dehon_doc:cor:cor-1ld-1866-0403-0021816

218.16

B18/9.2.16

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 avril 1866

Chers parents,

Je crains que votre dernière lettre ne se soit égarée: il y a aujourd'hui vingt-trois jours que je n'ai pas reçu de nouvelles de France.

Notre travail est suspendu depuis le dimanche des Rameaux jusqu'à dimanche prochain. Le premier jour de nos vacances c'était le commencement de ces fêtes solennelles qui attirent à Rome cinquante mille étrangers. Le Saint-Père bénit et distribua les palmes, puis il y eut une superbe procession suivie par tous les dignitaires ecclésiastiques, les princes et le corps diplomatique. Le chant de la passion, avec les chœurs des plus célèbres musiciens des siècles derniers, était très beau et très touchant. Ces diverses cérémonies parlent tant au cœur que bien des étrangers se prennent à pleurer d'émotion.

Le lundi, le mardi et le mercredi, il n'y avait point de fêtes; toute la ville était en retraite pour se préparer à la communion pascale du jeudi saint. Nous passâmes ces trois jours dans le silence et dans le calme pour régler notre bilan avec Dieu, examiner les progrès que nous avons pu faire et les réformes à apporter. Les hommes du monde, qui comprennent si bien l'importance de ce retour sur le passé pour leurs affaires temporelles, devraient bien examiner aussi de temps en temps où en est l'affaire bien plus importante de leur salut.

Le jeudi est un des grands jours du temps pascal. Le matin, la chapelle Sixtine fait entendre ses plus beaux chants, puis le Saint-Père, suivant l'exemple donné par Notre-Seigneur, lave les pieds à treize prêtres pèlerins à Saint-Pierre, il s'agenouille devant eux et baise leurs pieds quand il les a lavés. Après cela il les sert à table dans une salle dépendante de Saint-Pierre. Puis du balcon de la basilique, où on l'apporte en grande pompe, il appelle la bénédiction du ciel sur la foule innombrable qui occupe toute la place et jusqu'aux toits des maisons voisines. Le Saint-Père lit d'abord la bénédiction de sa belle et noble voix qu'on entend aux extrémités de la place, puis il se dresse, lève les bras au ciel et bénit cette foule agenouillée où les plus sensibles versent des larmes d'émotion. La bénédiction se renouvelle le jour de Pâques et elle est plus solennelle encore. Le cardinal Antonelli faisait diacre et Mgr Place sous-diacre1. Le soir, la façade et la coupole de Saint-Pierre étaient illuminées par 4.400 feux renouvelés après une heure par des feux plus brillants. Telles sont les splendeurs des fêtes de l'Église. Mais elle a des scènes plus touchantes encore. Pendant toute la Semaine sainte il arrive à Rome des pèlerins de toute l'Italie et même des autres pays d'Europe. Un immense hospice est destiné à recevoir les plus pauvres. Il y en a toujours cinq ou six cents qui se renouvellent tous les trois jours. Une pieuse association composée de prélats, de princes, de cardinaux y pratique le conseil de l'Évangile en leur lavant les pieds à tous, leur baisant les pieds et les servant à table. On les voit à l'œuvre tous les soirs pendant la Semaine sainte dans les immenses salles de cet hospice.

Tous les jours aussi, le Saint-Père reçoit en audience les étrangers et a pour chacun une parole bienveillante.

En admirant ces divers témoignages de la sainteté et de la sublimité de notre religion, vous remercierez Dieu de ce qu'il a daigné élire un de vos enfants pour le mettre au nombre de ses apôtres2.

Je reçois à l'instant votre lettre du 28 mars. Il sera difficile, je crois, de nous écrire sans que nos lettres ne se croisent. J'espère que l'indisposition de mon cher père n'a été que momentanée. Pour moi, on me dit que j'engraisse. Ce n'est pas étonnant, en séminaire!

Palustre ne se marie pas encore. Son projet était secret, ne lui en parlez pas. Embrassez pour moi toute la famille, surtout Henri, Laure et maman Dehon.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Le cardinal Antonelli, Secrétaire d'État pendant presque tout le pontificat de Pie IX (de 1849 à 1876). Cardinal resté diacre, sa personnalité et sa politique sont généralement jugées assez sévèrement par les historiens (cf. Histoire de l'Église, de Fliche et Martin, T. 21: Le Pontificat de Pie IX par R. Aubert pp. 85-86). Mgr Place, récemment promu évêque de Marseille (cf. LD 39 et 41).

2 On pourra comparer cette description à celle qu'en fera le P. Dehon en NHV V, 25-31.

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