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149.01

AD B.17/6.3.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Bougouin

Castel Gandolfo, Couvent des Réformés (24 août 70)1

Bien cher ami,

Quelle bonne surprise votre lettre nous a causée! Vous savez combien l'air est vif des hauteurs de notre plateau; eh bien! je l'ai savourée avec tout l'appétit que le vent de mer aiguise, quand le soir il vient rafraîchir la terrasse ombragée de la villa Barberi­ni. Pardonnez à cette avidité, qui passe en vacances à la campagne: après trois semai­nes de séparation, je commençais à crier famine et à désirer de vos nouvelles. C'est vous dire que ma pensée ne vous a pas quitté depuis le 19 au soir où vous nous disiez adieu avec Mr Dugas. La pensée de vous écrire m'est venue plusieurs fois; mais vous l'avouerai-je, je ne l'ai pas fait, ignorant encore si nous pourrions fixer notre tente à Castel. Bien que les nouvelles ne soient pas meilleures, nous maintenons notre provi­soire, attendant les événements.

25 août - J'avais écrit ces quelques lignes quand Mr Vantroys est venu nous lire, à Mr Le Tallec et à moi, la lettre que vous avez reçue, charmant échantillon de style épistolaire, n'est-ce pas?…

Des bruits sinistres circulaient à Rome et arrivant jusqu'à Castel troubler le repos de notre villégiature. On disait: à tel jour, les Piémontais seront au Capitole. Comme ces bruits semblaient avoir quelque fondement et venir de source autorisée, nous avons cru devoir attendre pour vous dire le résultat. L'intention était bonne, mais nous avons été mal inspirés: nous y avons gagné de vous faire attendre, ce qui est un bien mince avantage, et de vous laisser penser peut-être qu'au loin, nous oublions nos meilleurs amis; ce qui est tout à fait faux.

Quant à l'occupation de Rome par les subalpins, il n'en est rien, bien que la date assignée soit passée depuis plusieurs jours. Espérons qu'ils ne fouleront jamais ce cher sol sacré de notre Rome chrétienne. Le St-Père est plein de confiance, il oublie son propre danger pour pleurer les malheurs de la France. Par quelles cruelles épreu­ves nous passons! et comme le bras de Dieu nous visite! J'aime beaucoup l'article de Veuillot du 22; malheureusement, il n'y a que les bons qui lisent et comprennent ces dures vérités1.

Voyons, me voilà sorti de ma province: j'ai manqué à nos conventions: M. Le Tal­lec est chargé de vous livrer nos impressions sur la guerre; mon rôle est de rester à la maison, pour vous dire ce que sont devenus nos amis. Laissez-moi pourtant aupara­vant vous demander si vous avez des nouvelles de M. de Dartein. Je voulais lui écrire à l'occasion du 28, mais qui sait où il célébrera la fête de son saint Patron? Peut-être sur un champ de bataille comme Wissembourg ou Forbach. J'ai lu son nom parmi ceux des aumôniers de l'armée (6° corps, cavalerie, M. Dartein, de Strasbourg). Pau­vre confrère, comme il a du coeur et du courage! Mais pourquoi la cavalerie? Je gage que vous dites intérieurement: c'est pour être à temps sur les lieux du sinistre et ne pas arriver quand la besogne sera faite. Allons! vous avez une mauvaise pensée; j'ai­me mieux croire qu'il y a plus de dévouement à déployer parmi les cuirassiers que parmi les fantassins et que, selon son habitude, il laisse aux autres la tâche la moins pénible. Félicitez bien sincèrement pour moi ce généreux volontaire, dites-lui toute mon admiration, nos prières le suivront partout. Si vous pouvez avoir de ses nouvel­les, nous vous serions tous reconnaissants de nous les faire parvenir. Et M. Dugas, il fait le mort depuis son départ; on dit que ses mitrailleuses et celles de M. de Lerre (?) ne décimeront même pas les gallicans lyonnais!

Ici, nous menons une petite vie, bien honnête; en face du théâtre d'action qui vous est ouvert en France, nous devenons bien prosaïques. Haletants de nouvelles, nous dévorons les journaux qui viennent de France; notre coeur, notre pensée, nos conver­sations ne sont plus à Rome, mais à la suite de notre vaillante armée. Comme elle mérite d'être victorieuse! Le reste du temps, on travaille, mais qu'on fait peu de beso­gne, même avec la meilleure envie d'en abattre beaucoup! on se promène; l'air est doux et la campagne délicieuse. M. Quentin nous a quittés pour aller s'établir à Castel. Il est allé avec M. Vantroys dans les appartements épiscopaux du couvent; il a dû plier bagages à l'arrivée de Mgr Gianelli. M. Vantroys se contente d'un modeste oratoire, toujours le même! J'oubliais de vous dire que M. Quentin fait avec les Pères sa retraite du sous-diaconat; elle finira sans doute dimanche avec la fête du T. S. Coeur de Marie. M. Pineau est héroïque; il a été très fatigué ces derniers temps; le mieux revient, même avec la popotte si modeste du couvent. Lui et M. Lequerré ont passé leur doctorat, quelques jours seulement avant l'Assomption, par privilège. La date régulière était le 17, mais M. Lequerré avait juré que le 17 ne le verrait pas à Ro­me, attendu que des raisons graves hâtaient son retour. L'examen passé, les motifs n'existent plus, M. Lequerré revient à Castel, attendant une victoire des Français pour partir; il a dû cependant quitter Rome le 18, mais Besançon est en état de siège!…

M. Bernard est resté au poste jusqu'au 31 juillet, il a heureusement terminé la liste des licenciés au Collège Romain. M. Mourao, lauréat, est parti pour la Suisse, où il passe ses vacances avec Mgr de Macedo. M. Daubichon et M. Dubois sont docteurs; les trois candidats du Séminaire français ont passé de bons examens. M. Daubichon occupe une chaire du Grand Séminaire de Seez à la rentrée prochaine; M. Dubois re­vient à Noyon. Croiriez-vous que je n'ai pu passer que le 5 août, avec M. Quentin, ce pauvre petit examen de licence? Que vous avez été bien inspiré! M. Santi m'a fait les gros yeux et nous en a voulu de notre absence de son cours à la fin de l'année. Le re­proche portait aussi sur les élèves du Séminaire français en général qui vont à l'Apol­linaire; gli Francesi vengono qui al suo comodo! Qu'en paix donc il repose désor­mais…

Que devient M. Desaire à Nimes? J'ai lu avec intérêt le discours du P. d'Alzon; c'est bien tard pour l'en féliciter, veuillez cependant me rappeler à son souvenir quand vous lui écrirez. Mes amitiés aussi à votre cher collaborateur.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Tout vôtre en N. S.

H. Bougouin, pr.

Le Concile a repris ses séances à St-Pierre le 13. On discute le schéma «De Missio­nibus». Je me suis permis de l'ajouter à votre collection. J'ai aussi pour vous les pho­tographies de Tonti et de Leva et une autre du bon évêque anglais qui prenait ses re­pas au Séminaire. Mgr Gianelli compte que les séances ne seront plus interrompues et que ce cher Concile s'achèvera heureusement. C'est dans ce sens qu'il vient d'en écrire à plusieurs évêques et à Mgr Landrieux en particulier. Le St-Père, parait-il, a fait conduire à la frontière ou même incarcéré ce pauvre démoniaque de Vecchiotti, qui faisait le théologien fanfaron, le 19 à votre départ. Mgr de Blois et le p. Ferrand (?) sont partis le 21 juillet. M. Bernard a fait voyage avec eux. Le bon évêque est tou­jours fatigué, il a dû prendre les eaux à Vichy et retourner ensuite à Blois. Il compte bien revenir l'an prochain2.

1 Les piémontais (ou Subalpins) entrèrent â Rome le 20 septembre.

2 Après le 18 juillet, il y eut, en effet, trois congrégations générales (13 et 23 août et 1 ° septembre) avec un peu plus d'une centaine de Pères. On y discuta le schéma «De Sede Episcopali vacante». Le Concile fut prorogé sine die le 20 octobre.

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