dehon_doc:cor:cor-1lc-1871-1006-0016115

161.15

AD B.17/6.15.15

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nîmes 6 octobre 1871

Mon cher ami,

Votre lettre est entre mes mains depuis ce matin; je vous laisse à juger dans quelle situation elle m'a mis! Votre mort n'eût pas été pour moi un coup plus terrible et ma douleur est au-dessus de toute expression. Je cherche en vain, mon cher ami, quels considérants ont pu vous faire ainsi changer tout-à-coup: je ne sais en trouver. Et voilà pourquoi je vous supplie, au nom de l'amitié que vous me portez, de me dire plus clairement les choses, surtout si vous vous éloignez de cette petite congrégation, en raison des rapports qui vous auraient été faits.

Vous me répétez à plusieurs reprises que l'érection des Universités doit se faire par l'Episcopat; mais vous savez bien que le p. d'Alzon ne veut pas autre chose, puisque Mgr Plantier en prend l'initiative, comme vous le voyez par le Discours de la distribu­tion des prix, et puisque le grand Séminaire de Nîmes devait en être le commence­ment. De fait, cette maison a encore été proposée au Père par le Supérieur lui-même; et on a répondu que pour cette année, nous n'étions pas prêts, mais que certainement nous le serions dans deux ans au plus tard.

Comme sur moi, votre lettre a fait sur le P. d'Alzon une impression qui ne s'efface­ra pas de longtemps. Il avait organisé son personnel pour le réunir nombreux au Vi­gan; il considérait notre rentrée comme une phase nouvelle pour sa Congrégation; en un mot, il voulait que dès votre arrivée vous fussiez ici une puissance. Je le trouve plus affecté encore que moi par votre détermination: je doute cependant qu'il croie déjà à une rupture absolue; pour moi, je suis convaincu que votre lettre est une rup­ture.

Aussi, en même temps que je me sens plongé dans la plus profonde douleur, ne sais-je à quel parti m'abandonner. Sans avertissement et après les longues années de conversation que nous avons passées ensemble, vous me renvoyez, sans même me donner un conseil, aux avis de mon directeur. Mais, mon cher ami, vous savez quelle est ma situation: quelques dettes contractées pendant mon séjour à Rome ne me per­mettent pas d'entrer sur-le-champ dans une communauté.

En entrant ensemble au noviciat, vous m'aviez promis de m'aider à les éteindre; puis je ne me décidais qu'en vue des projets que nous avions formés, nourris et entre­tenus à l'ombre de l'autel. Enfin, mon cher ami, il ne m'est pas possible d'aller pren­dre sur-le-champ une résolution absolue. Franchement, mettez-vous à ma place et ju­gez de mon anxiété. Je viens de passer 8 heures à réfléchir seul et devant Dieu. je ne sais vraiment à quel parti me déterminer, dans la situation présente.

Parlez-moi, et longuement, je vous en prie, de ce qui pourrait être le mieux, car franchement, je ne sais que faire dans la conjoncture présente. Est-ce que votre rup­ture est absolue? Est-ce que franchement vous croyez irréalisables nos projets, main­tenant qu'ils paraissent cependant avoir plus que jamais des chances de succès? En­fin, dites-le-moi; votre conscience ne vous dit-elle rien à mon égard? Ecrivez-moi, écrivez-moi; je n'ai pas le courage de vous écrire plus longuement aujourd'hui1.

Votre ancien et toujours bien sincère ami

C. Desaire, (prêtre)

P. S. L'abbé Putois qui était l'an dernier à Rome est ici de passage, se rendant enco­re à Ste-Claire. Le p. Freyd est-il au courant de votre décision? Ne me cachez rien dans toute cette affaire.

1 L'abbé Dehon avait-il adressé sa lettre à l'abbé Desaire ou au P. d'Alzon. Il est difficile de le discerner à partir de cette réponse. Il semble que normalement c'était d'abord au P. d'Alzon qu'il devait faire part de sa décision. Aucune lettre au P. d'Alzon n'est cependant conservée au dossier communiqué par l'archiviste de l'Assomption. La réponse de l'abbé Désaire semble ne faire allusion qu'à une seule lettre à lui adressée. C'est du moins ce qu'on peut conclure des phrases: «Vous me répétez à plusieurs reprises…»; et «Votre lettre a fait sur le P. d'Alzon une impression…». Aucune réponse du P. d'Alzon à l'abbé Dehon, en tout cas, avant le 9 décembre 71 (cf LC 147).

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