216.01

B.18/8.1

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

Du P. Freyd à Mr Dehon

Rome, ce 8 février 1867

Monsieur,

Le vif et très affectueux intérêt que,le porte à votre excellent fils, notre élève, m'auto­rise à vous adresser ces quelques lignes qui, je l'espère, ne vous déplairont pas. Je tiens à vous remercier de la bonne lettre que vous venez d'écrire à votre bon Léon. Il est ve­nu me la communiquer et j'ai partagé avec lui la joie que lui cause la certitude que son digne père a surmonté le chagrin occasionné par l'ordination de Noël.

Cette ordination, mon digne Mr Dehon, a été pour votre fils si pleine de grâces et de bonheur qu'il me serait impossible de vous en donner une idée juste. Son âme surabon­dait de consolation, heureuse au-delà de toute expression de s'être donnée à Dieu. Ce bonheur cependant était troublé ensuite par la lecture de la lettre que vous lui aviez adressée à cette époque. Il me vint les larmes aux yeux et me lut votre missive. je suis si heureux, me dit-il, et mon pauvre père souffre! et c'est ce qui fait mon bonheur qui fait sa peine! Oh! - s'il savait combien je suis heureux de m'être donné à Dieu, lui qui ne veut que mon bonheur, il ne s'attristerait plus!

J'ai consolé ce pauvre enfant, qui dans ses prières pour vous a cherché et trouvé le calme. Je pensais un instant vous écrire pour vous faire part de l'effet de votre lettre et vous suggérer la pensée de lui en envoyer une autre. J'en fus empêché et je vois mainte­nant que vous avez, par le seul mouvement de votre coeur paternel, fait ce dont je vou­lais vous prier.

Vous pouvez être sans crainte aucune pour l'avenir de notre bon abbé Léon. Il y a longtemps que je suis directeur de séminaire et je puis dire que je n'ai jamais rencontré une vocation plus solidement établie. Elle m'avait paru telle dès son entrée chez nous et à la fin de l'année scolaire 1866, j'aurais voulu pouvoir récompenser la grande piété, l'amour du travail et de la plus édifiante régularité de notre cher élève, en lui faisant donner la tonsure que recevaient ses autres confrères. Sachant cependant que votre dé­sir était que Mr Léon revint en vacances avec l'habit laïque, j'ai différé son ordination, jugeant bien convenable qu'il fit en faveur de la volonté de son digne père le sacrifice demandé. Je dis sacrifïce, car c'en fut un véritable, mais qui a été fait généreusement par le fils en vue de la satisfaction qu'en éprouverait le père.

Sans doute, Monsieur, que rien ne pressait et que nous aurions pu attendre encore avec les ordinations. Néanmoins la vocation de ce cher ami étant on ne peut plus certaine et les condisciples ayant pris la première ordination depuis l'année dernière, puis aussi ne voulant priver plus longtemps cet élève, qui est un de nos meilleurs, des grâces vraies que confèrent les ordres, je l'ai fait avancer. La crainte de vous déplaire ne m'a point arrêté. Je me suis dit et j'ai dit à Mr Léon: «Si votre excellent père, qui n'agit que par affection pour vous, savait ce que je sais, il me dirait tout le premier: Faites avec mon fils ce que vous croyez bon devant Dieu».

Permettez-moi, bien cher Monsieur, d'ajouter à ces explications que nous regardons

votre fils comme l'enfant de la maison. Il a et il mérite toute notre affection. Pour moi, ma grande satisfaction est de penser qu'en lui votre diocèse aura un des prêtres les plus pieux et les plus capables, et sa famille un membre ecclésiastique qui lui fera le plus grand honneur.

Veuillez agréer et faire agréer à Mme Dehon le sentiments bien respectueux de votre

tout humble serviteur

M. Freyd - Supérieur