dehon_doc:cor:cor-1ld-1870-1007-0021913

219.13

B18/10.13

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 7 octobre 70

Mon cher ami,

J'accepte tes reproches. Ils sont légitimes. Depuis deux mois, préoccupé des malheurs publics, j'ai négligé toutes mes relations d'amitié. C'est un peu, je crois, la condition commune. Mes amis me laissent aussi sans nouvelles.

Tout le monde s'afflige de voir les épreuves que Dieu envoie à l'Église et à la France. J'espère que, pour la France comme pour Rome, l'épreuve ne sera que passagère. La France attribue volontiers tout le mal au gouvernement impérial. Je préfère voir les choses d'un peu plus haut. Je ne me passionne pour aucun gouvernement. Je crois que nos malheurs sont l'œuvre de Dieu, qui voulait punir à la fois le gouvernement et la nation. La France, dans la plupart de ses provinces, a peu de foi et encore moins de pratique religieuse. Les fautes qui nous attirent ces châtiments sont celles qui ont un caractère national, comme les profanations du dimanche et le blasphème, et par-dessus tout, nos principes révolutionnaires, qui animent toute notre presse et qui seront condamnés par le Concile quand il pourra se continuer. Quant aux fautes du gouvernement impérial, elles ne sauraient se compter. Je crois, comme toi, que les honnêtes gens ont eu un peu trop confiance en lui. Cependant pendant ses premières années, il a mérité, sous plusieurs rapports, les éloges du clergé. Nos faux principes politiques et notre irréligion depuis un siècle nous ont valu plus d'une leçon de la providence. La France n'en profite pas encore et je crains bien qu'il ne lui en faille bien d'autres pour la ramener à Dieu. Dans nos pays, les hommes comprennent un peu que c'est Dieu qui les frappe, mais ils voudraient l'apaiser par une petite prière ou par la fumée d'un cierge. Ils ne vont pas au-delà. En politique, ils sont monarchistes et ils verraient volontiers venir les d'Orléans. Pour moi, je ne trouve de repos et de consolation que dans la soumission à la volonté de Dieu. Dieu nous châtie parce qu'il nous aime. Tout ce qu'il permet servira à sa gloire et peut être utile à notre salut1.

Je suis ici dans l'attente des événements. Je travaille un peu et je prêche quelquefois. J'ai demandé en vain à être aumônier de l'armée2. Notre municipalité voulait hier m'enrôler dans la garde nationale mobilisée. Je lui ai fait comprendre que ce n'était pas son droit. J'attendrai quelque temps pour décider où je passerai mon année. Si nous avions eu la paix, je serais arrivé chez toi au milieu de ce mois. Tous les projets sont maintenant suspendus.

Adieu, mon cher ami, prie pour moi.

Tout à toi in Xsto

L. Dehon, pr.

Toute ma famille est en bonne santé et t'envoie mille compliments.

1 Cette lettre est intéressante pour situer le jugement de Léon Dehon sur les événements et l'interprétation religieuse qu'il en donne. Il ne fait d'ailleurs que refléter l'opinion générale catholique en ces années 1870, sur le gouvernement impérial, dans ses deux phases: autoritaire (1852-1860) et plus libérale (1861-1870), et notamment sur sa politique ecclésiastique et sur la question romaine. Cf. Aubert: Histoire de l'Église - Fliche et Martin n. 21 -, chapitre IV: L'Église en France sous le Second Empire (pp. 108-131) et chapitre XI, paragraphe 2: L'Église en France et les débuts de la Troisième République (pp. 373-384). Lui-même monarchiste, Léon Dehon, comme L. Palustre, était légitimiste (pour le comte de Chambord), contre les Orléans qui avaient régné de 1830 à 1848 (règne de Louis-Philippe d'Orléans).

2 Cf. en NHV VIII, 124-125: «De Soissons Mgr Dours répondait, le 24 août, à ma demande des pouvoirs d'aumônier: 'Mgr me charge de vous accuser réception de votre lettre du 23 et de vous donner l'assurance que, le cas échéant, il sera très heureux de faire appel à votre zèle' [lettre de l'abbé Dours: AD B21/3.P, Inv. 371.14]. Après Sedan, j'insistai et je reçus de nouveau une réponse dilatoire.» 7 septembre 1870: «Monseigneur me charge de vous accuser réception de votre lettre du 5 et de calmer vos inquiétudes. Elles sont peut-être quelque peu exagérées et j'espère que le bon Maître aura pitié de notre pauvre France. Si vos craintes venaient à se réaliser, Monseigneur ne vous oubliera (pas). Votre tout dévoué. L'abbé Dours» (AD B21/3.P, Inv. 371.15). Cependant, l'abbé Dehon put exercer son zèle auprès d'un régiment de l'armée du Nord cantonné à La Capelle (cf. NHV VIII, 121 et LD 158).

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