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B21/7.B

Ms photocop. 8 p. (21 x 13)

Au P. d'Alzon

La Capelle 11 août 70

Mon révérend père,

Vous êtes bien aimable de penser à moi au milieu des tristes préoccupations qui nous absorbent. J'ai, comme vous, une grande confiance dans l'avenir de la France et dans celui de Rome. Le bon Dieu nous éprouve par des revers passagers, qui ont été mérités par les fautes de la France. L'épreuve multipliera notre énergie et nos efforts comme en 1792, et la France se relèvera. La vocation de la France est certaine. Sa mission n'est pas finie. Elle a encore, malgré ses défaillances, assez de vie chrétienne pour être le soutien de l'Église à Rome et son appui vengeur en Chine, et pour cela il faut qu'elle conserve en Europe sa force et sa dignité1. J'ai la même confiance pour Rome. Dieu ne semble-t-il pas ne permettre la guerre que pendant l'interruption du Concile?

Que deviennent nos plans au milieu de tout cela? Il me semble qu'ils s'affermissent et s'imposent de plus en plus par leur nécessité. Quand les intelligences de la France ont-elles eu plus besoin qu'on leur apporte les rayons vifs et purs de la vraie lumière puisée à sa source auprès du St-Siège.

Dieu a voulu la définition de l'infaillibilité du Pape, n'est-ce pas pour qu'on en déduise cette grande conséquence pratique? Maintenant que tous les citoyens ont part au gouvernement, les catholiques de France sont jusqu'à un certain point les arbitres du monde. Les laisserons-nous dans la demi-lumière des études de France? Il faut une œuvre résolue, tenace, généreuse et sans réserve. Mille autres nous sollicitent, mais il est certain que nous ne pouvons bien faire celle-là qu'en excluant presque entièrement les autres. Ce sera là pour vous une grande tentation. Vous serez entraîné par le passé de votre congrégation et par le zèle même et la bonne volonté de vos pères.

Avec des études faites à demi à Rome, vous ne remplirez pas le but. Il faut des études longues, spéciales, calmes, dégagées de toutes préoccupations. La chose faite à demi serait peut-être aussi nuisible qu'utile. Les hommes qui ont peu étudié à Rome n'en prennent quelquefois que les défauts et les exagérations et sont incapables de la défendre. Je crains que cela n'entre pas bien dans l'esprit de votre conseil. Il faudrait leur dire ouvertement tous vos plans, leur persuader qu'ils ne sont pas à même de les apprécier entièrement quant à présent, préoccupés qu'ils sont par les œuvres de France, et leur faire admettre une transformation radicale. Je vous parle hardiment parce que je vous dis ces choses devant Dieu et que je les sens vivement.

J'ai lu, avec beaucoup de plaisir dans l'Univers votre discours de distribution de prix. Vous avez admirablement déduit quelques conséquences de la définition du 18 juillet sur l'avenir des sciences et de l'enseignement catholique. «Par la vérité (puisée auprès de) son Docteur infaillible, nous sommes les maîtres du monde de l'intelligence, de la science, maîtres du monde des idées, mais des idées vraies.» «Sachons y retremper les générations.» «Que les catholiques, avec les idées chrétiennes, travaillent à faire une nouvelle société, par un nouvel enseignement donné sous (la direction immédiate) et la confirmation du pape.»

Il y a une pensée que je n'ai pas bien comprise. Vous semblez laisser à l'État l'enseignement de certaines sciences, pourvu que les questions de doctrine ne s'y mêlent pas. Il me semble qu'on ne peut laisser à l'État l'enseignement légitime d'aucune science séparée, parce que l'enseignement est inséparable de l'éducation et qu'il n'y a guère aucune science séparable et indépendante de la théologie. Mais je suis sûr qu'au fond, sur ces points, nous sommes d'accord2.

Je n'ai pas reçu de nouvelles de l'abbé Désaire depuis qu'il m'a écrit de Nîmes. Tâchez de lui donner des sujets nombreux et de leur donner du temps pour étudier. Résistez aux pères qui vous les réclament ailleurs3.

Je prends ici de bonnes vacances attristées par les événements. Ma santé est excellente. Mon curé me fait faire un peu de ministère. J'aimerais mieux étudier, mais je n'en trouve pas le temps. Je n'ai pas de nouvelles de Rome ni de mes amis de Ste-Claire depuis mon retour, bien que j'aie écrit à plusieurs.

Soignez votre santé. Ayez la bonté de me donner des nouvelles de votre Chapitre impromptu4.

Croyez à mon sincère dévouement et à mon attachement profond.

Tout vôtre en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Allusion aux troubles qui agitaient la Chine contre les Européens dans les années 1860-1870, avec notamment les émeutes de mai 1870 à Tien-Tsin, où furent massacrés le consul de France, deux missionnaires, dix religieux et huit autres personnes.

2 Cf. Réponse du P. d'Alzon le 13 août (LC 75)

3 Lettre du 29 juillet 1870 (LC 72).

4 Cf. Lettre du P. d'Alzon, du 7 août 1870 (LC 73).

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