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CAHIERS FALLEUR

IV

CONFERENCES ET SERMONS

13 août 1880 - 17 décembre 1880

Réception à la vêture du P. Berchmans1

Laudate pueri Dominum (Ps 112,1)

C'est un des côtés les plus intéressants de la vie du Sauveur que les marques de son affection pour les enfants: il aime à les voir près de Lui et il les convoque à ses bénédictions: Sinite parvulos venire ad me (Mc 10,14). Nous en sentons encore à son entrée triomphale à Jérusalem parmi la foule qui l'acclamait, et par enfants nous pouvons comprendre d'après le sens plus large jusqu'aux adolescents et c'est un de ceux-là qui s'adresse au Sauveur pour s'instruire de la vie parfaite.

Non content de les appeler à ses bénédictions et à ses joies, il ne les écarte pas de l'apostolat et nous voyons Jean encore adolescent prendre rang parmi les Apôtres et même devenir le préféré: c'est qu'il avait encore ce quelque chose de l'enfance qui plaît, ce quelque chose qui est même nécessaire pour le ciel: Nisi efficiamini sicut parvuli… (Mt 18,3).

Mais il semble que là devaient se borner les affections du Seigneur. Pouvait-il appeler à la souffrance des innocents qui ne connaissaient pas le mal? et cepen­dant 2 ce sont des enfants qui sont les premiers de ces glorieux troupes de martyrs qui vont suivre Jésus au ciel. Après les Ss. Innocents il y a eu bien des enfants martyrs ou appelés prématurément au ciel et l'on peut bien dire à l'Eglise triom­phante: Senes cum junioribus, laudate… (Ps 148,12).

Nous en voyons encore appelés à la sainteté dans le cours des siècles et au­jourd'hui nous célébrons la fête de l'un d'entre eux, accueilli par l'Eglise comme le Sauveur accueillait ceux de son temps, car l'Eglise suivant le divin Esprit de son Fondateur a toujours admis à la pratique de la vie parfaite ces adolescents de 16, 17 et 18 ans: nous en avons d'admirables exemples dans les St. Louis de Gonza­gue et les Stanislas Kostka.

Jésus a montré en eux les privilégiés de son Cœur (et je puis dire aujour­d'hui sans présomption que maintenant encore, quand un enfant est ainsi appelé, ce n'est pas le moins aimé). (Ceci a été dit de manière à établir que le nouveau Père était l'objet d'une affection toute spéciale de Notre-Seigneur).

Pour notre édification et l'instruction de celui qui va être admis dans un ins­tant, je tiens à vous faire remarquer les deux côtés saillants de la vie du Bienheu­reux dont le nom sera imposé au nouveau membre. 3

La simplicité et la tendresse.

La simplicité: il l'a montrée en tout, obéissant comme un enfant sans s'occu­per de ce qui se passe autour de lui et recevant tout comme les ordres de Dieu son Père.

Sa tendresse filiale avait pris une direction bien douce et le portait à l'amour de la Ste Vierge. Il a toujours eu pour Elle une tendre affection et l'histoire de sa vie nous en fournit assez de preuves.

Un titre de plus à notre affection: c'est qu'il appartenait à cette Compagnie de Jésus à qui nous devons beaucoup et qui a sur nous des droits de paternité, car bien que notre patron soit principalement St. François à qui nous sommes réu­nis par l'esprit de pénitence et de réparation et par la règle fondamentale, nous re­connaissons aussi pour père St Ignace dont nous avons emprunté les Constitutions et nous voyons des frères ainsi dans ses fils que Jésus a choisis pour être les hé­rauts de son Cœur, comme il nous a destinés à en devenir aussi les Apôtres dans la mesure qu'il le voudra.

Le Bienheureux Berchmans, j'ose dire, appartient presque autant à notre Con­grégation: car sa vie et sa mort en font plutôt un ami caché de Jésus qu'un sol­dat d'avant-poste. 4

Aujourd'hui il a audience particulière au ciel pour parler des choses du ciel comme de celles de la terre, afin de pouvoir se faire comprendre: eh bien, il me semble qu'il y demandera deux choses: d'abord la grâce que l'épreuve de ses frères soit une purification plutôt qu'une destruction, ensuite que Dieu prenne en pitié cette petite Compagnie naissante composée de misérables et qui a besoin que des cœurs plus généreux l'entraînent dans la voie que Jésus veut lui voir suivre pour consoler son Cœur. 5

Sur l'Assomption: (Audivimus in Ephrata… in loco ubi steterunt pedes ejus (Ps 131, 6-7)1) au paradis.

Quae est ista quae ascendit de deserto (Ct 8,5).

Dans cette glorieuse fête de Marie il y a comme deux scènes, deux parties: une céleste «ascendit», une terrestre «de deserto».

Au devant de Marie s'avancent toutes les gloires du ciel, et elle les surpasse toutes: tous ceux qui ont été glorifiés dans celles de leurs facultés par lesquelles ils ont plus mérité et Elle est glorifiée dans toutes ses facultés.

Elle est la reine de ceux qui portent les palmes du martyre conquises par les souffrances et les tortures ou par leur équivalent, les souffrances du corps.

[C'est] la Reine des Apôtres et des Docteurs, et Elle est assise sur un trône plus é­levé que leurs 12 trônes. On peut dire d'Elle: Sedes ad dexteram Dei (Mc 16,19), à la droite de Dieu son Fils comme le Fils à la droite de Dieu son Père, et en ce jour anniversaire de son Assomption c'est comme un redoublement d'amour, de louange de tous les bienheureux qui jettent sur leur Reine un regard d'admiration pour toutes les grâces dont elle est comblée. 6

Mais il y a une seconde scène le désert:le désert du monde, le désert des âmes. Marie le parcourt et y cherche une oasis, car il y a des oasis dans ce désert d'aridité et de sécheresse: ces oasis, ce sont les âmes qui lui donnent un cœur plein d'amour et de louange, les âmes consacrées, les communautés qui la servent et l'imitent. Là elle s'arrête et cherche de l'ombre, de l'eau, des fruits, et si elle ne les trouve pas, surtout dans les communautés vouées à l'amour et à la réparation, ne pronon­cera-t-elle pas la sentence du figuier stérile? Ces âmes sans fruit ne seront-elles pas coupées et rejetées?

Elle cherche du repos, dans l'amour et la réparation, dans les cœurs qui lui sont bien ouverts. Le lui refuserons-nous? Aujourd'hui dans cette scène céleste dont nous parlions figure un groupe de nos sœurs, et dans ce parcours de Marie dans le désert elles l'amèneront ici comme à une oasis?.2) Voulez-vous qu'elle s'y trouve bien? Oui, vous le voulez. Eh bien, disposez vos cœurs à lui donner ce repos qu'elle cherche dans la consolation et la réparation. Ne donnez pas au corps cette relâche dangereuse qu'on 7 lui accorde autre part à l'occasion même de cette fête et réparez par votre vigilance sur ce point le laisser-aller des autres âmes. Offrez le Cœur de Marie avec toutes ses grandeurs au Cœur de Jésus et le Cœur de Jésus à la Sainte Trinité, là où doivent aboutir tous nos hommages.

Bonté maternelle de Marie pour les Apôtres et les disciples

Il ne faut cependant pas passer l'octave de l'Assomption sans parler de Marie. C'est un besoin pressant pour nous tous de louer cette bonne Mère et nous nous sentons tous du zèle pour Elle.

Un des moyens d'entretenir et d'augmenter ce zèle c'est de méditer ensem­ble ou plutôt de contempler quelque côté de ce sujet qui est trop vaste pour être embrassé tout entier.

Je veux vous entretenir de la bonté de Marie pour les Apôtres et comme mon but est d'attirer sa bonté sur vous, je veux louer, avec [vous] louer cette bonté, car les Saints nous apprennent que c'est un moyen d'obtenir la miséricorde du Cœur de Jésus et de Marie que de louer et de bénir leur miséricorde.

Marie aimant extrêmement Jésus, aimait de même tout ce qui touchait à Jé­sus, veillant avec une sollicitude 8 toute maternelle sur ce qui le concernait.

Nous voyons de là à priori qu'elle aimait beaucoup les Apôtres que Jésus des­tinait à être d'autres lui-même.

L'Evangile, du reste, nous confirme dans cette pensée. Aux noces de Cana,où Jésus se trouvait au milieu de ses disciples, Marie s'aperçoit que le vin manque: c'était une chose qui n'était nécessaire que par convenance; qu'importe, le cœur de cette bonne Mère s'en émeut et la vivacité de ses désirs obtient plus qu'un mi­racle, puisqu'elle avance en quelque sorte le moment de Rédemption. La réponse froide en apparence qui fut un gain pour son humilité ne la déconcerte pas; elle était faite pour nous instruire.

Plus tard, à Capharnaüm où Notre-Seigneur avait son chez lui et où il demeu­rait tantôt chez sa Mère dans un petit séjour intime tantôt chez un riche de ses disciples, elle eut assurément l'occasion de donner aux Apôtres des marques de sa bonté, soit en leur redisant les entretiens de son Fils, soit en leur racontant les dé­tails de sa vie. Elle pourvoyait aussi à leurs besoins matériels et elle a dû veiller à la bonne tenue de leurs robes et de leurs manteaux. Elle se faisait mendiante près de Lazare et de ses sœurs 9 pour subvenir aux nécessités de son Fils, et Jésus qui avait ordinairement un certain nombre de disciples autour de Lui avait recours pour cela à quelques disciples riches comme Lazare et Joseph d'Arimathée.

Marie suivant Jésus se trouvait avec les Apôtres aux diverses prédications de Jésus; elle se trouvait avec eux à la Cène; réconforta Jean au sortir de Gethsémani et se trouva avec lui au pied du Calvaire où l'Evangéliste la signale: Stabat… (cf. Jn 19,25); au moment de l'Ascension, puis au Cénacle, elle est encore au milieu d'eux les encourageant et priant pour eux; plus quand ils sont dispersés, son Cœur les accompagne et travaille avec eux à la diffusion de l'Evangile avec une efficacité supérieure à la leur; l'Eglise nous autorise à le croire, car elle l'appelle leur Reine: Regina Apostolorum.

Enfin elle demeure avec St Jean et St Jean avec elle pendant le temps qu'il lui faut encore passer sur la terre.

Elle est de même avec nous; et si notre mission est moins vaste, Marie ne nous en aime pas moins, car nous travaillons aussi pour son Fils, nous participons à son sacerdoce et nous vivons dans la religion avec une mission toute spécialement chère à son Cœur. 10

Comme les Apôtres nous avons aussi la tête bien dure, mais Marie est prête à nous aider et si notre confiance répondait à sa bonté, il n'est pas de sanctifica­tion, d'œuvre, de mission qui ne nous fût possible. Songeons donc à l'invoquer et renouvelons-nous dans les sentiments de foi, d'espérance et d'amour pour cette bonne mère.

De la régularité en général et de l’examen particulier et adoration

Nous avons déjà montré toute l'importance de l'exactitude et de la fidélité à la règle en disant que là est la volonté de Dieu et avec sa volonté, son Cœur, ses grâces, ses bénédictions. Mais l'importance de la fidélité à la règle est si grande que nous allons en méditer encore quelques motifs.

Notre-Seigneur insiste sur ce point et y revient fréquemment: Sint lumbi ve­stri praecincti et lucernae ardentes in manibus vestris (Lc 12,35).

Qu'est-ce que cela veut dire sinon qu'il faut être à ce que Dieu veut avec dis­cernement et activité comme le signifie la lampe et la ceinture, et Notre-Seigneur le confirme en proclamant heureux celui que le Maître trouvera ainsi vigilant: Beatus ille servus.. (Mt 24,46).

La parabole des vierges folles et des vierges sages a le même sens; celle du festin nuptial du fils du roi y a trait également; celle des cinq talents surtout a la même signification. 11

Et Notre-Seigneur demande cette exactitude et cette fidélité avec des promesses généreuses comme avec des menaces terribles: Euge serve boue… courage, quia super pauca… (Mt 25,21).

La moindre chose faite avec exactitude attire de sa part un salut, un encou­ragement. Si nous étions intelligents, nous ne manquerions aucune occasion de re­cevoir ces précieux saluts, car à chaque exercice si petit qu'il soit, il est là et nous dit: courage: euge…; mais il ne le dit pas si pendant ce temps nous sommes à dormir ou à quelque lecture de fantaisie; alors il a des menaces: il ôtera le talent à celui qui l'enfouit, il le jettera dans les ténèbres extérieures. Il y va de la perte de la vocation pour quelques-uns s'ils s'obstinent dans leurs irrégularités, et de leur salut même car il est certain qu'on ne peut faire que très difficilement son salut hors de sa vocation; il y va de l'intérêt de l'Œuvre à laquelle ils font tort en re­culant son établissement, de l'intérêt des âmes, du monde, du Cœur de Jésus à qui leur liberté oppose un obstacle que son amour ne peut franchir. Qu'ils pren­nent garde car sa miséricorde tout en dominant sa justice ne la détruit pas et il ne peut se dépouiller de ses droits.

L'Eglise a la même sollicitude pour la règle religieuse. 12 On pourrait le conclure à priori, mais on la voit assez manifester par toutes les bénédictions, les fa­veurs qu'elle témoigne aux Congrégations par les bulles, les décrets etc., les lois canoniques qui sont les preuves et la voix de cette sollicitude. Les Saints qui ont reçu du Saint-Esprit une assistance particulière pour en parler, conseillent de diri­ger son attrait vers les Congrégations où la règle est en vigueur. Ainsi tout nous invite à la régularité: la parole de Notre-Seigneur, l'esprit de l'Eglise, la doctrine des Saints, la raison, la règle. Mettons-nous-y donc résolument.

Un exercice qui contribue beaucoup à la régularité, c'est l'examen particulier. Il faut le faire d'abord sur la matière qui est lue, puis le mode de présence de Dieu qu'on a déterminé le matin, enfin sur la vertu de semaine qui a été détermi­née en confession et à laquelle on a pensé au lever. Cette vertu est une vertu dif­ficile suivant les individus dès le commencement, alors que le défaut dominant en­trave trop le progrès à faire; mais ensuite la matière de l'examen sera de préféren­ce une des vertus de notre vocation: l'amour ou la réparation, mais il ne le faut jamais négliger et quelquefois je demanderai après la conférence à l'un ou l'autre quel sujet de présence de Dieu il a 13 pris le matin et sa vertu de semaine. S'il ne répond pas, il est passible d'une pénitence. Un peu avant l'Angélus on détermine sa présence de Dieu pour l'après-midi. C'est alors au Calvaire et l'on peut prendre soit une des 7 paroles de Notre-Seigneur sur la Croix, soit quelque autre circons­tance, soit même une des stations du Chemin de la Croix et des incidents depuis l'arrestation de Jésus.

Il y a encore l'adoration: la manière de la faire diffère selon les personnes mais il y faudra s'exercer de préférence aux actes des vertus de notre vocation. On s'y aidera aussi des visites au saint Sacrement. On la fera toujours suivre de la visite à la ste Vierge pour laquelle on pourra s'aider des prières de ste Gertrude ou de quelque autre livre qui en traite.

De grâce, soyons réguliers et exacts aux exercices, non seulement de cette présence de corps qui est l'exactitude des pharisiens, mais dans les dispositions où Notre-Seigneur veut nous y trouver pour nous donner ses grâces.

Observation. La psalmodie de l'Office tend à se changer en récitation privée par la trop grande précipitation avec laquelle elle se fait et qui tient à ce que le premier prenant vite, les autres se hâtent à son exemple. 14

De l’exactitude et de la présence de Dieu aux exercices

Les exercices de l'après-midi étant la reproduction de ceux du matin, il se trouve que les dispositions à y apporter se trouvent indiquées.

Aujourd'hui encore deux observations générales sur les exercices.

1°. Y être exact. L'exactitude tient à la vertu de diligence, vertu extrêmement précieuse qui appartient elle-même au groupe de la vertu de force. L'exactitude est une condition de grâce: je soutiens qu'en manquant un 10e ou 20e de l'exer­cice vous perdez la moitié de grâces qui vous y sont destinées. Quoique Notre-Sei­gneur ne se conduise pas comme les hommes, d'après les impressions il n'en est pas moins vrai qu'il en éprouve une impression fâcheuse qui se base non sur les apparences, mais sur la vérité même qu'il découvre au fond du cœur.

L'inexactitude fait partie de la tiédeur et la tiédeur, vous le savez, provoque le dégoût de Notre-Seigneur; c'est donc quelque chose de semblable qu'éprouve Jésus à la vue de l'inexactitude. Est-il étonnant qu'il diminue ses grâces pour ce­la? Un chambellan qui arriverait cinq minutes en retard perdrait certainement plus de la moitié de la faveur que lui aurait acquis toute une heure passée près du prince.

L'exactitude d'ailleurs est une marque d'amour. 15 C'est de la générosité montrée au divin Maître que d'obéir à l'instant et de se rendre où il veut: Hilares da­tores diligit Deus (cf. 2 Co 9,7): se donner avec promptitude, avec joie, cela atti­re la grâce et marque l'amour. C'est pourquoi les Saints, les saints novices surtout ont poussé l'exactitude jusqu'au scrupule, entendu dans le bon sens; il n'est pas une des vies de St Louis de Gonzague, de Berchmans, de St Stanislas où l'on ne rappelle qu'ils allaient jusqu'à laisser une lettre à demi formée, un mot à moitié prononcé, pour se rendre au signal de la règle. Je ne sais ce qu'il en est à la fin de l'étude, n'y étant pas, mais il y a un point que j'ai déjà rappelé et qu'on a ou­blié; c'est que la récréation se termine au coup de cloche: il n'y a plus trois mi­nutes pour causer, mais pour prendre ses petites précautions et pour les allers et venues. Cela s'observe même dans les collèges et dans les séminaires.

2°. L'exercice de la présence de Dieu. Retenez bien que dans tous les avis que je puis vous donner dans une année, celui-ci est un des plus importants: bien établir le matin et bien suivre sa présence de Dieu. Il y a plusieurs présences de Dieu: les auteurs spirituels 16 l'appellent aussi union à Dieu. `Union' dit plus, mais `présence' est plus employé. Il y a d'ailleurs la présence pour tout le monde: tout le monde est en présence de Dieu; le démon et les damnés eux-mêmes et nous aussi y sommes pour une éternité; mais nous parlons ici de la présence d'union par la pensée ou l'imagination fréquemment portée vers son Dieu.

Il y a une présence qui est plutôt un repos aux pieds de Notre- Seigneur, com­me Madeleine à Béthanie: l'âme cessant ses opérations se tient calme aux pieds de Jésus, contente de le considérer sous l'aspect sous lequel elle se l'est représenté.

Il y a la présence plus active qui produit des actes différents, suivant ses dif­férents exercices et les pensées différentes qui s'y présentent, mais toujours aux pieds de Jésus tel qu'on se l'est représenté.

Quelques-uns se le représentent par la pensée se plaçant en face de l'Etre di­vin.

Mais pour vous tous en général, la présence de Dieu que je vous conseille est celle qui consiste à se représenter son humanité dans une circonstance qu'il vous est libre de déterminer vous-même trois fois le jour: le matin dès le lever choisis­sant depuis sa naissance jusqu'à [sa] Passion; à la fin de l'examen particulier, de­puis son arrestation jusqu'à sa mort; vers l'Angélus du soir, pendant son agonie à Gethsémani. 17

Le grand, l'immense avantage de cette présence de Dieu, si prisée par tous les maîtres de la vie spirituelle, si essentielle à la perfection, c'est de permettre de re­tomber toujours sur ses pieds quelque imprévu qui survienne: tout de suite on se trouve devant Jésus à la moindre alerte. Aussi je vous engage fort à la pratiquer continuellement et en tout, à vous rendre Dieu présent en tout, en vos confrères, dans les événements, dans vos supérieurs où il est non pas, il est vrai, d'une pré­sence substantielle mais d'une présence par représentation et beaucoup plus certai­nement que vous ne le pensez. Accoutumez-vous à le voir en tout.

Il est cependant une occasion où cette présence ordinaire de Dieu ne suffit pas: c'est quand on se sent emporté tout à coup par une passion. Les passions font comme un entraînement et pour celui qui les observe en son âme, il y a un phénomène physiologique bien curieux à étudier. Que faire quand on la sent ain­si monter? Comme un fleuve qui arrive avec impétuosité et qui va renverser la demeure qui se trouve sur son passage. On peut l'arrêter en construisant une di­gue solide et élevée ou un réservoir immense qui recevrait ses eaux, mais cela de­manderait pas mal de temps; 18 un moyen beaucoup plus expéditif c'est de creuser un petit ruisseau qui fasse dériver ses eaux sur le côté et toute l'impétuosité se trouve ainsi détournée. De même pour la passion: si vous cherchez des motifs pour la combattre en face, si vous ne vous appuyez que sur votre présence ordi­naire de Dieu, vous ne réussirez pas à arrêter son élan, il faut changer son objet, et laissez-lui son impétuosité, et vous aurez trouvé une occasion de grand mérite en même temps que joué un bon tour au démon qui est souvent,pour sa part, dans le soulèvement de la passion.

Prenons par exemple la passion de l'amour: elle se porte à un objet défen­du à quelque titre que ce soit; laissez-lui son ardeur, mais dirigez-la sur Notre­-Seigneur que vous avez mille motifs d'aimer. De même pour la haine qui engen­dre l'aversion, l'audace ou la tristesse; donnez-lui pour aliment telle ou telle cir­constance de votre vie ou vous avez le plus offensé Dieu et que vous avez bien souvent regretté amèrement par considération de Notre-Seigneur.

Ce n'est plus le moment de chercher à se maintenir dans la paix, c'est le Mo­ment du combat, faisons la guerre et ne battons pas nos amis mais nos ennemis; cette tactique est le résumé 19 du `combat spirituel' que St François de Sales avait toujours avec lui et qui malgré ces conseils de guerre ne lui en a pas moins don­né ce caractère plein de douceur que nous admirons en lui.3)

De l’intention dans les actes

A la pratique générale de la présence de Dieu qui consiste à se représenter Jésus dans une de ses activités ou de ses paroles, il faut en joindre une autre tou­te aussi importante, celle de la direction ou intention de nos actes. Autrefois on aurait dit `direction', aujourd'hui `intention' est plus employée.

Cette pratique capitale nous est enseignée par Notre-Seigneur lui-même et l'É­criture nous en signale bien des exemples.

Quand il a été sur le point de commencer la Rédemption, il a formulé son in­tention: Tunc dixi: ecce venio…. ut faciam… (He 10,7), et il est certain qu'il l'a renouvelé avant chacun de ses actes.

L'Évangile rappelle bien souvent le renouvellement qu'il en fait et l'Église nous autorise à le croire par la prière qui précède le saint Office: In unione illius divi­nae intentionis qua ipse in terris laudes Deo persolvisti. 20

Nous aussi, il faut avoir une intention, il faut offrir d'abord au commencement de chaque journée. Nous avons vu qu'il y a deux choses très simples à faire dès le lever:

1° se mettre en la présence de Dieu, c'est-à-dire se le représenter dans une attitu­de ou une parole dont le choix est libre mais qu'il faudrait se faire déterminer si cette liberté conduisait p.ex. à l'inaction, et renouveler cette représentation au com­mencement de chaque acte principal et cent fois le jour.

2° Jeter un regard sur la vertu de semaine, regard qui est plutôt un examen de prévoyance qu'une réparation et qui consiste à se dire: j'aurai aujourd'hui telle et telle occasion de pratiquer cette vertu.

Après ces deux choses on peut diriger son intention et la développer. Notre­-Seigneur ne s'est pas contenté de dire: Ecce venio, ni même: Ecce venio… ut fa­ciam, Deus, voluntatem tuam (He 10,7); mais il a exprimé les quatre fins du sa­crifice, fins qui d'ailleurs étaient si nettement figurées dans les différents sacrifices de l'ancienne loi en prévision de l'holocauste parfait que lui-même devait accom­plir.

Le développement de cette intention générale de la journée peut se faire aus­si à l'oraison ou pendant la sainte Messe dont les fins sont les mêmes et où l'of­frande, l'intention ou direction tient une si large place et ceci peut aider dans ces exercices ceux qui se trouvent incapables de s'y occuper d'ailleurs. On peut enco­re se servir pour le développement de cette intention de la prière qui se récite a­vant Matines et l'on est sûr de plaire 21 à Notre-Seigneur. Du reste pour cette intention il suffit d'un double regard d'abord sur Dieu:

Il est parfait, donc digne de louanges,

il est bon, il faut l'aimer par reconnaissance,

il est offensé, il faut réparer,

il est miséricordieux, il faut demander.

Ensuite sur nous-mêmes: misérables que nous sommes, nous n'avons droit qu'à l'humiliation, l'anéantissement, le mépris et la haine.

Voilà pourquoi il faut offrir.

Mais avec quoi? En union avec le Sacré-Cœur de Jésus, enchâsser notre pau­vre journée comme une petite pierre dans l'or des mérites de Notre-Seigneur; c'est ­là le principal, mais il [ne] faut pas négliger les secondaires, et [s']unir aussi au Cœur de Marie, de tous les saints de l'Eglise triomphante ou militante; c'est donc un acte de communion des saints qui donne à notre journée tout son prix.

Cette offrande est formulée mais insuffisamment dans la prière du matin où on l'offre au Cœur de Jésus et [à] la sainte Vierge. N'oublions pas après l'avoir offert à Jésus de l'offrir à la ste Vierge par un sentiment de filial respect et hon­neur.

En résumé, il y a donc à offrir sa journée en union avec Jésus, Marie et tous les saints et les âmes consacrées pour louange, action de grâces, réparation et de­mande, et comme acte de mépris et de haine de soi. 22

Mais à l'intention générale il faut joindre l'intention spéciale, l'intention avant chaque acte et il ne suffit de se renouveler avant chaque acte dans la présence de Dieu. Nous avons vu quelles étaient les vertus à pratiquer pendant chacun de nos actes, que notre intention avant chaque acte soit de nous rappeler à la pratique de ces vertus et qu'elle consiste à en demander la grâce, p.ex. le repas: «Mon Dieu, je vais prendre mon repas, mes péchés m'ont mérité toute autre chose; cependant votre Providence veut bien me donner cela; donnez-moi d'y nourrir mon esprit et d'y pratiquer la charité et la mortification».

De même pour les autres actes comme la récréation et le sommeil qui peu­vent fournir une occasion de péchés.

Ceci ne demande pas beaucoup de temps: pendant qu'on va à son banc et qu'on passe d'un lieu à un autre on le peut très bien.

Durant les 9 jours qui précèdent la fête de la Nativité [de la ste Vierge] nous allons faire une neuvaine à une triple intention:

1° pour racheter toutes nos fautes de ces derniers temps,

2° pour opposer un peu de réparation au débordement d'offenses que le relâche­ment des vacances produit partout, même chez les âmes consacrées,

3° pour obtenir de la sainte Vierge une augmentation de notre confiance filiale pour Elle.

On récitera à l'exercice de 3 heures les psaumes de la pénitence 23 et les litanies des Saints. Il y a dans cette pratique une efficacité réelle dont ceux qui sont tentés pourraient souvent faire une utile expérience s'ils en faisaient usage.

On pourra demander à faire en outre quelque mortification corporelle.

Nécessité reconnue de la réparation par les prêtres

Pour nous convaincre une fois de plus que l'Esprit qui souffle ici est bien l'esprit qui inspire l'Eglise, lisons aujourd'hui quelques pages des Etudes Ecclésiasti­ques. Ces pages placées comme un exorde solennel en tête du dernier numéro ont été écrites à Paray-le-Monial au retour d'un pèlerinage de Rome.

«Un cataclysme universel est sur le point de bouleverser la société; ne pas le reconnaître serait faire preuve d'un optimisme aveugle. Les horreurs de la Commu­ne se renouvelleront un jour ou l'autre sur une échelle bien plus vaste. L'Eglise ne périra pas, car elle a les promesses de Jésus-Christ, mais bien des âmes peuvent se perdre pour l'éternité. Il faut que la justice divine soit satisfaite ou par des fléaux qu'elle impose ou par l'expiation et la pénitence volontaire de la part des hommes. Prêtres du Seigneur, c'est vous qui tenez entre vos mains 24 le Salut de la société en péril… l'offrande de l'hostie sainte, voilà l'expiation souveraine… c'est la sainte Messe qui conserve le monde… comment se fait-il qu'avec l'offrande multipliée et continuelle de l'hostie de propitiation la colère de Dieu ne soit point suffisam­ment apaisée? Peut-être le st. Sacrifice n'est pas offert assez spécialement dans u­ne intention d'expier et de réparer, et d'autre part il n'est pas accompagné toujours et partout de dispositions assez parfaites de la part du prêtre lui-même qui dès lors provoque une nouvelle malédiction.

Il conviendrait donc d'abord de multiplier les messes réparatrices … ensuite il serait à souhaiter [qu'il] se disposât à célébrer ces messes réparatrices par une revue sérieuse sur lui-même… où il examinerait le sacrifice spécial que Jésus-Christ demande rigoureusement ou désire simplement… pour l'unir plus étroitement à son Cœur sacré au saint autel…

C'est qu'en effet… le prêtre doit être médiateur et victime avec Jésus-Christ.. il doit par son immolation personnelle et ses sacrifices de chaque jour accomplir particulièrement ce qui manque à la passion du Sauveur.

La Providence… dans son cours ordinaire, frappe… le peuple coupable là où les Moïses manquent pour prier sur la montagne ou quand cédant à la lassitude ils laissent tomber leurs bras, au lieu de les laisser constamment élevés… par la gé­nérosité persévérante du sacrifice. 25

Les Moïses de la nouvelle loi, les prêtres de nos jours, sembleraient donc être en défaut puisque la colère du Seigneur est prête à déborder…

C'est ce que nous donne à entendre la voix divine parlant de nos jours tan­tôt par l'organe mystérieux de plusieurs âmes privilégiées toutes unanimes à ce sujet; tantôt solennellement par les plaintes expresses de la très sainte Vierge pleu­rant à La Salette; et enfin ouvertement et de la manière la plus authentique par le Chef vénéré de l'Eglise. Pie IX n'a cessé surtout dans les dernières années de son Pontificat de réveiller à ce propos l'attention de la tribu sacerdotale. Son di­gne successeur Léon XIII dans son allocution du 14 décembre 1879 a principale­ment insisté sur ce point capital…

Il s'ensuit que si tout prêtre est toujours tenu par état à s'appliquer inces­samment au travail de sa sanctification personnelle, les circonstances critiques du moment lui en font une obligation plus stricte et plus forte et demandent de sa part un effort plus qu'ordinaire de générosité et de dévouement.

Au reste cette générosité et ce dévouement devront même s'élever jusqu'à l'héroïsme du martyre dans un avenir prochain selon bien des probabilités au mois pour certains pays (France et Italie). 26

Dès lors il est bon d'être prêt et avec le secours de la grâce d'accepter d'avance son sacrifice dans des dispositions propres à le rendre abondamment méritoire devant Dieu pour soi et pour l'Eglise.

C'est au prêtre à se dire: Bonus pastor animam suam dat.. (Jn 10,11) et en­core: Sine sanguinis effusione non fit remissio… (He 9,22). Ne dû t-il pas être une des victimes marquées dans les décrets éternels, il n'en aurait pas moins le mérite précieux du sacrifice et de l'expiation devant Dieu qui couronne la disposition sin­cère du cœur, l'acceptation anticipée de l'immolation sanglante aussi bien que son accomplissement réel.

… Si ces belles dispositions se rencontraient miraculeusement dans l'âme de chaque prêtre de l'Eglise catholique en ce moment au degré de perfection que l'on constate chez tous en ce qui concerne la foi et l'union de croyance avec le souverain Pontife, s'il y avait un pareil degré de sacrifice d'amour pour Notre-Sei­gneur à l'autel, … bientôt le ciel serait apaisé…

A chacun de travailler à la réalisation de ce bonheur. De nos jours plus que jamais des grâces extraordinaires sont en réserve dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie pour les prêtres de bonne volonté. Des âmes inconnues du monde sollici­tent depuis longtemps ces grâces miraculeuses de sanctification spéciale 27 pour le clergé et leurs sacrifices et leurs immolations unis à leurs soupirs ardents et à leurs incessantes prières ont déjà accumulé des trésors magnifiques pour cette transfor­mation destinée à reproduire les Curés d'Ars et les Vincent de Paul.

… Le rendez-vous pour tous est au saint autel. O prêtres, vous dit-il, vous, mes amis, vous mes coopérateurs élus, sitio, j'ai soif de l'honneur de mon Père… soif du bonheur des âmes; empressez-vous de rafraîchir un peu ma soif dévorante, en versant dans le calice que je vous confie les larmes de vos expiations et de vos réparations saintes… Priez, humiliez-vous, immolez-vous».

A cette lecture le Père [Jean] a ajouté quelques commentaires pour indiquer la saisissante similitude de notre œuvre avec ces aspirations. Ces Moïses, dit-il, c'est nous plus que tous les autres, car il faut aussi des Josués dans la plaine et quand il est parlé du martyre probable, le Père [Jean] exprime un Deo gratias qui montre bien ses désirs. Il nous invite à montrer cette bonne volonté à qui les Cœurs de Jésus et de Marie réservent les grâces extraordinaires conquises par des âmes inconnues: c'est bien pour nous que les âmes là haut offrent chaque jour leurs immolations. 28 Que de grâces si notre tiédeur n'y met obstacle.

Dans ces aspirations se retrouve toute notre vocation. Consacrer par un vœu for­mel. cette manière de réparer par la sainte Messe et par l'esprit d'immolation, communiqué à chacun de nos actes. Et voilà notre vocation: abandon total, résigna­tion absolue. renoncement continuel de nous-mêmes entre les mains de Dieu. Voi­là comment nous y devons répondre pour acquérir ces grâces.4) 29

30 Le Père chargé de la retraite des professeurs ayant fait défaut ce matin, le 30 Père Jean a commencé la retraite et voici quelques-unes des réflexions qu'il a sug­gérées à la méditation.5)

«Nous avons vu dans la méditation fondamentale la fin de l'homme: aimer et servir Dieu; ceci est une vérité qui ne se prouve pas. St Ignace considère ensuite les autres choses en dehors de l'homme comme des moyens de parvenir à sa fin: ces créatures sont non seulement les choses de la nature, le ciel et la terre, mais aussi les événements quels qu'ils soient qui nous arrivent par sa permission expres­se et sa volonté même dans ce qu'ils ont de positif; Ego creans malum… creans tenebras (Is 45,7), a-t-il dit dans les livres sapientiaux et il se déclare souvent dans les Saintes Ecritures l'auteur des maux qui affligent les individus ou les nations.6)

Ces créatures sont donc un moyen pour aller à Dieu. Ici commence notre exa­men: les avons-nous ainsi regardées?

I - Les créatures nous redisent la puissance de Dieu, sa bonté qui nous les fournit, 31 sa beauté dont elles reflètent les éclats. Est-ce là l'image que nous en avons fait?

II - Les créatures servent à nos nécessités comme les aliments, le vêtement; à no­tre utilité, ou enfin à un plaisir raisonnable et légitime; c'est la deuxième manière d'user des créatures et cet usage n'est-il pas devenu abusif par l'intempérance? Nous sommes-nous privés des occasions de chutes?

III - Un troisième usage des créatures plus en rapport avec la condition actuelle de l'homme, c'est la privation des créatures, la mortification qui procure l'expia­tion et la réparation; c'est le meilleur usage qu'on en puisse faire.

Aujourd'hui les circonstances nous indiquent le sujet à méditer: la séparation prochaine nous invite à resserrer l'union. Notre-Seigneur n'a jamais plus parlé de charité et d'union que la veille de la dispersion. De même c'est comme la clôture de l'année pour un certain nombre qui sont entrés vers cette époque.

Commentaire du 5° chapitre du livre 3e de l'Imitation. 32

Deuxième Année

Après avoir traité des passions, des vertus et des vices, nous parlerons des vœux, nous ajouterons à la conférence du vendredi l'exercice de modestie appelé aussi « chapitre » dans les grands ordres anciens et aussi « coulpe ». Voilà pour le nom. La nature de cet exercice consiste dans l'accusation des manquements extérieurs de chacun à la règle. Cette accusation se peut faire ou personnellement ou récipro­quement. La deuxième manière adoptée aussi par la société de Jésus sera aussi la nôtre, mais les novices seulement seront l'objet de cette accusation réciproque. C'est une épreuve sérieuse et à laquelle ne résistent pas ceux qui sont entrés en re­ligion avec des vues humaines et mondaines.

Le 1er vœu est la pauvreté.

On le place le premier à cause de la prédilection toute particulière qu'a eue Notre-Seigneur pour la pauvreté; Notre-Seigneur aussi la donne comme le principe de la perfection: Si vis perfectus esse, vade, vende omnia quae habes… (Mt 19,21); puis parce que c'est la pauvreté, c'est-à-dire le renoncement aux biens extérieurs qui frappe d'abord le nouveau novice; c'est par la pauvreté qu'il lui faut commen­cer tout en entrant. -

La raison première d'embrasser la pauvreté est l'exemple de Notre- Seigneur: il l'a fait, donc c'est bien. Ainsi doit penser tout chrétien et surtout l'Oblat qui se précipite sur les pas de Jésus. L'exemple de Notre-Seigneur est bien saisissant: à la crèche, en Egypte, dans sa vie publique où il n'a pas où 33 reposer sa tête, enfin et surtout sur la croix où il meurt dépouillé de tout. -

Pourquoi Notre-Seigneur a-t-il ainsi aimé la pauvreté? C'est-à-dire quelle est la raison dernière de l'embrasser? C'est qu'il a vu en elle pour nous une sauvegar­de et une réparation: il nous a instruit par son exemple pour nous faire accepter cette sauvegarde dont lui-même n'avait pas besoin; mais il a divinement profité de cette qualité qu'elle a de réparer. Les hommes s'étaient perdus en grand nombre par l'attachement aux biens extérieurs; il a voulu s'en dépouiller pour expier les fautes que cet attachement avait fait commettre; il a voulu surtout nous engager à expier comme Lui par un détachement volontaire, l'attachement coupable de tant de nos frères; aussi loue-t-il tant les pauvres et a-t-il tant de paroles menaçan­tes pour la richesse: Vae vobis divitibus (Lc 6,24), et quand il soulève un coin du voile qui couvre l'enfer, c'est pour monter le mauvais riche. - La pauvreté est donc réparatrice mais elle est aussi préservatrice.

Les richesses enchaînent la liberté par les soins et les embarras qu'elles occa­sionnent à leurs possesseurs. St Paul le remarque comme il remarque encore que l'épouse est moins libre que la vierge de penser à Dieu et aux choses de Dieu, 34 et, en effet, le riche n'est préoccupé que des moyens de conserver et surtout d'augmenter sa fortune. Le pauvre n'a aucun de ces soucis et il n'en est point entravé.

La richesse excite la cupidité ou désir de posséder. Ce désir de posséder est bon en soi; l'objet seul est mauvais dans le riche qui amasse des trésors. D'ailleurs les riches sont partagés en deux classes: ceux qui amassent pour jouir et ceux qui amassent par avarice. Ces deux vices, la sensualité et l'avarice, mais surtout le pre­mier, peuplent l'enfer de gens riches. Le pauvre a dans sa pauvreté une sauvegarde toute puissante: c'est un danger de moins de tomber en enfer.

Pour les Oblats la pauvreté a un attrait tout particulier: non seulement ils l'embrassent parce qu'elle est préférée de Notre-Seigneur, mais surtout pour réparer les offenses que la richesse a fait commettre. C'est un point établi dans l'histoire que le relâchement et le désordre de la plupart des couvents au moment de la ré­volution, provenaient de leurs grandes richesses; avec les richesses vinrent les atta­ches, les aises, la tiédeur et enfin la ruine. Si donc nous voulons réparer ces fau­tes, 35 c'est par la pauvreté que nous pouvons consoler Notre-Seigneur des amertumes que lui a données la richesse, et comme c'est par là surtout qu'il a été le plus offensé et que plus d'âmes se sont perdues, c'est par là aussi que nous devons ex­celler dans la réparation.

Sa nécessité [de la pauvreté ] pour une communauté

Notre-Seigneur l'établit parfaitement par une comparaison: Si quelqu'un veut bâtir une tour, dit-il, il compte auparavant les frais de l'entreprise pour n'avoir pas la honte d'abandonner l'entreprise. Un roi qui veut faire la guerre à son voi­sin, examine s'il n'est pas inférieur en force… (cf. Lc 14,28-32).

A première vue il semblerait qu'il ne s'agit point de la pauvreté puisqu'il est question de se procurer des richesses pour une guerre ou une entreprise; c'est pour­tant d'elle qu'il s'agit: il vient de parler des conditions de la vie parfaite, la haine de tout ce qui n'est pas lui et le portement de sa croix.

Il donne alors ces deux comparaisons et il conclut: Sic ergo…7) par deux mots qui attestent la liaison de ce qu'il vient de dire avec ce qu'il va dire: ainsi donc, si vous n'êtes pauvres 36 vous ne pouvez songer à la vie religieuse qui est la vie de perfection où on le suit de près comme un disciple.

Pour bâtir l'édifice de la perfection, il vous faut pour fondement le vide, à rebours des constructions matérielles, pour faire la guerre à ses passions, au mon­de et au démon il faut être détaché de tout. 37

[pas d'annotations] 38

Profession du P. Joseph9

Alleluia! Credidi propter quod locutus sum (Ps 115,10)

J'ai cru à ma misère, j'ai eu foi en la miséricorde de Dieu, et c'est pourquoi j'ai parlé, non par des simples paroles,mais par des promesses, des vœux.

Credidi, ce mot signifie foi et confiance: Dixi in excessu meo: omnis homo mendax (Ps 115,11).

J'ai vu la misère de mes frères de par le monde, de mes frères qui me sont plus intimement unis par une consécration et j'ai dit à la vue de leur misère: tout homme est menteur; moi aussi j'ai été humilié et pour cela je crois et je parle; humilié par des fautes et des chutes nombreuses et je répète: tout homme est menteur, est pé­cheur.

J'ai eu confiance parce qu'à côté de la grandeur du Dieu que ma misère a of­fensé, j'ai vu la miséricorde, j'ai cru à sa bonté et devant ses bienfaits, à la vue de cette bonté qui a supporté si longtemps ma misère, j'ai dit: Quid retribuam? Je ferai au Seigneur un sacrifice: Calicem salutaris accipiam (Ps 115,12-13): le sacrifi­ce de l'holocauste figuré par celui qui se faisait par le calice dans le portique du temple: In atriis domus Domini (Ps 115,19), et cet holocauste je le ferai en ren­dant mes vœux: 39 Vota mea… reddam (Ps 115,18); admirez cette expression: reddam. Le prophète sait bien que tout est à Dieu, il ne dit pas: je donnerai, mais je rendrai: je rendrai à Dieu par des vœux ce qu'il m'a donné: mon intellect, ma volonté par l'obéissance, la faculté de jouir,par la chasteté, les biens extérieurs ou du moins la facilité de disposer du peu que j'avais, par la pauvreté. Je rendrai tout cela au Seigneur par le sacrifice de l'holocauste: c'est-là une mort précieuse et sain­te, car tout sacrifice, toute immolation est une mort ou partielle ou totale: Pretio­sa in conspectu Domini mors sanctorum (Ps 115,15).

Et vous qui allez faire ce sacrifice, oh, vous dites après cela: O Domine, quia ego servus tuus… et filius ancillae tuae.. (Ps 115,16): oui, Seigneur, je suis votre esclave lié et enchaîné par mes vœux, l'esclave de votre amour, et comme le pro­phète vous le redites pour l'affirmer mieux; et le fils de votre servante, c'est-à-dire que cette grâce d'être à vous m'a été préparée par de saintes âmes qui l'ont de­mandée au Seigneur pour moi, qui se sont dévouées dans ce but: Ego filius ancil­lae.

Et nous tous aussi, nous disons de même: Sacrificabo 40 hostiam laudis (Ps 115,17): nous rendrons au Seigneur les vœux du cœur, comme eux lui ferons des vœux formels, et comme les dons du Seigneur sont sans repentante, puissent aussi les nôtres être sans repentir. 41

Pas de conférence vendredi dernier (exposition) ni lundi (voyage [du P.Jean] à St­-Médard)8)

Nous avons lu les cinq obligations du vœu de pauvreté: ne rien donner… Mais tout ceci regarde toutes les Congrégations qui ont ce vœu. Pour nous il y a quel­que chose de plus et c'est-là ce qui fera le sujet de cette conférence et des deux suivantes.

Notre quatrième vœu ajoute influence sur celui de pauvreté et d'obéissance, pas sur celui de chasteté qui doit toujours être entier, c'est-à-dire intérieur et extérieur.

Pour bien comprendre ce que notre esprit de victime ajoute à nos autres vœux il faut distinguer 3 choses: le vœu, la vertu et la perfection, c'est-à-dire ce qui est de conseil pour la pratique excellente de la vertu.

Le vœu, nous venons de le voir, pas ses obligations n'engage qu'à quelque chose d'extérieur de sorte qu'on, peut être attaché intérieurement à tout et ne pas manquer au vœu si l'on en observe toutes les obligations.9)

La vertu, elle exige les dispositions intérieures: la vertu de pauvreté ne se con­tente pas du dépouillement effectif ou extérieur mais elle demande le dépouillement affectif ou intérieur. 42

Elle consiste surtout en trois choses: ne pas regretter ce qu'on a quitté, ne pas s'attacher aux biens dont on a l'usage, ne pas désirer ce dont on n'a pas l'usa­ge; ces trois dispositions intérieures sont de rigueur pour nous par suite du quatriè­me vœu et l'on manquerait à ses vœux en y contrevenant.

Après cela vient ce qui est de conseil pour la perfection de la vertu: il y a deux degrés:

1° désirer, rechercher ce qui est pauvre - comme emploi, vêtements etc.; p.ex. nos frères de St-Médard ont un emploi pénible et humble; en l'acceptant ils ne font que satisfaire au vœu de pauvreté; ne pas y être et désirer d'y être parce que c'est pauvre et humiliant, serait la perfection.

2° degré, le plus élevé, se réjouir de manquer du nécessaire et cela pourrait arri­ver. Notre-Seigneur nous réserve peut-être cette épreuve; peut-être quelques Pères seraient obligés à quêter; nos sœurs le font. Cela est tellement dans l'esprit de victime et dans l'ordre franciscain que je serais plutôt étonné que cela n'arrivât pas. Y aller et mendier comme St Joseph en Egypte et s'en réjouir ce serait le comblé' de la perfection.

(Le Père (Jean) rapporte ensuite quelques détails de son voyage à St.-Médard). 43

Obligation spéciale des Oblats relativement à la pauvreté

Le quatrième vœu de victime, outre ses obligations particulières, ajoute aux autres vœux, pas cependant au vœu de chasteté qui est partout complet, c'est-à­-dire s'étendant à l'intérieur et l'extérieur, …

Le vœu de pauvreté est comme un moyen d'arriver à la perfection de la pau­vreté, mais notre vœu de victime renferme dans ce vœu la vertu même de pauvre­té avec ses trois parties: ne regretter ni retenir ni désirer les biens en usage de la communauté ou quittés: ce serait reprendre son sacrifice, son holocauste sur l'au­tel même que de le regretter, de s'attacher ou de désirer; on pécherait non contre le vœu de pauvreté mais contre le vœu de victime.

Ces trois points: regrets, attaches, désirs, qui sont quelque chose d'intérieur, sont donc renfermés dans le vœu, et c'est la notre obligation spéciale. Il y a la perfection de ce vœu, ce qui n'est que de conseil: 1° désirer, choisir ce qui est moindre comme emploi, vêtements etc.; 2° se priver du nécessaire quelquefois, a­vec autorisation toutefois, et se réjouir quand le nécessaire vient à manquer. 44

Cette conférence est le résumé de la précédente selon le Père [Jean] et il est revenu là-dessus pour graver davantage cette obligation spéciale en nous. Après le Sub tuum il ajoute: nous offrons nos vœux dans le Cœur de Jésus au P. Stanis­las [Falleur] dont nous fêtons le patron demain. Chacun priera à son intention de­main.

Ste Gertrude

Quittons aujourd'hui le cours ordinaire de nos conférences pour adopter un sujet de circonstance et prenons Ste Gertrude pour objet de l'exhortation d'aujour­d'hui.

Elle a bien droit à nos hommages car elle a été le héraut de la dévotion au Sacré-Cœur: elle en a parlé avant les autres instruments choisis par Dieu pour ré­pandre le culte de son Cœur.

Entrée toute enfant comme la Ste Vierge au temple, elle a vécu dès l'âge de 5 ans dans l'abbaye de Helfta, un de ces grands monastères bénédictins de femmes qui étaient comme une université féminine où étaient enseignées les lettres; elle parvint à une grande science et possédait parfaitement ses humanités. Ses ouvrages nous montrent qu'elle s'exprime en latin très bien. 45

Elle était de la famille de Ste Mechtilde et comme elle et Ste Hildegarde elle a acquis cette gloire à l'ordre de St Benoit d'avoir produit ce qu'il y a de plus prodigieux et de plus profond comme effusion de la grâce dans la créature et d'a­voir été bien loin dans le mysticisme surnaturel. On peut connaître Ste Gertrude par son caractère spécial et par ses dévotions principales.

Elle a été la sainte de la louange: elle a loué Dieu comme un ange; elle en avait d'ailleurs la pureté, et cela lui donnait avec Notre-Seigneur une familiarité bien intime. Comme St Jean allait lui-même à Notre-Seigneur et se reposait sur sa poitrine, elle eut aussi cette faveur, et aussi cette autre grâce accordée à quelques âmes seulement, d'échanger son cœur avec celui de son Epoux céleste de sorte qu'elle aimait Dieu avec le Cœur de Jésus dont elle usait comme du sein. Elle louait Dieu parce qu'elle l'aimait; toutes ses prières respirent cet amour du Cœur de Jésus et de son amour. Elle est notre modèle dans la vie d'amour au Cœur de Jésus par ce tendre amour qui la consumait; elle l'est aussi dans notre vie d'im­molation car Jésus la fit passer par les souffrances et la maladie. 46

Aussi doit-elle en ce jour être particulièrement bienveillante pour l'ordre du Sacré-Cœur qu'elle a tant aimé et qui doit comme elle honorer ce divin Cœur sur­tout par la vie intérieure et elle a pour nous des grâces toutes spéciales.

Après sa dévotion au Cœur de Jésus qui en fait notre modèle vient sa dévo­tion à Marié. Ce n'est pas étonnant: qui aime son Cœur, aime sa Mère, car sa Mè­re vit dans son Cœur et son Cœur vit dans sa Mère. Elle s'entretint plusieurs fois avec Elle. Puis c'est St Jean, l'apôtre du Sacré-Cœur qui attire ses hommages; en­suite St Benoît, le patriarche de son Ordre: sa dévotion pour lui était grande, elle, a voulu l'honorer encore aujourd'hui en nous donnant en ce jour un Père Benoît et bientôt un Père Grégoire10) pour l'honneur de St Grégoire le Grand, aussi de son Ordre et le restaurateur de notre liturgie. St Augustin aussi qui est considé­ré comme l'apôtre de l'amour dans l'Eglise, avait aussi des hommages spéciaux de sa part; enfin Ste Madeleine était une de ses saintes préférées.

Nous devons à Ste Gertrude une grande reconnaissance comme nous donnât en elle un modèle de la dévotion au Sacré-Cœur, puis pour les bienfaits d'aujour­d'hui. 47

Dieu lui a promis d'exaucer quiconque demanderait en son nom; nous surtout nous sommes assurés d'obtenir surtout pour ce qui concerne notre ordre comme vocation, conversion etc., et aussi pour les autres biens spirituels que nos relations nous font désirer pour les autres. Nous lui devons de nous faciliter l'intelligence de la dévotion au Sacré-Cœur par ce manuel de ses prières et qui nous a aidés dès notre entrée ici à comprendre et à goûter cette dévotion.11)

Montrons-lui notre reconnaissance en nous servant de ce manuel plus souvent et avec plus d'affection et demandons-lui de nous aider à répondre à ce que nous impose notre vocation dans cet ordre du Cœur de Jésus.

Laissons encore aujourd'hui nos conférences sur la pauvreté parce que la con­venance nous fait un devoir de nous entretenir d'un autre sujet: notre coutume nouvelle de célébrer la messe votive du Sacré-Cœur les jours semi doubles et celle de la Ste Vierge si le semidouble est le samedi (cette coutume, a dit le Père [Jean] dans la dernière conférence, a été déterminée par Notre-Seigneur qui 48 a même ajouté qu'on aurait pu la deviner par ses dires antérieurs).

Aujourd'hui où nous avons commencé à dire cette messe votive, il est conve­nable de nous en entretenir. D'ailleurs puisque Notre-Seigneur le veut, il doit nous y donner des grâces spéciales pour en profiter et entrer tout à fait dans l'esprit des paroles de la liturgie, et un de ses moyens ordinaires, c'est de [se] servir du Père comme intermédiaire près des enfants. Enfin, comme nous ne devons former qu'un seul cœur et une seule âme, ce qui est dit des chrétiens, plus encore des prêtres, et tout spécialement des prêtres oblats. C'est en méditant en commun les paroles de la liturgie que nous aurons tous les mêmes sentiments sur ce point.

Nous trouvons dans ces paroles ce que Jésus nous montre et ce que nous de­vons lui offrir.

1°. Jésus s'y présente comme à Paray: Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes: Miserebitur secundum multitudinem miserationum suarum (Lm 3,32); Cum dilexis­set suos, usque in finem dilexit eos On 13,1). Son amour infini: multitudinem; in finem: bonus est Dominus (Lm 3,25). 49 C'est la première chose qu'il nous présente.

En second lieu sa douleur: et qui ne reçoit de la plupart que de l'indifféren­ce et de l'ingratitude.

Attendite si est dolor sicut dolor meur (Lm 1,12); Non humiliavit ex corde suo (Lm 3,33): il n'a pas rabaissé dans son Cœur les hommes pour leurs offenses mais il les a soufferts.

Après sa douleur (opprobrium hominum; vermis et non home; deriserunt me (Ps 21,7-8)) ce qu'il nous offre à méditer, ce sont ses vertus, sa perfection: Disci­te a me quia mitis sum et humilis corde (Mt 11,29).

Son amour infini, sa douleur profonde, sa perfection, voilà les trois grands traits sous lesquels il se présente à nous dans les paroles de la liturgie: tel il s'est montré à Paray-le-Monial.

Mais nous trouvons aussi dans cette même liturgie, ce que nous devons offrir à ce divin Cœur. D'abord un sacrifice de louange: Misericordias Domini in aeter­num cantabo (Ps 88,2). Célébrer son amour, car le mot misericordias traduit bien un Cœur compatissant et affectueux. Exulta et lauda, habitatio Sion (Is 12,6); le prophète y invite Sion, mais cette Sion, c'est aussi l'Eglise, c'est 50 tout spécialement notre petite communauté d'Oblats. C'est de là aussi que doit monter la louan­ge au Cœur de Jésus: Mementote quoniam excelsum est nomem ejus (Is 12,4). L'épître est remplie de ces sentiments de louanges. Déjà l'introït a commencé la louange: Bonus est Dominus.. (Lm 3,25).

Après le sacrifice de louange, le sacrifice de réparation. Celui-là Notre-Seigneur le demande surtout dans le Graduel: Attendite… si est dolor sicut dolor meus (Lm 3,33); puis dans la Communion: Improperium exspectavit cor meum,:.. susti­nui qui simul contristaretur et non fuit (Ps 68,21). Sa miséricorde est grande: Miserebitur secundum multitudinem misericordiarum suarum (Lm 3,32), il n'a pas re­jeté les hommes: Non abjecit filios hominum (Lm 3,33), mais sa douleur est im­mense, il demande d'en être consolé: … Qui consolaretur et non inveni (Ps 68,21).

Le sacrifice d'action de grâces occupe une grande partie: à l'offertoire il est clairement exprimé: Benedic anima mea Domino, et noli oblivisci retributiones e­jus… qui replet in bonis desiderium tuum (Ps 102,2.5), toutes les grâces qu'il a faites et qui sont si nombreuses dans son œuvre.

Déjà le Graduel a une parole de reconnaissance: 51 Bonus est dominus sperantibus in eum (Lm 3,25); mais l'épître en est remplie: Ecce, Deus salvator meus… fortitudo et laus mea Dominus… Confitemini Domino… Cantate Domino quoniam magnifice fecit.. exulta quia magnus… (Is 12,2-6).

Quant au sacrifice de prière, il est exprimé dans les différentes oraisons: dans celle qui suit l'introït où sont réclamés les fruits de l'amour du Cœur de Jésus; puis dans la secrète où pour devenir victime on demande d'être consumé des flam­mes de l'amour divin; enfin dans la postcommunion où l'on se recommande de ses vertus de douceur et d'humilité pour se détacher du vice et du siècle.

Voilà donc ce que nous devons offrir au Cœur de Jésus: le quadruple sacrifi­ce de louange, (de réparation, d'action de grâces et de prière). Les uns inclineraient peut-être plus vers la louange, d'autres à la réparation, d'autres à la prière, mais tout cela ne fera qu'un seul holocauste. Méditons donc ces paroles en les disant et en les entendant; Notre-Seigneur nous y découvrira toujours de nouveaux aperçus sur ce qu'elles renferment. 52

De la perfection de la pauvreté

Nous avons vu les obligations du vœu de pauvreté et les obligations de laver-­tu de pauvreté; ces dernières sont pour nous obligations de vœu, non de pauvreté mais d'immolation, qui exige une pauvreté intérieure. Ces obligations de la vertu de pauvreté se résument en quatre: ne pas regretter ce qu'on a quitté, ne pas s'at­tacher à ce qu'on a en usage, ne pas chercher à avoir ce qu'on n'a pas en usage, ne pas aimer ses commodités.

Vient après cela ce qui est de perfection, et l'on conseille

1° de considérer volontiers qu'on vit d'aumônes faites à soi par la communauté;

2° de considérer que ces biens dont on use sont donnés par Dieu.

Faire souvent des actes de pauvreté intérieurs de cette sorte pour s'avancer dans cette vertu et pour y persévérer dans l'occasion car c'est là qu'on la recon­naît. En ce moment nous nous disons que nous ne tenons à rien, mais quand un autre emploie des objets à notre usage, nous sentons intérieurement une révolte et une envie de protester.

Ne pas se prévaloir de biens qu'on occasionne 53 à la communauté, surtout près des étrangers au parloir, là où tant de vocations se perdent ou s'affaiblissent. Puisqu'on n'a plus rien, pourquoi se prévaloir de ce qu'on n'a plus; c'est ce qu'il y a de plus vain dans la richesse: la gloire de posséder. 54

Vêture du P. Thaddée14

Quam diletta tabernacula tua, Domine virtutum… (Ps 83,2).

Telle a été la pensée de Marie en son entrée au temple; elle a désiré d'y habi­ter: Concupiscit et deficit anima mea in atria Domini (Ps 83,3). Comme le passe­reau actif se trouve une demeure et la tourterelle contemplative un nid pour ses petits, ainsi Marie a trouvé là sa demeure pour s'y occuper au service du temple de Dieu et prier dans son temple ce Dieu qu'elle servait.

Heureux, disait-elle, ceux qui habitent en votre temple: Beati qui habitant in domo tua… (Ps 83,5) heureux l'homme à qui vous venez en aide, vous le bénirez, il ira de vertu en vertu par des degrés que vous établissez dans son cœur. Mieux vaut un jour dans vos tabernacles que mille dans le monde, mieux vaut y avoir la dernière place que la première dans le monde.

Dieu a tant d'amour: Misericordiam diligit (Ps 83,12), il a un cœur si compa­tissant qu'il donnera à celui qui habite son temple la grâce ici-bas et la gloire dans le ciel, la grâce pour l'aimer et la gloire de voir son cœur plein d'amour au ciel.

Tels étaient les sentiments de Marie à son entrée au temple et cependant en ce temple il n'y avait que l'ombre de Dieu tandis que nous avons Dieu lui-même: Habemus altare… (He 13,10). 55

Nous avons un temple où les prêtres de l'ancienne loi sont sans pouvoir, car il est infiniment supérieur à leur temple: Habemus altare de quo edere potestatem non habent sacerdotes (cf. He 13,10). Nous prêtres qui servons en ce temple com­me Marie dans l'ancien temple, ne devons-nous pas aussi dire: Quam diletta taber­nacula tua! (Ps 83,2).

Ce sont les autels de Dieu même: Altaria tua, Domine (Ps 83,4). Heureux sommes nous d'y être, d'y offrir la victime immaculée, car nous en serons bénis: Benedictionem dabit legislator, pour croître en vertu: Ibunt de virtute in virtutem (Ps 83,8). C'est de nous que le psalmiste disait ces choses et c'est notre bonheur qu'il chantait.

Mais le religieux lui aussi peut dire: Quam diletta,… car lui aussi est en la maison du Seigneur; là il trouve ces bonnes journées si supérieures à celles du mon­de: Melior est dies una (Ps 83,11), et il préfère être là enseveli et à la dernière place que d'être partout ailleurs; là il éprouve ces désirs ardents de l'amour: Con­cupiscit et déficit (Ps 83,3). Et si ce religieux est un Oblat, il a bien plus de rai­son encore de dire: Quam diletta tabernacula..: il trouve, lui, dans le temple de Dieu un tabernacle 56 mystique, où il vit d'amour, où l'amour lui est communiqué, où il offre son amour. Et quand ce lieu béni il l'a cherché pendant des années et désiré avec toute l'ardeur de son âme (Concupiscit et déficit…) comme le cerf al­téré après la source des eaux, quand il trouve cet ordre du Sacré-Cœur, objet de ses véhéments désirs, ce temple du Cœur de Jésus, alors il répète avec le psalmis­te: Cor meum et taro mea exultaverunt in Deum vivum (Ps 83, 3). Oui, le Sei­gneur l'a conduit par la main, la Providence l'a amené par degrés: Ascensiones in corde suo disposuit (Ps 83,6), et l'a fait aboutir enfin au lieu que Dieu même s'est choisi: In loto quem posuit (Ps 83, 7). Comme le passereau et la tourterelle il a trouvé où habiter, il est content enfin, fût-il à la dernière place, il se plaît mieux là que dans les autres lieux où il a vécu.12) Oui, répétons-le: Misericordiam dili­git Deus (Ps 83,12), Dieu est bon, Dieu est plein d'amour pour nous. Aussi il nous donnera sa grâce ici-bas pour répondre à notre vocation, pour l'aimer, pour le con­soler, et après cette vie, il nous accordera la gloire, la seule gloire que veuille un Oblat, celle de l'aimer à jamais dans le ciel: Et gloriam dabit Dominus (Ps 83,12). 57

Le vœu de pauvreté nous oblige à la pauvreté extérieure, par le vœu d'immo­lation nous sommes tenus au détachement intérieur; voici encore quelques conseils relatifs à la perfection de ce détachement et qu'il est bon de mettre en pratique si l'on veut garder son vœu car il faut tendre plus haut pour toucher juste. D'ail­leurs pour nous qui voulons consoler le Cœur de Jésus, nous savons qu'on conso­le un ami en lui offrant ce qui lui plaît le plus et non ce qui est imparfait.

Nous avons vu un premier conseil qui est d'aimer à se considérer comme n'ayant rien, mais dépouillé de tout et vivant des aumônes de la communauté; ne pas se glorifier ni extérieurement ni intérieurement du bien procuré à la communauté.

Un autre conseil est de se dépouiller des choses inutiles et faire de temps en temps une revue des objets à notre usage pour remettre à qui de droit ceux qui ne sont plus utiles actuellement. Les profès peuvent garder les livres qui leur ser­vent chaque [jour] ou chaque semaine, rien de plus. Les novices aucun autre que ceux qui leur servent au travail indiqué pour le temps libre. St Louis de Gonzague était fidèle à cette revue de tous les objets à son usage. 58

Une remarque à propos des livres de piété à la chapelle. D'abord ne pas se montrer jaloux des objets à notre usage et souffrir qu'un autre puisse s'en servir. Ensuite ne pas amasser livre sur livre et se faire une bibliothèque à la chapelle. On enlèvera ici ce qui ne sert pas pour les novices et on y mettra les livres de piété maintenant à la chapelle et qui ne sont pas d'un usage quotidien comme par ex. les manuels de l'heure sainte qu'on trouvera ici les jeudis si l'on en a encore be­soin dans sa pauvreté. Pour bien régler cela chacun fera une petite liste de ce qu'il a à la chapelle et me la remettra. Il ne conservera ensuite que ce qui lui sera au­torisé. On a là beaucoup de livres et on se dit: tel livre me fait du bien; on le croit du moins, parce qu'on y trouve quelque jouissance spirituelle.

Quant à la pauvreté dans le vêtement: on doit tendre à deux choses: la sim­plicité et la propreté. La simplicité qui se contente d'un vêtement propre non re­cherché. St Paul se contentait du vivre et du vêtement. Il ne dit pas: des festins et de la parure, remarque St Basile. La recherche, dit St Chrysostome, indique que l'âme est pauvre: quand le corps est richement vêtu 59 l'âme l'est pauvrement et réciproquement. Quant à la valeur des objets, cela n'est pas laissé aux novices de la déterminer; pour le nombre il me semble qu'un vêtement pauvre pour tous les jours et un plus propre pour les jours de sortie ou autres peuvent suffire. Celui qui en aurait plus, devra les remettre au vestiaire commun où on les trouverait en temps utile.

Pour la propreté, elle est exigée par la pauvreté, car la malpropreté est de la richesse parce que c'est de la paresse. On jouit de son temps le matin; au lieu de se lever, on reste au lit comme les riches, voilà pourquoi quelques-uns osent se présenter à la chapelle le matin avec des souliers sales ou des habits dont le bas est taché de boue.

La propreté de la chambre est aussi à la charge du novice; il doit jeter les eaux lui-même; en ce moment on ne le fait plus à cause du dortoir temporaire­ment établi au premier [étage], mais on y reviendra. Il doit aussi balayer lui-même sa chambre. Quand on aura une construction ad hoc, les novices pourront être mu­nis de ce qu'il faut pour nettoyer leur cellule; en attendant ils peuvent bien 60 trouver un balai quelque part. Ils font aussi leur lit.

C'est par toutes ces pratiques qu'on se débarrasse de ces mille habitudes de richesse prises dans le monde et contraire à l'esprit de pauvreté. Ne craignons pas de nous y assujettir: c'est par là que nous méritons la grâce. Peut-être quelques-­uns auront-ils la grâce de manquer de tout: c'est ainsi qu'ils s'y prépareront. C'est par ces petites choses qu'ils mériteront les grandes: Quia super pacca fuisti fidelis, supra multa te constituam (Mt 25,21.23).

Soyons-y donc fidèles. Pour les livres surtout: en ce moment nous sentons un peu la pauvreté sous ce rapport, nous n'avons pas de salle de bibliothèque où l'on puisse travailler et qui soit une salle de travail pour les profès. Tant mieux, nous pourrons ainsi mériter par la pauvreté, ce que nous n'avons pas occasion de faire souvent, et ce qui nous attire la faveur du Cœur de Jésus, supportons cette pauvreté. 61

Perfection de la pauvreté

Le premier conseil pour la perfection de la pauvreté est de faire souvent des actes intérieurs de détachement; le deuxième est de ne garder rien d'inutile; le troisième d'observer dans le vêtement la simplicité et la propreté. Un quatrième est de suivre la vie commune le plus possible.

Mortificatio mea, vita communis, disait St Louis de Gonzague. Tous les bons religieux observent cette règle. Les PP. Franzelin et Perrone que le Père [Jean] a connus à Rome et qui à raison de leurs grands travaux auraient pu se dispenser de la vie commune, vivaient très pauvrement, habitant une cellule, faisant leur chambre et travaillant à la bibliothèque commune.

Cependant dans le cas de maladie, quand l'indisposition sort un peu de l'ordi­naire des petites infirmités de la nature, on doit avertir et puis s'en tenir simple­ment à ce qui est prescrit; on doit manifester simplement ce qu'on éprouve et se soumettre au régime imposé, quelque contraire qu'il soit à l'ordinaire.

Surtout ne pas se prévaloir des biens procurés à la 62 communauté pour prétendre à des dispenses de la vie commune: ni l'âge ni l'ancienneté ne sont davan­tage des raisons.

Un dernier conseil est de ne pas disposer des biens venus par héritage ou donation que d'après conseil des supérieurs ou de personnes éclairées et vertueuses. Ceci n'arrivera pas chez nous où l'on doit disposer avant sa profession des biens venus et à venir, comme avant les vœux solennels, que nous aurons d'ailleurs par­tout où ce sera possible.

Quant à la disposition de ces biens, on ne manquera pas d'excellentes raisons pour les laisser à ses parents; mais il vaut mieux suivre l'Evangile: Da pauperibus (Mc 10,21). Or il y a les pauvres forcés, matériellement. Ceux-ci n'auront jamais grande reconnaissance et peuvent s'en passer soutenus qu'ils sont par des associa­tions de charité. Il y a les pauvres volontaires qui prient pour leurs bienfaiteurs, les pauvres religieux que le monde oublie facilement et qui ne peuvent pas aller lui montrer leur misère. C'est en faveur de ces derniers qu'il faut disposer des biens qu'on possède.

Nous sommes maintenant dans une période de vocations. Notre-Seigneur s'en­gage à les multiplier dans la mesure de notre générosité. Plus donc nous nous im­molons surtout par la fidélité aux petites choses, plus nous susciterons de voca­tions, plus par conséquent nous avancerons, nous hâterons l'œuvre chère à son Cœur. 63

Considérations pour exciter à la pratique de la pauvreté

Après avoir vu comme le côté matériel de la pauvreté, nous allons voir des considérations plus édifiantes qu'instructives.

Il y a d'abord parmi les raisons d'aimer la pauvreté les motifs d'intérêt: ceux­-là sont pour tous les chrétiens ordinaires, pour nous aussi quand nous avons per­du notre boussole qui est le Cœur de Jésus et que nous nous sentons hors de no­tre voie spéciale. Ces motifs sont bons d'ailleurs puisque Notre-Seigneur lui-même les conseille et les donne; mais comme en toutes les paroles de Notre-Seigneur, il y a, même en celles qui provoquent à agir par intérêt, un sens spécial pour nous, car la parole divine est d'un sens multiple et d'une richesse considérable.

Le premier motif excitant à la pauvreté est: Beati pauperes spiritu, quia ipso­rum est regnum caelorum… (Mt 5,3); [Vos]qui reliquistis omnia, centuplum acci­pietis et vitam aeternam [possidebitis] (cf. Mt 19,29). Il y a, pour tous, le centuple en cette vie à pratiquer la pauvreté. Comment? Parce qu'on est plus heureux. La richesse donne des soucis sans nombre: crainte de perdre ce qu'on a; surtout désir de doubler, de tripler sa fortune; chagrin d'être trompé; 64 amertume de voir les autres mieux réussir; il semble qu'ils enlèvent ce qu'ils obtiennent, par plus d'ha­bilité ou de meilleures circonstances; chagrin et inquiétude à la mort quand on se sépare de toutes ces richesses qu'on a tant recherchées et dont on voit seulement la vanité.

La pauvre volontaire n'a pas de ces désirs: il n'est pas désireux d'augmenter n'étant pas désireux de posséder. La mesure du bonheur est celle des désirs et des besoins. Dieu, dit Socrate, est heureux parce qu'il n'a besoin de rien; le pauvre est heureux parce que lui n'a guère de besoins; et l'homme le plus heureux est celui qui ressemble le plus à Dieu dont le bonheur consiste à n'avoir aucun besoin. Voi­là pour tous le bonheur que procure la pauvreté: elle les délivre de la tyrannie des désirs.

Mais pour nous, quel est ce centuple promis par Notre-Seigneur? Que gagnons­[nous]d'avoir moins de désirs et plus de liberté?

La facilité de penser plus au Cœur de Jésus, de nous donner plus à Lui, de lui accorder plus de notre cœur et de notre esprit. C'est ce que disait St Paul en parlant des époux: Cogitat quae Dei sunt, quomodo placeat Domino (cf. 1 Co 7, 34); Volo vos sine sollicitudine esse (1 Co 7,32); il ne veut point d'inquiétude afin qu'on 65 puisse comme lui vivre pour Jésus: Vivo… jam non ego, vivit vero in me Christus (Gal 2,20), c'est-à-dire je ne cherche pas mon intérêt, mais la consolation de mon Jésus. C'est le centuple d'un Oblat dans la pauvreté: consoler davantage le Cœur de Jésus. N'est-ce pas mieux que le bonheur personnel promis? Quel rapport y a-t-il entre ces deux propositions: mon bonheur, mon intérêt, et la satisfaction du Cœur de Jésus?

Quelle est la plus importante des deux? Pouvons-nous nous préférer à Jésus? Ne vivons que pour lui, et détachons-nous le plus possible de tout bien pour [nous] attacher à Lui seul.

D'ailleurs, comme il l'a promis à Ste Catherine de Sienne, si l'on s'oublie pour Lui, Lui se charge de penser à nous.

Oublions-nous donc entièrement, détachons-nous, plus d'autre désir que de con­soler son Cœur: affection, non le détachement parce qu'il nous donne plus de fa­cilité …….: vivons pour Jésus: Vivo, non ego, et alors rien ne pourra nous séparer de Lui. 66

Chaque ordre de personnes appelées à la perfection imite un des caractères de Notre-Seigneur, par ex. les ordres mendiants sa pauvreté. Pous nous ce qui nous caractérise, c'est la vie intérieure du cœur conforme à celle du Cœur de Jésus.

Nous voyons déjà des Congrégations vouées en partie à son Cœur, mais l'Or­dre du Sacré-Cœur a pour caractère propre, de vouer les cœurs de ses membres à la vie intérieure d'immolation, d'amour et de réparation; vie intérieure: Omnis glo­ria ejus… ab intus (Ps 44,14), vie du cœur: telle a été la vie du Cœur de Jésus: une immolation continuelle à la volonté de son Père pour lui marquer son amour et accomplir la réparation; Cœur victime: Oblationes et holocausta noluisti, tunc dixi: ecce venio (cf. He 10,8-9).

Dès l'Incarnation il s'est immolé en remplacement des victimes de l'ancienne loi; il s'est immolé à cette volonté sainte: non mea voluntas, sed tua fat.

C'est ce que nous devons faire aussi: à cette condition seulement nous rempli­rons notre vocation 67 et nous nous sanctifierons beaucoup car nous sommes tous appelés à une sainteté peu commune. L'Immolation nous attirera des grâces abon­dantes, mais si nous ne voulons faire que notre volonté, nous n'aurons que le strict nécessaire et nous tomberons bien bas: Optimi cujusque corruptio pessima. L'immolation intérieure par amour et réparation, c'est ce qui nous est tout spécialement demandé parce que c'est celle de Notre-Seigneur. Un cœur percé de flèches d'amour et blessé par le glaive des péchés des hommes, tel a été celui de Notre-Seigneur. Ce n'est pas la lance de Longin qui l'a percé d'abord, il l'avait été bien avant; celle-là n'était que secondaire et elle ne lui survient qu'après sa mort, seulement comme un signe de la bles­sure intérieure.

Voilà notre vocation: vivre intérieurement de la vie immolée du Cœur de Jé­sus; elle est sublime mais ne disons pas: je n'en suis pas digne; si les Apôtres a­vaient ainsi raisonné, qui serait resté? Mais la grâce de la Pentecôte les a fortifiés et aidés. Confions-nous aussi dans le Cœur de Jésus. 68

Des motifs de la pauvreté

Nous en avons vu un: Beati pauperes (Mt 5,3), et dans ces paroles le sens principal est: heureux les pauvres parce que la pauvreté leur donne de faire régner Dieu en eux: dégagés des mille attaches qu'entraîne la richesse, ils sont plus libres de se donner entièrement à Dieu et de le faire régner dans leur cœur et leur es­prit.

Voici trois belles pensées de St Jean Chrysostome:

Plus on s'éloigne du monde, plus on s'approche de Dieu.

Plus on se vide du monde, plus on est rempli de Dieu.

Plus on se dépouille du monde, plus on se revêt de Dieu.

Plus on se dépouille du monde, plus on s'enrichit de Dieu.

Chacune de ces pensées suffirait à de longues méditations, car elles abondent en applications.

Ecoutons la belle prière de St François d'Assise qui aimait tant la pauvreté. Nous devons imiter sa pauvreté intérieure puisqu'il est notre Père. Nous ne pou­vons guère imiter sa pauvreté extérieure parce que nous n'avons pas comme lui ce but spécial, mais la vie d'amour et d'immolation du Cœur de Jésus et que la pau­vreté est un moyen 69 une manière de s'immoler que Jésus a, du reste, bien mis en pratique. St François demande d'aimer toujours la pauvreté parce que, dit-il, elle est délaissée et persécutée de ceux-là même qui font profession de l'honorer spé­cialement. Ce grand saint avait donc lui aussi un but de réparation en la pratiquant.

Faisons, nous aussi, la même prière. Si nous ne portons pas les signes exté­rieurs de la pauvreté comme lui, nous devons être cependant pauvres intérieurement. Peut-être devrons-nous mendier des aumônes, nos sœurs le feront toujours. Si nous ne le faisons pas, demandons au moins de n'avoir jamais de richesses à notre dispo­sition; surtout de n'être jamais dépouillé par le St-Siège,pour quelque raison que ce soit de ce beau privilège de dire la sainte Messe sans honoraire afin d'y avoir plus de liberté de ne penser qu'au Cœur de Jésus: il nous le rendra en aumônes.

Oui, nous qui avons l'honneur quoi qu'indignes, d'être les premiers appelés et comme les patriarches de l'ordre demandons cela pour nos enfants et petits-enfants et Dieu écoute tout spécialement la prière des premiers. 70

Demandons d'être toujours obligés de vivre sous ce rapport dans l'abandon et la confiance en la Providence.

Considérations préliminaires sur l’obéissance

Considérons l'obéissance de Jésus: c'est par là qu'il a commencé la Rédemp­tion: Ecce venio.. ut faciam voluntatem tuam (He 10,7). Un avait désobéi, un a obéi. Par une désobéissance il y avait beaucoup de pécheurs et de péchés, par l'o­béissance d'un seul il y a beaucoup de justes.

Non content d'obéir à son Père, il obéit à Joseph, à Marie, et pour prévenir l'objection qu'il n'a été soumis qu'à des volontés saintes, il obéit à César qui com­mande par orgueil, à la loi de Moïse qu'il venait pourtant abolir. Il obéit ensuite à Pilate, à Hérode, aux bourreaux, il obéit jusqu'à la mort pour expier la faute d'Adam qui avait désobéi jusqu'à la mort. Plutôt mourir que d'obéir, avait dit ce­lui-ci. Plutôt mourir que de désobéir, reprend son Rédempteur.

Nous le voyons obéir à toutes les créatures qui sont pour lui les organes de la volonté de son Père. 71

Apprenons de là le mérite de l'obéissance. C'est une vertu universelle: elle nous dépouille de tout et surtout du plus intime de nous-même qui est notre vo­lonté, la faculté maîtresse, et en lui commandant elle commande aux autres. Par elle on se sanctifie bien vite et l'on monte bien haut dans la perfection parce qu'il n'y a rien de plus parfait que de soumettre sa volonté et son jugement à la volon­té et au jugement de Dieu et ainsi elle est la clef du ciel.

Excellence de l’obéissance

L'obéissance nous fait ressembler à Notre-Seigneur, car il a été surtout obéis­sant. On ne comprend pas assez le sens des paroles dites par le Prophète: Oblatio­nes et holocausta noluisti (cf. Ps 39,7-9. He 10,8), c'est-à-dire, vous n'avez plus voulu des oblations, c'est-à-dire du sacrifice des choses sans vie, ni des holocaustes, c'est-à-dire des choses vivantes, en d'autres termes: ni la pauvreté qui immole les choses sans vie, ni la chasteté qui sacrifie la partie animale, ne sont plus suffisan­tes. Ce qu'il faut, c'est un sacrifice plus intime, un sacrifice plus élevé, celui de la volonté et du jugement; alors me voici pour faire votre volonté et immoler mon jugement et ma volonté à votre jugement et à votre volonté. 72

Tunc dixi: ecce venio (He 10,7). Pour montrer son obéissance intérieure, il dit: Non quaero voluntatem meam, et pour indiquer combien il l'aime, il déclare qu'elle est sa nourriture: Meus cibus est ut faciam voluntatem Patris (Jn 4,34).

Comment ne pas apprécier ce que Jésus a tant apprécié et aimé?

- L'obéissance est la source et la gardienne des vertus.

L'obéissant, exécutant la loi de Dieu et sa règle, accomplit par là-même les actes des autres vertus quoiqu'il les fasse par obéissance. Il n'est aucune vertu qu'il ne pratique s'il est vraiment obéissant. C'est pourquoi quelques Ordres n'ont pas de­mandé d'autres vœux que celui de l'obéissance, celui-là bien observé renfermant tous les autres.

- L'obéissance est un gage de prédestination; l'obéissant dira à Notre-Seigneur: j'ai toujours fait votre volonté; pour être avec vous au ciel il fallait être avec vous sur la croix; sur la croix, eh bien, toujours l'obéissance m'y a attaché, toujours elle m'y a retenu, je n'ai rien voulu d'autre que votre volonté. Qu'avez-vous à me re­procher?

Et pour ajouter ce qui nous est spécial, disons que notre obéissance, devant être non seulement l'obéissance d'exécution mais l'obéissance intérieure elle-même, c'est-à-dire la soumission de l'esprit et du jugement, elle possède éminemment les avantages de l'obéissance que nous avons exposés. /


1)
IV,5Les parenthèses se trouvent dans le manuscrit.
2)
IV,6Cf. note 1. II, 1.
3)
IV,19«Combat spirituel» dans la littérature spirituelle est une expression qui sert souvent à désigner l’effort humain, qui doit accompagner la grâce et permettre la vie morale, le règne intérieur de la charité, l’union de Dieu. Déjà st Paul usa cette comparaison à plusieurs reprises (cf. 2 Tm 2, 5). Dans les temps modernes l’expression a été vulgarisée par un petit livre italien: Il Combatti­mento spirituale, paru en 1589, dont St François de Sales fit un grand éloge. L’auteur paraît en être le p. Lorenzo Scupoli (1530? – 1610).
4)
IV,28Passèrent 25 jours sans conférences aux novices. La conférence suivante porte la date de 1° octobre 1880. Rappelons que p. Dehon fit sa retraite auprès des Pères Jésuites à Notre-Dame de Liesse (cf. NHV XIV, 71).
5)
IV,30C’est la retraite pour les professeurs du collège St-Jean au début de l’année scolaire.
6)
IV,30Il s’agit évidemment de la volonté permissive de Dieu.
7)
IV,35Sic ergo omnis ex vobis, qui non renuntiat omnibus quae possidet, non potest meus esse di­scipulus (Lc 14,33).
8)
IV,41Sur demande de Mgr Thibaudier, p. Dehon avait envoyé à St-Médard de Soissons trois de ses religieux: Lamour, Philippot et Falleur. C’était un institut pour sourds-muets (cf. NHV XIV, 63-64).
9)
IV,41C’est une conception juridique des vœux religieux, très restrictive et complètement dépassée, surtout si on considère les vœux religieux comme don d’amour et comme don total d’amour de la part de l’homme.
10)
IV,46Nous ne savons qui ils sont.
11)
IV,47Ce sont les Preces Gertrudianae, tirées des deux œuvres qui nous ont été laissées par ste Gertrude: les Exercitia spiritualiir septem, qui s’introduisent dans la vie de l’âme de G. et reflè­tent les élans amoureux de son cœur sous l’action de Dieu et le Legatus divinae pietatis, qui est son autobiographie spirituelle et même son testament spirituel.
12)
IV,56Le discours de p. Dehon, préparé sur le psaume 83 apparaît dans sa beauté et son originali­té, si on tient présentes certaines circonstances en rapport à la vocation de p. Captier. Celui-ci soutenait que le St-Curé d’Ars lui avait prédit qu’un jour il serait devenu prêtre et religieux dans un ordre consacré au S.-Cœur (chez les Oblats du Cœur de Jésus?). C’était une prophétie à recevoir avec extrême précaution de la part d’un sujet névropathique comme p. Captier. P. De­hon dans ses Mémoires (NHV) se demande: Pourquoi l’avais-je recu? J’avais une confiance très grande aux vues de sr Ignace et elle lui était favorable… II désirait savoir si notre congrégation était bien l’Ordre du S.-Cœur qu’il’ avait rêvé. Les voix de N.-S lui répondirent par le mot de N.-S. aux envoyés de Jean-Baptiste: Renuntiate Joanni quid vidistis.. Le p. Captier s appelait jus­tement Jean-Baptiste. C’était lui dire que l’œuvre qu’il avait vue était bien l œuvre divine. Il vint. Dieu l’a permis… (NHV XIV, 61).
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