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P. Joseph Mukuna SCJ

LA BÉATIFICATION DU PÈRE DEHON

DANS L'IMAGINAIRE

DU DEHONIEN AFRICAIN

Commissione Generale pro Beatificazione di p. Dehon

Curia Generale SCJ

Roma - 2004

LA BEATIFICATION DU PERE DEHON DANS L'IMAGINAIRE DU DEHONIEN AFRICAIN

Par sa lettre du 19 / Avril / 2004, le Père José ORNELAS, notre Supérieur Général annonçait la publication du décret de béatification du Vénérable Père Jean Léon Dehon, fondateur de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus. En relisant attentivement cette communication, il nous a paru utile de nous arrêter sur l'événement annoncé en cherchant à souligner la signification qu'il véhicule pour l'Afrique. Nous nous sommes laissé guider par les interrogations suivantes : Quelle signification cette béatification génère-t-elle dans la vie spirituelle d'un dehonien africain ? Quelles illuminations suscite-elle dans la perception sociale du christianisme dans les yeux d'un Africain ? Tout compte fait, à quelles lectures spirituelles et sociales cet événement peut-il se prêter ? Face à ces interrogations et bien d'autres encore du même genre, nous nous sommes amusés à discuter avec quelques confrères pour voir quelle perception ils avaient de l'heureux événement qui s'annonce. Nous nous sommes donc réjouis de constater que, dans une large mesure, nous partagions les mêmes convictions quant au sens et aux défis de cet événement pour l'Afrique que le Père Dehon a tant aimée de son vivant. Les lignes qui suivent offrent les résultats de nos débats et discussions, sur la base des critères d'appréciations éthico-existentielles. La pertinence et la signification véritable de leurs propos restent en lien étroit avec cette préoccupation de fond qui a déjà intéressé plusieurs de nos rencontres, à savoir : être dehonien africain à quoi cela engage-t-il en ce troisième millénaire ? Plus exactement, cette préoccupation est liée à son tour au niveau de l'éveil, de cohésion, d'appel à la responsabilité et à l'engagement dans la fidélité à la « grâce des origines », conformément aux orientations du dernier Chapitre Général

Le terme imaginaire vient du latin « imaginarius » et désigne ce qui n'existe que dans l'imagination. C'est-à-dire ce qui n'a pas de référence dans le réel. En psychanalyse, il désigne une catégorie de l'ensemble « symbolique/imaginaire/réel », introduite par J.Laccan, qui reflète le désir dans l'image que le sujet a de lui-même. Le verbe imaginer renvoie pour sa part au fait de se représenter quelque chose dans l'esprit. Il a pour synonyme : concevoir, inventer, envisager, se figurer, évoquer, rêver, envisager, croire, penser, deviner, chercher, supposer, conjecturer, combiner, échafauder, etc. Selon KÄ MANA, l'imaginaire est l'ensemble d'images, des représentations, d'idées et vision que l'on a d'une chose ou d'un phénomène. La force de l'imaginaire réside dans sa grande capacité de mobiliser les esprits et les consciences pour plus de dynamisme dans le processus de la créativité et d'invention1)1. C'est dans cette logique qu'il conviendrait de saisir l'expression «  imaginaire du dehonien africain » . Il s'agit donc, de l'ensemble d'idées et des visions que le dehonien se fait de son être, de sa mission en Afrique au troisième millénaire. Appliqué au contexte de la béatification du Père Dehon, il désigne le sens et les défis que le dehonien assigne à cet événement en contexte africain. Fondamentalement, c'est la projection d'une nouvelle manière d'être et de vivre que suscite le contact avec l'expérience de foi du Père Dehon.

Si, en effet, nous revenons à l'imaginaire du dehonien africain sur la béatification du Père Dehon, il y a lieu de faire remarquer que cet événement de joie est un terreau où naissent de réels défis pour l'Afrique. Si l'on pense, par exemple, à la situation permanente des guerres intestines, au sida, à la pauvreté qui minent actuellement l'Afrique, la célébration de cette béatification doit impulser un dynamisme nouveau et une signification nouvelle à la présence dehonienne en Afrique. Plus exactement, l'imaginaire du dehonien africain sur la béatification du Père Dehon est mis en crainte par la question fondamentale de la vision du présent et de l'avenir de la Congrégation en Afrique. Il s'agit là de reformuler les enjeux, les quêtes, les aspirations profondes et les vibrations d'espérances que porte un tel événement dans la réalité sociale africaine.

Nous rappelons que l'imaginaire a en lui cet avantage de disposer d'une grande capacité à mobiliser les énergies pour entrer dans un processus d'invention ou de créativité devant les défis qui s'imposent. C'est donc dans cette logique que nous avons voulu découvrir ce qu'il y a dans l'imaginaire du dehonien africain quand on parle de la béatification du Fondateur. En effet, lorsque le Père José ORNELAS, notre Supérieur Général annonçait la prochaine béatification du Fondateur des Prêtres du Sacré-Cœur, beaucoup de dehoniens africains ont senti que s'ouvrait là, après la grâce du 1er Centenaire de la présence dehonienne en Afrique, un vaste champ de recherche et de réflexion d'une grande portée et d'une importance capitale pour l'Afrique. Un espace où la présence dehonienne devrait être réinterrogée dans son efficacité face aux questions vitales de l'Afrique. Un espace où le charisme et la spiritualité SCJ se donnerait de nouveau à penser et à vivre comme principe de base pour orienter l'avenir, « bousculer » l'imaginaire de l'Africain.

Pour le dehonien africain le défi est bien clair. Il s'agit de comprendre que suivre le Christ selon l'expérience de foi du Père Dehon, c'est projeter une nouvelle manière d'être chrétien et de vivre sa foi chrétienne en Afrique. Perçu dans cette perspective, la béatification du Père génère un message d'espérance pour l'Afrique. Brièvement, pour le dehonien africain, cet événement apporte un plus dans sa vie de foi à plus d'un titre. Des enquêtes menées, il ressort deux grilles de lecture de la béatification du Père Dehon pour l'Afrique. La première grille de lecture milite pour appropriation de l'héritage spirituel du Père Dehon dans son caractère d'exemplarité pour l'Afrique. En effet, les religieux auxquels nous nous sommes intéressé pour mener nos investigations, ont de manière quasi générale, relevé que la foi en l'Amour, est l'un des aspects les plus significatifs de la vie du Père Dehon qu'il faut noter quand on évoque sa béatification. Cette foi dans l'Amour, le Père André Perroux SCJ a bien su la résumer dans ce qu'il dépeint comme « la passion pour Dieu ».

En effet, l'amour de Dieu est le mystère qui a le plus émerveillé le Père Dehon. Cet amour, il le voit d'abord dans le Cœur de Jésus ouvert en croix, puis, l'expérimente dans sa propre vie à travers les événements de chaque jour, les bons et les moins bons. Fort de cet amour, le Père Dehon savait percevoir en chaque situation, une occasion de se sanctifier, un „signe des temps” pour faire aimer partout le cœur de Jésus. Il savait aussi que pour celui qui aime Dieu, chaque événement, même le plus banal et le plus douloureux est une occasion pour aimer Jésus. C'est pourquoi, comme saint Paul, il aimait souvent redire : « je suis fixé à la croix du Christ. Ma vie dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi …» La référence à la foi peut nous faire présumer que le cheminement spirituel du Père Dehon était un allant de soi. Ce fut un homme, un prêtre comme d'autres, il a eu ses défauts à corriger, des efforts à faire pour ressembler à Jésus-Christ. Au cours de toute sa vie le Père Dehon a « su aimer pour être fidèle, et être fidèle pour aimer » (Jésus-Christ) toujours davantage. Il gardera fidélité et amour à Jésus-Christ, les yeux fixés sur son Cœur transpercé jusqu'à sa mort.. Voilà ce qui lui a valu aujourd'hui la reconnaissance des vertus héroïques dans l'Eglise. Il s'unissait de façon particulière à Celui qu'il aimait bien appeler volontiers „ Notre Seigneur”, dans l'Eucharistie et l'adoration du Saint Sacrement. Cette union le comblait d'un enthousiasme extraordinaire pour l'annonce de la Bonne Nouvelle afin que l'amour de Dieu règne dans les cœurs des hommes et dans la société.

La seconde grille de lecture qu'il convient de faire ressortir est une conséquence logique de la première. C'est encore le Père André Perroux qui la synthétise mieux : « la passion pour l'homme » ou la sensibilité sociale du Père Dehon. Dans la conscience profonde du dehonien africain, la béatification du Fondateur dans sa figuration profonde est porteuse d'un message d'espérance, dans ce qu'elle suscite comme dynamisme de foi en Dieu et en l'homme. La foi en l'homme ou la passion pour l'homme ou encore la sensibilité sociale résume mieux la façon dont le Père Dehon a vérifié sa foi en Dieu, plus précisément son union intime avec le Cœur de Jésus. S'interrogeant un jour sur la cause de la misère humaine, le Père Dehon découvre que son origine réside dans le refus de l'amour de Dieu, révélé en Jésus Christ. Il prendra désormais la ferme résolution de travailler pour la restauration de cette relation fondamentale entre l'homme et son Dieu. Par des conférences, des prédications et l'activité littéraire soutenue, il éclaire la conscience de ses contemporains à ce sujet.

Le souci pour la restauration de la dignité humaine comme clé de lecture du rapport à Dieu, est révélateur d'une conviction profonde chez le Père Dehon : Le credo en Dieu est corrélatif au credo dans l'homme. Ce qui reviendrait à peu près à ceci que la véritable manière d'aimer Dieu consiste à l'aimer dans les pauvres et les plus petits par la promotion de la justice et de la dignité humaine. C'est dans cette logique que déjà comme séminariste, il avait fait siennes ces paroles de Mgr Dupanloup : «  Si j'avais un conseil à donner au chrétien de nos jours et à tous les prêtres, ce serait de ne pas rester étrangers, comme ils le font trop souvent, aux question sociales, d'être mêlés à la vie des paysans et des ouvriers, de leurs enfants, de leurs vieillards, de leurs sociétés mutuelles, de leurs lectures, de leurs plaisir. Pourquoi ? Eh ! mon Dieu, pour tout soulager, tout éclairer, tout améliorer. Ce devrait être là notre passion dominante, en dehors de toute politique, de toute ambition, de toute récrimination »2)2

Il ressort donc de cette restitution que, pour le dehonien africain, le cheminement spirituel qui a valu au Fondateur des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus les honneurs de l'autel, apporte un nouvel élan dans sa vie de foi. Il s'agit là d'un exemple d'une grande valeur historique et d'une grande intensité lumineuse qui conduit à une vie d'amitié profonde avec Dieu. Ainsi la béatification du Père Dehon devient pour le dehonien africain, un défi de « retour aux sources », une revisitation contextualisée de nos « grâces des origines » afin de faciliter l'appropriation personnelle de l'héritage spirituel du Fondateur, passionné de Dieu et passionné de l'homme. On comprend donc l'urgence de s'interroger en tant que dehonien africain sur ce que l'Afrique a fait de l'héritage spirituel du Père Dehon en ce moment où sonne le pendule de sa béatification. Cette question doit demeurer permanente afin de stimuler la réflexion et la méditation sur les conditions de possibilité de l'appropriation personnel du testament spirituel du Père Fondateur.

Nous venons de relever deux grilles de lecture auxquelles se prête la béatification du Père Dehon dans l'imaginaire du dehonien africain : un impératif d'appropriation et d'actualisation de l'héritage spirituel du Fondateur. Il faut aller au-delà de ces indications. Car elles n'épuisent pas le système d'attentes du dehonien aux vues de cet événement. En fait, la lecture de l'imaginaire du dehonien africain face à la béatification du Fondateur, doit demeurer une question permanente dans la mesure où elle permet de vérifier l'efficacité de la présence dehonienne en terre d'Afrique. Les quelques aspects qui forgent l'imaginaire du dehonien africain sur la béatification du Père Dehon se déclinent en ces termes : il n'est pas possible de parler de la présence dehonienne en Afrique sans la lier aux aspirations profondes de paix, de joie, de bien être.

Si, en effet, on souscrit à cette conviction, on s'engagera à connaître les vrais maux dont souffre l'Afrique pour leur proposer un remède efficace comme le Père Dehon l'aurait fait s'il était des nôtres. A présent, énumérons sans épuiser les contours du problème, les quelques défis qui nous semblent majeurs pour l'Afrique du Troisième millénaire. Le premier défi est déjà présent dans la première grille de lecture présentée ci-haut, à savoir : la crise de la foi. En effet, aujourd'hui plus que jamais, la question de la foi se pose avec tellement d'acuité en Afrique qu'il est urgent de s'y arrêter un instant. En effet, l'observateur attentif de la situation spirituelle de l'Afrique aujourd'hui, ne peut s'empêcher de décrier le désarroi spirituel dont souffre le continent. La multiplication des églises et « églisettes » a vidé la foi de l'Africain de son contenu. Celle-ci semble rimer avec la recherche du miraculeux, de l'opinion, de l'évasion, ect. Bref, elle se réduit dans une large part, à des pratiques cultuelles de nature à distraire les consciences. D'où le phénomène d'imbécilisation et d'abêtissement collectif3)3. A cette constatation, il faut ajouter avec réserve, les surprises que nous ont réservées les chrétiens africains ces dernières décennies. Qu'on nous permette d'évoquer ici leur implication directe ou indirecte dans les guerres intestines que connaît l'Afrique, la complicité avec des régimes dictatoriaux, l'entretien des structures de péché…

Dans cette situation de crise profonde de la foi, la béatification du Père Dehon est porteuse d'un message d'espérance pour l'Afrique. Car nous sommes convaincus que pour faire face à l' inquiétude que suscite le phénomène religieux en Afrique, la prise en compte de l'expérience de foi du Père Dehon peut redonner un dynamisme nouveau à la foi de l'africain. De cette expérience de foi est né un style de vie totalement orienté vers Dieu et consacré au service des frères et sœurs. Le second défi touche la question des droits de l'homme. Ce défi est exprimé dans cette exclamation inconsciente d'un dehonien africain à qui nous nous sommes adressé : « la béatification du Père Dehon, quelle splendeur ! quelle saveur ! si elle est humanisation de l'Afrique. » Evoquer ce défi revient à poser le problème du prolongement de la sensibilité du Père Dehon au problème social du christianisme de son temps, aux ramifications du même problème à notre époque dans les termes qui sont devenus les siens aujourd'hui : la reconnaissance de la dignité imprescriptible de l'homme, respect de ses droits tous azimuts ainsi que le contexte éthique international d'aujourd'hui entraîne l'Afrique à s'y exercer. Plus exactement pour le dehonien africain, la béatification du Père Dehon interpelle la conscience africaine sur la question des droits de l'homme. Car dans un contexte de violence politique, d'injustice criante, l'Evangile doit être un chemin de socialisation et d'humanisation. C'est-à-dire un chemin de revalorisation de l'homme dans sa totalité.

A ces défis correspondent quelques formes de spiritualité qu'il faudra promouvoir pour sauver l'Afrique, à savoir : la spiritualité du cœur, la spiritualité sociale et la spiritualité de la création. La spiritualité du cœur engage le Père Dehon dans une dynamique de la recherche d'une vie d'union intime avec le Christ. Cette recherche l'a conduit à la «  voie d'amour », en empruntant les termes de Bérulle. L'union au Christ conduit au service des frères comme lui-même a été Serviteur. La spiritualité sociale est alors la conséquence de l'articulation de la justice et de la charité comme cela ressort de ces paroles du Père Dehon : «  j'entrerai en religion, non pas pour être canonisé mais pour me faire saint et pour mieux aimer et servir.4)4 » Ainsi la spiritualité du cœur poussera l'africain à la recherche d'une relation personnelle avec Dieu qui l'engage au service des autres. La spiritualité sociale lui donnera alors les sentiments qui sont ceux Dieu devant la souffrance du pauvre et l'engagera dans la promotion de la justice et du droit. Cela demande beaucoup de courage et de détermination ; d'où la nécessité d'une spiritualité de la création pour entrer dans la dynamique de la créativité et de l'invention afin d' impulser une ardeur nouvelle, inventer des nouvelles méthodes et créer des expressions nouvelles dans l'annonce de l'Evangile. La spiritualité de la création tracera alors à l'Afrique des chemins d'espérance et de vraie libération. Elle sera, finalement une chance pour une vie religieuse dehonienne réussie en terre africaine, un instrument efficace pour gérer les défis de l'Afrique du troisième millénaire.

Nous voudrions conclure ce propos en tentant de répondre à une question : être dehonien africain, à quoi cela engage-t-il ? Comme pour bien d'autres interrogations suscitées en nous par l'événement de la béatification du Fondateur, cette question fondamentale doit demeurer permanente. Car non seulement elle nous permet de témoigner de la conscience que nous avons de notre identité dehonienne mais aussi elle nous conduit à des « oui courageux » et des « non audacieux » Ainsi donc être dehonien africain, c'est agir de manière à ne pas trahir l'héritage spirituel du Fondateur. C'est développer, en d'autres termes, une spiritualité de la responsabilité marquée par la capacité d'une rigueur de vie que favorise l'adoption de la dynamique d'un « oui  courageux » et d'un « non audacieux » dans les multiples appels du monde. C'est enfin, opter pour une spiritualité de la création comme chance d'une vie religieuse dehonienne réussie en terre africaine.

1 Cf. Les christianismes africains. Construire l'Espérance, Bénin, Pentecôte d'Afrique, 2004, p.158.

http://www.scj.org/scj_homp/we-scj/beatification_dehon/39-imaginaire_du_dehonien_africain-mukuna.html#sdfootnote2anc%23sdfootnote2anc2 NHV VI, 131.

3 KÄ MANA, Op. Cit., p. 92.

4 NHV V, 5.


1)
Cf. Les christianismes africains. Construire l’Espérance, Bénin, Pentecôte d’Afrique, 2004, p.158.
2)
NHV VI, 131.
3)
KÄ MANA, Op. Cit., p. 92.
4)
NHV V, 5.
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