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B18/9.2.56

Ms autogr. 8 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 21 décembre 1867

Chers parents,

Mon cœur déborde de joie et je voudrais vous faire partager mon bonheur. C'est aujourd'hui le plus beau jour de ma vie. Me voici consacré à Dieu. Le monde peut regarder cela comme un sacrifice et un engagement, mais le monde est insensé. Que pourrions-nous donner à Dieu? Lui donner, c'est recevoir; «le servir c'est régner» dit S. Paul1. Toute la religion est pleine de cette vérité. Celui qui donne à Dieu reçoit au centuple. Renoncer à quelque chose pour Dieu, c'est une grâce et un bienfait de Dieu. Se détacher du monde, c'est rompre les chaînes de la servitude et s'élever vers le ciel.

Vous n'étiez pas à cette belle cérémonie, mais j'y ai beaucoup pensé à vous et prié pour vous. L'amour de Dieu n'amoindrit pas celui des parents, mais le fortifie. Je pleure quelquefois en pensant à vous et ce ne sont pas des larmes égoïstes causées par l'ennui, mais des larmes généreuses versées devant Dieu en le suppliant de vous bénir, de vous sanctifier, de vous conserver la paix du cœur et de nous réunir dans le bonheur des élus pour l'éternité. N'est-ce pas là du véritable amour?

Je me suis préparé à ma consécration par la retraite, la prière, l'union à Dieu. Je n'ai pas répondu à votre dernière lettre parce que je vous avais écrit deux jours avant de la recevoir. J'avais écrit aussi à mes meilleurs amis pour demander leurs prières. J'ai reçu aujourd'hui une bonne lettre de Mr Demiselle, qui n'a pas pu aller à La Capelle parce qu'il était souffrant2.

J'essaierai de vous donner l'idée d'une ordination. Nous étions une centaine, de toutes les parties du monde, pour les différents ordres. Le cardinal vicaire officiait. Après la collation de la tonsure et des ordres mineurs, on appelle les sous-diacres au pied de l'autel, dans le chœur de la basilique de Saint-Jean de Latran, où les papes et leurs vicaires font toutes les ordinations de Rome depuis le cinquième et même le quatrième siècle.

Le cardinal nous adresse d'abord cette monition: «Mes enfants bien-aimés, au moment d'être promus à l'ordre sacré du sous-diaconat, vous devez considérer mûrement le fardeau dont vous désirez de votre plein gré être chargés aujourd'hui. Car vous être libres jusqu'à présent; vous pouvez à votre gré prendre des engagements dans le monde; mais si vous recevez cet ordre, vous ne pourrez plus vous dégager du lien qui vous attachera pour jamais à Dieu, à qui servir c'est régner. Vous devez garder avec le secours de sa grâce une chasteté perpétuelle, et demeurer irrévocablement attachés au service de l'Église. Réfléchissez donc pendant qu'il en est temps encore; et si vous persistez dans votre pieux dessein, au nom du Seigneur, approchez.»

Alors ceux qui sont appelés au sous-diaconat, au diaconat et à la prêtrise se prosternent tous la face contre terre et restent étendus sur le sol consacré par l'ordination de tant de saints prêtres et lévites, pendant tout le temps que l'assemblée chante à genoux les litanies des saints. Le pontife y ajoute ces trois invocations solennelles et émouvantes: «Seigneur, daignez bénir ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous. Seigneur, daignez bénir et sanctifier ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous. Seigneur, daignez bénir, sanctifier et consacrer ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous.»

On se relève alors et le pontife fait une seconde exhortation: «Au moment de recevoir l'ordre sacré du sous-diaconat, considérez attentivement, mes chers enfants, la grandeur du ministère qui vous est confié.» Puis il énumère nos fonctions et ajoute: «Appliquez-vous donc à remplir ces fonctions visibles avec tout le soin et la vigilance dont vous serez capables, et à accomplir par vos exemples ce qu'elles représentent…» Après cela commence la collation proprement dite de l'ordre. Le pontife nous donne à toucher le calice et la patène, puis nous bénit et prie sur nous, et il nous revêt successivement des ornements sacrés en nous indiquant leur signification mystique. Il adresse à Dieu avec l'assistance ces oraisons:

«Prions Dieu et Notre-Seigneur, mes très chers frères, de répandre sa bénédiction et sa grâce sur ces serviteurs qu'il a daigné appeler à l'office de sous-diacres, afin que par leur fidélité à remplir saintement en sa présence le ministère qui leur est confié, ils méritent les récompenses destinées aux élus. - Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, daignez bénir vos serviteurs ici présents, que vous avez choisis pour les élever à l'ordre du sous-diaconat; établissez-les dans votre Église comme de courageuses et vigilantes sentinelles de la milice céleste, comme de fidèles ministres de vos saints autels; que l'esprit de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science et de piété repose sur eux; remplissez-les de l'esprit de votre crainte; confirmez-les dans le divin ministère que vous leur confiez, afin que dociles et soumis en tout, dans leurs paroles et dans leurs actions, ils obtiennent votre grâce, par Notre Seigneur Jésus-Christ.»

Après cela vient l'ordination des diacres et des prêtres, puis la sainte messe que les nouveaux prêtres disent avec le pontife. Tous les ordinands communient de la main du cardinal.

Cette après-midi même, j'avais déjà le bonheur d'exercer mes nouvelles fonctions au salut du Saint-Sacrement.

Nous allons avoir les fêtes touchantes de Noël et quelques jours de repos.

Quant aux publications pour mon ordination, elles ont été faites ici selon l'usage de Rome. Il n'était pas nécessaire qu'elles soient faites à La Capelle. Du reste elles ont moins d'importance que pour le mariage.  

Ma lettre vous arrivera deux ou trois jours avant le 1er janvier. Qu'elle soit donc l'interprète de mes souhaits de jour de l'an. Croyez bien que ce n'est pas de ma part une vaine formule. Je prierai tout spécialement ce jour-là pour que Dieu vous comble de ses grâces dans cette vie et dans l'autre.

Je voudrais écrire aussi à Henri et Laure et à maman Dehon, mais puisque vous habitez ensemble, mes lettres s'adressent vraiment à tous et je vous charge de les embrasser bien tendrement à cette occasion.

Donnez à Marthe un bonbon de ma part pour qu'elle ne m'oublie pas.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Même citation en NQT I/1867, 21 décembre 1867, reprise d'ailleurs du texte du pontifical cité plus loin; la référence à S. Paul est au moins ad sensum. Comme on le verra, la plus grande partie de cette longue lettre, écrite le soir même de l'ordination, reproduit des textes du Pontifical, rituel des ordinations, alors en usage (jusqu'au Concile de Vatican II).

2 Cf. LC 32.

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