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157.02

AD B.17/6.11.2

Ms autogr. 4 p. (18 x 12)

De l'abbé Ad de la Ferrière

Au Grand Séminaire de Vannes 14 décembre (1870)

Mon bien cher ami,

Que de fois de fois j'ai pris la plume pour écrire et toujours je l'ai déposée, n'ayant pas d'espoir que les lignes que je vous tracerais vous parvinssent, pour aller vous prouver mieux que tout que mon silence prolongé ne devait être imputé qu'aux cir­constances. Aujourd'hui même, je me décide à vous griffonner ces quelques lignes, presque à regret, par la pensée que vous ne les recevrez pas. Mais enfin j'espère un peu que Dieu vous les enverra malgré tout.

Cher ami, comme l'horizon s'est assombri depuis votre aimable et affectueuse mis­sive! Comme les âmes catholiques et françaises sont dans le deuil! Je vous avoue que ce qui me fait de la peine, ce ne sont pas tant les malheurs de la France et plus encore ceux de l'Eglise, qui pourtant accablent l'âme, mais c'est de voir que, malgré de si ru­des leçons, tant de gens s'obstinent à pécher et â ne pas aimer notre bon Maître. Car enfin, quelque durs et douloureux que soient les temps que nous traversons, n'est-il pas bien plus triste de penser que la bonté de Dieu ne peut pas encore faire taire sa justice!!

Que devenez-vous, bien cher ami? Mr Abel Pineau, qui réside à Ste Anne, m'a-t-il dit sans me faire savoir davantage ce qu'il faisait ou ce qu'il comptait faire, m'a dit n'avoir pas de vos nouvelles depuis un mois. Je suis inquiet de vous pour moi et pour vos amis; car pour vous-même cher et bon ami, je sais bien que vous n'aurez fait que de saintes choses. Je suis sans nouvelles du plus grand nombre de nos amis, je devrais dire de tous. Mr Dugas aumônier, comme vous le savez, des mobiles du département de la Loire, m'a donné signe de vie il y a un mois, et ses inquiétudes sur M. Bourgeat, infirmier dans Metz et sur M. de Dartein, qui se prodigue de tous côtés comme au­mônier depuis le commencement de cette malheureuse campagne, n'ont fait qu'aug­menter les angoisses où j'étais moi-même pour ces chers amis. M. Lequerré m'a écrit il y a un mois. Depuis rien; il est vrai que je lui ai répondu ce matin seulement. Je dois une lettre à l'aimable abbé Billot, qui d'après ses dernières nouvelles, attendait tou­jours à Dunkerque que les événements lui permissent de s'arrêter à quelque chose. Je lui consacrerai mon premier moment libre.

J'ai su que le Séminaire français restait décidément à Rome; actuellement il n'y a plus que MM. Pineau (Orner), Bourgouin, Le Tallec et Quentin. J'avais écrit au R. P. Freyd dès que j'avais appris que les terres de son vieux père étaient souillées par les ennemis de la France et les horreurs de la guerre. Il ne m'a pas répondu. Comme je l'écrivais ce matin â notre cher ami, M. Lequerré, je n'ai pas le droit de m'en plain­dre; il ne fallait rien moins que votre bonté d'ami, â vous et à tous ces chers confrères de Ste-Claire que je vous nommais tout â l'heure, pour supporter un vilain méchant comme moi. Cependant, à un moment où mon coeur était si préoccupé du Séminaire français et des Pères, un mot de notre saint supérieur eût été agréable pour mon coeur de fils.

Et maintenant, mon bon ami, me voilà à Vannes. Il y a eu deux mois hier, c'était notre rentrée; plusieurs fois déjà notre bon évêque a été sur le point de nous licencier â cause des événements et des criailleries de quelques personnes, qui ne sont pas mé­chantes mais que la douleur aigrit. Même en supposant que l'on soit obligé de nous dissoudre momentanément, les bonnes semaines que nous aurons passées dans le séminaire, n'en seront pas moins un grand bienfait, d'autant plus grand qu'un plus pe­tit nombre des séminaristes de France l'auront partagé. Vous savez, cher bon ami, que ma santé m'empêchait de penser à Rome; d'ailleurs les circonstances seraient bien venues déranger mes plans de ce côté. Blois, qui avait bien voulu me recevoir, ne rouvrait pas, je pense; d'ailleurs son voisinage du théâtre des hostilités eût fait vivre ma pauvre mère dans de trop cruelles angoisses. J'ai vu dans ce concours de circon­stances la volonté de Dieu m'amenant ici, et je suis venu.

Mon bien cher et bon ami, je pense â vous et je vous recommande à N. S. pour te­nir ma promesse, beaucoup plus que pour autre chose. De votre côté, n'oubliez pas ce que vous m'avez promis; et puis j'ai besoin de tant, et j'ai si peu. Qui sait ce que l'avenir nous réserve? Je ne demande au bon Dieu qu'une chose, c'est qu'il me conser­ve dans la bonne disposition qu'il veut bien me donner depuis 18 mois, de voir, d'ai­mer et d'adorer en tout sa très sainte volonté.

Je suis inquiet de cette lettre; vous seriez mille fois bon de me répondre prompte­ment, et de ma part, je tâcherai de réparer mes torts passés de correspondance. Permettez-moi en terminant cette causerie, mon bien cher ami, de vous offrir l'ex­pression de mon respectueux et profond attachement.

Votre ami bien affectueux et très humblement dévoué

Adh. de la Ferrière

Si vous rencontrez quelqu'un de ces MM. du séminaire, dites-leur mes respectueux et meilleurs souvenirs.

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