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163.03

AD B.17/6.17.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Mably près Roanne (Loire), fête du St Rosaire (7 octobre 1871)

Mon cher ami,

Depuis deux mois que vous avez quitté Rome, vous êtes d'un mutisme désespé­rant. Je sais heureusement par d'autres, plus soucieux de vous que vous ne l'êtes vous-même, que vous n'êtes resté ni dans le trou du Mont-Cenis, ni au-dessus, ni au­tour; je sais que M. Billot et M. Le Quincy vous ont vu; je sais même, qui plus est, que vous en débitiez de jolies sur mon compte. Mais ce que j'ignore et ce que je veux savoir, c'est ce qui est sorti de votre séjour dans votre castel de Savoie, de vos arran­gements avec le P. Desaire et le P. d'Alzon. Il est clair pour moi que vous allez à Nîmes, mais à quel titre? avec ou sans capuchon? et quand? J'imagine que ce sera bientôt, et alors vous allez traverser nos parages. De grâce, prévenez-moi de votre ar­rivée et arrêtez-vous par ici.

Pour revenir à ce qui me concerne, je sais donc que vous avez annoncé à tout ha­sard, comme deux faits accomplis, et mon doctorat et mon entrée au noviciat, alors que je n'étais encore ni docteur, ni jésuite; l'assertion était téméraire à ce moment-là. Enfin, puisque l'événement vous a donné raison, je n'ai rien à répliquer. Ainsi, cher ami, nous étions devenus tous deux prophètes à l'école de M. Germain: nous avions bien prédit qu'on ne nous verrait ni Eveques ni même Vicaires Généraux.

Le bon P. Freyd prétend que je ne suis pas tout à fait assez rusé pour être parfait je­suite, que cette opposition qu'il m'a faite n'avait que le but de m'éprouver, que J'au­rais dû reconnaître cette tactique et ne pas tant m'effaroucher d'avance. En tout cas, maintenant que l'affaire est faite, je lui suis on ne peut plus reconnaissant de la façon dont il l'a menée, avec un cœur, un tact et à la fin une sûreté de décision que je n'osais plus me promettre.

J'ai fait ma retraite suivant l'usage à la villa Caserte. Le P. Général était absent; je ne sais trop si j'ai eu à le regretter; j'ai eu à sa place un père hollandais charmant, cau­seur, plein d'expérience, qui me voyait souvent, et très carré dans ses avis. En huit jours, tout a été fixé. Maintenant, cher ami, quand, comment, sur quels chemins de ce monde pourrons-nous nous retrouver? Cette séparation indéfiniment longue de cœurs comme le vôtre, avec qui j'ai vécu de si belles années, que j'ai connus, appré­ciés, aimés, voilà, je vous le dis tout net, mon grand brisement de cœur.

Priez bien Notre Seigneur pour qu'il me donne la joie de vous rencontrer encore de temps en temps, pour que nos œuvres, qui vont sans doute se ressembler, nous rap­prochent quelquefois; et puis cependant, bénissons-le de nous avoir choisis pour une vie plus sacrifiée, et vers lui, au saint autel, ayons un rendez-vous de chaque jour, pour nous obtenir réciproquement cette force que l'union sait produire.

Que devient donc votre révérend compère Desaire? J'aime à croire que la loi du si­lence est aussi rigoureuse à l'Assomption qu'au noviciat des Jésuites: toujours est-il que la lettre que je lui ai écrite ce printemps attend encore sa réponse. Vous devriez pourtant le secouer un peu. Pour vous, c'est entendu, je compte au moins vous entre­voir dans le courant de ce mois. Il est possible que j'aille passer deux ou trois jours à Paris, mais vers le 15, je serai certainement de retour à Lyon. Du reste, écrivez-moi vite, je pourrai combiner mes plans d'après les vôtres.

A Dieu, mon bien cher ami. Pour aujourd'hui, je ne vous embrasse que de cœur, mais toujours en ami dévoué.

Joseph Dugas

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