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Au Père Daum

+ Saint-Quentin 23 janvier 1872

Mon très révérend père,

Que devenez-vous au milieu des flots de buzurri1 qui montent autour de vous? Le bon Dieu nous en avait donné la figure dans cette inondation de boues et d'ordures pour les égouts et qui couvrirent jusqu'au pavé des sanctuaires. Quand vous sera-t-il accordé de voir toute cette fange refoulée par un vigoureux balai manié avec autant d'énergie que ceux de Sainte-Claire après l'inondation!

Tout le monde espère, mais comme dit le roi «l'heure est à Dieu».

Rien encore n'annonce une délivrance prochaine. C'est seulement en se basant sur les promesses faites par Dieu à l'Église que l'évêque de Poitiers a dit en son homélie pour la fête de saint Hilaire: «retournez à Rome dans quelques années et vous y verrez le concile se poursuivant autour du trône du pontife roi». Je souhaite qu'il ait dit vrai, que rappelé à Rome pour le concile j'aie le plaisir de vous y revoir.

Vous connaissez mon odyssée. Vous savez qu'après avoir erré de projets en projets j'ai fini par retrouver mon Ithaque. L'île de Calypso avait cependant bien des charmes. J'y ai laissé mon compagnon, l'excellent Père Désaire. Il paraît vouloir s'y fixer. A-t-il tort? Je n'oserais pas l'affirmer. Il compromet en quittant son œuvre de Notre-Dame-des-Châteaux et puis il est moins sensible que moi au manque de poids et de mesure dans lequel tombent quelques fois les Nîmois.

Dieu veuille que nous soyons chacun dans notre voie.

Ce pauvre ami a bien souffert depuis que je l'ai abandonné. Ses lettres ne m'apportaient plus que des larmes. Il reprend courage. Puisse-t-il ne pas passer par de nouvelles épreuves!

Je fais ici du ministère, comme tout le monde, sans avoir beaucoup le temps de songer à autre chose.

Je suis frappé de l'état de dissolution dans lequel est tombée notre société. Il règne ici une immoralité nauséabonde. La sanctification du dimanche est remplacée par la débauche du lundi. La matière absorbe toutes les facultés. L'âme est esclave des sens et de l'orgueil.

Il y a cependant un certain nombre d'âmes fidèles. Il y a même de saintes âmes. Espérons que Dieu trouvera parmi nous assez de justes pour nous épargner en leur faveur.

La lutte du bien et du mal est ardente et le combat est difficile. J'apprécie chaque jour davantage la préparation par laquelle je me suis formé à Rome pour cette lutte. C'est à vous que j'en suis en partie redevable et je ne saurais vous en exprimer toute ma reconnaissance.

Au revoir, mon révérend père, au moins au ciel.

Veuillez présenter mes affectueux respects au révérend père supérieur et au révérend père Brichet.

Votre tout dévoué disciple

L. Dehon

vic.

[De la main du père Daum: réponse 5 mars 1872.

Manuscrit original: Archives du Séminaire français]


Buzzurri: appellatif que les Romains donnaient aux Piémontais entrés à Rome en 1870.

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