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AD B.17/6.15.17

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

La Vigan 14 novembre 1871

Mon bien cher ami,

Par l'exactitude avec laquelle je viens répondre à votre lettre, le vais vous prouver qu'on n'est pas impunément dans un noviciat et qu'on s'y corrige de ses défauts. J'at­tendais avec impatience de vos nouvelles, me figurant toujours, je ne sais trop pour­quoi, que par un nouveau mouvement en avant, vous arriveriez sans avoir besoin d'aller passer par St-Quentin. Il n'en est rien et voici que pour vous ou pour moi, je suis obligé de répéter le mot de la fable: «Trop vert!»1. Je n'en conserve pas moins un vif espoir de travailler un jour avec vous, sous le même toit et sous le même froc.

Non, il n'est pas possible qu'un malheureux moment de vacances ait pu briser des liens si doucement formés sous le regard de Dieu, et anéantir des projets qui devaient si bien servir à sa gloire. Tous les jours, je prierai et ferai prier pour qu'à tous deux le Seigneur nous rende force et lumières.

Vous me demandez mes impressions sur le Vigan: toujours je vous les donnerai avec sincérité et surtout avec vérité. La petite communauté compte environ vingt membres; les uns étudient encore les lettres, les prêtres occupent plus spécialement d'études ascétiques, et durant ces quelques mois où le P. d'Alzon va séjourner avec nous, nous recevrons ses instructions. Chaque jour il en donne une qui dure près d'une heure. Je ne saurais assez vous dire combien j'y trouve de l'intérêt, de la gran­deur dans les vues et un fond de piété solide et éclairée. Nous n'avons pas ici une belle église comme votre quasi-cathédrale, mais je vous assure qu'on sent très bien que Dieu s'y trouve, qu'il y parle au cœur et qu'il y bénit ses enfants. Le genre de vie que le mène est donc en tous points assez semblable à celle du Séminaire français. Je m'occupe spécialement de piété et je me propose de me pénétrer longuement des écrits de St jean de la Croix. La vie intime que je trouve avec le P. d'Alzon me rend tout-à-fait heureux.

Aussi je me demande si, même humainement, il peut y avoir une plus belle position que celle du Religieux, qui ne compte que sur Dieu et sur lui-même et qui peut, sans appréhension, se jeter dans la mêlée du combat à soutenir pour la cause sainte. Sans doute, la vie n'est pas toute de roses: il en coûte quelque peu de s'astreindre de nou­veau à une règle qui a bien ses coups d'épingles, de mettre sous le boisseau la lumière qu'on croit avoir, de demeurer humblement retiré, quand on pourrait être dans une magnifique église. Mais tous ces sacrifices apparents effrayent peu quand on regarde l'avenir, qu'on veut le bien véritable de son âme et de celles qui vous seront confiées.

Avec un prêtre de la Savoie, qui quitta Beaufort en juin dernier, j'ai pris le (fa­meux?) capuchon, samedi dernier. Cet acte, que je regardais avec vous comme un épouvantail, m'a paru si naturel et si logique que, loin de m'en attrister, je l'ai fait avec une gaîté de cœur sans pareille. Encore quelques bonnes instructions, jointes à quelques sérieuses méditations, et les moindres petites pratiques de la vie monacale me seront aussi familières qu'à l'anachorète le plus consommé.

De toutes parts, des œuvres nouvelles se présentent au P. d'Alzon. Voici qu'à Nice il y aurait à faire un bien considérable. Le P. d'Alzon poursuit avant tout, avec une rare énergie, la question de l'Université. Comme je vous l'ai dit, nous pouvions par­faitement commencer au Grand Séminaire de Nîmes, dans deux ans, ce que Mgr Freppel vient de commencer à Angers; pour cela vous étiez nécessaire; votre apparen­te froideur, votre caractère, votre extérieur, vos études donnaient aussitôt en vous un Supérieur capable de prendre la position.

Les trois jeunes religieux qui sont à Rome se formeront; l'abbé Gilly est à l'Ass(omption) de Nîmes, se proposant comme professeur d'Ecriture; un jeune pre­tre, fort distingué, professeur de sciences au Gd Séminaire de St-Die est venu se pro­poser, faisant le voyage exprès, et reviendra en octobre définitivement. Encore une fois, bien cher ami, réfléchissez et voyez: je ne me résous pas à croire que le bon Dieu ne vous dira rien. Après cette année j'aurai encore un an de noviciat à faire; nous pas­serons au moins celui-là ensemble. L'année que vous allez passer à St-Quentin ne vous sera certainement pas nuisible; mais je pense qu'elle vous suffira.

Adieu, bien cher ami, continuons à nous écrire souvent et à rester bien unis en Dieu. Je vais prier le P. d'Alzon de vous écrire deux mots.

Tout à vous en N. S.

C. Desaire

1 De la fable de La Fontaine: «Le Renard et les Raisins».

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