cflcfl-0000-0000

P. STANISLAS FALLEUR SCJ

CAHIERS

Conférences et sermons du Père Dehon aux novices

(9 novembre 1879 - 21 octobre 1881)

Introduction, notes, index

du

P. Giuseppe Manzoni scj

CENTRO GENERALE STUDI

Roma

Redigé et imprimé près le Centre Général d'Etudes de Rome, Décembre 1979

Directeur: Giuseppe Manzoni sci

A la pieuse mémoire du P. Marcel Denis SCJ (1908 - 1978) qui, avec un dévouement tout particulier, a collaboré à la publication de ces conférences du P. Dehon aux premiers Novices de notre Congrégation.

INTRODUCTION

Nous sommes aux débuts de l'Institut (1878-1881) et nous ne nous étonnons pas que le P. Dehon soit aussi alors le premier Maître des novices.

Ce sont des années de grande ferveur; on est dans l'attente d'une grande é­preuve, du consummatum est, qui doit marquer de son sceau la Congrégation com­me œuvre de Dieu. Dans ce premier noviciat, tout n'est pas idéal et parfait. Le P. Dehon relève chez ses novices, avec beaucoup de réalisme, des défauts et des défections.

Les novices sont peu nombreux! seulement deux ou trois (cf. CF I, 36) en 1879. Le P. Rasset a fait profession le 8 septembre 1879. A la fin de l'année ils etaient 4: Les PP. Paris, Falleur, Legrand et Lamour.

L'un de ces novices, le P. Stanislas Falleur, nous a laissé cinq cahiers de notes sur les instructions ou discours de circonstance que le P. Dehon a donnés aux no­vices dans la Maison du S.-Cœur de la fin de 1879 à la moitié de 18811).

Les notes du P. Falleur couvrent la période du 9.11.1879 au 21.10.1881. En réalité, avec régularité, jusqu'au 3.6.1881. Après cette date il n'y a que deux frag­ments assez brefs de la conférence donnée la veille de la fête du S.-Cœur, le 23. 6.1881 et de la conférence du 21.10.1881. Un mois plus tard, le P. Falleur faisait sa première profession avec les PP. Legrand et Dessons (cf. RV, 1-2).

Comment expliquer cette lacune de presque quatre mois?

Reprenons l'avis du P. Denis dans une étude publiée jusqu'à présent seulement en anglais2). En fin mai (1881) le P. Fondateur donne une petite retraite… en vue de la profession du P. Thaddée Captier, au 3 juin 1881… A partir de ce jour, on peut dire: les fonctions de « Maître des novices » étaient finies pour le P. Fonda­teur… Qui a remplacé (comme suppléant) le P. Dehon dans sa charge de Maître des novices en 1881-1883, étant donné qu'en 1883, c'est le P. François-Xavier La­mour qui est Maître des novices à Sittard (Hollande)?

Le P. Lamour fit sa première profession le 7 janvier 18813).

Il semble bien que le suppléant du P. Dehon dans la charge de `Maître des novices' soit le P. Captier4).

Les archives Dehon sont muettes à ce sujet, mais nous avons quelques textes qui sont de la main du P. Falleur… et qui, vraisemblablement sont les instructions du P. Captier aux novices du S.-Cœur. Ils portent comme titre: De la voie que doivent suivre les novices du Sacré-Cœur de Jésus. Il y a là des éléments de soli­de doctrine, à côté de certaines excentricités qui trahissent un homme déséquilibré.

Le P. Falleur nous a laissé dans un sixième cahier quelques brèves notes de conférences données par le P. Dehon aux religieux de la Maison du Sacré-Cœur en 1885-1886. Il nous a semblé utile de reproduire aussi ces notes en appendice.

Les cahiers du novice Falleur ont reçu, en un certain sens, l'approbation du P. Dehon. Ils nous viennent de ses archives et sur la ouverture ou la première pa­ge, ils portent, de la main du P. Dehon, l'indication: Conférences et sermons.

Le noviciat était dans la Maison du Sacré-Cœur, maison-mère de la Congréga­tion. La maison et le jardin avaient été pour le P. Dehon un signe de la bienveil­lance de Dieu.

Le 16 juillet 1880, le P. Dehon disait dans son instruction aux novices: Cette fête (Notre-Dame du Carmel) nous rappelle une grâce importante: il y a deux ans aujourd'hui que cette maison a été achetée. En ce jour où elle donne son vêtement du Carmel à ses enfants, Marie a voulu nous donner, à nous, qui avons déjà com­me vêtement principal celui de St François5), le premier abri de l'Œuvre, le Beth­léem et le Nazareth… (CF 111, 35).

La maison en question avait été acquise par les Sœurs Servantes pour com­mencer une nouvelle œuvre. Mais comme elle était toute proche du Collège Saint­-Jean, elle était tout à fait adaptée pour un noviciat des Oblats. Le P. Dehon pou­vait facilement satisfaire à ses doubles devoirs de directeur du collège et de Maître des novices au S.-Cœur. Aussi, les Sœurs en cédèrent l'usage au P. Dehon6).

Nous pûmes y entrer et y célébrer la messe le 14 septembre (1878), le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix. La divine Providence a de ces à-propos lumi­neux. Ne fallait-il pas qu'un œuvre de réparation fût fondée sur la croix? Le pre­mier novice, après le P. Rasset, fut le P. Joseph Paris, qui entra le 4 octobre (1878) (P. Denis, ac.). Ainsi commença le premier noviciat de la Congrégation.

La Maison du Sacré-Cœur était une construction typiquement bourgeoise à l'angle de la rue Richelieu (dans laquelle se trouvait le Collège Saint-Jean) et de la rue Royale. Outre le rez-de chaussée et un premier étage, il y avait des mansar­des (cf. VP, 108).

Le P. Dehon résidait habituellement à Saint-Jean, comme supérieur du collè­ge, mais chaque jour il allait au Sacré-Cœur. Le nombre des novices s'accrut peu à peu.

Dans l'instruction du 4 janvier 1880, le P. Dehon invite ses novices à remer­cier le S.-Cœur, car Mgr Thibaudier a accordé à la communauté, composée de deux ou trois pauvres pécheurs, un autel, un tabernacle (CF 1, 36). Telle est la si­tuation numérique en 1879.

Le 25 février 1880, parlant de l'immolation douce et continue dans les peti­tes choses de la Règle, le P. Dehon affirme: Ainsi nous sommes douze ici…: nous sommes donc douze crucifiés et le clou c'est l'obéissance (CF 1, 61).

Le 19 janvier 1881, traitant encore de l'immolation, il affirme: Nous sommes maintenant 16 et ce que nous pouvons attirer de grâces est prodigieux (CF V, 27).

Quelques novices sont déjà prêtres. Outre le P. Rasset qui a fait profession le 8.9.1879, sont prêtres les PP. Lamour, Jacques-Marie Herr, Dessons, Captier.

En général, ce sont des novices déjà d'un certain âge. En 1881, le P. Captier a 50 ans, le P. Lamour 38, le P. Legrand 32, le P. Dessons 29, le P. Philippot 26, le P. Augustin-Marie Herr 26, le P. Jacques-Marie Herr 25, le P. Falleur 24, le Pè­re Paris 23, le P. Waguet 19, le P. Stemplet 18 (cf. RV 1-2). Le Maitre des Novi­ces, le P. Dehon, a 38 ans.

Au collège Saint-Jean, le P. Dehon est M. le Supérieur; en ville, il est l'abbé Dehon; au noviciat, le P. Jean.

En 1879, la Maison du Sacré-Cœur n'avait pas de jardin. Elle voisinait avec un grand jardin qui aurait été l'idéal pour une communauté, mais le propriétaire ne voulait pas le vendre et le P. Dehon n'avait d'ailleurs par les moyens de l'ache­ter.

La Providence lui vint en aide d'une manière assez surprenante. Après avoir fondé la Congrégation, le P. Dehon avait organisé une espèce de Tiers-Ordre, avec des agrégés et associés, ouvert aux prêtres et aux laïcs (cf. NHV XIV, 61-63). Par­mi les agrégés, il y avait un certain M. Lecot, qui avait pris le nom de Joseph d' Arimathie. Or brusquement, ce M. Lecot décida d'acheter le jardin, si le proprié­taire le vendait. Le jour du Vendredi-Saint (1880), le propriétaire décida à l'impro­viste de vendre son jardin.

Le prix était élevé (90.000 francs) et l'affaire devait être réglée avant trois heures; autrement tout était à l'eau. M. Lecot accepta et à trois heures, il signait le contrat.

Le P. Dehon comment le fait: C'était le jour et l'heure où Joseph d'Arima­thie avait donné son jardin pour la sépulture du Christ… (NHV XIV, 21). M. Le­cot céda l'usage du jardin à la Maison du S.-Cœur.

Cependant en 1886, M. Lecot reprendra sa parole (cf. NHV XV, 62-63) et le P. Dehon devra payer le jardin de Joseph d'Arimathie, en cédant à M. Lecot une propriété que son père avait évaluée à 72.000 francs: Ce qui me valut de durs re­proches de mon frère… écrit-il (NHV XV, 56). Par le Journal, nous savons que cet­te propriété se trouvait à Wignehies. Le P. Dehon rappelle aussi la dure lettre de son frère Henri et il conclut: J'offre cette humiliation pour le règne du Sacré-Cœur (NQ 111, 108).

Ainsi, d'une manière peut-être quelque peu aventureuse, la Maison du Sacré­Cœur avait ce qu'il lui fallait7).

Le P. Dehon est très occupé à Saint-Jean et ne peut se donner totalement à ses novices comme il le voudrait. En 1880, il y a même des plaints, parce que la direction du noviciat est déficiente. Le 14 mai 1880, le P. Dehon parle aux novi­ces de cette affaire importante: Le Cœur de Jésus est véritablement notre fonda­teur et notre supérieur… Lui seul a tout fait, il fait tout encore et il fera tout. Lui seul veut être la direction, la règle, la vie. Pour montrer que Lui doit être tout pour les Oblats, il permet que son représentant (p. Dehon) ne puisse se consacrer entièrement à l'Œuvre.

Il exhorte les novices à se comporter avec le S.-Cœur comme on se compor­te avec le meilleur des supérieurs: lui demander les petites permissions, faire la coulpe, demander la bénédiction…: Le Cœur de Jésus est là, recourons à Lui. Qu' on ne se plaigne donc plus de manquer de direction, ce serait une parole ingrate (CF II, 30-31).

L'horaire quotidien est plutôt sévère (selon notre mentalité): Lever à 4h,30 et coucher à 9h,15.

Pour la vie de prière, la messe est l'acte culminant de la journée, l'acte divin, c'est l acte qui nous caractérise… La raison d'être des Oblats (CF 111, 62). On dira souvent des messes réparatrices (CF IV, 24), des messes votives au Sacré-Cœur (CF IV, 47-51) et ce sera un privilège de dire la messe sans honoraires (CF IV,69).

Tous ont le Manuel de prières de Sainte Gertrude pour s'en aider, dit le Pè­re Dehon, pendant l'adoration. Il y a aussi un petit livre de prières qui s'enrichira toujours plus, jusqu'à former le recueil Nos prières des premières années. Elles ont de grandes beautés… écrit le P. Dehon sous le titre du manuscrit.

La réaction psychologique d'un lecteur de notre temps est à la fois d'admira­tion et de malaise. De malaise en raison d'une certaine tension sensible qui ennuie et à la longue, fatigue; d'admiration pour la ferveur enthousiaste et indubitablement l'authentique amour que ces prières expriment. Conformément à l'axiome bien con­nu: Lex orandi, lex credendi, les prières des premières années nous intéressent par leur contenu; elles expriment les valeurs originelles d'identité que les deux premiers chapitres des constitutions expriment plus sobrement (pour plus de développements, cf. M. Denis, PPD, pp. 76-87).

Parmi les exercices de piété communautaires, il y a la récitation partielle du Bréviaire, la mémoire des mystères du Christ, le chapelet et le rosaire du Sacré­-Cœur, introduit par le P. Captier en 1881. Pour l'essentiel, il sera conservé dans la Couronne du S.-Cœur ou Triple couronne du S.-Cœur de Jésus.

On fait chaque jour l'adoration, mais au début on n'a pas l'autorisation d'ex­poser le S. Sacrement. Finalement, en février 1880, Mgr Thibaudier accordera la permission pour le ler vendredi du mois. Le P. Dehon ne sait comment remercier le Seigneur… c'est une grande nouvelle et qui doit nous effrayer, nous si miséra­bles, appelés à un pareil honneur (conf. du 27.2.1880, CF I, 62). Le Père deman­de qu'on fasse une neuvaine de préparation par la prière, la pénitence, le silence à la récréation du soir: Quel honneur Jésus nous prépare (pour) de pauvres pé­cheurs, 12 misérables qui ne méritent rien… (ibid.).

L'année suivante, le Père peut annoncer que le premier vendredi, 4 mars 1881, est le premier de chaque semaine où nous aurons le bonheur d avoir visiblement Jésus parmi nous (CF V, 50). Mgr Thibaudier a donné l'autorisation d'exposer le S. Sacrement tous les vendredis. Le P. Dehon est heureux de cette exposition heb­domadaire et il dit aux novices: Nous commencerons une neuvaine d'action de grâ­ces (21.2.1881, CF V, 48).

Pendant le Carême, le P. Dehon a engagé tout le monde à faire chaque jour le chemin de la croix. Le vendredi, on le fait en communauté (CF V, 51). En fai­sant le chemin de la croix, un Oblat apprend à être toujours plus semblable au Christ (CF V, 107).

Le temps qui n'est pas employé aux exercices de piété, est consacré au tra­vail, surtout intellectuel. Il se fait dans une salle commune et, malheureusement, la bibliothèque n'est pas bien riche. Pour quelques-uns, il s'agit d'étudier la théo­logie, avec l'aide des confrères qui la connaissent déjà (CF III, 70). D'autres,com­me le P. Philippot, sont employés le matin à faire classe à Saint-Jean. Tous doi­vent employer leur temps libre à l'étude, qui a pour but la science de la sainteté: théorie et pratique. Toute autre étude est contraire au noviciat, ce n'est pas le mo­ment de s'instruire d'autre chose (CF Ill, 70).

Pendant les repas, on garde le silence. Au déjeuner et au dîner, on fait lectu­re.

Le P. Dehon accorde une petite récréation après le petit déjeuner, tout en re­marquant que cette récréation n'est pas d'usage dans les autres noviciats, où on se met aussitôt au travail matériel. Ici, comme on ne peut avoir de travail de ce gen­re… on prend ces quelques instants de récréation avant de se remettre à une occu­pation intellectuelle (11.8.1880, CF III, 68).

L'unique vraie récréation est celle de midi après le déjeuner. Après le dîner, la récréation est facultative.

Le noviciat dure deux ans, car, selon le P. Dehon, on ne peut détruire les mauvaises habitudes et acquérir des vertus d'un jour à l'autre (11.1.1880, CF 1,40).

Le P. Dehon était bon, mais aussi très exigeant avec ses novices. Il se montre particulièrement énergique et même sévère avec quelques-uns qui vivent la vie reli­gieuse à la Maison du Sacré-Cœur sans se préoccuper de l'esprit d'amour et de ré­paration, propre aux Oblats.

Il conclut ainsi une conférence sur cet argument (28.7.1880): Que cette con­férence soit le point de départ d'une réforme importante pour quelques-uns qui résistent. Notre-Seigneur n'est pas content du mauvais vouloir que certains appor­tent et s'il est mécontent, comment espérer autre chose que des dégoûts et des sé­cheresses? (CF III, 50).

La cause des sécheresses de quelques-uns est qu'ils n'entrent pas dans l'esprit de la Congrégation et s'obstinent à y suivre leurs propres idées pour leur perfec­tion: elle sera belle avec eux pour auteurs! (CF III, 49).

Le P. Dehon est très exigeant concernant le silence. Il se plaint des novices qui y manquent trop souvent: Il ne faut pas parler sans une vraie nécessité, et me- me parler, quand il suffirait d'un signe, est manquer à la règle du silence (CF V, 21). L'endroit où l'on parle le plus sans nécessité est la cuisine (cf. CF V, 49).

Le silence doit être observé rigoureusement en carême et après les prières du soir, durant le grand silence: Manquer au grand silence est… un gros péché véniel (CF VI, 9). Hors des récréations, s'il faut parler, qu'on le fasse à voix basse et brièvement. Un religieux qui aime le silence, on le remarque même en récréation: il ne crie pas ni ne rit immodérément. Il y a aussi le silence d action, par exem­ple: ne pas claquer les portes. Bref, le silence, avec la charité et les trois vœux, est un élément essentiel de la vie religieuse (CF VI, 9-10). Ces observations sur le silence sont faites aux religieux profès dans une conférence du 18.12.1885. Elles valent à plus forte raison pendant le noviciat.

Revenant aux novices, il leur dit: Quand je vous vois parler inutilement hors des récréations, je préférerais recevoir un coup (CF V, 53). Le P. Dehon n'exagère pas. Il exprime ainsi son amour intense du Christ et, en même temps, sa souffran­ce pour les manquements des âmes que le Christ lui a confiées: C'est comme si a­lors vous disiez à Notre-Seigneur: je n'ai pas besoin de vos grâces en ce moment (CF V, 53).

Le P. Dehon rappelle ses novices à l'esprit de sacrifice: Il y a un peu de lais­ser-aller. On s'accorde encore trop de liberté (CF V, 60).

Quelques novices ont un caractère difficile. Dans la conférence du 16.11.1879, il commente le Beati mites, quoniam possidebunt terram et déclare que la douceur est bien nécessaire dans la Maison du Sacré-Cœur: Ici règne encore un grand dé­faut: l'amertume et la dureté de cœur (CF I, 7). Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Sans cela, notre place n'est pas ici et nous ne méritons pas de de­meurer sous le même toit (CF 1, 58).

Il y a aussi souvent quelqu'un à jeûner au pain et à l'eau.

On jeûne pour les vocations (CF I, 52), pour se préparer à l'adoration avec le S. Sacrement exposé (CF II, 39).

Le 19.1.1880, le P. Dehon fait lire à midi cet avis: Notre-Seigneur est bien offensé depuis quelques jours au noviciat. Il faut expier et consoler le Cœur du Christ par une neuvaine de pénitence. Au déjeuner, on lira les psaumes de la péni­tence. Chaque jour un religieux jeûnera au pain et à l'eau. Le P. Alphonse-Marie Rasset commencera. Le P. Dehon le fera vendredi (cf. Appendice III, p.248).

Comme on voit, on ne se perd pas en vaines paroles et en gémissements sté­riles. On passe aux actes concrets. Pendant les Quarante-Heures, l'adoration se pro­longe jusqu'à minuit (CF I, 58).

Il faut s'humilier pour apprendre l'esprit de sacrifice. Le P. Dehon introduit au noviciat la coulpe, c'est-à-dire l'accusation des fautes extérieures devant le supé­rieur et toute la communauté. La coulpe se fait à genoux et on reçoit une péni­tence. Le P. Dehon en donne lui-même l'exemple. Le novice Falleur note: Le Pè­re (Dehon) annonce… qu'il demandera des humiliations cette semaine (pour les vendredis de Carême et pour la Semaine Sainte). Il rappelle qu'on va procéder à la coulpe en insistant sur l'imitation pratique de Jésus dans la Passion. Il commen­cera lui-même et demande une pénitence que ma mémoire n'oubliera pas (29.2. 1880, CF 1, 67).

Il exhorte tout le monde à faire des actes intérieurs d'humilité et en fixe con­crétement le nombre: 20 les Pères, les autres religieux 10, les plus jeunes 5; et le P. Dehon les indiquera (CF I, 60). Il faut aussi ajouter des actes extérieurs d'hu­milité, comme de parler avec le supérieur à genoux (CF I, 60).

Après la conférence, le P. Dehon a coutume de demander à l'un ou à l'autre novice le sujet de présence de Dieu choisi le matin et la vertu dans laquelle il veut s'exercer pendant la semaine. Qui ne sait répondre, reçoit une pénitence (CF IV, 12-13).

Pour exhorter les novices à la modestie des yeux, le P. Dehon fait cette ob­servation curieuse: dans l'évangile il est dit que Jésus Lève les yeux au ciel: ce qui suggère qu'il les tenait habituellement baissés (CF 1,71).

Le P. Dehon est intéressant quand il descend aux détails. Dans la salle d'étu­de il recommande de ne pas se mettre près du feu (Conférence du 7 mars 1880). Si on a froid et qu'on ne peut travailler, on peut aller se chauffer cinq minutes, et puis on revient à sa place (CF 1, 72). A la chapelle, on ne s'appuie pas sur l'ac­coudoir et on ne s'accroupit pas. Les Pères tiennent leur bréviaire en main quand ils le récitent et ne le posent pas sur le banc (CF I, 72).

La récitation commune de l'Office se fait lentement, sinon ce n'est qu'une ré­citation privée (CF IV, 13).

Les novices doivent s'exercer au détachement (Conférence du 22.11.1880). Le P. Dehon remarque que certains accumulent les livres de piété à la chapelle, sous prétexte qu'ils les aiment et qu'ils leur font du bien spirituellement. Le Père veut que chacun fasse la liste complète des livres à son usage personnel, et puis il ne gardera que ceux qui lui seront permis. Pour les autres livres, les profès peuvent les garder jusqu'à une semaine, pas plus; les novices seulement de temps en temps, puis ils les remettront à leur place et les reprendront s'ils en ont encore besoin. C'est un exercice continuel de détachement.

La simplicité et la propreté des vêtements demandent aussi détachement et mortification. Pour les jours ordinaires un vêtement pauvre suffit; un meilleur quand on doit sortir.

Il faut veiller à la propreté, car la saleté est fille de la paresse et c'est une ha­bitude de riches. Si, de fait, un novice traîne au lit comme font les riches, il n'a pas le temps de cirer ses souliers et il vient à la chapelle avec les souliers crottés. Chaque novice doit faire son lit et balayer sa chambre (CF IV, 57-60). Dans l'en­semble, c'est bien d'une vie sobre et pauvre qu'il s'agit.

Le P. Dehon est très exigeant en ce qui concerne la vie commune (maxima pœnitentia). Ni l'âge ni l'ancienneté ne peuvent dispenser de la vie commune (CF IV, 61-62).

Dans la vie commune, les Oblats, en pratiquant la charité, manifestent qu'ils sont consacrés au Cœur de Jésus et en outre, ils réparent le peu d'amour que gé­néralement les religieux et les prêtres ont entre eux. Ils faut bien l'avouer entre nous. On s'aime très peu entre religieux, entre prêtres. Comme il est facile de le voir dans leurs réunions où les absents et les présents sont également blessés (CF V, 90).

Plus tard, dans les conférences de 1885, il revient encore sur la vie commu­nautaire et sur la charité fraternelle. Tel religieux de la maison du Sacré-Cœur pré­fère s'isoler avec un ami. Les Pères de Saint-Jean feraient bien de participer de temps en temps à la récréation avec les religieux du Sacré-Cœur. Ils doivent mon­trer qu'ils ne forment qu'une seule communauté, même s'ils vivent dans deux mai­sons distinctes, mais voisines (Conférence du 27.11.1885, CF VI, 5-6).

Sans doute l'exhortation du P. Dehon n'a-t-elle pas eu le résultat espéré, car le 8.1.1886, il décide que les religieux de la maison du Sacré-Cœur iront passer la récréation du mardi soir à Saint-Jean, pour accroître la charité fraternelle (CF VI, 11).

Les manifestations spontanées de gentillesse sont très agréables au P. Dehon. Le jour de sa fête, il se plaît à recevoir le vœux de ses novices. Il les embrasse un par un. Attendu pour la messe par ses novices et chez les Sœurs Servantes, pour contenter un peu tout le monde, il choisit les deux plus anciens novices et, accompagné par eux, va célébrer la messe chez les Sœurs Servantes (CF V, 9).

Le P. Dehon traite longuement de l'obéissance selon une conception stricte­ment ascétique, digne du meilleur « Rodriguez » et suivant la doctrine scolastique (CF V, 40, note 1).

Il accepte le dialogue avec le supérieur, parce que les observations des religi­eux peuvent être bonnes et utiles. Mais elles doivent être faites avec détachement relativement à leurs conséquences.

Insister jusqu'à fatiguer les supérieurs est dangereux. On finit par ne faire que sa propre volonté, non celle de Dieu (CF V, 42-43). Mais aussi, devenir martyr de l'obéissance, comme le jésuite Pierre Lefèvre, peut être subjectivement un acte d' héroïsme; mais ce n'est pas un exemple à imiter. C'est une obéissance selon la let­tre, non selon l'esprit. Aucun supérieur, a fortiori St Ignace, n'aurait jamais impo­sé à un malade grave de se mettre en route, avec le risque de mourir, comme de fait il advint (CF V, 44). (Ceci est un jugement conforme à notre mentalité, mais non à celle du P. Dehon).

Avec raison, le P. Dehon attend une plus grande perfection dans l'obéissance de la part de ses novices: Il y a eu du relâchement sur ce point chez quelqu'un. Il est temps de se remettre à une obéissance parfaite et d'être enfin bien généreux (CF V, 28).

Parlant de la promptitude dans l'obéissance, il dit: Retenez ceci comme très important: tout ce qui se fait après le signal est la part du démon. On donne le signal du lever; vous restez au lit 10 minutes, c'est la part du démon qui a ainsi les prémices. De même à l'étude: si on continue après la cloche, on lui donne la fin de l'exercice et les prémices du suivant (CF V, 42).

Le P. Dehon est courageux. Il traite dans une conférence des caprices des su­périeurs. Les supérieurs sont rarement parfaits Ils sont faits pour souffrir, mais aus­si pour faire souffrir (CF V, 65). Après cette constatation réaliste, il console ses novices avec un mot de Bossuet: Ce qui est caprice dans votre supérieur est, à votre égard, la volonté de Dieu toute pure (CF V, 65). Volonté permissive de Dieu, doit-on comprendre, pour la sanctification des inférieurs.

Dans la dernière conférence sur l'obéissance, il n'hésite pas à dire à ses novi­ces: Quand je songe qu'il vous faudra rendre compte de tout ce que vous avez en­tendu dans ces conférences, je crains pour vous, qui êtes encore si peu obéissants et qui, loin d'être arrivés à la perfection, manquez encore aux points les plus sim­ples de l'obéissance (CF V, 66).

Les cahiers Falleur concluent par une note épineuse sur les rapports entre su­périeurs et inférieurs: Ne soyons pas pour les supérieurs un buisson d'épines, sur lequel on n'ose mettre la main sans nulle précaution, et encore se pique-t-on… (CF VI, 23). La conférence traite de l'indifférence ignatienne ou abandon total à la volonté de Dieu et elle est adressée aux religieux de la Maison du Sacré-Cœur et de l'Institution Saint-Jean (10.9.1886).

Le P. Dehon est encore plus courageux quand il insiste longuement et avec une clarté impressionnante, sur la nécessité de pratiquer l'immolation et de faire le vœu de victime pour être d'authentiques Oblats (cf. CF V, 73 ss.).

Il s'ensuit clairement que le charisme des Oblats ne reproduit pas un aspect marginal de la vie du Christ, mais sa mission de Rédempteur, de prêtre et de vic­time, d'Oblat par amour du Père et pour le Père pour le salut du monde (cf. CF V, 92-93).

Comprenons donc bien notre vocation et comme Jésus, immolons-nous. Com­me la sienne, notre mort donnera la vie aux âmes. C'est ce que constatait St Paul en lui-même: Mors operatur in nobis, vita autem in vobis (2 Cor 4,12); la mort des uns à la vie de la nature donne aux autres la vie de grâce (CF V, 95; cf. VI, 6-7).

Le P. Dehon n'hésite pas à exhorter ses novices à s'offrir par le vœu d'immo­lation à la justice divine, pour obtenir sa miséricorde, spécialement pour les infidé­lités des âmes consacrées: Soyons donc généreux et offrons-nous à la justice pour faire descendre la miséricorde (CF V, 100). Il ne faut pas avoir peur de demander à Dieu de parcourir la voie de la souffrance pour être uni au Christ dans les di­vers mystères de sa vie, surtout ceux où il est plus victime (CF V, 106). Aussi ex­horte-t-il ses novices à faire souvent le Chemin de la Croix pour ressembler tou­jours plus au Christ crucifié (CF V, 107).

La profession spéciale, celle de victime, suscitait des oppositions, peut-être même parmi les Oblats. Certains la trouvaient trop difficile. Le P. Dehon inter­vient et exhorte ses novices à ne pas se livrer à des discussions décourageants et défaitistes.

Il en appelle à l'autorité hiérarchique, à Mgr Thibaudier. Il faut avoir confian­ce. Mais justement, Mgr Thibaudier fera des réserves à propos du vœu public de victime, parce que difficilement définissable pour la matière (cf. NHV XIV, 97­-98). Rome sera de l'avis de Mgr Thibaudier. Pourtant Mgr Thibaudier n'était pas contraire au vœu privé de victime, tout en admettant qu'il s'agissait là d'une cho­se délicate. Il était par contre très favorable au conseil de vivre en esprit de vic­time (cf. NHV XIV, 98).

Il est intéressant de noter, d'autre part, que pour le P. Dehon, dans la voca­tion des Oblats, il n'y a rien d'extraordinaire ni de prodigieux. Les principaux élé­ments du catéchisme devraient suffire à nous remplir de l'esprit de notre vocation (CF III, 1). Le P. Dehon se réfère au péché, à la satisfaction due pour le péché, au devoir de tout chrétien de réparer ses propres péchés et ceux du monde: Vous voyez donc que, sans faire appel à aucune lumière extraordinaire, l'esprit de notre vocation est bien évident (CF 111, 2).

En parlant de l'oraison, le P. Dehon insiste sur les affections, et parmi les af­fections, dit-il, deux doivent dominer toutes les autres et revenir dans tous les su­jets: l'amour et l'immolation ou l'offrande8): car c'est là notre vocation de fai­re des offrandes; oblation veut dire offrande et oblat veut dire qui est offert et qui offre…, sans oublier les autres parties du sacrifice…

Offrir toujours des actes d'amour et d'immolation, voilà notre vocation et c'est ce qui en fait la facilité. C'est que nous sommes riches, extrêmement riches.. Jésus tout entier, mais surtout son Cœur, nous pouvons l'offrir à toute minute sans pouvoir épuiser le trésor, sans que l'offrande suivante nuise à la précédente; l'offrande est toujours agréee… Jésus lui-même s'offre par nous. Ipse offerens et oblatio' Avec cette offrande nous devons nous offrir aussi, tout misérables que nous sommes, puisque Jésus demande aussi que nous joignions notre offrande à la sienne… (mercredi, 21 juillet 1880, CF 111, 39-40).

En somme, on pourrait dire que le vœu d'immolation proposé par le P. Fon­dateur, est surtout un vœu d'oblation. Et parmi ces offrandes il y a, bien sûr des croix, des sacrifices, mais ils sont vus sous leur aspect positif et non dans la pers­pective néantiste d'une certaine école française, ou aussi sous leur aspect apostoli­que9).

Le P. Fondateur comprend de manière très saine la vie de victime. Pour lui, c'est l'état normal du chrétien: Nous le sommes tous, victimes, en vertu de la grande loi de réversibilité, de la communion des saints… Car dans une famille, tous sont solidaires et c'est aux uns à réparer et à subir les fautes des autres. Nous nous y engageons par vœu.

Cependant, après deux ans de noviciat, doivent encore subsister des difficul­tés et des résistances concernant la vie religieuse en général. Comment pouvait-on alors, au moins pour quelques-uns, parler de spiritualité victimale et de vœu de victime? … A travers les lignes, on entrevoit une certaine insatisfaction dans l'âme du P. Dehon relativement à certains de ses novices, au moins par la comparaison évangélique qu'il emploie. C'est au commencement des exercices spirituels de six jours préparatoires à la Pentecôte de 1881. Le démon est furieux, selon le P. De­hon, parce qu'il déteste l'Œuvre et il se déchaîne spécialement pendant la retraite, Déjà une Sœur Servante a perdu sa vocation pendant la retraite; Soyons, nous,gé­néreux: de la fidélité et de l'ordre. Si Notre-Seigneur revenait ici, il ferait proba­blement comme au temple: prendre un fouet pour chasser les novices des endroits où ils ne doivent pas être… Que chacun… se montre fidèle (CF V, 111).

Cependant le P. Dehon ne perd jamais courage. Pour caractériser la vocation des Oblats, il rappelle que dans l'Ancien Testament, le cœur et le bras droit de la victime étaient réservés au prêtre. Depuis le venue du Christ, étant nous-mêmes u­nis à Lui, prêtres et victimes de son Sacerdoce nous lui offrons notre cœur et notre bras droit: Le cœur par l'amour et la réparation et le bras par l'action. Le moyen est celui que Jésus a pris: la charité pour Dieu et pour les âmes: ambulate in di­lectione (Eph 5, 1), (CF V, 130).

Transcrivons une note isolée du 21.10.1881, alors que les notes du novice Falleur sont interrompues depuis quatre mois: L'esprit propre de l'Ordre du Sacré­-Cœur doit être l'amour du prêtre. Surtout, que notre réparation ne soit pas basée sur un mépris. Aimons le cœur du prêtre, car c'est de là que doivent être animées toutes ses fonctions (CF V, 131).

Le P. Dehon parle assez fréquemment à ses novices de la réparation pour les prêtres, pour le peuple élu, pour les âmes consacrées (cf. index analytique au mot réparation). Mais ce n'est pas là la réparation unique et exclusive de la Congréga­tion du P. Dehon. La réparation, élément fondamental de la spiritualité dehonien­ne, est selon le Fondateur, universelle comme celle du Christ.

Remarquons comment le P. Fondateur aime fréquemment à exprimer la répa­ration sous cette forme de coopération à l'œuvre de la Rédemption. Cette idée é­tait déjà ancienne chez lui, car on la retrouve dans un sermon de 1875 (cf. AD. B/6, Sermons, cahier 6 pp. 53-59): Le Christ est la réparation parfaite. Soyons a­vec lui, en lui et par lui, les auxiliaires de la réparation. La justice l'exige de no­tre conscience, la charité la demande de notre cœur…

On a remarqué, à juste titre, que dans les écrits de Ste Marguerite-Marie, il est surtout question d'une réparation offerte à Dieu le Père en union avec le Christ­ Médiateur, plutôt que de consolations offertes au Christ souffrant (L. Janssens - Sens et valeur de la dévotion au S. Cœur… dans L'actualité d'un culte, p. 82, Til­burg 1957).

Dans la suite, le P. Fondateur devait exprimer d'une manière très discrète,no­tre solidarité avec nos frères, les prêtres et les religieux. Il reste cependant que le P. Falleur, 52 ans plus tard (X Chapitre à Louvain, 1932), signale au P. Philippe, dans une lettre personnelle, ce que le P. Fondateur disait, en 1880, du but intime de l'Œuvre. Prevue que cela l'avait frappé (cf. AD B/21, lot 9). Cette manière d'appuyer sur l'intention nous semble à l'expérience trop souvent formaliste et se satisfaire à bon compte. Il reste cependant que cette sollicitude pour tous nos frè­res besogneux peut déterminer un comportement très évangélique de sollicitude spirituelle et même matérielle (assistance aux prêtres malheureux, aux `pauvres' prêtres, disait le P. André) (cf. M. Denis, PPD, p. 22, note 1; p. 40 note 4).

En ces années (1879-1881) la grande confiance que le P. Dehon a dans les « révélations » de Sr Marie de St-Ignace, est évidente. Elle s'exprime plusieurs fois clairement, plus souvent par allusions ou indirectement (cf. Index analytique au mot Révélations de Sr Marie de St-Ignace): Notre-Seigneur veut nous conduire par une Providence miraculeuse (CF II, 2). Notre-Seigneur veut nous conduire constam­ment par des inspirations miraculeuses. Si on ne l'écoute pas, il nous rejettera (CF II, 3).

Quelquefois, rarement, le P. Dehon lit des fragments des `révélations' de Sr Marie de St-Ignace. On n'y trouve pas de manifestations d'exaltation ou de fana­tisme, mais une attitude de grande foi et de grande ferveur, le tout avec un grand esprit de discrétion: Le Père lit… des extraits, qui sont écoutés à genoux, de révé­lations instruisant les Oblats des dispositions demandées d'eux (3 mars 1880, CF 1, 69).

Dans la conférence du 23 avril 1880, le P. Dehon affirme: Notre vocation est certaine; elle est encouragée par voie hiérarchique et par une voie surnaturelle et mystique, qui nous en fournit des milliers de preuves (CF II, 13). Ici et plus sou­vent dans d'autres manuscrits (NHV et NQ), le P. Fondateur met toujours en pre­mière place l'approbation de Mgr Thibaudier, puis en second ou en troisième lieu, les lumières de Sœur Marie de St-Ignace.

Le P. Dehon fait allusion expressément à la défiance de Mgr Thibaudier au sujet de Sr Marie de St-Ignace. L'évêque, semble-t-il, voulait la transférer ailleurs. Le P. Dehon déclare: Sœur Marie-Ignace est notre plus ferme soutien (CF III,31). Prions, dit-il aux novices, pour qu'elle nous soit conservée. Il est cependant pleine­ment disposé à obéir, même si Mgr Thibaudier se trompait: Quoique Monseigneur décide, nous obéirons toujours et sa volonté sera toujours pour nous celle de No­tre-Seigneur (CF III, 30).

Nous savons que le P. Dehon avait quelque inclination pour les manifestations surnaturelles. Il manquait malheureusement aussi d'expérience et des connaissances de théologie spirituelle, nécessaires pour apprécier objectivement les faits `mystiques' qui se produisaient en Sœur Marie de St-Ignace, et pour ne pas confondre de sim­ples lumières d'oraison avec des révélations.

Toute l'époque, d'ailleurs, et en particulier le milieu des Servantes, était im­prégnée de mysticisme. Involontairement on exagérait à propos de phénomènes ex­traordinaires, qui pouvaient avoir quelque signification authentique, mais qui n'é­taient pas sans mélange ni ambiguïté.

Le consummatum est de 1883 eut le grand avantage de purifier l'Œuvre du P. Dehon de toutes ces incrustations et exaltations plus ou moins `mystiques'. Il la tira de l'influence excessive des Servantes, notamment de l'envahissante et bien intentionnée « Chère Mère ». Dans son zèle intempestif, celle-ci en arrivait à provo­quer les `révélations' de Sœur Marie de St-Ignace et à en réclamer énergiquement l'exécution. Il délivra l'Œuvre de la mégalomanie du P. Captier et du groupe de Poitiers autour de Mgr Gay. La Congrégation du P. Dehon reprit le sillon simple et humble de ses débuts, celui qui lui était tracé par l'Esprit. En cela, Mgr Thibau­dier avait pleinement raison (cf. NHV XV, 6-9.45; et VP: Le P. Dehon et Sœur Marie de St-Ignace, pp. 615-631).

On se tromperait grossièrement si l'on pensait que les conférences du P. De­hon se fondaient surtout sur les « révélations » de Sœur Marie de St-Ignace ou enco­re sur celles de S. Marguerite-Marie (à l'époque elle n'était que Bienheureuse et le P. Dehon la cite 13 fois).

Les conférences du P. Dehon aux novices sont riches de citations scripturaires, de l'Ancien et du Nouveau Testament, comme le montre l'index des références que nous avons mis en appendice.

Le P. Dehon interprète souvent l'Ecriture allégoriquement, mais ses instruc­tions sont toujours une nourriture solide, inspirée de la Parole de Dieu.

A l'occasion de l'entrée de nouveaux aspirants, des vêtures ou des professions, il choisit habituellement un psaume ou un autre passage de la Bible et le commen­te, avec des applications pratiques, en harmonie avec son goût de l'allégorie dans l'interprétation de la Parole de Dieu.

Le P. Dehon parle souvent à ses novices de la nécessité de se préparer à l'é­preuve ou au « consummatum est » qui frappera l'Œuvre. Ce sera un calice à boire, non en un jour, mais en trois mois ou peut-être même en six mois. Après l'épreu­ve, la Congrégation montrera sa vitalité et sa fécondité (2-4 avril 1880, CF I, 82. 86). Il recommande aux novices de ne pas se livrer à des discours décourageants en récréation à ce sujet (CF 1, 86).

La fréquence avec laquelle le P. Dehon parle à ses novices de se préparer à l'épreuve, démontre à l'évidence le climat suscité dans la jeune Congrégation par les « révélations » de Sœur Marie de St-Ignace (cf. CF III, 47).

Les lois de persécution contre les ordres religieux expliquent, outre l'actualité de la réparation (cf. CF III, 12), les allusions aux auteurs probables de la grande épreuve, à savoir le anticléricaux francs-maçons au gouvernement.

Le « consummatum est » cependant arriva pour le P. Dehon d'où il ne l'atten­dait pas. C'est de Rome que viendra la mort ainsi que la résurrection.

Dans la conférence du 12 mars 1880, le P. Dehon déclare: Nous sommes a­donnés à la vie contemplative beaucoup plus qua la vie active, qui ne sera jamais que l'accidentel dans notre vocation…. Et dans la vie contemplative Inous formons une Congrégation adoratrice (CF I, 74). C'est une affirmation à ne pas prendre au sens absolu.

Il faut avant tout apprécier globalement la vie, les écrits et les affirmations d'un Fondateur et en faire une exégèse objective et réelle. Par ailleurs, le charisme n'est pas toujours connu complètement, d'une manière explicite et dès le début, même par un Fondateur.

L'affirmation sur le caractère accidentel de la vie active se réfère aux premiè­res années de l'Institut du P. Dehon, à la vie au noviciat, à l'influence des Servan­tes et peut-être à l'activité excessive et aux œuvres trop nombreuses qui avaient rempli la vie de L. Dehon et provoqué en lui, encore prêtre diocésain, comme une crise de rejet et une forte aspiration à la vie contemplative.

Mais le P. Dehon est essentiellement un homme d'action qui fait passer con­templation et étude en action. En cela, le P. Freyd avait vu juste quand il lui dé­conseillait d'accepter un poste de professeur à l'université de Lille (cf. NHV XI, 8-10). Le P. Dehon n'aurait jamais été un homme d'étude, un chercheur, un grand professeur. Il aimait l'étude, oui, mais pour la faire passer en action. Il faut le di­re aussi de ses livres, qui n'ont rien de théorique, mais sont au service de la vie spirituelle ou sociale.

Il faut en dire autant de sa Congrégation, dont l'identité spirituelle est en fonction de son identité apostolique et missionnaire. Avec les années, le P.Dehon et ses religieux ont toujours vécu davantage en fonction de leur mission, en divers champs d'apostolat.

Cependant, déjà dans ses conférences à ses novices, le P. Dehon précise mieux sa pensée: Nous. Oblats, nous devons tout particulièrement garder le silence parce que notre vie contemplative au noviciat surtout, et dans les œuvres elle sera large­ment mêlée de vie contemplative (9 avril 1880, CF II, 2).

Il peut-être intéressant de voir le programme général des instructions du Père Fondateur durant le noviciat.

Les citations des pages précédentes auraient pu faire croire que le P. Fonda­teur parlait surtout de notre vocation propre. Il en parlait souvent, mais dans un cadre suivi de formation générale. Durant les 24 mois de noviciat du P. Falleur, on relève le programme suivant:

les béatitudes, les passions, les vertus (théologales et morales),

puis un petit traité de l'oraison. Ensuite les différentes actions et exercices de la journée. Il s'étend longuement sur la messe…

La deuxième année commence le 11 octobre 1880. Le chapitre des coulpes est inauguré aux vendredis. Le Père Jean parle des vœux de religion en s'étendant longuement sur l'obéissance, où il voit, en raison de l'Ecce venio de Jésus,le cœur même de toute immolation, de toute oblation. Le commentaire des Constitutions commence le 19 avril 1881. Le Père en prend occasion pour parler plus spéciale­ment du vœu d'immolation. C'est le 21 novembre 1881 que le novice Falleur de­vait émettre ses premiers vœux (cf. M. Denis, PPD, p. 46).

Ces conférences du P. Dehon, nous les publions spécialement pour les respon­sables de la formation, en particulier pour les Maîtres des novices et des scolasti­ques, pour les Directeurs spirituels. Ils pourront y trouver les arguments, les idées que le P. Dehon inculquait, les pratiques qu'il suggérait à ceux qui aspiraient à en­trer dans sa Congrégation. Ce sont des notes de conférences; ce ne sont pas des conférences toutes faites pour être données telles quelles. Elles donnent des sugges­tions et notamment décrivent la spiritualité des Oblats et en créent le climat.

Nous voyons, dit le P. Dehon, déjà des Congrégations vouées en partie au Cœur de Jésus; mais l'Ordre du Sacré-Cœur a pour caractère propre de vouer les cœurs des mem bres à la vie intérieure d'immolation, d'amour et de réparation… (10 décembre 1880, CF IV, 66).

Notre-Seigneur doit être le sujet le plus fréquent de nos méditations… Offrir toujours des actes d amour et d'immolation, voilà notre vocation… Vous voulez ré­parer? Mais avec quoi? … Le Cœur de Jésus, Jésus tout entier, mais surtout son Cœur; nous pouvons l'offrir à toute minute sans pouvoir épuiser le trésor,… l'of­frande est toujours agréée… Jésus demande que nous joignions notre offrande à la sienne (CF 111, 31-41).

Le P. Dehon parle souvent de l'amour, de la réparation et de l'immolation; mais l'âme de tout est l'oblation d'amour selon cette belle affirmation: Le cœur, comme symbole de la volonté et de l'amour, c'est tout l'homme (CF II, 56). Le centre de tous les cœurs, selon le P. Dehon, le cœur du monde entier, c'est le Cœur du Christ. Concluons avec ces paroles du P. Dehon: Chaque famille de saints a son caractère, son but surnaturel particulier, qui la conduit à la sainteté par l'en­thousiasme qu'il lui inspire… Pour nous le but surnaturel, pour lequel je voudrais vous donner un enthousiasme extrême, c'est la glorification du Cœur de Jésus, victime d'amour et de réparation. C'est là notre but tout spécial et à cela que

doit tendre toute notre vie (6.4.1881, CF V, 76)10).

G. Manzoni scj

(Traduit par A Bourgeois scj)

Notre méthode d'édition critique

Les Cahiers Falleur ne posent pas de problèmes spéciaux. Cependant nous voudrions donner un mot d'explication sur la méthode que nous suivons pour cette édition.

- Les chiffres indiqués en marge se réfèrent à la pagination du manuscrit original. - Le trait / marque la fin d'une page du manuscrit.

- On signale le cahier par le chiffre romain, en haut des pages.

- Le P. Falleur est assez irrégulier dans l'usage des majuscules et minuscules. On se confor­mera dans l'édition aux usages reçus.

- Le P. Falleur se préoccupe fort peu de certains signes comme les traits d'union, les accents. Ici encore nous suivons l'usage reçu en bonne orthographe.

- Les mots entre crochets [ ] sont ajoutés pour la clarté du texte.

- Dans les notes, les chiffres se réfèrent aux chiffres qui sont en haut et en marge des pages et se rapportent à la pagination des manuscrits.

- Parfois les dates des jours des manuscrits ne sont pas exactes. Nous les avons corrigée sans relever l'erreur.

- Nous devons un mot de merci à tous nos collaborateurs, spécialement au p. A. Vassena, pour la revision soignée des épreuves.

Abréviations

AD=Archives «Dehon»
B=Boite
c.a.d.=c'est-à-dire
CF=Cahiers Falleur
HC=Historia Congregationis
LC=Lettres Circulaires du p. Dehon
MS=Manuscrits
Nec.=Necrologium S.C.J. 1878-1978
NHV=Notes sur l'Histoire de ma Vie du p. Dehon
NQ=Notes Quotidiennes du p. Dehon
PPD=Projet du Père Dehon, par M. Denis
VP=Vita e Personalità di p. Dehon par H. Dorresteijn (Ed. italienne).
VPR=Vie édifiante du P. A. M. Rasset par le P. Dehon
SRSL=La Semaine Religieuse du diocèse de Soissons et Laon.

1)
Le Père Théodore Falleur (Stanislas en religion), né le 17.6.1857 à Effry (Aisne), entre chez les Oblats le 4.10.1879, prend l’habit le 21.11.1879 et fait profession le 21.11.1881. Il est or­donné prêtre à Soissons le 23.9.1882. Il remplace le Père Captier comme supérieur à Fayet en janvier 1883. Le 17.9.1886, il fait les vœux perpétuels avec le Père Dehon et cinq autres des premiers Pères. De 1880 à 1934, il est Econome Général pendant 16 ans, supérieur de la Mai­son du Sacré-Cœur à Saint-Quentin (1908-1913 et 19241929). Il meurt à Saint-Quentin le 1.5.1934. Toujours très uni au Père Dehon, son directeur spirituel, leur correspondance est a­bondante, aussi d’ailleurs en raison de ses charges (cf. RV, 1; Nec. 56; M. Denis, PPD, 69-72; 314316).
2)
Cf. Dehoniana 5, 1977 (Edition anglaise): Father Dehon as Master of novices (1879-1881) or the springtime of the Congregation (pp. 293-333).
3)
Le P. Captier était prêtre et il était aussi plus âgé que le P. Dehon, étant né le 28.1.1831 (cf. RV 2).
4)
Le P. Lamour pouvait succéder au P. Dehon comme Maître des novices. Il était déjà prêtre et avait presque le même âge que le P. Fondateur, étant né à Landrecies (Nord) le 29.8.1843. Nous savons que le P. Lamour, à l’époque qui nous intéresse, était chargé de l’Œuvre des sourds­-muets St-Médard à Soissons (NHV XIV, 63).
5)
Le P. Dehon pensait que l’affiliation au Tiers-Ordre de Saint-François donnait aux vœux des premiers religieux un caractère ecclésial plus marqué… Le cordon rappelait l’habit de Saint Fran­çois (P. Denis, a.c.).
6)
Cf. NHV XIII, 100-101. Dans ses mémoires écrites plusieurs années plus tard, le P. Dehon affirme que l’acquisition eut lieu au mois d’août. Les Cahiers Falleur sont plus dignes de foi.
7)
Notons que le 2.2.1883 fut ouverte la maison de Sittard (Hollande), comme noviciat et éco­le apostolique internationale (HC I, 2).
8)
Qu’on veuille bien remarquer cette équivalence: l’immolation ou l’offrande.
9)
Evidemment chez le Père Fondateur, comme chez tous ses contemporains, on retrouve une certaine conception de la justice divine qui demanderait d’amples explications. Mais chez lui, on peut remarquer que l’immolation n’est guère qu’une manière de parler d’oblation. Toute son œuvre écrite témoigne en faveur de cette question: Si Dieu était d’abord un dominateur, un a­gressif et un vengeur, serait-il encore le bon Dieu? Non, Dieu est un Père et son amour est la clef du mystère de notre destin (Philippe de la Trinité; Dieu de colère ou Dieu d’amour? Paris 1964), (cf. M. Denis, PPD, 20.23).
10)
Pour une étude plus complète et plus analytique des conférences du P. Dehon aux novices (cahiers Falleur) cf. M. Denis: Le Projet du P. Dehon, pp. 8-46 (édit. française) et pp. 10-57 (édit. italienne).
  • cflcfl-0000-0000.txt
  • ostatnio zmienione: 2022/06/23 21:39
  • przez 127.0.0.1