dehon_doc:cor:cor-1lc-1871-1209-0016118

161.18

AD B.17/6.15.18

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Le Vigan 9 décembre 1871

Bien cher ami,

J'arrive d'une courte excursion a Notre-Dame des Châteaux. L'administration uni­versitaire avait essayé de nous créer des misères: certaines formalités n'ayant pas été intégralement remplies, il avait été enjoint de fermer la petite école. La lettre qui en­joignait cette mesure alla de Beaufort a Rome et nous revint au Vigan. Sur-le-champ, le P. d'Alzon écrivit à M. de Larcy, qui obtint de J. Simon la révocation de cet ordre rigoureux et qui remit toute chose dans la tranquillité. Mais, avant d'avoir obtenu une réponse, effrayé du mauvais effet que produirait la dispersion des enfants, j'avais cru devoir monter aussitôt pour faire un peu de tapage auprès des populations et ob­tenir des pétitions en faveur de l'œuvre. Quoique mon voyage n'ait eu aucune utilité a ce point de vue, j'en ai été content a cause de la satisfaction que j'ai rapportée de voir cette petite œuvre si bien marcher: il m'a été donné de constater combien il est facile de trouver encore des âmes pieuses et vraiment innocentes quand on veut les soigner des le jeune âge et ne leur fournir que de bons exemples.

Ces enfants sont charmants: ils étudient avec zèle, chantent avec entrain et sont aussi recueillis que des moines consommés. Il me semble que je serais heureux de vi­vre toujours au milieu d'eux et de travailler à faire grandir en eux N. S. Enfin, je crois plus que jamais que de semblables pépinières sont appelées à faire dans l'Eglise le plus grand bien et à donner de vrais ministres à nos autels.

Quand vous avez eu la bonté de m'offrir d'acquitter des messes à mon intention, je n'en avais pas. On m'en a remis 60 que vous aurez la bonté d'acquitter quand il vous plaira, mais les 20 premières doivent être dites avant la fin janvier.

Vous tardez beaucoup à me donner une réponse à ma dernière lettre. Votre nou­velle installation est sans doute la cause de retard. Veuillez me dire, bien cher ami, ce que vous faites et ce que vous pensez de nos anciens projets. Sans m'ennuyer au novi­ciat, car vous savez combien j'ai à travailler et combien j'aime travailler, je suis sou­vent pris d'un épouvantable et sombre ennui. Je voudrais connaître les causes vraies de votre ajournement; en un mot, je suis loin de jouir de ce calme absolu que mon âme désirerait et qu'elle espérait trouver dans la retraite.

Je ne sais si ce sont des fantômes ou des réalités, mais à plusieurs reprises, je sens ou je crois sentir que, vous n'étant pas là, notre but principal ne sera pas atteint et que, par conséquent, ma raison d'être ici ne demeure plus la même. Cependant, d'au­tre part, je vois bien qu'en étant prêtre séculier, je ne ferai rien de bon.

Que devenir, mon Dieu, au milieu de ces incertitudes? Je n'en parle pas au P. d'Al­zon: il paraît très occupé quand j'ai à lui parler, et je redoute de lui faire de la peine en lui révélant ces troubles de mon âme. Puis, je ne sais comment il me juge; tantôt il me paraît croire que le noviciat me pèse et que je désire travailler au plus tôt à l'exté­rieur; tantôt il semble indécis sur le genre de travaux qu'il me confiera. Un jour, il me dit de diriger mes vues uniquement vers l'établissement de l'Université à Nîmes; mais je ne m'en sens point capable; autant j'aurais pu faire un bon petit professeur, autant le supériorat me convient peu pour une pareille œuvre: voilà pourquoi j'éprouve quelquefois de violentes tentations de me retirer.

Mais que dirait-on? Que je ne suis jamais content nulle part et que partout je suis incapable de tout travail sérieux. Parlez-moi, mon bon ami, un peu plus à cœur ou­vert que vous ne l'avez fait dans vos dernières lettres et dites-moi toute votre pensée.

Vous savez que l'abbé Dugas est au noviciat de Lons-le-Saulnier: je ne sais com­ment il y va. J'attends avec impatience de ses nouvelles.

Au revoir, bien cher ami; prions toujours beaucoup l'un pour l'autre, et essayons de nous expliquer mutuellement la nature des croix que le bon Dieu nous impose et que nous ne discernons pas toujours avec beaucoup de facilité.

Votre confrère bien dévoué en N. S.

C. Desaire

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