218.35

B18/9.2.35

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 14 janvier 67

Chers parents,

Bien qu'il n'y ait que huit jours que je vous ai écrit, j'ai besoin de m'entretenir un peu avec vous pour consoler ma chère mère de sa maladie, qui ne sera pas longue, j'espère, et aussi pour demander pardon à mon cher père de la peine que je lui ai faite1. Je fais une neuvaine à Notre-Dame des Victoires pour que maman se guérisse promptement et j'ai bien confiance qu'elle obtiendra cette grâce.

En apprenant, cher père, que ton fils est heureux et d'un bonheur plus pur et plus parfait que celui que donnent les richesses et les honneurs du monde, tu seras heureux aussi et tu ne regretteras plus qu'il ait suivi cette voie où Dieu lui a fait la grâce de l'appeler.

La peine que tu ressens est la suite d'une erreur et quand tu l'auras reconnu, tu me béniras et tu rendras grâce à Dieu et tu me sauras gré d'avoir été contre ton désir.

Tu regrettes pour moi les honneurs et les richesses et tu crois que mon affection pour toi est diminuée. Eh bien, tu te trompes. La dignité de prêtre ne prive pas des honneurs, car elle est la plus honorable qu'on puisse avoir sur la terre. Les prêtres sont les représentants de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont l'empire des âmes et tous les matins, à leur appel, Notre-Seigneur descend sur l'autel au Saint Sacrifice. Il y a mille fois plus de gloire à dire une seule messe qu'à régner sur le plus grand empire du monde. Oh! si tu avais une foi bien vive, comme tu sentirais la grandeur de cette dignité, que les Pères de l'Église disent bien plus sublime et plus éminent que celle des anges eux-mêmes. Le prêtre est le ministre de Dieu lui-même à l'autel; il rougit ses lèvres tous les jours du sang de Notre-Seigneur, il a le pouvoir admirable de remettre les péchés et les princes eux-mêmes se mettent à ses genoux et lui demandent grâce, sous peine de souffrir le feu éternel, s'ils méprisent son ministère. Oh! oui, cette dignité est effrayante et si je n'y étais appelé par Dieu, je n'oserais y aspirer, car j'en suis bien indigne.

La dignité de prêtre ne prive pas non plus des vraies richesses et l'Écriture Sainte s'écrie souvent que «la part des lévites est belle et que leur héritage est grand»2. Notre héritage surpasse celui de qui que ce soit au monde, car c'est Dieu lui-même. C'est lui que nous aimons, que nous cultivons et que nous cherchons à faire naître dans les âmes. C'est un héritage que ne détruisent ni les incendies, ni les autres fléaux qui ruinent les hommes, et quant à ce qui est matériel, il veille lui-même à ce que nous n'en manquions pas. Si le monde juge autrement l'honneur et la richesse, le monde est aveugle, pourquoi l'écouterais-tu? Les honneurs et les richesses du monde sont une bonne chose sans doute quand on en use selon Dieu, avec justice et bienfaisance, comme tu as su le faire et comme on le fait dans les bonnes familles. Mais combien sont plus heureux, plus honorés et plus riches ceux que Dieu appelle à la dignité du Sacerdoce, dignité qui augmentera même leur couronne de gloire dans les cieux.

Quant à mon affection pour vous, elle est plus vive et plus vraie que jamais. Je n'aurai jamais d'autre famille et je serai plus entièrement à vous. Jamais je n'ai prié pour vous avec plus d'ardeur, ni je n'ai mieux ressenti toute la reconnaissance que je vous dois et tout l'amour filial que vous méritez. Bénissez donc Dieu avec moi et remerciez-le, et après avoir fait une petite concession au monde en vous chagrinant de ma vocation, reconnaissez que c'est une immense faveur du ciel et ne me retranchez rien de votre affection.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.

Je vous embrasse de tout cœur et à grands bras.

Votre bien dévoué fils

L. Dehon

Envoyez-moi quelques timbres-poste, s'il vous plaît. Mr Poisson et Palustre vous présentent leurs respects.

1 La peine de son entrée dans la cléricature par la tonsure et les ordres mineurs reçus en décembre précédent.

2 Cf. le «Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei - Le Seigneur est ma part d'héritage et de mon calice», chanté à l'ordination. (Ps. 16, 6)

Rome 14 janvier 67

Chers parents,

Bien qu'il n'y ait que huit jours que je vous ai écrit, j'ai besoin de m'entretenir un peu avec vous pour consoler ma chère mère de sa maladie, qui ne sera pas longue, j'espère, et aussi pour demander pardon à mon cher père de la peine que je lui ai faite<sup>1</sup>. Je fais une neuvaine à Notre-Dame des Victoires pour que maman se guérisse promptement et j'ai bien confiance qu'elle obtiendra cette grâce.  
En apprenant, cher père, que ton fils est heureux et d'un bonheur plus pur et plus parfait que celui que donnent les richesses et les honneurs du monde, tu seras heureux aussi et tu ne regretteras plus qu'il ait suivi cette voie où Dieu lui a fait la grâce de l'appeler.  
La peine que tu ressens est la suite d'une erreur et quand tu l'auras reconnu, tu me béniras et tu rendras grâce à Dieu et tu me sauras gré d'avoir été contre ton désir.  
Tu regrettes pour moi les honneurs et les richesses et tu crois que mon affection pour toi est diminuée. Eh bien, tu te trompes. La dignité de prêtre ne prive pas des honneurs, car elle est la plus honorable qu'on puisse avoir sur la terre. Les prêtres sont les représentants de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont l'empire des âmes et tous les matins, à leur appel, Notre-Seigneur descend sur l'autel au Saint Sacrifice. Il y a mille fois plus de gloire à dire une seule messe qu'à régner sur le plus grand empire du monde. Oh! si tu avais une foi bien vive, comme tu sentirais la grandeur de cette dignité, que les Pères de l'Église disent bien plus sublime et plus éminent que celle des anges eux-mêmes. Le prêtre est le ministre de Dieu lui-même à l'autel; il rougit ses lèvres tous les jours du sang de Notre-Seigneur, il a le pouvoir admirable de remettre les péchés et les princes eux-mêmes se mettent à ses genoux et lui demandent grâce, sous peine de souffrir le feu éternel, s'ils méprisent son ministère. Oh! oui, cette dignité est effrayante et si je n'y étais appelé par Dieu, je n'oserais y aspirer, car j'en suis bien indigne.  
La dignité de prêtre ne prive pas non plus des vraies richesses et l'Écriture Sainte s'écrie souvent que «la part des lévites est belle et que leur héritage est grand»<sup>2</sup>. Notre héritage surpasse celui de qui que ce soit au monde, car c'est Dieu lui-même. C'est lui que nous aimons, que nous cultivons et que nous cherchons à faire naître dans les âmes. C'est un héritage que ne détruisent ni les incendies, ni les autres fléaux qui ruinent les hommes, et quant à ce qui est matériel, il veille lui-même à ce que nous n'en manquions pas. Si le monde juge autrement l'honneur et la richesse, le monde est aveugle, pourquoi l'écouterais-tu? Les honneurs et les richesses du monde sont une bonne chose sans doute quand on en use selon Dieu, avec justice et bienfaisance, comme tu as su le faire et comme on le fait dans les bonnes familles. Mais combien sont plus heureux, plus honorés et plus riches ceux que Dieu appelle à la dignité du Sacerdoce, dignité qui augmentera même leur couronne de gloire dans les cieux.  
Quant à mon affection pour vous, elle est plus vive et plus vraie que jamais. Je n'aurai jamais d'autre famille et je serai plus entièrement à vous. Jamais je n'ai prié pour vous avec plus d'ardeur, ni je n'ai mieux ressenti toute la reconnaissance que je vous dois et tout l'amour filial que vous méritez. Bénissez donc Dieu avec moi et remerciez-le, et après avoir fait une petite concession au monde en vous chagrinant de ma vocation, reconnaissez que c'est une immense faveur du ciel et ne me retranchez rien de votre affection.  
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.  
Je vous embrasse de tout cœur et à grands bras.  

Votre bien dévoué fils

L. Dehon

Envoyez-moi quelques timbres-poste, s'il vous plaît. Mr Poisson et Palustre vous présentent leurs respects.

1 La peine de son entrée dans la cléricature par la tonsure et les ordres mineurs reçus en décembre précédent.

2 Cf. le «Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei - Le Seigneur est ma part d'héritage et de mon calice», chanté à l'ordination. (Ps. 16, 6).