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219.16

B18/10.16

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 24 mars 71

Mon cher ami,

Tu vas être bien étonné d'apprendre que je suis à Rome. Il est vrai que j'y suis venu avec quelque hésitation, comme nous allions au désert ou à la Mer Morte. Je désirais très vivement finir mes études et aussitôt que j'ai pu laisser mes parents sans danger à La Capelle, c'est-à-dire au lendemain de la paix, je suis accouru à Rome par le Bourbonnais et la Corniche, en m'arrêtant seulement à Nîmes chez des amis.

Je suis heureux de me retrouver ici et j'espère finir mes cours cette année. Il règne ici un calme suffisant pour travailler et les cours dont j'ai besoin se font encore au Collège Romain, dont les Piémontais ont pris la plus grande partie.

Les premiers jours de mon séjour à Rome ont été pour moi d'une profonde tristesse. Toute la partie saine de la population, qui est la plus nombreuse, considère les Piémontais comme nous considérions les Prussiens dans nos pays envahis. On rencontre dans les rues une écume de gens de mauvaise mine, qui n'ont su importer que des livres et des journaux corrupteurs et des femmes corrompues. C'est le cortège de la révolution. Quel contraste avec l'arrivée de la religion sur une terre nouvelle avec des missionnaires, des religieuses et l'évangile!

J'ai déjà eu le bonheur de voir le Saint-Père en audience au Vatican. Il a toujours le visage serein et une santé inaltérable. Il ne sort plus. Les cardinaux ont aussi quitté tout appareil extérieur et Rome n'aura pas les fêtes de Pâques cette année. Tout cela augmente les regrets des Romains, qui se voient en outre tous les jours accablés de nouveaux impôts. Les Piémontais semblent comprendre qu'ils n'ont aucune chance de rester ici. Malheureusement, ils auront le temps de détruire bien des choses. Ils se sont déjà emparés de huit couvents des plus importants, comme la Minerve, les Augustins, l'Oratoire, et ils menacent les autres.

Ma visite à Tours est encore remise à un autre temps. Écris-moi bientôt. Dis-moi si tu as eu à souffrir des Prussiens. À La Capelle, nous avons été providentiellement préservés. Pendant que tous les pays environnants étaient accablés de contributions, nous avons échappé à tout.

Nous aurons maintenant à traverser les difficultés intérieures qui sont le fruit de la révolution. Puisse la France en profiter et reprendre une constitution chrétienne1.

Adieu, cher ami.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 Allusion aux problèmes que posait la réorganisation politique du pays après la chute de l'empire. Élections, le 8 février, d'une assemblée à forte majorité pour la paix et l'ordre (ruraux, monarchistes…) et désignation, le 17 février, de Thiers comme chef du gouvernement provisoire. Préliminaires de la paix le 26 février. Le 3 mars, installation du gouvernement à Versailles et formation à Paris d'un comité de la Garde nationale. Le 18 mars, révolte des Parisiens contre la récupération par l'armée des canons de la Garde nationale à Montmartre, deux généraux sont assassinés, début de la Commune de Paris.

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