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149.03

AD B.17/6.3.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Bougouin

La Mothe St Heray 24 août 71

Très cher ami,

J'ai attendu pour vous répondre: peut-être dans le seul espoir que vous manqueriez à votre parole pour venir me surprendre â Poitiers. A quand désormais le plaisir de vous revoir?

Croyez-vous qu'en commençant l'alinéa où vous me parlez de votre retraite chez les Liguoriens, je vous ai vu Jésuite dans ma pensée, avant de vous voir Père de l'As­somption à la fin de la phrase. La faute en est à ce cher M. Le Tallec qui nous accoutume à de telles méprises. Eh bien! j'avais deviné depuis longtemps qu'il serait de la Compagnie; à la fin pourtant, je m'étais rendu à l'avis de tous par raison plutôt que par conviction; c'est bien tant pis pour la Congrégation. J'avais une lettre de lui qui m'attendait ici, je lui ai répondu au noviciat d'Angers.

Le dirai-je? ce n'est que le 4 août au matin que j'étais à Poitiers. Devinez mainte­nant pourquoi je ne vous ai pas écrit à Rome non plus qu'au P. Supérieur avant cette date. Mon voyage s'est fait comme je l'avais arrêté; seulement j'ai dû me plier à quel­ques exigences de famille et élargir mon cadre. N'étant que le 9 juillet à Marseille, il était difficile que je pusse être à Poitiers le 20, en passant par Digne, La Salette, La Chartreuse et Toulouse.

Une fois pris en flagrant délit de manquer de parole, dès Digne je me suis donné li­bre carrière. J'ai rencontré à Nîmes le P. Dumazaire, que le n'osais compter y voir, oubliant que moi seulement j'étais en retard.

C'est par lui que j'ai appris votre résolution de prendre le doctorat avant la fin de juil­let. J'ai bien regretté de ne trouver à Nîmes ni le R.P. d'Alzon ni votre bâtisseur de cha­teaux. J'aurais pourtant été content d'avoir un mot de lui: a-t-il reçu une lettre que je lui adressais de Digne? Quand reverrai-je aussi ce cher P. Desaire. Vous me mettez tous la tristesse au coeur, quand je vous vois si facilement choisir la meilleure part.

Pour moi, je ne suis ni professeur, ni vicaire, ni curé. Vous n'êtes donc rien, me direz-vous? A peu près; je suis en demi-repos, comme aumônier de pensionnat de bonnes dames religieuses qui s'intitulent de l'Immaculée Conception. C'est une Con­grégation récente, fondée le jour et à l'heure de la promulgation du dogme, et dont la maison-mère se trouve aux Fontenelles, près Niort. Ce sera le lieu de ma résidence. Je suis reconnaissant à Mgr de ce provisoire, qui m'accorde de longs loisirs au milieu de la solitude: je puis vivre en anachorète sans avoir à lutter contre les distractions extérieures. Dieu merci, pourtant, la Providence a voulu que ce site charmant de Fontenelles ne fût pas à deux kilomètres à peine de Niort, ce qui me permettra quel­quefois de violer la clôture de mon ermitage et de la laisser violer aux autres.

C'est du sucre pour commencer. Les deux postes vacants au Gd Séminaire restent inoccupés avec une rentrée de 55 nouveaux, ce qui fait monter à près de 150 le nom­bre total en l'université de Poitiers.

Je ne puis me dissimuler que le Supérieur n'ait vivement insisté auprès de Mgr pour m'appeler là. Mgr tient ferme, tout en me recommandant néanmoins de me tenir prêt. Latet anguis sub herba. Si j'étais arrivé après le Concile, j'avais Buxerolles, on me l'a dit, et ce n'aurait pas été pour rire, comme nous avons ri de votre… (?)1.

En attendant je demeure ici jusqu'à la fin de septembre; et quand vous prendrez le chemin de Nîmes, j'irai tout prosaïquement épouser mes Fontenelles. Ne m'y oubliez pas, je vous en conjure. Je sais tout ce que je vous garde au fond du coeur, et comme je vous poursuis souvent, cher ami, de mes pensées et des souvenirs de ces trois bon­nes années. Mes amitiés au P. Dumazaire quand vous lui écrirez; le suis revenu de là­bas avec une impression. Pas de nouvelles encore de M. Dugas; je lui écrirais si je le savais à Lyon.

M. Putois m'a déjà donné deux fois de ses nouvelles. Il est Contrexéville (sic!) jus­qu'au 26 août, s'ennuyant à mourir et ne se plaisant nulle part. Je ne vous dis rien de Ch. Lequerre. M. Pineau m'a tout dit. Vous savez que je n'ai pas de rancune. Au re­voir, cher ami, et croyez toujours à l'affection de votre tout dévoue2.

Henry Bougouin, pr.

J'oubliais de vous dire qu'à Poitiers tout le monde va bien. Le P. Dorvan m'a appris que le p. Eschbach ne revenait plus à Ste-Claire. C'est M. de Vereilles que j'ai vu le premier, le 4, il m'a servi la messe, ensemble nous nous sommes promenés une partie de la journée. Il est aujourd'hui secrétaire provisoire de Mgr de Segur en Normandie. Mgr semble enclin à le renvoyer à Rome à la rentrée.

1 «Il y a anguille sous roche». Le nom est peut être «Dentelles», une nomination fantaisiste pour l'abbé Dehon… (épiscopat ou canonicat?).

2 Contrexéville: une station d'eaux minérales dans les Vosges.

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