dehon_doc:cor:cor-1lc-1870-0215-0015814

158.14

AD B.17/6.12.14

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons 15 février 1870

Mon cher abbé,

Nous sommes arrivés à Soissons le 20 du mois dernier, après une heureuse traver­sée et un bon voyage de Marseille à Paris.

Je vois aujourd'hui dans les journaux les noms des 31 prélats français demandant que la question de l'infaillibilité ne soit pas posée devant le Concile, et parmi ces noms celui de l'Evêque de Soissons. Ces bons prélats ne s'aperçoivent pas qu'ils tom­bent dans la même faute de conduite qu'ils reprochent si bruyamment au pape Hono­rius. Que peut-on reprocher à ce pape, si ce n'est trop de ménagement pour de rusés grecs qui abusèrent indignement de sa condescendance. Que font ces évêques? Par ménagement aussi, je ne sais pour qui ni pour quoi, ils ne veulent qu'il soit parlé ni d'infaillibilité ni de non-infaillibilité, comme le pape Honorius, qui défendait de parler ni d'une ni de deux volontés, espérant par là étouffer, dans leur naissance, des disputes qui menaçaient de troubler l'Eglise. C'était bien la peine de faire tant de bruit autour du nom de ce pape pour tomber dans la même faute. «In laqueo isto quem absconderunt, comprehensus est pes eorum». J'ai envoyé un petit article au Monde dans ce sens-là. Je ne sais s'il l'insèrera1.

Je ne crois que la signature de notre Evéque au bas de ce postulatum lui fera beau­coup d'honneur dans le diocèse. Il ne m'en aurait pas fallu davantage pour lui ren­voyer son diplôme de conseiller, et je m'applaudis de ne pas avoir la solidarité d'un conseil dans ce sens.

Faites part, je vous prie, de ces réflexions à M. Desaire et à Mr Colra de Bordas (?), en leur faisant part aussi de mon bon et affectueux souvenir. J'ai vu à Marseille les parents de Mr Désaire, qui m'ont accueilli d'une façon on ne peut plus aimable. Dites aussi à Mr Colra que l'abbé Congnet (?) s'en va de jour en jour du côté de sa fin. C'est une défaillance totale de la nature. Faites part de cette situation de Mr Con­gnet â Mgr de Beauvais, en lui offrant mes hommages respectueux autant qu'affec­tueux.

Mon bon souvenir aussi à Mr Deladone (?) et à Mr Sabathier (?) qui voudra bien présenter mes respectueux hommages à Mgr de Rodez.

Vous avez sans doute connaissance des lettres de Mr Urphart à l'évêque d'Orléans. Que va-t-il répondre à ce coup d'assommoir? J'attends avec impatience. S'il reste sous ce coup, il est perdu et déshonoré aux yeux de tous. Comme la providence pré­pare admirablement le triomphe du St-Siège! Puisse la confusion de ses adversaires leur ouvrir les yeux!2.

L'Archevêque de Paris a l'air d'annoncer à son clergé son retour pour Pâques. Je crois bien qu'il n'y a encore rien de fixé à cet égard. On remarque que les évêques de France ne parlent presque plus dans les congrégations. Probablement, après les fleu­ves d'éloquence de Paris et d'Orléans, il n'y a plus rien à dire. Que les journaux libé­raux catholiques sont bêtes et impudents! Oh croirait qu'ils ont tout entendu à la fa­çon dont ils analysent et rendent compte des harangues de leurs héros. Et puis ne croirait-on pas que l'infaillibilité est le seul sujet pour lequel le Concile est réuni.

Je vais dans huit jours marier, à La Bouteille près Vervins, le nouveau pharmacien de La Capelle, le jeune Rodard, neveu de Mr Cardot, juge de paix.

Je compte toujours qu'à votre retour, vous passerez par Soissons et que vous m'amènerez Mr Désaire.

Je vous prie d'offrir mon bien affectueux respect à Mr le Supérieur.

Je suis bien à vous de cœur

Demiselle

Ma sœur ne veut pas être oubliée auprès de vous.

Un ami de Soissons avec sa femme et une autre dame, vont arriver à Rome et s'adresseront probablement au Séminaire français pour un logement. Vous pouvez dire au portier que celui que nous occupions chez Mme Mazzola est vacant. Elle me fait prier de lui procurer des locataires, cet ami est Mr Cuvillier, avocat, qui connaît beaucoup Mgr de Beauvais, qu'il a reçu plusieurs fois chez lui.

1 Le cas du pape Honorius I° fut, en effet, l'un des principaux arguments de la minorité opposée à la définition de l'infaillibilité. Le p. Dehon y fait allusion en NHV VII, 39, 100, 176. Pour n'avoir pas affirmé clairement l'existence de deux volontés (divine et humaine) dans le Christ, Honorius 1 (pape de 625 à 638) fut déclaré hérétique au VI° Concile oecuménique de Constantinople (683), confir­mé, avec quelque nuance, par le pape S. Léon II. Voici le phrase principale de sa lettre à Sophronius, patriarche de Jérusalem, à laquelle fait allusion le chanoine Demiselle: «Nous ne devons professer, définir et proclamer ni une ni deux énergies; mais au lieu de l'unique énergie dont parlent certains, il nous faut confesser un seul Christ opérant vraiment dans les deux natures». Ce qui, en somme, allait dans le sens de ce qui fut défini ensuite. Reste son hésitation à proclamer et définir clairement les deux «énergies» (ou volontés). Cf à ce sujet les articles «Honorius I» en DTC et en «Catholicisme». Les autres noms de papes avancés contre l'infaillibilité sont ceux de Libère (351-366), Anastase II (496-498), Vigile (537-555). Sur tous ces cas, le point est fait en «Catholicisme, art. «Infaillibilité».

2 Un des nombreux articles, parfois violents, publiés contre Mgr Dupanloup au cours du Concile dans les journaux «infaillibilistes». Ni le journal ni le journaliste: n'ont pu être par nous identifiés.

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