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182.03

AD B.17/6.35.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Petit

(Buironfosse le 28 nov. 1871)

Mon bien cher ami,

M'entretenir avec vous, mon bien cher ami, c'est offrir à mon ciel sombre un doux rayon de soleil. Oui, je suis toujours un peu triste depuis l'épreuve que la Providence m'a fait subir. Je sens aujourd'hui toute la place qu'occupait ce bon vieillard. C'est qu'en effet, nous nous attachons plus, je crois, à ceux auxquels nous donnons beau­coup, qu'à ceux de qui nous recevons. Se prodiguer pour quelqu'un, c'est surexciter son affection pour lui, c'est la doubler? Pour un cœur généreux, se dévouer, c'est vi­vre; c'est lui arracher la vie que de lui enlever l'objet de son dévouement: «attamen non mea, sed tua fiat!!! Il est vrai que le bon Dieu a daigné me frapper de sa main la plus paternelle, puisque la mort de mon père fut la mort du juste! La suite nombreuse au jour de l'inhumation, les lettres sympathiques de cœurs dévoués m'ont aussi ap­porté un grand allègement.

Je suis allé à La Capelle vendredi dernier. Après avoir vu M. le Doyen, que j'ai trouvé très irrité contre les instituteurs de l'arrondissement, je me suis empressé d'al­ler rendre visite à vos bons parents. Je les ai trouvés en fort bonne santé; madame vo­tre mère va bien maintenant. Nous avons beaucoup, ou plutôt uniquement parlé de Mr le Gd Vicaire de St-Quentin. Mr votre père parait être rentré dans une impression plus favorable. Je me suis réjoui de cet état de choses.

Vous voilà donc sur la brèche, mon très cher, lancé dans un ministère actif; de la théorie vous passez à la pratique de l'art suprême du gouvernement des âmes: grande opus! Il nous faut, mon très cher, chacun dans notre sphère, déployer toute l'ardeur d'un zèle prudent. Reléguons bien loin surtout toute pensée humaine, tout sentiment de sotte vanité qui, semblables aux harpies de la fable, viendraient souiller toutes nos œuvres. Les fruits de notre ministère et nos joies, même temporelles, sont à cette condition. Je ne cesse de me le répéter, et je crains toujours de n'en être pas assez con­vaincu.

Je suis heureux de vous voir si bien apprécier Mr l'Archiprêtre. Sous cette apparen­ce un peu glaciale, il y a un cœur bien bon. Vous trouverez surtout en lui une vertu qui ne se dément jamais, un prêtre qui ne sait que le devoir et qui, à la vertu éprou­vée, joint une science profonde de la théologie.

Mon église terminée, je croyais ma tâche remplie; mais voilà que sur ma demande, le Conseil Municipal vient de voter une église pour le Boujon, à bâtir au printemps prochain. Le moment m'a paru favorable pour adresser cette supplique. Le Conseil veut en ce moment tout ce que ne veut pas Mr le Maire; j'ai donc lancé mon affaire, elle a passé comme une lettre à la poste: 30.000 Fr et le surplus. J'ai tâché cependant de ne pas blesser mon maire, et si je n'ai pas mis toute la simplicité de la colombe, je vous prie de croire que j'ai usé de toute la prudence du serpent. Déjà je suis à l'œuvre pour combiner avec l'architecte le plan d'une jolie petite église gothique.

Veuillez agréer mon bien cher ami, l'assurance de mon respect le plus affectueux. Mon respect bien affectueux aussi à Mr l'Archiprêtre.

Votre ami bien dévoué

C. Petit

Buironfosse le 28 nov. 1871.

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