CHRONIQUE (Janvier 1891)

Le Roi des rois et le Maître des maîtres. - Nous passions derniè­rement à Florence et nous aimions à revoir là un des témoignages les plus frappants du règne de Jésus-Hostie dans les siècles de foi. Les Médi­cis ont laissé deux palais à Florence, le Vieux-Palais (Palazzo Vecchio) et le Palais Pitti, qu'ils ont acheté plus tard. Le Vieux-Palais est leur œuvre, il doit exprimer dans ses dispositions leurs mœurs, leurs coutumes, leur esprit. Or ils ont fait sculpter, au-dessus de la porte principale, une Hostie rayonnante avec cette inscription: Rex regum et Dominus dominan­tium, le Roi des rois et le Maître des maîtres. L'Hostie est marquée du nom de Jésus. Deux lions semblent l'adorer et la garder. Tout ce tableau est facile à interpréter: l'Hostie sacrée, c'est le Roi des rois, le vrai roi de ce palais et de cette nation. Les princes invoquent sa protection et lui promettent leurs services. Tel était l'esprit de la société toute entière dans les siècles chrétiens. Le signe de la foi était partout, sur les palais, sur les étendards et les armoiries, sur les édifices municipaux, dans les rues et dans les habitations. Il avait la place d'honneur. Nous avons tous présents à notre souvenir la Vierge Marie qui domine au front du palais ducal Venise et à la façade de l'hôtel-de-ville d'Anvers, la statue de saint Michel qui surmonte l'hôtel-de-ville de Bruxelles, et cent autres exem­ples de la foi publique des nations et des cités d'Europe. Mais ce sont là des monuments d'un autre âge. Nous avons marché depuis lors. On peut suivre nos étapes en visitant nos palais nationaux. Au palais de saint Louis, c'est la Sainte-Chapelle qui domine, les appartements sont modestes. A Versailles, la chapelle est encore riche et brillante, guère plus que le théâtre cependant, et elle est dominée par les salons. Aux Tuileries, la chapelle était encore au centre du palais, mais elle n'était pas apparente à l'extérieur. A l'Elysée, elle est dans un angle écarté et les araignées y peuvent travailler à leur aise. Cherchez un signe religieux au nouvel hôtel-de-ville de Paris. A Rome on a remplacé la croix du capito­le par une statue de Minerve. Voilà nos progrès. Cependant le Sacré­-Cœur a dit: « Je régnerai malgré mes ennemis». Tous les amis du Sacré­-Cœur doivent travailler à ce règne. Qu'ils arborent le Sacré-Cœur sur leurs portes par les plaques de consécration; dans leurs appartements, par des images bénites; et qu'ils fassent tout ce qui dépend d'eux pour contribuer au culte extérieur et au règne social du Christ, en prenant part aux processions, aux pèlerinages, aux illuminations des fêtes de Marie, à toutes les manifestations de la foi publique et sociale.

«Je régnerai». - Nous venons de rappeler la parole du Sacré-­Cœur: «Je régnerai malgré mes ennemis». Cette prophétie s'accomplit manifestement. Il y a un progrès prodigieux de ce règne depuis vingt ans. La grande secousse politique de 1870 en a été l'occasion, le Vœu national en a été le point de départ. Avant 1870, il n'y avait guère d'au­tre église vouée au Sacré-Cœur que celle de Moulins; depuis lors, il s'en est fondé un assez grand nombre. Rome deux, celle des Salésiens dans les quartiers neufs et celle des Missionnaires d'Issoudun à la place Navo­ne. Plusieurs de nos villes ont pris le Sacré-Cœur pour titulaire des pa­roisses nouvelles, dont la fondation était provoquée par l'accroissement de la population. Des chapelles de communauté surtout ont été offertes en grand nombre au Sacré-Cœur. Pour qui voyage un peu, il est un fait frappant, c'est le nombre infini d'autels, de statues, de tableaux du Sacré-Cœur placés dans nos églises depuis vingt ans. Dans les pays de foi, en Belgique, en Hollande, dans la Prusse rhénane, dans le Piémont, on trouverait difficilement aujourd'hui une église qui n'ait pas son signe de dévotion au Sacré-Cœur. En France, c'est presque aussi général, au moins dans les villes; cependant il y a encore une ou deux cathédrales qui sont en retard d'un quart de siècle; il n'y a donc pas là quelque per­sonne pieuse pour prendre l'initiative d'une souscription pour le Sacré­-Cœur? Aimons à espérer que cela ne tardera point.

Regrets. - Il y a des deuils patriotiques bien sensibles. Les juifs pleurent encore très réellement chaque vendredi auprès des ruines du temple de Jérusalem. Nous souffrons depuis vingt ans en France de la perte de nos belles provinces de l'Est. Mais les deuils religieux sont-ils moins sensibles? Toutes ces églises arrachées au culte par l'athéïsme so­cial et l'influence maçonnique, n'est-ce pas comme des provinces per­dues pour Notre-Seigneur Jésus-Christ? Les unes sont livrées à des sec­tes révoltées, comme les églises de Genève. Les autres sont gardées par des employés de l'Etat qui en font des musées, comme la belle chartreuse de Naples et plusieurs églises et monastères d'Italie. D'autres ne sont plus livrées au culte qu'à de rares intervalles, comme notre sainte Cha­pelle de Paris, l'église de la Sorbonne, diverses chapelles de lycées, de collèges ou d'hôpitaux laïcisés. D'autres enfin, mises sous les scellés ou simplement fermées au culte, sont le refuge des insectes, des chauves­souris et des animaux rongeurs. Hélas! tout cela s'accomplit au nom de la liberté. Que les catholiques se réveillent, s'unissent! Ils sont nom­breux, mais ils ne savent pas agir.

La ligue catholique en Allemagne. - Voilà un bon exemple et un signe d'espérance. C'est une ligue véritable. Elle ne prendra pas les ar­mes, mais elle agira par ses ressources, par les œuvres, par la parole, par la presse. Les catholiques d'Allemagne s'organisent sous la présidence d'honneur de leur vaillant chef politique, M. Windthorst et sous la pré­sidence de fait de M. Brandts, un grand manufacturier catholique de Gladbach. La ligue aura son budget assuré par des souscriptions annuel­les de 1 fr. 25. Il y a longtemps que la franc-maçonnerie et l'Internatio­nale ont cet impôt de capitation, et c'est avec cela qu'elles ont remporté tant de victoires. L'appel adressé à la nation allemande est éloquent. Le péril est grand, la crise est profonde. Tout est menacé, l'autel et le trône, la liberté, la propriété, le foyer domestique. Il est temps de sortir de l'apathie. Plus tard, on se réveillerait dans les fers et dans la ruine. Al­lons, catholiques de France et d'Italie, une ligue semblable ne vous est guère possible, il est trop tard, vous avez trop accepté les chaînes. Ce­pendant, voyez, et faites l'équivalent, en vous unissant sous des noms divers, pour aider les œuvres ouvrières, les œuvres sociales, la bonne presse, les écoles libres. Plus vous tardez, plus le mal devient incurable, plus le remède devient difficile.

CHRONIQUE (Février 1891)

A nos Lecteurs. - Nos abonnés s'empressent de renouveler leur abonnement, merci! Nous nous efforcerons davantage encore de les satisfaire et de répondre à leur attente. L'avenir est au Sacré-Cœur de Jésus. Il conquiert nos sanctuaires, nos foyers, il veut conquérir les na­tions elles-mêmes. Dans nos foyers, avec son image doit se trouver quel­que Revue qui parle de Lui, des progrès de son règne, et qui redise ses désirs, ses plaintes et ses promesses. Puissons-nous porter tous les mois quelques étincelles du feu sacré de l'amour de Notre-Seigneur au cœur de nos lecteurs! Puissions-nous leur porter un rayon d'espérance, un en­couragement, un trait de lumière, par le récit de ce que font en divers pays les amis du Cœur de Jésus pour promouvoir son règne!

Rome et le Sacré-Cœur de Jésus. - Depuis longtemps le Cœur de Jésus se révélait aux fidèles de Rome, par une foule de reliques sacrées qui leur rappelaient les battements de ce Cœur divin, comme la sainte Crèche, la table de la Cène, l'escalier du Prétoire, la colonne de la Fla­gellation, le Manteau de pourpre, la sainte Face, la vraie Croix, la Lan­ce de Longin, l'index de saint Thomas. je pourrais ajouter les corps mê­mes des Apôtres, témoins si directs des battements de ce Cœur sacré.

Il se révélait encore aux Romains par Lui-même dans la sainte Eucha­ristie, qui est, à Rome, plus abondamment offerte, conservée et distri­buée, que partout ailleurs.

Il se révélait dans des manifestations mystiques aux saints de Rome, comme Il l'a fait pour la bienheureuse Marguerite-Marie: à sainte Ca­therine de Sienne, à saint Léonard de Port-Maurice, à saint Paul de la Croix, à sainte Hyacinthe de Mariscottis, au bienheureux Raineri.

Mais cela ne lui suffisait pas. Il voulait que son image y devînt popu­laire. Elle y règne maintenant absolument. Il n'y a presque plus une église qui n'ait cette image. Les autels du Sacré-Cœur sont les plus vi­vants, les plus ornés dans chaque église. Ils ont leurs lampes de dévotion, les messes s'y disent de préférence, les fidèles y vont prier. Il est clair que les cœurs des prêtres et des fidèles sont gagnés et que Rome est acquise au règne d'amour du Sacré-Cœur. Dans les familles aussi, dans les sa­lons des prélats, l'image du Sacré-Cœur est partout à la place d'hon­neur.

L'image en vogue, c'est la peinture de Battoni, partout copiée et re­produite. Elle devient une image traditionnelle. On en voit rarement une autre à Rome. C'est elle qu'on trouve neuf fois sur dix dans les égli­ses. Par exception, l'église des Pères d'Issoudun a la statue française. Celle des Salésiens et celle de Notre-Seigneur de Paix ont l'apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie. A la Trinité des monts, chez les Da­mes du Sacré-Cœur, c'est le Christ en pied et nous ouvrant ses bras. A Sainte-Anne, c'est le Sacré-Cœur pénitent pour nous, de Dijon. A Sainte-Dorothée, c'est une imitation de nos images un peu trop senti­mentales: le Christ au Sacré-Cœur est entouré de colombes qui volent vers lui, l'une d'elles est logée dans la plaie de son Cœur. Beaucoup d'églises ont mis aussi un cœur sur la poitrine de Jésus-Enfant. A Sainte-Marie in Via, le Christ porte sa croix en même temps qu'il mon­tre son Cœur.

Le Sacré-Cœur de Battoni est bien fait pour captiver les âmes pieuses. Le Christ y a une grâce et une beauté touchantes. Il est représenté à mi­corps. Il paraît un peu jeune; son regard est doux et aimant. Ses deux mains nous montrent son Cœur.

Battoni est un peintre de Lucques, il vivait de 1708 à 1787. Il appar­tient comme Carlo Dolci à une époque qui exagérait un peu le senti­ment; mais au moins ces deux peintres sont restés purs et chrétiens dans leurs œuvres, pendant que leurs émules en France, Wateau, Boucher et Frangonard, tombaient dans un sensualisme tout païen.

Est-il étonnant que le règne du Sacré-Cœur atteigne plus prompte­ment sa plénitude à Rome qu'ailleurs?

Non, Rome est le cœur de l'Eglise. C'est là que la vie de l'Eglise est la plus intense et la plus ardente. C'est de là que l'Eglise envoie les élé­ments de sa vie à toutes les parties de son corps mystique. Est-il étonnant que le Cœur du Sauveur se manifeste auprès du cœur de l'Eglise son épouse? L'Eglise est l'œuvre spéciale du Cœur de Jésus et la divine émanation de son amour. L'Eglise est sortie du Cœur de Jésus au Cal­vaire comme Eve est née du côté d'Adam, les Pères de l'Eglise l'ont sou­vent rappelé. Comment n'y aurait-il pas une union particulière du Cœur de Jésus avec Rome, qui est le centre de l'Eglise, la source du sa­cerdoce, de la doctrine et de la charité? Les sources mystiques du Cœur de Jésus sont ouvertes plus largement à Rome qu'ailleurs, il était juste que cela se manifestât par le culte de ce divin Cœur et de son image. Puisse ce divin Cœur rendre bientôt à cette ville sacrée qui est le cœur de l'eglise son épouse, sa sainte indépendance et sa pleine liberté!

Pompéï. - La France a Lourdes. L'Italie avait Lorette et cent au­tres sanctuaires à Marie. La très sainte Vierge est extrêmement bonne et miséricordieuse pour cette terre qui possède le siège du Vicaire de Jésus­Christ, elle vient de se choisir en Italie un nouveau trône de grâces. Il y a quinze ans, une modeste image de Notre-Dame du Rosaire était offerte à l'église paroissiale de Valle di Pompéï. Bientôt cette image toucha les cœurs. Les fidèles priaient là volontiers. Quelques grâces marquées y furent obtenues, le pèlerinage était fondé. Il a grandi. La petite église est devenue grande basilique toute resplendissante de marbres et d'autres richesses artistiques. On s'y rend de toute l'Italie. Les guérisons extraor­dinaires s'y multiplient.

Le Saint-Siège a pris à cœur ce nouveau sanctuaire, il vient de lui accorder une faveur exceptionnelle, en le mettant directement sous la juridiction du Souverain Pontife et en lui donnant un Cardinal protec­teur.

L'image de Notre-Dame du Rosaire de Pompéï se reproduit dans beaucoup d'églises d'Italie. On veut l'avoir partout, parce que le Sainte­Siège accorde une indulgence plénière à qui la visitera en quelque église ou chapelle qu'elle soit exposée. Mais Marie conduit à Jésus. Les fêtes du centenaire de la Bse Marguerite-Marie ont donné aux fondateurs et bienfaiteurs de cette église, l'heureuse pensée d'y élever un magnifique autel au Sacré-Cœur de Jésus et à sa confidente Marguerite-Marie. Cet autel se fait, il sera digne du Sacré-Cœur. Une belle prière au Sacré-­Cœur de Jésus, honoré à Pompéï, se répand en Italie. Nous en donnons la traduction; elle est approuvée:

«O Cœur doux et humble de Notre-Seigneur! Abîme d'amour et source de toutes les grâces! Oh! combien nous vous sommes reconnais­sants de ce que vous avez daigné de nos jours, par une manifestation sensible de votre bonté divine, choisir la vallée de Pompéï, autrefois do­minée par votre ennemi, pour y établir le trône de vos grâces, y soulager nos peines et y abriter notre foi qui menaçait de faire naufrage. Par un excès d'amoureuse condescendance, vous avez voulu auprès du trône de votre divine Mère et de l'autel de votre Père adoptif, un autre autel en votre honneur. Pour l'amour de votre Mère, Reine des victoires, qui nous a conduits à vous, source inépuisable de miséricorde et de paix; pour l'amour de saint Joseph, dans les bras duquel vous preniez douce­ment votre sommeil, étant enfant; pour l'amour de votre fidèle servante Marguerite-Marie, que vous voulez glorifier aussi dans le sanctuaire de Pompéï, comme la révélatrice des trésors de salut cachés dans votre Cœur divin; pour l'amour infini de ce Cœur lui-même par lequel vous avez promis toutes grâces; écoutez mes gémissements, exaucez mes sup­plications et les prières de ces innocentes orphelines qui forment la cour de votre Mère autour de son trône de Pompéï et qui y prient chaque jour selon les intentions de votre Cœur adorable. Sauvez tous ceux qui con­courent à ériger votre autel au sanctuaire de Pompéi. Convertissez le monde, que Satan essaye d'arracher de votre Cœur, et spécialement les âmes qui vous sont consacrées, dont les infidélités blessent plus profon­dément et plus cruellement votre Cœur. Convertissez à votre amour mon âme qui vous est consacrée depuis son baptême. Faites que ce qui me reste de vie soit une continuelle réparation pour la douleur que vous a causée la vue de mes péchés. O Cœur généreux, ô Cœur bienfaisant de mon Dieu, entre autres grâces, je demande encore celle-ci: que je voie la disciple bien-aimée de votre Cœur couronnée de l'auréole des saints; et pour son amour et par son intercession accordez-moi la grâce que je sollicite aujourd'hui. Ainsi soit-il».

Quelques-uns de nos lecteurs désireront peut-être des images ou des notices de Notre-Dame du Rosaire de Pompéï, voici l'adresse à laquelle ils devront écrire: «M. Bartolo Longo, à Valle di Pompéi, Italie».

La question sociale. - La question sociale devient plus menaçante. Il y a une nouvelle Internationale secrète qui groupe les ouvriers de tou­tes les nations. La manifestation du 1er mai se reproduira et s'étendra. Le socialisme dispose d'une force immense. Ni les lois ni les armées ne suffiront à l'arrêter. C'est un mal immense et profond. Le remède doit être appliqué aux âmes elles-mêmes par la diffusion de la justice et de la charité du Cœur de Jésus. Le souverain Pontife nous a donné l'éveil. L'organisation catholique en Allemagne fait déjà trembler le socialisme. La Belgique prépare un nouveau congrès international à Malines pour l'étude de ces grandes questions. Le Cardinal Manning à Londres est confiant dans l'avenir, il rentrevoit au XXe siècle le règne de la charité du Christ dans une nouvelle organisation sociale. En France les Œuvres sont multiples et admirables, mais il nous manque une forte organisa­tion, il nous manque des chefs. Dieu veuille nous donner un Windthorst qui sache grouper toutes les forces des catholiques. Nous engageons nos pieux lecteurs à prier pour cela. Le Cœur de Jésus seul peut inspirer aux ouvriers la patience, le sacrifice, l'obéissance, et aux maîtres la justice, la charité, le zèle. En dehors de là, il n'y a point d'autre solution que la lut­te et la domination d'une classe par une autre. La domination du peu­ple, comme dans toutes les révolutions, c'est l'anarchie.

Ascétisme. - L'ascétisme chrétien a ses courants de grâces, ses pé­riodes, ses aspects toujours variés dans une indestructible unité. Le Sacré-Cœur de Jésus imprime son cachet à l'ascétisme contemporain, c'est un des caractères du règne du Sacré-Cœur. Il est quelques vertus spéciales à cette dévotion qui seront désormais proposées de préférence aux fidèles par les prédicateurs de la parole divine et par les livres ascéti­ques. Ce sont les vertus demandées spécialement par Notre-Seigneur à Marguerite-Marie.

On peut diviser ces vertus propres à la dévotion au Sacré-Cœur en trois groupes, qui correspondent aux diverses phases de la vie de Notre­Seigneur: sa vie cachée, sa Passion, sa vie eucharistique. Au premier groupe appartiennent l'humilité, la douceur, la modestie, la prière, la vie cachée, la paix intérieure; au second, l'abnégation, la réparation, l'immolation, le sacrifice, la pénitence; au troisième, la charité, le zèle, l'action de grâces, l'amour de l'Eucharistie et du sacerdoce.

Nous reviendrons souvent sur cette pensée. Elle est d'ailleurs au fond de tout l'enseignement de cette Revue.

CHRONIQUE (Mars 1891)

Belgique. - La famille royale de Belgique est bien éprouvée. Si quelque chose peut la consoler de la perte du prince Baudouin, c'est l'unanimité et la profonde sincérité du deuil de la nation. Il y a là le signe d'une union réelle entre la Belgique et sa jeune dynastie. Nous nous as­socions au deuil et aux prières de nos nombreux abonnés belges, et nous demandons avec eux pour la Belgique la grâce d'avoir toujours des sou­verains vraiment catholiques. Nous avons voulu donner une place dans notre Chronique a ce douloureux évènement, mais nous ne nous éten­dons point, puisque plus haut est un article spécial sur ce sujet.

L'union catholique. - L'union catholique est difficile à organiser en France; mais elle se fera, il le faut. On le comprend bien ici, à Rome, où nous écrivons cette chronique1). Le Saint-Père veut cette union politi­que des catholiques en France. Il la recommande aux évêques. Il la re­commandait ces jours-ci à deux députés conservateurs qui étaient admis à l'audience pontificale. Il y a bien des causes de notre inertie actuelle. La principale est peut-être la division politique. Aussi le Saint-Père nous invite-t-il fortement à laisser sommeiller nos préférences politiques. L'intérêt de la religion prime tous les autres. Nous avons en Allemagne un grand exemple. Qu'auraient fait les députés du centre catholique s'ils s'étaient cantonnés dans des intrigues politiques en faveur du Hanovre, de la Pologne et de l'Alsace? Leur action aurait été stérile. Sans abdiquer leurs préférences, ils ont laissé dormir des questions qui n'avaient pas de solution possible et ils ont fait avec succès de la politique catholique. Fai­sons de même. Il le faut, le salut de la France catholique l'exige, - Un autre obstacle, c'est le tempérament monarchiste des conservateurs en France. Ils sont habitués à tout attendre d'un sauveur et du pouvoir cen­tral. Mais ce temps est passé. La démocratie aura sa place dans tous les gouvernements de l'avenir. On ne remontera pas ce courant. Il faut donc s'organiser. Il faut soutenir les écoles catholiques, ranimer les pa­roisses et surtout s'occuper des ouvriers. Ce sont là les intentions du Saint-Père. C'est donc la volonté de Dieu. Mettons-nous à l'œuvre pour Dieu et pour la France.

Les catholiques allemands. - L'Allemagne, redisons-le, nous don­ne l'exemple. Là, les catholiques sont fortement organisés et bien unis à leurs évêques, qui sont eux-mêmes agissants et unis entre eux. Le centre catholique a su choisir son chef, M. Windthorst, et il marche avec disci­pline sous sa direction. Toute l'Allemagne vient de rendre un juste hom­mage à ce preux champion de l'Eglise et de la civilisation chrétienne, à l'occasion de ses quatre-vingts ans. Une ligue populaire catholique va contrebalancer la franc-maçonnerie en Allemagne. Il faut qu'en France aussi nous arrivions là. N'est-ce pas humiliant pour la fille-aînée de l'Eglise d'être devancée par les nations voisines?

Quito. - La Basilique nationale du Sacré-Cœur à Quito se met en bonne voie. Ce sont les Missionnaires du Sacré-Cœur d'Issoudun qui ont la direction de cette œuvre. Une chapelle provisoire est ouverte. De beaux plans sont adoptés. Le gouvernement équatorien donnera une contribution annuelle. Les évêques organisent des collectes. L'exemple de l'Equateur sera suivi bientôt par plusieurs des républiques de l'Amé­rique du Sud qui élèveront aussi des églises votives au Sacré-Cœur.

Rome. - Rome a toujours ses sanctuaires et l'attrait incomparable de ses Basiliques, de ses reliques, de ses catacombes, mais elle est comme veuve de son Pontife. Le Père commun et les enfants sont séparés com­me s'ils habitaient bien loin. Le pape ne peut plus voir ses enfants, sortir au milieu d'eux, les bénir, célébrer avec eux les solennités de l'Eglise, vi­siter les sanctuaires de sa ville pontificale. Le Pontife est prisonnier, nous ne prions pas assez pour sa délivrance. Les premiers chrétiens priaient bien autrement pour saint Pierre et un ange le tira de sa prison. - Ro­me est morne aux jours de fête. Les rares pèlerins qui s'y trouvent vont à Saint-Pierre. Ils cherchent instinctivement les solennités d'autrefois, le Pontife, la splendeur des offices, les chants incomparables; mais il n'y a plus rien, rien que le modeste office des chanoines dans leur chœur. On éprouve là quelque chose de la tristesse de Jérusalem pendant la captivi­té de Babylone. - La dynastie de Savoie sent bien qu'elle est ici campée provisoirement. Le roi le dit quelquefois, paraît-il, dans l'intimité… Il n'est plus roi d'ailleurs: toute l'autorité appartient aux Loges, dont Cris­pi est le chef. La divine Providence punira dans cette dynastie ses atten­tats contre le siège du Vicaire de Jésus-Christ. - Rome n'est point pros­père. Le commerce y végète et les impôts sont écrasants. Les juifs y de­viennent tout-puissants. Ils ont les journaux, les banques, les grands ma­gasins, les chemins de fer. Ils achètent le sol. Ils entrent dans les admi­nistrations, les Chambres, les universités. Les juifs, les francs-maçons et les révolutionnaires sont faits pour s'entendre. Ils forment ensemble l'anti-christianisme.

La franc-maçonnerie. - On se demande parfois quelle est bien la doctrine de la franc-maçonnerie. L'histoire nous prouve qu'elle n'a qu'un principe, combattre l'Eglise du Christ. Autrefois, sa sympathie était pour l'évangile mutilé du protestantisme. Plus tard, quand les dog­mes et la morale de ce demi-christianisme parurent encore ardus aux esprits révoltés, qui adoptèrent le vague déisme des philosophes, la franc-maçonnerie devint déiste. Elle proclama avec Robespierre son nouveau Credo réduit à deux articles: l'existence de l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme. Mais c'était encore trop pour l'impiété. Ces deux dogmes philosophiques génaient la libre morale des impies. Ils de­mandèrent la dispense de tout joug et de toute loi morale au matérialis­me brutal et au panthéisme nébuleux. La maçonnerie les a suivis fidèle­ment, et ces doctrines, les plus abaissées que l'âme humaine puisse con­cevoir, sont maintenant les siennes, celles des Loges, celles des journaux de la secte. Le véritable Antéchrist, le démon voudrait plus encore, il voudrait un culte formel en son honneur. Il y arrive, paraît-il, dans cer­taines Loges plus avancées que les autres. C'est vraiment alors le ves­tibule de l'enfer.

Un sénat. - Nous assistions dernièrement à une cérémonie touchan­te. C'étaient les funérailles du Révérendissime Père Larroca, supérieur général des Dominicains. Les obsèques avaient lieu à Sainte-Marie de la Minerve à Rome. Suivant un usage qui est une marque d'union frater­nelle entre deux grands Ordres, le général des Franciscains officiait. Plu­sieurs cardinaux et ambassadeurs y assistaient, puis une magnifique couronne d'environ 200 vénérables religieux, de tout costume, la plu­part supérieurs d'Ordres, de Congrégations ou de maisons religieuses. C'était le sénat du clergé régulier. Il faut une circonstance comme celle­là pour le trouver réuni. J'ai été vivement impressionné de voir ce sénat d'hommes vénérables, pieux, au visage intelligent et ascétique, vêtus de laine ou de bure, plusieurs ayant une longue barbe et la tête rasée. Et c'est contre ces hommes et leurs œuvres que légifèrent d'autres sénats et des assemblées politiques où ne manquent pas, dans certains groupes, les visages vulgaires, sensuels, haineux et inintelligents! C'est la perpé­tuelle réalisation de la prophétie de l'Evangile: «Ecce ego mitto vos sicut agnos inter lupos ».

Les Frères du Sahara. - C'est une œuvre nouvelle du cardinal La­vigerie, une œuvre pleine d'espérance. Il s'agit d'un ordre religieux demi-militaire, demi-agriculteur. Les Frères, formés à Biskra sous la di­rection des Pères Blancs, établiront des postes de proche en proche dans le Sahara. Ils protégeront les populations paisibles, les défendront contre les pillards, leur enseigneront la culture, les arts et métiers de la civilisa­tion. Voilà la vraie manière de conquérir le Soudan. Les Frères feront des vœux de cinq ans. S'ils restent dans l'œuvre, ils y trouveront des soins dans leur vieillesse. Les constitutions de l'Ordre sont un modèle de sagesse chrétienne. Dieu veuille bénir cette entreprise nouvelle du vail­lant cardinal!

CHRONIQUE (Avril 1891)

Le Pape. - Il était beau, le Pontife, quand nous avons eu le bonheur de le voir le 2 février. Il donnait l'audience d'usage, à tous les Supérieurs généraux d'Ordres religieux ainsi qu'aux Supérieurs des divers Chapi­tres de Rome et des églises nationales. Il recevait l'offrande annuelle des cierges de la Chandeleur. Cette audience, donnée au moment même ou s'accentuait la persécution fiscale contre les religieux en France et contre les œuvres pies en Italie, était particulièrement touchante. Le Pape était là comme un roi qui recevait les officiers de ses troupes d'élite, mais il avait le ton et les paroles d'un père aimant et compatissant pour ses fils éprouvés et persécutés.

Il était bien beau aussi à la grande audience du 2 mars, quand il rece­vait les hommages du Sacré-Collège à l'occasion de l'anniversaire de son couronnement. Son discours redisait les hautes vertus du Saint Pontife et Docteur Grégoire le Grand, dont nous célébrons le centenaire en ce mois de mars; et tous ses auditeurs spontanément faisaient un parallèle entre l'éminent Pontife qu'ils écoutaient et le grand Pape du VIe siècle. Grégoire le Grand s'appliqua à conserver et à défendre la foi, il prodigua ses soins aux églises d'Orient. Il envoya des hommes apostoliques en Angleterre, il n'épargna aucun sacrifice pour rendre la liberté aux escla­ves; enfin il protégea l'Italie contre les Lombards d'Agilulfe et contre les exactions des représentants de L'Empire d'Orient. Léon XIII aussi dé­fend la foi contre les erreurs contemporaines; il favorise les missions, particulièrement en Orient et en Angleterre; il travaille puissamment à la suppression de l'esclavage; enfin il voudrait rendre la paix et la pros­périté à l'Italie, dont les Papes ont toujours été les meilleurs protec­teurs.

En dehors de ces grandes audiences et en maintes occasions, le Pape rappelle aux Evêques et aux hommes politiques qu'il reçoit, la nécessité d'organiser l'union des catholiques pour lutter avec succès et préparer la victoire, dans la grande crise religieuse qui agite les nations modernes et particulièrement la France.

C'est le règne de Jésus-Christ, le règne du Sacré-Cœur, qui est l'ob­jectif de notre Saint Pontife, quand il travaille à la paix sociale entre les classes et entre les nations, quand il prépare le règne de la civilisation et de la charité par les missions catholiques et par l'abolition de l'esclavage.

La France et la crise de la foi. - Il s'agit de savoir si la France res­tera chrétienne ou si elle cessera de l'être: telle est la vraie question posée depuis un siècle. «C'est ainsi que l'éminent Archevêque de Paris, s'éle­vant au-dessus des vues étroites des partis politiques, résume la grande crise contemporaine. La lumière se fait sur le péril que nous courons et sur sa gravité. Le Souverain Pontife ne cessait d'appeler l'attention de la France catholique sur ce danger suprême. Tous nos Evêques lui font écho. C'est une croisade qu'il faut organiser contre les sectes ma­çonniques qui sont aujourd'hui le grand ennemi de l'Eglise et des na­tions chrétiennes. Cet ennemi est à l'assaut, il a fait plus d'une brèche à la place par les lois désastreuses portées contre l'enseignement chrétien, les congrégations religieuses et les immunités des séminaristes. Nos ar­mes doivent être celles que la Constitution et les libertés politiques nous laissent en mains: les élections, la presse, la propagande. Des comités s'organisent déjà, paraît-il, dans un grand nombre de départements, pour répondre à l'appel du Pape et des Evêques et organiser l'union ca­tholique en vue des élections à venir. Nous avons pour nous encourager, l'exemple des catholiques d'Allemagne et de Belgique. Il nous faudra dix ans, vingt ans peut-être pour triompher, mais le succès est assuré si nous persévérons.

L'éminent Archevêque de Paris nous montre, en terminant sa lettre magistrale, le signe d'espérance et le gage du succès: c'est le Sacré­Cœur de Jésus. Il nous engage à tourner nos regards vers le sanctuaire de Montmartre, à chercher là le secours de Dieu dans la prière et l'exem­ple de la charité, de toutes les vertus, dans le Cœur de Jésus, pour le re­lèvement social et la restauration de la France chrétienne. Il nous rappel­le le souhait patriotique, et nous ajouterons prophétique, que formait le vénérable Cardinal Guibert, en posant la première pierre de l'église du Vœu national au Sacré-Cœur: «Ce que nous demandons, disait-il, c'est la conversion de la France; non la conversion à telles ou telles opi­nions, mais sa conversion ou plutôt son retour à la foi chrétienne, aux espérances éternelles, à l'amour de Dieu, qui embrasse et comprend aus­si l'amour des hommes. Ainsi la pacification sociale est au terme de l'œuvre dont nous poursuivons la réalisation».

La Belgique. - Le vaillant rédacteur d'un de nos meilleurs jour­naux catholiques d'Europe, le Bien public de Gand, remarque avec raison que la lettre du Cardinal Richard sur les devoirs politiques et sociaux des catholiques mérite d'être méditée par les catholiques du monde entier. La pensée maîtresse qui illumine toute cette consultation aboutit, com­me l'observe justement le Bien public, à dégager la cause de l'Eglise de tous les accidents, de toutes les contingences, politiques et dynastiques, qui peuvent la circonscrire et l'amoindrir. Les luttes contemporaines qui réclament le concours et le dévouement des catholiques, dépassent, et de très haut, les formes de gouvernement et les dissentiments de partis.

Il s'agit de bien autre chose que d'une question monarchique ou de l'organisation de l'électorat. Il s'agit de se prononcer entre le Christ et l'Antichrist, entre l'Eglise et la Franc-maçonnerie. Il s'agit de savoir s'il y a lieu d'expulser définitivement le Christianisme de la civilisation mo­derne ou s'il faut, au contraire, la réintroduire avec l'influence à laquelle il a droit. Dans cette situation le devoir des chrétiens est clairement tra­cé. Ils n'ont pas en vain reçu le baptême: ils doivent confesser et défen­dre leur foi, non seulement dans l'intimité de la vie domestique, mais au milieu même du forum et des agitations de la vie publique. C'est l'union étroite des catholiques dans la vie sociale, dans la défense de l'Eglise, de sa liberté, de ses associations religieuses, de ses écoles, de ses œuvres, qui ramènera la plénitude du règne social de Jésus-Christ dans les na­tions chrétiennes.

La crise sociale. - Les socialistes préparent leur démonstration ré­volutionnaire du ler mai. Les catholiques, que nous voudrions voir plus actifs encore, s'appliquent de leur côté à remédier à la crise sociale, dont la seule solution se trouve dans la justice et la charité chrétienne. Le Saint-Père prépare une encyclique décisive sur cette question. La doctri­ne catholique sur l'organisation sociale et économique du travail est mise chaque jour en lumière par nos Evêques et par nos Congrès catholiques. Le Cardinal Manning en particulier a formulé, en trois lettres différen­tes, le programme social appelé à rendre la paix et le bien-être aux clas­ses laborieuses. Ce programme se résume en cinq points;

1° La mère de famille doit rester au foyer, le contrat sacré du mariage s'oppose à tout nouveau contrat d'intérêt qui en serait une violation. Quant aux autres femmes, huit ou dix heures de travail, c'est tout ce qu'elles peuvent donner. Le travail dans les mines et pendant la nuit doit leur être interdit.

2° Les enfants ne doivent pas être astreints à un travail suivi et péni­ble, avant la fin de leur éducation.

3° Pour les ouvriers adultes, le Cardinal Manning pense que, pour les travaux industriels et les mines, une journée de dix heures peut être prudemment acceptée.

4° Le repos du dimanche doit être assuré par la loi.

5° Enfin la réglementation du travail doit être complétée par l'orga­nisation du travail. Cette organisation, le Cardinal Manning la deman­de non à l'Etat, comme font les socialistes, mais à l'association libre re­connue et favorisée par le pouvoir. Ces associations sont fécondes et pa­cifiques lorsque maîtres et ouvriers s'unissent ensemble en confraternité, en corporation. Elles doivent être couronnées par des conseils d'arbitres librement choisis par les deux partis, pour régler les difficultés.

Tous les points de ce programme sont bien la réalisation de la justice et de la charité, selon le Sacré-Cœur.

Les missions et les progrès de l'Eglise. - Jamais plus grande acti­vité n'a régné à Rome auprès du Saint-Siège apostolique pour l'organi­sation et l'extension des missions catholiques. Rien n'est touchant et édi­fiant comme de passer quelques heures dans les bureaux de la Propagan­de à Rome. Il y a là plus de vie, plus de mouvement fécond, que dans aucun des ministères de nos capitales politiques. Ce ne sont que Vicaires apostoliques, missionnaires, religieux de tous Ordres et de tous costu­mes, qui viennent rendre compte de leur séjour aux missions ou deman­der des instructions pour leur départ. Et cependant ce zèle si ardent ne suffit pas encore, paraît-il, pour satisfaire toutes les pauvrés nations éloi­gnées qui ont soif de la vérité et de la civilisation chrétienne. Le Cardinal Préfet de la Propagande nous disait dernièrement: «Nous avons encore de vastes champs faciles à évangéliser, notamment en Afrique, et nous ne savons plus qui envoyer». Puissent nos pieux lecteurs comprendre cet appel et y répondre, soit en se donnant eux-mêmes, soit en aidant par leurs ressources les missions et écoles apostoliques!

L'Australie. - Le continent australien est un exemple frappant de la fécondité de l'Eglise et des progrès du catholicisme. Il y a soixante ans, l'Angleterre tolérait à peine en Australie un prêtre catholique pour le service religieux des Irlandais qu'elle y avait déportés. Le premier Vi­cariat apostolique y fut érigé en 1835. Aujourd'hui il y a en Australie un Cardinal-Archevêque, trois Archevêques, vingt-six Evêques, huit cents prêtres, deux cent soixante-dix couvents, sept cents écoles catholiques et huit cent mille fidèles. C'est le tiers de la population totale. L'Australie arrivera probablement à une majorité de catholiques plus tôt que les Etats-Unis, l'Angleterre et la Hollande, qui y tendent également.

Naples et le Sacré-Cœur. - La population de Naples est pieuse. Naples compte quatre cents églises. La fermeté de son Cardinal­-Archevêque actuel a bien remédié au laisser-aller qu'on y remarquait dans les mœurs chrétiennes, il y a vingt ans. Les Napolitains ont em­brassé la dévotion au Sacré-Cœur avec toute l'ardeur si connue de leur foi et de leur tempérament. Non seulement ils ont des autels au Sacré­Cœur dans leurs églises, mais il leur faut aussi des statues costumées et comme vivantes, qui soient à leur portée, dont ils puissent embrasser les pieds, avec des lampes où ils puissent prendre de l'huile pour s'en faire des onctions pieuses sur le front. On voit même à Naples des images du Sacré-Cœur honorées de lampes dans plusieurs rues de la ville, privilège réservé jusqu'à présent à la Madone, dans les rues de Rome et des autres villes italiennes.

Non loin de Naples s'élève, on le sait, le plus célèbre et le plus beau des monastères, celui du Mont-Cassin, source première et féconde de la grande famille bénédictine. C'est là, dans une tour encore subsistante, qu'a vécu longtemps et qu'est mort le grand patriarche de la vie monas­tique saint Benoît. Des moines artistes de l'Allemagne ont entrepris de décorer les salles nombreuses de cette tour par des peintures dignes de la grande Ecole allemande d'art chrétien. Les pèlerins, amis du Sacre­-Cœur, verront là avec bonheur l'image plusieurs fois reproduite de ce Cœur divin.

CHRONIQUE (Mai 1891)

Léon XIII et le règne du Sacré-Cœur. - Le Souverain Pontife dé­sire ardemment l'accroissement du règne du Sacré-Cœur. Il le disait ré­cemment dans les termes les plus chaleureux en répondant aux quarante cardinaux, archevêques et évêques qui ont pris part aux fêtes de Paray­le-Monial et qui ont signé un postulatum pour demander la canonisation de la bienheureuse Marguerite-Marie. «Votre lettre nous fait compren­dre, écrivait-il, avec quelle ardeur, vous et les fidèles de vos diocèses, vous souhaitez de voir le Siège Apostolique décerner les honneurs de la canonisation à cette Bienheureuse qui a puisé au très saint Cœur de Jésus et propagé les flammes de l'amour divin. Vous ne sauriez douter, ajoutait-il, que nous aussi nous ne ressentions le même désir, dans le but surtout de voir s'augmenter et s'étendre l'honneur et le culte du très saint Cœur de Jésus. C'est pourquoi nous attendons avec impatience de voir présenter à ce Saint-Siège, de nouveaux et indiscutables miracles accomplis par Dieu à l'intercession de la bienheureuse Marguerite­Marie, selon que le requièrent les constitutions apostoliques pour la poursuite des procès de canonisation». Nous voyons là une occasion heureuse et facile pour les malades, d'obtenir une guérison miraculeuse en s'adressant à la bienheureuse Marguerite-Marie. Le Souverain Pon­tife désire ces miracles, il prie la Bienheureuse de les faire; elle lui obéira.

Le cardinal Richard et le règne du Sacré-Cœur. - Le cardinal Ri­chard lui aussi espère et attend une grande effusion de gràces comme conséquence de l'extension du culte du Sacré-Cœur. Il a hâte d'ouvrir aux fidèles les nefs du sanctuaire de Montmartre; il en prépare l'inaugu­ration pour le mois de juin; il organise des fêtes; il y convie ses collègues; il voudrait y attirer toute le France. C'est que la dédicace de ce temple mystérieux, élevé à la demande de Notre-Seigneur lui-même, marquera une date importante dans l'histoire. Ce sera pour la France quelque cho­se comme la dédicace du temple salomonien pour le peuple de Dieu. La France a commis bien des fautes, mais en élevant ce temple de la répara­tion, elle a fait comme Madeleine, un grand acte de pénitence. En met­tant aux pieds du Sauveur ces trente millions qui représentent tant d'ac­tes de sacrifice, de générosité, de confiance et d'amour, elle a certaine­ment touché le Cœur du Sauveur. Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu'elle a beaucoup aimé. Cette dédicace sera le signal du relèvement de notre grande nation chrétienne.

Le congrès scientifique des catholiques. - Ce congrès, qui vient de réunir à Paris l'élite des savants chrétiens de l'Europe, a jeté l'étonne­ment parmi les ennemis de l'Eglise. Ceux-ci se plaisaient à dire que l'Eglise catholique avait lieu de trembler devant la science moderne. Loin de là, l'Eglise ne craint pas la science moderne. Loin de là, l'Eglise ne craint pas d'appeler pour ainsi dire dans l'arène toutes les sciences modernes et de se mesurer avec elles, persuadée qu'elle sortira de la lutte toujours plus puissante et plus honorée. Quel bel exemple de fraternité chrétienne et en même temps quel bel hommage rendu par la science à l'Eglise que cette réunion d'hommes éminents de toute l'Europe, et mê­me de l'Amérique, sur l'estrade de la présidence du congrès! Monsei­gneur Freppel présidait. Les vice-présidents étaient: Mgr Baunard; M. Barberis, italien; M. Brouwers, hollandais; M. Rodriguez de Cepeda, professeur à l'Université de Valence; le R. P. Denza, directeur de l'ob­servatoire du Vatican; le R. P. De Smedt, bollandiste; M. de Gerlache, gouverneur du Luxembourg belge; M. le baron de Hertling, député au Reichstag; M. de Lapparent; Mgr Lamy, professeur à l'Université de Louvain; Mgr Maricourt, recteur des Facultés catholiques d'Angers; M. Mercier, premier ministre de la province de Québec; M. le marquis de Nadaillac, membre correspondant de l'Institut. Nous aimons à repe­ter ces noms qu'on a déjà lus dans les journaux. Nous ne pouvons pas analyser ici toutes les questions traitées dans les sections de sciences reli­gieuses, de philosophie, d'histoire, de sciences physiques et naturelles, de sciences juridiques et économiques, de philologie et d'anthropologie. C'est un concert de toutes les sciences rendant hommage à la foi. Mais ce que nous ne pouvons pas omettre, c'est que les savants chrétiens ont voulu couronner leur congrès par un pèlerinage à Montmartre. C'est l'hommage de toutes les sciences au Cœur sacré du Verbe Incarné, qui est la source unique de la science et de la vérité.

Allemagne. - M. Windthorst - M. Windthorst, l'illustre chef du parti catholique allemand, est mort. Son nom est entré dans l'histoire. Il restera comme le type accompli du chevalier chrétien des temps moder­nes. Sa parole et son génie ont mieux servi le catholicisme que n'a pu le faire autrefois l'épée d'un grand capitaine. Il était de la race des O'Con­nell, des Montalembert, des Donoso Cortés, des Garcia Moreno. Com­me eux il a été, par son ascendant et sa popularité, le véritable chef d'un peuple catholique qu'il conduisait à l'assaut de la liberté. Au parlement il était le seul adversaire redouté de Bismarck. Dans les congrès populai­res, il entraînait les masses et les enflammait d'enthousiasme. Aussi ha­bile négociateur que puissant orateur, il sut, quand vint l'heure de la pa­cification, obtenir une à une toutes les concessions désirables. Il meurt avec une gloire intacte. Pendant que son adversaire politique Bismarck se faisait donner en cadeaux des châteaux et des domaines, lui, refusait tout avantage personnel. Et comme les catholiques d'Allemagne insis­taient pour lui donner un témoignage de leur reconnaissance, il leur pro­posa de l'aider à construire, dans la ville de Hanovre, une basilique en l'honneur de la très sainte Vierge.

Demandons au Sacré-Cœur de Jésus de susciter en France quelques chevaliers de cette trempe pour travailler à son règne.

Belgique. L'adoration du Jeudi-Saint. - Les pieux fidèles de la Belgi­que font vaillamment et pieusement la veillée d'adoration et de répara­tion du jeudi-Saint. En certaines églises cette nuit est un véritable triom­phe pour l'Eucharistie. A Louvain, dans l'église des Pères jésuites, le re­posoir avait, cette année, un éclat exceptionnel. Comme les pieuses fem­mes de Jérusalem, des dames généreuses avaient multiplié leurs dons: les fleurs et les lumières abondaient. Mais ce qui était plus touchant en­core, c'est que toutes les œuvres militantes de la ville, la Gilde des mé­tiers, le Cercle catholique, les Anciens élèves des Frères, etc., avaient eu l'heureuse inspiration d'apporter leur bannière au pied du trône de l'Hostie. C'était comme un faisceau d'étendards au seuil du palais du roi. Et ce qui est mieux encore, c'est que les ouvriers catholiques, convo­qués par sections, étaient là au nombre de six cents le soir à neuf heures, et au nombre de trois cents à onze heures. Les sociétés chorales sont ve­nues, au moment de ces réunions d'ouvriers, chanter des morceaux adaptés à cette cérémonie. Quel bel hommage rendu à l'Eucharistie! Pourquoi ne ferions-nous pas quelque chose d'analogue pour le Jeudi­Saint et la Fête-Dieu, surtout dans nos villes où l'Eucharistie n'est plus admise à sortir en processions triomphales?

Autriche. Une lettre de Léon XIII. - Le Souverain Pontife ne som­meille pas: sans cesse il stimule l'épiscopat et les fidèles. Toutes les na­tions reçoivent tour à tour ses conseils et ses encouragements, et partout il prouve son intelligence des besoins présents et des œuvres actuelles. Il vient de s'adresser encore aux évêques de l'Autriche. Il leur recomman­de de se réunir entre eux fréquemment, pour échanger leurs vues sur les difficultés présentes et préparer, s'il y a lieu, des lettres et des actes col­lectifs. Il appelle leur attention sur la formation et l'éducation du clergé. Il les engage à conférer sur les moyens de cultiver chez les clercs de leurs séminaires une généreuse vertu et de fortes études. Pour la défense de la foi et la sauvegarde des mœurs parmi les fidèles, il recommande les ser­mons et catéchismes appropriés aux hommes, aux âges et aux lieux; les confréries pieuses de laïcs; les œuvres de jeunesse et la diffusion de li­vres, journaux et autres publications catholiques. Il insiste pour que cha­que contrée possède ses journaux dévoués à la défense de l'Eglise. Enfin il veut que la sollicitude des évêques se porte sur la cause des ouvriers et qu'ils agissent pour améliorer, par leur influence et leur action, la situa­tion précaire de ceux-ci, en recommandant aux classes élevées la prati­que de la justice et de la charité. Voilà bien le Pontife du Sacré-Cœur, dont le zèle admirable pourvoit à tous les besoins présents et dont la solli­citude se porte surtout vers les pauvres, vers ceux qui gémissent et souf­frent!

Le repos du dimanche. -La Ligue populaire pour le repos du di­manche est née pendant l'exposition universelle de 1889. Elle a pour présidents M. Léon Say et M. Jules Simon. Sans être franchement ca­tholique, elle sera un auxiliaire pour l'Eglise. Son conseil est influent: il agit auprès de l'Etat et des grandes compagnies du chemin de fer. Il a obtenu déjà des résultats importants pour la diminution du service des postes le dimanche et la fermeture des gares de marchandise. Il veut agir sur l'opinion par la presse: c'est aujourd'hui le moyen d'action le plus puissant. M. Jules Simon dépense là, pour une belle cause, son rare ta­lent de description. «Montrez bien surtout, dit-il, que ce qui rend le tra­vail écrasant pour l'ouvrier, c'est la continuité de l'effort. Faire trois pas, tendre un fil, revenir en arrière, recommencer, ce n'est rien pen­dant une heure, c'est fatigant la douzième heure; ce n'est rien le lundi soir, mais le vendredi, le samedi soir et pendant une existence entière! …

Quand l'ouvrier trouvera-t-il le temps de s'instruire, de penser, d'être homme? Oui, il faut un repos dans la semaine, il faut que l'ouvrier ait le temps de sentir son cœur battre. Mais, si vous pensez à l'ouvrier, n'ou­bliez pas non plus l'employé de magasin, le commis de bureau, dont le corps et l'âme sont meurtris par un labeur incessant». Il ajoute: «Le jour du repos qui s'impose, évidemment, c'est le dimanche. Il faut que le jour du repos soit le même pour tous, le dimanche, si l'on veut recons­tituer la famille et régénérer la patrie».

Saint Antoine de Padoue, lieutenant-colonel au Brésil. - Nous empruntons aux Annales franciscaines un trait charmant des mœurs de l'Amérique du Sud, où l'on rencontre les plus étranges contrastes, et où malgré des misères, hélas! très réelles et très profondes, les populations ont gardé cette foi ardente qu'elles tiennent de leurs ancêtres, la foi espa­gnole, qui sera, il le faut espérer, pour ces régions si longtemps travaillées par la franc-maçonnerie, un germe de vie et de résurrection.

«Qui s'en serait douté? Voilà près d'un siècle que, suivant une naïve coutume de ces pays de foi, pour marquer d'une manière sensible la pro­tection de saint Antoine de Padoue sur l'armée, les autorités l'ont offi­ciellement investi du grade de lieutenant-colonel, et le Saint n'a cessé, depuis lors, d'en porter les insignes et d'en toucher, par personne inter­posée, bien entendu, le traitement afférent à son titre. A la chute de l'Empire, une mesure du gouvernement provisoire semblait devoir at­teindre cet officier hors cadre. Le ministre de la guerre vient de régler la situation par le décret suivant: La réclamation du Provincial des Franciscains, Fr. Joan, di Amore divino Costa, est accueillie. Attendu qu'aucun décret n'a annulé le décret du 28 juillet 1814 nommant au grade de lieutenant-colonel la statue de saint Antoine à Rio-de,Janeiro, le ministre ordonne que la solde continue à être payée».


LE PÈLERINAGE DE PENITENCE EN TERRE-SAINTE, parti le 10 avril, va se continuer pendant ce mois de mai. Si tous n'ont pu y prendre directe­ment part, que tous du moins s'y unissent par une prière spéciale et un acte de pénitence, chaque jour du mois. Notre pauvre France a un si im­mense besoin, pour obtenir son pardon, de prière suppliante et de péni­tence! L'union donne à ces appels à la miséricorde divine une puissance bien plus grande. Ne manquons donc point de nous associer, chacun, à ces représentants de nos diocèses qui vont là-bas répandre pour la Fran­ce des larmes de repentir, sur la Terre où Jésus a répandu son sang.

Léon XIII a demandé, béni et enrichi d'indulgences cette union de prières avec le pèlerinage. On annonce que dans mainte famille, chaque jour une prière est faite en commun pour cela, et que dans diverses mai­sons religieuses, sont offertes de généreuses mortifications. Que partout cet élan soit suivi!

CHRONIQUE (Juin 1891)

Montmartre; inauguration de la Basilique. - Les fêtes se prépa­rent; elles commenceront par la solennité du 5 juin et son triduum. Le 16 juin on célébrera l'anniversaire de la pose de la première pierre. En­fin le mois se terminera par un second triduum, du 28 au 30 juin. Son Eminence le Cardinal-Archevêque de Paris convoque ses collègues et fait appel aux pèlerins de toute la France. Ce sera un premier hommage vraiment national au Sacré-Cœur, en attendant la consécration solen­nelle de la basilique, complétée et couronnée par son dôme et ses coupo­les. L'archiconfrérie de Montmartre se prépare à ces solennités par la ré­citation de la prière suivante que tous nos lecteurs voudront dire le 5 juin et les jours du triduum préparatoire;

«Divin Cœur de Jésus, vous qui avez dit: Je régnerai malgré Satan et ses suppôts, daignez agréer, malgré mon indignité, les prières, les larmes, les sacrifices, les travaux, et, s'il le fallait, mon sang que je vous offre par le Cœur Immaculé de Marie pour l'extension de votre règne. Oh! oui, que ce règne béni de votre amour arrive dans mon cœur, dans ma famille, dans ma paroisse, dans la France, ma chère patrie, dans tout l'univers. Pour rendre mes vœux moins indignes d'être exaucés, je les unis à tou­tes les offrandes qui vous seront présentées à Montmartre, le 5 juin pro­chain, surtout à l'ex-voto que la France pénitente sera heureuse de vous offrir en ce jour, comme témoignage de son repentir et de sa consécra­tion. Au Cœur du Christ-Roi, gloire, honneur, louange et amour soient rendus par tous les hommes dans tous les siècles des siècles!».

Le pèlerinage français à Rome. - Le pèlerinage des dix mille en 1889 a été merveilleux et fécond dans ses résultats. Et voici que Sa Sain­teté le Pape Léon XIII témoigne de nouveau le désir de recevoir une dé­putation plus nombreuse d'ouvriers français. On organise donc pour le mois de septembre 1891 le grand pèlerinage des vingt mille. Comme les précédents, il sera présenté à Notre Saint Père par son Eminence le Car­dinal Langénieux, archevêque de Reims.

Le prix du voyage est modique: 3me classe, 120 fr.; 2me classe, 151 fr.; de Paris à Rome avec retour, nourriture et logement compris.

Le Saint-Père fait écrire par le cardinal Rampolla que ce projet lui cause un grand plaisir et une grande consolation. Ce pèlerinage est un acte de foi qui répond aux desseins du Sacré-Cœur, en resserrant les liens qui unissent au Pape et à l'Eglise les populations ouvrières.

Il est bon de s'inscrire de bonne heure. On peut s'adresser à M. Du­bois, 220, rue de Vesle, à Reims.

L'heure présente. - C'est sous ce titre que Monseigneur l'Archevê­que d'Aix vient de publier un discours important qu'il adressait récem­ment au cercle catholique ouvrier de Toulon. Monseigneur l'Archevé­que d'Aix a raison. L'heure présente a une gravité particulière. La gran­de question de l'heure présente, c'est la question sociale, la question ou­vrière. L'Eglise seule en possède la solution: ses enfants trouveront le se­cret de la paix sociale dans l'esprit de justice et de charité du Cœur de Jésus.

Il est manifeste que, dans toute l'Eglise, règne une activité pleine d'espérance pour la solution de cette crise. Le Saint-Père dirige les ef­forts de tous par son encyclique sur la question sociale. Il montre que l'Eglise a toujours paré aux difficultés sociales lorsque ses conseils ont été écoutés. Il rappelle à l'Etat, aux capitalistes et aux travailleurs, leurs droits et leurs devoirs. Il trace les règles de la justice distributive et mon­tre la solution du problème économique dans la pratique des préceptes évangéliques de la justice, de la charité, de la modération et de l'abnéga­tion.

Monseigneur l'Archevêque d'Aix insiste sur le devoir qu'ont les hom­mes éclairés d'instruire par la presse, par l'école, par la parole, les tra­vailleurs si souvent trompés et abusés. «Vous direz à vos amis les ou­vriers, écrit-il, que toutes les lois récentes ont été faites contre eux». C'est vrai. La loi scolaire leur prend leurs enfants pour un enseignement qu'ils ne veulent pas. La loi militaire envoie au régiment leurs curés et leurs vicaires. Les laïcisations des hôpitaux enlèvent aux malades pau­vres la consolation de mourir en chrétiens. Les lois qui ruinent les com­munautés religieuses détruisent le patrimoine des pauvres et des ou­vriers et finiront par jeter sur le pavé leurs orphelins, leurs infirmes, leurs vieillards et leurs malades. Il est urgent de rappeler au peuple que l'Eglise, les prêtres et les religieux, qui puisent au Cœur du Sauveur l'esprit de justice et de charité, sont leurs vrais amis et bienfaiteurs.

Saint Joseph. - Son Eminence le Cardinal-Archevêque de Paris montre aussi dans l'accroissement du culte de saint Joseph et de la sainte Famille un des éléments de solution du problème de l'heure présente. Il a voulu consacrer solennellement l'église de Saint Joseph à Paris et l'a proposée comme un nouveau but de pèlerinage. Déjà la très sainte Vier­ge avait établi, dans le sanctuaire de Notre-Dame des Victoires, le trône de sa maternelle miséricorde. La basilique du vœu national attire cha­que jour un plus grand nombre de fidèles aux pieds du Sacré-Cœur de Jésus. Le Souverain Pontife a fait de cette église le centre d'une archi­confrérie de saint Joseph. La Providence a voulu qu'elle fût placée à por­tée des populations ouvrières de Paris, pour qu'elles trouvent là le secret de la paix sociale dans les vertus dont la sainte Famille a donné l'exem­ple.

Le Congrès des catholiques français à Paris. - Nos congrès catho­liques auront aussi une part importante dans la solution des difficultés de l'heure actuelle. La vingtième assemblée annuelle des catholiques fran­çais vient de se tenir. Elle a emprunté aux circonstances présentes une gravité exceptionnelle. Elle n'a pas trompé notre attente. Nous atten­dions la formation du parti catholique en France. Il est né dans cette as­semblée. Le cardinal Richard a prié MM. Keller et Chesnelong de pren­dre l'initiative d'un comité directeur. Ils mettront leur expérience, leur sagesse et leur éloquence au service de cette grande cause et leurs efforts seront couronnés de succès. M. Chesnelong, en répondant au cardinal, formulait ainsi son adhésion et le programme du comité d'action catholi­que: «Devant la foi en péril, vous avez rappelé aux catholiques de toutes les opinions, qu'ils ont tous le devoir de s'élever au-dessus des libres dis­sentiments qui, au point de vue politique, peuvent les séparer, pour dé­fendre, d'un commun accord, cette foi qui est le premier bien de la reli­gion et de la patrie».

«Vous avez poussé un cri d'alarme et un cri d'union, et l'épiscopat presque tout entier y a fait écho. Ce cri a été entendu de tous les catholi­ques, dont il ranimera l'ardeur et cimentera la cohésion. Ici, Eminence, je suis sûr d'être l'interprète de toute cette assemblée en vous donnant l'assurance que nous n'avons tous qu'un cœur et qu'une âme pour ré­pondre à votre grand appel».

Un discours de M. Keller. - L'Assemblée catholique de Paris a passé en revue les œuvres de foi et de prière, les œuvres d'enseignement et de jeunesse, les questions d'art chrétien, d'économie sociale et politi­que. Mais l'événement capital de cette assemblée est le discours de M. Keller. Il a bien justifié le choix du cardinal Richard. Il apporte des lu­mières nouvelles pour la solution du problème social. Il signale un enne­mi intérieur qui est un des plus graves obstacles à la paix sociale. C'est le veau d'or ou le culte des richesses, qui allume les désirs insatiables des ri­ches et les convoitises des pauvres.

L'éloquent orateur emprunte à saint Jean Chrysostome un tableau de la société païenne de la décadence, dont la ressemblance avec la nôtre est frappante. La passion des richesses domine les événements les plus gra­ves de la vie, le mariage et le choix d'une carrière. L'espoir d'un gain fa­cile dirige toutes les activités vers le jeu et la bourse. L'Etat d'ailleurs a en cela sa part de responsabilité, car il fait tout pour décourager l'épar­gne des travailleurs et encourager les spéculateurs; on le voit par ce qui se passe pour les impôts de succession et les spéculations de bourse. M. Keller fait un tableau saisissant des scandales de la bourse et du jeu. La richesse doit se former par les fruits du travail et du capital, et non en al­lant soustraire ce qui se trouve dans les poches des voisins.

Mais où M. Keller est particulièrement neuf, c'est quand il nous mon­tre une sorte de contrat de société entre le créancier et le débiteur, le ca­pitaliste et le travailleur. L'Eglise n'a jamais enseigné la stérilité du capi­tal. Elle ne prohibe pas toutes les opérations de crédit, mais si vous faites valoir votre argent par d'autres, vous devez vous assurer qu'il en est fait un emploi moral. Vous ne pouvez pas stipendier toute industrie. Pour justifier l'intérêt que vous recevrez, il ne suffit pas que votre débiteur soit honnête; il faut encore qu'il soit heureux. Le débiteur est un associé dont le créancier partagera la bonne ou la mauvaise fortune. Si tous les risques étaient pour le débiteur, ce serait un contrat léonin. C'est ce principe qui distingue l'usure du prêt légitime.

Pour ce qui est du patron chrétien, il doit se considérer comme chargé par Dieu de veiller avec sollicitude sur le sort de tous ceux qui l'aideront à faire fructifier sa fortune.

Enfin M. Keller rappelle au chrétien la nécessité d'établir son budget des œuvres. L'Evangile n'a pas voulu détruire l'ancienne loi de la dîme, au moins quant à son esprit. Les catholiques doivent prendre sur leur budget une large part pour Dieu et pour les pauvres. M. Keller appuie son senti­ment par le témoignage du cardinal Gibbons et du protestant Gladstone.

Un mot de ce discours montre à quelle source les idées en sont puisées: «Le catholique, dit M. Keller, tient à contribuer à la construction de cette chère église du Sacré-Cœur à Montmartre, dont l'achèvement se­ra, pour nous, je l'espère, comme l'aurore de jours meilleurs.

Fourmies. Une oraison funèbre. - Le même enseignement que nous avons trouvé sur les lèvres du Pape, de l'Archevêque de Paris et des grands orateurs catholiques, se dégage des événements de Fourmies. Dans un discours dont le souvenir restera, le digne curé de Fourmies in­diquait, lui aussi, le remède à la crise sociale.

«Riches, dit-il, aimez donc Dieu et aimez vos frères! aimez vos frères, cela ne veut pas dire seulement: payez-les».

«Les payer, c'est la simple justice, et vous leur devez l'amour. Aimez­les réellement et traitez-les comme des frères, vous intéressant à leur tra­vail, à leurs souffrances, à leurs malheurs, à leur âme; vous rappelant qu'eux aussi ont des enfants qu'ils doivent pouvoir connaître, caresser et élever; qu'eux aussi ils ont une femme délicate et frêle, qui se doit avant tout à sa famille, à son foyer; qu'ils envoient dans vos ateliers leurs filles, dont l'innocence est la seule richesse».

«Riches, soyez modérés dans vos désirs de richesse, modérés dans vos jouissances, pour ouvrir plus facilement et plus largement votre main à ceux qui ont besoin. Vous êtes les intendants des pauvres sur la terre, Dieu vous a fait sa providence visible. Il se décharge en grande partie sur vous du soin de vos frères; soyez donc bons, soyez miséricordieux , com­me votre Père céleste est miséricordieux et bon».

CHRONIQUE (Juillet 1891)

Montmartre. - Ce n'est encore que le prélude des grandes fêtes et des grandes grâces qui marqueront dans quelques années la consécration de l'église nationale du Sacré-Cœur. Le 5 juin, cette église a reçu seule­ment la bénédiction qui l'ouvre pour la première fois au culte catholi­que. Mais quel enthousiasme déjà, quel sentiment instinctif d'espérance et de joie chez les fidèles qui assistent à ces fêtes! Les solennités se conti­nuent pendant tout le mois. Les diocèses, les œuvres, les paroisses se succèdent chaque jour aux sources enivrantes du Sacré-Cœur de Jésus. Mais le grand jour a bien été le 5 juin. Vraiment, on peut le dire, la France était présente. On voyait quatorze archevêques ou évêques, quel­ques princes de l'ancienne famille royale, des sénateurs, des députés, les présidents de nos grandes œuvres catholiques; voire même un ministre du Canada, représentant nos frères d'Amérique. Les croyants sentaient là que la France se refait. Cette source intarissable de grâce qui est ou­verte à Montmartre, lui rendra la vie. Le P. Monsabré, l'orateur qui convenait à ce grand jour, a bien exprimé la prière de nos cœurs quand il a dit: «Cœur Sacré de Jésus, Cœur du roi d'amour, c'est de vous que nous attendons le remède à la haine et à l'égoïsme qui nous divisent et nous décomposent; c'est par la pénétration de votre immense charité dans tous les cœurs, à travers les cœurs fidèles qui se consacrent à votre culte, que se fera l'union désirée, en laquelle la France, réconciliée avec la justice de Dieu, trouvera son salut et sa régénération». Et le grand orateur a bien exprimé aussi nos espérances par ces paroles: «Le palais de notre Roi Jésus n'a pas encore toute sa splendeur, mais dès aujourd'hui Notre-Seigneur veut prendre possession de son trône, et il appelle la France à ce trône de grâce, de miséricorde et d'amour. La France y viendra tout entière. Elle y est déjà représentée dans toutes les chapelles où le clergé, les ordres religieux, l'armée, la magistrature, les sciences, les arts, le travail, la pauvreté elle-même, ont installé leurs pa­trons. Mais bientôt la sainte colline sera envahie par la foule des pèlerins qui viendront de tout le beau pays de France offrir leurs hommages au Cœur de Jésus. Montmartre sera «la montagne de Dieu, la montagne où le Seigneur se plaît à habiter: Mons Dei, mons pinguis, mons coagulatus, nions in quo beneplacitum est Deo habitare in eo».

Encyclique. - Comme nous avons dans ce même numéro de la Re­vue un article spécial sur l'encyclique, nous n'en parlerons pas longue­ment dans la Chronique. Cependant, nous voulons constater que la pu­blication de cette encyclique est un des plus grands événements de ce siè­cle. Le monde entier s'en est ému. Les chefs des nations, les hommes po­litiques, les écrivains de toutes les écoles ont été contraints de s'écrier: «L'Esprit de Dieu est là, le salut est là». C'est à la fois la parole autori­sée du chef de l'Eglise et une synthèse magnifique de toutes les études faites jusqu'ici sur la crise sociale moderne et ses remèdes. Léon XIII montre le salut dans la pratique de la justice et de la charité, surtout par les patrons envers leurs ouvriers; dans un ensemble de lois protectrices des faibles; enfin dans le réveil et la liberté des corporations et des asso­ciations chrétiennes. Le salut est là. A nous de ne pas le laisser échapper. Il suffirait de l'apathie, du découragement des catholiques, de leur man­que d'union et d'entente et des efforts redoublés du démon et des sectes pour tout retarder, pour tout compromettre. Entendons le cri d'alarme de Léon XIII. Il fait appel aux évêques, aux prêtres, aux gouvernants, aux maîtres, aux ouvriers. «Que chacun, dit-il, se mette à l'œuvre pour la part qui lui incombe, et cela sans délai, de peur qu'en différant le re­mède on ne rende incurable un mal déjà si grave». Pour nous, nous nous plaisons à constater que le Saint-Père indique encore une fois le Sacré-Cœur de Jésus comme la source du salut social».

C'est, dit-il, d'une abondante effusion de charité chrétienne qu'il faut attendre le salut». Et d'autre part: «Cette vertu et cette grâce, l'Eglise seule les possède et peut les donner, parce qu'on ne les puise que dans le Cœur Sacré de Jésus-Christ, et qu'on s'éloigne de Jésus-Christ en s'éloignant de l'Eglise».

Assemblée annuelle de la Féderation du Sacré-Cœur. - La Fédé­ration du Sacré-Cœur continue ses études et ses efforts pour faire entrer dans les esprits la notion du règne social de Jésus-Christ. Elle tient ac­tuellement du 17 au 20 juin son assemblée annuelle à Limoges, sous la présidence de Mgr l'évêque. Nous donnerons un résumé des travaux de ce congrès, comme nous l'avons fait les années précédentes. Nous recommandons encore à cette occasion à nos lecteurs les belles publica­tions de l'œuvre des Fastes eucharistiques de Paray-le-Monial, sur le rè­gne social de Jésus-Christ, et le Bulletin mensuel de la Fédération du Sacré-Cœur. On peut les demander à M. le baron de Sarachaga, à Paray-le-Monial.

Angleterre. - Il est curieux de constater combien les coutumes an­glaises ont gardé de traces du règne social de Jésus-Christ. Le couronne­ment des souverains d'Angleterre s'est célébreé, jusqu'ici, selon l'ancien rite catholique. Le Primat protestant de Cantorbéry officie, entouré des évêques du royaume; ils portent tous, ainsi que les chanoines de Wes­tminster, des chapes de drap d'or ou de soie de diverses couleurs liturgi­ques. L'huile pour les onctions est consacrée par l'archevêque, qui lui-même place la couronne sur la tête du souverain après l'avoir prise sur l'autel. Aujourd'hui encore à la Chambre des lords, les évêques, appelés Pairs spirituels, portent le surplis et l'étole quand ils siègent. Avant l'ou­verture des sessions, les députés du parlement se rendent à l'église de l'ancienne abbaye de Westminster pour un service religieux, qui était ja­dis la messe du Saint-Esprit. Et chaque jour avant la séance, le chapelain récite à haute voix une prière au Saint-Esprit, à laquelle les députés ré­pondent en se tenant debout. Quand reverrons-nous chez les peuples ca­tholiques ces justes hommages rendus au Roi des rois et au maître des nations?

Le Centenaire de la naissance de Pie IX. - Pie IX est né à Siniga­glia, le 13 mai 1792. Les catholiques d'Italie, encouragés par Léon XIII, se préparent à célébrer solennellement son centenaire. Ils ont le projet d'achever pour le 13 mai 1892, et d'inaugurer pour cette époque, le ma­gnifique mausolée qu'on élève à Pie IX dans l'église de Saint-Laurent­hors-les-murs à Rome, et de lui ériger un monument à Sinigaglia, sa pa­trie. Les amis du Sacré-Cœur auront dans cette œuvre une part privilé­giée. On leur a réservé le soin de faire exécuter sur la tombe vénérée de Pie IX une mosaïque représentant le saint Pontife prosterné devant le Sacré-Cœur de Jésus. Si nos lecteurs veulent y contribuer, ils peuvent envoyer leur souscription à M. le Directeur de la Garde d'honneur du Sacré-Cœur à Bourg (Ain).

Le Sacré-Cœur de Jésus et les missions. - Les missions des îles Fidji ont été difficiles entre toutes. Il y a là quatre-vingts îlots habités.

Les efforts des missionnaires, pendant bien des années, n'ont été qu'une série de souffrances et un long martyre, en apparence absolument stéri­les. Les habitants de ces îles étaient aussi cruels que corrompus. Ils avaient pour l'anthropophagie une passion effrénée. Ils la pratiquaient avec des raffinements atroces. Leur roi prélevait pour sa table le cœur, le foie et la langue des victimes. Il prenait plaisir à les arracher lui-même et à les manger crus, en présence des malheureux mutilés qui respiraient encore. D'autres fois, il les enterrait deux ou trois jours pour les faire fai­sander, et il parlait de ces morceaux délicats avec un sourire féroce et stupide. Il a, dit-on, dévoré pendant sa vie près d'un millier de victimes humaines. Cependant en 1866, après vingt ans de luttes stériles, les mis­sionnaires demandèrent le salut au Sacré-Cœur de Jésus. Ils lui consa­crèrent la mission. Ils supplièrent le Souverain Pontife de vouloir bien sanctionner cette consécration et de donner à la mission de Fidji le Cœur Sacré de Jésus pour patron, disant qu'ils ne voyaient plus que cet­te dernière mesure pour ressource. Pie IX daigna agréer leur demande. Depuis lors, tout a changé: l'archipel compte maintenant plus de trois cents villages en tout ou en partie catholiques. Trois mille enfants fré­quentent les écoles des missionnaires, et le mouvement des conversions s'accentue de jour en jour sous la protection du Bienheureux Chanel, l'apôtre-martyr de l'Océanie, récemment béatifié.

CHRONIQUE (Août 1891)

Montmartre. - Le mouvement des pèlerinages se continue à Mont­martre, et ne s'arrêtera plus. Jésus-Hostie a pris possession de la belle Basilique. Il y est exposé tous les jours sur son trône majestueux. La nuit, c'est sur l'autel plus modeste de la chapelle provisoire, que Notre­Seigneur reçoit les hommages de ses fidèles adorateurs. Chaque jour quelques paroisses, communautés, pensionnats ou associations, se ren­dent à Montmartre. La population du quartier s'y habitue. L'étonne­ment commence à faire place à la sympathie. Les affiches extérieures, apposées dans les rues voisines pour annoncer le pèlerinage des Patrons catholiques, ont été respectées. Le quartier socialiste de Montmartre de­viendra un quartier clérical. Si notre gouvernement n'entravait pas l'œuvre par excellence, celle des paroisses même à Paris, la capitale re­deviendrait la bonne ville d'autrefois. Mais, hélas! il y a soixante églises là où il en faudrait cinq cents. Les derniers jours du mois de juin ont vu venir à Montmartre des groupes particulièrement imposants, celui des Patrons chrétiens et celui des Zouaves pontificaux. Les Patrons étaient au nombre de trois mille. Un grand nombre d'entre eux ont fait la veil­lée d'adoration. Son Eminence le cardinal Langénieux a dit la messe de communion, après laquelle ils ont lu l'acte de consécration de leurs fa­milles, de leurs ateliers et de leurs ouvriers au Sacré-Cœur de Jésus. Ces belles journées sont comme un arc-en-ciel dans l'horizon si sombre de nos difficultés sociales.

Les anciens Zouaves pontificaux ont voulu faire aussi leur pèlerinage social à Montmartre. Le général de Charette étant souffrant, le colonel d'Albiousse présidait, entouré d'un grand nombre d'anciens officiers, MM. le duc de Sabran, le comte de Lur-Saluces, de Beaufort, de Bernis, de Clisson, etc. Eux aussi, comme les Patrons chrétiens, ont envoyé leurs hommages au Saint-Père par dépêche.

C'est à Montmartre que la vrai France se refera.

L'Action catholique. - Le parti catholique s'organise. Mgr l'évê­que de Grenoble a donné une note plus élevée que le ton général.

Qu'importent ces nuances, pourvu que l'on agisse? D'ailleurs les mi­lieux différents demandent des procédés différents. Ce qui convient dans l'Anjou ne réussirait pas en Dauphine. Il faut qu'on agisse, Dieu le veut, dût le Concordat y sombrer. La lutte peut nous amener un moment pé­nible, comme en Allemagne; mais ensuite, l'Eglise de France, retrempée dans l'épreuve, retrouvera toute sa vitalité.

La Fédération du Sacré-Cœur au Congrès de Limoges. - La Fé­dération internationale du Sacré-Cœur vient de tenir sa réunion annuel­le à Limoges, sous la présidence de Mgr Renouard. Le R. P. Delaporte, Missionnaire du Sacré-Cœur d'Issoudun, a dirigé les travaux de la réu­nion, assisté de M. le vicomte de Damas et de M. le baron de Sarachaga. Comme les années précédentes, l'Assemblée a étudié les principes théo­logiques du règne de Jésus-Christ sur les peuples et les faits historiques qui en sont la confirmation.

L'hommage social au Sacré-Cœur et l'adoration quotidienne du Saint-Sacrement pendant le Congrès obtiendront de Dieu ses bénédic­tions sur la Fédération. Limoges était représentée au Congrès par toute une élite sociale. Citons quelques noms: après MM. les Vicaires géné-raux, M. le chanoine Ardant, secrétaire général et un grand nombre d'ecclésiastiques de la ville, on voyait aux réunions du Congrès M. Le­maigre, conseiller honoraire à la Cour d'appel, président du Conseil particulier des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul; le comte de Fou­cauld, président du Comité de l'Œuvre des cercles; M. Latrille, juge au tribunal civil; M. Catheu, ancien chef de cabinet au ministère de l'inté­rieur; M. Deschamps, notaire honoraire; le colonel de Bellabre, prési­dent du Comité paroissial des hommes et de l'archiconfrérie de Notre­Dame de l'Usine; le commandant de Lachapelle; M. Ardant, négociant; M. Pénicaud, vice-président de la Chambre de commerce. M. l'abbé Garnier, le vaillant athlète, s'est chargé du secrétariat de la Fédération.

Prions et agissons. Ces belles réunions sont des foyers d'apostolat qui finiront par enflammer les foules.

Une chapelle du Sacré-Cœur en Bretagne. - C'est un délicieux et mystérieux sanctuaire que celui qui vient d'être inauguré à la Basse­Motte, dans la propriété de M. de Charette. On y conserve l'étendard de Patay, le labarum de la France.

Son Eminence le cardinal Place a présidé la fête. Il a rappelé dans son allocution la glorieuse épopée de Mentana et de Patay. L'assistance était toute choisie. On eût dit les ombres des Machabées, évoquées pour la circonstance. On remarquait: la baronne de Charette, douairière, que les zouaves appellent leur bonne mère; le roi de Naples; le duc d'Alen­çon; le comte Mercier, du Canada; la comtesse de la Ferronays; Mme de Lamoricière; M. et Mme Gicquel des Touches; le duc de Sabran, le comte Le Gonidec de Traissan.

Les divers panneaux de la chapelle portent la légende de la dévotion au Sacré-Cœur, le testament de Louis XVI, des paroles de Madame Elisabeth au Temple, la consécration des Zouaves pontificaux au Sacré­Cœur, la liste des morts de Castelfidardo, de Mentana, de Rome, de la campagne de France, les commandants des armées de Vendée et de Bre­tagne. C'est un cénacle. Les amis du Sacré-Cœur ne manqueront pas d'aller, dans leurs voyages, prier au sanctuaire de la Basse-Motte près de Châteauneuf.

Un autre sanctuaire du Sacré-Cœur en Provence. - Le Petit­Montmartre du midi, la chapelle du Sacré-Cœur, située sur les pentes des Alpes à Roquefort près de Grasse, a eu le 18 juin son pèlerinage an­nuel. Quatre mille pèlerins s'y sont rendus de toute la région. Les offices étaient présidés par Mgr Quignon, archiprêtre de Cannes. Mgr l'évêque de Nice avait autorisé l'exposition du Saint-Sacrement. Ces pèlerinages régionaux se multiplieront. Ils seront l'écho de ceux de Montmartre. Nous adorerons partout le Sacré-Cœur de Jésus, comme nous invo­quons Marie en ses sanctuaires multiples. C'est certainement le désir de Notre-Seigneur. Ce sera le salut.

Une petite fleur du Sacré-Cœur. - Il s'agit d'un trait déjà connu et raconté dans de pieux journaux, mais les faits édifiants sont bons à re­dire. Pendant la guerre, un collège des Pères jésuites avait subi déjà des dégâts importants. Le P. Recteur promit au Sacré-Cœur de lui élever une statue au vestibule de la maison pour obtenir la conservation de l'établissement. La statue fut commandée de suite. La maison, transfor­mée en ambulance, n'eut plus à subir aucun déprédation. Un secours providentiel, apporté par une personne inconnue, arriva au jour fixé pour payer la statue. Un autre don permit d'y placer et d'y entretenir une lampe. La lampe est toujours entretenue depuis vingt ans, et c'est justice.

Plusieurs familles de la ville manifestent de la même manière leur dé­votion au Sacré-Cœur.

Le Congo belge. - Quelle belle pensée que celle de la consécration du Congo belge à la sainte Vierge! Le roi Léopold a bien voulu accueillir ce projet, le Souverain Pontife l'a ratifié. C'est un acte de foi sociale. La très sainte Vierge bénira cette région. Déjà une ample moisson se prépa­re. Les conversions ne seront pas l'œuvre d'un jour, mais l'heureuse in­fluence des missionnaires commence à s'étendre sur ces populations qui entourent leurs résidences. Dans peu d'années le Congo, l'Ouganda et d'autres provinces du continent africain auront de belles et puissantes missions, comme l'Inde, le Tonkin et le japon, en Asie.

CHRONIQUE (Septembre 1891)

L'hommage social au Sacré-Cœur. - Notre chère Revue, à la suite de tant d'autres organes catholiques, n'a cessé, depuis bientôt trois ans qu'elle existe, de parler de l'hommage social au Sacré-Cœur, et de présenter la consécration des individus, des familles et des sociétés au Cœur de Jésus comme l'une des conditions de notre salut.

Cette idée devient de plus en plus populaire; elle est celle de tous les vrais catholiques.

Nous avons la joie d'annoncer qu'elle commence à être mise en prati­que.

Le dimanche, 2 août, dans une humble chapelle de Périgueux, le vé­nérable évêque, Mgr Dabert, célébrait les saints mystères. Autour de lui s'étaient groupés une quarantaine de chrétiens vaillants, appartenant a toutes les classes de la société, et parmi lesquels on comptait les représen­tants des plus illustres familles du Périgord. Tous communièrent, et im­médiatement après la messe, en présence du Saint-Sacrement exposé, le prélat, à genoux sur les degrés de l'autel, prononce d'une voix tremblan­te d'émotion, une prière touchante au Dieu caché de l'Eucharistie, et le supplie d'agréer la consécration et les hommages qui vont être adressés à son Sacré-Cœur.

Le marquis de Saint-Aulaire s'avance le premier, et prononce l'acte de consécration:

«En présence de la très sainte Trinité, de la sainte Vierge Marie, Rei­ne de la France, et de tous les saints qui sont nés ou qui ont vécu sur le sol de la patrie française, au nom des saints de Bergerac, de Nontron, de Ribérac, de Sarlat et de Périgueux ici représentés, et devant notre véné­ré pasteur, père et chef spirituel de ces diverses contrées, moi, délégué à cette effet par mes concitoyens, je déclare formée la province chrétienne du Périgord, première assise de la France chrétienne, sous le patronage spé­cial de saint Front».

«Au nom de cette nouvelle province, je reconnais librement et solen­nellement le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, vrai Dieu et vrai homme, dans l'hostie sainte exposée sur cet autel, comme notre Seigneur et notre Maître et comme le chef suprême du Périgord».

… «Qu'il plaise à Notre-Seigneur et Maître que, bientôt réunis à Reims, auprès de ce baptistère d'où l'eau sainte a coulé sur le front de la France, nous puissions l'acclamer, non plus comme chef du Périgord, mais comme souverain Maître de notre patrie bien-aimée!».

«Qu'il en soit ainsi pour sa gloire et pour le salut de la patrie françai­se!».

Puis vinrent tour à tour chacun des représentants des professions et corps de métier, et onze fois l'acte suivant fut prononcé:

«O Christ Jésus! Fils du Dieu vivant, vrai Dieu et vrai homme dans l'hostie exposée sur cet autel, en mon nom et au nom de l'association chrétienne des… du Périgord, je vous reconnais comme mon Seigneur et mon Maître».

«Parce qu'on a voulu vous écarter de la famille, nous reconnaissons votre empire sur nos foyers; parce qu'on vous a éloigné de nos associa­tions et de nos cités, nous vous saluons comme le Maître incontesté et comme le Chef suprême du Périgord; parce qu'on vous a chassé de l'Etat, nous vous acclamons comme le chef souverain de la France, notre patrie bien-aimée, mettant à vos pieds tout ce que nous possédons, ce que nous sommes, et notre vie même, s'il vous plaît d'en disposer».

Nous ne craignons pas d'exagérer en disant, après l'Univers, que cet acte de foi à la royauté du Sacré-Cœur est un événement d'une impor­tance sociale considérable.

L'impulsion est donnée; le mouvement gagnera de proche en proche; toutes les provinces chrétiennes de France se consacreront au Sacré­Cœur, en attendant que la nation tout entière se reconstitue sous le rè­gne social du Christ.

Travaillons, chacun dans notre sphère, à multiplier ces manifesta­tions; nous hâterons l'heure de la délivrance et du salut.

Belgique. Le Congrès de Malines. - Un Congrès catholique inter­national s'ouvrira à Malines le 8 septembre.

Le comité général d'organisation, placé sous la présidence d'honneur de Son Eminence le cardinal archevêque de Malines et de M. le comte de Mérode-Westerloo, se compose de MM. V. Jacobs, président, Ch. Wœste et Léon Collinet, vice-présidents, F. Belpaire, J. Davignon, V. Fris et Fr. Schollaert, secrétaires-généraux.

Cinq sections se partageront l'étude des questions qui seront discutées au Congrès: section des œuvres religieuses, des œuvres sociales, des œuvres chari­tables, de l'enseignement, des sciences, lettres et arts.

Dans la première section, présidée par M. le sénateur Lammens, Mgr Gautier, M. Em. Harment, M. Verstraelen, doyen des faubourgs de Bruxelles, M. Désiré Casier, et M. H. Desclée parleront successivement des moyens de vulgariser l'enseignement de la religion, des devoirs des chefs d'atelier et des maîtres relativement au repos dominical, de l'im­portance de la messe paroissiale, des retraites d'ouvriers, du Tiers­-Ordre, et enfin du rétablissement des usages pieux dans les familles: ré­citation en commun des prières du matin et du soir, touchante coutume de la bénédiction paternelle, culte du crucifix et des images pieuses, en particulier de celle du Sacré-Cœur.

La seconde section, présidée par M. Wœste, s'occupera de questions délicates et du plus haut intérêt, sociétés coopératives, caisses de retrai­tes, unions professionnelles, moyens de prévenir les grèves, éducation économique de l'ouvrier, ligues catholiques et antirevolutionnaires. On y entendra tour à tour MM. Schollaert, Michel Levie, M. le chanoine Henry, MM. Paul Lefebvre, Arthur Verhaegen, Francotte, Nobels­Janssens, Nyssens et Kaiser.

M. le duc d'Ursel, beau-frère de M. le comte de Mun, présidera la troisième section, celle des œuvres charitables, si nombreuses et si florissan­tes en Belgique. L'espace nous manque pour indiquer en détail les noms des rapporteurs de cette section, ainsi que des deux autres, celle de l'en­seignement, et celle des sciences, lettres et arts, qui seront présidées par Mgr Abbeloos, et M. le professeur Kurth.

Le Congrès catholique de Malines sera d'un haut intérêt, tant par l'importance des questions sociales qui y seront traitées - et qui, plus que jamais, sont à l'ordre du jour - que par le talent des congressistes qui prendront la parole.

Parmi eux, en effet, nous voyons figurer les noms les plus justement populaires et les plus illustres de la Belgique, ainsi qu'un grand nombre de notabilités catholiques des nations voisines, en particulier de la Fran­ce et de l'Allemagne.

La souscription au Congrès est fixée à dix francs. Elle donne droit au compte-rendu complet des travaux de l'assemblée, formant un vol. in 8°. Le célèbre oratorio Franciscus de Tinel sera exécuté pendant une des soirées du Congrès.

Angleterre. - Depuis longtemps déjà, on constate en Angleterre un mouvement très consolant de retour à la foi catholique, dans les hautes sphères surtout-et dans les rangs du clergé anglican.

Le ritualisme qui tend à rétablir les formes extérieures du catholicisme romain, et qui compte dans ses rangs tout ce qu'il y a de plus honnête et de meilleur dans l'anglicanisme, ramène tout doucement, comme le constatait dernièrement un journal très hostile à la religion, l'Église offi­cielle anglaise au catholicisme. La statistique accuse des conversions de jour en jour plus nombreuses.

Depuis deux ou trois ans, le nombre de ces conversions dans les quin­ze diocèses catholiques d'Angleterre varie de 700 à 1000 par an. Tout dernièrement, pour ne citer que les plus illustres, c'étaient M. George Ussher, descendant de l'ancien primat protestant l'Irlande; l'écrivain George Parsons Lathrop et sa femme, qui est fille de Nathaniel Howthorne; l'honorable Edward-Horatio Nelson, descendant du fa­meux Nelson, que ses deux frères avaient précédé dans la même voie; le vicomte Saint-Cyres, fils aîné de l'ancien ministre sir Stafford Northco­te; le pasteur anglican Thomas Cato, et bien, d'autres.

Le temps n'est plus où la farouche intolérance, inaugurée par Crom­well et Elisabeth, inondait l'Angleterre du sang des martyrs, et où le port de l'habit ecclésiastique était interdit en Angleterre sous peine de mort.

Sans doute, il reste encore beaucoup de préjugés à vaincre, dans les masses populaires surtout; mais l'anglicanisme est largement entamé, et un jour viendra, il faut l'espérer, où l'Angleterre redeviendra l'île des Saints, et acclamera la royauté du Dieu de l'Eucharistie qu'elle a long­temps méconnu. Alors, elle aura pour le bien une immense influence; ses navires et ses missionnaires iront porter partout la foi catholique et rempliront un apostolat plus fécond mille fois que celui qu'ils essayent d'exercer en faveur du schisme et de l'hérésie.

Le signe d'espérance. - Il est dit dans les prophéties d'Isaïe que «le Seigneur élèvera parmi les nations un étendard, et rassemblera autour de lui les restes dispersés d'Israël «. Levabit Dominus signum in nationes et congregabit profugos Israël, et dispersos Juda colliget a quatuor plagis terme (I s. XI. 12).

Ne semble-t-il pas que ce signe mystérieux commence a briller au­dessus de nous, comme une aurore lumineuse au milieu des ténèbres et du chaos de sociétés «assises, pour une part trop grande, hélas! dans les ombres de la mort?».

C'est le Sacré-Cœur, signe d'espérance, signe de résurrection et de victoire, dont Pie IX disait cette parole, si souvent répétée: «La France et l'Église n'ont d'espérance que dans le Sacré-Cœur de Jésus; c'est lui qui guérira tous nos maux».

Ce signe a été élevé sur le Mont des Martyrs, au-dessus de la cité orgueil­leuse que l'on a surnommée la moderne Babylone, mais qui possède dans son sein les dix justes demandés par Dieu à Abraham. Tout Paris verra, dans quelques années, l'église du Sacré-Cœur s'élever sur ses hau­teurs, comme le signe permanent de l'acte de foi et de repentir de «la France pénitente et dévouée». car tels seront les mots gravés sur le frontispice du temple: « Sacratissimo Cordi Jesu Gallia pœnitens et devota ».

C'est bien la France catholique tout entière, en effet, qui a bâti ce temple; elle a trouvé, depuis vingt ans, au sortir d'une guerre désastreu­se qui semblait devoir la réduire pour de longues années à la pauvreté et à l'impuissance, près de trente millions pour son église du Sacré-Cœur.

Et si l'on consulte la liste des souscriptions, on se convaincra que l'obole du pauvre et de l'ouvrier y tient une très large place, en sorte que c'est là vraiment un effort national du pays tout entier. Du reste, la cons­truction de Montmartre a été le signal d'un mouvement immense qui porte la France catholique vers le Sacré-Cœur. Le nombre des statues, des chapelles, des églises, des autels érigés au Sacré-Cœur depuis une vingtaine d'années est inouï, en sorte qu'on trouve aujourd'hui quel­ques rares églises à peine, parmi les plus pauvres, qui n'aient pas leur statue du Sacré-Cœur.

Il en est de même dans la catholique Belgique, dans le Grand-Duché de Luxembourg, dans les provinces du Rhin, et dernièrement, au cours d'un voyage dans ces chrétiennes régions, nous avons été grandement consolé et édifié, en nous convainquant de nos propres yeux que la dévo­tion au Sacré-Cœur se répand partout, avec un élan qui ne peut s'arrêter.

Puisse-t-elle se répandre plus rapidement encore et plus efficacement! Puisse-t-elle être comprise et pratiquée dans toute son étendue, en esprit et en vérité, par les âmes de bonne volonté! Ce jour-là, ce sera le salut: le salut pour la France, qui est grandement coupable, mais que l'on connaîtrait mal si on la jugeait seulement d'après les pouvoirs officiels et les violences de langage des journaux révolutionnaires; le salut pour les autres nations catholiques, qui toutes, hélas! ont aussi à se frapper la poitrine, et à reconnaître leurs erreurs; le salut enfin (n'est-il pas permis de l'espérer?) pour les nations séparées de l'Eglise par le schisme et l'hérésie, qui retrou­veront la foi par l'amour et par la dévotion au Sacré-Cœur.

C'est à nous de hâter par nos prières et nos expiations ce jour tant dé­siré où il n'y aura plus qu'un «seul troupeau et qu'un seul pasteur», et où tous les restes dispersés d'Israël et de Juda se réuniront sous le drapeau élevé par le Seigneur au milieu des nations!

CHRONIQUE (Octobre 1891)

La Sainte Tunique de Trèves. - L'un des évènements religieux les plus considérables de cette année, est assurément l' Ostension de la Sainte Tunique à Trèves.

C'est à sainte Hélène que la ville de Trèves doit cette relique incompa­rable.

«Agritius, disent les antiques mémoires, ayant reçu de la sainte Impé­ratrice, les reliques les plus rares et les plus insignes qu'elle avait appor­tées d'Orient, les déposa au trésor de l'Eglise à lui confiée».

Parmi ces reliques, se trouvaient la Tunique sans couture du Christ (tunica inconsutilis), un des clous de la Passion, et les ossements de l'apôtre saint Mathias.

La dernière ostension avait eu lieu en 1844, et on avait vu accourir à Trèves, pour vénérer la sainte Relique, onze cent mille pèlerins. L'Assemblée générale des catholiques allemands à Trèves, en 1887, avait émis un vœu pour demander à l'évêque, une nouvelle ostension de la sainte Tunique.

L'éminent évêque de Trèves, Mgr Korum, a accédé cette année à ce vœu, après avoir fait constater d'une manière extrêmement sérieuse et irréfutable, l'authenticité de la sainte Tunique. Aussi, il a pu écrire dans son mandement à ce sujet ces paroles: « Je regarde comme un devoir impérieux de ma charge épiscopale de déclarer solennellement, sous l'œil de Dieu et des hom­mes, selon notre profonde conviction à tous que la sainte Robe conservée à Trèves, est la vraie Tunique de Notre-Seigneur et que nos vénérables prédécesseurs n'ont été ni trompés ni trompeurs».

Il y a aussi en France, à Argenteuil, une autre tunique de Notre­Seigneur qui paraît authentique aussi et qui fut donnée par Charlema­gne au monastère des Bénédictines de cette ville, où sa fille était religieu­se. Pie IX avait envoyé à la sainte relique d'Argenteuil, il y a 34 ans, son cierge de la Chandeleur avec l'inscription suivante: «Pius nonus, Summus Pontifex, Ecclesiae parochiali Argentaliensi, 2 februarii 1857».

Peut-être la tunique d'Argenteuil est-elle celle que Notre-Seigneur portait habituellement et celle de Trèves fut-elle une tunique plus ornée, que Notre-Seigneur a pu recevoir des saintes femmes, et qu'il a portée le jour de son triomphe lorsque les foules l'acclamaient en chantant: «Ho­sanna filio David».

Peut-être encore Notre-Seigneur les portait-il toutes deux, selon l'usa­ge de l'Orient. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que la sainte Reli­que de Trèves est une véritable Tunique de Notre-Seigneur, et celle d'Argenteuil semble en être une aussi.

C'est le 20 août que l'ostension a commencé à Trèves, au milieu d'une solennité des plus mémorables. L'antique capitale des Trévires était toute parée d'étendards et d'oriflammes, et dès le matin, le bour­don de la cathédrale annonçait au peuple que l'heure si longtemps atten­due était enfin arrivée.

Dès 8 heures du matin, une foule compacte remplit la nef de l'immen­se basilique, partout ornée de feuillage. La sainte Tunique recouverte d'un voile blanc est placée au-dessus de l'autel au centre d'une tribune, à laquelle on parvient par deux rangées de degrés. Mgr l'évéque de Trè­ves et son coadjuteur, Mgr de Luxembourg et Mgr de Birmingham sont là. Bientôt on entend retentir le chant du Vexilla Regis et celui de l'hy­mne: O Vestis inconsutilis. Alors Mgr Korum gravit les degrés de la tribu­ne, fait tomber les voiles, et la Tunique sans couture, apparaît les bras étendus: elle est d'une teinte violette, sur l'étoffe blanche qui lui sert de fond; c'est comme une vision du Christ en croix. Pendant le saint Sacri­fice célébré par l'évêque de Trèves, on entendit le chant de cette hymne magnifiquement interprétée à quatre parties:

O Ter beata Treveris,

Laetare tanto pignore,

Christi Togam

Laudibus depraedica

In saeculorum saecula.

O Trèves trois fois heureuse, réjouis-toi d'un si grand gage de salut, accompagne de tes louanges la Tunique du Christ, dans les siècles des siècles.

Après la messe, Mgr Korum a prononcé une admirable homélie: il a dit que la sainte Tunique lui rappelait l'amour de Jésus-Christ pour les hommes, son sanglant sacrifice et les sacrifices qu'il demande de nous, et il a terminé par ce cri d'amour et de gratitude de nos pères, quine pou­vaient regarder la croix sans tomber à genoux, cri qui a été la conclusion de son discours, comme il en avait été l'exorde: «Adoramus te, Christe, et benedicimus tibi ».

Depuis le 20 août, ces fêtes se continuent avec une solennité sans éga­le; chaque jour près de 50.000 pèlerins ont le bonheur de vénérer la sain­te Tunique; il faut attendre de longues heures avant de pouvoir pénétrer jusqu'à l'autel.

Au moment où cette Revue paraîtra, les fêtes de l'ostension seront sur le point d'être terminées et plus de deux millions de pèlerins seront ve­nus s'agenouiller aux pieds de la sainte Tunique, qui a peut-être été ar­rosée sur le Calvaire par le sang divin du Rédempteur, et qui est comme une relique de son Sacré-Cœur.

Un Saint du Sacré-Cœur. - Le 15 août dernier, avait lieu à Loigny une cérémonie profondément émouvante. C'est là que Sonis et Charette arborèrent le drapeau du Sacré-Cœur, le 2 décembre 1870; c'est là que la troupe héroïque des Zouaves Pontificaux arrêta, dans une charge lé­gendaire, toute une armée prussienne pour protéger la retraite de l'ar­mée vers l'Ouest; c'est là qu'ils succombèrent, écrasés par le nombre, comme des victimes et des martyrs.

On inaugurait donc à Loigny, le jour de l'Assomption, une croix mo­numentale en l'honneur du général de Sonis. Mgr Baunard prononça une allocution toute vibrante d'émotion patriotique et religieuse. Il montra, dans l'héroïque général, non seulement le modèle parfait du soldat et du chrétien, mais encore l'idéal accompli d'une victime du Sacré-­Cœur, et a fait entrevoir le jour où on pourrait l'invoquer comme un saint, un saint du Sacré-Cœur. Nous sommes heureux de pouvoir repro­duire quelques extraits - malheureusement trop restreints - de cet in­comparable discours.

«C'est donc ici, mes frères, que s'est accompli le sacrifice! C'est ici qu'est tombée l'héroïque victime; et de tant de sang versé dans ces gran­des batailles dont vous fûtes témoins, je n'en connais pas de plus noble, de plus généreux, de plus chrétien, que celui qui coula sur la motte de terre où s'élève cette croix. Il convenait, en effet, que cette pierre y rap­pelât l'auguste autel du Calvaire sur lequel s'immola le Roi des martyrs. Aussi bien, mes chers frères, c'est un sacrifice semblable à celui de son Maître, que le général de Sonis offrit en ce même lieu, dans une journée et une nuit d'immortel souvenir.

«Il fallait d'abord une victime sainte. Mais il fallait aussi une victime volontaire, et que de fois le soldat ne s'était-il pas déjà offert à Jésus­Christ par amour? Cette offrande de lui-même, il l'avait faite en Italie lorsqu'il écrivait, la veille de sa charge héroïque de Solférino: «Si Dieu me rappelle à lui, il m'assistera de sa grâce. Il sait mieux que nous ce qui nous est bon. L'idée de la mort est un trésor pour le chrétien; la patrie est au Ciel». Cette offrande volontaire, il l'avait faite au Maroc, quand, aspirant la mort au chevet des soldats et des chefs de l'armée décimée par le choléra, il s'oubliait lui-même pour sauver la vie à ses compa­gnons d'armes ou les introduire dans l'éternité.


«Et ne voyez-vous pas une lointaine apparition de la bannière du Sacré-Cœur dans ce culte passionné du Cœur divin auquel le généreux africain a pris l'habitude de se consacrer chaque jour? «Vous savez ma dévotion au Sacré-Cœur, écrit-il en 1869. je suis fidèle au renouvelle­ment quotidien de ma consécration à ce Cœur adorable». C'est donc, mes frères, de plus une victime consacrée, quotidiennement consacrée, que cette victime volontaire, que cette victime sainte.


«C'est bien la Providence qui a placé sous la garde du colonel de Cha­rette cette bannière du Sacré-Cœur qui va devenir, dans la bataille, le fanion du pieux général qui se consacrait au Sacré-Cœur de Jésus cha­que jour».

«C'est bien la Providence qui réunit ces chrétiens au pied du même autel, à la première heure du Deux Décembre, je ne dis pas, hélas! à l'anniversaire du soleil d'Austerlitz, mais au matin d'un vendredi, jour dédié au mystère de la Rédemption, au matin de ce premier vendredi du mois que les révélations de Paray-le-Monial ont désigné pour être consa­cré au Sacré-Cœur, dont justement le prêtre célèbre l'office en ce jour. C'est donc unies en tout à la grande Victime que les futures victimes de cette journée meurtrière montent à la Table sainte de Celui qui s'immo­la pour nous».

«Maintenant, que vous dirai-je que vous n'ayez vu vous-mêmes et que vous ne sachiez mieux que moi? Reportez-vous au soir de cette jour­née de décembre, lorsque la longue lutte s'achève et que ces campagnes n'offrent plus qu'une vaste nappe de neige partout tachée de sang. Ici, à ma droite, derrière Villours, notre artillerie qui gronde toujours et tient encore en respect les masses profondes de l'ennemi. Là près de moi, le petit Bourgeon haché par la mitraille et les balles, et cachant autant de morts et de mourants qu'il contient d'arbustes et de buissons. Plus haut, votre village en feu et enveloppé de fumée, comme un nuage d'orage, d'où sortent les éclairs de l'incendie et le tonnerre d'un combat qui ne veut pas finir. A ces lueurs lugubres, la croix de votre clocher et les croix de votre cimetière se levant seules pour parler de paix, de miséricorde et d'amour. Quel spectacle à la fois de grandeur et d'horreur!».

«Et cependant ce que l'on voit n'est que le cadre d'une autre scène qui, celle-là, ne se voit pas, mais à laquelle sont attentifs Dieu, ses anges et ses saints. Ici, à cette place, un homme étendu sur la terre où la neige le couvre; son sang coule; il est brisé et il s'apprête à mourir. Sa tête re­garde le ciel et il recueille dans son âme tous ces gémissements, ces cris, ces agonies qui s'él°vent de toutes parts sur cette plaine sanglante».

«Ces heures marquèrent sa vie d'un sceau qui ne s'effaça plus; c'était un sceau divin. J'ai bien senti près de moi les battements du Cœur de Jésus-Christ, au moment où sa Mère m'arrachait à la mort, écrivait-il ensuite».


«Qu'à d'autres qu'à lui, qu'à d'autres chefs de nos armées d'alors,. on érige des trophées, on dresse des statues sur les places publiques. Ici, l'Eglise, prenant les devants sur la reconnaissance attardée du pays, a voulu que Sonis eût du moins, de par elle, sa tombe sous votre sanctuai­re, une croix sur ce champ de bataille, et sur cette croix une palme, et au-dessus de cette palme la bannière du Sacré-Cœur qui avait ombragé son sacrifice de ses plis.


«D'ailleurs nous ne faisons aujourd'hui, je l'espère, que la première veille de sa gloire; et d'autres et plus grands hommages attendent le saint héros qui ne cesse de monter dans la vénération comme dans l'admira­tion de ses contemporains. Un jour, j'en ai la confiance, la France catho­lique reprendra le chemin que nous venons de parcourir. A la place de cette croix, elle viendra consacrer un sanctuaire, un autel sous un nom glorieux; elle s'agenouillera ici, et elle baisera, non plus seulement avec respect, mais avec religion, cette terre devenue sacrée comme une reli­que, car elle a bu le sang de celui qui s'appellera dans le ciel comme sur la terre: le bon soldat du Christ. Ainsi soit-il».

Le Règne du Sacré-Cœur au Congrès de Malines. - Dans le nu­méro précédent, nous avons annoncé le Congrès de Malines. A la secon­de assemblée générale, M. le comte Verspeyen a parlé de l'Encyclique de Léon XIII et a demandé au Congrès de l'acclamer; sa voix a été cou­verte par des applaudissements répétés.

Le lendemain encore, M. Verspeyen a demandé au Congrès de reven­diquer énergiquement l'indépendance du Souverain Pontife et le réta­blissement du pouvoir temporel.

Ce vœu aura, suivant l'expression d'un membre du Congrès, un re­tentissement considérable.

Mais nous voulons appeler l'attention sur un autre discours qui se rapproche de plus près encore du but de notre Revue.

M. Tancrède Rothe, professeur à l'université catholique de Lille, a traité, dans la réunion des Œuvres du très saint Sacrement, la question du culte des Etats envers le Sacré-Cœur. «Notre-Seigneur Jésus-Christ, a-t-il dit, s'est exprimé catégoriquement à ce sujet, et il a déclaré qu'il voulait s'emparer des cœurs des grands de la terre et du peuple: Dieu le veut. Les Etats doivent obéir».

Ce discours a fait une vive impression sur les membres de la section. M. Alfred de Kerchove d'Exaerde, de Gand, y a fait écho en exprimant le désir que de nombreux chrétiens prennent part chaque mois à la com­munion du premier vendredi, qu'ils escortent le Saint-Sacrement, et ainsi contribuent à l'établissement public et officiel du culte du Sacré-­Cœur parmi les nations.

Enfin il a émis le vœu, aux applaudissements de toute l'assemblée, de voir se généraliser de plus en plus la pratique de l'Heure-sainte, demandée par Notre-Seigneur lui-même à la B.se Marguerite-Marie.

Manifestation ouvrière catholique à Reims. - Le Christianisme semble pénétrer de nouveau dans les masses populaires: l'ouvrier com­mence à comprendre que le prêtre est son meilleur ami et que la religion seule, dont on s'efforce de le détacher depuis un siècle, peut lui donner le soutien et la consolation dont il a un si grand besoin.

Reims, la grande cité ouvrière, est une des villes de France où le mou­vement catholique se fait le mieux sentir. La Croix y est lue par des mil­liers d'ouvriers et y a fait déjà un bien immense. D'un autre côté, la con­frérie de Notre-Dame de l'Usine y a son centre. Le lendemain de l'As­somption, la fête patronale de cette confrérie a été l'occasion d'une gran­de manifestation ouvrière et religieuse. Plus de sept cents ouvriers com­munièrent à la messe de sept heures du matin. A la grand'messe, M. l'abbé Garnier prêcha sur les devoirs des patrons et des ouvriers. Le soir, un banquet fut donné au pensionnat des Frères. Onze cents mem­bres, parmi lesquels ouvriers et patrons étaient confondus, y prirent part.

Puissent toutes les villes de France suivre l'exemple de Reims et du Val-des-Bois! Lorsque la grande croisade entreprise par M. Léon Har­mel aura réussi dans toute la France, lorsque le patron et l'ouvrier seront redevenus chrétiens, la question sociale sera résolue; et le magnifique pèlerinage ouvrier qui, déjà le 19, a présenté au Saint-Père, son premier groupe, pour se prolonger durant le mois d'octobre, ne pourra que con­tribuer puissamment à ce résultat.

Le Règne du Sacré-Cœur à l'assemblée du Pius-Verein en Suisse. - L'assemblée du Pius-Verein, à Bormgarten, en Suisse, a été signalée par deux manifestations importantes. D'abord M. Weissen­bach, dans un discours magistral, a proclamé la nécessité du rétablisse­ment du pouvoir temporel du Saint-Siège. Il a terminé son discours par cette véhémente protestation: «Nous, membres du Pius-Verein, nous devons agir de toutes nos forces et peser de toute notre influence, en nous unissant aux catholiques du monde entier, pour hâter par nos ef­forts le moment de la restauration du pouvoir temporel, et élever nos voix jusqu'à ce que les puissants de la terre se décident enfin à l'enten­dre» .

«L'Assemblée, dit l'excellent journal le Bien-Public, de Gand, a répon­du à ces énergiques paroles, par d'enthousiastes acclamations qui auront leur écho jusqu'au Vatican, en passant comme un souffle vengeur sur le palais du Quirinal».

Il y a eu aussi dans cette même assemblée un discours marquant de M. le chanoine Schorderet sur la restauration de toutes choses en Jésus­Christ; Instaurare omnia in Christo, et sur le règne de son Sacré-Cœur. L'orateur rappelant un épisode fameux des guerres Helvétiques, compa­rait Winkelried, à Sempach, enfonçant dans son cœur les lances autri­chiennes pour offrir à ses concitoyens le chemin de la liberté, et Notre­-Seigneur Jésus-Christ ouvrant son divin Cœur sur la croix pour répan­dre par là sur le monde des torrents de miséricorde.

Il a parlé ensuite de l'acte solennel du gouvernement de Fribourg, du 29 juin 1889, par lequel cette ville faisait publiquement et solennelle­ment acte d'Hommage-Lige à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

C'est devant le drapeau de la patrie que fut prononcé cet acte d'Hom­mage. Naguère les étudiants suisses de Fribourg déclaraient vouloir tra­vailler selon l'esprit de Nicolas de Flüe, à la restauration de toutes choses dans le Christ.

Le divin Maître, en effet, a promis que son Sacré-Cœur règnerait malgré Satan et ses suppôts, et qu'il comblerait de bénédictions les nations qui lui élèveraient un temple, placeraient son image sur l'étendard de la patrie et lui feraient un hommage public d'adoration et de fidélité.

«Ah! s'écrie l'orateur en terminant dans un mouvement de pathéti­que éloquence, puissions-nous verser notre sang et donner l'ardeur qui nous reste au service de la restauration du règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les individus, les familles et les sociétés!».

Ainsi, nous le voyons, cette grande idée du règne du Sacré-Cœur est acclamée partout maintenant. L'heure est-elle venue où les peuples, re­nonçant à leurs antiques erreurs, viendront, comme nous en exprimions l'ésperance dans notre dernière chronique, se grouper autour de l'éten­dard du Sacré-Cœur, pour ne plus faire qu'un seul troupeau sous la conduite d'une seul pasteur? Nous ne saurions encore le dire et l'avenir est à Dieu. Mais un mouvement considérable s'est accompli depuis quelques années en ce sens.

Après le siècle qui s'achève dans une triste décadence, nous verrons peut-être surgir une époque nouvelle, où l'on ne proclamera plus les droits de l'homme, mais les droits de Dieu, une ère de triomphe et de prospé­rité pour l'Eglise, ère qui sera le règne du Sacré-Cœur.

Puisse la Vierge du Rosaire, que toute l'Eglise invoque durant ce mois béni, hâter la réalisation de cette espérance! Dociles à la voix de no­tre grand Pontife, redoublons tous d'instance dans les supplications que nous faisons monter vers Elle, afin d'obtenir de son intercession un si grand bienfait.

CHRONIQUE (Novembre 1891)

Rome. - Les fêtes de Rome étaient trop belles pour ne pas émouvoir le diable et ses suppôts. La France envoyait ses ouvriers aux pieds du Pa­pe. Toutes les nations chrétiennes envoyaient leurs jeunes étudiants au tombeau glorieux de S. Louis de Gonzague. Quinze mille ouvriers et trente mille étudiants devaient passer à Rome et offrir leurs hommages au Vicaire de Jésus-Christ. Les sectes maçonniques enrageaient et pré­paraient leur tintamarre. Le roi s'était enfui à Monza, trouvant le Quiri­nal trop morose en face des fêtes du Vatican.

Les solennités se succédaient depuis quinze jours avec une pompe et un enthousiasme croissants. Le Saint-Père célébrait la messe à Saint­Pierre pour ses chers ouvriers. Il leur parlait, les bénissait et ceux-ci l'ac­clamaient. Les bannières des cercles et corporations se déployaient libre­ment dans Saint-Pierre. Le congrès de la jeunesse catholique avait été imposant. On projetait de nouveaux cercles et de nouvelles associations en Italie. Les banquets des pèlerins étaient pleins d'entrain. M. de Mun, à plusieurs reprises, y parlait pour élever les âmes, fortifier les espéran­ces et animer les courages. Les pensées qu'il exprimait étaient bien faites pour blesser au cœur les révolutionnaires italiens. «Voyez, disait-il aux pèlerins, voyez dans Rome tous les témoignages des victoires du Christ. Les obélisques glorifiaient les divinités païennes, ils sont surmontés de la croix. Les persécuteurs triomphaient au Palatin, le Palatin est en ruines et le tombeau des Apôtres est glorieux. Le Christ triomphe à la prison Mamertine où ses Apôtres ont été écroués. Saint Pierre est honoré sur l'emplacement du cirque de Néron par le plus beau temple que l'huma­nité ait élevé». M. de Mun n'avait pas besoin de conclure. Les faits qu'il rappelait présagent l'abaissement des persécuteurs actuels et le triomphe du Saint-Siège.

La journée du 29 septembre mit le comble à la joie des catholiques et fit déborder la haine des sectaires.

Une foule immense de pèlerins remplissait la Basilique de Saint­Pierre, comme aux beaux jours de Pie IX. Léon XIII y fit son entrée sur la sedia. La présence des cardinaux et de nombreux prélats, les tribunes de l'aristocratie et du corps diplomatique, les chants solennels, l'enthou­siasme débordant de la foule, tout rappellait les grandes solennités dont nous sommes privés depuis vingt ans. Mais c'était trop. Deux jours après, les loges et la canaille saisissaient un incident ou le provoquaient elles-mêmes par fraude, et des démonstrations impies et brutales écla­taient, à Rome d'abord, et bientôt dans toutes les villes d'Italie. Plu­sieurs aveux échappés aux journaux et aux sectaires nous révèlent un coup monté. On a voulu renouveler le plébiscite de 1870. Mais Dieu se joue des sectaires.

Ce qui résulte de tout cela, c'est que la question romaine s'est réveil­lée, plus urgente et plus saisissante que jamais. Le Saint-Père ne peut plus librement recevoir les pèlerins catholiques, c'est manifeste. Le gou­vernement est impuissant à contenir les sectaires ou bien il est leur com­plice. La sécurité du Pape elle-même est compromise. Les bandes révo­lutionnaires pourront un jour se ruer sur le Vatican comme elles se sont ruées sur les pèlerins.

Un homme d'Etat italien donnait, il y a quelques jours, la formule vraie de la situation: «Les évènements prouvent, une fois encore, qu'il existe à Rome deux puissances rivales, la Royauté et la Papauté; et que, tôt ou tard, il faudra que l'une cède devant l'autre».

C'est vrai, mais l'histoire prouve surabondamment que la Papauté a survécu à tous ses persécuteurs à Rome même.

Le Christ règnera par son Vicaire à Rome, c'est ce qu'exige l'indé­pendance de l'Eglise.

L'église de la réparation à Rome; l'Encyclique sur le Rosai­re. - La pose de la première pierre de l'eglise Saint-Joachim a eu lieu le ler octobre. Cette église sera le Montmartre de Rome. Le Saint­Sacrement doit y être exposé toujours. Ce sera le centre de l'Adoration ré­paratrice des nations catholiques. Ce sanctuaire sera une nouvelle source de grâces pour toute l'Eglise.

Le Saint-Père nous a exhortés de nouveau à prier par le Rosaire dans une encyclique extrêmement touchante. Quelle tendre confiance le Saint-Père a en Marie, et avec quelle persévérance il la manifeste! Pen­dant tout son pontificat, il a développé la dévotion au Rosaire. Ne sera-t­il pas exaucé un jour, comme Pie V, Pie VII et tant d'autres pontifes l'ont été, quand ils ont recouru à Marie dans les détresses de l'Eglise?

Comme il encourage notre prière! «Il en est, dit-il, qui, voyant le peu de fruits obtenus jusqu'ici par la récitation du Rosaire, sont tentés de se décourager. Qu'ils se rappellent que toute prière doit être appuyée par les vertus et les conditions que Notre-Seigneur a indiquées».

«Il ne convient pas d'ailleurs, ajoute le Saint-Père, de fixer à Dieu le temps et le mode de ses miséricordes. Quand il tarde à nous exaucer, c'est pour notre plus grande utilité. Il prépare alors à son Eglise des grâ­ces éclatantes pour le jour où les évènements providentiels ont accompli leur cours». Continuons donc à prier. Prions avec persévérance, et joi­gnons à la prière la pénitence et les autres dispositions propres à toucher le Cœur du souverain Arbitre des événements.

Trèves. - Le pèlerinage de Trèves est un magnifique triomphe de Notre-Seigneur. L'éloquent et pieux évêque de Trèves avait dit à l'Alle­magne catholique: «Venez prier Celui dont la sainte humanité a été re­vêtue de cette tunique, Celui qui l'a arrosée de son sang, et qui nous l'a léguée comme le symbole de l'unité de son Eglise et de son impérissable amour». Sur cette invitation, deux millions de catholiques sont venus à Trèves de tous les points de l'horizon. Et ce n'étaient pas de simples cu­rieux, mais de vrais pélerins qui priaient avec une grande ferveur.

Nous avons eu le bonheur de voir ces processions, et nous avons admi­ré la foi profonde de ces braves chrétiens, qui récitaient leur chapelet ou chantaient des cantiques sur tout le parcours. L'immense majorité des pèlerins s'étaient, du reste, préparés au pèlerinage par la réception des sacrements.

Dans toutes les paroisses du diocèse de Trèves, les curés faisaient pré­céder leur pèlerinage d'une sorte de retraite qui se terminait par une communion générale. Il en était de même dans les autres diocèses alle­mands. Les pèlerinages de Trèves étaient donc, avant tout, un grand ac­te de foi, une reconnaissance solennelle de la divinité de Jésus-Christ.

Toutes les classes de la société étaient représentées parmi les pèlerins. L'aristocratie allemande s'est fait une gloire non seulement de se rendre à Trèves, mais de prendre place dans la garde d'honneur que la ville a organisée autour de la sainte relique pendant toute la durée des fêtes. A côté de la grande noblesse, on remarquait aussi l'aristocratie de l'intelli­gence. Tout ce que le Centre compte de membres éminents s'est fait un honneur d'aller prier à Trèves.

C'est bien un épisode brillant du règne de Notre-Seigneur. La dévo­tion croissante au Sacré-Cœur donne aux fidèles une ardeur toujours plus grande pour aller honorer tout ce qui tient à Notre-Seigneur et leur rappelle son amour.

Belgique. - Le Congrès de Malines est maintenant entré dans le passé. Il a été une des plus belles et des plus puissantes de ces assemblées catholiques qui ont réjoui l'Eglise dans ces derniers mois. On peut mieux le juger après quelques jours d'intervalle.

MM. jacobs et Wœste représentaient là les hommes d'Etat franche­ment catholiques et pleinement victorieux du respect humain.

M. Verspeyen, le Veuillot de la Belgique, s'est montré un économiste chrétien de premier ordre dans son commentaire de l'Encyclique.

M. Denis Cochin et Mgr d'Hulst étaient tout désignés pour parler des hautes études.

Le P. Didon prêcha l'union avec éloquence, et M. l'abbé Garnier par­la avec conviction de la lecture et de la diffusion de l'Evangile.

Le Dr Schaepman, prêtre et homme d'Etat hollandais, montra les avantages de l'association et rappela l'action bienfaisante des anciennes Gildes.

Le grand Alsacien, M. Winterer, curé de Mulhouse, fit ressortir les dangers du socialisme.

Il faudrait citer encore Mgr l'évêque de Gand, M. l'abbé Claeys, l'orateur flamand, M. Thellier de Poncheville, un de nos députés les plus éloquents, M. Kurth, le savant professeur.

Mais ce n'est pas tout. A côté de ces hommes éminents, on a entendu des ouvriers exprimer leurs désirs et leurs besoins dans une réunion spé­ciale, sous la présidence de Son Eminence le Cardinal de Malines.

Quel magnifique spectacle que celui de tous ces hommes de bonne vo­lonté, appartenant à toutes les classes de la société et cherchant ensemble le règne de Dieu et le salut social.

La Belgique surtout, où l'Eglise n'a pas à subir les entraves de notre concordat, tirera un grand profit de ce congrès.

- Plus récemment une autre réunion internationale se tenait en Bel­gique sous le nom de Congrès de la Moralité publique. Il s'agissait de protester contre la débauche réglementée dans les maisons de tolérance. Ce congrès a pris un aspect particulier. Les dames y étaient en bon nom­bre. Un évêque y coudoyait des pasteurs protestants. Un ministre d'Etat y parla. L'Angleterre, la Suède, la Hollande, la Suisse, la France et d'autres nations encore y avaient des représentants. Les résultats obte­nus par les comités déjà constitués sont remarquables. La débauche ré­glée ainsi a été supprimée en Angleterre et dans plusieurs villes de Hol­lande. Le congrès la condamne comme une tentation organisée, comme une traite barbare et un asservissement de la femme. Nous aimons à voir ces efforts spontanés et ardents pour le progrès de la morale chrétienne.

Bade et Wurtemberg. - Ces deux pays promettent de meilleurs jours au catholicisme. Le roi de Wurtemberg est mort. Son successeur est le dernier rejeton de la branche protestante de cette famille royale. Après lui, c'est la branche catholique qui arrivera au trône. Déjà les dy­nasties de Bavière et de Saxe sont catholiques; bientôt les trois royaumes vassaux de l'empire d'Allemagne auront des rois catholiques. La famille grand-ducale de Mecklembourg a aussi plusieurs membres catholiques. Là aussi le trône appartiendra bientôt aux catholiques. Ce sont des con­quêtes pour le règne de Notre-Seigneur.

Au duché de Bade, les catholiques ont la majorité dans la population, mais jusqu'à présent ils se désintéressaient des élections et se laissaient mener par les luthériens. L'exemple du Centre allemand les a tirés de leur blâmable apathie. Aux élections récentes, ils ont gagné environ vingt sièges. Encore un petit effort, et ils auront la majorité dans les Chambres. Sur le terrain de l'action catholique, l'Allemagne continue donc à nous donner des leçons. Puissions-nous trouver là un stimulant, pour animer notre ardeur!

Hommage social au Sacré-Cœur de Jésus à Perigueux et à Valen­ce. - La Fédération du Sacré-Cœur propage la coutume des homma­ges sociaux au Sacré-Cœur. Il faut que les corporations, les communes, les associations, les congrès rendent au Sacré-Cœur l'hommage social, pour préparer l'hommage national, que Notre-Seigneur a demandé à Marguerite-Marie. Le 2 août, une quarantaine de notables du Périgord, réunis autour de leur évêque, offraient au Sacré-Cœur leur hommage au nom de la province, au nom des villes qu'ils représentaient, en for­mant le vœu que cet hommage pût être renouvelé, bientôt, à Reims ou à Montmartre, au nom de la patrie tout entière.

Le 18 septembre, c'était le congrès de l'Union des œuvres catholiques, réuni à Valence, qui offrait au Sacré-Cœur son hommage social. Mon­seigneur l'évêque de Valence a lu le premier la formule de l'hommage social, qui se résume en ces mots: «Cœur sacré de Jésus, souverain et immortel Seigneur de toutes les nations de la terre, je jure d'être fidèle à votre règne social».

Ce n'est plus la simple consécration au Sacré-Cœur, c'est l'hommage que Notre-Seigneur a formellement demandé. C'est la reconnaissance de la royauté du Christ et de son règne social.

Le congrès a émis le vœu qu'on généralisât le plus possible l'exposi­tion de l'image du Sacré-Cœur sur les drapeaux nationaux qu'on dé­ploie dans les cérémonies religieuses. Répondons à ce vœu sans res­pect humain. C'est aux amis du Sacré-Cœur de donner l'élan à tous les chrétiens de bonne volonté.

CHRONIQUE (Décembre 1891)

La Royauté sociale du Sacré-Cœur. - C'est le Sacré-Cœur qui ré­soudra la question sociale. La lutte s'accentue depuis un siècle entre l'idée de la société athée ou laïque et l'idée de la société chrétienne. C'est le procès du Christ qui se renouvelle. Pilate lui disait: «Es-tu roi?». Le Christ lui répondit: «Tu l'as dit, je suis roi: Rex sum ego». La conspira­tion maçonnique et juive veut détrôner le Christ. Elle veut l'exclure de toute la vie sociale. L'indifférence générale et l'ignorance s'y prêtent. L'illusion libérale est disposée à toutes les concessions. Mais les amis du Sacré-Cœur veulent répondre aux désirs formulés par Notre-Seigneur à Paray-le-Monial. Notre-Seigneur a demandé des consécrations. Mais ce n'est pas tout. Il a demandé des «Hommages». L'hommage diffère de la consécration. La consécration est un acte de pure dévotion, un acte qui n'engage que la vie privée, même quand il est fait en commun. L'hommage est un acte social, il engage la vie sociale et publique, fût-il même prêté par un seul homme. Notre-Seigneur attend l'hommage so­cial des cités, des provinces, des nations envers son Cœur sacré, comme il a obtenu l'hommage social envers l'Eucharistie depuis Constantin jus­qu'à notre temps. Il faut que cette idée gagne les masses chrétiennes. C'est une étape nouvelle du règne du Sacré-Cœur. La Fédération du Sacré-Cœur de Paray-le-Monial y travaille avec une foi admirable. La lumière se fait. M. Million d'Ainval a pu faire, au dernier congrès de Li­moges, un intéressant rapport sur le «Mouvement de l'hommage en France». L'hommage a été prêté déjà par divers congrès, par des grou­pes provinciaux ou communaux, et dernièrement par un nombreux pe­lerinage vendéen, à Lourdes. C'est un grand signe d'espérance. Hâtons par nos prières le règne du Sacré-Cœur. Aimons à rendre souvent notre hommage au Christ-Roi, en disant avec l'Eglise: «Le Christ-Roi, mai­tre des nations, venez, adorons-le!».

Les ouvriers: à Lille, Malines, Reims. -Les ouvriers sont dans le malaise, ils veulent autre chose que ce qui existe et ils ont raison. A Lille, ils viennent d'élire le socialiste Lafargue, gendre du socialiste allemand Karl Marx. C'est là un coup de tête qui ne sauvera rien. Lafargue est collectiviste en théorie; en pratique, il ne sera sans doute qu'un parvenu. Le collectivisme détruit la propriété. Léon XIII nous a montré dans son Encyclique quelle ruine sociale sortirait de l'application d'une pareille doctrine. - A Malines, les ouvriers catholiques nous ont donné un spec­tacle plus consolant. Dans une assemblée nombreuse, sous la direction paternelle du Cardinal, ils ont répudié le socialisme, acclamé la bonne presse et adopté le projet de syndicats mixtes de patrons et d'ouvriers chrétiens. - A Reims, il y a parmi les ouvriers un mouvement sérieux de retour vers les principes chrétiens. Mille ouvriers viennent d'accla­mer l'Archevêque, à son retour de Rome. Le mouvement de Reims se fait au nom du Sacré-Cœur et sous son inspiration.

Angleterre. - Les progrès de l'Eglise catholique en Angleterre sont devenus un fait régulier, quotidien. Pour la première fois depuis la Ré­forme, on vient de dire à Londres la «messe rouge», la messe de rentrée des tribunaux, pour les juges appartenant à la religion catholique. C'est par les hautes classes que se fait la conversion de l'Angleterre. Les catho­liques deviennent nombreux dans les tribunaux et dans toutes les admi­nistrations. Ils comptent quarante et un membres à la Chambre des Lords, neuf au Conseil privé et soixante-seize à la Chambre des Com­munes. Là aussi le Sacré-Cœur est l'inspirateur de tout le bien qui se fait. Les catholiques anglais aiment ardemment cette dévotion.

Allemagne. - Les catholiques allemands donnent à l'Europe un grand exemple. Il sont unis et vaillants. Chez eux, le prêtre est à sa pla­ce. Il a la direction sociale, que nous laissons prendre en France aux francs-maçons et aux juifs. Les Allemands envoient siéger au Parlement cinquante prêtres. Il en serait bientôt de même en France, si l'Eglise était libre, si une déloyale application du Concordat ne paralysait pas l'action des autorités ecclésiastiques. L'opinion catholique en France tend à désirer la révision du Concordat, pour ce grave motif.

Danemark. - Au Danemark, comme en Suède et en Norvège, com­me en Hollande et en Angleterre, l'intolérance protestante a fait son temps. Le catholicisme peut maintenant se pratiquer en plein jour et sans entraves. Les catholiques n'avaient jusqu'à présent à Copenhague qu'une chapelle, ils auront bientôt une cathédrale, et la première pierre en a été posée en présence de la princesse royale Waldemar. Deux autres paroisses se préparent et la chapelle des jésuites s'achève. On peut pré­voir un accroissement rapide de la foi catholique au Danemark.

Suisse. - Le catholicisme comptait à peine quelques centaines de fi­dèles dans le canton de Genève, au commencement du siècle; mainte­nant les catholiques y sont en majorité. Le protestantisme perd du ter­rain en Suisse comme en Allemagne, en Hollande et en Angleterre. Les catholiques de Suisse ne sommeillent pas; ils agissent, ils se réunissent. Dernièrement, ils avaient à Fribourg le congrès cantonal du Pius­-Verein. Mgr Deruaz présidait. Il a conquis l'admiration de tous par sa science théologique et son intelligence des œuvres.

Un des rapports les plus saillants de ce congrès a été celui de M. Tapo­nier sur la Presse catholique. C'est une thèse complète et parfaitement développée. La Presse est devenue un moyen d'apostolat et un moyen de défense nécessaire. Il y a quelques années encore, le journal catholique ne sortait pas des presbytères. Mais il y a sous ce rapport une heureuse révolution dans les mœurs. En Allemagne, chaque ville a son journal ca­tholique. L'Italie a de vaillants journaux dirigés par des prêtres. En France, La Croix surtout s'impose à tous les foyers catholiques, avec quelques feuilles de province, comme le Nouvelliste de Lyon. C'est un bon signe. Il y a quelques années, les catholiques timides redoutaient la lutte et même le grand jour. Les concessions libérales nous avaient asservis.

M. Taponier est de ceux qui pensent que Saint Paul se servirait du journal, s'il vivait aujourd'hui. Saint Augustin répandait parmi le peu­ple ses réponses aux Donatistes. Saint François de Sales distribuait des feuilles de controverses dans le Valais. Saint Thomas d'Aquin, de nos jours, écrirait peut-être la Somme du Publiciste, comme il a écrit la Somme contre les Gentils. Soutenons la bonne presse, elle est une force nécessaire pour le règne de Notre-Seigneur et de son Cœur sacré.

Chili. - Le Chili est pacifié. La guerre qui vient de finir était au fond une lutte religieuse. C'est la franc-maçonnerie qui voulait accapa­rer le pouvoir, avec Balmaceda. Le général Canto, le vainqueur de Val­paraiso, est un brave catholique, un ami du Sacré-Cœur. Comme de Sonis, il avait arboré le drapeau du Sacré-Cœur. Ses volontaires étaient l'élite du Chili. C'est au nom du Sacré-Cœur qu'il livra bataille, un vendredi, pour prendre Valparaiso, et c'est l'enthousiasme religieux qui a conduit ses soldats à la victoire, contre une armée bien plus nombreu­se. La maçonnerie américaine enrage. Elle a tenté, ces jours-ci, d'assas­siner Canto. Que Dieu le protège, et qu'il conserve la foi au Chili!

Japon. - Au japon, aussi la foi fait de grands progrès. Une cathé­drale catholique a été inaugurée à Tokio. Le japon est comme la France de l'extrême-Orient. Ses habitants ont, comme les Français, l'esprit d'initiative et de propagande. Si le japon se convertit, il fournira des apôtres à la Chine, à l'Océanie, à l'Indo-Chine. Aidons les missions du japon de toutes manières, par nos prières, par nos ressources, et, si nous le pouvons, en lui envoyant des apôtres.

Jeanne de Matel. - Les causes françaises de canonisation se multi­plient. Deux causes bien intéressantes viennent d'être entamées, celle de Mme Legras, fondatrice des Filles de la Charité, et celle de Jeanne de Matel, fondatrice de la Congrégation du Verbe Incarné. Dernièrement, Mgr l'évêque de Limoges a fait la reconnaissance des reliques de Jeanne de Matel, en présence de toutes les Supérieures des maisons de l'Ordre. C'était, paraît-il, une cérémonie bien touchante. Nos lecteurs sont des amis de Jeanne de Matel. Nous leur donnerons encore bientôt quelques pages de cette illustre mystique, qui plane comme un chérubin dans les plus hautes sphères de la théologie contemplative. C'est une glorieuse amante du Sacré-Cœur de Jésus.

Sa gloire rejaillira sur ce divin Cœur.

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Déjà la Chronique du numéro précédent avait été écrite de Rome; le directeur de notre Revue vient d’y passer deux mois; et c’est lui qui a tenu à se charger en per­sonne de la rédaction habituelle de la Chronique (Note du Comité de la rédaction).