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8ème CAHIER (18.3.1894 – 26.3.1894)

Notes quotidiennes

1r La ville d'Alger a suivi toutes les vicissitudes de la Mauritanie. C'est d'abord un comptoir carthaginois, puis une ville romaine nommée Icosium. Les Romains lui tracent un plan qui est encore le fond de son ordonnancement actuel. N'en est-il pas ainsi de toutes les villes d'Euro­pe? Dès lors Alger a son forum, ses rues alignées, ses temples et son port abrité derrière les îlots du phare.

Icosium devenue chrétienne a ses évêques. Elle est ravagée par les Vandales. Elle se relève. Pendant les premiers siècles arabes, elle est oc­cupée par la tribu berbère des Beni-Mezr'Anna. Elle fait le commerce avec Hippone, Carthage et Cesarée (Cherchell). Au Xe siècle, les Arabes s'en emparent. Ils lui donnent le nom d'El Dzesaïr, les îles, à cause 1v des îlots du port. Ils la transforment. Ils font de sa cathédrale une mosquée. Les dynasties des Almohades, des Almoravides et des Hassides se succèdent rapidement.

Après la chute de Grenade, les Espagnols prennent pied sur les côtes de Barbarie. Oran et Bougie tombent en leur pouvoir. Dellis, Tlemcen et Alger leur paient tribut. En 1510, ils bâtissent le fort du Pènon sur l'île qui abrite le port d'Alger. Au XVIe siècle règnent successivement les deux frères Aroudj et Kheir-ed-Din, surnommés tous deux Barbe­rousse.

Le second fut, dit-on, avec Doria le plus fameux marin de son époque. Ayant fait hommage au Sultan Selim, il lui soumit Tunis et Bizerte.

Il ravagea l'Italie, battit les chrétiens à Candie et vint à Marseille unir ses forces à celles de François Ier 2r contre Charles Quint. Pendant les quatre derniers siècles, plusieurs fois les pachas et les deys d'Alger firent des traités avec les nations chrétiennes. Ils ne les observèrent jamais. Nos flottes allèrent plusieurs fois bombarder Alger, mais la piraterie re­commençait sans cesse, nos consuls étaient insultés, d'innombrables esclaves chrétiens gémissaient dans les fers. L'insulte faite à notre consul par Hussein-Dey en 1830 mit le comble à la mesure. Nos troupes entrè­rent à Alger le 5 juillet 1830.

Après avoir considéré l'ensemble d'Alger et retracé ses annales dans ma mémoire, j'allai visiter rapidement l'intérieur de la ville, ses rues, ses mosquées, ses églises, ses places, ses jardins, etc.

Je me hasardai dans la ville arabe. C'est un fouillis, un labyrinthe de rues étroites et tortueuses, d'impasses et d'escaliers.

Les maisons se sont entassées et ont formé comme des grappes serrées autour des principaux sanctuaires musulmans. C'est le quartier de Mohammed-Chérif à l'Est, celui de Sidi Abd-Allah au centre, celui de Sidi-Ramdan à l'Ouest. Aucune recherche de la ligne droite. Ces ruelles vont en zigzag. Les maisons sont percées de petites boutiques dans quel­ques rues marchandes. Elles n'ont pas de fenêtres extérieures. Les étages s'avancent l'un sur l'autre par des encorbellements, soutenus par des poutres de cèdre. Au sommet les deux côtés de la rue arrivent presque à se toucher. Plusieurs rues sont absolument voûtées. Le soleil pénètre comme il peut, mais tout est cependant éclatant de blancheur par suite de la coutume qu'ont les arabes de blanchir leurs maisons à la chaux deux fois l'an. Il ne peut pas être question de voitures dans ces ruelles mais de petits ânes agiles les parcourent 3r. C'est avec des ânes qu'on fait le nettoyage. Ils emportent les ordures dans leurs paniers ou Kouf­fieh, tressés de feuilles de palmiers.

Alger possédait avant l'occupation 166 mosquées ou Koubba. Il lui en reste encore 21. La mosquée ou Djama est l'église musulman propre­ment dite; la Koubba est une chapelle élevée sur quelque tombeau de saint, de marabout. Il y a aussi des Zaouïa; ce sont des fondations où sont réunies une chapelle et une école. La grande mosquée de chaque ville a son mufti ou chef de la religion. Les mosquées ordinaires ont un i man qui dirige les prières de chaque jour, un mueddin qui appelle à la prière. Le hazzab et le taleb sont des lecteurs ou professeurs.

La grande mosquée, Djama Kébir, est près du port. Elle date du XIe siècle et son minaret du XIVe 3v.

Sur la rue de la Marine, elle présente une galerie de quatorze arcades dentelées retombant sur des colonnes en marbre blanc. C'est d'un aspect imposant. Derrière la galerie, c'est une cour à arcades avec la fon­taine aux ablutions, puis c'est la mosquée elle-même avec ses nombreu­ses travées, toutes simples, un peu sombres, blanchies à la chaux et sépa­rées par des arcades dentelées qui reposent sur des piliers carrés. Le sol est garni de nattes. De nombreux musulmans y prient souvent avec re­cueillement. Il n'y a point d'autre ornement que la chaire ou Minbar et quelques lampes de clinquant et par d'autre sanctuaire qu'une niche ou mihrab, orienté vers la Mecque.

On n'entre dans la mosquée qu'en se déchaussant. Comme les musul­mans, je laissai avec confiance mes chaussures 4r à la porte sous l'oeil vigilant du gardien et je les retrouvai à la sortie. Ce n'est pas là un acte de culte, pas plus que de se décoiffer chez nous en entrant dans un édifi­ce quelconque. Le musulman, avant d'entrer, fait ses ablutions à la fon­taine de la cour. C'est toute une cérémonie accompagnée de formules de prières. Il se lave les mains, la bouche, le nez, le visage, les oreilles, les pieds. Il prie cinq fois par jour très fidèlement et il se tourne toujours pour prier vers la Mecque où se trouve la Kaaba le temple bâti, disent-ils, par Abraham (Sidi Ibrahim) et la pierre noire apportée du ciel par l'ange Gabriel pour sanctifier le temple.

Les femmes n'entrent pas aux mosquées. Les musulmans aiment à prier le long d'un mur ou d'un pillier pour que 4v personne ne passe, disent-ils, entre eux et Dieu. Ils aiment à glisser entre leurs doigts les grains d'ambre d'un chapelet en invoquant mille fois le nom d'Allah.

Djama Djedid, la mosquée nouvelle ou mosquée de la Pêcherie est aussi fort intéressante. Au centre de la ville moderne elle représente l'Orient par sa grande masse blanche, son grand dôme ovoïde cantonné de quatre petites coupoles et son haut minaret. Elle est en forme de croix grecque et l'on raconte que l'esclave chrétien chargé de la bâtir au XVIIe siècle fut brûlé vif pour son salaire parce qu'il avait osé lui donner cette forme hétérodoxe. L'intérieur est fort simple. La chaire est de mar­bre blanc et le mihrab est orné de carrelages à dessins bleus et d'arabe­sques en stuc. On y garde un splendide 5r manuscrit du Coran, prodi­ge de calligraphie et d'enluminures du XVIe siècle. C'est le don d'un sultan de Constantinople à un pacha d'Alger.

La mosquée est surtout intéressante au moment de la prière, quand l'iman est en chaire et qu'il guide la psalmodie. Tantôt il élève les bras au ciel, tantôt il se prosterne, tantôt il tourne sur lui-même et ce peuple l'imite entraîné par un puissant esprit de prière, qui mériterait d'avoir un but plus noble et plus pur. Dieu écoute sans doute ceux d'entre eux qui joignent à leur bonne foi quelques vertus naturelles.

La Zaouïa d'Abd-er-Rhaman est la plus curieuse d'Alger et une des plus riches de toute l'Algérie. Rien à Alger n'a davantage le cachet oriental. Elle a été construite au XVe siècle. C'est une réunion de Koub­bas. Au 5v tombeau de Sidi-Abd-er-Rhaman sont venus se joindre ceux de Sidi-Mançour et de Sidi-Ouali-Daddah. La zaouïa domine le jardin Marengo. Au dessus des arbres s'élève gracieusement son mina­ret à trois étages d'arcades décorées de faïences jaunes et vertes. De la rue des escaliers bordés de murs bas qui laissent voir la mer à travers un fouillis de cactus et de grenadiers conduisent dans l'enclos sacré. On lais­se à gauche l'école. Un groupe de bonshommes sont accroupis en cercle autour du maître. Ils ont laissé leurs babouches en dehors des nattes: ils portent le costume arabe ou mauresque. Rien n'est plus pittoresque que ce tableau qui a été cent fois photographié. Plus bas que l'école, par une porte romaine encadrée d'ornements byzantins sous un auvent de pou­trelles de cèdre s'ouvre la mosquée. Il 6r faut traverser encore plu­sieurs couloirs et vestibules voûtés pour pénétrer dans la Koubba et par­tout quelques fervents visiteurs prient dans quelque coin ou contre un mur. Le sanctuaire est octogone. Des colonnes de marbre soutiennent ses voûtes enrichies d'arabesques. Un lambris de carreaux multicolores court à hauteur d'homme. Au dessus des tentures de soie, de pourpre, d'argent et d'or alternent avec des inscriptions gracieusement dessinées qui empruntent au Coran les louanges d'Allah. De vrais tapis d'orient couvrent le sol avec leurs couleurs franches et ferment qui rappellent nos vieux vitraux. Des lustres de Venise, des lanternes fantastiques en forme de tourelles ou de navire pendent aux voûtes. Le tombeau du saint est là sur le côté. C'est une chasse de bois peint et sculpté, ornée de guirlandes mêlées de feuillages rouges 6v et de roses d'or. Des étoffes bleues bro­chées sont jetées par-dessus. Des colonnes aux angles portent des fai­sceaux de drapeaux.

Abd-er-Rhaman vivait au XVe siècle. C'était un chef d'une des puis­santes tribus de la Mitidja. L'histoire et la légende s'unissent pour redire son zèle pour la religion. Un jour, dit-on, il rencontra une fraction de la tribu des Beni-Salah qui se livrait à des festins et des danses au lieu d'ob­server le jeûne du Ramadhan. Il les entraîna au bord d'un précipice et là après les avoir accablés de malédictions il les précipita jusque dans les profondeurs de la terre.

C'est la mosquée la plus fréquentée par les fervents. Quel dommage qu'un si beau zèle n'est pas dépensé au service de la vraie religion. Dans le bas du jardin d'autres koubbas ont reçu les tombeaux de Sidi­-Mançour 7r et de Sidi-Ouali-Daddah dont les mosquées ont été dé­truites par l'occupation.

On y voit aussi le tombeau du fameux Ahmed-Bey, qui tint si long­temps notre armée en échec à Constantine. La France avait été bien ma­gnanime pour un ennemi si cruel qui faisait dévorer par ses chiens les entrailles de ses prisonniers. Elle lui avait fait une pension et le laissa in­humer avec honneur dans ce cimetière privilégié d'Abd-er-Rhaman.

Un des employés de la mosquée, le hazzab, je crois, m'en avait fait les honneurs. Il était touché de me voir passer avec plus de respect que les touristes critiques et gouailleurs. Il me disait que ses coreligionnaires priaient avec ferveur le Dieu du ciel et qu'ils invoquaient leurs saints pour des grâces particulières. Il est facile de voir que ces gens sont pro­fondement religieux 7v et que l'indifférence et l'impiété des français leur répugnent et les révoltent.

Aux mosquées je joins la Kasbah, la vieille citadelle d'Alger, acropole et palais sous la domination turque, simple caserne aujourd'hui. Elle avait été bâtie sous Aroudy, le premier des Barbarousse. Elle fut témoin de bien des révolutions de palais et de bien des crimes. Une porte romai­ne y donne entrée par un passage voûté. Une cour intérieure dallée de marbre et entourée d'un double rang d'arcades a gardé son cachet d'au­trefois. On y voit un petit pavillon élevé, revêtu de marqueterie rouge et verte et couvert de tuiles vernissées. C'est là que notre consul, M. De­val, reçut le coup d'éventail qui décida du sort de la Régence.

Je voulus me rendre compte de 8r la disposition des grandes mai­sons arabes. Une des plus remarquables est l'archevêché actuel.

La maison mauresque n'est au fond que la maison antique de Rome et de l'Orient. Elle ne porte que dans ses arcs en fer à cheval l'empreinte de sa nationalité. Contrairement aux maisons du Nord de l'Europe, elle ne saurait jamais être trop simple au dehors ni trop délicieuse au dedans. Elle s'harmonise avec la vie musulmane qui a ses impénétrables mystè­res. C'est toujours un quadrilatère dont les étages sont couverts d'une terrasse. Une porte massive garnie de clous y donne entrée entre des jambages de marbre ou de pierres sculptés en arabesques ou en rosaces. Parfois un auvent porté par des poutrelles de cèdre sculptées et polychro­mies abrite l'entrée. On entre d'abord dans un vestibule garni de ban­quettes. C'est là 8v qu'on reçoit et qu'on expédie les affaires. On arri­ve ensuite dans une cour ouverte souvent dallée de marbre, qui corre­spond à l'impluvium des romains. Aux grands jours, pour un mariage, pour une circoncision, la cour sert de salon. Elle est alors ornée de nattes et de tapis, et couverte d'un velum.

Autour de la cour les appartements s'ouvrent sous des galeries à co­lonnes variées, unies ou torses, avec des arcades en fer à cheval. Les ga­leries du premier ont une balustrade souvent élégante à colonnettes ou à panneaux sculptés. Les portes des chambres sont à deux battants et fai­tes d'une sorte de marqueterie de petits panneaux unis et sculptés. Des fenêtres carrées et grillées s'ouvrent à côté. Au rez-de-chaussée sont les cuisines, les salles de bains, les citernes. En haut sont les appartements. Les chambres sont 9r blanchies à la chaux. Les plafonds sont formés par des poutrelles en bois de cèdre. Dans les maisons riches, les murs sont lambrissés de faïences, les poutrelles sont fouillées en rosaces et les plafonds peints en natures mortes et en fleurs dorées.

L'ameublement est très simple: des nattes, des tapis, quelques glaces; un divan garni de coussins, qui sert de siège le jour, de lit la nuit, une ta­ble basse; des coffres homériques, en bois peint et historiés de clous, con­tenant les hardes et les bijoux de la famille. Cela n'a guère changé depuis les patriarches.

Des carreaux de faïence décorent aussi les galeries et les escaliers. Les terrasses servent de promenade et de séchoir. Elles ont ordinairement un pavillon élevé où l'on peut recevoir les rafraîchissantes caresses de la bri­se de mer et contempler le mouvement du port.

Il n'y a de cheminée qu'aux cuisines. 9v Elles se terminent élégam­ment au dehors par des pyramidions ornés de faïences. Ces maisons sont bien faites pour cacher la vie de famille aux regards du public. Elles sont adaptées au climat et la fontaine de la cour y entretient la fraîcheur.

Les jardins publics ont pour les visiteurs du Nord un aspect enchan­teur. Le jardin Marengo, conquis par les condamnés militaires sur les pentes abruptes qui enserraient le cimetière d'Abd-er-Rhaman, est très fréquenté l'après-midi. Il est orné de fontaines au marbre et de Kiosques faïencés, mais ses principaux attraits sont le panorama dont on y jouit, la brise de mer qui y porte la fraîcheur et ses magnifiques plantes, ses pal­miers, ses yuccas gigantesques, ses bella-ombra, ses erythrèmes aux fruits de pourpre, ses plantes grasses et grimpantes qui 10r feraient honneur à nos serres parisiennes.

A l'Est, c'est le Hamma ou jardin d'essai. Il est plus merveilleux en­core. Il a ses platanes séculaires, ses allées de palmiers, de magnolias, de ficus gigantesques, de bambous, de chamærops, de lataniers; ses eryth­rèmes fleuris, ses yuccas hauts de 12 mètres, son lac, ses troupeaux d'au­truches, de casoars, de gazelles, de zèbres, d'alpacas et de lamas; ses sin­ges grimaciers, ses eucalyptus géants.

C'est près de là qu'est le pittoresque café des Platanes, illustré par De­camps et Fromentin, avec sa galerie et sa coupole blanche et sa fontaine faïencée toujours visitée par les lourds dromadaires et les ânons alertes.

Fêtes, moeurs, corporations, légendes.

L'esclavage n'existe plus à Alger 10v, c'était un des traits caractéri­stiques des moeurs musulmanes. Mais son souvenir est encore vivant. La place Mahon, près du port, où se vendent aujourd'hui les beaux fruits de la Metidja est l'ancien marché aux esclaves. On l'appelait le Badestan. Des galeries découvertes l'entouraient. C'est là que se vendi­rent par centaines de mille pendant des siècles des êtres humains captu­rés sur mer ou dans l'intérieur. Le complément du marché pour les esclaves chrétiens, c'était le bagne. Il était plus haut, à la place de Char­tres, près du palais du Dey, la Djenina, où se ratifiaient les marchés d'esclaves conclus au Badestan.

Dès le XVIe siècle les missionnaires espagnols avaient pu sous la tolé­rance des pachas élever là près du bagne un hôpital, où bien des chré­tiens furent soignés et rachetés. On garde le nom 11r du fondateur, le P. Sébastien Duport de Burgos1).

L'hôpital passa par bien des vicissitudes. Fondé en 1552, l'avait été réédifié en 1611. Les Mercédaires espagnols étaient ainsi tolérés sur les côtes de Barbarie. Ils y accomplirent leur œuvre de délivrance avec un courage et un dévouement admirables.

Comme Tunis, Alger avait enrégimenté tout son monde dans des cor­porations, régies chacune par un chef ou Amin. Mais peu à peu toutes les corporations formées par la population mauresque sont tombées en dissolution et nos principes anarchiques de liberté du travail ont pris le dessus.

Cependant les corporations de Berranis ou gens du dehors (les forestie­ri, diraient les Italiens) ont été conservées. L'administration y a vu un moyen de police pour controler cette population étrangère à 11v Alger et sans cesse renouvelée. Les Mzabis (gens du Mzab) sont bouchers, meuniers, âniers, baigneurs; les Biskris (gens de Biskra) sont bateliers, portefaix, porteurs d'eau; les Nègres sont manoeuvriers, ils blanchissent les maisons; les Kabyles sont journaliers, jardiniers, culti­vateurs; les Lagouatis sont porteurs et mesureurs d'huile.

Les coutumes religieuses sont conservées presque intégralement. C'était le Ramadan, ou carême musulman pendant mon séjour en Algé­rie. Tout le peuple s'abstenait de manger, de boire et de fumer pendant le jour. Cela paraît bien héroïque, mais l'on se dédommage la nuit. Aus­sitôt le coucher du soleil on fait un repas, et au milieu de la nuit on en fait un autre avec accompagnement de musique, de chants et de cris, (scènes de gara gousse dans les cours des cafés maures. Voir plus loin) sans 12r s'inquiéter du sommeil des chrétiens. Je trouvai les nuits bien peu reposantes à Alger et je lus dans les journaux des plaintes répétées sur ce tapage.

J'aurais eu la curiosité d'assister aux fêtes religieuses des nègres dont on m'a fait le récit. Elles ont tant d'analogie avec les sacrifices anciens du monde païen! C'eût été une étude historique. Ces sacrifices peuvent aider même à se représenter ceux des patriarches et du monde israélite dont ils sont une imitation grotesque. Mais mon costume m'imposait plus de réserve. Je me les suis fait raconter.

Un cour de maison sert de temple. Les victimes sont une génisse, un bélier et des poules. Il y a un orchestre tout à fait antique: une flûte à sept trous, un alto à trois cordes, un tambour et des castagnettes. Il y a un groupe de chanteurs 12v aussi, et des enfants disent le refrain avec des glapissements de fauves. Un choeur de danseuses prépare singulière­ment au recueillement du sacrifice. La reine du choeur a des oripeaux éblouissants. Elle a une robe d'azur lamée d'argent et une couronne d'or rechaussée de perles. Des guirlandes de sequins lui servent de colliers. Les victimes sont endormies par la fumée de l'encens. Un glaive leur ou­vre le cou. L'assistance est aspergée du sang expiatoire. Les bêtes dépe­cées sont ensuite rodes et mangées.

C'était là le culte primitif. Le culte chrétien en diffère comme le ciel diffère de la terre.

L'Algérie, comme tous les pays arabes, est riche en légendes. J'en veux noter au moins quelques-unes. Les unes sont acceptées avec naïve­té par la foi populaire, 13r les autres sont de simples récits humoristi­ques.

Les dévots serviteurs d'Abd-er-Rhaman croient que ce saint terrible, rencontrant un jour une fraction de la tribu des Beni-Salah en train de célébrer le jeûne du Ramadhan par des orgies et des danses, l'entraîna sur le bord d'un précipice et là, avec des malédictions, l'ensevelit à ja­mais dans les profondeurs de la terre. La légende a sans doute un fond historique, et Abd-er-Rhaman a du se montrer rigoureux pour les viola­teurs du jeûne. Mais il ne ferait pas bon de nier la légende ou d'en rire en visitant la Zaouïa d'Abd-er-Rhaman sous la conduite de ses gardiens.

Ouali-Dada, Betka et Bou-Gueddour sont d'autres saints non moins puissants. Ils ont, dit-on, contribué à la défaite de Charles V en 1541 par des moyens mystérieux. Les deux premiers battaient 13v la mer avec des bâtons et le troisième brisait des poteries débarquées sur le port. Et il paraît qu'à chaque coup de bâton sur les flots, à chaque pot ou vaisselle cassée, un vaisseau espagnol était submergé par la tempête.

Ouali-Dada avait déjà, dit-on, manifesté sa puissance surnaturelle en ve­nant d'Orient à Alger sur les flots porté debout et tout armé sur une natte. Une variante dit qu'à la bataille navale de 1541, c'est en battant la mer avec ses savates qu'il souleva la tempête où périt la flotte de Charles V.

La légende de la Kasbah est pour les enfants. Dans la cour de la forte­resse près d'une jolie fontaine avaient lieu les exécutions capitales. C'est là qu'autrefois le célèbre bourreau Ali-Siaf tranchait si bien les têtes 14r avec sa lame de Damas que les têtes restaient en place. Les décapités eux-mêmes ne s'apercevaient pas du coup mortel et conti­nuaient à parler, mais Ali-Siaf leur mettait une prise de tabac sous le nez pour les faire éternuer, et c'est alors que leur tête dérangée de son équili­bre tombait et roulait à terre.

Où en est à Alger la cité chrétienne après soixante ans d'occupation? Il y a quatre paroisses et trois chapelles de secours. Alger compte 80.000 habitants, dont 40.000 catholiques, 20.000 musulmans, 10.000 juifs, et le reste de religions diverses. ,

J'ai décrit plus haut la cathédrale St-Philippe, qui est l'ancienne gran­de mosquée des Ketchaoua, transformée et agrandie. Les deux églises de N.-D. des Victoires et de Sainte-Croix sont aussi d'anciennes 14v mosquées. Notre gouvernement ne s'est pas mis en grands frais et n'a pas donné grand prestige à sa religion.

L'église de N.-D. des Victoires au quartier de Bab-et-Oued à l'Ouest, est une mosquée du XVIIe siècle avec plusieurs nefs et de petites coupo­les portées par des piliers carrés. Sa porte sur la rue Bab-et-Oued se perd entre des boutiques et une fontaine. L'intérieur est pieux. Les autels et tableaux ont un cachet italien.

L'église Ste-Croix est une ancienne petite mosquée fort délabrée à la porte de la Kasba (Djama el-Kasba-Berrani). Une colonnade en marbre blanc dissimule la pauvreté intérieure. Une nef est devenue une école de Frères. N.-S. est bien indulgent de se contenter des ces restes de mo­squées.

L'église St-Augustin en quartier 15r Bab-Azzoun à l'Est est une église moderne, bâtie en 1876 en style roman. Là au moins on retrouve l'église catholique traditionnelle avec ses trois nefs, son clocher élancé et son cachet de noblesse et de grandeur.

Une des chapelles de secours, celle de la rue des consuls est aussi dans le style.

Mais la charité catholique a déjà couvert Alger de ses œuvres. Un beau pensionnat des Dames du S.-Cœur s'élève sur les coteaux de Mu­stapha. Les Frères tiennent une maîtrise et plusieurs écoles. Des Soeurs de St-Vincent de Paul, de St Joseph, de l'Espérance, du Bon Pasteur di­rigent pieusement des hospices, asiles, écoles, ouvroirs. Ces belles œuvres apaisent la justice de Dieu et diminuent le mépris qu'ont les Musul­mans pour le peuple sans religion. Les Carmélites aussi, dans leur beau monastère de la Vallée des Consuls prient Dieu pour la conversion de ce pauvre peuple.

Il ne faut pas oublier non plus le 15v séminaire de Kouba et les or­phelinats de la Maison Carrée. je parlerai plus loin de la basilique de N.-D.-d'Afrique. Les petites Soeurs des Pauvres sont là aussi au fau­bourg du Bou-Zaréa. Des sociétés de St-Vincent de Paul et de St-Régis exercent la piété des catholiques.

Commerce - science - divertissements.

Alger est le centre du commerce de l'Algérie. Elle a une Banque d'Al­gérie qui émet des billets au porteur, un Crédit agricole, des banques privées et des comptoirs d'escompte.

Le commerce extérieur s'élève déjà à 500 millions. La moitié se fait sous pavillon français. Les importations surpassent de 25 millions les ex­portations. Malheureusement, une grande part du profit, spécialement pour l'achat de la houille va à l'Angleterre. Notre gouvernement devrait y pourvoir 16r.

Les principaux produits d'exportation sont le vin (30 millions), l'Hal­fa (25 millions), les céréales, les moutons (17 millions). Après cela vien­nent le liège (5 millions), les plantes odorantes, le geranium-rosa, les lé­gumes frais et secs (2 millions), les boeufs (4 millions), le corail (2 mil­lions), les bois, les marbres, le fer, le cuivre, le zinc et le plomb.

L'Algérie s'est couverte de vignes en ces dernières années, pour sup­pléer à nos vignes phylloxérées. Elle est arrivée rapidement à une pro­duction de 3 millions d'hectolitres de vin. Mais comme nos vignes se re­constituent et que cette année a été abondante, il y a pléthore et on n'en­tend partout que plaintes sur la mévente des vins.

L'Halfa est une sorte de jonc qui couvre spontanément les trois quarts 16v des hauts plateaux, soit 5 millions d'hectares. On s'en ser­vait depuis l'antiquité pour la sparterie. On a découvert dans ces derniè­res années que c'était propre à faire du papier. De grandes compagnies se sont mises à l'exploiter. La voie ferrée de Mechéria et Aïn-Sefra a mê­me eu ce principal objectif. Ce sera la principale ressource des voies de pénétration. Je l'ai constaté en allant à Batna. Aujourd'hui déjà l'Algé­rie exporte pour 25 à 30 millions d'Halfa. Les arabes le coupent, des fer­mes l'emmagasinent, le lient en bottes pressées et l'expédient. Une gran­de partie va en Angleterre.

La culture des oliviers commence à se développer. Elle est entravée par l'impôt.

Sept ou huit villes d'Algérie font commerce d'essences de parfu­merie. 17r On exploite pour cela les orangers, les cédrats et surtout une sorte de geranium qu'on cultive en grand et qui donne l'essence de rose.

Les oranges de Blida et de la Mitidja alimentent les marchés de Mar­seille et de Paris.

Le chène-liège, le chène-vert, le pin d'alep, le thuya, l'eucalyptus cou­vrent de vastes surfaces et sont aussi des éléments d'exportation. L'Algérie a de beaux marbres: l'onyx translucide près de Nemours, les marbres blancs statuaires et des marbres bleus de diverses nuances près de Philippeville, des marbres verts et des serpentines du départe­ment d'Oran.

L'Algérie pourrait nourrir une population dix fois supérieure et ses ri­chesses naturelles se développeraient à l'infini.

Pour ce qui est du développement 17v scientifique, Alger a des fa­cultés de droit, de médecine, de sciences et de lettres assez prospères. El­le a un observatoire, un lycée, un collège ecclésiastique, une société d'hi­stoire, une société des beaux-arts, une bibliothèque de 40.000 volumes, assez riche en documents arabes, un musée d'antiquité et d'histoire na­turelle où les ruines romaines ont surtout fourni des inscriptions, des sta­tues, des médailles. Il y a certainement un mouvement d'études à Alger, dû surtout aux officiers. La librairie Jourdan est bien montée d'ouvrages sur l'Algérie et l'Afrique. Beaucoup de ces publications sont dues à des officiers.

Après le commerce et la science, les délassements. Le vieil Alger avait pour tout théâtre, comme dans les autres pays arabes, les scènes populai­res de Garagousse 18r.

Garagousse, c'était l'épopée populaire. C'est la mise en scène, très dé­vergondée, dit-on, d'un personnage historique, Boha-ed-Din, gouver­neur du Caire sous Saladin et que le peuple a ridiculisé et surnommé Kara-Kouche, ou Oiseau-noir, pour se venger de ce qu'il avait détruit des mosquées et des tombeaux en construisant la citadelle du Caire.

Ces scènes servent encore de délassement dans les soirées du Rama­dan, et c'est à cette occasion qu'il se fait tant de tapage.

Les colons ont voulu des spectacles plus modernes. Ils ont quatre théa­tres, autant hélas! que de paroisses. On y joue les drames parisiens, les comédies et opérettes. Ils ont aussi des cafés-chantants, ce déplorable si­gne des temps de décadence où nous sommes. Nos paysans et ouvriers du moyen-âge avaient les mystères, les châtelains féodaux avaient les 18v épopées chantées par les trouvères, aujourd'hui les fils de la noblesse et les fils des travailleurs se coudoient au café-chantant. Les mystères et les épopées entretenaient la foi et la vaillance. Les cafés chantants favorisent la prostitution et la mollesse.

Pour décrire tout Alger moderne, je n'ai plus qu'à citer sa loge maçonnique, la loge dite de Bélisaire. Il ne lui manquait que cela pour être à la hauteur de la civilisation.

Mais ce qui vaut mieux que tout cela, c'est le beau pèlerinage de N.-D. d'Afrique.

La basilique est sur un contrefort du Bou-Zaria. Elle domine le port d'Alger et la mer à l'Ouest. Elle a un grand aspect. Elle est dans le style demi-roman et demi-arabe, qui a été 19r adopté pour les basiliques modernes de notre empire africain. Elle a une coupole élevée, flanquée de demi-coupoles et plusieurs clochetons qui rappellent les minarets. El­le se couvre d'ex-voto, et l'ancienne chapelle fondée par Mgr Pavy2) avant la basilique en est toute tapissée. La très sainte Vierge se montre donc bienveillante pour les vrais chrétiens d'Algérie.

Il y a là le tombeau d'un grand évêque, Mgr Pavy, celui qui a organi­sé l'église d'Algérie, en luttant souvent avec un grand courage contre les oppositions gouvernementales.

Au maître-autel, auprès de la statue de la Vierge noire, il y a deux ex­voto particulièrement touchants, ce sont les épées de deux de ces croisés modernes qui ont arraché l'Algérie à l'Islam: le maréchal Pélissier3) et le général Yusuf44) 19v.

Dans une des chapelles, on montre une grande statue d'argent de St­Michel. C'est un ex-voto des pêcheurs napolitains qui viennent sur ces rivages faire leurs riches récoltes de coraux. Sous le porche de l'église, deux bons missionnaires, vêtus de blanc contemplaient la mer. Je causai longtemps avec eux. Le premier objet de notre conversation fut le dra­matique naufrage d'un vaisseau anglais qui achevait de se perdre sous nos yeux. Il s'était échoué là il y a deux jours sur les récifs d'El Kettani. La tempête sévissait. Il croyait entrer au port. La veille on avait essayé en vain de le renflouer et aujourd'hui il s'enfonçait lentement à mesure que l'eau pénétrait par ses avaries. Combien l'océan a 20r déjà ainsi englouti de richesses!

Puis notre causerie s'éleva et nous causâmes de leurs œuvres, de leurs missions, de la conquête de l'Afrique à Jésus-Christ. C'est là près de la basilique qu'est le séminaire des missions sahariennes.

La vitalité du mahométisme, me dirent les bons Pères, n'est pas dans son clergé officiel. Les Muftis et les Imans ont une influence bien limitée. C'est dans les confréries religieuses et parmi leurs affiliés ou Khouan que règne un prosélytisme ardent.

Les Marabouts (Méraboh, religieux) tiennent le milieu entre le clergé officiel et les confréries. Ce sont des religieux indépendants. Ils appar­tiennent à des familles de noblesse religieuse. Ils descendent de quelque saint personnage qui a été déclaré 20v Marabout par le peuple. Ils peuvent avoir une influence personnelle, mais ils ne président à aucune organisation.

Les confréries de Khouan sont comme de vastes tiers-ordres, très en­régimentés et capables d'une grande action politique. Ces confréries re­posent sur une doctrine mystique, le soufisme ou la vie contemplative.

M. Rinn, l'historien des Khouan définit le soufisme «la recherche par

l'exercice de la vie contemplative et les pratiques religieuses, d'un état de pureté morale et de spiritualisme assez parfait pour permettre à l'âme des rapports plus directs avec la Divinité».

Cette pratique remonte jusqu'à Mahomet. Abou-Beker5) son successeur a fondé la première Confrèrie, celle des Seddikya 21r. Toutes les confré­ries reposent sur cinq principes ou commandements, qui étaient, parail-il, les sujets ordinaires des conversations du prophète. je les résume ici.

1° Craignez Dieu et que cette crainte dirige vos actions… Méfiez­-vous de vos passions, qui engendrent tous les vices, la haine, l'envie, l'orgueil, l'avarice, etc.

2° Conformez-vous à la Sonna, c'est à dire, imitez mes actions…

3° N'ayez pour les créatures ni haine ni amour; ne préférez pas celui qui vous donne à celui qui ne vous donne pas. L'amour ou la haine dé­tourne l'homme de ses devoirs envers la Divinité; vous n'avez qu'un cœur, s'il est occupé par les choses terrestres, que restera-t-il à Dieu?

4° et 5° Contentez-vous de ce que le Seigneur vous donne en partage. Attribuez tout à Dieu, parce que tout 21v vient de lui; que votre rési­gnation soit-telle que, si le Mal et le Bien étaient transformés en chevaux et qu'on vous les offrit pour montures, vous n'éprouviez aucune hésita­tion à vous lancer sur le premier venu… Tous deux venant de Dieu, vous n'avez pas de choix à faire.

A ces principes, les chefs d'ordres religieux ont ajouté diverses prati­ques pieuses et la récitation de certaines prières. Le Dikr est la prière spé­ciale de chaque confrérie. C'est un passage du Koran, qui se répète des centaines de fois ou même des milliers sur les grains du chapelet ou ro­saire. On l'appelle aussi la rose de la confrérie.

Les confréries admettent divers degrés d'union mystique avec Dieu, jusqu'au degré suprême qui est une 22r absorption en Dieu analogue au Nirvana des Indiens. Le commun des Khouans ne s'élève pas au­-dessus de la récitation de son Dikr.

On compte plus de 80 de ces confréries. Elles ont toutes un chef suprême ou Khralifa et des chefs provinciaux appelés Mokkadems. L'initia­tion se fait dans des Zaouïa ou maisons de prières et d'études spéciales.

Il y a chaque année un grand conseil des Mokkadems et ceux-ci tran­smettent aux Khouans les instructions qui leur ont été confiées.

Les Khouans correspondent aux Derviches de l'Orient et aux Fakirs de l'Inde.

Certaines confréries ont de rapports indubitables avec la franc­maçonnerie (Marc Fournel, la Tunisie, p. 111).

Six de ces confréries ont une importance particulière en Algérie 22v.

La plus nombreuse est celle des Rhamanya. Elle compte 100.000 mem­bres. Elle a été fondée au commencement de ce siècle par Abd-er­Rhaman. La légende a déjà entouré son nom d'une auréole. Il a fondé son œuvre à Alger, puis il s'est retiré dans le Djurjura chez les Beni-­Ismaël. Quand il mourut, son corps, dit-on, se dédoubla, si bien qu'il repose à la fois au Hamma près d'Alger et chez les Beni-Ismaël. De là son nom d'Abd-er-Rhaman-bou-Kobrin (le père aux deux tombeaux). La vérité est que les Turcs qui régnaient à Alger à sa mort firent enle­ver son corps pour n'avoir pas un centre de réunion et d'opposition chez les Beni-Ismaël. Mais ceux là ou leur Mokkadem prétendirent l'avoir conservé.

Les Rhamanya ont des compagnies de soeurs (des Khouata).

23r Ils ont toujours appuyé les insurrections contre les Français. Leur chef Si-Aziz fut pris en 1871 et conduit en Nouvelle-Calédonie. Il s'en evada en 1881 et alla vivre à la Mecque.

Dans leurs Zaouïa, ils se relèvent d'heure en heure pour donner à Dieu l'adoration perpétuelle.

Ils sont en relations étroites avec d'autres confréries, notamment les Chadelya et les Snoussya et cela multiplie leurs forces. Ils tirent aussi une grande vitalité de l'action des femmes. Les Arabes consultent beaucoup leurs femmes. On les entend souvent dire: «Que diraient nos femmes? que penseraient nos femmes? Nos femmes ne voudraient plus nous voir».

Les Taïbya comptent environ vingt mille adhérents. Ils ont été fondés par Moulai-Taïeb, il y a 300 ans, au Maroc. Leur chef est le Chérif d'Ouazzan 23v qui aime la France et qui a obtenu en 1884 le titre de Protégé français. Il faut ajouter qu'ils ont une prophétie de Moulaï­-Taïeb qui leur promet qu'après qu'ils auront bien accepté l'autorité des Français leur tour viendra. Ce sera le «Maître de l'heure» (Moul et Saa) qui leur donnera l'empire. Ils ont un Dikr formidable. Ils récitent leur formule 4650 fois le jour.

Les Kaderya ont quinze mille adhérents. Leur saint fondateur, Abd-el­Kader-el-Djilani, vivait à Bagdad au XI siècle. Il a laissé une grande ré­putation de charité et de bienfaisance, et c'est l'esprit de son ordre qui est riche et influent. Il vénérait Jésus-Christ et a enseigné la tolérance et la douceur pour les chrétiens. C'est pour cela que le Mahdi de Khar­toum, qui était de cet ordre 24r a ménagé les soeurs de charité et les missionnaires. Ils se tiennent accroupis et se réunissent en cercle pour prier. Ils sont la plus grande force de l'armée du Soudan.

Les Tidjanya fondés à Laghouat vers 1780 ont toujours montré une certaine sympathie pour les Français. Ils sont 12.000 en Algérie. Ils ont eu à lutter contre Abd-el-Kader6).

Ce sont les recommandations de ses chefs qui ont permis plusieurs ex­plorations dans le Soudan. Le motif de leur sympathie pour nous est leur soumission aux décrets d'Allah. Ils n'espèrent pas moins avoir leur tour ensuite. Ce sont eux qui dominent en Tunisie, même à la cour et cela nous est avantageux. Le gouvernement français à des égards pour leur chef. Leur influence s'étend jusqu'au Niger. Ils ont un chapelet spécial de six 24v dizaines séparées par des noeuds de soie rouge. C'est une confrérie fermée. Les Tidjanya ne s'agrègent pas à d'autres confréries, tandis que les autres font souvent partie de plusieurs confréries. C'est ainsi que le chef des Snoussya groupe une soixantaine de confréries par des liens secrets, comme font les Palladistes dans la franc-maçonnerie.

Les Chadelya et les Madanya sont deux sections du même ordre. On les surnomme les insurgés (Derquaoua). Ils ont des principes anarchistes et rejettent toute autorité, aussi bien celle des Turcs que la nôtre. Ils ne re­connaissent que leurs Cheiks. C'est à cette secte qu'appartiennent les dissidents du Sud de la Tunisie qui sont passés en Tripolitaine pour échapper à notre domination.

Il faut signaler encore les Ouled-Sidi-Cheikh.

C'est toute une tribu 25r de l'Algérie méridionale, qui passe pour descendre en droite ligne du Khalife Abou Bekr et qui exerce une grande influence politique.

Les Aïssaoua, fondés par Mohammed-ben-Aïssa, sont les plus connus des touristes à cause des exercices bizarres auxquels ils se livrent. On sait que ces singuliers personnages dans leurs représentations avalent des serpents, mâchent des scorpions, mangent des cailloux ou des morceaux de verre. Ceux qui se livrent à ces exercices sont considérés par les mu­sulmans instruits comme des saltimbanques et des jongleurs.

La plus récente et la plus dangereux des confréries est celle des Snous­sya. Elle a été fondée en 1835 par Mohammed-es-Senousi. Il prétendait descendre du Prophète. Il mourut dans l'oasis de Djerboub en 1859, après avoir 25v propagé le mahométisme dans le Soudan et répandu son ordre dans tout le Nord de l'Afrique.

Il s'affilia presque tous les chefs soudaniens. Il a pris une telle influen­ce que l'oasis de Djerboub où est son tombeau est appelée la petite Mec­que (Mekka et seghira). Son fils, Cheikh-et-Mahdi lui succéda et jouit d'un prestige immense dans le monde musulman. Les musulmans atten­daient de lui la soumission du monde entier à l'Islam.

L'autorité morale du Cheikh et Mahdi est encore immense dans tout le monde musulman, de la Chine à l'Atlantique. Ses Zaouïa se comptent par centaines. La mosquée de Djerboub est déjà célèbre par sa richesse.

Le Mahdi du Soudan qui a repoussé les Anglais était de la secte des Kaderya 26r. Celui de Djerboub a une bien plus grande influence mo­rale.

Ce sont là les éléments de vitalité du mahométisme.

Notre gouvernement si ombrageux pour les religieux en France eut mieux fait d'interdire en Algérie toutes ces sectes qui constituent pour nous un vive péril politique.

Après cela, l'assimilation des Arabes en Algérie est-elle possible? Sans la conversion au christianisme, non. C'est l'avis de tous les gens sensés qui ont vu l'Algérie.

Le voyageur allemand Ghérard Rholfs a dit avec vérité: «Chez un peuple où tout, les moeurs et l'existence elle-même ont pour fondement la religion la plus intolérante qui existe, la civilisation n'a pas de prise.

L'assimilation n'a pas fait un pas 26v depuis 50 ans. Les Arabes des villes ont contracté toutes les mauvaises habitudes des Français et notamment le goût de l'alcool et de l'absinthe, mais qu'ils aient accepté quoi que ce soit de la religion ou des idées de leurs vainqueurs, il n'y faut pas songer.

Hors des villes, la civilisation n'a aucune prise sur eux. L'Arabe sous sa tente vit comme il vivait jadis; il déteste les chrétiens comme par le passé. S'il se retient de tuer un infidèle et de gagner par là le paradis, c'est uniquement par crainte de la loi».

Que conclut M. Rholfs? «C'est que les Français auraient dû se con­duire comme les Anglo-Saxons dans l'Amérique du Nord: refouler les Arabes. Alors l'Algérie serait devenu un pays tranquille habité unique­ment par des Européens. Il y a, pense-t-il, des peuples qui devront disparaître pour le plus grand bien de l'espèce 27r humaine».

Dans son livre si intéressant sur la Tunisie, M. Marc Fournel cite aus­si l'opinion d'un prêtre qui vécut 12 ans comme curé à Laghouat au mi­lieu des indigènes.

«Grands et petits, dit-le curé de Laghouat, ils sont tous intéressés à no­tre ruine, ils l'appellent de tous leurs voeux, et, sans cesse, d'une maniè­re patente ou cachée, ils y travaillent avec ardeur».

Et le curé de Laghouat cite à ce propos la déclaration que faisait de­vant le conseil de guerre d'Alger Mohammed-ben-Abdallah, l'un des chef de l'insurrection de 1854:

«Ma vie est dans la main de Dieu et non dans la vôtre, je vais donc vous parler franchement. Tous les jours vous voyez des musulmans ve­nir vous dire qu'ils vous aiment et sont vos serviteurs 27v fidèles; ne les croyez pas; ils vous mentent, par peur ou par intérêt… quoi que vous leur donniez, ils ne vous détesteront pas moins et toutes les fois qu'il viendra un Chérif qu'ils croiront capable de vous vaincre, ils le suivront tous, fut-ce pour vous attaquer dans Alger».

L'hostilité des indigènes puise ses motifs dans le fanatisme de leur foi. Toute tentative de conciliation est inutile. La politique musulmane n'étant pas autre chose que l'application des principes du Koran, n'a pas varié depuis la conquête et ne variera pas davantage dans l'avenir.

La faiblesse des sultans n'est pas une garantie de paix, l'action ne part plus aujourd'hui de Constantinople, elle part de l'oasis de Djerboub où réside le Cheikh et Mahdi, et de la Zaouïa 28r de Bagdad où réside le chef des Kaderya.

Nous n'avions que deux alternatives, ou rejeter les Arabes dans le de­sert ou les assimiler. Mais les Arabes sont un peuple essentiellement reli­gieux. Il faudrait un peuple religieux pour les assimiler et, comme le dit Marc Fournel, la France est actuellement trop laïque pour entreprendre cette tâche.

Nos pouvoirs publics, hélas! sont bien loin de comprendre cette situa­tion. Le Sénat a voté récemment encore le développement des séminai­res musulmans.

Multiplier à nos frais les mosquées en Algérie et organiser à prix d'or l'enseignement de la religion de Mahomet, n'est-ce pas une aberration égale à celle qui favorise les pèlerinages à la Mecque? Les indigènes en rapportent toujours, sinon le choléra, du moins une recrude­scence 28v d'inimitié et de fanatisme contre nous. On ignore donc tout ce que le Koran attise de haine dans le cœur de ses adeptes contre les étrangers qui ne reconnaissent pas la loi du prophète? on ne sait donc pas que cette haine devient pour tout musulman le plus sacré des de­voirs?

Le Djehed, la guerre sainte, c'est-à-dire le massacre des envahisseurs qui ne sont pas musulmans, voilà le rêve des fils de Mahomet.

Ils sont polis en Algérie pour les Français, hospitaliers même mais ceux qui connaissent leur langue et qui ont l'oreille fine peuvent les en­tendre dire entre eux au sujet de leurs hôtes leur imprécation commune contre les mécréants: Que Dieu les brûle!

Que faire donc? les rendre sceptiques et libres-penseurs? Le remède serait pire que le mal. Quelques uns 29r des rares indigènes qui fréquentent nos écoles laïques perdent la foi en Dieu et en Mahomet. Ils ajoutent à leurs vices tous ceux de notre civilisation impie,mais ils n'en demeurent pas moins nos ennemis. Ils nous haïssent même doublement, nous accusant de leur avoir ravi non seulement la liberté, mais l'espérance.

Les Arabes et Kabyles ne détestent personne, hors les juifs, au même degré que les incrédules et les athées. Le spectacle de nos colons vivant trop souvent, hélas! sans religion et sans prière, provoque à un degré qu'on ne saurait imaginer, leur indignation et leur mépris. «Ils sont pi­res que les ânes, disent les Arabes, car si les ânes pouvaient parler, ils di­raient que Dieu existe».

Nous nous imaginons les éblouir et les entraîner par le spectacle de notre civilisation; ils s'en moquent et ils concluent, dans 29v leur im­passibilité stoïque, que notre esprit est bien étroit, puisque nous nous in­stallons dans ce monde comme si nous ne devions jamais en sortir.

On aura beau chercher et beau faire, seul le christianisme pouvait nous attacher des populations pour lesquelles la foi en Dieu est tout. Pour les rendre français, il fallait absolument les rendre chrétiens.

C'est impossible, répète-t-on souvent. Non, tous les missionnaires ont constaté que c'eût été assez facile au moins chez les Kabyles, qui sont la­borieux, pratiquent la monogamie et sont moins réfractaires que les Ara­bes.

Pour ceux-ci même, on pouvait beaucoup par les enfants.

Lorsque le cardinal Lavigerie, malgré l'apposition de Mac-Mahon7), fonda avec les orphelins arrachés aux horreurs de 30r la famine, les deux villages chrétiens de St-Cyprien et de Ste-Monique, les politiciens prétendaient que ces deux villages seraient bientôt mis à feu et à sang par les tribus musulmans, qui de tous côtés les environnent. On disait aussi que s'ils échappaient à la colère du fanatisme, ils retourneraient bien vite au culte et à la loi de Mahomet. La vérité est que voilà déjà deux générations de fervents chrétiens qui y grandissent, s'y multiplient et y prospèrent en toute sécurité.

Partout d'ailleurs où s'établissent les Pères Blancs et les Soeurs Blan­ches, ils gagnent par leur charité la sympathie des indigènes.

Au lieu d'entraver constamment le zèle des prêtres, des missionnaires et des religieuses, si on eût favorisé leur action et multiplié leurs écoles; si, après la conquête, le pouvoir avait nettement manifesté la résolution de protéger par 30v la force la liberté de conscience des indigènes dé­sireux de s'instruire de la foi chrétienne, certainement à l'heure actuelle, un grand nombre de Kabyles seraient, pour le plus grand bien de notre pays, de fervents catholiques et par conséquent, d'excellents Français.

Il en est de même des Touaregs et des Soudaniens musulmans. Ils sont gagnés par le fanatisme des Senoussya. Pour eux aussi, il n'y aura qu'une alternative, l'assimilation ou le refoulement; et l'assimilation n'est possible que par le missionnaire.

Les bons missionnaires de N.-D. d'Afrique me redirent ces pensées qui sont celles de tous ceux qui connaissent le monde africain et qui ne se laissent pas aveugler par l'esprit sectaire.

Plus haut que N.-D. d'Afrique, 31r à 400 m. d'altitude, c'est le Bou-Zarea, le sommet le plus élevé des environs et comme le belvédère d'Alger.

On y jouit d'un magnifique panorama. La vue s'étend de là jusqu'à la vallée de l'Harrach à l'Est et bien loin à l'Ouest jusqu'à la haute pyrami­de appelée le tombeau de la chrétienne et qui paraît être le mausolée de Syphax et des rois de Mauritanie.

Ce monument est analogue au Medrasen ou tombeau des rois de Numi­die que l'on voit entre Constantine et Batna. Les uns et les autres ont voulu imiter les rois d'Egypte.

Le Bou-Zarea est à mi-chemin de Staouéli.

C'est là qu'eût lieu le 19 juin 1830 la bataille qui ouvrit l'Algérie à nos troupes débarquées dans le voisinage au cap de Sidi-Ferruck.

Treize ans plus tard les Trappistes 31v étaient autorisés à s'établir sur ce plateau et mille hectare leur étaient concédés. C'est aujourd'hui la plus belle exploitation agricole de l'Algérie. C'est un exemple pour les colons. Les trappistes prient, édifient et secourent bien des misères. Ils sont sous la protection de N.-D. de Staouéli, dont la statue est abritée sous un oasis de palmiers à l'entrée de la colonie.

Le grand organisateur de Staouéli fut le P. Régis dont le nom est po­pulaire en Afrique comme ceux de Mgr Pavy et de Mgr Lavigerie.

Les Pères ont maintenant 400 hectares de vignes en plein rapport. Ils ont 400 ruches. Ils cultivent 15 hectares de géranium pour la fabrication des parfums. L'abbaye compte 120 Pères. Ils sont aidés par 250 ou­vriers.

Plus près d'Alger, au milieu des 32r villas de la banlieue, deux éta­blissements font aussi honneur à la charité chrétienne.

Au Frais-Vallon, c'est l'asile des vieillards desservi par les petites Soeurs des Pauvres.

A El-Biar, c'est le couvent des Filles du Bon Pasteur. Ces vraies filles du Bon Pasteur accueillent bien des brebis égarées. Leur bercail a plu­sieurs sections. Il y a la classe de préservation pour les jeunes filles aban­données et exposées au mal; la classe St-Louis pour les épaves de la so­ciété, pour les pauvres filles qui arrivent dans un état profond de misère physique et morale. Il y a enfin le quartier de Ste-Madeleine, le quartier des repenties. La réhabilitation va même jusqu'à en faire des religieuses avec une règle particulière.

Ces œuvres font plus pour gagner 32v l'Algérie à la France, que l'action de l'école et de la civilisation impie.

Mais il faut quitter Alger et refaire la longue route de Constantine. J'en profite pour classer quelques notes générales sur l'Algérie. L'Algérie a trois régions fort différentes: le Tell, les Hauts-Plateaux et le Sahara.

Le Tell, tellus des romains, s'étend entre la mer et la chaîne de l'Atlas. C'est une région accidentée, qui a ses montagnes, ses fleuves et ses plaines. C'est une province plus européenne qu'africaine.

Elle a en grande partie le climat et les productions de l'Europe. C'est un sol fertile, arrosé par des pluies périodiques, qui porte de belles forêts et donne des fruits et des grains. On donne le nom de Sahel au système de petites collines qui avoisinent la mer. C'est une partie du Tell 33r.

Plusieurs rivières descendent de l'Atlas à la mer. J'ai remarqué, dans les provinces d'Alger et de Constantine: le Mazafran, qui descend des gorges de la Chiffa, l'Harrach près d'Alger, l'Isser qui coule aux gorges de Palestro, le Sahel aux Bibans, le Rummel à Constantine, la Seybouse à Bône, la Medjerda qui coule ensuite en Tunisie.

Les montagnes de l'Atlas ont deux chaînes parallèles. C'est entre les deux que s'étendent les Hauts-Plateaux.

Ces plateaux ont de 500 à 1000 mètres d'altitude. Ils s'étendent du

Maroc à la Tunisie sur une longueur de plus de 1000 kilomètres. Leur largeur varie de 100 à 200 kilomètres.

L'Atlas a des sommets élevés de 2000 m. du coté du Tell, dans la grande et la petite Kabylie. Du coté du Sahara le sommet de l'Aurès à 3300 mètres 33v.

Le versant du Sahara a aussi ses fleuves, généralement desséchés et particulièrement le Oued Mia et le Oued Igharghar, qui seront les grands chemins de pénétration vers le Soudan. Les Hauts-Plateaux ont quelques lacs et marais appelés Chotts. Vers l'Est ils s'ouvrent pour lais­ser descendre le fleuve de la Medjerda au-dessus de Carthage.

Les Plateaux sont particulièrement le domaine de l'Arabe pasteur. Complètement déboisés, ils sont balayés et desséchés par le vent du de­sert. Ils offrent de bons pâturages lorsque les pluies d'automne et de printemps ne font pas défaut. Leur richesse, c'est l'halfa, qui en couvre les sept dixièmes.

Dans ce long trajet je traversai monts et forêts, plaines et cultures. La longueur du chemin et l'absence 34r de journaux font qu'on se prend à causer avec ses compagnons de route, comme jadis dans les diligences, et c'est un moyen de s'instruire des choses du pays.

Nous traversâmes des forêts de pins, des forêts de chènes-liege et de chènes-verts, mêlés d'oliviers sauvages. Il y a encore, me dit-on, des bouquets de cèdres sur quelques sommets. L'Algérie en a 30.000 hecta­res. Le thuya et le caroubier, l'orme, le frêne et le lentisque mêlent leurs essences sur les flancs des montagnes. L'eucalyptus s'est multiplié de­puis trente ans. L'Algérie en compte déjà deux millions.

Les arbres à fruits sont nombreux aussi. On compte deux millions de palmiers-dattiers atteints par l'impôt. Les oliviers aussi sont nombreux. Ils produisent déjà six millions de francs à l'exportation 34v.

Les oranges de Blida et de la Metidja alimentent les marchés de Mar­seille et de Paris. Le bananier, le goyavier, le néflier du japon réussis­sent bien dans les vallées du Sahel.

Je n'ai pas aperçu de bêtes fauves. On dit que l'Algérie a encore des lions, des panthères, des hyènes et des chacals. Elle a aussi d'innocentes gazelles et des singes grotesques. Mais que d'animaux domestiques, au­tour des campements arabes et des fermes françaises! Il y a, dit-on, dix millions de moutons. Garder un troupeau, assis ou accroupi sur un ta­lus, la tête abritée sous son burnous, c'est la vie de l'Arabe. Il a ainsi le loisir de réciter tous les chapelets de sa confrérie.

Il n'est pas rare de rencontrer le long de la voie de beaux flamants ro­ses, des grues et des cigognes blanches 35r. Mais les oiseaux de prix en Algérie, c'est le faucon et l'autruche. Le faucon est si bon chasseur! Un riche arabe le paie au prix d'un chameau. L'autruche orne si bien de ses plumes le chapeau de nos dames! Un autruchon de quatre mois se vend déjà 250 francs. C'est plus qu'un bon cheval. Aussi s'efforce-t-on de les multiplier au jardin d'essai à Alger. La flore de ces grandes plaines est assez variée et je me rappelle de grands champs tout fleuris d'anémones, de jacinthes et de jonquilles.

Les Arabes, quoique leur préférence soit pour la vie pastorale, ne dé­laissent pas entièrement la culture. Mais ils aiment le travail facile. Ils ont des charrues archaïques. Ils fendent légèrement la surface du sol avec ces instruments conduits par un chameau, un cheval ou un âne 35v et ils jettent leurs grains dans le sillon.

L'européen, sur le même sol, obtient des rendements bien plus consi­dérables.

L'Algérie fournit cependant 6 millions de quintaux d'orge et 4 mil­lions de quintaux de blé.

L'organisation administrative de l'Algérie a gardé les coutumes ara­bes. En dehors des communes françaises ou mixtes, les Arabes sont tou­jours groupés par douars ou hameaux. Plusieurs douars forment une fer­ka ou section, obéissant à un Cheikh. L'ensemble de plusieurs ferkas forme une tribu, commandée par un Kaïd. Des groupements de tribus relèvent d'un agha ou d'un khralifa.

Les Cheikhs, présentés par les Kaïds, reçoivent l'investiture de l'auto­rité française. Ce sont des fonctionnaires. Ils sont responsables de l'ordre de la ferka.

Les Kaïds, aidés par les Cheikhs, perçoivent 36r l'impôt, ils prési­dent les marchés et punissent les contraventions de simple police. Cha­que tribu à aussi son Kadi, qui juge les causes civiles et religieuses.

Les aghas et khralifas sont nommés par le ministre de la guerre. Ils di­sposent d'une troupe indigène pour maintenir la tranquillité.

Kaïds et Kadis sont assez fiers de leur dignité. Ils ont des vêtements cossus, des burnous et des Kaïds doubles et triples et dont les teintes clai­res contrastent avec les burnous gris du pasteur.

Ils se paient les secondes classes et échangent facilement quelques mots de français avec les européens.

Je relus pendant ce voyage l'histoire de la conquête, mais comment la retenir en détail?

Après quelques faits importants et quelques 36v noms sympathi­ques,ma mémoire se révolte et ne veut plus rien savoir.

En 1830, c'est le débarquement de Sidi-Ferruck, la bataille de Staoué­li et la prise d'Alger au 5 juillet par le général de Bourmont8). Le trésor du Dey s'élève à 50 millions. Il paie les frais de l'expédition.

Pendant les premières années, la politique est sottement hésitante. On prend et on abandonne Blida, Médéa, Oran, Bône. Il y a bien des luttes sans résultat et des changements incessants de généraux.

Le maréchal Clauzel9) est à trois reprises différentes général en chef de l'expédition.

Enfin en 1837, c'est le beau siège de Constantine, où se distinguent Damrémont10) et Valée11).

De 1841 à 1847, c'est la grande révolte d'Abd-el-Kader. C'est alors une véritable croisade. C'est la 37r lutte religieuse entre l'Islam et le Christianisme. Quatre noms dominent cette campagne, le général Bugeaud12), le duc d'Orléans13), le duc d'Aumale14) et Changarnier15). Le duc d'Aumale a l'honneur de prendre la Smala d'Abd-et-Kader en 1843. Lamoricière commence à se faire connaître en 1847.

De 1853 à 1857, c'est la révolte de la Kabylie, dans laquelle Mac­Mahon et Pélissier conquièrent leur renommée.

En 1868, de Sonis16) est aux avants-postes. C'est un vrai croisé. C'est le saint de cette guerre sacrée, l'émule des Macchabées et de St. Louis. Dieu a béni cette croisade, menée par le gouvernement avec tant de maladresse, de sottise et d'esprit sectaire. Bugeaud, Pélissier, Lamori­cière étaient des chrétiens véritables.

Depuis 1876 seulement la 37v colonisation a pris un développe­ment sérieux. La sécurité et les chemins de fer y ont aidé. On compte maintenant plus de 200 villages de colons.

Je m'informai aussi des progrès de la pénétration dans le Sahara. J'appris qu'elle se poursuivait avec méthode.

Le système adopté est d'élever chaque hiver quelques forts de refuge en allant toujours en avant. Ces forts gardent en été une garnison de 50 hommes, et dans la bonne saison, en hiver, ils peuvent être des points de ravitaillement et d'appui pour une colonne expéditionnaire. En ce mo­ment même on en achève trois: le fort Mac-Mahon (El-hamar), à 160 km. au sud-ouest d'El-Goleah; le fort Miribel (Chebaba), à 130 km. au sud-est d'El-Goleah, 38r dominant la vallée de Oued-Mia, sur le che­min de In-Salat et du Touat; le fort Bel-Hiram à 110 km. de Ouargla, dominant le Oued Igharghar vers la région des Touaregs.

C'est une méthode lente, mais qui paraît prudente et sûre. Cependant j'approchais de Constantine.

Je ne m'arrêtai pas à Sétif, l'ancienne capitale de la Mauritanie siti­fienne, qui était devenue un pauvre douar sous les Turcs et qui est main­tenant une ville de 12.000 âmes, avec de gros marchés et toutes les com­modités de la civilisation, hôtels, cafés, librairies, photographes, etc. Si elle pouvait être aussi une bonne paroisse! Elle eut un évêque autrefois, et St. Augustin raconte qu'après le tremblement de terre de 416 deux cents païens terrifiés par ce phénomène demandèrent le baptême 38v.

Cette région, de Sétif à Constantine est une des plus avancées comme colonisation. Il y a là un groupe de villages (Bouhira, Faucigny, etc.) fondés par la compagnie genevoise en 1853. Ils ont été fort éprouvés par l'insurrection de 1871. Il y a aussi un groupe de villages alsaciens fondés depuis la guerre de 1870-71. On y retrouve les noms de la patrie; Bel­fort, Altkirch, Ribeauvillé, Eguisheim, Obernai, Rouffach. Une bonne partie des Alsaciens n'y sont pas restés cependant. Le mal du pays les a découragés. Il leur a manqué aussi ce qui est le lien de toute commune alsacienne, un prêtre qui les comprenne et qui les dirige.

Depuis 1876, sous le gouvernement du général Chanzy17), la colonisa­tion a fait de grands progrès. En 6 ans 39r 170 villages ont été créés et la population a augmenté de 50.000 âmes. L'Algérie est devenue enfin un pays de colonisation. Les premiers colons étaient des aventuriers co­smopolites qui cherchaient fortune et ne trouvaient souvent que la misè­re. Depuis vingt ans, le pays se peuple de vrais colons. J'ai fait causer ceux avec qui j'ai voyagé. Les corses tiennent presque tous les emplois administratifs. La Corse est pauvre et l'idéal de ses enfants est d'être employés quelque part.

L'agent le plus actif de la colonisation a été le phylloxéra. Il a chassé vers l'Algérie nos vignerons de France. Ceux du Bordelais sont allés dans la province d'Oran. Ceux du Dauphiné, de l'Ardèche, de l'Herault sont allés dans les provinces d'Alger et de Constantine. Ceux du Dauphiné 39v et de l'Ardèche résistent le mieux. Ils trouvent comme chez eux un climat chaud l'été et assez froid l'hiver. Ils sont durs au tra­vail et à la fatigue. Une bonne population vraiment française se formera là, si elle n'est pas trop minée par l'usure juive.

Me voici à Constantine. Je célèbre dès le matin la sainte messe à la ca­thédrale dédiée à N.-D. des Sept-Douleurs. C'est une ancienne mosquée agrandie et rehaussée par une coupole. Elle a gardé les hautes colonnes de granit qui séparent ses trois nefs, ses arabesques finement découpées, son minbar (sa chaire) en marqueterie.

Je n'oublie pas d'invoquer les martyrs de l'antique cité, les humbles jardiniers Marius, Jacob et leurs compagnons, jetés dans le Roumel en haine de la foi, près des rochers qui ont gardé le nom de «rochers des 40r martyrs»18). N'y eut-il pas aussi des martyrs dans nos braves soldats qui périrent là en 1837? N'avaient-ils pas quelque chose du feu sacré des croisés en allant à l'assaut de ce repaire de l'Islam? Je fus heu­reux de pouvoir dire beaucoup de bien aux prêtres de la paroisse de leur futur évêque Mgr Jullien Laferrière19) qui est mon ancien condisciple de Rome.

Puis je me mis à visiter cette curieuse cité qui vaudrait à elle seule le voyage de l'Algérie. C'est l'antique Cirta, la capitale des Numides, la ville des rois Syphax, Massinissa, Micipsa, Adherbal et Juba, dont Sal­luste nous a parlé.

C'est un nid d'aigle, une forteresse naturelle, batie à 700 m. d'altitude sur un plateau, une presqu'île entourée d'un abîme où coule 40v l'Oued Roumel. Le torrent est au fond d'une profonde anfractuo­sité. Il se perd sous des voûtes naturelles, reparaît et se perd encore, il passe sous le Pont du Diable et reçoit des sources brûlantes.

Les Arabes l'ont surnommée la cité aérienne, Belad-el-Haoua.

Elle n'était accessible que par un étroit passage qu'il était facile de dé­fendre.

Embellie par Flavius Constantin, le vieille Cirta prit le nom de Con­stantine. Elle résista aux Vandales.

Au XVIe siècle, elle était un centre de lumières, mais les Turcs l'abru­tirent comme ils firent de toute l'Algérie.

Son dernier Bey, Hadj-Ahmed, résista vaillamment. Il fut tout à fait indépendant de 1830 à 1837 après la prise d'Alger.

Il exerçait le pouvoir avec une tyrannie toute barbare, mais l'horreur du nom chrétien 41r est si grande chez les Musulmans qu'il vit même les victimes de sa tyrannie défendre avec acharnement son drapeau.

Le Maréchal Clauzel en tenta le siège en 1836, mais les Kabyles com­mandés par Ahmed-Bey faisaient bonne garde.

L'assaut fut tenté par le pont d'El-Kantara et par la porte du Koudiat­-Aty, mais nos colonnes étaient hachées par la mitraille, il fallut y renon­cer. Le chef de bataillon Changarnier se distingue dans la retraite.

La France ne voulut pas rester sous le coup d'un pareil échec. Le gé­néral Damrémont reçut l'ordre de prendre Constantine. Il disposait de 10.000 hommes, divisées en quatre brigades, commandées par le duc de Nemours, le général Trézel, le général Rulhières et le colonel Combes. Le général Valée commandait l'artillerie 41v.

L'armée arriva devant Constantine le 6 octobre 1837. Constantine enorgueillié par son succès de l'année précédente était décidée à une ré­sistance sans merci. D'immenses pavillons rouges s'agitaient fièrement dans les airs. Les femmes, placés sur le haut des maisons poussaient des cris aigus qui se mêlaient aux males acclamations des guerriers Kabyles.

Le général Damrémont envoya faire aux assiégés les sommations d'usage. L'envoyé, soldat du bataillon indigène revint avec cette répon­se qu'on ne serait maître de Constantine qu'après avoir égorgé le der­nier de ses défenseurs.

Le général Damrémont s'étant avancé à Koudiat-Aky pour examiner la brèche fut tué par un boulet. Le général Valée prit le commandement. Il pressa la canonnade et le 13 il ordonnait l'assaut. Les troupes étaient divisées en trois colonnes 42r sous les ordres du lieutenant-colonel La­moricière et des colonels Combes et Corbin. Lamoricière pénétra le pre­mier. Il ouvrit la trouée à travers les barricades intérieures, mais il tom­ba blessé. Le colonel Combes reçut deux balles et mourut le lendemain.

Les assiégés réfugiés dans la Kasbah cherchèrent à fuir en se laissant descendre au moyen de cordages qui se brisèrent sous le poids. Tous pé­rirent dans l'abîme.

Ahmed-Bey, après la perte de sa capitale, passa onze ans encore à lut­ter contre nos troupes dans l'Aurès. Il ne fit sa soumission qu'en juin 1848. Le gouvernement le traita honorablement à Alger. J'ai signalé son tombeau dans la mosquée de Sidi Abd-er-Rhaman. Les restes du colonel Combes et des vaillants soldats qui périrent avec lui reposent 42v à la Kasba sous un monument funéraire élevé par l'armée en 1851.

Constantine compte aujourd'hui 50.000 âmes. Son quartier européen déborde sur la colline de Koudiat-Aky.

La Kasba, le palais d'Ahmed-Bey et les mosquées contrastent avec les monuments modernes, préfecture, banque, théâtre, postes, etc. Le quartier arabe a gardé sa physionomie propre. C'est une fourmilière où les rues et les impasses étroites et tortueuses forment le labyrinthe le plus inextricable qu'on puisse imaginer. Marchands et artisans, bouchers, fruitiers, tailleurs, brodeurs, potiers, forgerons, cafetiers, barbiers, oc­cupent de minuscules boutiques. Mais les cordonniers dominent. C'est que tous les indigènes de la province viennent s'approvisionner de chaussures à Constantine.

Dans ce quartier pittoresque se coudoient 43r l'Arabe gravement drapé dans son burnous rapiécé, le Kabyle avec son outre d'huile, le Bi­skri avec sa koulla d'eau, le juif colporteur, la Mauresque au voile bleu, la négresse marchande de pain, le gamin commissionnaire ou Hammal, le confiseur ambulant, marchand de halloua avec ses ustensiles à la cou­pe antique. On y voit encore le Kadi grave comme la loi, le taleb mysti­que, le spahis au burnous rouge, le turco bleu, puis cette cavalerie si va­riée, chevaux, chameaux, bourriquots portant hommes et marchandi­ses. C'est une mosaïque, une série de tableaux orientaux qui a inspiré nos peintres d'Afrique, Decamps, Fromentin, Marilhat20) et autres.

Une spécialité de ce quartier, ce sont les cafés de fumeurs de haschich. Les amis de ce narcotique sont assis autour de tables chargées de pacotille 43v chatoyante, propre à favoriser leurs rêves dorés. On y mêle les monceaux d'oranges, les bouquets de fleurs, les candélabres al­lumés, les vases rehaussés de peintures voyantes et jusqu'aux bocaux de poissons rouges. Etrange aberration qui fait du rêve sensuel une jouis­sance publiquement recherchée.

Après l'ensemble de la ville et la cathédrale, il reste à voir à Constanti­ne la Kasba, la grande mosquée, le palais du Bey et le pittoresque ravin du Roumel.

La Kasbah a succédé à l'acropole des Romains et des Numides. C'est là qu'ont habité les rois guerriers qui ont été tour à tour les ennemies et les alliés de Rome. Les immenses citernes romaines subsistent encore. Elles servent encore de château d'eau. Elles contiennent 12.000 mètres cubes d'eau 44r.

On y a réuni des inscriptions, qui forment avec les statues et sculptu­res de la place Valée une intéressante collection.

Constantine avait, avant l'occupation française, 90 mosquées, pour vingt mille âmes! Quelle estime un peuple si religieux peut-il avoir d'une nation qui se contente de quelques rares églises et qui n'y va pas prier!

La grande mosquée, Djama-el-Kebir, est vénérable. Elle a succédé à la vieille cathédrale catholique des premiers siècles et celle-ci au principal temple païen de Cirta. Quelques colonnes romaines y occupent encore leur position primitive. Des inscriptions trouvées dans le sol de la cour font croire à l'existence précédente d'un panthéon. La mosquée est du XIIIe siècle. Elle a cinq nefs divisées par 47 colonnes, différentes de style et de hauteur. Le jour y pénètre par des lucarnes découpées 44v en arabesques. Un cordon d'arabesques orne les murs. Des tapis turcs aux chaudes couleurs couvrent le sol. Des lustres en cristal, des lanternes en cuivre sont suspendues aux poutres. Le minbar ou chaire et le tribunal propre aux mosquées de rite maléki complètent l'ameublement.

La cour et le minaret ont été sacrifiés pour l'ouverture de la rue Natio­nale, et remplacés par une façade nouvelle ornée de faïences coloriées. La mosquée de Sidi-el-Akhdar est plus moderne, elle date du XVIIIe siècle. Son ornementation est toute de clinquant, mais elle fait assez d'ef­fet. Des faïences, des lustres, des tapis ornent ses cinq nefs. C'est orien­tal… comme nos manèges de foire.

Cette mosquée a un élégant minaret octogone de 25m de haut, termi­né par un balcon en encorbellement, recouvert 45r d'un auvent.

Le palais d'Ahmed-Bey est devenu l'hôtel de la Division. C'est un ri­che palais construit par le dernier Bey, peu de temps avant l'occupation, et qui rappelle les féeriques demeures décrites dans les Mille et une Nuit. Le génois Schiaffino qui faisait à Bone le commerce de grains fut chargé d'amener d'Italie les marbres et les faïences. Carthage aussi fournit de riches matériaux. Quatre jardins entourés de galeries forment une fraî­che oasis autour de l'habitation. Des fresques naïves décorent les parvis des galeries. On y a peint Stamboul, Masr (le Caire) et Iskanderia (Ale­xandrie).

Les frais de construction de ce palais s'élevèrent de 7 à 8 millions. Les ombres du soir font un grand effet dans ces longues galeries aux arcs cintrés en fer à cheval, avec le murmure 45v des fontaines dans les vasques de marbre, l'exubérante végétation des plantes exotiques, les grenadiers et les myrthes en fleurs et les grands lierres qui montent aux colonnes blanches.

Ahmed jouant au sultan traversait fièrement ces cours, drapé dans son manteau de soie blanche, doublée d'amaranthe. Assis à la loggia aux élégants balustres de bois, il écoutait ses musiciens. Il entretenait là 400 femmes. Il y fit deux courts séjours, l'un comme prince régnant, l'autre comme prisonnier «sic transit gloria mundi».

Il me reste à faire la grande promenade autour de la ville. Je la prends au square Valée, près de la Brèche. Le col par lequel la vieille cité était unie au plateau voisin s'élargit et s'aplanit. D'énormes travaux y ont établi le beau square Valée. Quand le Koudrat-Aty sera rasé, c'est 46r là que sera vraiment le centre de la ville nouvelle, entre la cité ancienne et les faubourgs nouveaux.

C'est déjà le centre du commerce. C'est là que sont le marché aux grains et le marché couvert. C'est de là aussi que partent les rues Pere­gaux et Vieux où se trouvent les fondouks des cuirs et des tissus.

Il y a là une grande animation. Les populations européennes et indi­gènes se coudoient. Tout ce monde à pied, à âne, à cheval ou à chameau va et vient, se mêle et se croise. C'est un tableau extrêmement original. C'est que Constantine est la ville la plus laborieuse et la plus active de l'Algérie. Elle fait un grand commerce de blé et d'huile. Les droits sur les blés donnent à la ville 200.000 francs de revenus.

Les principales industries locales sont celles des cuirs et des tissus 46v.

Les tanneurs, les selliers, les cordonniers travaillent le cuir. Une qua­rantaine de tanneries sont suspendues au bord du ravin d'el Kantara. Les selliers de la rue Péregaux confectionnent, outre les harnachements du cheval tout ce qui entre dans l'équipement d'un cavalier: les bottes à l'écuyère ou temaks; les portefeuilles, djebira; les cartouchières et giber­nes que portent les Kabyles. Tous ces articles de sellerie sont souvent d'un travail très recherché et les prix en sont élevés.

La fabrication des tissus de laine emploie un grand nombre d'ou­vriers. Elle comprend: les burnous; les haïks, blouses à manches courtes; les gandouras, longues pièces d'étoffes fines en soie ou en laine; les tapis et les tellis ou sacs doubles pour les transports à dos de mulets ou de cha­meaux. Il se vend, dit-on, par an 25.000 burnous, de la 47r valeur de 15 à 30 francs.

Mais la pacotille d'Europe gagne du terrain. L'industrie locale perdra son activité et son cachet. Les populations arabes sont destinées à s'étio­ler dans la servitude.

Des deux côtés de cette belle place Valée, et comme un suprême con­traste de la civilisation et de la misère, on voit sur les pontes qui descen­dent vers les ravins, des amas de gourbis arabes, qu'ils honorent du nom de fondouks, ou marchés, parcs pour les ânes, les chevaux et les cha­meaux, boutiques de fritures et de rôtisseries, de fripiers et de maréchaux-ferrants, tout cela répand une odeur qui vous prend à la gor­ge. C'est une population immonde et déguenillée qui vit de son petit commerce avec les nomades. C'est la tribu peu appétissante des Beni/­Ramassés 47v.

Avant de continuer ma promenade, je veux signaler encore deux dé­tails de moeurs du quartier arabe. Ce sont d'abord les mains sculptées au-dessus des portes pour éloigner le mauvais oeil. Là où le ciseau ne l'a pas gravée sur la pierre, la main est peinte un rouge ou simplement mar­quée par l'empreinte d'une main trempée dans le sang d'un mouton ou d'un boeuf. C'est sûrement une tradition mosaïque, un souvenir de l'hi­stoire des plaies d'Egypte, défiguré par la tradition musulmane.

A signaler encore le Dar-et-mena, la maison d'asile, l'ancienne maison des Beni-Lefgoun. Les Beni-Lefgoun étaient une famille privilégiée, en pos­session depuis 300 ans de l'autorité religieuse sous le nom de Ouled-Sidi­-Cheik. Le chef de la famille avait le titre de Cheik et Islam et il disposait de grandes 48r richesses et de territoires immenses. Le Cheik-el-Islam ré­gnait sur les âmes et il a toujours été respecté par les Beys.

Les Ouled-Sidi-Cheik n'ont plus grande action à Constantine, mais ils ont encore dans le midi de l'Algérie une organisation puissante. La maison de Dar-el-mena, devenue la bibliothèque publique, jouis­sait du droit de refuge, comme les villes saintes d'Israël, comme nos mo­nastères du moyen-âge. Un Bey, disgracié par le pacha d'Alger s'y réfu­gia pendant trois mois. Il échappa ainsi à la colère du maître qui eut le temps de se calmer.

Je reprends ma promenade au Koudiat-Aty. C'est là qu'était l'amphithéâtre romain, dans une situation superbe avec le panorama de la ville et des gorges du Roumel 48v.

Le nouveau théâtre, qui fait le pendant du marché couvert a, dit-on, aussi une belle vue du balcon de son foyer sur les montagnes du Nord. A quoi bon, puisqu'on n'y va que la nuit.

Les faubourgs du Koudiat-Aty ont leurs églises dédiées à St Jean et à St-Antoine.

C'est là aussi qu'est la pyramide élevée en l'honneur du général Dam­rémont, au lieu même où il tomba frappé par un boulet.

Du square Valée on descend vers l'abattoir. Des jardins entourés d'aloës et de cactus reposent du spectacle nauséabond qu'offrent les gourbis des Béni-Ramassés. Chose propre à ce pays, l'abattoir est divisé en trois parties, pour les chrétiens, pour les juifs et pour les musulmans.

Au-dessus de l'abattoir, c'est le Bardo, ancien quartier de cavalerie turque: 49r on copiait ici les noms et les choses de Tunis. Plus loin, c'est l'aqueduc romain au milieu d'une véritable oasis. Cinq grandes ar­cades de pierre, de vingt mètres de haut sont attribuées à Justinien.

Après cela, c'est la pointe de Sidi-Rached, l'extrémité sud du rocher de Constantine. Son nom vient de la tombe d'un marabout. La justice arabe faisait précipiter de là les femmes adultères. C'est un procédé as­sez biblique. La roche élevée de 200 pieds et à peu près lisse apparaît comme la proue d'un gigantesque navire.

Au pied de la roche est une source thermale. Sur ses flancs, une in­scription rappelle le martyre des Saints Marius et Jacob et de leurs com­pagnons.

Humbles jardiniers de la banlieue ils eurent le courage de mourir pour 49v la foi. Torturés à Cirta, ils furent exécutés à Lambèse quel­ques jours après.

A droite, une dépression lugubre, béante, étroite et noire, s'ouvre dans la paroi rocheuse. C'est la coulée formidable que le Roumel s'est creusée tout autour de la ville. C'est l'effet peut-être de quelque catacly­sme antédiluvien.

Jamais le soleil n'éclaire ces mystérieuses profondeurs où l'eau se pré­cipite avec un bruit sinistre. Un pont, le pont du diable, traverse la gor­ge à mi-hauteur.

Plus loin les eaux s'engouffrent sous une haute voûte, puis elles repa­raissent et disparaissent de nouveau avant de reprendre leur cours à ciel ouvert.

Le pont moderne El-Kantara ouvre sa grande arche de fer au-dessus du pont romain qui a été reconstruit sur ses piles antiques au XVIIIe siè­cle par Salah-Bey. Dans le voisinage du pont 50r romain, on retrouve de nombreuses inscriptions latines. Deux d'entre elles marquaient les li­mites d'une propriété de Salluste l'historien: limes fundi sallustiani.

Salluste, gouverneur de l'Afrique sous César et exacteur honteux comme Verrés, comme Cicéron lui-même et les autres, s'était là taillé ses jardins de Babylone et un grand domaine de produit. C'est là sous quelque tonnelle d'orangers, en contemplant le plus grandiose des spec­tacles et en jouissant de la fraîcheur du torrent et du doux murmure de ses eaux que le grand écrivain prenait ses notes sur l'histoire des Numi­des.

Un ingénieur vraiment artiste, M. Renès a fait faire dans ces derniè­res années un chemin de piétons, appelé le «Chemin des Touristes», qui conduit le visiteur sur une longueur de 50v 1800 m. à travers tou­tes les merveilles de la gorge du Roumel. Le chemin commence en face du promontoire de Sidi-Rached. Il passe au pont du diable, puis il conti­nue suspendu aux flancs du rocher, taillé dans le roc ou porté par des consoles de fer et protégé toujours du coté du gouffre par un treillis. C'est une conception hardie, qui offre mille surprises aux touristes et qui permet aux Constantinois de se promener à l'ombre et au frais pendant l'été. Au delà du pont d'El Kantara se développe le nouveau quartier de la gare, entre les collines de Mansoura et de Sidi-Méçid. Il y avait là un faubourg romain. On y retrouve des débris de colonnes, des chapiteaux, des corniches. Les vieux récits de voyages y décrivent un bel arc de triomphe.

Le Mansoura porte une caserne de 51r cavalerie et le Sidi-Méçid un hôpital civil. C'est de ces sommets qu'on a le plus saisissant panora­ma de Constantine. C'est un nid d'aigle. C'est une cité aérienne éten­due sur son rocher, disent les arabes, comme un burnous dont la Kasba forme le capuchon. Les maisons se sont campées hardiment jusqu'au bord du rocher, qui surplombe parfois le ravin. De là haut on plane au­-dessus des vautours et des corbeaux qui assainissent le ravin en dévorant tout ce que les indigènes y jettent de débris.

Mais il faut achever notre promenade. Au-dessous de la Kasba, un ca­veau dans le rocher contenait le tombeau de l'orfèvre romain Pracilius. Plus loin les cascades bouillonnantes du Roumel, encadrées dans des 51v rochers hauts de 200 à 300 mètres forment un des plus gran­dioses spectacles que l'on puisse imaginer.

La promenade se termine aux bains de Sidi-Méçid. Il y a là des sour­ces thermales, sulfureuses et ferrugineuses.

C'est depuis les romains un lieu de bains et en même temps un Lucus, un lieu saint, un bois sacré. Les femmes arabes et juives vont s'y baigner le mercredi. Elles y font leurs dévotions en y jetant des tomina, gâteaux de miel et de semoule, en y brûlant de l'encens et en y tuant des poules, comme font les femmes d'Alger aux fontaines des Génies. Quelle curieu­se chose que ces superstitions indéracinables, comme celles que les rois de Juda ne parvenaient pas a extirper!

Des piscines ont été aménagées pour les baigneurs européens. Ils trou­vent là 52r dans un bouquet d'orangers et de grenadiers un hôtel con­fortable. C'est leur délassement d'aller là se baigner et déjeuner.

Le côté sensuel de la civilisation se développera vite en Algérie, mais la vie chrétienne? Hélas, il en est de la colonie comme de la métropole, les hommes y ont abandonné leur poste d'honneur au sanctuaire pour n'y laisser que les femmes. L'enseignement universitaire développe l'in­différence. Constantine a un lycée prospère.

Des communautés religieuses ont ouvert deux pensionnats, l'un dans l'ancien hôpital civil, l'autre dans l'ancienne mosquée de Rahbat-es-­Souf. Elles tiennent aussi les crèches fondées par le Maréchal de Mac­-Mahon. Mais ces œuvres sont bien insuffisantes pour lutter contre l'islamisme et contre une administration sectaire 52v.

De Constantine au désert. Je prends le chemin de Biskra, et je n'irai pas cependant jusqu'à la reine du désert.

Le chemin de fer traverse les grands plateaux dénudés où l'on récolte l'halpha et où fleurissent spontanément les anémones, les jacinthes et les jonquilles. Il manque là de vastes forêts, mais l'Arabe se plaît à détruire les arbres pour faire courir à l'aise ses troupeaux dans la plaine.

De beaux flamants roses courent dans les herbes, des faucons planent dans l'air, les cigognes viennent passer là l'hiver sur les toits des fermes et des gares pour retourner au printemps sur les clochers des bords du Rhin.

Nous longeons les grands lacs salés de Tinsilt et de Msouri. Des trou­peaux de Méhari paissent là, je me 53r croirais en Egypte. Les noms des stations ne sont pas du tout vulgaires. C'est Ain-Yacout, la source du diamant; Aïn-Touta, la source du mûrier; Oum-el-esnam, la mère des idoles ou des ruines; Ksour Rennaïa, le château de la chanteuse ou de la charmeuse, les Tamarins, la Fontaine des Gazelles, etc.

Les troupeaux de chameaux, les Méharis regardent d'un air triste et résigné ces trains qui leur ont ôté leur royauté du désert. Eux seuls au­trefois transportaient tout dans ces régions, mais maintenant! …

Il y a encore quelques caravanes qui serpentent sur les routes. Elles ont une centaine de chameaux, avec avant-garde et arrière-garde. Le chef de la colonne, le Kébir est en tête monté sur un méhari de choix. C'est lui qui dirige la marche et fixe les haltes. 53v C'est lui qui au dé­sert devine la route, quand la pluie et le vent l'ont effacée.

Les grandes caravanes vont du littoral au Soudan, pour échanger les cotonnades, les armes, les denrées d'Europe contre les peaux tannées, les ivoires et les essences. Plus souvent elles vont à la récolte des dattes dans les oasis.

Ce spectacle, que j'ai vu si souvent en Orient, a quelque chose d'atta­chant. Ces animaux s'avancent lentement. Leur marche est ondulée comme celle des vaisseaux sur les ondes. Des ballots sont empilés au-­dessus de leur dos énorme et parfois au sommet un homme ou un enfant est jugé (juché) au sommet, semblable à une idole sur une pyramide in­dienne. D'autres fois des étoffes rayées de rouge et de bleu et garnies de longues franges qui descendent jusqu'à terre forment là haut une sorte de tente ouverte du côté de l'ombre et de la brise. Dans ce nid, quatre ou cinq femmes 54r sont serrées les unes contre les autres, drapées dans leurs vêtements multicolores.

A la halte, chaque tronçon campe où il se trouve, sous des tentes de feutre gris. Les chameaux vont paître par groupes. Quelques broussailles donnent un pauvre foyer dont la fumée grise s'élève en colonne vers le zénit.

Sur ces plateaux, les colons sont encore rares. C'est le règne de la grande propriété indigène. L'administration favorise la propriété indivi­duelle et s'efforce de la déterminer et de la classer. Il y a encore cepen­dant de grandes propriétés collectives livrées au pâturage.

L'arabe cultive sa terre lui-même, s'il est pauvre. S'il est riche, il em­ploie un métayer, un Kabyle qui se loue à l'année. C'est ce qu'on nom­me un Khammas. Il reçoit le cinquième de la récolte 54v.

La culture est aisée. Une charrue primitive fend légèrement le sol. On sème tard en automne ou au printemps. On récolte en mai. On ne connaît pas l'alternance des cultures. C'est toujours le blé dans les terres riches et l'orge dans les terrains pauvres. La terre se repose une année sur trois. Le grain est battu sur l'aire par le pied des chevaux. Les terres en Kabylie valent de 100 à 300 francs l'hectare.

Mais me voici à Batna (le bivac en Arabe): une sous-préfecture, 6000 habitants, un camp militaire, des rues droites, des hôtels. C'est une bourgade de France sur les plateaux algériens.

Batna est un centre d'excursions. C'est de la qu'on va à Lambèse, à Timgad et aussi au Medrassen, le grand monument funéraire des rois de Numidie.

La famille de Massinissa voulut imiter les Pharaons, mais le Medrassen 55r est rond. C'est un cylindre à la base et un cône au sommet.

Lambèse et Timgad sont de grandes villes romaines dont les ruines ont bravé les siècles.

Lambèse, c'était Lamboesis, et Timgad, Thamugas.

Lambèse était un vaste camp romain. Son enceinte pouvait contenir 50.000 habitants. Elle offre encore les vastes ruines du palais de son gou­verneur, le Praetorium, des Thermes, un amphithéâtre, les arcs de triomphe de Commode, de Sévère et trois autres, les débris de temples de Jupiter, de Neptune, d'Esculape.

Ce qui m'intéressa le plus, ce fut la route, aller et retour de Batna à Lambèse. Nous étions dans un tapissière qui nous garantissait mal de la pluie.

J'avais pour compagnons à l'aller comme au retour deux gendarmes et 55v trois arabes. Les gendarmes allaient à la prison centrale cher­cher un prisonnier qui devait aller en appel à Alger. L'un des deux avait bu plus que de raison et il parlait sans arrêt. Il se plaignait de ses chefs et des corvées qu'on lui faisait faire. «On devrait le ménager davantage, lui qui a six campagnes et vingt-trois ans de service», etc.

Mes trois arabes avaient des sacs encombrants. Ils se penchaient ac­croupis sur les banquettes et ne me laissaient guère de place. L'un d'eux était autorisé à porter le fusil, il parlait quelques mots de français. Il était âgé et avait une figure honnête. C'était évidemment un des résignés de l'occupation. Mais j'eus la preuve que la résignation ne va pas chez le musulman jusqu'à l'estime. Il admirait notre civilisation.

Il étudiait l'étoffe de mes vêtements 56r et m'en demandait le prix. Mais quand le gendarme descendit à la guinguette du chemin pour prendre encore un verre dont il n'avait nul besoin, le vieil Arabe hocha la tête et me dit: «il blague trop le gendarme, il boit trop d'absinthe». Notre civilisation était jugée.

Au retour, nous avions le prisonnier, un arabe gagné à nos moeurs. Il accepta de boire et de fumer, au grand scandale des autres qui obser­vaient strictement le ramadan. Voilà ce que nous faisons des arabes quand nous leur communiquons notre indifférence religieuse. Ils de­viennent le rebut de la colonie et des piliers de prison.

Je dis la sainte messe à Batna. L'église est bien tenue. Il y a là un curé qui est un homme de Dieu. Un enfant de 14 ans me servit la messe. 56v Il apprenait le latin avec M.le curé et se destinait au sémi­naire. Je fus heureux de voir que des vocations pouvaient éclore sur les hauts-plateaux algériens. - Je déjeunai avec des officiers. Ils me pres­saient fort de continuer ma route jusqu'à Biskra. Rien, me disaient-ils, n'offre autant d'intérêt que Biskra. C'est la ville du désert, c'est la gran­de oasis aux 100.000 palmiers. C'est vraiment l'Afrique, avec son chaud soleil, sa végétation équatorienne et ses moeurs si spéciales, puis c'est l'entrée du grand désert qui va vers le pays des Touaregs et le Soudan mystérieux. Mais mon temps était limité par le départ du bateau de Tu­nis. Il fallait sacrifier Biskra ou Bône. Je sacrifiai Biskra pour satisfaire ma dévotion à St. Augustin à Bône, et je ne le 57r regrette pas. Biskra ne surpasse sans doute pas l'Egypte, avec ses oasis, ses palmiers, ses ca­ravanes et ses déserts.

Me voici donc en route pour Bône. Deux colons montent dans le mê­me compartiment. On cause. L'un est un propriétaire dauphinois, qui est venu essayer de regagner par la culture des hauts-plateaux ce que le phyloxera lui a fait perdre. Il aune ferme bien montée, avec des appa­reils pour botteler l'halpha. C'est un homme d'action et de progrès. Il va facilement à Constantine acheter ce qui lui manque. Il est gai et doit fai­re assez bien ses affaires. Il est bon républicain et content du régime ac­tuel. Il doit être franc-maçon. Il est aujourd'hui tout triomphant. Il a fait une trouvaille. Sa ferme voisine des lacs salés n'avait que de l'eau samouraï. Il a fait un forage 57v et il a découvert une nappe d'eau douce au-dessous de l'eau salée. C'est un trésor qui va multiplier la valeur de sa ferme. Il court à Constantine pour acheter une pompe.

L'autre colon, M.le Comte, est de la Charente. Il est allé essayer de refaire une fortune, dévorée par les confiscations de la Révolution et par les lois successorales. Il est homme d'ancien régime et parle avec amer­tume des choses présentes. Il aime la religion ou au moins les pratiques religieuses. Il se plaint de l'insuffisance des ressources religieuses en Al­gérie. On a bâti une église à la colonie qu'il habite, mais elle est mal pla­cée, loin de sa ferme, d'ailleurs c'est un prêtre d'une autre commune qui y vient le dimanche.

Ces deux hommes représentaient bien la mère-patrie 58r. Cependant nous approchons de Guelma. Voici les collines et les bois où Gérard le tueur de lions a commencé sa renommée. Près de là sont se­més des monuments mégalithiques, dolmens et tombeaux. Est-ce que nos Celtes seraient allés jusque là?

Mais la plus grande curiosité de la région c'est Hammam Meskroutin. Ce sont des sources thermales pétrifiantes, les aquae tibilitanae des Ro­mains.

Les sources émergent au centre d'un cirque montagneux. Elles ont 95° de chaleur et leur débit est de 100.000 litres par minute. C'est plus que ne donne aucune fontaine thermale de France. De beaux massifs d'oliviers y conduisent. Des chalets et des hôtels y reçoivent les bai­gneurs.

Les sources forment une cascade fantastique. Elles se précipitent sous 58v une immense buée de vapeur. Les eaux se mêlent à une ca­scade pétrifiée formée par les dépôts calcaires, et où se mêlent les nappes blanches, les stalactites, les colonnettes, les vasques élégantes, les corni­ches bizarres. Sur ce fond d'un blanc de lait apparaissent quelques rayu­res et dessins ferrugineux.

Tous les alentours ont des grottes nombreuses, des failles profondes dans les rochers, des lacs souterrains et des cônes calcaires qui se sont formés successivement en déplaçant sans cesse les sources.

L'imagination des Arabes n'a pas manqué de bâtir une légende sur ces phénomènes si étranges. Un riche arabe voulait épouser sa soeur. Mais comme on revenait des noces, Allah frappa de ses foudres toute la joyeuse société. Toutes ces colonnes, ces stalactites, ces cônes blancs, ce sont les criminels eux-mêmes 59r pétrifiés.

Je ne m'arrête pas à Guelma. C'est l'antique Kalama, citée par St. Augustin. C'est un des beaux établissements militaires de l'Algérie. Guelma, commande la vallée de la Seybousse. La région est couverte d'une riche végétation.

J'arrivai le soir à Bône.

Le lendemain c'était le jeudi Saint. Le matin, je vais communier. La cathédrale était remplie. Il y avait une belle communion générale d'hommes. C'est que Bône est la meilleure des villes d'Algérie. A Bone le prêtre est salué; à Alger il est insulté. Est-ce une protection particuliè­re de St. Augustin? Est-ce l'effet de l'occupation de Bône à diverses épo­ques par les génois et l'établissement séculaire de maisons de commerce françaises, italiennes et 59v espagnoles? C'est sans doute l'ensemble de ces causes réunies.

L'église est une basilique à trois travées. Elle a un bon aspect, sans être artistique. Elle possède une relique de St. Augustin. Bône est déjà grande ville. Elle a 30.000 habitants, dont 6.000 indigènes seulement. Elle a le plus beau port d'Algérie. Son aspect d'ensemble est fort agréa­ble. Elle est adossée à des collines boisées. Le magnifique Cours Natio­nal la partage en deux. Il est bien planté de platanes, avec des bouquets de palmiers, de bambous et de ficus.

Les excursions surtout sont ravissantes. C'est la Kasba, la vieille for­teresse sur un pic élevé de 500 mètres, avec une vue splendide sur la mer et sur la vallée de la Seybouse. C'est la route de la corniche, vers le Nord, jusqu'au Cap de Garde. 60r C'est Bugeaud, sur le mont Edough, bourgade toute de villes, où l'on se rend par un chemin en la­cets, à 900 m. de haut, au milieu d'une magnifique forêt de chênes liè­ges. C'est la station estivale des Bônois. On retrouve là le climat et la flo­re des Cévennes. Des sources, des cascades, des ravins, des ruines d'aqueducs romains offrent dans la forêt des buts de promenade pittore­sques.

Mais la grand charme de Bône, pour moi du moins, c'est la basilique de St-Augustin, à 2 kilomètres de la ville, sur la colline qui porta le vieil acropole d'Hippone.

Il reste peu de choses de la vieille ville, si ce n'est de magnifiques ré­servoirs auxquels un aqueduc venant du Mont Edough amenait les eaux nécessaires pour la cité 60v.

Puis les pentes de l'acropole et la plaine sont couvertes de ruines infor­mes. Partout émergent d'épaisses murailles. C'était là Hippone, l'an­cienne Ubba des carthaginois. Hippone, capitale de Juba devint colonie romaine, quand la Numidie fut réunie à l'empire. Hippone était avec Carthage le plus opulent marché de l'Afrique romaine.

L'ancienne cathédrale était sur le penchant de l'acropole, avec ses dé­pendances. C'est là qu'a vécu Saint Augustin. C'est en 389 qu'il revint d'Italie, avec Alipius et quelques amis et disciples, après la mort de sa sainte mère à Ostie. Il se retira d'abord à Tagaste (Souk-Ahras) dans une propriété de famille. Il commença à mener là la vie religieuse avec ses amis. La prière, l'oraison, le jeûne, le travail sanctifiaient la journée. On étudiait beaucoup 61r les saintes Ecritures et on secourait les pau­vres. Deux ans après, Valère évêque d'Hippone appela Augustin et le fit prêtre. Augustin se fixa à Hippone avec sa communauté. Il fonda aussi un monastère de religieuses sous le gouvernement de sa soeur devenue veuve. En 394, il devint coadjuteur de Valère et en 395 il lui succéda. Il continua à vivre en religieux avec ses clercs. Il instruisait lui-même les aspirants au sacerdoce et fondait ainsi le premier des séminaires. Il avait une haute idée de la charge épiscopale. «Nous vous parlons d'un lieu éminent, disait-il à son peuple, et comme élevé au-dessus de vous, mais notre crainte nous met sous vos pieds, parce que nous savons que ce trône nous expose à un grand danger à cause du compte qu'il faudra ren­dre» 61v.

C'est là qu'il écrivit ses Confessions en 397. C'est là qu'il prononça ses homélies aussi savantes qu'édifiantes sur l'Ecriture Sainte. Il parlait souvent à son peuple. Il s'occupait beaucoup du ministère des âmes et cependant il trouva le temps d'écrire bien des volumes. Il donna beau­coup de soins à son traité sur la grâce et à son ouvrage sur la cité de Dieu, qui l'occupa de 413 à 426. Il luttait par ses écrits et par sa parole contre les hérétiques, Donatistes, Pélagiens et Manichéens.

Il correspondait avec les hommes les plus illustres de son temps: St. Ambroise, St. Jérôme, St. Paulin, St. Martin et les Papes St. Anastase et St. Innocent.

Il était regardé d'ailleurs comme le plus saint évêque de son siècle et le docteur de toutes les églises.

Il aimait la simplicité, l'abstinence. 62r Il ne visitait que les pauvres et les malades. Les quatre dernières années de sa vie, il vécut dans le re­cueillement et la prière. Il s'était donné un successeur. Les derniers jours il voulait être seul et il lisait les psaumes de la pénitence écrits sur les murs de sa chambre. Il avait essayé d'empêcher l'invasion des Van­dales en gourmandant le comte Boniface qui les appelait pour se venger de sa disgrâce auprès de Placidie. Mais c'était trop tard. Le saint évêque mourut épuisé par la fièvre et par la douleur pendant que les Vandales assiégeaient Hippone en 430. Par une permission de la Providence, tous ses écrits réunis à la cathédrale échappèrent à l'incendie qui dévora la ville.

St. Augustin revit aujourd'hui à l'acropole de la vieille cité. 62v Sa statue est là, qui domine la plaine et la mer, et une belle basilique s'achè­ve. C'est le pendant des basiliques de Carthage et d'Alger. Elle est dans le même style. La crypte est déjà livrée au culte et on y prie bien. C'est un pèlerinage ininterrompu. On y vient beaucoup de Bône et des villa­ges de la vallée de la Seybouse. La nef est presque achevée. On y a fait déjà la fête de St. Augustin. Un grand hospice pour les vieillards pau­vres, tenu par les Petites Soeurs y est annexé. C'est une bonne manière d'honorer St. Augustin. Mais les pauvres Petites Soeurs vont loin pour chercher leurs aumônes à Hippone.

Le chapelain me conta ses difficultés. Les ressources manquent. Les dettes sont lourdes. On espère que le nouvel évêque donnera à l'œuvre une 63r grande impulsion.

Après mon pieux pèlerinage, je repris la route de Tunis, par Souk­-Ahras où je saluai encore St. Augustin et par Ghardimaou. C'est bien la plus belle route de l'Algérie. Le chemin de fer traverse une contrée mon­tagneuse à l'aide de travaux d'art qui rappellent la ligne de Sommering en Autriche. De Medjez-Sfa à Ghardimaou, ce ne sont que terrasses ac­crochées aux parois des rochers, viaducs recourbés au-dessus des tor­rents et immenses lacets serpentant à mi-côte et présentant des coups d'oeil splendides sur la chaîne abrupte des Beni-Salah.

Après Souk-Ahras, c'est la Kroumirie avec ses sombres forêts de chênes-lièges puis la route s'achève le long de la Medjerda, qui coule parmi les lentisques, les myrtes et les lauriers-roses 63v.

C'était le Vendredi Saint. Je fais mes dévotions. Je vais prier à la ca­thédrale et à l'église franciscaine dans la rue Mardjani. Les offices sont assez suivis. Les œuvres religieuses sont les paratonnerres de ces colo­nies, qui sont comme les caravansérails du commerce. Les bons Frères des écoles occupent l'ancienne maison de la Merci. Les Soeurs de St­-Joseph tiennent école, pensionnat, ouvroir, dispensaire.

Les carmélites prient à la Melleha, dans la solitude de Carthage. Je m'embarque de bonne heure pour regagner l'Europe.

Nous étions de bonne heure le matin à Marsala, et je refaisais la route de Palerme en passant près de deux illustres cités antiques, Sélinonte et Ségeste. On attribue à Enée la 64r fondation de Ségeste. Sélinonte, colonie de Mégare était la plus occidentale des cités grecques. Leur riva­lité contribua au malheur de la Sicile en faisant intervenir dans leurs lut­tes tantôt les Athéniens et tantôt les Carthaginois.

Sélinonte s'élève sur plusieurs collines séparées par une vallée maréca­geuse qu'Empédocle avait desséchée. Elle a été détruite en 409 av. J.-C. par Annibal Gisgon qui disposait d'une armée de 100.000 hommes.

Ségeste, amie des Carthaginois fut détruite en 309 par Agathocle, ty­ran de Syracuse. Ségeste a gardé un beau temple et son théâtre. Sélinonte a encore les ruines de sept temples.

Des deux côtés, c'est l'art dorique du VIIe siècle avant J.-C.

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C'est la déesse Cérès que Ségeste 64v honorait, pendant que Tra­pani (ou Drepanum) son port, honorait Vénus au Mont Eryx. Ségeste avait vu sa belle statue de bronze de Cérès enlevée par les Carthaginois et ramenée par Scipion l'Africain. Verrès l'enleva définitivement.

On n'a pas retrouvé l'attribution de tous les temples de Sélinonte, mais le plus grand était dédié à Apollon. Il surpassait par ses dimensions tous les temples anciens de l'Europe. Ses ruines ont un aspect grandiose.

J'ai décrit les métopes et sculptures de Sélinonte qui sont au musée de Palerme.

Le grand temple avait 113 mètres de long, il égalait nos grandes cathé­drales.

Les Arabes musulmans appelaient ces ruines Rahl-el-Asnam, village des idoles. Le comte Roger les en débusqua 65r.

Dans les premiers siècles chrétiens, des ermites avaient établi leurs cellules à l'ombre de ces grandes colonnes.

Pâques. On donne ici aux fêtes religieuses une grande solennité, comme en Espagne. L'éclat de ces fêtes a bien diminué cependant depuis la sécula­risation des communautés religieuses. J'ai dit ma messe le matin à l'église de St Joseph des Théatins. Cette grande église, autrefois si riche, si vivante et qui demanderait un clergé nombreux, est maintenant sans prêtres, sans confesseurs. Un vieux chapelain la dessert. J'assiste à la messe pontificale à la cathédrale. C'est le cardinal Celesia O.S.B.21) qui officie.

Une grande statue du Christ ressuscité domine l'autel. L'entrée du clergé a une solennité qui m'impressionne. Je n'ai vu nulle part sauf à St-Pierre de Rome, un cortège 65v plus pompeux. Ce sont d'abord les camériers du cardinal en livrée, puis le séminaire en soutanes violet­tes et rochets brodés. Puis une série de chapelains et de chanoines de se­cond ordre avec mosettes et hermine. Après cela vient le massier, un beau massier vêtu de soie rouge avec la perruque poudrée à la Louis XIV. Puis vingt-quatre chanoines mitrés avec soutane violette et mitre argentée. Le doyen du chapitre a la mitre dorée. Des parati nombreux portent des tuniques et des chasubles. Viennent enfin les officiants: sous-diacres et diacres grecs et latins, diacres d'honneur, puis le cardinal et ses chanoines assistants.

Cette entrée fait un grand effet. Auprès de l'autel se dressent des fla­belli et le pavillon rouge du cardinal.

L'assistance est nombreuse, cependant 66r elle ne remplit guère que le tiers de cette immense église.

Les diacres grecs chantent l'épître et l'évangile à leur tour. Après le sanctus, on chante l'agios en grec. C'est que Palerme a une paroisse et un séminaire grecs.

Un chanoine nous donne un sermon bien dit et très classique, mais avec une voix faible. Il nous rappelle le dogme de la résurrection, ses prophéties, ses figures, ses applications morales: réforme de la vie dans le présent et espérance du ciel.

Les journaux du jour décrivent les fêtes religieuses de la Semaine Sainte à Palerme, en Sicile et dans la Calabre. J'en prends note.

Il y a généralement des processions de deuil le Vendredi saint. Paler­me en a quatre 66v.

La première procession, de bon matin, est celle de la Confrérie des Camerieri. La seconde à 10h est celle de la Confrérie des Cochers. Ces confréries ont leurs chapelles.

L'après-midi il y a celle de la Confrérie de la Ste-Trinité, et celle de la paroisse de Ste-Lucie au Borgo. Dans ces processions funèbres, on porte dans un cercueil vitré un simulacre du corps du Christ couvert de plaies livides. On porte aussi derrière ce cercueil l'image de la Mère de Dou­leurs pleurant sur les dépouilles de son Divin Fils. La foule suit, émue jusqu'aux larmes à ce spectacle attendrissant.

La procession de la paroisse Ste-Lucie est la plus intéressante. C'est là que se porte la foule. L'urne est portée par des confrères au milieu des cierges allumés et des cantilènes funèbres. Auprès de l'urne se tiennent la lance 67r à la main des gardes juifs casqués et cuirassés. La statue de la Mère de Douleurs a sa procession à part. Elle sort de l'église par une autre porte et fait un autre circuit. Mais les deux processions se ren­contrent à un carrefour déterminé. Cette rencontre émouvante arrache les larmes des assistants. La statue de la Mère est portée jusqu'au cer­cueil du Fils, puis elle le suit jusqu'au retour dans l'église.

Ces diverses processions occupent toute la journée.

L'office du samedi est bien émouvant aussi. Dans toutes les églises, depuis le dimanche de la Passion, un grand rideau théâtrale représen­tant quelque scène de la Passion, s'élève depuis le maître autel jusque vers les voûtes. Depuis deux jours les sonneries se sont tues, des cierges de mort brûlent 67v sur l'autel et la crécelle fait entendre ses grince­ments sinistres.

Après ces préludes douloureux, la fête de la Résurrection a un caractè­re d'immense allégresse et de profonde douceur. A l'heure marquée le rideau funèbre se lève et la statue de Jésus ressuscité apparaît. Les clo­ches joyeuses annoncent la résurrection du juste. On chante avec ardeur le gloria et le resurrexit. Les âmes s'ouvrent à la joie. Elle était si triste, si poignante cette image du Christ sanglant, couvert de plaies et agonisant sur le bois infâme! La piété voit la divine figure du Christ ressuscité si belle, si rayonnante de lumière, si expressive dans son regard de paix et de pardon.

Il semble entendre les anges chanter le resurrexit. La nature elle-même ne dit-elle pas sa joie? Ne sont-ce 68r pas les jours du beau soleil de printemps et de l'épanouissement des fleurs? Nos morts aussi ne sortent­-ils pas en nombre ce jour là des ténèbres du purgatoire? Pâques ne redit­-il pas tout le réveil du christianisme, la paix et la charité apportées à la terre? Le peuple des pays napolitains a de curieux usages dans ces grands jours. Le vendredi saint, on ne balaie pas la maison en signe de deuil; on ne se sert pas de couteau à table en haine de la lance qui a bles­sé le Cœur de Jésus et on évite de compter de l'argent pour ne pas ré­veiller le souvenir des trente deniers. Est-ce là de la superstition? Je pen­se qu'il faut y voir plutôt une manière particulière et un peu dramatique d'exprimer des sentiments pieux 68v.

Un autre usage bien touchant est celui qu'ont les mamans de faire marcher leurs bébés quand on sonne le gloria de la résurrection. Il leur semble qu'il y a à ce moment là dans toute la nature une grâce de vie et de force. Elles mettent debout ces petits êtres âgés de quelques mois, et souvent sans doute leur foi a obtenu quelque progrès mystérieux dans le développement de l'enfant.

Beaucoup de villes et de villages de la Sicile et des Calabres ont des coutumes particulières dans ces grands jours. Et voici quelques traits. A Prizzi, c'est le dimanche des rameaux. La cérémonie prend l'aspect d'une cavalcade. L'ânesse suivie de l'ânon est montée par le prêtre qui porte à la main le rameau d'olivier. Il est suivi des douze apô­tres, 69r qui caracolent sur de magnifiques poulains. La cavalcade en­tre à l'église. L'ânesse va jusqu'au maître autel. Elle est toujours ensuite traitée avec égards par son propriétaire.

A Casteltermini, à la cérémonie de la résurrection, on représente une scène que l'on appelle en sicilien l'Abballù de li diavuli. C'est, je crois, la danse ou le renversement des diables. Un grand nombre de personnes se costument en diables avec des cornes à la tête et des chaînes aux mains. Un homme de grande stature représente la mort. Il accourt à cheval, de­scend et frappe d'une flèche une personne de la foule. Les diables sau­tant de joie, se précipitent sur leur proie et la chargent sur leurs épaules pour l'emporter en enfer. Le condamné trépigne et la foule rite. Mais alors apparaît la Mère 69v du Sauveur et devant elle la Mort et les dé­mons tombent à terre. Un ange les enchaîne et les emmène.

A Sulmona, le matin de pâques, la ville est pavoisée, les fenêtres sont garnies de curieux. La procession sort vers 10 heures de l'église de Ste­Marie du tombeau. On voit défiler une foule de statues de Saints et de Saintes: St. Pierre, St. Jean-Baptiste, St. Joseph-d'Arimathie, St. Pierre-Célestin, St. Thomas, St. Nicodème, St. Jean-Evangéliste, St. André; puis les Saintes, Ste Anne, Ste Madeleine, Marie-Salomé, Marie-Cléophas. En dernier lieu vient la statue du Christ ressuscité. Et la Madone où est-elle? Elle est cachée dans une maison au fond de la pla­ce.

La procession se groupe sous un arc où Jésus est déposé sur un autel. Alors commence une scène qui rappelle le 70r Moyen-âge. Les Saints vont à la recherche de la Madone, qui ne sait pas encore la résurrection de son Fils. Ils descendent au fond de la place où ils trouvent la Madone. Celle-ci ne veut pas croire. Elle sort hésitante. Elle s'avance lentement, vêtue d'une robe brune. Elle commence à voir le Christ. Est-ce lui? Peut-être… oh, oui, le voilà. En un instant son manteau noir tombe. Au lieu d'un mouchoir à la main, elle a un bouquet de fleurs. Des colombes et des hirondelles qu'on tenait en cage reçoivent la liberté: gracieux sym­bole de résurrection. La musique entonne alors un hymne de victoire, les pétards éclatent dans les airs, le peuple s'émeut, crie, pleure et prie.

A Roccacaramanîta, la messe de la Résurrection a une curieuse cérémo­nie. 70v Près de l'autel, du côté de l'épître, on plante une grande branche d'arbre, près de laquelle un homme vêtu en judas discute avec un autre vêtu en Caïphe. Judas voudrait restituer à Caïphe la bourse de trente deniers, mais celui-ci n'en veut pas. Au Gloria in excelsis, judas se pend à l'arbre et meurt, alors les cloches sonnent la fête.

Ce sont là des restes des drames sacres qui remplaçaient le théâtre pour les populations naïves et croyantes du Moyen-âge. Mais j'allais quitter Palerme, je la revois rapidement dans une promenade d'adieu.

Je remarque auprès du palais royal la Villa d'Orléans, riche habita­tion du duc d'Aumale22), qui est devenu par la dot de sa femme un des gros propriétaires de la Sicile 71r.

Les horloges publiques de Palerme ont sur leurs cadrans des devises morales. C'était général au Moyen-âge. Au cadran de l'hôtel de ville, on lit: «Pereunt et imputantur». Les heures passent et sont jugées. Cela vaut un sermon.

L'hôtel de ville porte encore à son fronton la statue de Ste Rosalie. C'est bien, mais la place est envahie par les divinités de l'Olympe.

Je pars l'après-midi pour Agrigente. Les environs de Palerme de ce

côté sont aussi intéressants par leur aspect varié et original que par leurs souvenirs historiques. Nous passons la rivière de l'Oreta près de la haute arche abandonnée du pont dell'Ammiraglio, bâti en 1113 par l'amiral Georgios Antiochenas. Près du pont est l'église normande de S. Giovanni dei Leprosi. C'est encore une 71v fondation du roi Roger.

Dans ce golfe, dont nous longeons les bords, Metellus bâtit les cartha­ginois en 251 et leur prit 120 éléphants. Ce Metellus nous donna une leçon de piété en s'exposant à périr pour sauver le Palladium dans un in­cendie du camp. Il y perdit la vue.

Dans le même golfe, Duquesne23) en 1673 détruisit la flotte réunie des Hollandais et des Espagnols.

Dans cette vallée fertile de l'Oreta les Sarrasins cultivaient la canne à sucre.

Un peu plus loin, après le cap Zaffarano, sur les premières pentes de la montagne est Bagheria, ville d'été pour les Panormitains. Il y a là de riches villas qui rappellent celles de Frascati et d'Albano.

A quelques minutes de Bagheria, c'est 72r Solunte, antique cité phénicienne et grecque, qui sort de ses ruines par des fouilles intelligen­tes comme Pompeï. On y retrouve des tombeaux phéniciens, des rues, des maisons et des portiques de l'époque romaine. Une belle colonnade dorique a été imitée par les Romains des temples grecs qu'ils voyaient partout en Sicile, mais ils ont cru mieux faire en ornant leurs chapiteaux de fleurons et en ne cannelant les colonnes qu'à moitié. Ce n'est plus la noble simplicité de l'art primitif des grecs.

Nous suivons le bord de la mer jusqu'à Termini. On rencontre de bel­les pêcheries de thon. Altavilla a encore une vieille église de Robert Gui­scard.

Termini est un port commerçant. C'est l'ancien Thermae Himerenses. Puis nous laissons à gauche Cefalù, 72v la grande cité normande pour pénétrer par monts et par vaux dans l'intérieur de l'île. Nous re­montons le fiume Torto, nous laissons à droite et a gauche des monts nei­geux haute de 1000 à 2000 mètres. Nous passons à Casteltermini, la ville qui a ce jour là même le curieux drame populaire de l'Abballù de li Diavuli et le soir nous sommes à Girgenti.

Voilà donc la grande cité d'Agrigente, la rivale de Syracuse, d'Athè­nes et de Carthage. Les Grecs l'appelaient Acragas et Pindare la regar­dait comme la plus belle ville des mortels.

C'était une colonie de Rhodiens et de Crétois, fondée en 582. On sait que les Rhodiens étaient une race mêlée de Grecs doriens et de phéniciens. Ils avaient apporté en Sicile le culte 73r de Minerve de Lindès (ville rhodienne) et de Jupiter Atabyrius (le moloch du Mont-Thabor). Lor­squ'on y éleva le temple de Jupiter Polieus, l'architecte Phalaris s'empara du pouvoir et l'exerça avec cruauté. Il faisait brûler ses ennemis dans des taureaux d'airain rougis au feu. Au siècle suivant, Théron (488-473) al­lié avec Gélon de Syracuse étendit le pouvoir d'Acragas jusqu'à la côte septentrionale où il prit Himère. Les deux alliés battirent près d'Himère une armée de 300.000 hommes et ils imposèrent aux Carthaginois de cesser les sacrifices humains. Théron acheva la construction d'Acragas. Il en fit une ville riche, artistique et prospère. Elle comprenait l'acropo­le, sur la colline où se trouve la ville moderne et la cité qui s'éten­dait 73v entre les rivières Acragas et Hypsas.

Les innombrables esclaves pris à Himère furent employés aux travaux de la nouvelle ville. Ils firent les nivellements, construisirent les canaux et les remparts et élevèrent ces temples nombreux et grandioses dont les ruines font encore notre admiration. Ils creusèrent encore un grand vi­vier dans la vallée et un port à la côte. Théron fut le Périclès ou l'Augu­ste d'Agrigente.

Un demi-siècle après Empedocle lui donna une constitution républicai­ne. Il fit achever son port et développa son commerce. Elle était l'entre­pôt du commerce de Carthage. Elle devint une grande ville riche et vo­luptueuse, peuplée de 800.000 habitants. Mais elle perdit sa vigueur avec sa pauvreté. Les carthaginois commandés par Hamilcar 74r et Annibal la conquirent en 406. Elle devint romaine en 262.

St. Pierre y fonda une église chrétienne et y laissa pour évêque un de ses disciples St. Libertinus en l'an 44. Les Sarrasins s'en emparèrent en 828 et en firent une rivale de Palerme. En 1086, elle fut prise par Roger ler, qui y fonda un évêché richement doté dont St. Gerlando fut le pre­mier titulaire.

Peu de villes antiques offrent des ruines aussi considérables. C'est un vaste musée du V siècle avant J.-C. Deux beaux temples, ceux de Junon et de la Concorde y sont tout debout. Cinq autres offrent des restes assez considérables.

Rien de poétique comme ce chemin bordé d'oliviers et d'amandiers et courant d'une ruine à l'autre 74v.

Théron avait placé tous les plus beaux temples sur la terrasse du sud de la ville vers la mer.

Cette rangée de temples devait produire un effet magique sur les étrangers arrivant au port. Jamais ville n'a présenté un aspect plus gran­diose. Et ces temples étaient de la meilleure époque, du siècle de Péri­clès, et ils contenaient des peintures de Zeuxis et des statues de Myron.

Le temple de Jupiter, construit après la victoire d'Himère était le plus vaste de la Sicile. Il avait 129 mètres de long. Ses ruines sont appelées par le peuple «le palais de géants». Un homme tient debout dans les cannelures de ses colonnes. Des cariatides de 8m de haut formaient un second ordre à l'intérieur 75r au-dessus des colonnes. On retrouve sur le sol les débris de ces géants. La frise de l'Est au dire di Diodore de Sicile représentait le combat des géants et celle de l'Ouest la guerre de Troie.

C'est au temple d'Hercule qu'était la statue de bronze, ouvrage de Myron que Cicéron signale comme la plus belle chose qu'il eut jamais vue. Verrès voulut l'enlever, mais les prêtres et le peuple repoussèrent ses satellites. C'est là aussi, selon Pline, qu'était le tableau de Zeuxis re­présentant Hercule enfant étouffant les serpents. Zeuxis, dit la légende, fit don du tableau plutôt que de le vendre à un prix qui ne donnait pas une assez haute idée de son art.

Les deux temples primitifs de la ville étaient ceux de Jupiter Ata­byrius 75v et de Minerve. Je suis convaincu qu'ils étaient tous deux à l'Acropole, là où s'est réfugiée la ville actuelle. Les archéologues veulent mettre le temple de Minerve sur une roche inclinée qui descend de l'acropole vers la ville et qu'ils ont appelée Rupe Atenea. Il n'y a nulle trace de temple sur ces rochers. A l'acropole, au contraire, il y avait bien deux temples: celui de Minerve au sommet, dont on retrouve six colon­nes encastrées dans les murs de l'église Santa Maria dei Greci, et celui de Jupiter un peu plus bas, là où est la cathédrale d'aujourd'hui, qui est manifestement bâtie avec les débris d'un temple antique.

Les temples de Junon et de la Concorde, les mieux conservés ont un aspect saisissant. Ils rappellent le Parthénon. Ils sont entourés tous deux d'un portique de 34 76r colonnes cannelées d'ordre dorique. Le chaud soleil de Sicile a doré ces pierres qui s'élèvent là depuis vingt-qua­tre siècles. L'intérieur a quelques restes de polychromie.

Auprès du temple de la Concorde, on retrouve des catacombes chré­tiennes du IIe siècle, qui attestent l'ancienneté de la foi à Agrigente. Ces temples étaient devenus au moyen-âge des églises chrétiennes. Ils doivent à cela le respect séculaire qui les a conservés jusqu'à nous. Pen­dant des siècles le temple de la Concorde était une église dédiée à St­-Grégoire.

Les puissantes murailles de la ville élevées au temps de Théron par les prisonniers d'Himère, subsistent encore de ce côté. On croirait voir les ruines colossales de Balbeck. Quelques pierres de ces murailles ont de 15 à 20 m. 76v de longueur, de 3 à 4 mètres de largeur et 6 mètres de hauteur. Les Agrigentins faisaient à leurs plus braves guerriers l'hon­neur de les ensevelir dans ces murailles mêmes. C'est en effet une coutu­me en Sicile de tailler des tombeaux dans le rocher en leur donnant la forme de l'Arcisolium romain. On en retrouve un grand nombre dans ces murailles, comme aux environs de Syracuse et même au cimetière mo­derne de Messine.

Théron s'était fait faire dans la plaine un mausolée colossal, décrit par Diodore de Sicile. Le peuple croit le reconnaître dans un monument à deux étages, dorique et ionique qui subsiste dans la vallée mais qui ne répond pas à la description de l'historien.

Dans la vallée aussi sont les ruines du temple d'Esculape, où se trou­vait la statue d'Apollon, chef d'œuvre de Miron, 77r que les Cartha­ginois avaient enlevée et qui Scipion l'Africain rendit à Agrigente. Ces peuples avaient à la fois le culte de leurs dieux et le culte de l'art.

La Girgenti moderne compte encore 20.000 âmes. Elle vit du com­merce de souffre. Elle a un évêché, une belle bibliothèque fondée par un de ses évêques et fort peu lue. Elle paraît peu lettrée, peu artistique et encore fière d'avoir été Agrigente. Comme partout dans l'Italie moder­ne, il y a des pratiques religieuses et des restes de vraie piété, mais le courant du jour porte les citoyens au café et au salon de coiffure où l'on fait de la politique inspirée par le journal et par la coterie israélite et ma­sonnique.

Avant de quitter Girgenti, je salue son grand évêque St-Gerlando dont la cathédrale possède les reliques 77v.

Toute la Sicile le vénère et plusieurs villes lui ont élevé des sanctuai­res. Il appartient à la France par sa naissance. Prêtre de Besançon il était allé en pèlerinage à Rome et de là en Calabre où on l'avait fait primicier du monastère de Melito où résidait le Duc Roger. Peu édifié à Melito, il était revenu en France, mais le Comte Roger qui l'avait connu et appré­cié le rappela pour lui confier l'évêché de Girgenti quand il eut conquis la Sicile. Gerlando fut sacré par un pape français, Urbain (de Chatillon). Le saint évêque se dépouillait de tout en faveur des pauvres. Il convertit un grand nombre de juifs et de Sarrasins et mourut le 25 fév. 1105 78r.

A Girgenti, comme dans le reste de la Sicile et même de l'Italie on se plaint du petit nombre de touristes et de visiteurs de cette année. Cela se comprend: la Sicile est en état de siège. La misère a provoqué là et en plusieurs provinces de l'Italie une crise sociale qui déchaîne les plus mauvaises passions.

Je rencontre cependant quelques voyageurs allemands. Leur attitude indique qu'ils se sentent là chez eux et ils y sont bien accueillis. L'esprit de la Triple-Alliance a passé de la politique des cours dans l'âme des peuples. Je l'ai constaté cent fois dans ce voyage. L'Italie est fière d'être devenue une grande puissance et d'être l'alliée du grand empire alle­mand. Les Allemands se complaisent en Italie, comme chez une nation amie et presque vassale. Ils visitent l'Italie, ils y viennent apprendre la langue, ils y 78v fondent des établissements commerciaux et des ban­ques. J'ai connu autrefois un courant tout contraire en 1865 et 1866, quand Venise était encore autrichienne.

Aujourd'hui encore je remarque une attitude bien différente des Alle­mands, suivant qu'ils sont protestants ou catholiques. Le jeune étudiant de Berlin avec qui j'ai causé à Palerme était fort engoué des Italiens. Il poussait l'illusion jusqu'à croire à la solidité de leur armée. Je remarquai sa profonde déception à Tunis quand il vit que la ville nouvelle était tou­te française de langue et de coutumes. De pieux catholiques allemands avaient une toute autre attitude à Lorette. Ils me dirent qu'ils aimaient l'Italie, son beau ciel, ses monuments, ses souvenirs, mais qu'ils ne goû­taient guère sa population. L'Italie officielle surtout est peu attrayante pour les catholiques.

79

Alger 18 mars 1rLa conquête 36r
Intérieur d'Alger 2rPénétration 37v
Les mosquées 3rSétif 38r
La Kasbah 7vColonisation 38v
Les maisons 7vConstantine 39v
Les jardins publics 9vBatna 52v
La vie musulmane 10rLambese 52v
Alger chrétien 14rDe Batna à Bône 56r
La vie française 15vBône 59r
Notre-Dame d'Afrique 18vTunis 63v
Les Khouans 20vMarsala 63v
L'avenir du mohamétisme 26rSélinonte 63v
Environs d'Alger 30vPalerme 65r
Staouéli 31rLes fêtes de Pâques en Sicile 65r
Retour: l'Algérie 32vAgrigente 72v
Administration 35vTouristes et voyageurs en Sicile 78r

1)
Duport (Sébastien), de Burgos, de l’ordre des Mercédaires, ordre fondé en 1218 par s. Pierre Nolasque et ayant pour but le rachat des chrétiens devenus esclaves des musul­mans.
2)
Pavy (Louis-Antoine-Augustin: 1805-1866), arch. d’Alger (1846-1866).
3)
Pélissier (A.-Jean-Jacques.- 1794-1864), duc de Malakoff, maréchal de France, il prit Sébastopol et fut gouverneur général de l’Algérie.
4)
Yusuf ou Yousouf (Joseph Vantini ou Vanini, dit) (général français: 1810-1866). Escla­ve à Tunis, réfugié à Alger (1830), interprète auprès du gén. Bourmont, il leva un corps indigène dont il fut reconnu capitaine. Général, il organisa les fêtes pour le voya­ge en Algérie de Napoléon III (1862), puis fut placé à la tête de la division d’Alger; rele­vé de son poste par Mac-Mahon (1864), il fut envoyé en France.
5)
Abou-Beker ou Abu Bakr (570-634), le premier des califes arabes. Beau-père de Ma­homet, il fut élu calife (632) après la mort du Prophète et mâta plusieurs révoltes.
6)
Abd-el-Kader (1808-1883), émir arabe, proclamé sultan des arabes en 1832. Il con­tinue contre les Français la lutte qui avait été commencée par son père et qui durera ju­squ’en 1847, date à laquelle il se livre au général Lamoricière (décembre 1847).
7)
Mac-Mahon (Edme-Patrice-Maurice de), duc de Magenta, maréchal de France (1808­-1893). Brave et loyal soldat, il se signala pendant les guerres de Crimée et d’Italie; mais fut écrasé, par le nombre, à Reichshoffen, en 1870, et blessé à Sedan. Il fut le second président de la IIIe République Française de 1873 à 1879.
8)
Bourmont (comte Louis de) (général sous l’Empire: 1773-1846). Il trahit l’armée français en passant à l’ennemi la veille de la bataille de Ligny (1815), servit la Restau­ration et fut un des accusateurs de Ney. Nommé maréchal de France, il commanda l’armée qui, en 1830, s’empara d’Alger.
9)
Clauzel (Bertrand), maréchal de France (1772-1842). Il fut gouverneur de l’Algérie et prit Mascara en 1835.
10)
Damrémont (Charles-Marie de), général français (1783-1837), gouverneur de l’Al­gérie, tué sous les murs de Constantine.
11)
Valée (Sylvain-Charles), maréchal de France (1773-1840). Il dirigea en 1837 la pri­se d’assaut de Constantine.
12)
Bugeaud de la Piconnerie (Thomas-Robert), duc d’Isly, maréchal de France (1784­-1849). Il contribua puissamment à la consolidation des conquêtes françaises en Afri­que. Il fut nommé gouverneur de l’Algérie (1840) et se montra administrateur intelli­gent et éclairé. Il gagna sur les Marocains la bataille d’Isly (1840). Il avait pris pour de­vise de son œuvre de colonisation ces mots latins: «Ense et aratro» Par l’épée et par la charrue».
13)
Orléans (Ferdinand-Philippe-Louis, duc d) (Palerme 1810 -Neuilly-sur-Seine 1842), fils aîné de Louis-Philippe Ier et de Marie Amélie. Duc de Chartres jusqu’en 1830, il devint duc d’Orléans à l’avènement de son père. Général en 1831, il participa à la ré­pression de la révolte de Lyon en 1831, puis, comme lieutenant général (1834), à la conquête de l’Algérie (1835). Il organisa des bataillons de chasseurs à pied («chasseurs d’Orléans»). Le 13 juillet 1842, il se tua dans un accident de voiture à Neuilly (Larousse).
14)
Aumale (Henri-Eugène-Philippe d’Orléans, duc d’), quatrième fils de Louis-Philippe et de Marie-Amélie (Paris 1822 – Zucco, Sicile, 1897). Il fit ses études au collège Henri ­IV, et, entré dans la carrière des armes dès l’âge de dix-sept ans, il se distingua par sa participation aux campagnes d’Algérie et attacha son nom à l’enlèvement de la smala d’Abd et-Kader (mai 1843). Lieutenant général, puis gouverneur des possessions françaises d’Afrique (1847), il se retira en Angleterre après la révolution de 1848. En 1871, il fut élu à l’Assemblée nationale; remis en activité comme général de division en 1872, il présida le conseil de guerre qui condamna Bazaine. Rayé des cadres en 1886, il fut proscrit par décret. Ayant fait connaître son intention de léguer son domaine de Chantilly à l’Institut, il fut autorisé à rentrer en France en 1889. Collectionneur et bi­bliophile éclairé, le duc d’Aumale avait acquis la plupart des peintures et des dessins qui constituent le célèbre musée de Chantilly, dit aussi musée Condé. Auteur de diver­ses études politiques et militaires, il avait écrit une Histoire des princes de Condé, qui, commencée d’imprimer en 1862, fut saisie et ne parut qu’à partir de 1869; il avait été élu à l’Académie française en 1871. Il entra également à l’Académie des beaux-arts (1880) et à l’Académie des sciences morales (1889). Il épousa Caroline de Salerne (1844), dont il eut deux enfants, le prince de Condé et le duc de Guise, morts sans po­stérité (Larousse).
15)
Changarnier (Nicolas), général français (1793-1877). Il se distingua en Algérie. Il fut exilé après le coup d’état de 1851. Rentré en France en 1870 il servit à l’armée de Metz.
16)
Sonis (Louis-Gaston de), général français (1825-1887). Elevé à l’Ecole de Saint­-Cyr il acheva sa formation militaire et morale à Castres, Paris, Limoges, et, surtout, en Algérie, où il effectua un séjour de quatre années (1854-1859). Il participa à la campa­gne de Montebello et Solferino (1859) avec les troupes françaises; ensuite, il passa au Maroc (1858-1870), prenant part aux actions militaires contre les Kabyles. Rentré à Paris (1870), il eut à combattre contre l’Allemagne; puis fut nommé commandant en chef à Rennes, Servan, Châteauroux, d’où il envoya sa démission afin de ne pas avoir la honte de collaborer par la force à l’expulsion des religieux de leurs maisons; mais, il reprit vite le service d’inspecteur à Limoges et à Paris. Officier d’une foi profonde et exemplaire, unie à une fervente activité d’apostolat, prêt au devoir comme disposé à la voix et à l’amour de Dieu, il mérita que sur sa tombe les mots «Miles Christi» y résu­ment bien sa vie. Sur le général Gaston de Sonis le P. Dehon a publié plusieurs articles dans «Le Re­gne» (cf 1890: 43, 94, 149, 253, 341, 459, 505: 1891: 15, 90, 140, 193).
17)
Chauzy (Alfred), général français (1823-1883). Il fut gouverneur de l’Algérie, puis ambassadeur à Saint-Pétersbourg.
18)
Constantine, ancienne Cirta, capitale de la Numidie, où furent conduits, de la voi­sine Unguas, le diacre Jacques et le lecteur Marius. Les magistrats locaux les envoye­rent à Lambèse où ils furent condamnés à mort par le gouverneur. Leurs noms, avec ceux des autres martyrs, furent ensuite gravés sur un rocher aux bords du torrent Rummel.
19)
Julien (non Jullien) – Laferrière (Ludooic-Henri-Marie-Ixile: 1838-1896), év. de Constantine (1894-1896). Il avait le goût de l’archéologie et de la liturgie.
20)
Decamps (Alexandre-Gabriel), peintre français (1803-1860). Fromentin (Eugène), peintre, critique d’art et romancier français (1820-1876). Il a peint et décrit avec un grand charme et une remarquable vérité d’expression le monde oriental et saharien, et son roman «Dominique» est un chef-d’œuvre de fine psychologie. Marilhat (Prosper), paysagiste français (1811-1847).
21)
Celesia (Michelangelo), bénédictin, cardinal, né et décédé à Palerme (1814-1904). Prieur de plusieurs monastères, il fut nommé en 1850 Abbé général de la Congrégation de Cassino et, en même temps, ordinaire de l’Abbaye de Montecassino. Evêque de Patti en 1860, il devint archevêque de Palerme en 1871 et cardinal en 1884.
22)
Cf. Vol. 2° note 14, p. 603.
23)
Duquesne (Abraham), illustre marin français (1610-1688). Parmi ses nombreuses campagnes la plus remarquable est celle où il remporta sur Ruyter, son rival de gloire, les victoires de Stromboli et d’Agosta, suivies bientôt de celle de Palerme (1676).
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