1870

220.01

B18/11.1.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 11 janvier 70

Chers parents,

Nous avons eu pas mal de travail au Concile depuis quelques jours. Il y a eu la semaine dernière trois congrégations générales et la session1. Cette semaine nous avons un peu de repos, il n'y aura que deux congrégations.

Chacune de ces réunions est pour nous très intéressante. Nous voyons de près se préparer les décrets qui ont la promesse d'être les oracles de l'Esprit-Saint. Quelles belles journées qui commencent par l'oblation du saint sacrifice, où j'ai le pouvoir d'appeler auprès de moi Notre-Seigneur et de puiser pour les vivants et pour les morts dans les trésors de ses grâces, et qui se continuent par une assistance si intime aux enseignements les plus élevés de l'Église! Les travaux du Concile marchent très bien. Cependant, il faut bien s'attendre à ce qu'il y ait quelques évêques qui, trompés par l'une ou l'autre illusion et se croyant dans la vérité, le retardent sur quelques points. Mais la promesse de la vérité n'est que pour ceux qui sont unis au successeur de Pierre, parce que c'est à lui qu'il a été dit: «Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église.»

Un charmant incident de la séance d'hier était un beau discours (en latin) d'un évêque chaldéen, du pays des rois mages2.

Nous écrivons beaucoup aux congrégations et nous réussissons fort bien jusqu'à présent. Aux sessions publiques nous n'avons pas à écrire, mais nous avons le privilège d'y assister dans les tribunes. Quatre seulement nous représentent dans la salle près de l'autel. J'étais de ce nombre à la seconde session, le jour de l'Épiphanie. Combien j'étais heureux d'être uni de si près aux prières de Pie IX et de tout le Concile pour l'Église. Nous avons souvent l'occasion d'entendre de magnifiques sermons de nos évêques français. Il y en a tous les jours de l'octave de l'Épiphanie à St André della Valle où vous alliez souvent l'an dernier3.

Je me porte très bien et je n'ai pas même d'engelures comme j'en avais l'an dernier à pareille époque.

Embrassez pour moi Henri, Laure, et maman Dehon. Donnez quelques bonbons de ma part à Marthe pour qu'elle ne m'oublie pas, et aussi à la petite Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 On peut suivre, en NHV VII, 47-58, le déroulement de cette période, du 28 décembre au 10 janvier.

2 Mgr Ebedjesus Khayatt, évêque d'Amadija en Chaldée: «Les Orientaux, dit-il, ne connaissent pas les erreurs modernes et ils seront plus scandalisés qu'édifiés s'ils voient qu'on en est encore en Occident à discuter l'existence de Dieu et la spiritualité de l'âme» (NHV VII, 57).

3 Cf. NHV VII, 54-57.

220.02

B18/11.1.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 25 janvier 70

Chers parents,

Je n'ai pas le temps de vous écrire bien souvent. Nous avons eu depuis quelques jours des congrégations générales très fréquentes. Les questions de discipline ecclésiastique sont longues à discuter, parce que beaucoup d'évêques ont à exposer les besoins particuliers de leurs églises1.

On ne prévoit pas encore l'époque de la prochaine session publique où se promulgueront les premiers décrets.

Notre service sténographique marche bien, mais nous n'avons plus guère de temps à donner à nos études.

Quel beau spectacle que celui de ces nombreux évêques qui réunissent ici leurs efforts et le zèle qu'ils déploient d'ordinaire à la tête de leurs diocèses. Les séances offrent toujours un grand intérêt et quelquefois des scènes très touchantes. On ne peut pas entendre sans émotion les évêques qui ont souffert de dures persécutions ou qui exposent les malheurs de leurs églises.

En dehors du Concile, Mgr Mermillod, le digne successeur de St François de Sales sur le siège de Genève, nous fait tous les dimanches de magnifiques conférences à St-Louis des Français, où il exprime son ardent amour pour l'Église catholique2.

Mgr l'évêque de Beauvais nous a donné au Séminaire français une charmante allocution qui nous a tous émus, et hier nous avons eu la visite du St-Père qui est venu voir le saint et savant évêque de Nîmes, un des plus zélés évêques de France, et qui est malade chez nous.

Ne vous inquiétez pas des dires des journaux qui voient toujours les choses sous un faux jour. Il y a certainement au Concile différentes opinions sur les matières qui ne sont pas encore définies mais tous sont prêts à se soumettre au jugement définitif du Concile3.

Je n'ai pas encore reçu la visite de Mr d'Hécle. Mr Boute, dans une charmante lettre m'apprend qu'il est toujours un peu souffrant4.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

Je vous envoie une petite photographie qui, bien que peu exacte, vous donnera un peu l'idée de la salle du Concile.

1 Schémas: De Episcopis, De Synodis et de Vicariis Generalibus, De Sede Episcopali vacante. Cf. NHV VII, 58-66, du 14 janvier au 24.

2 Avec Mgr Mermillod Léon Dehon s'entretiendra, au cours du Concile, de son projet d'une œuvre d'étude (cf. NHV I, 61 rº; VI, 116). «Il me témoignait une amitié paternelle», note le P. Dehon (NHV VIII, 58). Il restera en relation avec lui et Mgr Mermillod parlera au pèlerinage de Saint-Quentin en 1880 (NHV XIII, 180-182). Le P. Dehon lui consacre un paragraphe de ses notes: NHV XIII, 183-185.

3 À ce sujet cf. NHV VII, 72-78: «Autour du Concile en janvier».

4 Cf. LC 61, du 20.01.1870.

220.03

B18/11.1.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 février 70

Chers parents,

Nous voici arrivés à l'anniversaire de votre retour en France. Les fêtes de Rome parleront moins à votre souvenir que celles de l'hiver dont vous avez été témoins. Cependant vous vous rappelez toujours avec édification la grande vie religieuse qui règne ici. Pour moi, je cueille une moisson de souvenirs pour toute ma vie. Quelle grande chose que l'épiscopat catholique! Quelle magnifique assemblée d'hommes à la fois graves et dignes dans leur démarche, doux et affables dans leur conversation, savants et riches en bonnes œuvres. Une pareille réunion est ce que l'on peut voir de plus beau sur la terre, et je m'estime heureux d'y avoir une petite part.

Les congrégations ont lieu fréquemment et la discussion marche lentement à cause du grand nombre des orateurs. On commence à craindre de ne pas pouvoir finir cette année. S'il en est ainsi, on interrompra les travaux pendant l'été1.

En dehors du Concile, je trouve le temps de travailler un peu. J'ai subi aujourd'hui l'examen de baccalauréat en droit canon. Je me mets en mesure de terminer l'an prochain toutes mes études2.

Je reçois jusqu'à présent peu de visites. Je n'ai pas eu d'autres ecclésiastiques du diocèse de Soissons que Mr Demiselle et Mr Péronne, qui sont partis tous les deux. Si Mr Dours vient les remplacer, il ne pourra pas non plus assister au Concile3.

J'ai vu quelquefois ces jours-ci Mr Dugas, banquier de Lyon, qui est venu passer quinze jours avec son fils, un de mes co-sténographes. Cet excellent chrétien nous édifie tous les jours en servant la messe à son fils dans notre chapelle.

Mon excellent ami Perreau, avec qui j'étais au Tréport, est mort saintement il y a quelques jours à Chambéry. Il avait plus fait de bonnes œuvres en peu d'années que bien d'autres dans une longue vie, et le bon Dieu l'a jugé mûr pour la récompense. Je le recommande à vos prières. Il priera pour nous au ciel, parce qu'il m'aimait beaucoup4.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Cf. NHV VII, 67-79, du 25 janvier au 3 février, discussion du schéma: «De Vita et honestate clericorum». Il y eut 38 interventions. «Ces nombreux discours dans le même sens (sur la nécessité d'une vie régulière et pieuse pour les clercs) nous disent la sollicitude de bien des évêques», note le P. Dehon (NHV VII, 79).

2 Diplôme daté du 03.02.1870: copie authentifiée aux AD B17/2B.9; Inv. 139.09.

3 Les chanoines Demiselle et Péronne. Mr Dours, frère de l'évêque, Mgr Dours, et vicaire général.

4 Cf. LC 49, 53, 55 et aussi LC 68, lettre de Madame Perreau à Léon Dehon (31.05.1870).

219.10

B18/10.10

Photocopie 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 5 février 18701

Mon cher ami,

Le Concile absorbe une grande partie de mon temps et ne m'en laisse guère pour mon travail et ma correspondance. Nous avons chaque semaine trois ou quatre longues séances d'où nous ne sortons qu'une heure ou deux après les évêques.

On a déjà discuté et préparé plusieurs projets de décrets, mais on n'avance que lentement et il est probable qu'il faudra reprendre le Concile l'hiver prochain après quelques mois d'interruption. L'œuvre du Concile sera certainement considérable et elle ne rencontrera pas les difficultés intérieures qu'imaginent ou grossissent les journalistes.

Tu ne ménages dans ta dernière lettre ni Veuillot ni les architectes de Rome. Je savais que tu n'aimais ni ceux-ci, ni celui-là. Tu les juges avec ton ardeur habituelle. Tu pourrais être un peu plus indulgent pour des hommes qui ne manquent ni de talent ni de bonne volonté. Je n'approuve pas toujours le ton de L. Veuillot, mais je sais gré à son journal de défendre, autant qu'il peut, la bonne cause. J'aimerais qu'il le fît toujours avec la courtoisie et la modération que tu admires sans doute comme moi dans les lettres de Mgr Dechamps2.

Quant aux architectes de la salle du Concile, ils l'avaient disposée avec goût et avaient admirablement tiré parti de l'emplacement qu'on leur avait assigné, sans laisser ignorer qu'il serait difficile de s'y entendre. Ils ont depuis tiré parti de ce qui existe en séparant pour les congrégations par une tenture une partie de la salle où les évêques se resserrent et s'entendent parfaitement.

Tu attends sans doute que je te dise ce que l'on pense à Rome de la question, tant agitée en France, de l'infaillibilité du Pape. Si je ne me trompe, cette infaillibilité sera prochainement définie, conformément à l'enseignement constant de l'Église. Les oppositions récentes n'auront fait que rendre nécessaire et opportune la proclamation d'un dogme qu'elles contestent3.

Continue tes vastes travaux et n'oublie pas tes amis.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 L'original autographe de cette lettre a été cédé au Saint-Siège, en hommage à Paul VI, à l'invitation de Mgr Macchi. Les AD en conservent une photocopie (assez évanescente), et une dactylographie (4 A1. 22, pp. 184-185).

2 À Louis Veuillot le P. Dehon se référera souvent dans la rédaction de ses NHV sur le Concile (41 références et de longues citations de «Rome pendant le Concile», deux volumes où Veuillot a rassemblé ses articles de l'Univers). Léon Dehon lui rendra même visite quelquefois chez lui à Rome. «J'admire Veuillot, écrira-t-il, mais je sors de chez lui un peu troublé» (NHV VII, 101; cf. aussi VII, 151; VIII, 59). Mgr Dechamps (1810-1883), archevêque de Malines depuis 1867: célèbre théologien à la fois ultramontain sur les droits du Pape et libéral pour les relations de l'Église et de la société moderne. Il avait publié en juin 1869, une brochure sur «L'infaillibilité et le Concile général, étude de science religieuse à l'usage des gens du monde», puis plusieurs lettres sur l'infaillibilité, en réponse aux «Observations» de Mgr Dupanloup et à l'ouvrage de Mgr Maret, «Du Concile œcuménique et de la paix religieuse», ainsi qu'aux quatre lettres fameuses du P. Gratry: «Mgr l'Évêque d'Orléans et Mgr l'Archevêque de Malines». Il fut l'un des rédacteurs du texte «Dei Filius» promulgué le 24 avril 1870. Maurice Blondel invoquera souvent l'apologétique du cardinal Dechamps à propos de sa philosophie de l'Action et de sa méthode apologétique (cf. DTC IV, 178-181).

3 À cette polémique en France, Léon Dehon a déjà fait allusion en LD 135 (cf. note 2 ci-dessus). Cf. aussi en NHV VII, 72-78; 97-101; 119-121…, les notes «Autour du Concile».

220.04

B18/11.1.4

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 14 février 70

Chers parents,

Le temps passe bien rapidement et nous voici presque à la moitié de l'année scolaire. Ma santé se conserve bien jusqu'à présent et je ne me fatigue pas trop. Voici comment j'ai pu passer mon premier examen de droit canonique1. Comme j'avais fait un peu de droit canon en même temps que ma théologie pendant les années passées, et comme j'ai longtemps étudié le droit civil qui s'en rapproche un peu, j'ai obtenu d'être dispensé de la première année de droit canon à la condition de subir l'examen de baccalauréat, qui d'ordinaire se passe à la fin de la première année. De cette façon j'ai pu me faire inscrire en seconde année de droit canon en même temps qu'en 4ème année de théologie. Je suis très peu les cours des deux côtés à cause du Concile, cependant cette année me comptera dans les deux facultés. J'ai subi facilement l'examen de baccalauréat et peut-être à la fin de l'année pourrai-je subir la licence en droit canon, qui n'est pas difficile. Je laisse pour l'an prochain les deux doctorats, qui sont beaucoup plus sérieux et que je serai obligé de retarder, si le Concile dure deux ans.

Le Concile marche, bien que lentement. Les journaux se passionnent pour la question de l'infaillibilité qu'ils comprennent fort peu. Il s'agit seulement des bulles dogmatiques des Papes et du pouvoir qu'a donné Notre Seigneur à St Pierre et à ses successeurs de juger en dernier ressort les questions de foi, avec l'assistance divine. L'Église n'en a jamais douté et elle a toujours reçu comme une sentence irréformable les bulles des Papes qui condamnaient les hérésies. Malgré quelques évêques qui croient, comme Mgr Dupanloup, qu'il n'est pas opportun de définir cette vérité, je suis persuadé qu'elle sera prochainement définie et quand elle sera expliquée et que ces évêques se seront rangés au jugement de la majorité, nous verrons heureusement cesser le trouble que suscite à ce propos toute la presse française fort ignorante en théologie2.

Le Saint-Père est venu, comme vous l'avez appris, au Séminaire français. Sa visite était pour l'évêque de Nîmes qui était gravement malade et qui va un peu mieux. Il a donné sa bénédiction et a permis d'embrasser son anneau aux élèves qui étaient là. J'étais en promenade. Je l'ai bien regretté. Mais je ne puis m'expliquer comment on l'a su à La Capelle. Je ne l'ai dit ni écrit à personne de notre pays3.

Quant à l'histoire d'un faux évêque, je crois que c'est un canard des journaux.

J'ai appris encore bien des traits édifiants de l'abbé Perreau depuis sa mort. Sa bonne mère, qui est très pieuse, a écrit au P. Supérieur une lettre fort résignée. Elle croit que le bon Dieu a accepté le sacrifice de la vie de son fils pour le salut de son mari. L'abbé Perreau avait souvent offert sa vie, dit-elle, pour la conversion de son père, et son père, qui pendant longtemps n'avait pas pratiqué sa religion, était revenu à la pratique des sacrements peu de temps avant de mourir il y a un peu plus d'un an4.

L'abbé Perreau était vraiment un saint tout consumé de l'amour de Dieu et de l'amour des âmes et j'espère qu'il nous obtiendra bien des grâces.

J'offrirai le saint sacrifice demain pour madame Froment. Le jour de Ste Agnès, je l'ai offert pour nos parents de Vervins, comme ils me l'avaient demandé l'année dernière5.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les petites fillettes.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Cf. LD 139.

2 Cf. LD 140 (note 2 et les références indiquées).

3 Il en a cependant parlé à ses parents en LD 138.

4 Cf. LD 88 (4 janvier 1868).

5 L'oncle Félix Penant, époux de la tante Juliette (Vandelet).

218.75

B18/9.2.75

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 28 février 691

Chers parents,

Nous avons quelques jours de repos et de vacances et j'en profite. J'arrive de faire une charmante excursion de quatre jours avec quelques confrères. Nous sommes allés, partie en voiture et partie à pied, à Subiaco, à vingt lieues de Rome, par Tivoli et la magnifique vallée de l'Anio. Subiaco m'était déjà connu et j'y suis retourné avec bonheur2. C'est là, dans un site ravissant, dans une gorge austère des montagnes de la Sabine, que St Benoît, après avoir vécu quelques années en ermite, fonda cet ordre merveilleux qui civilisa l'Occident, conserva les lettres, défricha les terres et prépara tant de saints pour le ciel. J'ai été heureux de célébrer la messe là où vécut le patriarche des moines d'Occident. Il y a encore deux monastères très florissants, admirables de régularité, de piété et de charité. Nous y trouvâmes la plus aimable hospitalité. L'art aussi y loue Dieu à sa manière et de très belles peintures de l'école pieuse et mystique du XIIIème siècle et des imitateurs modernes ornent les grottes qu'habita St Benoît et qui sont devenues des sanctuaires vénérés. Mes compagnons étaient les trois autres sténographes français et deux autres excellents confrères du Séminaire. L'interruption momentanée des congrégations du Concile nous a permis cette petite absence3.

D'après le nouveau règlement, la première discussion des décrets se fait par écrit et on espère abréger ainsi la durée des travaux. La discussion définitive des projets de décrets va reprendre dans quelques jours. Le St-Père espère encore finir à la St-Pierre. Si on nous donne vacance au mois de juin, je partirai de suite pour me reposer avec vous et je renverrai les examens à l'année prochaine4.

Je viens de faire une première visite à l'exposition d'art religieux. Elle est très intéressante. Lyon a envoyé des choses merveilleuses en orfèvrerie et ornements d'église5.

Nous avons eu tout ce mois une température très douce et la végétation est très avancée.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et la petite sœur.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

J'ai prêté à Méret le 1er volume de Marcadé (droit civil) et un volume de Renan qui appartient à Palustre.

1 Léon Dehon a daté cette lettre du 28 février 69 (d'où son classement aux AD parmi les lettres de 1869). L'erreur est évidente puisqu'il y est question d'une interruption momentanée du Concile, lequel n'a commencé qu'en décembre 1869.

2 Il y était en effet déjà allé aux vacances de Pâques 1868 (cf. NHV VI, 47-52). Outre deux autres séminaristes, ses compagnons étaient les trois autres sténographes français: Henri Bougouin, Gustave de Dartein et Joseph Dugas.

3 Du 23 février au 18 mars, les séances furent suspendues pour permettre des modifications à la salle conciliaire (pour améliorer l'acoustique).

4 Du 10 au 22 février, discussion du schéma: «De parvo catechismo», qui traîne en longueur: «trop de discours…; dont la plupart se répètent. Cela se comprend, c'était un sujet facile sur lequel chacun aimait à dire son mot», notera le P. Dehon (NHV VII, 97). D'où le nouveau règlement appliqué, non sans quelques protestations (cf. NHV VII, 97-99).

5 Sur cette exposition cf. NHV VII, 101-106, avec de larges citations de L. Veuillot.

220.05

B18/11.1.5

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 13 mars 70

Chers parents,

Il y a longtemps que je n'ai eu de vos nouvelles. J'attends une lettre bientôt. Comme vous le savez par les journaux, les réunions du Concile n'ont pas encore recommencé. On suppose qu'elles reprendront dans cinq ou six jours. En attendant les évêques travaillent et font des rapports écrits sur les questions qui leur sont proposées1.

Je profite de ce long intervalle pour me reposer et pour me mettre un peu au courant de mes études. Je suis heureux de jouir un peu du calme et de la solitude pendant qu'on s'agite ailleurs si violemment pour entraver l'œuvre de Dieu. Quelques-uns de nos grands esprits français, comme le P. Gratry et Mr de Montalembert, menacent de suivre la défection du P. Hyacinthe et de Lamennais. Ils n'ont pas assez d'humilité pour croire qu'ils ont pu se faire illusion, ni assez de foi pour s'en rapporter à l'assistance de Dieu promise au Concile. Ils se préparent un retour bien difficile2.

Nous avons eu ce matin une cérémonie bien touchante. C'était la première messe d'un jeune prêtre. Je me suis rappelé avec bonheur les instants de la mienne et j'en ai encore rendu grâces à Dieu. Ce souvenir me renouvelle toujours dans la ferveur. Rappelez-vous aussi ces bons moments que vous avez passés ici, pour ranimer votre foi.

Ma santé se maintient très bien. Le P. Supérieur m'a prudemment dispensé des prescriptions du carême pour cette année. Je me suis très bien trouvé de la charmante excursion que j'ai faite à Subiaco. Nous avons eu du reste un hiver très doux. Dès le commencement de février les arbres fruitiers étaient en fleurs et nous avons maintenant un véritable été de France. J'ai reçu hier des nouvelles de Siméon. Il est toujours tout entier aux affaires.

Dites-moi si le chemin de fer de Vervins vous est commode et ce qu'est devenue l'affaire de Mlle de La Chaussée.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Monsieur Désaire, que je vois souvent, vous offre ses respects.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 La reprise aura lieu le 18 mars (30ème congrégation générale) par la discussion du schéma refondu «De Fide», qui devenait la constitution «Dei Filius», votée à l'unanimité et promulguée à la 3ème session publique le 24 avril (cf. NHV VII, 106-132).

2 La campagne anti-infaillibiliste avait pour animateur Mgr Dupanloup qui publie au début de mars une lettre ouverte à Mgr Dechamps, inspire, dans le «Moniteur universel», un article sur «La situation des choses à Rome» (14 février), puis provoque l'intervention du P. Gratry dans ses lettres publiques à Mgr Dechamps, aussitôt contrées par don Guéranger (Défense de l'Église romaine). Montalembert entre, lui aussi, en lice par une lettre publiée dans la Gazette de France (7 mars). Cf. NHV VII, 121. Montalembert mourut précisément le 13 mars 1870…; et ce fut l'incident du service funèbre à Rome, narré par le P. Dehon. Sur le P. Hyacinthe cf. LD 93 (note 3). Il venait de rompre avec l'Église.

220.06

B18/11.1.6

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 25 mars 70

Chers parents,

C'est aujourd'hui une bien belle fête à Rome. C'est l'Annonciation. Le temps est superbe et le St-Père vient de venir à l'église de la Minerve plus solennellement encore que vous ne l'avez vu à St-Charles au Corso. Nous l'avons acclamé à son passage devant Ste-Claire. Il avait avec lui, dans son magnifique carrosse doré, le cardinal de Bordeaux et un cardinal d'Espagne. Les maisons sont pavoisées et de toutes les fenêtres on a jeté des fleurs sur la voiture du St-Père. Les étrangers sont très nombreux et l'animation très grande1.

Le Concile a repris ses séances avec activité. Nous allons en avoir presque tous les jours. Les travaux marcheront très bien avec la nouvelle organisation. On tiendra une session publique vers Pâques. On espère encore finir cette année2.

Je n'aurai plus le temps de faire autre chose que de suivre les réunions du Concile. Je ne le regrette pas. Je suis heureux d'assister de près au plus grand événement de notre siècle.

J'ai reçu la visite Mr Noël qui a épousé Mlle Parmentier de Vervins. Ils sont ici en voyage de noces. Ils ont été passer quelques jours à Naples. Ils voient un peu Rome en touristes et semblent ne pas beaucoup y prendre goût.

J'ai vu aussi Mr Allègre, secrétaire de Mgr l'évêque d'Arras, dont vous avait parlé Mr Gordien.

J'ai trouvé dernièrement à assez bon compte deux vases en albâtre, comme vous en cherchiez à l'exposition en 1867. Je les ai achetés et vous les ai expédiés par petite vitesse. Vous aurez à payer le port de Marseille à La Capelle. J'espère qu'ils vous arriveront en bon état. Ils sont en plusieurs pièces qui s'emboîtent les unes dans les autres. Il y aura aussi un petit objet pour Marthe.

J'ai obtenu par le comité des zouaves la franchise du port jusqu'à Marseille.

Ma santé se fortifie plutôt que de s'affaiblir. Du reste, voilà déjà les deux tiers de l'année scolaire derrière nous.

Embrassez pour moi maman Dehon, Henri, Laure, Marthe et Amélie.

Je me souviens souvent de nos amis dans mes prières.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Sur cette fête cf. NHV VII, 122-123.

2 En effet, sauf pour l'Annonciation et les dimanches, du 22 mars au 12 avril, il y eut séance presque tous les jours (cf. NHV VII, 107-129).

220.07

B18/11.1.7

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 8 avril 70

Cher père,

C'est à toi que j'adresse cette lettre parce qu'elle arrivera à La Capelle vers la fête de St Jules. Je te recommande tous les jours à la protection de ce saint pontife, et j'espère qu'il t'obtiendra la grâce de vivre et de mourir bien chrétiennement. Je compte bien que tu ne te laisseras pas mettre en retard cette année pour la communion pascale. Quand on a le jugement droit que tu as, on ne peut pas se laisser arrêter par les petits obstacles de la gêne et du respect humain. Tu sais bien que négliger les devoirs essentiels du chrétien, c'est renoncer à son droit d'héritier du ciel. C'est une folie. C'est ne pas aimer Dieu, ne pas aimer les siens, ne pas s'aimer soi-même. Tu ne nous donneras certainement pas ce chagrin cette année.

Nous avons eu ici beaucoup de besogne depuis quinze jours, et c'est ce qui fait que je suis un peu en retard à vous écrire. Le Concile a tenu séance presque tous les jours. Les travaux ont avancé et cependant la session publique que l'on espérait tenir pendant la semaine sainte, n'aura lieu probablement que le dimanche de Quasimodo1.

Nous aurons peu à faire dans les 15 jours qui vont venir. J'en profiterai pour me reposer. Je me porte du reste très bien et je suis beaucoup moins fatigué que l'an dernier à pareille époque. Je me promène quelquefois avec Mgr Dours, qui est seul depuis le départ de Mr Guyart2.

Notre service sténographique marche bien. Le St-Père en est content. On nous donne à mesure toutes les pièces imprimées que l'on distribue aux évêques. Cela nous aidera à bien connaître les travaux du Concile.

Il est toujours à peu près certain que l'on suspendra le Concile à la St-Pierre, mais on ne sait pas encore si on le continuera l'année prochaine…

Les fêtes de Pâques promettent d'être très belles. La ville se remplit d'étrangers.

Embrasse pour moi ma chère mère, puis Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Je t'embrasse de tout cœur.

Ton dévoué fils

L. Dehon, pr.

La caisse que je vous ai envoyée est restée ici dix jours au bureau avant de partir. Ne vous étonnez pas si elle a du retard.

1 Cf. LD 144 (note 2). Dans les quinze jours suivants, deux congrégations seulement, les 12 et 19 avril (cf. NHV VII, 129-132).

2 Mr Guyart, vicaire général de Soissons.

220.08

B18/11.1.8

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À son père

14 avril - Rome, Jeudi-Saint 1870

Cher père,

Je t'écris encore, parce que je crains plus que la foudre que tu ne restes en état de péché et que tu ne te mettes pas en règle avec Dieu. Je frémis à cette pensée. C'est la seule chose nécessaire. Tu sais bien que je suis prêt à donner tout ce que j'ai, ma santé et ma vie pour assurer ton salut.

Il n'y a pas de choix autre que celui-ci: bénir Dieu avec nous toute l'éternité ou bien être maudit de Dieu et de nous toute l'éternité. Je n'aurai pas de repos que tu ne m'aies annoncé que tu veux être avec nous.

Ah! si tu ne déchirais que le cœur de ton fils et si tu ne faisais couler que ses larmes en refusant cela, je te pardonnerais. Mais il y a plus que les tiens, il y a ton Dieu qui s'est fait homme pour toi et qui a versé des larmes de sang à la pensée que tu l'oublierais. Il se délectait dans la douleur pour effacer nos fautes.

Et ses commandements sont si doux! Il nous oblige à nous asseoir à son banquet et à recevoir ses grâces. Quel honneur et quel bonheur c'est pour nous! Et tu l'as bien éprouvé, car je t'ai vu comme transfiguré quand tu as bien reçu ici la sainte communion.

Pourrais-tu résister à tant de grâces que Dieu t'accorde? Le st sacrifice est offert souvent pour toi, et autant de fois Notre-Seigneur présente à son Père ses blessures en expiation de tes fautes. Ne crains-tu pas d'être abandonné de Dieu et de ne pas faire une bonne mort? Et puis ne sais-tu pas que chaque bonne action est un placement fait à Dieu, qui nous rapportera le centuple?

Allons, écris-moi bien vite que c'est fait. Je t'en prie, je t'en supplie. Il le faut.

Je puis à peine te parler d'autre chose tant cette pensée me domine. Je te dirai seulement que j'ai eu le bonheur d'offrir le st sacrifice aujourd'hui, fête de l'institution de la Ste Eucharistie et du sacerdoce. Tu sais que le Jeudi-Saint, il n'y a en général qu'une messe dans chaque église et les autres prêtres reçoivent seulement la sainte communion, en mémoire de la Ste Cène. Mais le St-Père a permis aux sténographes, en récompense de leurs travaux, de dire la sainte messe aujourd'hui. Tu penses bien combien j'ai prié pour toi et pour vous tous.

Embrasse pour moi ma chère mère, puis Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je t'embrasse de tout cœur.

Ton fils dévoué

L. Dehon

Donne l'exemple à Henri. Il le suivra certainement.

220.09

B18/11.1.9

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À son pères

Rome 28 avril 70

Cher père,

Tu es bien long à m'annoncer ton bonheur. J'attends tous les jours le courrier avec anxiété et la bonne nouvelle n'arrive pas. Si tu savais combien je souffre de ce retard, tu aurais peut-être pitié de toi-même et de moi. Je ne sais plus quoi te dire pour te déterminer. J'avais jusqu'à présent une confiance entière. Il ne me semblait pas que tu puisses résister. Tout a été mis en œuvre pour te ramener à Dieu. Le ciel tout entier est appelé à ton secours cent fois par jour. Tu es recommandé aux prières de toute l'Église par la propagation de la foi, par les confrères de Notre-Dame des Victoires et de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Notre-Seigneur Jésus-Christ s'offre à son Père pour toi sur l'autel tous les jours avec tous les mérites de sa passion, de son amour et de sa mort. Dieu t'invite à partager son héritage et à vivre éternellement avec lui, et tu veux rester dans la mort. Je ne doutais pas que tu ne cédasses à de si pressantes et amoureuses invitations, quand une affreuse pensée vient de me venir à l'esprit. C'est que peut-être tu manquerais de courage. Ah! cette pensée me fait horreur. Je ne la développe pas. Non, j'espérerai jusqu'à la fin.

Cher père, n'attends donc pas un avenir dont tu n'es pas certain. Vis avec nous dans la grâce de Dieu et l'attente du ciel et la sainte joie de l'espérance. Va à ton Sauveur. Qu'au moins une ou deux fois par an, tu sois assis avec nous à la table du Roi des rois, pour qu'après les courts instants de cette vie, nous soyons ensemble pour l'éternité. Prends courage. Lave toutes tes négligences dans le sang de l'expiation infinie du Fils de Dieu. Regarde cette image que je t'envoie et laisse-toi toucher par tant d'amour. Voudrais-tu continuer à approuver les meurtriers du Fils de Dieu en continuant à rester dans le péché?

Écris-moi vite. Pas de promesses, pas de vains regrets ou de vaines espérances. Des faits. J'ai promis à Dieu bien des actions de grâces. Veux-tu encore l'en priver? Oh! si tu voyais un peu les choses surnaturelles. Tu serais effrayé de l'abîme auquel tu marches et des foudres que tu accumules sur ta tête.

Je t'embrasse et te supplie d'avoir pitié de ton âme, pitié des tiens, pitié du Fils de Dieu qui frappe à la porte de ton cœur et à qui tu ne veux pas ouvrir.

Embrasse ma chère et bonne mère et tous les nôtres.

Ton dévoué fils en J. et M.

L. Dehon, pr.

220.10

B18/11.1.10

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À son père

Rome 2 mai 70

Bien cher père,

Quelle bonne nouvelle m'a apporté le 1er jour du mois de Marie! Comme tu dois être heureux maintenant d'avoir vaincu un long respect humain! Quelle joie pour nous de vivre maintenant tous de la même vie franchement chrétienne, vie pleine d'espérance et qui sera suivie d'un bonheur éternel. Ne te laisse plus jamais séparer de la grâce de Dieu. Reste l'ami et le cohéritier de tous les habitants du ciel. Tu as dépassé en courage la plupart des habitants de La Capelle. Cet acte de généreuse énergie était bien digne de toi. Je retournerai en vacances bien plus heureux que l'an passé, parce que j'irai vivre avec des amis de Dieu et non pas avec de complaisants serviteurs de Satan.

Tu ne me dis rien d'Henri. N'aurait-il pas eu le courage de t'accompagner? Est-ce qu'il a oublié ce qu'il te disait il y a quelques années? Il te suppliait comme moi de faire ton devoir et il ajoutait: «Si tu ne le fais pas, c'est autoriser tes enfants à ne pas le faire.» Je me le rappelle très bien. Il a dit cela. Il ne manquait ni de foi, ni de courage alors. Est-ce qu'il ne devrait pas maintenant s'adresser à lui-même ces prières et ces bons arguments qu'il te faisait alors? Il savait très bien alors qu'il ne faut pas vendre le ciel pour un moment de paresse ou de gloriole. Il redoutait les jugements de Dieu. Est-ce qu'il n'aurait plus ni lumière dans son intelligence, ni chaleur dans son cœur? Qu'il se regarde devant Dieu et s'il n'a pas fait son devoir, il verra que son âme est le jouet du démon et qu'elle est pour tout le ciel un sujet de compassion, en attendant qu'elle soit un objet d'horreur, s'il ne revient pas à son Dieu.

Mais il n'est pas possible qu'il veuille vivre dans ce déplorable état. Qu'il me rassure vite et me dise que notre joie est complète et que notre famille est bénie et aimée de Dieu.

Le Concile fait son œuvre avec lenteur et maturité. Les journaux vous racontent et exagèrent les divergences d'opinions de quelques évêques. Mais cela n'est rien. Tous veulent le bien et si à la fin quelques-uns défaillaient, ce qui, j'espère, n'arrivera pas, l'Église marcherait sans eux. Elle a la promesse de l'assistance de l'Esprit-Saint pour ses décisions; mais ses pasteurs, pris individuellement, ne sont pas à l'abri des erreurs et des passions. Il peut arriver que quelques-uns, de bonne ou mauvaise foi, résistent à l'Église et s'en séparent. Il y avait bien un traître parmi les apôtres. Ceux-là se perdent et l'Église est toujours vivante et grandissante.

Embrasse pour moi ma chère mère, Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Ton dévoué fils

L. Dehon, pr.

La «Correspondance de Rome» vous intéresse-t-elle? Faut-il renouveler votre abonnement au 1er juin?

220.11

B18/11.1.11

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 30 mai 70

Chers parents,

J'ai trouvé votre lettre hier soir au retour d'une petite excursion que j'ai faite à la campagne, et je rends grâce à Dieu de toutes les bonnes nouvelles qu'elle m'apporte. Je demandais depuis longtemps cette grâce pour mon oncle Longuet, et j'espère que nous l'obtiendrons bientôt pour mon oncle Alfred1.

J'ai donc été passer quelques jours à Albano, respirer l'air des bois et le vent de la mer et prendre des forces pour le mois de juin. Il y avait trois jours de fêtes: jeudi, l'Ascension; vendredi, St Philippe de Néri, et le dimanche… J'ai demandé dispense de la congrégation du samedi et je me suis fait ainsi une petite vacance de quatre jours. J'ai emmené avec moi un élève du Séminaire et notre excursion a parfaitement réussi. Elle m'a été aussi utile qu'agréable. J'ai trouvé à mon retour le temps rafraîchi par un orage. Je ne sais pas encore quand nous aurons vacances. J'espère y arriver en très bonne santé. Je vous envoie un nouveau spécimen de ma bonne mine avec le portrait des sténographes français du Concile.

Je m'informerai bientôt des prix du bracelet et du médaillon en question. Je crains que la commission du bracelet ne soit bien difficile, parce que je ne me rappelle pas au juste la couleur et le genre de la parure de Berthe.

Vous pourrez m'envoyer 300 fr par une lettre chargée. Si cela n'est pas suffisant, dans le cas par exemple où je passerais par Tours, je vous l'écrirai à temps pour que vous puissiez m'envoyer encore quelque chose avant mon départ.

Il est probable que la question des vacances du Concile ne sera réglée que vers la St-Pierre. Je ne puis donc pas encore faire de projets. La discussion pendante a traîné au commencement, mais elle marche plus rondement depuis quelques jours. On espère arriver à une solution vers la St-Pierre ou peu après. Défiez-vous des appréciations des journaux, surtout de la France qui favorise, je crois, l'opposition peu sage de quelques évêques2.

Embrassez pour moi Henri, et félicitez-le d'avoir réparé son retard3.

Embrassez aussi pour moi Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 L'oncle Longuet, époux de Juliette-Mathilde (Vandelet); l'oncle Alfred Dehon (de Dorengt). La grâce dont il s'agit n'est pas précisée; peut-être, pour eux aussi, un retour à la pratique religieuse…

2 Depuis le 13 mai (50ème congrégation générale), discussion du schéma sur l'Église, évidemment centrée sur la question de l'infaillibilité pontificale (cf. NHV VII, 173-188).

3 Le retard dans l'accomplissement du devoir pascal (cf. LD 148).

220.12

B18/11.1.12

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 12 juin 70

Chers parents,

Nous avons eu toute cette semaine un spectacle bien touchant à Rome. À l'occasion de l'octave de la Pentecôte, il y avait tous les soirs dans une des principales églises de Rome des prières publiques pour le Concile. Les romains s'y sont rendus en foule avec leur grand esprit de foi. Les ordres religieux et les confréries et associations pieuses de chaque paroisse avec leurs costumes variés y allaient en chantant les litanies. Quel beau spectacle qu'une société franchement chrétienne, priant Dieu avec ferveur pour les besoins de l'Église! Lundi dernier, c'était à St-Pierre. Le St-Père s'y est rendu avec tout l'épiscopat et le Sacré-Collège. La basilique était presque remplie comme aux plus grandes fêtes, et la place St-Pierre était dans tout son beau, ornée des processions de religieux et de confrères qui allaient et venaient en chantant. Ces prières obtiendront au Concile des grâces abondantes.

On espère avoir une session à la St-Pierre ou peu après. Je tâcherai de partir au lendemain de cette session. Mais je ne sais pas encore combien dureront mes vacances. Du reste, ma santé est excellente. L'été est très bénin cette année. Il pleut depuis huit jours et il fait aussi frais qu'au printemps.

La commission du bracelet n'est pas très commode à faire. Je n'en ai trouvé que deux qui pourraient aller. On m'a demandé de l'un 100 fr et de l'autre 45 fr. Quant au médaillon, on peut en avoir en mosaïque byzantine pour une trentaine de francs. Répondez-moi bientôt au sujet de ces commissions.

J'ai reçu des nouvelles de Mr Boute. Il dit qu'il vieillit vite, il espère cependant aller à La Capelle aux vacances1. Palustre m'a écrit qu'il partait avec sa femme pour me recevoir. Si je pars avant cette époque-là, j'irai directement à La Capelle. Dans ce cas, je passerai peut-être par Tours en revenant à Rome. Henri a-t-il reçu les petits camées que je lui ai envoyés? Siméon est toujours paresseux à écrire.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes petites nièces.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

1 Cf. LC 65 (du 5 avril 1870).

220.13

B18/11.1.13

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 24 juin 70

Chers parents,

Je ne puis encore vous annoncer mon retour. La session du Concile n'est pas encore fixée. On espère pouvoir la tenir dans quinze jours.

Je demanderai à partir aussitôt après. Tous nos évêques sont fatigués, c'est leur intérêt de ne pas nous retenir ici trop longtemps. Ma santé est toujours très bonne. Comme les congrégations du Concile sont très fréquentes, je ne fais plus d'autre travail. Rien n'est encore décidé pour les vacances et la reprise des travaux du Concile.

Nous avons eu une bien belle fête il y a quelques jours. C'était la procession du St-Sacrement sur la place St-Pierre. Le St-Père, précédé de 500 évêques, était porté sur sa sedia et priait avec une ferveur admirable le St-Sacrement qu'il tenait en main.

Je ne sais si je vous ai dit dans ma dernière lettre que nous avions eu à Ste-Claire une cérémonie très touchante. Un cardinal a donné le baptême, la confirmation et la 1ère communion à 6 juifs adultes qui viennent de se convertir au catholicisme. Cinq sont de Bologne et un de Rome. Beaucoup d'évêques y assistaient. Les parrains et les marraines étaient des plus grandes familles de Rome. Cette cérémonie s'est faite chez nous parce que l'éducation de ces juifs a été achevée cet hiver par deux prêtres français qui habitaient à Ste-Claire et qui sont eux-mêmes des juifs convertis, les abbés Lemann de Lyon.

Le jour de la fête de St Louis de Gonzague, Pie IX est entré dans sa 25ème année de pontificat. Sa santé n'est pas altérée par les difficultés du Concile et les embarras de la politique. On touche heureusement à la fin des petites divisions qu'il y avait au Concile, et j'espère que les décrets de la prochaine session réuniront à peu près l'unanimité1.

J'attends de nouveaux renseignements pour la commission du bracelet et du médaillon. Je ferai facilement les autres.

À bientôt, embrasse pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils en N.S.

L. Dehon, pr.

1 La minorité finit par décider de ne pas voter publiquement «non placet», contre le texte. Un certain nombre de Pères (83) préférèrent quitter Rome avant la session du 18 juillet. Sauf deux Pères, qui ne savaient pas la décision prise la veille, les 535 Pères présents approuvèrent à l'unanimité la constitution «Pastor æternus» (cf. NHV VII, 42-45, la relation du P. Dehon à ce sujet).

220.14

B18/11.1.14

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 juillet 70

Chers parents,

J'ai à vous conter aujourd'hui, pour vous faire prendre patience à m'attendre, un trait charmant de la bonté de Pie IX. Il nous avait déjà fait savoir plusieurs fois qu'il était satisfait du service des sténographes du Concile. Mais il voulait avant les vacances nous le dire lui-même. Il nous donna donc rendez-vous au Vatican avant-hier soir à 6 h dans sa charmante bibliothèque privée. Il nous reçut là exactement avec le secrétaire et le sous-secrétaire du Concile. Il avait fait préparer une petite fête de famille. Il voulait prendre sa récréation avec nous. Quand nous eûmes embrassé sa main, il nous dit: «Vous avez beaucoup de travail ces jours-ci, j'ai voulu vous procurer une heure de récréation.» Il s'informa de quelle nation nous étions, puis nous fit voir quelques dons qui lui avaient été offerts et qui ornent sa bibliothèque. Après un moment, il fit apporter des rafraîchissements et en prit lui-même. On nous servit des sorbets, des glaces, des gâteaux et des bonbons. Il avait fait venir, outre les sténographes, deux petits séminaristes qui sont ses petits neveux. Il nous dit alors qu'il voulait nous faire tirer une petite loterie. Les lots étaient disposés sur une table et étaient numérotés. C'étaient des bréviaires, des missels et quelques autres volumes. Il y en avait pour tout le monde. Il donna à ses neveux deux jolies bourses qui contenaient des billets, en leur disant qu'elles seraient pour eux quand elles seraient vides. Nous prîmes chacun un billet gagnant et le St-Père nous donnait lui-même l'objet qui nous revenait, en égayant la réunion par les traits d'esprit qui lui sont habituels. J'ai eu en partage un beau bréviaire en 4 volumes.

Après cela, le St-Père nous fit voir de nouveau quelques jolis objets qui ornent sa bibliothèque et qu'il a reçus en cadeaux des missionnaires. Puis il nous congédia. Nous avions passé plus de trois quarts d'heure avec lui. Il nous a bénis, nous et nos familles. Nous sommes revenus ravis de cette petite soirée, une des plus belles de notre vie.

Je n'ai pas besoin de vous dire que j'attends impatiemment les vacances du Concile. On dit ici que les travaux ne seront pas entièrement suspendus, de toute façon, je compte partir le lendemain de la session, qui semble devoir se tenir vers le 15. Quand il y aura quelque chose de fixé, je vous l'annoncerai.

J'ai reçu les 200 fr et j'ai acheté déjà le bracelet et le médaillon, mais pas le crucifix.

Les chaleurs sont supportables jusqu'à présent et je me porte bien.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon, pr.

219.11

B18/10.11

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Castel Gandolfo 8 juillet 1870

Mon cher ami,

J'ai attendu longtemps pour t'écrire, incertain sur l'époque et la durée de mes vacances. Je les attends avec impatience. J'en ai grand besoin pour ma santé. J'espère, du reste, qu'elles commenceront bientôt, dans une quinzaine de jours environ. Rien n'est encore fixé, mais voici les probabilités. Un grand nombre d'évêques s'en iront pour trois mois après la prochaine session. Le Concile ne sera pas suspendu. Les évêques qui resteront à Rome prépareront quelques décrets. Pour nous, la moitié du corps sténographique va s'en aller en vacances, et si on a besoin d'eux, on les rappellera pour remplacer les autres, qui iront à leur tour en vacances en septembre. Je suis donc exposé, à mon grand regret, à n'avoir que six semaines de repos. Dans cette perspective, j'incline fort à m'en aller directement dans ma famille, sauf à passer par la Touraine à mon retour, si on ne raccourcit pas mes vacances1.

Tu ne m'en voudras pas de prendre si tard une résolution. Je ne pouvais pas la prendre plus tôt. On espérait encore, il y a quinze jours, tenir la session à la St-Pierre. Je comptais bien alors me rendre à Tours pour le 15. J'en avais déjà averti mes parents, qui me chargent de t'inviter de nouveau à revoir La Capelle et à y conduire ta femme comme tu le leur as fait espérer. Le voyage est devenu plus facile par le chemin de fer de Vervins à Laon.

Tu vois à la date de ma lettre que j'ai fui le soleil de Rome. Je suis venu passer quelques jours d'intervalle entre deux congrégations du Concile chez les franciscains de Castel dans le site délicieux que tu connais, en vue de la mer et du lac d'Albano. Ce séjour est moins fatigant que celui de Rome.

Nous touchons à la fin de la première période du Concile. Elle a été assez agitée et elle va finir par une définition probablement unanime de l'infaillibilité du Pape. Cette soumission des évêques opposants réparera largement le scandale qui avait pu naître de leur résistance un peu obstinée. On continuera l'année prochaine, mais on ne finira probablement pas.

Je compte bien que nous trouverons quelque moyen de nous voir pendant ces vacances. Nous causerons alors plus longuement. Si dans quelques jours je voyais la possibilité d'aller à Tours, je t'en préviendrais.

Je t'embrasse de tout cœur.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Comme on sait, la guerre franco-prussienne déclarée le 19 juillet devait bouleverser tous les programmes et projets. Le Concile fut suspendu sine die, les Italiens entraient à Rome le 20 septembre et Léon Dehon fut retenu à La Capelle jusqu'en mars 1871.

443.01

B21/7.B

Photocopie Ms 4 p. (21 x 13)

L'original de cette lettre se trouve aux archives des PP. Assomptionnistes sous le N. 275.

Au P. d'Alzon

La Capelle (Aisne) 26 juillet 70

Mon révérend Père,

Je vous ai fait défaut à Nîmes et je n'ai pas besoin de m'en excuser parce que je suis sûr que vous avez pris de vous-même ma défense auprès de l'ardent abbé Desaire, pour lui faire accepter les motifs que je lui ai donnés dans ma lettre. Je réparerai cela au mois d'octobre et j'irai vous renouveler à Nîmes mes promesses de filiale affection et vous exprimer de nouveau l'espoir et l'intention que j'ai de prendre une part, quelque petite qu'elle soit, aux fructueux travaux que vous méditez1.

Mon retour de Rome ne manqua pas d'intérêt. Nous avions dans le train une trentaine d'évêques. J'eus le bonheur de me joindre à Mgr Pie, avec l'abbé Dugas. Au moment du départ, Mgr de Mérode vint causer un instant avec Mgr Pie, avoua qu'il avait fait une bêtise et promit d'aller bientôt donner une franche adhésion au St-Père. Mgr Pie avait vu le St-Père le matin, et avait appris qu'il n'y avait encore qu'une soumission bien formelle, celle de l'évêque de Mayence. Les autres ont envoyé au Pape un acte collectif fort peu satisfaisant2.

Les gallicans avaient à leur retour un air battu et embarrassé. Ils étaient polis pour Mgr Pie et se disaient surtout mécontents des trois ou quatre convertis qui avaient manqué à leurs promesses. Mgr Strossmayer donna à Boulogne [sic, pour Bologne] une gracieuse poignée de mains à l'évêque de Poitiers, Mgr Gaduel était dans le train, stoïquement satisfait. «Je ne serais pas fier, disait-il, si j'avais prêté les mains à un pareil acte.»3

J'ai quitté à Ambérieux l'honorable société avec laquelle je me trouvais et je gagnai Paris par Mâcon.

Paris est au fond toujours le même sous l'agitation superficielle qui y règne. Le peuple de boutique, de café, de restaurant, de boulevard, de théâtre y domine. Peu de surnaturel, peu même de philosophie. Le clergé des paroisses y conserve tenacement sa liturgie parisienne. Les coupables en tout cela sont les chefs, l'archevêché d'un côté, de l'autre le gouvernement qui a favorisé le goût du peuple pour tout ce que l'Esprit-Saint appelle vanité. - J'ai trouvé dans ce désert une petite oasis, quelques hommes aimables et pieux vivant dans de modestes cellules, vrais fils de St Pierre et les vôtres. J'ai causé un peu avec le P. Vincent de Paul, et j'ai revu le P. Pernet4. Je ne leur ai pas demandé l'hospitalité, j'étais descendu chez un parent à Montmartre. J'ai prié avec bonheur un instant dans leur chapelle.

Je termine ma lettre avec mon papier. Viendrez-vous me voir? Aurez-vous l'amabilité de m'écrire?

Permettez à votre dévoué fils de vous embrasser de tout cœur.

L. Dehon, pr.

1 26.07.1870a2 1 Léon Dehon entra en relation avec le P. d'Alzon, fondateur de «l'Assomption», à l'occasion du Concile, le P. d'Alzon logeant au Séminaire français. «Sa présence réveilla toutes mes préoccupations relatives aux études ecclésiastiques», notera-t-il (NHV VI, 115-118 et VIII, 58-59). Il en parla longuement avec lui et avec l'abbé Desaire, qui partageait les mêmes préoccupations (cf. LC 40, 52, 58). Cette première lettre marque le commencement d'une importante correspondance entre Léon Dehon et le P. d'Alzon et surtout l'abbé Desaire, relativement à l'avenir religieux du P. Dehon. (Cf. les biographes et en St. Deh.: L'expérience spirituelle du P. Dehon. - Les années de formation, 1843-1871; chap. X: La dernière année 1870-1871: Projet d'avenir - Vers la grande décision).

2 26.07.1870a2 2 Mgr de Mérode, bien connu de Léon Dehon (LD 31, 32, 33, 37, 41, 57, 95), avait voté «non placet» sur l'infaillibilité (cf. NHV VIII, 92). L'évêque de Mayence, Mgr Ketteler, opposant à la définition de l'infaillibilité, était l'un des promoteurs de l'action sociale chrétienne en Allemagne. Son nom revient dans les NHV à propos du Concile et aussi pour les «premiers écrits (sociaux) du grand évêque de Mayence» (IX, 146).

3 26.07.1870a2 3 Mgr Strossmayer, évêque de Sirmium (Croatie), un des orateurs les plus actifs et remuants au Concile contre l'infaillibilité (16 références en NHV VII et VIII). Ami de Doellinger, théologien en révolte contre le Concile, il n'envoya sa soumission qu'en décembre 1872. Il travaillait avec ardeur au retour des Slaves orthodoxes à l'Église catholique. Mgr Gaduel (Jean-Pierre, 1811-1888), vicaire général de Mgr Dupanloup et inspirateur de plusieurs de ses écrits contre la définition de l'infaillibilité. Il fut plusieurs fois pris à partie par L. Veuillot dans l'Univers. Préoccupé de l'éducation du clergé, il écrivit notamment une vie de Barthélemy Holzhauser, à laquelle le P. Dehon fait allusion dans ses NHV à propos de la fondation de l'Oratoire diocésain de Soissons (cf. NHV X, 65; XI, 116).

4 26.07.1870a2 4 Le «petite oasis» est la maison des PP. de l'Assomption à Paris. Le P. Vincent de Paul Bailly avait assisté à la première messe de Léon Dehon à Santa Chiara le 20 décembre 1869. Le P. Dehon fut surtout en relation avec lui à l'occasion de divers congrès (Nantes, Lyon, Reims, Bordeaux). Fondateur et directeur du journal «La Croix» et promoteur des pèlerinages à Rome (cf. NHV X, 65, 67, 158, 161, 171; XI, 148; XII, 108).

5 26.07.1870a2 5 Le ton de la lettre révèle déjà une certaine intimité et un engagement déjà profond de Léon Dehon. Le P. d'Alzon répondra le 7 août (LC 73).

219.12

B18/10.12

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À Léon Palustre

La Capelle 26 juillet 70

Mon cher ami,

J'avais un grand désir de passer par Tours en revenant de Rome, mais le retard de la session, la fatigue et l'impatience de mes parents m'ont fait remettre cette partie de plaisir. Je compte bien qu'elle ne sera que différée et que je pourrai exécuter mon projet au mois d'octobre. Je passerai alors par Poitiers, Bordeaux, Toulouse et Marseille pour me rendre à mon poste.

J'ai quitté Rome le lendemain de la session. Le Concile est en vacances jusqu'à la St-Martin. Les évêques se sont empressés de quitter le climat brûlant d'Italie pour venir se reposer chez eux. J'ai fait route de Rome à Lyon dans la charmante compagnie de Mgr Pie, qui a dû trouver dans son diocèse une réception triomphale. Il y a bien droit. C'est lui qui a fait le plus d'honneur à l'épiscopat français au Concile1.

Nos travaux reprendront au mois de novembre, si toutefois la politique n'y vient pas mettre des entraves et si la guerre n'amène pas une suspension du Concile2.

Bien que je sois revenu beaucoup mieux portant que l'an dernier, j'ai bien besoin de ces trois mois de repos. Les derniers travaux du Concile ont été accélérés à nos dépens.

J'ai trouvé ici tout le monde bien portant. Mes deux petites nièces me seront une charmante distraction. La saison est bonne comme partout et la fraîcheur du climat de La Capelle est cette année très précieuse. Je suis sûr que tu reverrais notre pays avec plaisir. Viens, s'il est possible, passer quelques jours avec nous. Nous serons assez loin des prussiens pour n'avoir rien à en craindre3.

Mes parents te font leurs sincères compliments.

Ton dévoué ami en N.S.

L. Dehon, pr.

1 On peut, dans les NHV, vérifier ce jugement de Léon Dehon sur Mgr Pie: «un théologien sûr et profond… et aussi un apologiste, un orateur et un écrivain d'une grande finesse. Nul plus que lui n'avait suivi la genèse des erreurs et le développement théologique de ce siècle. Ses écrits étaient comme le commentaire anticipé du Concile» (NHV VII, 34-35; cf. aussi VII, 56, 128, 129, 173…). Revenu en France dans le compartiment de Mgr Pie de Rome à Lyon, le P. Dehon dira dans ses notes: «J'étais fier et heureux de revenir avec le grand évêque qui avait fait tant d'honneur à la France pendant le Concile» (NHV VIII, 92).

2 Ce qui en fait arriva (cf. LD 153, note 1).

3 Cependant, dès le 9 septembre, Laon avait été occupée et Soissons capitula le 18 octobre: «Nous étions toujours bien près du théâtre de la guerre», notera-t-il (NHV VIII, 120).

443.02

B21/7.B

Ms photocop. 8 p. (21 x 13)

Au P. d'Alzon

La Capelle 11 août 70

Mon révérend père,

Vous êtes bien aimable de penser à moi au milieu des tristes préoccupations qui nous absorbent. J'ai, comme vous, une grande confiance dans l'avenir de la France et dans celui de Rome. Le bon Dieu nous éprouve par des revers passagers, qui ont été mérités par les fautes de la France. L'épreuve multipliera notre énergie et nos efforts comme en 1792, et la France se relèvera. La vocation de la France est certaine. Sa mission n'est pas finie. Elle a encore, malgré ses défaillances, assez de vie chrétienne pour être le soutien de l'Église à Rome et son appui vengeur en Chine, et pour cela il faut qu'elle conserve en Europe sa force et sa dignité1. J'ai la même confiance pour Rome. Dieu ne semble-t-il pas ne permettre la guerre que pendant l'interruption du Concile?

Que deviennent nos plans au milieu de tout cela? Il me semble qu'ils s'affermissent et s'imposent de plus en plus par leur nécessité. Quand les intelligences de la France ont-elles eu plus besoin qu'on leur apporte les rayons vifs et purs de la vraie lumière puisée à sa source auprès du St-Siège.

Dieu a voulu la définition de l'infaillibilité du Pape, n'est-ce pas pour qu'on en déduise cette grande conséquence pratique? Maintenant que tous les citoyens ont part au gouvernement, les catholiques de France sont jusqu'à un certain point les arbitres du monde. Les laisserons-nous dans la demi-lumière des études de France? Il faut une œuvre résolue, tenace, généreuse et sans réserve. Mille autres nous sollicitent, mais il est certain que nous ne pouvons bien faire celle-là qu'en excluant presque entièrement les autres. Ce sera là pour vous une grande tentation. Vous serez entraîné par le passé de votre congrégation et par le zèle même et la bonne volonté de vos pères.

Avec des études faites à demi à Rome, vous ne remplirez pas le but. Il faut des études longues, spéciales, calmes, dégagées de toutes préoccupations. La chose faite à demi serait peut-être aussi nuisible qu'utile. Les hommes qui ont peu étudié à Rome n'en prennent quelquefois que les défauts et les exagérations et sont incapables de la défendre. Je crains que cela n'entre pas bien dans l'esprit de votre conseil. Il faudrait leur dire ouvertement tous vos plans, leur persuader qu'ils ne sont pas à même de les apprécier entièrement quant à présent, préoccupés qu'ils sont par les œuvres de France, et leur faire admettre une transformation radicale. Je vous parle hardiment parce que je vous dis ces choses devant Dieu et que je les sens vivement.

J'ai lu, avec beaucoup de plaisir dans l'Univers votre discours de distribution de prix. Vous avez admirablement déduit quelques conséquences de la définition du 18 juillet sur l'avenir des sciences et de l'enseignement catholique. «Par la vérité (puisée auprès de) son Docteur infaillible, nous sommes les maîtres du monde de l'intelligence, de la science, maîtres du monde des idées, mais des idées vraies.» «Sachons y retremper les générations.» «Que les catholiques, avec les idées chrétiennes, travaillent à faire une nouvelle société, par un nouvel enseignement donné sous (la direction immédiate) et la confirmation du pape.»

Il y a une pensée que je n'ai pas bien comprise. Vous semblez laisser à l'État l'enseignement de certaines sciences, pourvu que les questions de doctrine ne s'y mêlent pas. Il me semble qu'on ne peut laisser à l'État l'enseignement légitime d'aucune science séparée, parce que l'enseignement est inséparable de l'éducation et qu'il n'y a guère aucune science séparable et indépendante de la théologie. Mais je suis sûr qu'au fond, sur ces points, nous sommes d'accord2.

Je n'ai pas reçu de nouvelles de l'abbé Désaire depuis qu'il m'a écrit de Nîmes. Tâchez de lui donner des sujets nombreux et de leur donner du temps pour étudier. Résistez aux pères qui vous les réclament ailleurs3.

Je prends ici de bonnes vacances attristées par les événements. Ma santé est excellente. Mon curé me fait faire un peu de ministère. J'aimerais mieux étudier, mais je n'en trouve pas le temps. Je n'ai pas de nouvelles de Rome ni de mes amis de Ste-Claire depuis mon retour, bien que j'aie écrit à plusieurs.

Soignez votre santé. Ayez la bonté de me donner des nouvelles de votre Chapitre impromptu4.

Croyez à mon sincère dévouement et à mon attachement profond.

Tout vôtre en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Allusion aux troubles qui agitaient la Chine contre les Européens dans les années 1860-1870, avec notamment les émeutes de mai 1870 à Tien-Tsin, où furent massacrés le consul de France, deux missionnaires, dix religieux et huit autres personnes.

2 Cf. Réponse du P. d'Alzon le 13 août (LC 75)

3 Lettre du 29 juillet 1870 (LC 72).

4 Cf. Lettre du P. d'Alzon, du 7 août 1870 (LC 73).

219.13

B18/10.13

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 7 octobre 70

Mon cher ami,

J'accepte tes reproches. Ils sont légitimes. Depuis deux mois, préoccupé des malheurs publics, j'ai négligé toutes mes relations d'amitié. C'est un peu, je crois, la condition commune. Mes amis me laissent aussi sans nouvelles.

Tout le monde s'afflige de voir les épreuves que Dieu envoie à l'Église et à la France. J'espère que, pour la France comme pour Rome, l'épreuve ne sera que passagère. La France attribue volontiers tout le mal au gouvernement impérial. Je préfère voir les choses d'un peu plus haut. Je ne me passionne pour aucun gouvernement. Je crois que nos malheurs sont l'œuvre de Dieu, qui voulait punir à la fois le gouvernement et la nation. La France, dans la plupart de ses provinces, a peu de foi et encore moins de pratique religieuse. Les fautes qui nous attirent ces châtiments sont celles qui ont un caractère national, comme les profanations du dimanche et le blasphème, et par-dessus tout, nos principes révolutionnaires, qui animent toute notre presse et qui seront condamnés par le Concile quand il pourra se continuer. Quant aux fautes du gouvernement impérial, elles ne sauraient se compter. Je crois, comme toi, que les honnêtes gens ont eu un peu trop confiance en lui. Cependant pendant ses premières années, il a mérité, sous plusieurs rapports, les éloges du clergé. Nos faux principes politiques et notre irréligion depuis un siècle nous ont valu plus d'une leçon de la providence. La France n'en profite pas encore et je crains bien qu'il ne lui en faille bien d'autres pour la ramener à Dieu. Dans nos pays, les hommes comprennent un peu que c'est Dieu qui les frappe, mais ils voudraient l'apaiser par une petite prière ou par la fumée d'un cierge. Ils ne vont pas au-delà. En politique, ils sont monarchistes et ils verraient volontiers venir les d'Orléans. Pour moi, je ne trouve de repos et de consolation que dans la soumission à la volonté de Dieu. Dieu nous châtie parce qu'il nous aime. Tout ce qu'il permet servira à sa gloire et peut être utile à notre salut1.

Je suis ici dans l'attente des événements. Je travaille un peu et je prêche quelquefois. J'ai demandé en vain à être aumônier de l'armée2. Notre municipalité voulait hier m'enrôler dans la garde nationale mobilisée. Je lui ai fait comprendre que ce n'était pas son droit. J'attendrai quelque temps pour décider où je passerai mon année. Si nous avions eu la paix, je serais arrivé chez toi au milieu de ce mois. Tous les projets sont maintenant suspendus.

Adieu, mon cher ami, prie pour moi.

Tout à toi in Xsto

L. Dehon, pr.

Toute ma famille est en bonne santé et t'envoie mille compliments.

1 Cette lettre est intéressante pour situer le jugement de Léon Dehon sur les événements et l'interprétation religieuse qu'il en donne. Il ne fait d'ailleurs que refléter l'opinion générale catholique en ces années 1870, sur le gouvernement impérial, dans ses deux phases: autoritaire (1852-1860) et plus libérale (1861-1870), et notamment sur sa politique ecclésiastique et sur la question romaine. Cf. Aubert: Histoire de l'Église - Fliche et Martin n. 21 -, chapitre IV: L'Église en France sous le Second Empire (pp. 108-131) et chapitre XI, paragraphe 2: L'Église en France et les débuts de la Troisième République (pp. 373-384). Lui-même monarchiste, Léon Dehon, comme L. Palustre, était légitimiste (pour le comte de Chambord), contre les Orléans qui avaient régné de 1830 à 1848 (règne de Louis-Philippe d'Orléans).

2 Cf. en NHV VIII, 124-125: «De Soissons Mgr Dours répondait, le 24 août, à ma demande des pouvoirs d'aumônier: 'Mgr me charge de vous accuser réception de votre lettre du 23 et de vous donner l'assurance que, le cas échéant, il sera très heureux de faire appel à votre zèle' [lettre de l'abbé Dours: AD B21/3.P, Inv. 371.14]. Après Sedan, j'insistai et je reçus de nouveau une réponse dilatoire.» 7 septembre 1870: «Monseigneur me charge de vous accuser réception de votre lettre du 5 et de calmer vos inquiétudes. Elles sont peut-être quelque peu exagérées et j'espère que le bon Maître aura pitié de notre pauvre France. Si vos craintes venaient à se réaliser, Monseigneur ne vous oubliera (pas). Votre tout dévoué. L'abbé Dours» (AD B21/3.P, Inv. 371.15). Cependant, l'abbé Dehon put exercer son zèle auprès d'un régiment de l'armée du Nord cantonné à La Capelle (cf. NHV VIII, 121 et LD 158).

219.14

B18/10.14

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 14 novembre 70

Mon cher ami,

Je n'ai pas encore décidé où je passerai mon hiver. J'ai toujours espéré jusqu'à présent pouvoir aller à Rome un peu plus tard. J'attendrai pour prendre une décision que la guerre soit terminée. J'ai ici pour le moment une occupation qui me sourit beaucoup. Notre petite armée du Nord a placé ici ses avant-postes. La Capelle est occupée par 600 mobiles. Ce sont d'excellents et pieux flamands de l'arrondissement de Dunkerque. Je me suis constitué leur aumônier pour le temps de leur séjour ici, qui paraît devoir durer quelques semaines. Je les harangue souvent. Plus de soixante se sont déjà confessés. Un seul parmi eux n'avait pas fait sa confession pascale.

Tu vois que ce sont des hommes de foi. Ce ministère me console un peu des crimes dont d'autres français se rendent coupables à Paris, à Lyon, à Marseille et ailleurs.

Je goûte fort tes vastes projets. Je ne sais si je pourrai, comme toi, me donner plus tard à l'étude de l'histoire. Pour le moment, je n'y puis pas songer. Il me reste à achever mes études de théologie et de droit canon et à suivre les travaux du Concile qui pourront, j'espère, se continuer bientôt.

Je crains qu'après la guerre la France et l'Italie n'aient à subir pendant quelque temps les horreurs d'une république socialiste et révolutionnaire. Les sociétés secrètes de ces deux pays s'y préparent et elles sont aidées par l'aveuglement et l'impiété de la bourgeoisie. Si cela arrive, il pourra se faire que je reste quelques mois ici pour attendre que l'orage soit passé1.

Nous sommes exposés ici à avoir prochainement à souffrir des prussiens2. Je crains bien que l'épreuve de la France ne soit encore longue et qu'elle n'en profite pas assez pour revenir à Dieu. On constate bien partout des retours partiels, mais la masse est glacée. Il faudra un miracle pour la ranimer.

Je garde l'intention et le désir d'aller te voir bientôt à Tours.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Pressentiment des troubles de la Commune de Paris (février-mai 1871). Mais la Troisième République, tout en se réclamant des principes révolutionnaires de 1789, n'eut rien de socialiste. C'est vers 1890 qu'on constate une poussée et montée socialiste aux élections successives.

2 En fait, semble-t-il, les Prussiens n'occupèrent pas réellement La Capelle (cf. LD 159, du 9 janvier 1871). L'armistice devait être signé le 28 janvier.

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