1869

219.01

B18/10.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 15 janvier 69

Mon cher ami,

Tes vœux sont accomplis, te voilà chef de famille. Je t'en félicite et je suis persuadé que tu y trouveras ton bonheur. Mes souhaits et mes prières t'accompagnent dans ce grand acte de ta vie. J'ai offert pour toi mardi dernier le saint sacrifice. J'espère que Dieu bénira ton mariage. J'attends de toi non seulement que tu conserves les principes religieux que tu as toujours professés, mais encore que tu les propages par tes écrits, quand tu en auras trouvé le loisir après avoir consacré quelque temps aux réjouissances qui doivent accompagner un si heureux mariage et à l'installation de ta maison.

Tu me manquais le 19 décembre. On est heureux en ces grands jours d'avoir près de soi des amis qui vous aident à demander les grâces de Dieu et qui participent à vos joies. J'avais au moins mon père et ma mère, ce que je n'avais jamais espéré. Ce fut pour eux et pour moi une source d'émotions que tu peux te figurer. La cérémonie si imposante de l'ordination, le pouvoir mystérieux et surnaturel dont Dieu revêt ses prêtres, tout cela impressionne par soi-même; mais quand de plus un père et une mère ont là leur fils qu'ils donnent à Dieu pour en recevoir tant de grâces, leur cœur ne peut battre froidement et leurs yeux ne peuvent rester secs. Je ne te décrirai pas les consolations dont Dieu accompagne ses grâces. Tu les as quelquefois goûtées.

Le lendemain, j'avais le bonheur d'accomplir pour la première fois l'acte si saint que je renouvellerai tous les jours de ma vie, le sacrifice du Corps et du Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est une source quotidienne de grâce pour le prêtre et pour ceux qu'il recommande à Dieu au saint sacrifice. Je penserai souvent à toi à l'autel.

J'avais huit jours de vacances à consacrer à mes parents à Noël. Nous en avons profité pour faire un rapide mais charmant voyage à Naples. Que de merveilles réunies dans ce coin de terre privilégié. La mer, les montagnes, les curiosités naturelles, les souvenirs, les antiquités, tout ce qui étonne et intéresse le voyageur, se trouve là groupé pour justifier la réputation de Naples. Je t'avoue cependant que tout cela parle moins à mon cœur que Rome, ses souvenirs chrétiens, ses sanctuaires et ses reliques. J'ai admiré quelques-unes des sculptures que tu cites dans ton livre. Mon père a été émerveillé, comme tu le lui avais promis, du site ravissant et de la chaude nature de Sorrente1.

Mes parents vont me quitter dans quelques jours pour retourner à La Capelle, où ils espèrent te voir aux vacances avec celle que tu as choisie pour compagne de ta vie. Elle sera reçue dans ma famille aussi cordialement que tu l'as toujours été.

Tout à toi en N.S.Ton dévoué ami

L. Dehon, pr.

1 Sur ce voyage à Naples, Pompéi, Sorrente… cf. NHV VI, 84-106. Sur le livre cité de Léon Palustre cf. LD 62 (note 4) et LD 96.

218.73

B18/9.2.73

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 1er février 69

Cher père et chère mère,

Remercions Dieu de ce qu'il vous a ramenés bien portants dans vos foyers après un voyage si long, si pénible, et si bien rempli de grâces, de joies et de souvenirs. Quelle ample moisson vous avez cueillie pour en nourrir votre esprit et votre cœur jusqu'au moment où, semblables aux anges après cette vie, vous comprendrez mieux combien vous avez grandi et vous êtes élevés au-dessus de vous-mêmes et des hommes par les fruits de ce fécond pèlerinage. On s'élève en effet en se rapprochant de Dieu. J'offrirai ces jours-ci le saint sacrifice à Dieu pour le remercier de toutes ces faveurs. Vous devez être heureux et faire des heureux au milieu des vôtres. Je suis avec vous de cœur. Du reste le temps a des ailes et bientôt viendra le temps de notre réunion. Je serai heureux de faire partager à tous les nôtres les grâces que le bon Dieu m'accorde, en offrant le saint sacrifice auprès d'eux et pour eux.

N'oubliez pas de transmettre à tous mes affectueux embrassements, et aux deux petites fillettes la bénédiction de mon sacerdoce. S'il arrive encore qu'elles soient malades, servez-vous du linge du Saint-Père. Appliquez-le avec confiance et demandez à Notre-Seigneur de glorifier son vicaire sur terre. Bien des guérisons ont déjà été obtenues par ce moyen, uni à la prière1.

Je me trouverais bien isolé depuis votre départ, si je n'avais un grand consolateur qui est le bon Dieu.

Nous avons eu, après le grand vent qui régnait quand vous êtes partis, quatre ou cinq jours de gelée, ce qu'on n'avait pas vu depuis bien des années. Les orangers en ont un peu souffert. Mais le temps est redevenu très doux et il est probable que ces cinq jours de froid seront tout l'hiver de Rome.

J'ai soigné mes engelures, elles ont à peu près disparu.

Donnez-moi des détails sur votre voyage et votre arrivée chez vous. Vous avez dû être reçus partout comme St Nicolas, car vous étiez chargés de présents à distribuer2. Avez-vous vu Siméon à Paris. J'ai reçu de Mr Boute une charmante lettre. Il me dit qu'il est aussi heureux de notre bonheur que nous pouvons l'être nous-mêmes. Il espère venir ici à Pâques et il promet d'aller à La Capelle cette année3.

Le supérieur du séminaire a été heureux d'apprendre que vous étiez arrivés à bon port.

Je vous envoie les pouvoirs de Mr Tourneux; ils coûtent 13 francs. Ceux que je vous avais remis coûtaient 1 fr 25, en tout 14 fr 25. Je compte avoir sous peu l'autel privilégié4.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Un exemple de la grande dévotion et vénération qu'on avait alors pour Pie IX.

2 St Nicolas, vénéré et fêté, le 6 décembre, dans les régions du nord et de l'est de la France comme une sorte de Père Noël pour les enfants sages.

3 Cf. LC 46.

4 L'autel privilégié, dans les basiliques, est un autel sur lequel la célébration de la messe pour les âmes du Purgatoire est, par privilège accordé par le Saint-Siège, d'une efficacité plus spéciale. Le même privilège était accordé aux prêtres qui en faisaient la demande sur d'autres autels à des conditions déterminées. Les AD conservent ainsi plusieurs documents sur les pouvoirs demandés et reçus à cette époque par Léon Dehon, pour bénir chapelets, scapulaires, croix et chemins de croix avec indulgences, etc., de divers ordres, du Carmel, des Dominicains, chanoines Réguliers de S. Augustin… (cf. AD B17/2C…). Pour l'autel privilégié 4 fois par semaine: AD B17/2C.30. LD 110 en annonce l'envoi pour l'église de La Capelle.

218.74

B18/9.2.74

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 18 février 69

Cher père et chère mère,

Voilà déjà deux mois que nous étions à St-Jean de Latran à recevoir de Dieu des grâces si merveilleuses. Ne manquez pas de l'en remercier avec moi tous les jours. Ces premiers temps de mon sacerdoce sont pour nous tous une source féconde d'où découleront sur nous les faveurs de Dieu, parce que, n'ayant pas encore charge d'âmes, je puis appliquer tout spécialement aux miens, pour leur plus grand bien spirituel et temporel le saint sacrifice que j'offre à Dieu tous les jours. Le temps de carême est tout spécialement un temps de sanctification, tâchons d'en profiter.

Rome jouit depuis quinze jours d'un véritable printemps: aussi les amandiers sont-ils déjà en fleurs. Le carnaval a été brillant. Les étrangers sont très nombreux. Avec le carême a commencé une série de fêtes recueillies et touchantes, les stations aux tombeaux des martyrs et aux plus anciennes basiliques. Cette suite de pieux pèlerinages nous conduira jusqu'aux solennités de Pâques.

On se prépare aussi à une démonstration d'affection filiale envers le St-Père pour le 11 avril prochain. Ce sera le cinquantième anniversaire de sa première messe. On fait des collectes par toute l'Italie pour lui offrir des dons à cette occasion. Les élèves du Collège romain eux-mêmes trouveront dans leur petite bourse plusieurs milliers de francs pour témoigner de leur amour envers le St-Père.

Vous n'avez pas pu suivre le cercle entier des fêtes de Rome. Cependant vous n'en êtes pas entièrement absents. Il me semble toujours vous avoir auprès de moi dans tous ces sanctuaires où nous allions ensemble, et même à Ste Claire, où je prie vos anges gardiens, qui ont le pouvoir de se transporter au loin en un instant, de venir s'unir à mes prières en votre nom. Priez-les aussi quelquefois d'apporter vos hommages aux tombeaux des apôtres et des martyrs.

Soignez bien la petite Marthe pour lui rendre la santé. Embrassez-la pour moi ainsi que sa grosse sœur.

Palustre m'a écrit dernièrement. Il est heureux comme le sont tous les époux au printemps de leur mariage.

J'ai aussi des nouvelles des jeunes gens auxquels nous avions pris intérêt à Naples. Le malade est parfaitement guéri. L'autre, sur l'avis de son évêque, est entré au séminaire de St-Sulpice, le mercredi des cendres.

Mes supérieurs vous présentent leurs respects. Offrez les miens à Mr le doyen et priez-le de rechercher le jour anniversaire de mon baptême1.

Embrassez pour moi maman Dehon, Henri et Laure.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Le 24 mars 1843: une date chère au cœur du P. Dehon; cf. NHV I, 1 rº/vº.

218.76

B.18/9.2.76

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

A ses parents

Rome 5 mars 69

Chers parents,

Je ne suis pas surpris de ce que après avoir retrouvé le calme de la vie de famille, vous éprouviez un certain vide autour de vous. Si vous n'aviez laissé en Italie que de grands souvenirs ou les merveilles de l'art et de la nature, vous n'éprouveriez pas le même sentiment, parce que tout cela satisfait un instant la curiosité, mais n'attache pas le cœur. Mais vous avez compris que Rome est comme un sanctuaire où Dieu fait sentir tout spécialement son influence surnaturelle en y répandant abon­damment ses grâces et en y instruisant par les exemples de ses saints. Ces impressions, ces grâces, cette atmosphère de piété ont pour l'âme un grand charme et sont pour elle un aliment plus noble et plus élevé que les occupations ordinaires de la vie. Aussi en ressent-on plus vivement la privation.

Je goûte tous les jours davantage le bonheur inappréciable de pouvoir célébrer la sainte messe: quelle admirable condescendance de Notre­-Seigneur Jésus-Christ de nous avoir laissé ce merveilleux pouvoir de le rendre présent sur nos autels tous les jours pour nous appliquer les fruits de la rédemption et pour nourrir notre âme de ses dons et de ses vertus par la réception de son corps et de son sang sur notre cœur. Selon l'esprit de l'Eglise, manifesté par sa liturgie, le prêtre applique les fruits du saint sacrifice à trois fins principales, à l'Eglise elle-même, aux siens, c'est-à-dire à ses parents et amis, et à lui-même. Mon sacerdoce est donc une source de grâces pour vous comme pour moi. J'ai offert déjà le saint sacrifice pour chacun des morts qui nous sont chers; et aussi pour la con­version et la sanctification des vivants.

A Rome, les choses suivent leur cours ordinaire. Le p. Supérieur, dans l'intérêt de ma santé que vous lui avez recommandée, m'a dispensé d'une partie des prescriptions du carême et m'a engagé à me lever un peu plus tard chaque matin. Monsieur Desaire vous présente ses respects.

Vous trouverez dans cette lettre la concessione de l'autel privilégié perpe­tuel. C'est une grande faveur pour la paroisse de La Capelle.

Quant au cadeau à faire à l'église, je vous en laisse juges.

J'ai reçu une lettre fort aimable de Siméon. Il est toujours très occupé.

Le cousin Foucamprez m'a écrit aussi pour me remercier d'une médaille que vous lui avez remise en mon nom. Vous avez bien interprété mon af­fection pour lui. Je répondrai dans quelque temps à sa charmante lettre.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces. Présentez mes affectueux respects à Mme Fiévet et dites-lui que j'offrirai le saint sacrifice pour Mr Fiévet et pour Laure Fiévet et aussi pour elle et ses enfants le 15 et le 16 de ce mois. Elle pourra s'unir à mes prières.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

218.76

B18/9.2.76a

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 21 mars 69

Chers parents,

C'est aujourd'hui que commence la série des fêtes de Pâques, qui attirent ici tant de pèlerins et de curieux. Les cérémonies de la Semaine Sainte n'ont nulle part autant de grandeur et de majesté, bien qu'elles soient plus touchantes encore à Jérusalem. Ce qui émeut là-bas, c'est qu'elles ont pour théâtre le lieu même de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce qui les rehausse ici, c'est la dignité du pontife, l'éclat de son cortège, la grandeur du temple et la pompe du culte. Vous y assisterez par la pensée en vous reportant à vos souvenirs de Noël. Pâques a de plus la belle procession des rameaux, le grand nombre de pèlerins, le chant si émouvant de la passion et des prophéties, le lavement des pieds et le repas servi par le Saint-Père le Jeudi-Saint, et les grandes bénédictions du balcon de St-Pierre.

Le vendredi saint, j'aurai l'honneur de remplir les fonctions de prêtre assistant à l'office célébré par un cardinal dans la grande basilique de Sainte-Croix de Jérusalem. J'aurai par suite de cela le privilège précieux de pouvoir célébrer la ste messe le vendredi suivant (2 avril) dans la chapelle des reliques de la même basilique. C'est là que nous sommes allés ensemble avec un fonctionnaire du ministère de l'intérieur de Paris. J'offrirai là le saint sacrifice pour vous. Que de grâces j'ai la confiance d'obtenir! La croix de l'autel est un fragment de la vraie croix et sur les gradins sont exposés un clou, des épines et le titre de la croix et d'autres reliques non moins précieuses. En présence de ces instruments de son amour pour nous, que pourra nous refuser Notre-Seigneur? Unissez vos prières aux miennes ce jour-là. S'il est possible, faites alors votre communion pascale.

J'ai à vous annoncer que j'aurai l'avantage d'assister à toutes les réunions du Concile, ce qui sera pour moi très instructif. Voici à quel titre. Le Saint-Père a décidé qu'on aurait recours à la sténographie pour reproduire les discours des pères du Concile, et à cause de l'importance de la chose, il a voulu que ce soit des prêtres qui soient chargés de ce soin. Un ancien sténographe du sénat de Turin, qui s'est fait prêtre récemment, est chargé d'organiser la chose. Il forme pour cela une vingtaine de prêtres de toutes les nations. Je suis au nombre des quatre français qu'a désignés le supérieur du Séminaire. Nos leçons ont commencé il y a quinze jours1.

Embrassez pour moi Henri et Laure. J'ai offert pour eux le saint sacrifice le 17 et 19 mars. Embrassez aussi pour moi maman Dehon et les petites filles.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 À ce sujet cf. NHV VI, 108-113.

218.76a

B18/9.2.76a

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 21 mars 69

Chers parents,

C'est aujourd'hui que commence la série des fêtes de Pâques, qui attirent ici tant de pèlerins et de curieux. Les cérémonies de la Semaine Sainte n'ont nulle part autant de grandeur et de majesté, bien qu'elles soient plus touchantes encore à Jérusalem. Ce qui émeut là-bas, c'est qu'elles ont pour théâtre le lieu même de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce qui les rehausse ici, c'est la dignité du pontife, l'éclat de son cortège, la grandeur du temple et la pompe du culte. Vous y assisterez par la pensée en vous reportant à vos souvenirs de Noël. Pâques a de plus la belle procession des rameaux, le grand nombre de pèlerins, le chant si émouvant de la passion et des prophéties, le lavement des pieds et le repas servi par le Saint-Père le Jeudi-Saint, et les grandes bénédictions du balcon de St-Pierre.

Le vendredi saint, j'aurai l'honneur de remplir les fonctions de prêtre assistant à l'office célébré par un cardinal dans la grande basilique de Sainte-Croix de Jérusalem. J'aurai par suite de cela le privilège précieux de pouvoir célébrer la ste messe le vendredi suivant (2 avril) dans la chapelle des reliques de la même basilique. C'est là que nous sommes allés ensemble avec un fonctionnaire du ministère de l'intérieur de Paris. J'offrirai là le saint sacrifice pour vous. Que de grâces j'ai la confiance d'obtenir! La croix de l'autel est un fragment de la vraie croix et sur les gradins sont exposés un clou, des épines et le titre de la croix et d'autres reliques non moins précieuses. En présence de ces instruments de son amour pour nous, que pourra nous refuser Notre-Seigneur? Unissez vos prières aux miennes ce jour-là. S'il est possible, faites alors votre communion pascale.

J'ai à vous annoncer que j'aurai l'avantage d'assister à toutes les réunions du Concile, ce qui sera pour moi très instructif. Voici à quel titre. Le Saint-Père a décidé qu'on aurait recours à la sténographie pour reproduire les discours des pères du Concile, et à cause de l'importance de la chose, il a voulu que ce soit des prêtres qui soient chargés de ce soin. Un ancien sténographe du sénat de Turin, qui s'est fait prêtre récemment, est chargé d'organiser la chose. Il forme pour cela une vingtaine de prêtres de toutes les nations. Je suis au nombre des quatre français qu'a désignés le supérieur du Séminaire. Nos leçons ont commencé il y a quinze jours1.

Embrassez pour moi Henri et Laure. J'ai offert pour eux le saint sacrifice le 17 et 19 mars. Embrassez aussi pour moi maman Dehon et les petites filles.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 À ce sujet cf. NHV VI, 108-113.

219.02

B18/10.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 21 mars 69

Mon cher ami,

Tu es tout entier aux premières joies du mariage et elles te sont données en abondance. Je m'abandonne de mon côté au bonheur surnaturel du sacerdoce, sans oublier cependant de me préparer à en porter bientôt les charges avec mes frères dans l'apostolat. Le temps du séminaire correspond aux années que les apôtres ont passées auprès du Sauveur avant d'entreprendre la conquête du monde. Notre-Seigneur daigne nous donner audience tous les matins pour nous instruire de ses volontés et nous animer de son amour. Que de lumières il répand par ses leçons, ses exemples et sa grâce sur les âmes qui lui sont fidèles! De quel zèle et de quelle charité n'embrase-t-il pas les cœurs de ses prêtres quand ils ne lui opposent point d'obstacle, au saint sacrifice!

Le grand fait actuel de Rome, c'est la préparation active du concile. On espère que l'Église s'y retrempera aux sources pures de la révélation et qu'il en jaillira, comme au concile de Trente, une féconde renaissance. J'ai à te faire part de l'avantage que j'aurai d'assister à toutes les réunions même secrètes de cette solennelle assemblée. J'espère en tirer un sérieux profit d'instruction et d'expérience. Voici à quel titre. Les journaux t'ont annoncé déjà que le concile profiterait, pour reproduire les discours des évêques, de l'ingénieux système de la sténographie. La chose était assez délicate à cause des difficultés de la langue théologique, du secret des congrégations particulières et de la gravité qu'auraient les infidélités de cette reproduction. On a donc jugé à propos de choisir dans ce but des prêtres de diverses nations aptes à comprendre toutes les prononciations du latin. Un ancien sténographe du sénat de Turin, qui s'est fait prêtre il y a peu d'années, est devenu l'organisateur de la chose. Je suis au nombre des quatre prêtres français fournis par le séminaire de Ste-Claire.

Nous sommes en tout une vingtaine, et depuis quinze jours nous avons une heure par jour de leçon pour nous former la main et acquérir la dextérité nécessaire. Nous serons probablement obligés de sacrifier une partie de nos vacances1.

Je m'attache tous les jours davantage à Rome et surtout à ses beautés surnaturelles. Je saurai la quitter cependant quand mon ministère m'appellera ailleurs. Tu seras heureux d'y revenir et de contempler surtout la Rome religieuse, la cité dont les apôtres sont les fondements; les colonnes de ses temples sont ses saints; parmi les fleurs de ses jardins, le lys de la virginité et les roses du martyre excellent par leur éclat et par leur parfum. Tu ouvriras un peu ton âme à la poésie de ces sentiments et tu la fermeras à la sécheresse de la critique toujours pénible même quand elle est juste, et de cette façon tu trouveras encore à Rome des trésors qui sont peut-être pour toi inconnus jusqu'à présent.

Adieu, mon cher ami. Je te remercie du double portrait que tu m'as envoyé et qui m'a fait bien plaisir.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Cf. LD 111 (note 1).

218.77

B18/9.2.77

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À son père

Rome 6 avril 69

Cher père,

C'est à toi que j'adresse ma lettre à l'occasion de ta fête. J'aurai le bonheur cette année de célébrer la messe en l'honneur de St Jules ton patron et je le supplierai de toutes les forces de mon cœur de te protéger par sa puissante intercession et de te garder dans la grâce de Dieu. Je l'invoque tous les jours depuis longtemps et j'espère qu'il ne voudra rien me refuser.

Ces retours annuels de nos fêtes et les anniversaires des grâces que nous avons reçues de Dieu sont des moments favorables pour faire l'inventaire de nos âmes et voir où en sont les trésors que nous amassons pour le ciel1. En réfléchissant un peu sur le passé, tu pourras voir, cher père, quel grand amour Notre-Seigneur Jésus-Christ a de ton âme. Quel soin sa providence a pris de te ménager mille moyens de t'unir à lui! que de bons exemples sous tes yeux! que de prières faites pour toi! que d'avertissements dans la mort de tes amis! que de lumières pour éclairer ta foi, dans les récits que tu as eus de la Terre Sainte et dans ton pèlerinage de Rome! Que de grâces ici, les plus fortes et les plus touchantes, auxquelles aucun cœur ne saurait résister. Je t'aiderai par le saint sacrifice à remercier Dieu de tout cela et à lui demander d'en bien profiter.

Nos vacances sont terminées. Nous avons repris le travail aujourd'hui. Les fêtes de Pâques ont été brillantes et animées. La Semaine Sainte a été féconde en conversions de protestants et de catholiques même qui avaient négligé leurs devoirs pendant plusieurs années. Il était beau de voir une foule toujours pressée monter à genoux l'escalier saint2, et le Colysée était toujours rempli de pèlerins qui faisaient pieusement le chemin de la croix là où 70.000 martyrs ont imité la passion du Sauveur pour être couronnés avec lui. Quel fruit ne tire-t-on pas des prières faites dans cette enceinte, qui serait remplie du sang qu'y ont versé les martyrs pour conserver leur foi! Le couronnement des fêtes est la bénédiction que Pie IX, sublime de foi et d'amour, donne du haut du balcon de St-Pierre à une foule agenouillée de 80.000 pèlerins. Où trouver ailleurs autant de cœurs unis dans les sentiments les plus purs, l'amour de Dieu et de la vertu?

Le samedi saint, Mr Popiel, l'aimable polonais que vous avez vu au séminaire, a été ordonné prêtre. J'ai eu le bonheur de l'assister le lendemain à sa première messe qui a été très touchante.

Je n'ai pas encore vu le zouave qui a une lettre pour moi.

Embrasse pour moi Henri, Laure, et maman Dehon.

Je t'embrasse de tout cœur. Prions les uns pour les autres.

Ton dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Le P. Dehon sera toujours fidèle, pour son propre compte et pour son ‚uvre, à ces anniversaires, qu'il rappellera dans ses Notes Quotidiennes et dont il aimera à dresser le catalogue. Plusieurs documents aux AD en témoignent éloquemment.

2 La «scala santa», près de Saint-Jean de Latran.

218.78

B18/9.2.78

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À son père

Rome 22 avril 69

Cher père,

Ta lettre est bien bonne, mais j'attendais plus encore. J'espérais que tu m'annoncerais ta persévérance dans la grâce de Dieu et l'accomplissement de ton devoir pascal. Je t'avais vu si heureux ici que j'avais la confiance que tu ne t'exposerais plus à être un seul instant de ta vie hors de cet état de paix et de joie.

Je n'ai pas manqué de t'aider à cela depuis trois mois. Tu as été la première conquête de mon sacerdoce et j'ai mis tout mon zèle et je le mettrai toujours à la garder. Tu as eu depuis lors une part plus abondante que qui que ce soit à mes prières. Bien des fois déjà j'ai offert le saint sacrifice et prévoyant les difficultés que tu éprouverais, j'avais appelé à ton secours tous nos saints patrons par de ferventes invocations. J'ai fait à la Sainte Vierge et à St Joseph une neuvaine de prières et après tout cela, tu ne t'étonneras pas que je n'aie pas pu en lisant ta lettre retenir mes larmes.

Mais je suis encore plein de confiance et j'espère que tu vas bientôt te mettre au courant. Le temps de Pâques n'est pas loin derrière nous, et il ne faut pas que tu attendes plus longtemps. Il ne faut pas qu'un peu de respect humain te fasse manquer au principal devoir du chrétien. Tu te mettras en règle soit à La Capelle, soit à Vervins1.

C'est pour toi la chose la plus facile du monde. Tu n'as pas à vaincre les mêmes obstacles qu'un pécheur qui ne se serait pas confessé depuis longtemps, puisque tu as reçu cinq fois la sainte communion cet hiver. N'imite pas les insensés qui espèrent toujours que Dieu se contentera de leur agonie, après qu'ils se seront tenus éloignés de lui toute leur vie. Rappelle-toi l'exemple de Mr Fiévet qui a eu le bonheur de se réconcilier avec Dieu trois mois avant de paraître devant lui2. Donne l'exemple à La Capelle et tu en seras récompensé dans le ciel. Conduis Henri avec toi. Je l'unis toujours à toi aussi dans mes prières. Si la peine que vous me feriez n'est pas un motif suffisant, considérez celle que vous feriez à Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vous comble de grâces tous les deux et prend un soin paternel de votre salut. Je ne cesserai pas de prier que je n'aie obtenu cette grâce, et après cela nous en remercierons Dieu ensemble. Notre-Seigneur Jésus-Christ qui veut bien s'offrir de nouveau à son Père tous les matins par mes mains pour notre salut ne me refusera pas cette grâce.

Je t'embrasse de tout mon cœur.

Ton fils dévoué et qui t'aime

L. Dehon, pr.

1 Sur la possibilité de faire les pâques à Vervins, même conseil en LD 69 (6 avril 1867).

2 La mort de Mr Fiévet évoquée en LD 18 et 19 (7 et 16 mars 1865), LC 11.

218.79

B18/9.2.79

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À sa mère

Chère mère1,

Je t'adresse aussi quelques mots pour que tu ne croies pas que je t'oublie. Je voudrais vous écrire plus souvent, mais je n'en trouve pas le temps. La sténographie m'occupe deux heures par jour en sus de mon travail ordinaire. C'est un surcroît de besogne qui sera bien compensé par l'avantage d'assister au concile. Je vous ai adressé le journal qui décrit les fêtes du 11 et 12 avril. Ce fut la plus merveilleuse démonstration d'affection qu'un homme ait jamais reçue sur la terre. Jamais conquérant n'a dominé par la crainte autant d'hommes que Pie IX en domine par l'amour et le respect qu'il inspire. Le monde chrétien tout entier était représenté ici par des députations et des dons de tout genre. Il y avait une foule immense, plus recueillie que curieuse, et animée d'un pieux enthousiasme. On disait autour du St-Père que c'était une sainte frénésie.

J'ai dit ma messe ce jour-là près du corps de St Léon à St-Pierre, non loin du Saint-Père.

J'ai reçu une bonne lettre de Mr Boute, il n'a pas pu aller vous voir parce qu'il se prépare à recevoir l'archevêque de Cambrai pour la confirmation2.

Embrasse pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes deux petites nièces.

Conserve par la prière les grâces que tu as reçues à Rome et demandes-en pour tes enfants.

Je vous embrasse de tout cœur.

Ton dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Ce billet à sa mère, sans date, était joint à la lettre précédente adressée à son père (22 avril 1869).

2 Cf. LC 47 (17 avril 1869).

218.80

B18/9.2.80

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 7 mai 69

Chers parents,

J'attends une lettre de vous incessamment, je ne puis cependant tarder davantage à vous écrire.

Je compte bien que papa m'annoncera que j'avais eu tort de douter de sa persévérance. S'il en était autrement, je remuerais le ciel et la terre jusqu'à ce que j'aie obtenu cela de lui. Le bon Dieu nous rappelle tous les jours que la vie n'est pas longue, afin que nous nous hâtions de mériter le ciel et que nous ne comptions pas sur un avenir qui ne nous sera peut-être pas donné. Ce matin encore, nous avons mis en terre un de mes bons amis du séminaire, âgé de 25 ans et prêtre depuis le mois de septembre. Il est mort d'une fluxion de poitrine qui l'a emporté en trois semaines. Sa mort a été très édifiante et très calme. Il y était préparé par une vie très pieuse. Ses dernières heures furent un acte continu d'amour de Dieu. Nous avons la plus grande confiance qu'il est allé directement au ciel. Ce doit être un grand chagrin pour ses parents qui l'aimaient beaucoup et qui n'ont pas même eu la consolation de le voir prêtre, car il n'est pas retourné chez lui aux vacances dernières. On a mis son corps dans un caveau de notre chapelle1.

Nous n'avons plus de malades à la maison pour le moment.

J'ai reçu une lettre de Mr Meuret et j'ai fait de suite sa commission. Je lui ai envoyé par un de mes confrères qui s'en allait en France, un chapelet en cristal de roche, monté en vermeil, du prix de 50 francs. J'espère qu'il en sera satisfait. Ce chapelet m'a plu davantage que ceux dont on me demandait un plus haut prix. Il est dans un écrin avec les initiales de l'enfant E.L. Mr Meuret vous remettra ces 50 francs. Je lui ai écrit pour lui rendre compte de l'accomplissement de sa commission.

Je ferai à l'occasion les autres acquisitions dont maman me parle. Je porterai ces divers objets aux vacances. J'espère pouvoir partir d'ici le 15 juillet, mais il faudra probablement que je revienne un mois plus tôt que d'ordinaire à cause de nos cours de sténographie. Cela n'est pas encore définitivement réglé.

J'ai reçu par le comité des zouaves un petit paquet d'objets pieux (croix indulgenciée, médaille, cordon de St Joseph, eau de N.D. de Lourdes). Je ne sais qui s'intéresse à ce point à moi. C'est peut-être la Sœur Gabrielle de Bapeaume.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie et mes oncles et tantes si vous les voyez. J'offrirai un de ces jours le saint sacrifice pour Mme Penant2.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 07.05.1869 1 Il s'agit de l'abbé Lucas de Coudray (cf. NHV V, 39): «un breton pieux, délicat, modeste. Il devait mourir quelques mois après comme un Louis de Gonzague. Je le veillai la dernière nuit. Sa foi, sa résignation, son désir du ciel me laissèrent une impression profonde».

2 Madame Penant: sans doute la mère de l'oncle Penant, époux de la tante Juliette-Augustine (Vandelet). À propos des objets pieux reçus cf. NHV VI, 137. Le P. Dehon fut toujours grand amateur de reliques et d'objets de dévotion, comme en témoigne le petit musée qui a pu être constitué à la postulation générale à Rome.

219.03

B18/10.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 12 mai 69

Mon cher ami,

Tu as raison de me croire très occupé. Je le suis en effet et je n'ai pas autant de temps que je le voudrais pour correspondre avec mes amis. Je suis sûr que de ton côté, ta nouvelle position de chef de famille a bien réduit les loisirs que tu donnais à l'étude, mais tu les retrouveras en partie quand tu seras installé, et tu ne les regretteras pas, parce que tu éprouvais avec eux les ennuis de la solitude.

Le grand événement de Rome depuis ma dernière lettre a été la fête du 11 avril. Tu en as lu les détails dans les journaux. Je la considère comme un des grands faits de l'histoire. Jamais homme n'a reçu des témoignages d'affection aussi multiples, aussi variés, aussi sincères que Pie IX en reçut ce jour-là. Sa sainteté, ses malheurs, sa douceur, sa majesté lui ont gagné tous les cœurs. C'était partout une sainte frénésie, c'est un bon présage pour le concile. On le prépare activement. Les travaux des congrégations sont à peu près terminés. Les évêques sont attendus ici pour le mois de novembre.

On fait à Rome quelques travaux d'embellissement. On a rasé les chaumières qui divisaient le Campo dei fiori, et on parle de transformer la place Navone en un square.

Notre séminaire est aussi en voie de prospérité matérielle. Les directeurs ont acheté une aile de bâtiment derrière la maison pour l'agrandir, et la décoration de notre chapelle est à peu près terminée. Elle n'a rien de bien remarquable: cependant la calotte qui est au centre a été ornée d'une belle peinture par Pasqualoni, l'auteur des fresques de St Nicolas in carcere. Le sujet représente la Ste Vierge avec St Joseph présentant à la Sainte Trinité les prières des fidèles. La disposition des figures était difficile et elle est bien réussie.

À ce propos, je vais te poser une question qui est de ta compétence et sur laquelle tu pourras m'écrire tout un traité si tu le veux. Il s'agit du retour au style artistique des siècles passés. Je comprends que dans la restauration des édifices historiques et dans leur ameublement on retourne au passé. J'admets encore cela pour des églises neuves et leur mobilier, mais pour d'autres établissements comme seraient des couvents, cela me paraît difficile à cause du prix plus élevé de tout ce qui imite l'antique et parce que les usages d'aujourd'hui s'accommodent peu des constructions et des meubles d'autrefois. Ne vaut-il pas mieux accepter le style d'aujourd'hui en apportant toutefois dans le choix des choses du goût et du discernement. Tu dois avoir sur ces questions une opinion formée.

J'espère encore, malgré la brièveté de mes vacances, pouvoir passer par Tours.

Mes compliments à Mme Marguerite1.

Je t'embrasse de tout cœur.

Ton dévoué ami

L. Dehon, pr.

1 La jeune femme de Léon Palustre.

218.81

B18/9.2.81

Ms autogr. 5 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 23 mai 69

Chers parents,

C'est une bien belle journée aujourd'hui à Ste Claire. C'était hier l'ordination et nous avons eu sept nouveaux prêtres. Ce sont les élèves de mon cours, avec lesquels je devais être ordonné. Il y avait entre autres Mr Bernard de Lille et Mr Le Tallec, l'ancien zouave pontifical breton qui a servi ma seconde messe à St-Pierre. Aujourd'hui, Mr Dugas de Lyon chantait sa première messe ici. Il y avait son père, son frère, sa belle-sœur et même ses deux petites nièces qui sont grandes comme Marthe et Amélie. Vous pouvez représenter combien c'est émouvant en vous rappelant le 19 et le 20 décembre. Toute cette famille est bien heureuse aujourd'hui parce qu'elle est bien unie avec Dieu. Du reste, c'est une famille admirable. Mr Dugas père, bien que banquier, a le zèle de dire tous les jours l'office divin comme les ecclésiastiques, et le 11 avril, il a apporté au St-Père un cadeau de 50.000 francs.

Je m'étonne, cher père, que le souvenir des belles journées que tu as passées ici, puisse te laisser en repos si tu n'es pas au courant de tes devoirs. Tu dois être soucieux et dois avoir perdu la paix de ton cœur. N'attends pas davantage. Le 31 mai, tu seras inscrit sous la protection de N.D. du Sacré-Cœur. C'est une association qui a plusieurs millions de membres, y compris Pie IX. On obtient par là bien des grâces. Je vous ai fait inscrire tous les quatre, vous deux, Henri et Laure. Pour gagner les indulgences, il faut dire matin et soir l'invocation: Notre-Dame du Sacré-Cœur, priez pour nous. J'ai recommandé aux prières de toute l'association plusieurs conversions et la persévérance d'une âme juste: tu comprends, cher Père, que tu ne pourras pas résister aux prières du monde entier. Je suis heureux que Mgr veuille bien s'intéresser à moi. Partout où il me mettra, il y aura quelque bien à faire et il sait bien que je ne m'inquiète pas de la question d'argent.

Pour ce pauvre confrère que nous avons perdu, il a été entouré des soins les plus tendres par ses confrères. On le veillait jour et nuit, et pour témoigner à sa famille qu'il était entouré de vrais amis à sa mort, nous avons voulu supporter les frais de ses funérailles. Sa famille est une des familles de grande foi de la Bretagne et elle se console par la religion de son grand chagrin. Il n'y a plus de malades ici pour le moment1.

J'ai reçu votre lettre hier, et une autre aujourd'hui de Mr Clavel.

Je n'ai pas un instant pour écrire à Henri et à Laure. Embrassez-les pour moi, ainsi que maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Excusez-moi si ma lettre est griffonnée.

Post-scriptum. Je viens de voir le P. Supérieur. Il me dit que deux ou trois élèves vont partir dans huit jours pour fuir les chaleurs, et il n'est pas éloigné de me renvoyer avec eux parce que je ne pourrai plus faire grand-chose cette année, et j'ai besoin de longues vacances pour me préparer à l'année prochaine qui sera assez fatigante. Il pourrait donc se faire que je vous arrive bientôt; je vous écrirai prochainement à ce sujet2.

Je vous embrasse de nouveau.

L. Dehon, pr.

1 Sur ce «pauvre confrère» cf. LD 116.

2 Cette fin d'année scolaire fut en effet marquée par une grande fatigue qui fit craindre le pire. Cf. NHV VI, 136-139.

218.82

B18/9.2.82

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 30 mai 69

Chers parents,

Je pars ce soir avec un confrère de Beauvais. Nous irons à petites journées parce que nous sommes tous deux un peu fatigués. J'espère arriver à Paris samedi soir vers 6 h par la gare de Lyon. Si papa avait quelques affaires à Paris, il pourrait m'y devancer. Je descendrai sans doute à l'hôtel du ch. de fer du Nord. Si personne de vous ne va à Paris, écrivez-moi chez mon oncle. Dites-moi si la route la plus directe pour La Capelle est encore par Landrecies.

La raison pour laquelle je vais si tôt en vacances, c'est que je suis déjà fatigué et je serai sans doute obligé de revenir à la fin de septembre. Je n'aurai pas trop de quatre mois pour me bien reposer et fortifier. Je suis contrarié de quitter avant la fin des cours. Mais d'un autre côté, je me réjouis d'être bientôt avec vous.

Je vous écrirai un mot de Paris dimanche prochain.

Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi maman Dehon, Henri, Laure, Marthe et Amélie.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

219.04

B18/10.4

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 19 juin 1869

Mon cher ami,

Comme ma mère te le dit, il ne serait pas prudent de me mettre en voyage d'ici un mois1. Ce n'est pas que je sois malade, mais je suis revenu dans un état de fatigue qui exige du repos et une vie très réglée. Je crains de ne pas te voir davantage cette année que les courts instants que j'ai passés avec toi à Paris. J'espère cependant que tu trouveras moyen de combiner ton prochain voyage de façon à passer par La Capelle, bien que ce soit loin des grands chemins. Je connais ton habileté à concevoir des plans d'excursions.

Dans l'incertitude où je suis de te rencontrer ces vacances, je t'envoie ce que je te dois pour les œuvres de St Augustin.

J'ai trouvé ici, comme il arrive trop souvent à La Capelle, une triste saison. Il pleut, il vente, il gèle même, et il n'y a guère moyen de se promener. Quel contraste avec les chaleurs de Rome qui étaient déjà bien lourdes au mois de mai! Je te souhaite meilleur temps en Touraine et je regrette de ne pas pouvoir aller en jouir avec toi.

Je t'embrasse de tout cœur.

Ton dévoué ami

L. Dehon, pr.

1 Cette lettre était jointe à une lettre de madame Dehon à Léon Palustre:

Monsieur,

Je regrette beaucoup de ne pouvoir vous être agréable en vous accordant Léon pour quelques jours. Sa santé, quoique améliorée depuis son arrivée, ne se remet pas assez vite pour entreprendre sous peu le voyage de la Touraine. Il n'a pu même jusqu'aujourd'hui faire ses visites à la famille dans nos environs. Le froid et le mauvais temps que nous avons cette année contribuent peut-être à rendre sa convalescence plus longue et je crois qu'il serait imprudent d'entreprendre maintenant une excursion un peu éloignée.

Nous espérons que l'année prochaine il sera plus heureux.

Léon nous dit que vous ne viendrez pas à La Capelle pendant ses vacances, nous espérons, Monsieur, que vous reviendrez sur cette décision, nous ferions bien volontiers la connaissance de Madame.

Mr Dehon et mes enfants sont très sensibles à votre bon souvenir. Veuillez, Monsieur, agréer mes sentiments affectueux et les leurs.

F. Dehon

219.05

B18/10.5

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 16 juillet 69

Mon cher ami,

Il faut absolument que je remette mon voyage chez toi à l'an prochain. J'aurais pu peut-être le faire maintenant si j'avais prévu il y a quelques jours que tu serais libre à cette époque, mais je me suis créé des liens qui m'empêchent de quitter. J'attends demain monsieur Demiselle, chanoine de Soissons, qui restera avec moi une dizaine de jours, et puis mon curé va s'absenter une semaine et il compte sur moi pour le remplacer.

Je suis complètement rétabli et je m'essaye à faire un peu de ministère pastoral. J'ai déjà prêché deux fois dans la petite église de Sommeron et après-demain je me hasarderai à monter dans la chaire de La Capelle. Il me manque un Aristarque, je regrette que tu ne sois pas là. La prédication n'aura pas un grand rôle dans mon apostolat. Je n'ai pas pour cela le talent et les poumons qu'il faut1.

Mes vacances sont déjà à leur milieu. Je retournerai à Rome au commencement de septembre pour faire de la sténographie pendant deux mois. D'ici à mon départ, je ne quitterai probablement pas La Capelle2.

Il me semble qu'il manquera quelque chose à mes vacances parce que nous ne nous rencontrerons pas cette année. J'aurai le loisir d'emballer tes minéraux. Si tu le veux, je te les enverrai à Tours. J'ai trouvé ici une grande valise qui t'appartient et qui est ici depuis notre voyage d'Orient. Je l'emplirai et je te l'adresserai par le chemin de fer, petite vitesse, à moins que tu ne préfères attendre à l'année prochaine.

Je te souhaite un heureux voyage en Bretagne et te prie de ne pas m'en vouloir si je ne me rends pas à ton invitation.

Mes parents, mon frère et ma belle-sœur t'envoient leurs affectueux compliments.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Les NHV donnent d'amples détails sur ces débuts de ministère: la célébration des prémices, le 19 juillet, avec le sermon donné à cette occasion (VI, 140-150) et le ministère à Sommeron et à La Capelle, notamment le panégyrique de Ste Grimonie ou Germaine, patronne de la paroisse (VI, 156-165): sermons conservés autographes aux AD B6/4.A; Inv. 37.01. Aristarque: grammairien et critique alexandrin (vers 215-143), célèbre par son édition critique d'Homère; type du critique sévère. En fait, le P. Dehon eut aussi un assez grand ministère de prédication, à Saint-Quentin, puis dans de nombreuses retraites.

2 En fait, il alla passer quinze jours au Tréport après l'Assomption, avec son ami l'abbé Louis Perreau qui y était en traitement (cf. NHV VI, 150-156 et LC 49, 53, 55, et LD 125).

629.09

B36/2D.9

Photocopie Ms autogr. Santa Chiara

Dactylographie: Inv. 626.09, B36/2a.9

Au P. Fryed

La Capelle 30 juillet 69

Vénéré Supérieur,

Mes vacances ressemblent à celles des années précédentes. Ma santé est très bonne maintenant. J'ai repris les forces que j'avais perdues depuis quelques mois et je vais aller prendre des bains de mer pour achever de me remettre1. Mais l'esprit, comme il arrive toujours, ne progresse pas en même temps que le corps. Le recueillement est difficile ici et la vie du monde ne me satisfait guère. Vous savez quels sont mes goûts. J'étudie le clergé séculier de mon diocèse et je n'y vois guère ma place. J'ai même essayé tant soit peu de ministère et j'ai fait quatre petits sermons. Tout cela m'aidera à choisir ma voie sous votre direction.

Je m'ennuie de n'avoir pas de nouvelles de Rome depuis votre bonne lettre2. J'ai à Rome plus de la moitié de mon cœur. J'ai écrit à Mr Le Tallec, à Mr Desaire et à notre chef sténographe, et personne ne m'a encore répondu. Leurs occupations nombreuses les excusent. S'il y avait quelque oisif auprès de vous, priez-le de m'écrire. Tous les élèves de Ste-Claire sont mes amis et une lettre de qui que ce soit d'entre eux me ferait bien plaisir.

Peut-être êtes-vous venu aussi fortifier votre santé en France. J'espère que ma lettre vous trouvera quand même.

L'état de mon âme n'est pas ce que je voudrais. Je suis tiède et je me le reproche souvent.

Je crois que j'ai vraiment besoin d'une vie réglée. Je ne conserve pas ici ce que le p. Liberman appelle, je crois, l'état d'oraison et ce qui peut être appelé une union continuelle avec Dieu3. Les vacances sont pour moi un lourd tribut que l'âme paie au corps. Ma consolation est de voir que ma présence aide un peu à l'édification de ce pauvre pays.

J'espère que le chef sténographe m'indiquera l'époque précise à laquelle il m'attendra à Rome.

Mes parents vous présentent leurs affectueux respects.

Votre fils dévoué et reconnaissant.

L. Dehon, pr.

1 Cf. LD 121 (note 2).

2 LC 48.

3 Du P. Liberman, Léon Dehon avait goûté, dès 1866, les écrits et les lettres (cf. NHV V, 6-11 et St. Deh.: L'expérience spirituelle du P. Dehon. Les années de formation 1843-1871, pp. 85-89).

219.06

B18/10.6

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 2 août 69

Mon cher ami,

Je me prépare à voyager un peu comme toi. Je vais aller passer le reste de mes vacances aux eaux avec mon père et ma mère. Nous irons très probablement à Forges-les-Eaux en Normandie, entre Neufchâtel et Gournay. Je ne sais si tu connais ce pays-là. Ma santé, déjà très bien remise achèvera, j'espère, de se fortifier aux eaux. Si tes pérégrinations te conduisent de ce côté-là, viens nous voir. On dit que les environs de Forges sont très agréables. Je compte partir d'ici après-demain. À mon retour, je n'aurai plus qu'une semaine à passer à La Capelle avant mon départ pour Rome1.

Je t'ai envoyé tes minéraux il y a deux jours par la petite vitesse. Je les ai emballés avec le plus grand soin dans ta grande malle qui en est remplie. J'ai observé scrupuleusement le partage que nous avions fait ensemble. J'y ai joint les plantes que nous avions recueillies, notre herbier de voyage, en conservant seulement quelques spécimens de ce qui était en double. J'ai fait conduire la valise à Landrecies. Tu auras à payer le port de Landrecies à Tours. Je vais t'envoyer la clef en même temps que cette lettre à St-Symphorien. J'espère que le tout arrivera en bon état.

J'ai eu comme je te l'annonçais la visite de Mr Demiselle de Soissons. Il m'accompagnera peut-être à mon départ jusqu'à la frontière d'Italie. En ce cas, je passerais par Schaffhouse, les Grisons et le Splügen. Je reverrai avec plaisir la grande nature de la Suisse et les charmants lacs du nord de l'Italie.

Tu peux m'écrire à La Capelle, on m'enverra les lettres qui y arriveront pour moi.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 En fait, il n'ira pas aux eaux de Forges, mais au Tréport (cf. LD 125).

629.10

B36/2d.10

Photocopie Ms Santa Chiara 6 p.

Dactylographie: Inv. 626.10, B36/2a.10

Au P. Fryed

Le Tréport 21 août 69

Vénéré Supérieur,

J'aime à vous écrire, cela me fait du bien. De même que, dans l'oraison, quand nous parlons à Dieu, aidés par le Saint-Esprit, nous pouvons nous répondre à nous-mêmes, nous consoler et nous fortifier, ainsi, quand je vous écris, aidé par le souvenir de votre excellente direction, je puis suppléer un peu et attendre votre réponse et réchauffer un peu mon âme attiédie.

Je suis venu ici pour achever de remettre ma santé et un peu aussi pour passer quelques jours avec le bon Mr Perreau, dont la présence me fait beaucoup de bien et m'édifie singulièrement.

Vous savez qu'à Chambéry, ses forces avaient décrû presque jusqu'au néant. Il a repris ici un peu de vie. Le médecin dit que sa poitrine est saine et qu'il espère le guérir. Son état serait le résultat d'une anémie très forte, compliquée de dyspepsie. Il n'y aurait chez lui que l'estomac et les intestins de malades. Voilà pour le physique. Au moral, c'est toujours un saint homme qui a déjà conquis ici par sa bonté et sa douceur l'affection de tout le monde. Il prêche davantage par son exemple que bien d'autres par leurs sermons.

L'abbé Gérin est ici aussi avec une famille où il est précepteur. Sa santé est excellente.

Quant à moi, je suis arrivé ici déjà bien solide et j'espère que les bains de mer me fortifieront encore, il n'y a plus de traces de mon indisposition du mois de mai. Au moral, je ressemble un peu aux liquides qui ne se conservent bien qu'à l'abri de l'air. La glace qui m'entoure et l'air agité du monde dissipent un peu et refroidissent mon âme. Grâce à Dieu, les vacances auront un terme.

J'ai goûté un peu du saint ministère. Quelle œuvre sainte et redoutable! parler la parole de Dieu et prononcer les jugements de Dieu, comme ces actes condamnent notre froideur et nos faiblesses!

Les circonstances m'ont forcé à prêcher quelques sermons et une absence de mon curé m'a contraint à le remplacer un peu au confessionnal. J'espère tirer de cet essai quelque expérience. Tout cela confirme en mon cœur le désir d'une vie réglée, désir dont vous serez juge plus tard.

J'ai ouï par l'abbé de Dartein qu'on espérait vous voir en septembre en Alsace. Ne pourriez-vous pas aussi passer par la Picardie? Vous y feriez certainement quelque bien. Vous prendriez pour La Capelle le chemin de fer du nord jusqu'à Landrecies. J'y rentrerai vers le 4 septembre pour en partir vers le 20 pour Rome. Il paraît que don Marchese veut nous réunir au 1er octobre1.

Mon père va peut-être venir me chercher ici. Je le désire beaucoup pour le soustraire pendant quelques jours au respect humain qui l'entrave à La Capelle.

J'ai reçu de bonnes nouvelles de MM. Le Tallec, de Dartein, Bougouin et Désaire2.

Je vous adresse ma lettre à Rome, si vous en êtes parti, j'espère qu'elle vous suivra et vous atteindra.

Je vous supplie de m'accorder une place à votre memento et de croire à mon éternelle reconnaissance et à mon profond dévouement.

Tout à vous

L. Dehon

Tréport - hôtel de la plage.

1 Don Marchese, le chef sténographe.

2 De Le Tallec LC 51; de Ch. Désaire LC 52.

219.07

B18/10.7

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Le Tréport 26 août 69

Mon cher ami,

Quand le moment est venu de partir pour Forges, j'y ai renoncé. J'étais trop peu malade pour aller m'assujétir à une saison d'eaux minérales. Les bains de mer me souriaient davantage. Aussi quand j'ai appris que je trouverais quelques amis au Tréport, je me décidai immédiatement à venir les rejoindre. Je suis ici depuis dix jours avec l'abbé Perreau et Thellier de Poncheville que tu as connus à Paris1. Nous avons beau temps et les bains de mer me font grand bien. Je n'ai plus malheureusement que quatre ou cinq jours à y passer. Je rentrerai chez moi pour marier des cousins germains2, et vers le 17 septembre, je partirai pour Rome, où j'espère emporter assez de santé pour y passer facilement cette année, qui promet d'être si intéressante. Je m'estime chaque jour plus heureux de pouvoir suivre de près la grande œuvre du Concile. C'est maintement la seule chose qui me préoccupe, avec l'achèvement de mes études, et je ne m'inquiète pas encore de ce que je deviendrai dans deux ans.

Je ne te dis rien du Tréport, tu dois le connaître déjà. Le séjour en est agréable. Le parc d'Eu est d'une grande ressource pour les promenades. Tu as visité sans doute le château bourgeois d'Eu qui convenait bien au roi Louis-Philippe. Son état de nudité et d'abandon est un peu triste, mais ne m'a guère ému, parce que je n'ai jamais éprouvé une grande affection pour la famille d'Orléans3.

Je retournerai probablement par Dieppe et Arques.

Adieu, cher ami, étudie avec soin le moyen-âge, il le mérite.

Je t'embrasse de tout cœur.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Sur Thellier de Poncheville cf. NHV I, 42 vº; et sur le séjour au Tréport NHV VI, 150-156. Cf. aussi LC 66 et LD 128.

2 Hélène-Fanny Dehon, fille d'Édouard-Gustave Dehon et de Dorothée Dehon, est mariée par l'abbé Dehon le 4 septembre 1869 avec Louis-René Lenain.

3 Encore monarchiste alors, Léon Dehon est, comme Léon Palustre, légitimiste. Ils avaient visité ensemble le Comte de Chambord à Frohsdorf, le 4 novembre 1863 (cf. NHV II, 58 rº-60 rº).

218.83

B18/9.2.83

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 9 octobre 69

Chers parents,

Me voici arrivé à bon port et sans fatigue. Mon voyage s'est effectué en de très bonnes conditions. J'ai divisé la route en cinq journées et je me suis toujours reposé la nuit. Je vais m'installer aujourd'hui et demain et je ne commencerai à sténographier que lundi. J'ai déjà salué ce matin mes co-sténographes. J'ai trouvé le séminaire agrandi et embelli. On y prépare le logement de quinze évêques. Il règne du reste dans Rome une grande activité. Tout le monde se prépare au Concile. Mes co-sténographes ont repris le travail depuis huit jours. J'espère les rattraper facilement. Je ne suis pas du reste fatigué de mon voyage et je ne me ressens plus de l'indisposition de la semaine passée. J'ai retrouvé ici un temps très doux et très agréable. Il n'y a plus rien à craindre de la chaleur et on ne sentira pas le froid de longtemps. Rome est déjà encombrée d'étrangers. Comme j'arrivais la nuit, j'ai demandé une chambre à l'hôtel de la Minerve. Il n'y en avait plus. J'ai été obligé de réveiller au Séminaire français. Que sera-ce dans deux mois?

Je vais m'installer de mon mieux et je vous écrirai dans huit jours. Donnez-moi souvent des nouvelles.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

P.S. Je viens de faire ma caisse et je me trouve bien riche: Laure m'a donné dans la précipitation de mon départ un rouleau de 1.000 francs pour 500 francs, de sorte qu'il me reste, après mon voyage, 1.750 francs. Je ne crois pas qu'il faille vous en renvoyer.

219.08

B18/10.8

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome, 12 octobre 69

Mon cher ami,

J'allais quitter La Capelle quand j'ai reçu ta dernière lettre, puis une indisposition m'y a retenu une huitaine de jours de plus. J'étais en retard, j'ai pris la route la plus directe. Nous avons recommencé nos exercices de sténographie. Nous nous préparons au Concile comme tout le monde fait à Rome. Il règne ici une assez grande activité.

Bien des circonstances nous ont empêché de nous voir cette année. J'espère qu'il n'en sera pas de même l'an prochain. Tu auras fini ta tournée de famille et tu pourras aller revoir La Capelle. De mon côté, je ménagerai ma santé pour qu'elle soit moins délabrée et qu'elle me permette de m'occuper un peu moins de moi et un peu plus de mes amis.

Je serai occupé cette année presque exclusivement du concile et j'aurai peu de temps pour mes études. Je me promets une année bien intéressante. Toutes les questions religieuses, les plus élevées et les plus actuelles, vont être traitées par des hommes éminents, et leur solution aura la garantie de l'assistance du St-Esprit. L'élément humain lui-même qui paraîtra au concile sans y triompher aura son intérêt. Il nous fera connaître la valeur des hommes et leurs passions.

L'installation du concile est assez heureuse. On a établi avec goût un amphithéâtre dans le transept droit de St-Pierre sans déparer la basilique et on a fermé les trois chapelles les plus voisines pour y installer les dépendances et accessoires de la salle des séances.

J'espère beaucoup du concile. Outre l'effet de ses décrets, il y aura un frottement entre les Romains et les étrangers où chacun aura à gagner. Il y a une certaine lumière propre à notre siècle dont les Romains ont un peu besoin d'être éclairés et dont les autres se trouvent bien d'être éloignés pendant quelque temps pour ne pas en être éblouis.

Je te remercie, cher ami, de l'empressement que tu as déployé sans succès pour m'attirer à Tours. J'espère que nous serons plus heureux l'an prochain.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

218.84

B18/9.2.84

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 16 octobre 69

Chers parents,

J'avais répondu d'avance à la lettre de maman. Je me suis installé depuis huit jours et j'ai revu avec bonheur les principaux sanctuaires de Rome. Votre souvenir me suivait à St-Pierre, à St-Laurent, aux grandes reliques de Ste-Croix de Jérusalem. Mes plus ferventes prières y ont été pour vous.

Je m'occupe de sténographie tous les matins, et l'après-midi j'ai souvent pour compagnon de promenade Mr Thellier de Valenciennes, que j'avais connu à Paris et que j'ai retrouvé au Tréport. Il est venu passer un mois à Rome avec son frère. Ces messieurs sont cousins de Mr Vandelet Lecat, je ne sais par quelle alliance. Jeudi, j'ai fait une charmante excursion à Frascati. Je prends pour ma santé toutes les précautions nécessaires. Je mange un bifteck chaque matin et je fais gras le samedi. J'ai une grande chambre qui donne au midi sur un jardin planté de citronniers.

Le séminaire s'est beaucoup agrandi. On y a ajouté un grand salon, des parloirs, un réfectoire et plusieurs chambres. Treize évêques y logeront pendant le concile et huit autres y prendront leur table.

Les élèves commencent à arriver. Nous serons un peu plus nombreux que l'an dernier.

Les préparatifs du concile s'achèvent. L'amphithéâtre est à peu près terminé dans St-Pierre. Il ne dépare pas du tout la basilique. Il y aura place pour 700 évêques. Leurs théologiens seront dans les tribunes. Les sténographes seront probablement dans le centre de la salle autour d'une table ovale. Avant de fixer notre place, on doit essayer comment on entendra.

J'ai déjà eu le bonheur de rencontrer le St-Père. Il est très alerte et très bien portant.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes nièces.

Je vous écrirai dans une dizaine de jours.

Votre dévoué fils en N.S.

L. Dehon, pr.

218.85

B18/9.2.85

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 26 octobre 69

Chers parents,

Vous avez été bien habiles de déterminer mon oncle Alfred à quitter prochainement Dorengt. J'en suis bien heureux pour lui et pour nous. Ce sera une grande jouissance pour papa de l'avoir pour compagnon de promenade.

Rien ici de bien saillant depuis huit jours. Nous faisons de la sténographie le matin et nous nous promenons l'après-midi. J'ai fait encore une fois l'excursion de Frascati. Nous avons eu plusieurs jours de pluie, mais le beau temps est revenu. C'est aujourd'hui la rentrée du séminaire. La maison est déjà presque au complet. Les étrangers arriveront plus tard. J'ai retenu un appartement pour Mr Demiselle et je l'en ai prévenu.

Je revois avec bonheur mes condisciples que j'avais quittés depuis cinq mois. Mr Desaire n'est pas encore revenu. Il a été assez gravement malade pendant les vacances et son retour sera probablement retardé. Mr Perreau, avec qui j'étais au Tréport, ne reviendra pas cette année. Son état de faiblesse ne le lui permet pas. Il n'y a rien de nouveau au corps sténographique. Nos exercices marchent très bien et nous serons à même de remplir notre tâche convenablement.

Nous approchons de l'anniversaire de votre arrivée à Rome. Vous vous rappellerez avec bonheur les fêtes auxquelles vous avez assisté. Ce sera pour nous une occasion de prier les uns pour les autres, comme nous le faisions ici, surtout quand viendront les heureux jours de notre audience du St-Père, de mon ordination et de ma première messe.

Je me trouve très bien portant et très heureux de la chambre où j'habite. Elle est au midi et elle sera tout l'hiver chauffée comme la vôtre par le soleil. J'en changerai quand viendront les chaleurs.

Demandez à Mr le doyen s'il reçoit exactement le journal auquel il m'avait demandé de l'abonner.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie et donnez à mes nièces une dragée de ma part.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

218.86

B18/9.2.86

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 4 novembre 69

Chers parents,

C'est aujourd'hui la belle fête de St Charles Borromée. Elle doit vous rappeler plus d'un heureux souvenir. Vous avez vu le beau palais des Borromée sur le lac Majeur, puis la statue colossale qui domine le lac du haut d'Arona. Nous avons visité ensuite le riche tombeau du saint évêque à Milan sous le Maître-autel de la brillante cathédrale, et à pareil jour, le 4 novembre, vous avez vu pour la première fois le St-Père et vous avez reçu sa bénédiction de bien près sur les degrés de St-Charles au Corso.

Nous avons, comme l'an passé, un bel automne. Les cours du Collège romain recommencent demain. Je n'en suivrai que deux au lieu de cinq comme les années précédentes. Les élèves ont fait une retraite de cinq jours qui a été pour nous entremêlée de sorties et d'exercices sténographiques1.

Le grand jour de l'ouverture approche et déjà Rome est remplie d'étrangers.

Le corps sténographique a été présenté il y a quatre jours au secrétaire général du Concile, Mgr Fessler, évêque allemand très aimable et très distingué. Nous prêterons dans quelques jours entre ses mains le serment de garder le secret sur les travaux des séances secrètes du Concile jusqu'à leur publication2.

Nous sommes aussi allés en corps faire l'essai du grand amphithéâtre des séances à St-Pierre. Nous avons constaté qu'on s'y entendrait assez bien et on a déterminé la place de la tribune et la nôtre3.

Si vous le voulez bien, je vous abonnerai pour 6 mois à la Correspondance de Rome (pr 10 fr.). Les journaux politiques français vous donneront des nouvelles inexactes sur le Concile, à moins qu'au lieu de «La France» vous ne receviez un journal d'un bon esprit comme «L'Union»4.

Si vous recevez dans quelques jours un paquet de reliques par la poste, faites-le parvenir à Mr Boute. Je l'ai prévenu.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes nièces.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Quelques notes de cette retraite en NHV VI, 171-174.

2 Cette réunion pour le serment eut lieu le 3 décembre (NHV VI, 191).

3 À l'usage cependant, il y eut bien quelques problèmes d'acoustique (cf. NHV VII, 11).

4 La «Correspondance de Rome», bulletin officieux d'information du Saint-Siège. «La France», journal de tendance religieuse libérale et gallicane. «L'Union», organe monarchiste et légitimiste, conservateur.

218.87

B18/9.2.87

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 28 novembre 69

Chers parents,

Les choses se passent ici comme on pouvait l'espérer. Les évêques arrivent de toutes les parties du monde pour mettre en commun leur science et leur foi et pour former une assemblée qui semble n'avoir pas encore eu d'égale sur la terre. La grande animation qui commence à régner à Rome, ne laisse pas que d'étonner bien qu'on l'ait prévue.

C'est pour nous aussi l'anniversaire de bien belles journées. C'est le 15 novembre que nous avons eu notre audience du St-Père et que j'ai obtenu d'abréger de six mois l'attente de cette grande grâce du sacerdoce, qui me permet de puiser tous les matins à la source de toutes les grâces.

Notre service sténographique s'organise. On a déterminé déjà notre place à la procession du 8 décembre et dans les tribunes. Il est probable que nous aurons peu de chose à faire avant le mois de janvier.

Je n'ai encore vu personne de notre pays. Mr Demiselle doit arriver demain avec un chanoine de Soissons. Mgr Dours arrivera dans peu de jours avec Mr Guyart.

J'ai reçu la visite du R.P. Petetot, supérieur général de l'Oratoire de Paris. C'est Mr Vitet qui me l'a adressé.

Le séminaire reste très calme au milieu de ce mouvement général. Les étrangers y ont leur quartier séparé dans la partie neuve de la maison.

Ma santé se maintient très bien et même se fortifie. Je prends toutes les précautions nécessaires. Mr Desaire est revenu depuis quelques jours et il s'est informé de vous.

Parmi les fêtes qui approchent, il y en a deux que vous vous rappellerez avec bonheur, celle de St Clément et celle de Ste Cécile. Vous vous rappelez certainement l'église de St-Clément avec ses curieux souterrains sur la route qui mène du Colysée à St-Jean de Latran.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les deux petites fillettes.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

218.88

B18/9.2.88

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 30 novembre 69

Chers parents,

Rome prend un aspect chaque jour plus intéressant. Les évêques s'installent et commencent à travailler. La foule des étrangers suit les fêtes ordinaires et remplit surtout St-Pierre et ses abords. On se prépare au concile par une neuvaine solennelle qui se fait dans toutes les églises et toutes les grandes reliques sont exposées partout.

Il arrive encore chaque jour de nombreux évêques. Je n'ai pas encore vu le nôtre. Je n'ai reçu jusqu'à présent que la visite de Mr Demiselle. Il habite non loin du séminaire. Il fait voir Rome à ses compagnons qui n'y étaient pas encore venus.

Le corps sténographique se prépare à remplir ses fonctions. Nous sommes déjà allés plusieurs fois nous exercer dans la magnifique salle du concile. Aujourd'hui nous avons eu le bonheur d'être reçus en audience par le St-Père. Il nous a encouragés, nous a exhortés à donner tous nos soins à nos fonctions pour que nos travaux servent à l'édification du monde. Il nous a donné à chacun une médaille. Il est affable et gai comme toujours, et son immense confiance en Dieu lui permet de n'être pas préoccupé à la veille d'un acte si important et au milieu des affaires dont il est assailli. On est toujours heureux de l'approcher1. Combien l'est-on plus d'approcher tous les matins Notre-Seigneur Jésus-Christ! Aidez-moi à rendre grâces à Dieu de la grande grâce de mon sacerdoce dont l'anniversaire approche.

L'enfant que j'ai baptisé est déjà allé au ciel. Je comprends le chagrin des parents. Mais c'est souvent une grâce, comme nous l'enseignent les saints, que Dieu fait aux enfants de les prendre dans l'état d'innocence, quand il prévoit qu'ils auraient difficilement fait leur salut.

Vous aurez la description des fêtes dans la Correspondance. Je vous y abonnerai aujourd'hui.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Sur cette audience NHV VI, 187.

219.09

B18/10.9

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 1er décembre 69

Mon cher ami,

Comme tu le supposes bien, j'ai eu beaucoup de besogne depuis mon retour à Rome. J'avais un retard de plusieurs mois à réparer. Je suis maintenant à peu près au courant. J'aurai du reste toute cette année beaucoup à faire, si mes forces physiques ne me trahissent pas.

Rome prend chaque jour un aspect plus intéressant. Les évêques sont déjà très nombreux. Les premiers arrivés commencent à travailler. Les vrais romains se préparent au concile par une neuvaine solennelle. Une foule immense d'étrangers attend le 8 décembre, les uns avec un pieux intérêt, les autres par simple curiosité! Le St-Père conserve au milieu de tout cela une confiance et un calme surnaturels. J'ai eu le bonheur de le voir hier. Il a reçu en audience le corps sténographique avec son affabilité et sa gaieté ordinaires. Il a vu avec peine cependant les efforts du Gallicanisme. On considère ici leur tentative comme avortée et comme ne devant avoir aucun résultat. Ils reviendront probablement bientôt de leur illusion comme les défenseurs du libéralisme1.

Je me félicite davantage, à mesure qu'approche le concile, de ma fonction de sténographe. Nous prêterons demain le serment de tenir le secret sur les travaux du concile, qui ne seront probablement publiés qu'après sa clôture. Le concile sera ainsi à l'abri des influences de la presse et de la politique et sa marche sera plus calme et plus rapide.

Je ne te décris pas la salle des sessions. Les journaux te l'ont déjà probablement dépeinte dans tous ses détails.

Je n'ai pas encore vu tes amis. Je reverrai bien volontiers Mr de Laurière2. Mais je plains un peu les étrangers qui viennent à Rome spécialement pour le concile, parce qu'ils en jouiront bien imparfaitement.

Redis-moi dans ta prochaine lettre le nom de ton boulevard.

J'ai souvent pensé à toi depuis quelque temps en lisant la vie de Ste Paule, dans laquelle l'abbé Lagrange décrit les pèlerinages de St Jérôme et de Ste Paule en terre sainte. Je t'engage à lire cette vie qui est très bien écrite. C'est un beau cadeau à faire à ton épouse3.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Cf. sous le titre «La lutte», l'exposé du P. Dehon à ce sujet en NHV VI, 184-186.

2 Sur ce Mr de Laurière cf. LD 67 et 82.

3 François Lagrange (1827-1895): Histoire de Sainte Paule (Paris 1867).

218.89

B18/9.2.89

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 8 décembre 69

Chers parents,

Je voudrais vous faire partager un peu notre joie de la belle fête d'aujourd'hui. Cette journée m'a fait plus d'impression, s'il est possible, que celle du 19 décembre de l'an dernier.

J'étais admirablement placé dans une tribune avec les théologiens du St-Père. Toute la solennité se passait dans le transept droit de St-Pierre. La salle était ouverte du côté de la confession de S. Pierre, pour que l'immense foule qui remplissait la basilique pût apercevoir le Concile. Les Pères du Concile, plus de 700 évêques, en chape et en mitre, arrivèrent en procession et remplirent peu à peu les gradins. Après eux venaient les patriarches, les cardinaux et enfin le St-Père entra en bénissant les Pères. L'aspect de cette salle, qui contenait toute l'Église enseignante, faisait un effet imposant. Après le Veni Creator, on chanta la messe. Il était beau de voir les évêques du monde entier réciter ensemble le Symbole des Apôtres, puis se donner la paix. Après la messe, un évêque capucin prononça le discours d'ouverture. Il rappela dans un magnifique langage la conversion du monde par les Apôtres, puis les tribulations et les joies de l'Église. Pie IX donna sa bénédiction solennellement. Puis eut lieu la cérémonie de l'obédience. Tous les Pères du Concile allèrent à leur tour embrasser la main ou le pied du Souverain Pontife. Le St-Père lut ensuite une magnifique invocation au Saint-Esprit. Puis commença le chant des litanies des saints. Quelle magnifique et touchante union de l'Église de la terre avec celle du ciel. Tous les regards du ciel étaient tournés vers ce Concile et tout le Concile invoquait avec ardeur et par les voix émues et retentissantes de tous ses membres tous les saints du ciel. Environ 50.000 fidèles dans St-Pierre répondaient aux litanies. Après les litanies, le St-Père debout appela trois fois la bénédiction du ciel sur le Concile. Puis il adressa aux Pères une allocution si émue qu'il pouvait à peine l'achever. Il leur rappela ce que l'on sentait bien, les promesses de Dieu, l'assistance du St-Esprit et la force de l'Église, plus forte que le ciel, puisqu'elle a la promesse infaillible d'être guidée par le ciel dans la vérité. Alors furent lus et votés les décrets qui déclaraient le Concile ouvert et fixaient la deuxième session publique au jour de l'Épiphanie. Jusque-là, on préparera les décrets dans des réunions privées, dont la première commencera après demain. Cette belle fête a duré de 9 h du matin à 3 h. Je me suis écrié plus d'une fois que c'est la plus belle journée de ma vie. Après avoir été témoin de telles manifestations de l'Église, on éprouve une nouvelle et brûlante ardeur de travailler pour le ciel, dont l'Église de la terre n'est que le vestibule1.

Je puis ajouter, pour compléter votre joie, que je me porte très bien et que je ne me ressens plus du tout les fatigues de l'an dernier. J'ai passé facilement le 30 novembre l'examen de licence en théologie que j'avais laissé au mois de juillet. Je puis maintenant ménager mon travail autant que c'est nécessaire.

Rendons bien grâces à Dieu le 19 et le 20 décembre. Si c'est possible, faites la sainte communion un de ces deux jours.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 On trouvera en NHV VII, 1-11, une description plus documentée et plus détaillée de cette cérémonie, avec les notes critiques de Vincenzo Carbone.

218.90

B18/9.2.90

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 19 décembre 1869

Chers parents,

Vous rappelez-vous comme nous étions heureux l'année dernière à pareil jour? Le 19 décembre est l'anniversaire de mon ordination et en même temps le 4ème dimanche de l'Avent me rappelle ma première messe. Avec quel bonheur et quelle émotion j'ai célébré cette même messe ce matin! Je me suis représenté ce que nous étions ce jour-là et ce que nous voulions être. Comme nous étions pénétrés de la grâce de Dieu! Quelle joie! Quelle bonne volonté! Et ce n'était que le commencement d'une série de grâces qui se continue tous les jours. Notre Seigneur nous a donné sans compter, il s'est donné lui-même. Nous lui avons promis beaucoup aussi avec l'aide de sa grâce. L'avons-nous tenu? Je fais de tout mon cœur mon mea culpa. Je n'ai pas toujours apporté au saint sacrifice la même bonne volonté que la première fois et par suite tout le reste aussi a été en souffrance. Mais je vais reprendre avec la même confiance que le premier jour et j'espère tout de la miséricorde de Dieu. Remerciez Dieu aussi des grâces qu'il vous a accordées à Rome et tenez les promesses que vous lui avez faites.

J'ai besoin, cher père, de t'ouvrir à toi plus spécialement mon cœur. Tu as certainement ressenti l'année dernière quelle joie tu me causais à moi. Mais cela n'est rien. Tu as ressenti aussi quelle joie tu causais au ciel, à N.S. Jésus-Christ et à ses saints. Eh bien si tu ne restais pas dans les mêmes sentiments, de même que tu me déchirerais le cœur à moi, tu renouvellerais aussi, s'il était possible, les larmes de sang que Notre Seigneur a versées sur nos infidélités. Voilà pour le nécessaire. Mais il y a en outre ce que l'Église n'exige pas et qui est extrêmement bon et utile, ce serait une communion aux deux ou trois plus grandes fêtes de l'année. Penses-y à Noël et si tu pouvais renouveler notre union commune avec N.S. dont nous étions si heureux l'année dernière, n'y manque pas.

Entretenons-nous souvent de ces souvenirs-là. Ils nous feront du bien.

Ma santé est excellente et je suis on ne peut plus heureux de suivre de près la grande œuvre du concile. Depuis la belle fête du 8, il y a eu deux réunions ou congrégations générales. La 3ème aura lieu demain. Ces réunions sont secrètes. Nous avons seuls le privilège d'y assister. Nous y sommes mieux placés que nous ne pouvions l'espérer. Notre table est au centre de la salle. Ceux de nous qui n'ont pas à écrire ont à leur disposition une tribune d'où ils peuvent voir et entendre. Nous avons eu peu à faire jusqu'à présent. Les séances ont été remplies par des élections de commissions et autres dispositions préparatoires. Il est probable que nous ne serons pas occupés du concile plus de deux jours par semaine.

J'ai fait visite à Mgr Dours et à Mgr d'Orléans. Mgr Dupanloup a fait tort à son influence par ses dernières lettres, qui n'ont pas été du tout du goût des évêques. Vous en verrez dans les journaux une belle réfutation écrite par Mgr Dechamps, archevêque de Malines1.

Je vois de temps en temps Mr Demiselle, et j'ai reçu des nouvelles de Mr Boute qui se plaint beaucoup de sa santé2.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Allusion à cette campagne de Mgr Dupanloup en NHV VI, 186 et VII, 36-42. L'évêque d'Orléans avait reçu et conseillé Léon Dehon en 1864-1865 sur sa vocation et ses études (cf. LD 4, note 3, et LD 28, notes 2 et 3). À propos du concile, il s'était déjà manifesté en mars 1869 par un article anonyme (dans le journal Le Français), protestant contre un article de la «Civiltà Cattolica» du 6 février, sur le problème de l'infaillibilité, article répercuté dans l'Univers de Louis Veuillot. Les lettres auxquelles fait allusion Léon Dehon furent publiées le 11 novembre 1869, sous le titre: «Observations sur la controverse soulevée relativement à la définition de l'infaillibilité au futur concile», puis une «lettre à son clergé», enfin, en réponse à un article de Veuillot dans l'Univers du 18 novembre, un «Avertissement à M. Louis Veuillot». Sur les détails de cette polémique, voir en Aubert: «Le Pontificat de Pie IX» (pp. 318-321), et aussi l'ouvrage de L. Veuillot: «Rome pendant le Concile», auquel le P. Dehon s'est référé pour la rédaction de ses NHV. Mgr Dechamps avait publié en juin 1869 une brochure sur «L'Infaillibilité et le Concile Général».

2 De Mr Boute LC 59.

218.91

B18/9.2.91

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 29 décembre 69

Chers parents,

Les fêtes de ces temps-ci me font beaucoup penser à vous chaque jour surtout à l'autel. Comme nous étions heureux l'année dernière pendant le temps de Noël! Quelles belles journées nous avons passées ensemble! Papa a dû se rappeler avec délices la ste communion qu'il reçut des mains du St-Père et la belle fête de Noël. Notre voyage à Naples est aussi une source de charmants souvenirs, qui doivent faire le sujet de vos entretiens de chaque jour. Nous avons vu là la plus belle nature et tout le luxe de la vieille civilisation païenne à Pompeï.

Je reste à Rome cette année pendant ces petites vacances et j'y trouve aussi de bien grandes choses avec beaucoup moins de fatigues. Toutes les fêtes de Rome sont rehaussées par le grand nombre des évêques qui les suivent. Le concile continue ses travaux. Il y a eu hier congrégation générale et il y en aura une autre demain. Elles se tiennent jusqu'à présent à St-Pierre. Mais on prépare au Quirinal une salle plus propre aux discussions. La salle de St-Pierre servira toujours pour les sessions solennelles. La discussion des décrets est commencée et nous avons eu déjà hier beaucoup à écrire. Nous sommes heureux d'assister à tout cela et tout le monde envie notre sort. Le concile fait espérer des résultats immenses et les petites difficultés que grossissent les journaux n'auront aucune influence sérieuse.

Nous avons, comme les journaux l'annoncent peut-être, un temps très doux depuis un mois, mais des pluies presque continuelles.

Je prends pour ma santé toutes les précautions nécessaires et je me porte parfaitement. Je compte bien mieux finir cette année que l'année dernière.

Je demanderai pour vous à Dieu des grâces abondantes au saint sacrifice le 1er janvier, comme je l'ai fait déjà pour maman à la fête de St Étienne, son patron.

Veuillez présenter mes souhaits de bonne année à mes oncles et tantes et à ceux de nos amis à qui je n'ai pas le temps d'écrire.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

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