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163.01

AD B.17/6.17.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Champvert près Lyon 24 août (70)

Mon cher ami,

J'ai été légèrement attrapé de m'être laissé devancer. Je vous avais déjà écrit tant de fois depuis notre séparation, hélas! en pensée et en désir seulement, et aucune lettre ne s'était fixée sur le papier. Puis, j'avais à vous exprimer toute ma reconnaissance pour vos mille petites attentions délicates du voyage. Vous me pardonnez bien? Par ces tristes temps, toutes les fautes sont assez excusables; chacun a perdu plus ou moins la tête comme notre pauvre France. N'êtes-vous pas atterré de ces humilia­tions? Pour moi, je ne fais qu'y rêver, et je ne songe guère plus au Concile que s'il n'avait jamais existé. Ne faisant rien qui vaille par ici, me portant à merveille, J'au­rais voulu m'utiliser pendant ces deux mois qui viennent. J'ai écrit à M. de Dartein, à M. Bourgeat pour leur demander si je pourrais leur être bon à quelque chose à Stra­sbourg ou à Metz. M. de Dartein ne m'a plus écrit depuis le 2 août, me promettant bien de me faire signe en cas de besoin. M. Bourgeat m'a encore répondu assez ré­cemment, mais il m'engageait à ne point venir les embarrasser. Je suis resté, et que seront-ils devenus maintenant ces pauvres chers amis? Je suis fort inquiet. Pour M. de Dartein, n'avez-vous pas vu son nom sur la liste des aumôniers officiels, 6° corps d'armée, division de cavalerie? Je n'ai point été rassuré en le trouvant là, car ce 6° corps a donné; je l'envie du reste. Mais je me demande encore s'il n'y a pas là quelque erreur: lui m'avait si bien dit qu'on n'avait pas accepté ses offres, et son frère, qui était en garnison ici ces derniers temps, me l'avait répété. J'ai lancé une lettre à tout hasard à ce 6° corps. Vous qui êtes plus, voisin, si vous savez quelque chose, transmettez-le-moi.

Nous avons assez souvent, mon père et moi, des nouvelles de Rome, par l'abbé Louis, le comité, les zouaves. Quoique tout y semble encore pacifique, les choses

commencent à prendre fort mauvaise tournure, et voilà toute notre année prochaine mise en question. Du Séminaire, il parait qu'on n'écrit à personne. J'ai écrit au P. Freyd, point de réponse. Le pauvre père doit être fort tourmenté, tiraillé qu'il est de deux côtés à la fois, par son Alsace pour le présent, par Rome pour l'avenir, et un avenir imminent peut-être. Que devient le jovial compère Bougoin au milieu de tou­tes ces tristesses? Il m'a l'air d'une paresse inqualifiable et de prendre du bon temps. Je sais seulement par le ven. P. Redoy, que j'ai entrevu dernièrement à Fourvière, que ces messieurs ont passé leur examen. Et M. Dubois, savez-vous ses triomphes? Il m'avait promis de me les annoncer, c'est un infidèle.

Imaginez-vous que moi, à peine arrivé, j'ai été sur le point de retourner à Rome! Nos troupes partant, mon frère s'était décidé à rentrer aux zouaves, malgré sa femme et ses petites filles, et tout naturellement, je comptais l'accompagner pour être près de lui en cas de mauvaise aventure. Il était à la veille de partir, quand nos désastres sont survenus. Comme de juste, il est allé au plus pressé, et le voilà capitaine dans la mo­bile, et moi, je suis resté fainéant comme devant. Je le recommande à vos prières.

J'ai vu depuis vous plusieurs de nos -confrères: -M. de Maillardez, M. Loriot, le pe­tit Guilhem qui m'est resté une huitaine de jours, M. Lancy (?) qui était venu à Lyon chercher une ordination et que j'ai retenu 2 ou 3 jours, M. Desaire, vous le savez, qui n'a fait que passer, qui repassera, j'espère, avant de regagner Nîmes, qui veut nous y voir quand nous retournerons à Rome (si nous y retournons, chi lo sa? hélas!). Et l'ami de Rivoyre, vous a-t-on déjà dit son sort? Il m'a chargé de vous en faire part. Il est novice capucin et a nom P. Antoine; nous avions bien prévu cette barbe. Decide­ment, toute notre génération filera un bon nœud; le saint P. Perreau a pris le rapide, il le méritait, et c'est pour nous servir d'ange gardien. Vous, je pense que vous vous ancrez de plus en plus dans vos généreux projets auxquels, je vous le répète, j'applau­dis de tout cœur, sans me croire cependant appelé à même destinée. Ce sera définiti­vement St Ignace qui m'empoignera; dès l'an prochain, je compte être à lui. Mais que devenir cette année, si Rome nous est fermée?

A Dieu, cher ami. Retrouvons-nous là souvent, au saint autel, vers N. S. Comme je bénis cette année qui m'a plus étroitement attaché à vous! Que ces liens nous re­tiennent toujours, même séparés plus tard. Priez souvent pour votre méchant petit ami, qui vous est bien humblement, mais bien cordialement dévoué.

Joseph Dugas

Adhemar m'a écrit; il voudrait me faire venir en Bretagne, mais je ne quitterais mon coin en ce moment que pour aller en Lorraine, si je n'étais pas un propre à rien.

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