217.14

B18/9.1.14

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Alexandrie 29 décembre 64

Chers parents,

Nous sommes enfin au courant: par un merveilleux hasard, j'ai pris ici au passage la lettre que vous m'adressiez à Thèbes. Certain alors, que vous m'aviez envoyé la lettre de crédit, j'ai découvert le correspondant de M. Flury-Erard (sic), et là j'ai appris qu'il avait reçu avis, le 5 de ce mois, de la lettre de crédit; celle-ci avait été perdue par la poste; j'ai télégraphié à M. Flury-Erard qui a répondu de suite de nous remettre deux mille francs à valoir et il enverra par le prochain courrier un duplicata de la lettre pour le reste.

Fatigué par notre incertitude et notre impatience et manquant d'argent, j'avais envoyé le quinze une dépêche à Vervins pour que mon oncle nous fît ouvrir un crédit par télégramme; c'était coûteux, mais cela valait mieux que de dépenser inutilement de fortes sommes dans une ville où tout est hors de prix. Le même jour, j'écrivais à mon oncle et à vous1.

Maintenant tout est arrangé et si vous avez écrit ici quelque nouvelle lettre, elle nous suivra au Caire.

Nous partirons demain matin pour le Caire, joyeux de continuer enfin notre route2; je crois que nous visiterons de suite l'Isthme de Suez; nous y verrons M. de Lesseps: il y est en ce moment.

Nous avons fait ici la connaissance du consul général, M. Tastu, fils de Madame Amable Tastu, écrivain célèbre3, et aussi d'un aimable jeune homme, Van Lennep, fils du consul de Hollande à Smyrne.

Quand nous aurons parcouru le Nil et étudié ses merveilles, nous nous dirigerons vers Jérusalem, but de notre voyage: nous y passerons les fêtes de Pâques, puis nous songerons au retour; nous n'avons pas le moindre désir de franchir le Caucase.

Je ne rencontrerai probablement pas Émilien Thomas4.

J'écrirai du Caire à mon oncle Alfred5 et peut-être à mon oncle Longuet6; j'ai déjà écrit à Paris et à Vervins7.

Je rapporterai de l'eau du Jourdain pour baptiser mon premier neveu8.

C'est à Jérusalem que vous enverrez la prochaine lettre de crédit: vous pourrez la prendre de 8.000 francs; vous la chargerez pour qu'elle soit plus soignée9, et vous l'adresserez au consulat de France. Ne l'expédiez qu'au milieu de Mars.

Bon an et bonne santé, bon an à maman Dehon, à Laure et à Henri et à mes autres parents; un souvenir à la famille Fiévet10.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Je vous écrirai prochainement du Caire.

1 Cf. LD 13 note 2.

2 Séjour forcé à Alexandrie du 8 au 31 décembre (cf. LD 13). En VO V, pp. 1 rº - 15 rº; NHV III, 59-64.

3 Mme Tastu Amable (1795-1885): poète romantique, de type lamartinien: «Les Oiseaux du Sacre» (1825) - «La chevalerie française» (1821) - «La Chronique de France» (1829) - ouvrages divers pour enfants.

4 Cf. LD 10 note 6.

5 Alfred Dehon, oncle paternel de Léon (après Hippolyte et Gustave).

6 Charles Longuet, époux de Juliette-Mathilde (Vandelet), tante maternelle de Léon et père de Laure, femme d'Henri. Il habitait au Nouvion (à 10 km de La Capelle).

7 À Paris, l'oncle Joseph-Hippolyte cf. LD 9 note 5; à Vervins, l'oncle Félix (cf. LD 13 note 2).

8 En fait, ce sera une nièce: Marthe, fille d'Henri et de Laure, née le 17 août et baptisée le 12 septembre par M. Boute avec Léon pour parrain.

9 Une lettre «chargée» est une lettre qui contient des valeurs.

10 Cf. LD 11 note 5.