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B18/9.1.16

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Sur le Nil 22 janvier 1865

Chers parents,

S'il m'était facile de vous écrire souvent, je ne trouverais rien à regretter sur le Nil: avec une organisation confortable, nous jouissons d'un climat délicieux. Notre bâtiment a vingt mètres sur cinq; il est bon voilier; dix hommes d'équipage le conduisent. Ajoutez à cela un drogman, un domestique et un cuisinier. Avec deux jeunes gens dont nous avons fait la connaissance au Caire, nous disposons de quatre alcôves et un salon1.

Pendant que la barque file avec le vent, nous suivons des yeux sur la rive les villages abrités sous les palmiers et les champs fertiles de maïs et de coton. Nous avons toujours à midi 25 degrés de chaleur à l'ombre, et le soir, pendant que vous vous chauffez en serrant de près le feu, nous rêvons sur notre pont sous un ciel toujours étoilé, dans ce pays où l'on chante la nuit comme chez nous le printemps.

Je n'ai pas besoin de vous parler de la sûreté du Nil: sa civilisation est trop grande déjà, car ses rives se couvrent d'usines et d'instruments aratoires à vapeur, dont la fumée fait tache sur le bleu du ciel.

Nous nous arrêtons peu en montant; cependant, nos compagnons chassent et nous rapportent tous les jours quelque oiseau nouveau, la huppe, l'ibis, la colombe, le rollier aux plumes d'un vert bleuâtre et bien d'autres.

Nous étudions tout à loisir l'antiquité égyptienne dans nos livres, et au retour nous visiterons les temples, palais et tombeaux que nous apercevons en passant.

Il ne manque sur le Nil que l'organisation de la poste, et mes lettres vous parviendront irrégulièrement par l'entremise des consuls2.

Nous serons de retour au Caire vers le 1er mars; c'est alors que nous irons à Suez et de là à Jérusalem.

Vous pouvez m'écrire encore au Caire. Puis c'est à Jérusalem que vous nous expédierez la prochaine lettre de crédit de 10.000 francs. Vous l'adresserez, comme toutes les autres en Orient, au consulat de France; il faut qu'elle parte de France vers le 1er mars.

Palustre s'excuse de l'embarras que ses commissions vous donnent et il vous prie de faire payer à l'occasion son loyer de janvier3.

Quoique je fasse tous mes efforts pour ne pas songer à l'ennui, je sens que je serai bien heureux le jour où je rentrerai près de vous avec de nombreux matériaux pour l'étude, des notes, des dessins et d'immenses souvenirs.

Il me coûte beaucoup de recevoir si peu de vos nouvelles.

Je vous souhaite une santé comme la mienne, car jamais je ne me suis si bien porté.

J'écris à mon oncle Alfred pour lui témoigner combien je compatis à ses regrets; j'ai été très émotionné à la pensée de la douleur qu'a dû ressentir ma tante4.

Je vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri et maman Dehon.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Pourquoi ma mère s'inquiète-t-elle? Je lui promets d'être prudent et lui garantis qu'il n'y a rien à redouter. Je la supplie en l'embrassant encore que ses lettres soient plus confiantes et moins tristes.

1 Du 12 au 22 janvier: du Caire à Maufalut sur le Nil. En VO V, 35 vº - 44 vº; NHV III, 75-84. Un «drogman» est un interprète.

2 La lettre suivante (LD 17) est du 1er mars. Léon n'est sûrement pas resté cinq semaines sans essayer d'écrire à ses parents. Mais ces lettres, peut-être jamais arrivées, n'apparaissent pas dans le dossier.

3 Cf. LD 9 et LD 10.

4 Cf. LD 14 note 5. Il s'agit sans doute de quelque deuil (enfant?) dans cette famille de l'oncle Alfred.