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AD B.17/6.9.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé de Dartein

Mülhausen, le 17 août 71

Mon bien cher Docteur,

in utroque… et in quocumque, recevez, je vous prie, mes plus sincères félicitations sur vos innombrables doctorats; et mes excuses pour mon trop long silence. Mon intérim vient seulement de cesser, et je me suis installé pour quelques jours à la campagne chez ma soeur, Mme de Gail, en attendant que l'on décide de mon sort.

Je n'ai guère été occupé pendant que je faisais mes fonctions de Secrétaire, et pourtant je ne trouvais jamais le temps de reprendre ma correspondance d'agrément. Je désirais d'ailleurs revoir mon frère Henri, avant de vous remercier encore tous de sa part pour l'accueil si aimable qu'il a trouvé auprès de mes chers amis de Ste-Claire. Et je ne l'ai revu qu'il y a une dizaine de jours. Mais vous me tenez pour justifié, n'est-ce pas? et vous me dispensez de barbouiller encore une ou deux pages pour chercher à me disculper.

Donc vous voilà de retour au milieu des chers vôtres, après de nouveaux travaux, de nouvelles fatigues et de nouveaux succès; en vacances définitives! Et vous n'avez pas voulu traverser notre pauvre Alsace! J'aurais dù vous le proposer, il est vrai, mais j'ignorais encore le jour de ma liberté; de plus, ma famille était à la campagne, et trop étroitement installée pour vous prier de nous y rejoindre. Mais maintenant, je suis li­bre, vous êtes libre, et je puis vous offrir un rendez-vous plus convenable; refuserez­-vous? Non, je l'espère; surtout si vous persistez dans vos projets nemausiens, car cela équivaut presque a un enterrement… pour vos amis du Nord. Il est vrai que votre fa­mille a des droits qui priment ceux de l'amitié; mais peut-être trouverez-vous moyen de satisfaire vos créanciers même non privilégiés!

J'attends donc avec confiance l'annonce de votre prochaine visite. La retraite ecclé­siastique s'ouvre à Strasbourg le 21 août pour se terminer le 26; à partir de ce mo­ment, je serai à votre disposition; et si le coeur vous en dit, nous nous promènerons un peu dans nos belles Vosges. L'air y est pur, on n'y sent pas les prussiens. C'est donc une affaire entendue, n'est-ce pas?

Je vous remercie, cher ami, de m'avoir confié votre grand projet. Je ne me permet­trais ni de l'approuver, ni de le désapprouver; car je ne suis pas juge en cette matière. Ce qui me rassure, c'est que je suis persuadé que vous agirez avec calme, sans parti pris a l'avance, et sans préoccupations personnelles, ayant bien pesé devant Dieu le pour et le contre, dans une si grave délibération, et ne recherchant vraiment que la plus grande gloire de Dieu. Vous ne devez pas, par une fausse modestie, vous faire il­lusion sur le bien que vous pourriez accomplir en restant dans le monde; ne vous en rapportez pas à vous-même sur ce point, mais consultez des amis désintéressés, con­naissant et vous et ce pauvre monde.

Puis, si Dieu vous appelle à la vie religieuse, est-ce vraiment a Nîmes qu'il faut al­ler? Je comprends l'attrait qu'exerce sur vous le bon P. d'A. (Alzon); mais cela doit-il suffire pour vous faire opter en faveur de sa petite Congrégation?…

Pardon, si après m'être récusé, j'entre ainsi dans le vif de la question; mais vous de­vinez la tristesse que j'éprouve en voyant toujours s'évanouir les plus belles espéran­ces du clergé séculier. Sans doute, il faut obéir avec joie si c'est Dieu qui appelle; mais si nous ne sommes pas sûrs de cet appel, souvenons-nous que le monde serait bientôt régénéré, si le clergé séculier était à la hauteur de sa mission. Que deviendra ce clergé si tous les bons prêtres, instruits et justement considérés, lui tournent le dos? Encore une fois pardon pour toutes ces réflexions. N'y voyez pas des dispositions hostiles à la vie religieuse (dont Dieu me garde de détourner personne!), mais n'y voyez qu'une invitation à l'examen 1e plus calme et le plus sérieux de cette question, la plus sérieuse pour vous et pour les âmes que vous devez sauver; voyez-y surtout la preuve d'une amitié trop inquiète.

Adieu, cher ami, priez bien pour moi, n'est-ce pas? Vous savez que M. Keller m'a fait décorer; priez pour que ma vanité, qui enfle toujours, désenfle pour de bon. Je vous embrasse de coeur1.

Gustave

(Veuillez répondre à Strasbourg, rue des Charpentiers 17).

1 Député catholique sous le Second Empire, le comte Keller s'était signalé à propos de la Question ro­maine, pour la défense des droits du Pape. Monarchiste, il se retira de la vie publique après l'encycli­que de Léon XIII sur le «ralliement» (1892).

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