1169.22

B 109/2

11. 10. 1872.

(Lettre insérée en mai 2003)

Abbé Désaire

+ Saint-Quentin, le 11 octobre 1872

Mon bien cher ami,

Le retard de nos correspondances ne provient certainement que de nos occupations multipliées. Je n'attendais pas de lettre de vous quand je vous savais à La Salette ou au congrès de Paris. Pour moi je serais moins excusable si j'avais autant de force et d'activités que vous, mais il ne me faut pas beaucoup de besogne pour me fatiguer et j'en ai toujours ici plus que je n'en peux faire.

J'aurais voulu être cet été de tous les pèlerinages et de tous les congrès et je n'ai pas pu m'absenter un seul jour.

Depuis deux mois je fais bâtir et vous savez combien c'est absorbant depuis votre fondation des Chateaux. J'ai organisé un patronage d'apprentis qui est en très bonne voie et dont les réunions se tenaient jusqu'à présent dans un local d'emprunt. Il a fallu faire bâtir pour établir l'œuvre définitivement. Je ne suis malheureusement qu'à moitié de mes peines et j'ai encore les maçons pour longtemps. Vous pouvez vous imaginer ce qu'il m'en coûte de temps, d'ennuis et d'argent pour la fondation de cette œuvre et la direction de mes jeunes gens au nombre de cent cinquante, et cela en sus de la besogne ordinaire de la paroisse. C'était ici une œuvre nécessaire et je crois que le bon Dieu m'a envoyé ici pour la fonder.

Nous sommes loin maintenant, mon cher ami, de nos premiers projets que vous me rappelez dans votre lettre. Il s'agissait d'une congrégation dont le centre serait à Rome et le but, l'étude et l'enseignement. Au lieu de cela je suis vicaire à Saint-Quentin et vous des uhlans de l'Eglise. J'ava is été séduit par une belle idée et je n'étais pas apte à la réaliser. Le temps de l'étude est fini pour moi. Je m'y suis rompu la tête et j'ai besoin maintenant d'occupations variées et peu fatigantes. - Quant à vous vous vous êtes laissé entraîner par votre naturel et vous êtes lancé dans l'activité fébrile de la congrégation nîmoise. Le but définitif de votre œuvre tend à se caractériser, me dites-vous. C'est ce que dit son fondateur tous les ans depuis dix ans. D'ailleurs le but que vous m'exposez est excellent, mais il n'est plus celui que nous avions rêvé. Vous vous consolez en voyant ce qu'on entreprend pour les études. N'est-ce pas le contraire qu'il faudrait faire ?

C'en est déjà fini des études de Rome et le p. Alexis qui n'a fait que de la philosophie va diriger à Nîmes les études théologiques. C'est bien là l'Assomption.

La formation du noviciat et des études y est superficielle et si votre congrégation n'y prend garde, elle sera entièrement disloquée quand celui dont le prestige la soutient viendra à lui manquer.

Pour moi je ne voudrais plus me mettre à la charge d'une congrégation avec une santé toujours délicate et qui ne promet pas une longue vie.

J'essaierai de faire ici quelque bien et de sauver mon âme et j'espère que vous m'aiderez par vos prières.

Je ne sais pas quand je pourrai réaliser mon désir de vous voir. Je ne trouve pas le temps d'aller à La Capelle, ni de faire une retraite. Cependant il peut se faire que j'aille à Paris cet hiver. Je serai très heureux et pas du tout gêné d'aller vous voir à l'Assomption.

Je voudrais être comme vous le dites un donateur généreux mais les dettes de mon patronage se comptent par milliers de francs et je suis obligé de lui réserver tout mon superflu. Je veux bien cependant accepter une quinzaine de messes pour que vous puissiez faire venir de Rome les deux volumes que vous désirez.

Il m'en coûte plus que je ne vous le dis d'être séparé de vous, mais je ne vois pas par quelle voie la divine Providence nous réunirait. Ma courte carrière paraît devoir se finir à Saint-Quentin. La vôtre me paraît très incertaine.

Soyons au moins unis de prière et comptons sur l'éternité pour nous retrouver.

Croyez à mon éternelle amitié.

L. Dehon, vic.