.

Mr Mathieu est parti ce matin pour prêcher la neuvaine de Ste Anne; cinquante sermons en dix jours, sans compter plusieurs milliers de confession. J'aime mieux pour lui que pour moi par le temps qu'il fait. J'irai peut-être le prendre à Vervins de lundi en huit pour vous le conduire à La Capelle avec Mr et Me Lecot, personnes très dignes de St Quentin, qui ont beaucoup de bontés pour moi. Je vous en aviserai plus tard.

Vous savez que j'ai une traite à payer fin juillet, ayez la bonté de m'envoyer au moins 200 francs. Cela me suffira jusqu'à mon voyage à La Capelle. J'espère que je vous trouverai tous bien portants et remis des fatigues de votre voyage de Paris.

A bientôt donc. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

J'oubliais de vous dire que mon excursion à Bapaume a été très heureuse et très agréable. J'y ai vu Mr Genant et Louis. Mr Gardel va bien. La Soeur Gabrielle vous fait des compliments. Elle aurait été très heureuse de vous avoir, mais elle a renoncé à vous inviter à cause de la distance et de la difficulté de vous recevoir à l'hospice.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

02. 08. 1872. B 18/11. 2. 12 (inv. 221. 12). Ses parents

Chers parents,

Je pense que vous ne vous impatientez pas après mon accusé de réception. Si je n'avais pas reçu votre lettre je vous aurais écrit plus tôt pour la réclamer.

J'ai toujours le projet d'aller vous voir lundi. Si vous pouvez aller me chercher à Vervins prévenez ma tante de nous préparer à dîner pour deux heures. J'espère emmener à La Capelle pour une journée Monsieur Mathieu et Mr Charles Lecot. Je ne sais pas encore s'ils iraient avec nous de Vervins à La Capelle lundi, ou s'ils iraient seulement me rejoindre mardi. J'attends des nouvelles de Mr Mathieu. Je vous écrirai de nouveau après demain pour vous donner sa décision, afin que vous sachiez avec quelle voiture il faut aller nous chercher. Madame Lecot ne pourra pas y aller parce que son fils est revenu de pension un peu souffrant.

A bientôt donc. J'espère vous trouver tous bien portants.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Mes compliments à mon oncle et ma tante Alfred. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

18. 08. 1872. B 18/11. 2. 13 (inv. 221. 13). Ses parents

Bien chers parents,

J'ai été très occupé depuis mon retour, surtout pour l'organisation de notre oeuvre de patronage. J'ai enfin trouvé à louer à de bonnes conditions un jardin dans lequel nous allons bâtir une belle salle. Je regrette de ne pas avoir papa à St Quentin pour diriger et surveiller cette construction. C'est pour moi un grand souci de moins de n'avoir plus à chercher un local.

Le reste de mon ministère suit son cours ordinaire. L'Assomption a été cette année célébrée très pieusement, et nous avons eu un grand nombre de communions.

J'ai toujours quelque désir d'aller à la fin du mois au congrès des associations catholiques à Poitiers, mais il est très probable que ce désir ne sera pas réalisé.

Je suppose qu'Amélie attend toujours un bout de compliment à débiter à son grand père. Elle pourrait se servir des quatre vers suivants:

Eh! que dirai-je, bon papa,

A ton saint patron pour qu'il t'aime?

Tu nous chéris, ne puis-je pas

Lui dire de t'aimer de même?

Je me réjouis de ce que le beau temps vous permet de finir la maison. Je m'imagine que papa et mon oncle Alfred vont se guérir tous les deux en se promenant chaque jour par ce beau temps.

Donnez-moi bientôt de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout coeur.

                                                Votre dévoué fils          L. Dehon, vic.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les deux espiègles.

26. 08. 1872. B 18/11. 3. 14 (inv. 221. 14). Ses parents

Bien chers parents,

Maman m'écrit de Vervins sans me dire si elle compte y rester longtemps. J'adresse donc ma réponse à La Capelle. J'espère que ma tante obtiendra sa guérison de Notre Dame de Lourdes. On a partout une grande confiance en son intercession et on obtient par elle bien des grâces. Nous avons lu ici l'histoire de l'apparition de N. D. de Lourdes et de ses miracles, au mois de mai, et plusieurs personnes y sont allées depuis en pèlerinage. Il y a même eu ces jours-ci un fait très intéresant. Un monsieur touché de cette lecture était résolu à recourir à l'occasion à N. D. de Lourdes. Il rencontra il y a quelques jours une petite fille aveugle âgée de huit ans et appartenant à une nombreuse et pauvre famille. Il a offert de payer le voyage de l'enfant à Lourdes et d'une personne pour la conduire. L'enfant va partir dans deux jours avec une religieuse.

Notre oeuvre de patronage est ici en très bonne voie. Nous avions hier à la réunion 75 jeunes gens. Je crois que je vais pouvoir organiser aussi un petit cercle catholique. Nos constructions sortent déjà de terre. Nous avons un entrepreneur très dévoué à l'oeuvre et qui nous fera cela au plus juste prix.

Notre bail est fait avec de bonnes conditions. Il est de 3, 6 ou 9 ans à notre choix. Le propriétaire est lié pour 9 ans. De plus pendant ce temps-là il ne peut pas vendre à d'autres, et nous avons une promesse de vente au prix de 20.000 francs payables en dix ans à partir du jour où nous voudrons bien acheter. Le bail est fait au nom de Mr l'archiprêtre. Je n'ai à craindre aucune responsabilité.

L'organisation de cette oeuvre-là me donne beaucoup de besogne. Je serai très occupé de cela pendant plusieurs mois jusqu'à ce que ce soit bien en train. C'est une oeuvre généralement bien appréciée ici et qui est appelée à faire beaucoup de bien.

Je ne crois pas que Madame Fiévet soit ici comme maman me le dit. Toute la famille doit être encore à Paris pour quelque temps. On ne les avait pas prévenus de la maladie de Mr Legrand. Il ne devait y avoir personne d'eux à l'enterrement.

Mr Mathieu et Mr Lecot ont été enchantés de leur réception dans notre pays.

Donnez-moi bientôt des nouvelles de ma tante Juliette.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

11. 09. 1872. B 18/11. 2. 15 (inv. 221. 15). Ses parents

Chers parents,

Je serais allé volontiers à Vervins pour voir ma tante, mais je suis trop chargé de besogne. J'ai écrit hier à mon oncle Félix pour avoir des nouvelles.

Je suis très occupé par ma construction qui grandit petit à petit mais pas aussi vite que je le voudrais. L'oeuvre marche très bien. Nous avions dimanche dernier une réunion de cent jeunes gens. Vous pouvez vous imaginer combien il y a de besogne pour organiser et diriger une oeuvre aussi importante. J'ai eu avant hier la visite de Mr le curé de Buironfosse. Il ira bientôt vous voir et vous donnera des détails sur la construction de notre local.

Nous aurons besoin de panneaux de fonte à jour pour une partie de corridor. Je crois que vous en avez encore deux qui ne vous servent pas depuis plusieurs années. Si vous voulez bien en faire don à notre oeuvre donnez-moi leurs dimensions et je vous écrirai de suite s'ils peuvent faire notre affaire. Vous les enverriez par le messager.

Monsieur Lecot que vous avez reçu à La Capelle vient d'être éprouvé très cruellement. Il a perdu son fils aîné de 14 ans. Il est mort de la méningite après quelques jours de maladie. Ils sont admirables de résignation. Cependant c'est un grand chagrin pour la famille. C'était un enfant charmant comme le petit Pierre que vous connaissez. Il allait entrer en seconde chez les Jésuites à Vaugirard.

J'ai aperçu Madame Fiévet à l'église. Ses enfants craignent de la prévenir de la mort de son frère. Ernestine se plaint de n'avoir pas été avisée de cette mort.

Voici les chaleurs passées, je crois que vous pourrez bientôt m'expédier une feuillette de vin. Le mieux serait peut-être de m'envoyer du vin de Bordeaux qui ait déjà quelques années et que l'on puisse boire de suite. Vous pourrez vous payer avec les cent francs qu'il me reste à recevoir pour cette année. J'ai de quoi vivre ici jusqu'au mois de novembre.

Quand vous irez à Vervins veuillez faire payer chez Flem trois abonnements à la Thiérache pour Mr Cardon, Mr Gespitz et moi et de plus un volume ancien également intitulé la Thiérache que nous avons fait venir pour Mr Cardon, en tout vingt francs. Vous marquerez cela à mon compte.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Dites-moi si mon oncle Alfred est tout à fait remis. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon

P. S. Demandez des reçus chez Flem.

24. 09. 1872. B 18/11. 2. 16 (inv. 221. 16). Ses parents

Chers parents,

Je me trouve toujours très occupé et je n'ai pas le temps de vous écrire souvent. Mon patronage me donne beaucoup de besogne. Nous avons maintenant 150 jeunes inscrits et nos réunions s'élèvent à 125 ou 130. La construction avance assez rapidement. L'entrepreneur fait tout ce qu'il peut. Cependant nous nous trouverons fort gênés pendant le mois d'octobre. Nous n'avons plus qu'un dimanche à passer dans notre local provisoire. Il faudra ensuite nous contenter d'un local inachevé. La cour et le préau vont être prêts dans huit jours. Pour les salles il faut encore au moins un mois. Nous aurons au rez-de-chaussée le patronage, au premier le cercle et un logement de concierge. L'oeuvre est très bien vue à St Quentin. Elle a été louée par les bons et les mauvais journaux.

Nos conditions pour le bail me paraissent bien établies. Le propriétaire ne peut vendre qu'à nous pendant neuf ans. Le prix est fxé à 20.000 francs et nous aurons encore dix ans pour payer du jour où nous achèterons. Nous ne payons pour les trois premières années que 800 francs de loyer. Il est probable que nous achèterons dans deux ou trois ans quand nos constructions seront payées.

Les panneaux que vous nous offrez sont trop petits, ils ne peuvent pas nous servir. Si plus tard on juge que les deux plus grands puissent nous servir, je vous l'écrirai.

Je vous ai envoyé samedi ma caisse de linge.

J'ai eu aujourd'hui la visite de Gaston. Il repart demain pour le Nouvion.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon.

P. S. Siméon m'écrit qu'il sera samedi à La Capelle et lundi à St Quentin.

11. 10. 1872. B 109/2 (inv. 1169.22). Abbé Désaire (Lettre insérée en mai 2003)

+ Saint-Quentin, le 11 octobre 1872

Mon bien cher ami,

Le retard de nos correspondances ne provient certainement que de nos occupations multipliées. Je n'attendais pas de lettre de vous quand je vous savais à La Salette ou au congrès de Paris. Pour moi je serais moins excusable si j'avais autant de force et d'activités que vous, mais il ne me faut pas beaucoup de besogne pour me fatiguer et j'en ai toujours ici plus que je n'en peux faire.

J'aurais voulu être cet été de tous les pèlerinages et de tous les congrès et je n'ai pas pu m'absenter un seul jour.

Depuis deux mois je fais bâtir et vous savez combien c'est absorbant depuis votre fondation des Chateaux. J'ai organisé un patronage d'apprentis qui est en très bonne voie et dont les réunions se tenaient jusqu'à présent dans un local d'emprunt. Il a fallu faire bâtir pour établir l'œuvre définitivement. Je ne suis malheureusement qu'à moitié de mes peines et j'ai encore les maçons pour longtemps. Vous pouvez vous imaginer ce qu'il m'en coûte de temps, d'ennuis et d'argent pour la fondation de cette œuvre et la direction de mes jeunes gens au nombre de cent cinquante, et cela en sus de la besogne ordinaire de la paroisse. C'était ici une œuvre nécessaire et je crois que le bon Dieu m'a envoyé ici pour la fonder.

Nous sommes loin maintenant, mon cher ami, de nos premiers projets que vous me rappelez dans votre lettre. Il s'agissait d'une congrégation dont le centre serait à Rome et le but, l'étude et l'enseignement. Au lieu de cela je suis vicaire à Saint-Quentin et vous des uhlans de l'Eglise. J'ava is été séduit par une belle idée et je n'étais pas apte à la réaliser. Le temps de l'étude est fini pour moi. Je m'y suis rompu la tête et j'ai besoin maintenant d'occupations variées et peu fatigantes. - Quant à vous vous vous êtes laissé entraîner par votre naturel et vous êtes lancé dans l'activité fébrile de la congrégation nîmoise. Le but définitif de votre œuvre tend à se caractériser, me dites-vous. C'est ce que dit son fondateur tous les ans depuis dix ans. D'ailleurs le but que vous m'exposez est excellent, mais il n'est plus celui que nous avions rêvé. Vous vous consolez en voyant ce qu'on entreprend pour les études. N'est-ce pas le contraire qu'il faudrait faire ?

C'en est déjà fini des études de Rome et le p. Alexis qui n'a fait que de la philosophie va diriger à Nîmes les études théologiques. C'est bien là l'Assomption.

La formation du noviciat et des études y est superficielle et si votre congrégation n'y prend garde, elle sera entièrement disloquée quand celui dont le prestige la soutient viendra à lui manquer.

Pour moi je ne voudrais plus me mettre à la charge d'une congrégation avec une santé toujours délicate et qui ne promet pas une longue vie.

J'essaierai de faire ici quelque bien et de sauver mon âme et j'espère que vous m'aiderez par vos prières.

Je ne sais pas quand je pourrai réaliser mon désir de vous voir. Je ne trouve pas le temps d'aller à La Capelle, ni de faire une retraite. Cependant il peut se faire que j'aille à Paris cet hiver. Je serai très heureux et pas du tout gêné d'aller vous voir à l'Assomption.

Je voudrais être comme vous le dites un donateur généreux mais les dettes de mon patronage se comptent par milliers de francs et je suis obligé de lui réserver tout mon superflu. Je veux bien cependant accepter une quinzaine de messes pour que vous puissiez faire venir de Rome les deux volumes que vous désirez.

Il m'en coûte plus que je ne vous le dis d'être séparé de vous, mais je ne vois pas par quelle voie la divine Providence nous réunirait. Ma courte carrière paraît devoir se finir à Saint-Quentin. La vôtre me paraît très incertaine.

Soyons au moins unis de prière et comptons sur l'éternité pour nous retrouver.

Croyez à mon éternelle amitié.

                                                   L. Dehon, vic.

15. 10. 1872. B 18/11. 2. 17 (inv. 221. 17). Ses parents

Chers parents,

Je me laisse comme vous mettre en retard par mes occupations. Nous avons toujours ici quelque travail qui absorbe tous nos instants. Aujourd'hui c'était une conférence ecclésiastique qui me préoccupait depuis quelques jours. Mais ce qui m'a donné le plus de besogne depuis deux mois c'est le patronage. On a de la peine ici comme partout à trouver des ouvriers et ceux que l'on a font le lundi un jour ou deux chaque semaine. Cependant notre construction avance.

Il nous faudrait encore trois semaines de beau temps pour que notre bâtiment soit couvert. Déjà la cour, le préau et les lieux sont terminés et nous avons pu nous réunir là avant hier et le dimanche précédent. L'oeuvre marche très bien. Mr Gobaille est enchanté de sa fondation. J'espère que nous arriverons facilement à payer nos constructions. Une dame m'a fait don dernièrement d'un billard pour mon oeuvre.

Je ne sais pas avec toutes ces occupations quand je pourrai aller vous voir. Il peut se faire cependant que je trouve bientôt le moyen d'aller passer une semaine avec vous.

Un de mes confrères, Mr Chedaille, est allé à Lourdes avec le pèlerinage national. Aujourd'hui Mr Genty, Mr Mathieu et Mr Gespitz sont partis pour le pèlerinage d'Issoudun. C'est moi qui voyage le moins.

J'ai vu plusieurs fois madame Fiévet. Elle est plus résignée qu'autrefois. Elle part demain pour La Capelle.

Je serai heureux de voir papa ici. Ma nouvelle chambre lui plaira. Je m'y trouve fort bien et je ne la changerais pas même pour celle de Mr Mathieu.

Si je ne vous vois pas avant un mois j'espère que vous pourrez m'envoyer 500 francs vers le mois de novembre.

J'ai fait mettre mon vin en bouteilles. Je le trouve bon. Je désidérerais que vous m'envoyez ausi à l'occasion deux ou trois litres de liqueur.

Comment est organisé votre asile? Amélie y sera-t-elle avec les enfants du peuple?

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

18. 10. 1872. B 82/1 (inv. 1102.01) Un ancien compagnon de Sta Chiara

Mon bien cher ami,

Je suis très touché de la charité qui a dicté votre aimable lettre. Vous avez de moi une trop bonne opinion. Je n'ai pas mérité la grâce d'être religieux. Je l'ai toujours désiré, mais le bon Dieu ne l'a pas voulu.

J'avais songé à Nîmes et le P. Freyd consentait, bien qu'à regret, à m'y laisser aller. Le P. d'Alzon voulait alors s'occuper sérieusement de l'enseignement supérieur et je me croyais une vocation pour cela. J'ai reconnu bientôt que le P. d'Alzon suivrait toujours son penchant naturel à chercher des oeuvres et des idées nouvelles. J'ai renoncé à l'Assomption et le P. Freyd m'a engagé à rester dans mon diocèse.

Je lui ai reparlé depuis de vocation religieuse. Il me répond obstinément que ma place est ici. Que la volonté de Dieu soit faite (Mt 6, 10). Je ne suis pas digne de mieux.

Du reste ma santé toujours incertaine s'accommode assez des occupations faciles et variées du ministère et je ne voudrais pas être à charge à une congrégation à laquelle je rendrais peu de services.

Il y a ici comme partout beaucoup de bien à faire, et j'y trouverai bien si je veux le moyen de me sanctifier et de sauver bien des âmes. Puissé-je ne pas m'engourdir dans la tiédeur!

Mon bonheur est de m'occuper des enfants. J'ai pu organiser un patronage de jeunes apprentis qui réunit chaque dimanche cent cinquante jeunes gens de 12 à 18 ans. Je recommande cette oeuvre à vos prières.

Je ne sais pas ce que le bon Dieu veut de moi dans l'avenir. Je suis prêt à le servir aussi longtemps qu'il voudra, mais je suis très porté à penser qu'il ne me laissera pas longtemps sur la terre.

Je n'ai pas besoin de vous dire combien j'ai été heureux en apprenant votre belle vocation. Le P. Freyd m'avait dit il y a bien longtemps qu'il vous croyait appelé à la vie religieuse. Il avait craint plus tard que vous n'y arriviez pas. Je suis sûr qu'il rend grâce à Dieu de vous y voir.

Je continue comme vous de réciter la petite prière quotidienne dont nous étions convenus. Les souvenirs de Ste Claire sont les meilleurs de ma vie. J'ai eu dernièrement des nouvelles du P. Freyd. MM. Bernard et Rogerot ont dû subir leur examen de doctorat à la fin d'août. M. Bernard et Mr Pineau seront encore du Séminaire l'an prochain.

Adieu, mon cher ami. Ne m'oubliez pas dans vos prières. Tout à vous en N. S. L. Dehon, vic.

( En addition, de la main du P. Dehon: On a retrouvé cette lettre au noviciat. Je ne sais comment elle s'est égarée. Peut-être tiendrez-vous à en prendre connaissance, quoique bien tard)

24. 10. 1872. B 18/11. 2. 18 (inv. 221. 18). Ses parents

Chers parents,

J'arrive à l'instant de Liesse où je suis allé passer quelques heures pour visiter un patronage et un cercle qui marchent très bien.

Parti ce matin à 6h j'étais à 9h à Liesse. J'étais heureux de dire la messe au sanctuaire de la Ste Vierge pour m'unir aux pèlerinages qui ont eu lieu partout. J'ai bien prié pour vous et remercié Dieu des grâces que N. D. de Liesse vous a déjà obtenues. J'ai dîné au petit séminaire et j'étais de retour à 5h.

Il y a là dans un bel établissement un patronage qui réunit le dimanche tous les enfants de la paroisse de 12 à 16 ans et un cercle catholique de 100 membres. Le directeur est le P. Jésuite qui est curé de la paroisse. J'avais besoin de voir son local et de causer avec lui.

Ici notre oeuvre marchera bien. Nous aurons un sermon de charité le 3 novembre. Je vais m'occuper de trouver des dames quêteuses. Notre loterie se tirera le 14 novembre.

Je me suis occupé de la protégée de Madame la Comtesse Caffarelli. Je me suis informé chez les petites-soeurs, chez les Soeurs de Charité et à l'hôtel-Dieu. On ne peut la prendre ni d'un côté ni de l'autre. Les petites-soeurs ne veulent absolument que des vieillards. On me dit qu'il serait plus facile de la placer à Paris. J'écrirai demain quelques mots à Madame de Caffarelli.

Je serais très heureux de voir maman à la fin du mois. Elle peut descendre chez Jules Demont ou chez Mr Lecot près du vicariat. Madame Lecot serait très contente de la recevoir. Madame Demont la mère n'a pas de lit d'ami.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon.

29. 10. 1872. B 18/11. 2. 19 (inv. 221. 19). Ses parents

Chers parents,

Je vous envoie quelques mots aujourd'hui parce que maman me paraît désirer une réponse de suite.

Vous savez sans doute que mon oncle et ma tante Longuet ne sont pas venus à la foire. Monsieur et Madame Née étant souffrants tous les deux les ont priés de remettre leur voyage. Ils vont mieux maintenant. Je suis allé pour les voir aujourd'hui, ils étaient sortis.

Notre construction marche lentement. Nous arrivons à la charpente. Je serai bien heureux si c'est couvert dans quinze jours. Je prends tous les moyens pour réunir des ressources. Notre loterie réussit assez bien. Le sermon de charité sera prêché par un Père jésuite. La quête de dimanche prochain à tous les offices sera faite pour notre oeuvre par des dames de la meilleure société de St Quentin.

J'ai reçu ma caisse de linge samedi. Mes chemises neuves vont assez bien. Il faudrait seulement rétrécir d'un centimètre le col et les poignets. Pour le devant il suffit d'y mettre deux boutons au lieu de trois. Je renverrai la caisse samedi.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

07. 11. 1872. B 18/11. 2. 20 (inv. 221. 20). Ses parents

Chers parents,

L'organisation de mon oeuvre me donne toujours beaucoup de besogne. Le sermon de charité et la quête à la paroisse ont assez bien réussi. J'avais pu trouver huit dames quêteuses. Le R. P. Letierce a très bien parlé. La quête a produit plus de 600 francs. Je réunirai cette année au moyen de cette quête, de la loterie, d'une souscription et des secours qui nous sont accordés par les oeuvres de Paris, de 5.000 à 6.000 francs. Mais notre construction nous coûtera environ 15.000 francs. Nous aurons recours chaque année aux mêmes moyens et nous espérons payer la construction en trois ans. Il faudra ensuite acheter et payer le terrain. Vous voyez que ce n'est pas une petite entreprise.

Nos travaux n'ont pas marché la semaine dernière à cause du mauvais temps. Ils ont repris avec vigueur cette semaine et nous serons bientôt à l'abri. On achève aujourd'hui la corniche et on prépare la charpente.

Notre loterie nous donnera environ 1.800 francs. Il y a environ 300 lots qui nous ont été donnés. J'ai encore des billets à placer. Il ne coûtent que 0, 25c. Si quelqu'un de vos amis en désirent, envoyez-moi leur offrande et j'inscrirai leurs noms sur nos listes de billets. Vous pouvez m'adresser cela en timbres-poste.

Toute la famille Demont va bien. Madame Jules a fait une chute de voiture mais il n'y paraît plus. Jules Demont est bien portant. Son oeil est tout à fait perdu, mais il n'en souffre pas.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

11. 11. 1872. B 18. 11. 2. 21 (inv. 221. 21). Ses parents

Bien chers parents,

Je vous envoie une feuille de numéros de loterie. Vous aurez le temps de les placer tous car le tirage est remis à la fin du mois. Nous n'avons pas de billets imprimés. Quelques dames ont commencé la loterie avec ces feuilles manuscrites avant de m'en parler. Il a fallu continuer de même. Cette loterie nous donnera au moins 2.000 francs. Le sermon n'a pas produit beaucoup parce qu'on a donné beaucoup déjà cette année et qu'il y a plus de trente oeuvres pour lesquelles les personnes charitables souscrivent chaque année. Mais ce sermon a l'avantage de faire connaître le Patronage à toute la ville et j'espère que les ressources ne nous feront pas défaut.

J'ai vu aujourd'hui monsieur Née et je l'ai trouvé bien affaissé et bien vieilli. Ils n'ont pas de nouvelles du Nouvion. Si mon oncle Longuet n'était pas pour venir bientôt je vous prierais de m'envoyer cent francs dans quelques jours par la poste.

Ernestine Fiévet vient de louer une grande maison pour agrandir son pensionnat qui est chaque année plus nombreux. Madame Demont vous envoie ses amitiés.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils L. Dehon.

25. 11. 1872. B 18. 10. 21 (inv. 219. 21). Palustre (copie manuscrite P. Dehon)

                                                                                       Cf. NHV IX, 143sq

… Tu es heureux de pouvoir te livrer ainsi à l'étude. Pour moi, en me laissant conduire par la Providence, je suis devenu homme d'action, malgré le goût que j'avais pour le travail de bureau. Mes occupations extérieures me laissent à peine le temps d'étudier les questions relatives à mon ministère et d'entretenir mes connaissances théologiques pour que mes prédications ne deviennent pas trop vide de science. Je ne sais ce qui m'est réservé pour l'avenir; mais pour le moment il faut que je m'en tienne à cela. Le temps que me laisse mon ministère est absorbé, comme tu le sais, par l'importante fondation d'un Patronage et d'un Cercle d'ouvriers. Depuis trois mois je fais bâtir et on commence seulement à couvrir notre construction. L'oeuvre marche très bien. J'ai plus de 150 jeunes associés. Mais c'est une grosse besogne. J'ai un devis de construction de 15.000 f et le terrain m'en coûtera 20.000. Je n'ai encore pu réunir que 6.000f même en recourant à une loterie et à un sermon de charité. Le reste se paiera petit à petit avec les secours de la Providence. La ville est très favorable à cette oeuvre, à l'exception de quelques communards. Ces oeuvres d'ouvriers qui surgissent et s'organisent en beaucoup de villes sont avec les prières pour la France, des gages d'espérance pour l'avenir…

02. 12. 1872. B 18/11. 1. 22 (inv. 221. 22). Ses parents

Chers parents,

Il y a longtemps que je n'ai eu de vos nouvelles. J'ai appris par ma tante Mathilde qu'Henri et Laure étaient à Paris. Reviendront-ils par St Quentin? J'irai peut-être la semaine prochaine passer deux ou trois jours avec vous. Si je le puis, je vous préviendrai dimanche et je partirai lundi par Vervins comme les autres fois.

Mon oeuvre marche toujours bien et obtient les sympathies de toute la ville. La loterie nous a rapporté 2.600 f. On l'a tirée jeudi dernier. Votre liste a gagné quatre petits lots.

N° 8632: Une grande photographie. Vue de St Quentin.

   8653:  un paquet de pain d'épices
   8633: deux dessous de lampes
   8691:  un petit chapelet.

Malheureusement notre construction n'avance pas. On commence seulement à couvrir. Nos murs auraient beaucoup souffert si la gelée était venue de bonne heure, parce qu'ils sont très humides. Une fois couverts ils seront sauvés.

Nous avions hier à la réunion 110 jeunes ouvriers très heureux de s'exercer à la gymnastique, de jouer à divers jeux et de faire l'exercice avec des fusils de bois, et disposés presque tous à faire une bonne communion pour la fête de l'Immaculée Conception.

Je suis toujours très occupé et je le serai longtemps par l'organisation de cette oeuvre qui s'ajoute à ma besogne ordinaire.

Ecrivez-moi bientôt. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.

Je vous embrasse de tout coeur. Votre dévoué fils. L. Dehon, vic.

16. 12. 1872. B 18/11. 2. 23 (inv. 221. 23). Son père

Mon cher père,

Je m'étonne fort du prix de 1f 50 le mètre dont parle Mr Deswarte. Les carreaux rouges ordinaires coûtent environ 2f 40c le mètre ou 6, 50 le cent. Monsieur Boch de Louvroil à qui j'ai écrit me dit que le prix de son troisième choix est de 6f 66 le mètre. Il me le laisse cependant à 5f 50 en raison de la quantité qu'il me faudrait et de l'oeuvre à laquelle ils sont destinés. J'ai écrit de nouveau à Mr Boch pour lui demander s'il ne peut me fournir en même temps qu'à Fourmies, et j'ai écrit à Mr Deswarte pour lui demander de s'assurer s'il serait possible d'en avoir à 1f 50 ou 2f le mètre. J'attends la réponse pour décommander s'il est encore temps les carreaux que l'entrepreneur avait achetés.

Je regrette de n'être pas revenu par Maubeuge pour voir moi-même et m'assurer du prix.

On va demain mettre le parquet du premier à notre construction. J'espère que nous serons clos pour Noël.

Je t'embrasse de tout coeur. Ton dévoué fils L. Dehon, vic.

Embrasse toute la famille pour moi.

30. 12. 1872. B 18/11. 2. 24 (inv. 221. 24). Ses parents

Bien chers parents,

Le bon Dieu va nous donner une nouvelle année pour gagner le ciel, puissions-nous la remplir de bonnes oeuvres! Je suis pour ma part bien résolu à faire tout ce que je pourrai. Les fêtes de Noël ont augmenté mon courage. Elles me rappellent tant de grâces reçues de Dieu surtout depuis quelques années. C'est l'anniversaire de mes premières messes et des jours heureux que nous avons passés ensemble à Rome.

Noël est une fête qui produit chaque année et partout des prodiges de grâce. Ici même nous avons eu un très grand nombre de communions et quelques conversions. Je voudrais voir papa renouveler chaque année sa communion de Noël qu'il a faite si volontiers à Rome.

Mon oeuvre marche très bien. A Noël nos jeunes gens ont presque tous fait la sainte communion. Ils sont toujours très nombreux. Nous pouvons maintenant braver l'hiver, notre grande salle est vitrée et plafonnée. Il n'y manque plus que le pavage qui ne se fera pas attendre. Je n'ai pas pu avoir de carreaux mosaïques. Mr Deswarte a pris la peine d'aller à Cateau et il m'a écrit qu'il y en avait de très avantageux sans m'en dire le prix. J'y ai envoyé moi-même et j'ai constaté que les moins chers coûtent 4f le mètre pris au Cateau. Ce serait pour notre salle une augmentation de 400 ou 500 francs. Vous comprenez que les dettes me pèsent trop pour que je les augmente encore. Je vais faire mettre de suite un carrelage ordinaire. Je prie papa de rembourser à Mr Deswarte les frais que je lui ai occasionnés et de le remercier beaucoup pour moi.

J'ai reçu une excellente lettre du P. Freyd. Il me parle d'un désir de l'évêque d'Agen, ancien élève de Rome, de m'avoir près de lui, mais il préfère que je sois ici pour le moment, afin d'acquérir de l'expérience dans le ministère et de mener à bonne fin l'oeuvre que j'ai commencée. Veuillez ne pas parler de cette offre de Mgr d'Agen.

J'ai aussi des nouvelles de Palustre, il va m'envoyer un jeune baron protestant de Hollande qui veut se convertir au catholicisme et qui passera quelques jours à St Quentin.

On a enterré hier le frère de Mr Née. Il était malade depuis bien des années et dans une position de fortune fort modeste.

Offrez mes souhaits de bonne année à Maman Dehon. Je désire que vous la gardiez bien portante au milieu de vous. Embrassez pour moi Henri, Laure et les enfants. Je vous souhaite à tous le ciel après une vie pleine de mérites. Je vous embrasse de tout coeur.

Votre dévoué fils L. Dehon, vic.

J'enverrai samedi ma caisse avec les étrennes des enfants.