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11ème CAHIER (Janvier 1895 – Novembre 1896)

1r La moitié de ce mois est consumée par les devoirs de société, let­tres, cartes, visites. C'est l'usage, et la charité chrétienne y peut trouver son compte. On peut distribuer là de bons conseils et réveiller de bons souvenirs.

Je vais à Paris visiter mon frère et ma famille.

J'écris chaque jour mes deux pages de méditations. La Revue me prend du temps et le reste du mois se passe à écrire quelques chapitres pratiques pour le Manuel social.

Les fêtes religieuses du mois se rapportent aux mystères de l'enfance de N.-S., j'aime à passer ces fêtes à Fayet au milieu de mes enfants et je leur adresse toujours quelque exhortation 1v.

Ce mois s'écoule comme le précédent. La rédaction du Manuel absor­be les loisirs que me laissent ma correspondance et mes occupations ordi­naires.

Je vais une fois à Laon pour la réunion d'études sociales et une fois à Chauny pour régler les prédications de Carême.

Dans mes récréations du soir, je fais un peu de littérature. La biblio­thèque populaire me fournit les meilleurs extraits des écrivains anciens et modernes, français, allemands, italiens, anglais, espagnols, hollan­dais. Je note mes appréciations sur le fond et la forme. J'ai pour cela un cahier spécial1).

Chauny - Carême. - J'ai trouvé une bonne et aimable hospitalité chez M. Jardinier. Sa vénérable soeur est très digne, très pieuse. Elle a bien dans la maison l'autorité d'une soeur aînée 2r. Le bon curé avait annoncé mon carême à ses paroissiens par une circulaire. Il en avait donné le plan. C'est un prêtre instruit, lettré, citant facilement les classi­ques. Il a une belle bibliothèque et il s'en sert. Il a connu tout l'ancien clergé du diocèse et il sait bien des traits intéressants.

C'est un homme de bureau. Il accomplit exactement son ministère suivant l'ancienne méthode, il n'est pas homme à entreprendre l'aposto­lat social qui rendra la foi à nos populations.

Je prêchais alternativement à l'église Notre-Dame et à la chapelle des usines. J'essayai d'attirer les hommes, mais c'est bien dur. Les carêmes sont, comme les prônes, fort démodés. Ce n'est pas par là qu'on refera une société chrétienne. Il faut des missions pour donner le branle et des œuvres sociales pour gagner les hommes 2v.

Je n'ai pas obtenu un bien grand succès parce que je n'ai ni assez d'éloquence ni assez de sainteté.

Il y a là les usines de la Cie (Compagnie) de St-Gobain. L'administra­tion est chrétienne, elle fait beaucoup pour les ouvriers, il y a une chapel­le, des Soeurs de charité, des Frères des Ecoles chrétiennes, mais il y manque l'apostolat des hommes.

Il n'y a presque pas un ouvrier qui fasse ses pâques. C'est comme dans nos paroisses le fruit de l'esprit libéral et gallican. On a refusé au christianisme sa légitime influence sociale, dès lors les hommes n'y ont plus vu que des petites pratiques bonnes pour les femmes et ils s'en sont désintéressés. Là comme partout le remède est l'apostolat des hommes et la mise en œuvre de l'action sociale chrétienne 3r.

Rome - Au lendemain de Pâques, je partais pour Rome.

Nous devions avoir à Turin une réunion internationale d'études so­ciales, elle n'a pas eu lieu à cause de la maladie de Mgr l'évêque de Liège2). Je ne fis que passer à Turin. Le bon Père Sanna-Solaro m'atten­dait à la gare et me fit dîner au collège des Pères Jésuites. Les Pères n'ont là que 200 élèves; c'est bien peu pour une ville comme Turin! Je couchai à Gênes.

J'ai voulu visiter la petite ville de Sarzana (10.000 habitants). Elle n'a pas un grand nom dans les arts ni dans l'histoire, mais elle possède un trésor. Elle a une fiole du précieux sang de N.-S. rapportée de Ramba au moyen-âge et provenant de Joseph d'Arimathie. Notre petite Revue en a donné l'histoire.

Sarzana est dans la belle contrée de 3v la Lunigiana, entre la Spezia et Carrara. Elle a succédé à l'ancienne ville étrusque de Luna. La cathé­drale en marbre blanc est un beau spécimen du style ogival italien du XIVe siècle. La petite fiole de sang est conservée au-dessus de l'autel la­téral dans la nef du midi. Elle était primitivement encastrée dans le cru­cifix attribué à Nicodème et vénéré à Lucques.

C'est l'évêque Gualfredo de Turin qui la découvrit à Ramba dans un pèlerinage en Palestine. La légende rapporte que Gualfredo mit le cruci­fix sur une barque à Jaffa et le confia à la Providence, les Iconoclastes ne permettant pas qu'on transportât ostensiblement une image du Christ. La barque conduite par les anges vint échouer au port de Luni. L'évê­que de Lucques, averti par un ange réclama le crucifix, mais il céda le précieux 4r sang à Luni, et quand Luni fut détruite par les Arabes, la relique fut transportée à Sarzana.

On sait quelle place tenaient les reliques du précieux sang dans les imaginations populaires au moyen-âge. Tout le cycle littéraire de la Table-ronde a pour thème fondamental la découverte et la conquête du précieux sang.

Je voulais prier là et j'y passai de bons moments. Un chanoine me fit les honneurs de l'église.

Je passai ensuite quelques heures à Florence, le temps de faire une longue promenade solitaire pour revoir l'ensemble de la ville. La vieille ville a gardé le cachet d'un goût austère et modeste. Quelques perce­ments de rues se font au centre. La nouvelle place Victor-Emmanuel avec ses galeries 4v rappellera Turin, ce n'est pas là ce qui attirera les artistes.

J'ai revu l'église de Santa Croce. C'est le Panthéon toscan. Bienheu­reuses les nations qui peuvent abriter les tombeaux de leurs grands hom­mes dans un sanctuaire et qui ne réclament pas un charnier athée com­me notre nouveau Panthéon.

C'est avec bonheur que je me retrouvai dans notre petite communau­té de la rue de Monte Tarpeo.

Je ne devais passer que 15 jours à Rome et j'y venais chercher la con­firmation de toutes mes études de cet hiver sur l'action sociale chrétien­ne. Je commençai par faire mon pèlerinage aux grandes basiliques et aux principaux sanctuaires.

Je rencontrai Mgr de Soissons3) et je le conduisis visiter la vieille Ro­me: le 5 forum, le palatin, le colysée, les thermes, les catacombes.

Mgr eut l'amabilité de dîner avec nous et de me conduire à l'audience du St-Père. C'était le 24 avril. Je trouvai le St-Père tel que je l'ai tou­jours vu, frêle de corps et vigoureux d'esprit. Je lui parlai de nos œuvres, de St Jean, du Val-des-Bois. Il donna de tout cœur sa bénédiction et ses encouragements.

Je fis visite au card. Rampolla4) et je lui fis hommage du Manuel. Il le reçut avec joie: c'est bien ce que le St-Père demande, il faut propager les œuvres sociales. Il manifesta aussi son approbation pour les communau­tés qui résistent aux exigences injustes du fisc. Mais il le fit en diplomate. L'homme privé approuvait, mais le diplomate désirait qu'on ne le com­promit pas.

J'allai aussi chez le card. Parocchi5) 5v. Il y faut attendre au salon, mais cette attente a ses dédommagements. On voit défiler les visiteurs et on peut soupçonner toute la sollicitude et toute la bonté du pasteur qui accueille tout ce monde. Des prêtres, des religieux passent à leur tour, puis des messieurs et des dames du monde, une simple ouvrière passe avec un paquet. Un jeune garçon de quinze ans qui a perdu un bras vient me conter l'objet de sa visite. Il est ouvrier dans une usine du Mila­nais. Il a eu, il y a deux mois un accident cruel. Il a été pris et emporté par une courroie de transmission. Il a fait voeu de venir à St-Pierre s'il avait la vie sauve. Il a seulement perdu son bras gauche. Il est venu à Rome à pied. Ayant appris que le cardinal-vicaire est son ancien évêque, il vient le saluer. Il a bien l'air d'un enfant prédestiné 6r. Nos apprentis n'ont plus cette modestie. Le cardinal lui remit 20 f. pour son retour.

J'entrai assez tard. Le cardinal vicaire n'est pas tenu à la réserve di­plomatique. Il est carrément pour la résistance aux lois iniques. Il déplo­re les actes de certains évêques «qui savent trop que Paris est plus beau que leur siège épiscopal actuel».

Je voulus voir aussi les principaux amis des œuvres sociales parmi les grands ordres religieux. Je fis visite au P. Grandidier, jésuite; au P. Bo­naventure chez les Franciscains du couvent de St-Antoine; au P. Bau­douin, socius du P. Frühwirthe, général des dominicains.

Le P. Grandidier connaît notre œuvre, il a été provincial à Reims. Il aime les œuvres sociales, mais il apprécie surtout les œuvres patronales et paraît 6v se défier du mouvement démocratique chrétien.

Le P. Bonaventure est professeur des scolastiques franciscains. Il est tout gagné à nos œuvres. C'est un ami de M. Harmel. Il me remercie chaudement du Manuel. Il fait de temps en temps des conférences socia­les à ses scolastiques.

Le P. Baudouin est un homme de doctrine. Je passe avec lui deux heures bien agréables. Il a relu tout le Manuel. Il me signale toutes les petites défectuosités qu'il a remarquées, les négligences de logique et d'ordre, les expressions inexactes. Il loue avec raison la puissance de St. Thomas et de la scolastique.

J'ai vu aussi avec beaucoup de plaisir le P. Picard6) et le P. Emmanuel Bailly7) de l'Assomption. J'admire leur esprit apostolique et en particu­lier leurs 7r œuvres des pèlerinages et de la bonne presse.

Je me suis rencontré plusieurs fois avec l'abbé Lemire. Il est venu dîner avec nous le jour où nous recevions Mgr Duval à Monte Tarpeo. Il a fait deux conférences sur l'action sociale chrétienne, une chez les Pères de l'Assomption et une autre dans un cercle catholique près de la place Trajane. Je me fis un plaisir d'y assister. Il décrivait l'une ou l'autre des plaies sociales et en indiquait le remède.

Dans la 1re conférence, il prit à parti l'individualisme, qui est une des principales causes du malaise social. L'individualisme a privé l'ouvrier des corporations qui lui assuraient un concours fraternel, un appui et des secours dans le besoin. M. Lemire nous en montre la sources dans 7v l'égoïsme religieux de Luther, dans l'égoïsme philosophique de Descartes et dans l'égoïsme politique de Rousseau, et il développe ces pensées avec talent. - «La famille a été détournée de son but, qui est l'union indissoluble des cœurs et la propagation de la race. La corpora­tion a été supprimée. La commune a été tuée par la centralisation, la pe­tite propriété tombe sous les latifundia. Les socialistes reconnaissent ju­stement que l'individualisme est désastreux, mais ils proposent un remè­de insensé, le collectivisme de l'Etat ou de la commune. Ils nient notre dépendance de Dieu et nous proposent le culte de l'homme lui-même dans une sorte de panthéisme.

Le pilote vigilant de l'Eglise interrogeait tous les présages, et toutes les 8r cloches de l'univers semblaient sonner le glas de la société et de l'Eglise dans le triomphe du socialisme. Mais lui veillait et priait et tout à coup un Ave joyeux se fit entendre au monde, c'était l'apparition de l'Encyclique Rerum Novarum. Elle revendiquait les droits de la famille, de la propriété, des associations et de la société civile. - L'unité sociale n'est pas l'individu, qui ne pourrait pas perpétuer la société, c'est la fa­mille. Elle est antérieure à l'Etat, elle est la base de la société. - La cor­poration relève l'ouvrier: il a besoin d'amitié autant que de pain. - Il est urgent que les catholiques agissent pour refaire une société chrétien­ne. Les romains ont pour cela l'exemple du grand apôtre St. Paul. Sa fière revendication est inscrite au lieu de son martyre, aux Trois Fontai­nes: 8v Civis romanus sum. Si St. Paul n'avait pas revendiqué ses droits de citoyen romain, il n'aurait pas eu la gloire du martyre, Agrippa incli­nait à le grâcier… Comme St. Paul revendiquons nos droits sociaux.

Tel fut le thème de cette conférence. Les auditeurs étaient le cardinal Vannutelli8), des prélats, des supérieurs d'ordres, des religieux de tous costumes, des prêtres et des messieurs de la société romaine. Nous étions entrassés dans la grande salle des Pères de l'Assomption.

Je donnai aussi une conférence au Séminaire français. M. Lemire me fit l'honneur d'y assister. Je parlai du devoir social des prêtres.

C'est donc la pensée de mon petit apostolat social qui m'occupa prin­cipalement pendant ce séjour à Rome.

Notre petite résidence est d'ailleurs placée à la source des souvenirs du 9r vieux régime corporatif de la Rome chrétienne. Les conseils élus des corporations contribuaient à l'administration de la ville. Ils avaient leurs bureaux au Capitole et chacune des portes du palais des Conserva­teurs rappelle ce souvenir par une inscription qui date du XVI siècle. On y lit: Universitas Albergatorum, Universitas Muratorum, Aromatariorum, Carpentariorum, Fabrorum, Tabernariorum, Collegio dei Macelli, dei Mercanti di fondaco, dei Mercanti di S. Michele. - J'en oublie sans doute. Mais hélas! ce ne sont plus que des souvenirs. La centralisation moderne a supprimé toute cette vie corporative.

J'eus encore pendant ce court séjour quelques bonnes relations. Je fis visite à Mgr Angeli, auditeur de Sa Sainteté, pour lui parler de diverses 9v suppliques qu'avait laissées M. Harmel. Mgr Angeli est modeste, pieux et très serviable.

A l'occasion d'un enfant qu'on me proposait pour l'école apostolique, j'allai voir Mme la Supérieure des Dames du S.-Cœur à la Trinité des Monts, Mme de Boisjourdan. Elle patronnait cet enfant. Je trouvai en elle une grande dame, très digne, qui représente bien la véritable aristo­cratie chrétienne.

J'eus le plaisir de dîner une fois au Séminaire français avec mes an­ciens maîtres que j'aime beaucoup et avec M. Lemire.

Je fus invité aussi par M. Herzog à la procure de St-Sulpice. Il y avait là diverses notabilités françaises et belges que j'étais heureux de connaître ou de revoir 10r. Il y avait Mgr Van den Brandt, évêque au­xiliaire belge; Mgr T'serclaes recteur du collège belge; Mgr d'Hulst9); M. Lemire; Mgr d'Armaillac, Supr. de S.-Louis des Français; Mgr Guthlin, clerc national de l'ambassade; M. Pisani10), professeur à l'uni­versité catholique de Paris. Il y a toujours à gagner en si noble compa­gnie et de semblables réunions sont profondément instructives.

Il me resta peu de temps à donner aux souvenirs religieux, historiques et artistiques.

Le 22 je vais aux premières vêpres de St. Georges. Cette église est si rarement ouverte, une fois l'an seulement! Le culte du grand martyre si populaire dans toute l'Eglise et surtout en Orient est bien délaissé à Ro­me. Ce petit temple mériterait mieux. Il a été 10v fondé au IVe siècle, en même temps que les grandes basiliques des apôtres. Il a été restauré par St. Léon II au VIIe siècle. Au XIIe il s'est enrichi de son tabernacle en mosaïques; au XIVe de ses fresques de Giotto. Il est là au Velabre, entre le Capitole et le Palatin, là où vivait St. Georges11), l'illustre capi­taine de Dioclétien, originaire d'Asie mineure. On y voit encore sa tête, son épée, son étendard. J'étais heureux d'y prier.

Le 24 j'assistai aux premières vêpres de St. Marc. La riche église avait sorti ses plus beaux ornements. C'est aussi une basilique du IVe siècle, fondée par Constantin, mais elle a été restaurée et transformée à diverses reprises, au IXe au XVe et au XVIIIe siècles. Ses mosaïques datent de Grégoire IV (833). Elles ont toutes la raideur de ce temps-là. Le cardinal Vannutelli officiait. L'église 11r était remplie. Le chant me frappa. Ce n'était pas l'imbroglio criard et de mauvais goût si commun en Italie. C'était un chant vraiment religieux, qui s'identifiait avec le sens des psaumes et qui faisait prier. Je soupçonnai qu'on nous chantait du Pale­strina. Je m'informai: c'était bien cela. Rome aurait bien besoin de re­venir à ce chant vraiment chrétien qui diffère des criailleries accoutu­mées comme la première renaissance diffère du style rococo.

Avec Mgr Duval je revis l'église de Ste Martine avec sa belle crypte ancienne. Martine est une de ces saintes de familles patriciennes comme Agnès, Cécile, Anastasie, Sabine et d'autres, qui ont subi un courageux martyre et qui sont restées très populaires à Rome.

Je n'avais jamais vu le musée Kircher, j'y ai passé quelques heures 11v avec le plus vif intérêt. Ce musée complète la visite de Ro­me comme celui de Naples complète la visite de Pompéi. Ce musée est plus riche en petite objets mobiliers anciens que ceux-même du Vatican, du Capitole et du Latran. Il faut d'ailleurs les voir tous les quatre pour bien comprendre la Rome classique. J'ai remarqué surtout les vieilles monnaies italiques (aes grave); les figurines en terre cuite qui étaient données en ex-voto dans les temples; les coupes d'argent de la source thermale de Vicarello, dont plusieurs sont des gobelets en forme de pier­res miliaires avec les noms des étapes de la route de Cadix (Gadès); un li­vre du II siècle avec sept feuillets de plomb portant des formules mysti­ques; l'anneau de fer d'un esclave avec une plaque de bronze portant cette inscription: «Je me suis enfui, arrête-moi, si tu me reconduis à mon 12r maître, tu recevras un sou» (solidum); des pointes qui se je­taient devant la cavalerie ennemie pour blesser les pieds des chevaux; un siège de bronze incrusté d'argent; la célèbre ciste de Ficoroni, vase cylin­drique d'argent (nécessaire de toilette) entouré de gravures très fines qui représentent l'expédition des Argonautes; des caricatures égyptiennes en terre cuite; un vase chrétien avec l'adoration des bergers; et le célèbre graphite du Palatin où un chrétien, Alexamène, est représenté adorant un âne crucifié.

Cette collection si remarquable est due aux jésuites. Les Piémontais s'en sont emparés sans même dire «merci». Ils y ont ajouté le musée ethnographique et préhistorique. Il y a là des objets de l'âge de pierre, haches, flèches et lances; des objets de l'âge du bronze et du fer, des re­productions de 12v monuments mégalithiques (menhir et dolmen) de la terre d'Otrante; et tout cela prouve que les premières populations de l'Italie ressemblaient à celles des Gaules. Il y a aussi des salles contenant des antiquités du nord de l'Amérique, du Mexique, du Pérou, de la Scandinavie, et de la Chine; et là comme à St-Germain, j'ai reconnu les preuves manifestes de l'unité de l'espèce humaine.

Les premiers siècles ont connu partout les instruments de pierre, mais la civilisation a atteint de suite un Bran développement au berceau de l'humanité, dans l'Asie centrale et en Egypte où les hommes réunis après le déluge gardèrent les traditions, tandis que ceux qui s'éloignè­rent tombèrent dans une sorte de 13r barbarie d'où ils durent se rele­ver peu à peu et en proportion de leurs rapports avec le centre.

Il est clair aussi que l'Amérique a été peuplée par deux races différen­tes, au Nord par des Celtes dégénérés qui ne connaissaient plus que l'usage de la pierre, au centre et au midi par des asiatiques issus de Sem et de Cham et qui portèrent là les coutumes de l'Asie comme on le recon­naît par les antiquités du Mexique et du Pérou. On retrouve là en effet les momies des Chamites, les idoles grimaçantes des Chinois et les mo­numents colossaux de l'Inde.

La principale curiosité de ce musée est ce qu'on appelle le trésor de Pré­neste. C'est une merveilleuse collection d'objets d'or et d'argent trouvés dans un tombeau 13v à Préneste et qui viennent d'un grand prêtre ou d'un prince. Ils n'ont de comparable que le trésor de Boscoreale installé récemment au musée du Louvre. Le trésor de Préneste paraît dater du VII siècle avant J.-C. Il y a une parure en or avec des filigranes et des animaux, lions, chevaux, etc, réunis ensemble au nombre de 131 et fine­ment travaillés. Il y a aussi des cylindres en or avec des ornements déli­cats, une coupe en argent avec des bas-reliefs égyptiens; d'autres coupes et cratères avec des ornements divers, des chasses, des hommes armés; une coupe en verre bleu, des reliefs en ivoire. Il y a encore un autel, un trépied, des boucliers qui étaient suspendus aux parois du tombeau; une chaudière en bronze martelé ayant pour anses des griffons qui regardent à l'intérieur. C'est vraiment un ensemble merveilleux.

Je revis avec une impression toujours nouvelle les ruines de la vieille Rome, le forum, le palatin, le colysée, les thermes de Caracalla, la cam­pagne romaine avec ses aqueducs brisés et ses tombeaux. Quelle majesté ont ces ruines! mais aussi quelle mélancolie elles inspirent! C'est donc là qu'aboutissent les joies humaines et les grandeurs de la terre! Je com­prends que de jeunes couples trouvent Rome maussade. Ils voudraient croire à la perpétuité du bonheur sur la terre. Qu'ils se contentent de parcourir des horizons joyeux, comme la Provence en hiver, les lacs du Nord de l'Italie au printemps, la Suisse et les 14v Pyrénées en été. Rome est faite pour inspirer des pensées sérieuses et de graves médita­tions. Elle plaît aux pieux chrétiens, aux archéologues, aux artistes et puis aux âmes qui ont passé par des épreuves et des désillusions. Elles trouvent là un milieu en harmonie avec leurs pensées et elles y éprouvent sans s'en rendre compte une satisfaction intime et profonde.

Rome a des souvenirs chrétiens partout. Les ruines même du temple de Vesta et de l'habitation des vestales nous rappellent que quelques unes des nobles vierges qui vivaient là se firent chrétiennes et en particu­lier Ste Hipygié, une présidente du collège des vestales, dont le nom a été effacé par ses collègues du piédestal qui lui était 15r destiné parmi les monuments dont on retrouve là les débris.

Le palatin aussi nous rappelle qu'il y eut plus d'une conversion dans la famille des Césars. Ste Euphémie, dont le corps est à l'église de Jésus et Marie, était fille de Dioclétien; Ste Cyrille était fille de Dèce; Ste Do­mitille était nièce de Domitien; St. Alexandre était de la famille des An­tonins.

J'ai revu aussi les catacombes de St-Calixte et grâce à la présence de Mgr Duval le bon frère trappiste qui était originaire du diocèse de Sois­sons, le f. Cladière, me les fit visiter mieux que je ne les avais vues ja­mais. Quelles merveilles que ces peintures du deuxième et du troisième siècle, qui représentent toute la dogmatique chrétienne, les sacrements surtout, le baptême par 15v la pêche et par la source de Moïse, la pé­nitence par la guérison du paralytique, l'Eucharistie par la multiplica­tion des pains ou par la sainte cène elle-même; le sacrifice de la messe par le sacrifice figuratif d'Abraham; la transubstantiation par le prêtre bénissant un pain posé sur un trépied et dans lequel on voit le poisson symbole du Christ; la rédemption par un poisson crucifié sur une ancre, la résurrection par le phénix ou par Lazare sortant du tombeau. C'est toute la foi chrétienne exprimée en gracieuses illustrations. Des prote­stants anglais étaient là bien émus. Ils dirent à Mgr Duval qui leur par­lait: «Nous sommes protestants». Mgr leur répondit avec beaucoup d'à-propos: «Nous sommes quand même des frères 16r dans la foi au Christ». Et ils baisèrent sa main comme les catholiques.

Il me reste à noter une gracieuse excursion à Tivoli et à Mentana. Un jour de congé je voulus donner cette récréation à nos jeunes étudiants. J'ai souvent vu Tivoli, mais je ne m'y étais pas encore trouvé par une journée aussi favorable. C'était le printemps dans tout son épanouisse­ment. Les eaux de l'Avio (Aniene) étaient abondantes, les cascades ru­gissaient et toute la gorge où les eaux se jouent, attiédie par le soleil prin­tanier, avait déjà toute sa végétation luxuriante et ses arbustes fleuris. Les myrtes répandaient un parfum pénétrant. Auguste, Mécène et Adrien avaient vraiment choisi pour leur villégiature un site enchanteur. Les nobles romains de la Renaissance les ont imités. Le temple rond co­rinthien de 16v Vesta et le temple carré ionique de Tiburce attestent la piété des Romains. Le culte de Vesta venait des Pélasges, Tiburce était le dieu du fleuve.

Nous prîmes notre déjeuner sous la tente à l'hôtel de la Sibylle avec des touristes anglais et allemands, et après avoir salué Ste Symphorose et ses fils, les grands martyrs de Tibur, nous partîmes pour Mentana et Monte Rotondo (Monterotondo). La course était longue et montueuse, les chemins difficiles et le temps orageux, mais c'était un pieux pèlerina­ge, il pouvait bien nous coûter un peu. «Sans un peu de fatigue on n'a pas de plaisir», a dit La Fontaine, nous cherchions une satisfaction pure et réconfortante dans la visite du champ de bataille où périrent des héros chrétiens, nous pouvions bien l'acheter par un peu de peine.

Mentana est l'ancienne Nomentum 17r. C'est un modeste village qui s'élève sur un plateau dénudé. Il est dominé par un castel de la Re­naissance bâti par les Borghèse et qui est sous séquestre comme tous leurs domaines. Une pauvre petite église a été le témoin de la prière des zouaves et de leur préparation à la mort. C'est là que le 3 nov. 1867 les zouaves et les troupes françaises arrêtèrent l'invasion garibaldienne. Un modeste monument rappelle cette glorieuse journée.

Une mauvaise carriole nous conduisit de Mentana à Monte Rotondo (Monterotondo). Là un monument rappelle la victoire de Garibaldi au 26 octobre 1867 sur la petite garnison pontificale qui se défendit héroïquement en luttant un contre dix.

J'ai vu à Rome tous les éclopés 17v de ces batailles en novembre 1867. Je les ai souvent visités et encouragés et leur esprit de foi m'a laissé les plus touchants souvenirs.

Je ramenai un enfant, le jeune Pietro Orsi12), de Palestrina, du pays de St. Agapit, pour l'école de Fayet. Il est bien doué et il a du caractère, puisse-t-il persévérer!

Ma première étape fut Arezzo, une ancienne cité étrusque. C'est une ville toscane et par conséquent une ville proprette et agréable. Florence a fait sentir son influence dans toute la région. C'est la patrie de Mécène, de Pétrarque et de Gui d'Arezzo, le moine bénédictin qui inventa la no­tation moderne de la musique.

L'avenue de la gare a une belle statue du moine artiste «Guido Mo­naco» 18r.

Toutes les églises d'Arezzo ont des vitraux de Guillaume de Marseille, du commencement du XVIe siècle. L'art du peintre verrier est surtout français. Ces églises et surtout la cathédrale ont aussi de remarquables retables ou tableaux en terre cuite d'André della Robbia. C'est un art tout locale et qu'on n'apprécie bien qu'en Toscane. La cathédrale a aus­si un superbe tombeau du vaillant évêque Guido di Pietramala, avec sei­ze bas-reliefs sculptés par les élèves de Giotto.

L'église de Ste-Marie della Pieve est une curieuse basilique des pre­mières années du XIe siècle; c'est tout à fait la fin de l'art romain avant l'art roman proprement dit. La charpente est apparente. Il y a une large abside avec une crypte. L'église est à trois nefs 18v. Avec l'époque ro­mane les nefs allaient se rétrécir et se voûter en berceau.

L'église de l'Annunziata est un beau spécimen de la Renaissance, avec ses nefs voûtées en berceau et sa coupole. C'est l'œuvre de Sangal­lo.

L'église St-François a de très curieuses peintures de l'école primitive, et en particulier de Spinello d'Arezzo (XIVe siècle).

Arezzo est hélas! dominée comme toutes les villes d'Italie par une oli­garchie révolutionnaire et sectaire. Elle a son Corso Vittorio Emmanue­le, ses rues Cavour, Garibaldi, Mazzini et une jeunesse qui n'est rien moins que modeste. Le clergé doit rapprendre là aussi comme en France l'apostolat politique et social.

Je couchai à Bibbiena, petite ville bien posée sur une colline élevée 18r près de l'Arno. A Bibbiena aussi on trouve de belles terres cuites d'André della Robbia dans la grande église conventuelle de la Madonna del Sasso. Je fis toutes mes conventions avec un vetturino et le lendemain matin au petit jour nous partions pour la Verna. Douze kilo­mètres en victoria, cela paraît peu de choses, mais quel chemin! Quelles montées et quelles descentes à travers forêts, ruisseaux et précipices. Les deux chevaux suaient et soufflaient. Ils sont adroits comme des mulets. La voiture à résisté à tous les heurts et à toutes les secousses et nous som­mes arrivés à bon port. La Verna me rappelle la Ste-Baume de Provence et le Monte Pellegrino de Palerme. Le sanctuaire est dans le flanc des ro­chers au sommet d'un pic isolé. La Verna a 19v 1.200 m. d'élévation. Elle se détache des Apennins et domine la haute vallée de l'Arno et celle du Tibre. Rien de plus saisissant que l'aspect de ce monastère bâti com­me un nid d'aigles dans les échancrures d'immenses rochers qui se dres­sent à pic. Un bosquet d'une riche végétation couronne ce sommet isolé et le signale à toute la région. Les sapins, les hêtres, les frênes et les éra­bles y poussent aussi volontiers que dans nos régions du Nord.

On arrive à portée du monastère par un plateau désolé. Il y a là un ha­meau avec une auberge et quelques masures. Il reste une montée assez ardue à faire à pied pour atteindre les rochers et le monastère.

Nous arrivions donc à ce pèlerinage de l'Alverne, que je désirais faire depuis tant d'années. C'est un des lieux 20r les plus saints du monde, une sorte de Sinaï et de Thabor où N.-S. s'est manifesté si merveilleuse­ment. L'Italie a plusieurs de ces sanctuaires privilégiés, elle a Subiaco, le Mt-Cassin, Assise, Vallombreuse, Camaldoli, etc.; elle conserve avec un soin jaloux ces retraites mystérieuses. Et nous, qu'avons-nous fait de Cluny, de Citeaux, de Clairvaux, de Prémontré, etc!

Horace avait dépeint l'Alverne comme une retraite de voleurs, voués au culte de Laverne leur déesse protectrice: Labra movet, metuens audiri: pulchra Laverna, da mihi fallere, da mihi justum sanctumque videri, etc. (Lib. 1. Epist. XVI. V. 60).

Le Dante a chanté l'Alverne comme le lieu où le Christ a marqué de son sceau les membres de son saint imitateur François 20v:

Net crudo sasso, infra Tevere ed Arno, Da Cristo prese l'ultimo sigillo

Che le sue membra due anni portarno (Paradiso, Canto 11, 106-108).

Le premier sanctuaire que l'on rencontre sur la moitié est la chapelle des oiseaux. A son premier voyage, le Saint fur accueilli là par le concert des petits messagers célestes et il en conclut que le Bon Dieu voulait voir là les Frères de la pénitence: Io credo, fratelli carissimi, esser volontà del Signo­re che noi abitiamo in questo Monte solitario, poiché tant'allegrezza e festa della no­stra venuta dimostrano i nostri fratelli uccellini.

Le pieux comte Orlando de Chiusi accompagnait le Saint dans son premier voyage pour lui offrir la propriété de cette solitude. Le souvenir du pieux chevalier mort en odeur de sainteté 21r est resté très vivant au monastère. Plus haut, à l'entrée du couvent, se trouve la première pe­tite église bâtie par le comte Orlando en 1216 et agrandie par S. Bona­venture. Elle est dédiée à N.-D. des Anges et enrichie par les Papes de toutes les indulgences et privilèges des sanctuaires d'Assise.

Je fis là mes premières dévotions, puis un bon Frère m'accueillit avec la plus grande hospitalité. Il jeta un fagot dans la grande cheminée de la salle des hôtes pour me réchauffer car j'avais laissé à Rome un chaud so­leil et je retrouvais là-haut des neiges et un vent glacial. Puis, en atten­dant le repas, le bon Frère me fit visiter tous les sanctuaires.

L'église majeure du couvent a été 21v fondée au XIVe siècle par le Comte de Pietramala de Chiusi. Elle a été achevée au XVe siècle. Le choeur a été ajouté par François de Médicis. L'église est grande, mais simple, comme il convient aux Franciscains. Son plus bel ornement ce sont des rétables en terre cuite de Lucas della Robbia et de ses élèves. Ils représentent l'Ascension, l'Annonciation, la Nativité et N.-D. des Grâ­ces avec des Saints. L'Annonciation surtout est infiniment gracieuse. Je préfère de beaucoup ces terres cuites blanches ou simplement bordées d'un feuillage vert à celles qu'on a faites plus tard avec des couleurs qui n'ont rien de naturel.

Après l'église une douzaine de petits sanctuaires méritent la visite des pèlerins.

Le premier est la chapelle de Ste 22r Madeleine, appelée aussi la Prima Cella di S. Francesco. C'est là que fut établi sous un vieux hêtre, dans l'anfractuosité des rochers, le premier abri de St. François et de ses Frères. Le Saint y reçut de grandes grâces. N.-S. lui apparut debout sur une pierre qui servait de table et lui fit pour son Ordre les plus bienveil­lantes promesses. «Seigneur, disait le pieux fondateur, qu'en sera-t-il après ma mort de l'Ordre religieux que vous m'avez confié, à moi, pau­vre pécheur? Qui le réconfortera? qui le relèvera? «Et N.-S. lui dit: «François, ton Ordre durera jusqu'à la fin du monde. Ceux qui l'aime­ront, fussent-ils de grands pécheurs, se convertiront et obtiendront misé­ricorde. Ceux qui le persécuteront ne vivront 22v pas longtemps s'ils ne se corrigent pas. Les Frères de l'Ordre n'y demeureront pas long­temps s'ils vivent mal et s'abandonnent au péché mortel, mais ils se cor­rigeront ou bien ils seront découverts et sortiront de l'Ordre».

J'ai bien demandé à N.-S. les mêmes faveurs pour la petite société vouée à son Cœur. Mes prières n'ont pas de valeur, mais la miséricorde de N.-S. est infinie.

La pierre de l'apparition est maintenant encastrée dans l'autel. C'est là aussi que St. François ayant un jour par révélation la connais­sance des tentations de fr. Léon lui donna une bénédiction qui le délivra. Le saint avait écrit la bénédiction et le fr. Léon la porta toute sa vie sur lui. C'est cette pieuse formule que les fidèles 23r aiment encore à por­ter en souvenir de St-François: «Benedicat tibi Dominus et custodiat te; con­vertat faciem suam tibi, et misereatur tui; convertat vultum suum ad te et det tibi pa­cem. Dominus benedicat fratrem Leonem ».

Près de cette chapelle est le Sasso spicco. Il y a là au milieu d'un chaos de rochers une pierre énorme qui paraît détachée de la montagne et tou­jours prête à s'effondrer. Elle a treize mètres de large, quatre de profon­deur et onze de hauteur. Elle surplombe et abrite une caverne. St. François venait là souvent méditer sur la Passion et un ange lui révéla que ce chaos datait de la mort du Sauveur, quand la terre trembla et que les rochers s'ébranlèrent: Et petrae scissae sunt (S. Mat. 27). Ce site laisse une grande impression.

C'est dans ces cavernes qu'habitait le fameux chef de brigands, Lupo, que le bon Saint convertit. Le loup se changea en agneau. Le Saint le re­çut dans son ordre sous le nom de frère Agnello et il mourut en odeur de sainteté.

Dans une autre anfractuosité des rochers, on montre le «lit de St. François». Le bon Saint dormait là sur la pierre nue pendant ses retrai­tes. Ainsi faisaient Ste Madeleine en Provence, Ste Rosalie à Palerme et St. Benoît au Sacro Speco.

Un autre pieux souvenir est celui du Précipice. Il y a là des roches à pic qui peuvent avoir soixante mètres de haut. Un jour le démon y préci­pita St. 24r François qui passait sur le sommet. Un ange protégea le Saint, le retint dans sa chute et lui ouvrit un refuge dans le rocher à cinq ou six mètres au-dessous du sommet.

Un autre miracle eut lieu là XVe siècle: un moine qui faisait visiter le lieu du précipice à des pèlerins tomba par accident, il déroula jusqu'en bas et ne se fit aucun mal. St. François le protégea.

Mais le souvenir le plus émouvant de l'Alverne est celui des Stigma­tes. Une chapelle lui est consacrée au lieu même où François reçut la vi­site du séraphin qui vint le marquer du sceau de la passion. Il fait bon à s'agenouiller là en face du grand crucifix. Vraiment l'Alverne est pour l'Italie le mémorial du 24v Calvaire.

Les Franciscains sont toujours là. Ils prient, ils évangélisent, ils men­dient et secourent les pauvres. Ils vont deux fois par jour, après vêpres et après matines en procession à l'oratoire des Stigmates. Leur couvent a été confisqué comme tous les autres, mais l'Etat l'a attribué à la ville de Florence, parce qu'elle avait aidé autrefois à sa construction, et la muni­cipalité de Florence exige un loyer des pauvres Franciscains. La Révolu­tion a de singulières manières d'entendre la justice!

C'était le mois de Marie. A l'Alverne, à Arezzo et généralement en Italie, on célèbre ce Mois de dévotion avec une touchante piété. La Vier­ge Mère a son autel spécial dans toutes les églises. Elle est 25r représentée par une statue richement costumée et à ses pieds une brebis symbolise les fidèles. Le peuple comprend facilement ces symboles gracieux et familiers.

Je revins directement de Bibbiena par Florence, Milan et le St­Gothard, et le 3 mai je rentrais à Paris et à St-Quentin.

Souhaits de fête à St-Clément et à St Jean. Mon voyage me fournit des sujets de récits pour plusieurs visites à St-Clément.

Le 7 mai, réunion d'études sociales à Laon. - J'allais ensuite porter les bénédictions du St-Père à Clairefontaine et à Sittard et faire aussi le récit de mon voyage, de mon séjour à Rome et surtout de mon pèlerina­ge si intéressant à l'Alverne 25v.

Je prêche la retraite des enfants de Marie au Val. J'apprécie bien mieux encore cette chère maison. Le doigt de Dieu est là et l'esprit de Dieu y règne. Il y a là une vie plus pure, plus surnaturelle que dans les œuvres de nos villes.

Retraite de 1re communion à Chauny. Les enfants ont été préparés avec soin, les catéchismes ont été bien faits et cependant il n'y a pas à compter sur leur persévérance. Quand nos prêtres comprendront-ils tous qu'il y a d'autres moyens à prendre que les anciennes pratiques du ministère paroissial? qu'il faut aller aux hommes, propager la bonne presse et faire des associations?

Réunion des Cercles à Paris. La réunion n'est pas nombreuse, mais c'est une élite. Il y aurait là les éléments 26r d'une assemblée législati­ve remarquable. Les membres du comité de l'œuvre étudient les que­stions sociales depuis bien des années et sont devenus parfaitement com­pétents.

Le programme de l'Œuvre s'est un peu élargi. Elle étudie ce qui se fait en dehors d'elle, elle donne une part de ses travaux aux études socia­les théoriques et aux questions de législation.

Il y a une entrave et une cause de faiblesse native qu'il sera difficile de surmonter. Bien des membres de l'œuvre au commencement, surtout ceux des provinces de l'Ouest, avaient des vues politiques. Les Cercles devaient être pour eux un instrument de restauration royaliste. Il y a chez eux un certain désarroi, un certain dépit de voir l'Œuvre s'orienter peu à peu vers le mouvement démocratique 26v… . Plusieurs ren­trent sous leur tente ou se mettent au second rang. Il y a là une cause de faiblesse pour l'Œuvre qui devrait être à la tête de toute l'action sociale catholique en France.

Reprendra-t-elle son rôle? Dieu le veuille!

Au retour de Paris je vais aider mon bon cousin l'abbé Palant pour la 1er communion de ses petits paroissiens. La paroisse est assez bonne en­core et le curé mériterait d'être peint d'un pinceau de maître. Il est origi­nal, distrait, oublieux, susceptible, mais qui n'a pas ses défauts. A côté de cela il a la régularité sulpicienne pour ses exercices de piété. Il aime son église, il l'a reconstruite et l'embellit sans cesse. Il connaît ses ouail­les et les conserve assez fidèles. C'est un érudit. Il a 27r une bibliothè­que de bénédictions. Il collectionne tout ce qui concerne l'histoire locale et personne ne la connaît mieux que lui. Il a écrit bien des brochures et des articles de revues.

Il a souvent voyagé et pèlerine. C'est un artiste. Son patrimoine servi­ra à doter plusieurs œuvres: école de Cilly, cercle de Liesse, pensionnat de Marle. Il a un goût particulier pour les proverbes. Il prêche en pro­verbes, il catéchise en proverbes, il dirige sa paroisse en proverbes. Il laissera sûrement dans les souvenirs de ses paroissiens bien des prover­bes, qui résumeront toute la science de la vie chrétienne. Longtemps les parents diront à leurs enfants: souviens-toi de ce proverbe que nous ci­tait M. le curé Palant, et cette population gardera une 27v sagesse su­périeure à celle des paroisses voisines.

1er communion à St.- Jean. Mgr Duval préside. Je n'y assiste que le matin. On m'attend le soir à La Capelle. Du 19 au 24 je prêche à La Ca­pelle la retraite des enfants et la 1re communion. C'est là que j'ai fait la mienne. Je mets tout mon cœur à cette retraite. Je rentre un peu en communication avec ce peuple capellois qui m'oubliait depuis 15 ans. Que de souvenirs se pressent dans mon cœur! C'est là que j'ai fait ma 1er communion, c'est là que j'ai prié avec ma mère. Elle a pratiqué dans ce pays l'apostolat puissant de l'exemple. C'est là aussi que j'ai com­mencé à prêcher et à exercer le ministère. Que N.-S. me pardonne tou­tes mes fautes passées et me rende toutes les grâces 28r perdues!

Le 28 je vais à Paris pour voir Mgr l'archevêque de Rio. Il désire me parler des œuvres de Pernambuco. Je trouve un évêque intelligent, di­stingué, parlant bien le français. Il est souffrant et se soigne à l'hôtel Fé­nelon. Il nous encourage à continuer notre œuvre de Pernambuco. Nous suivrons les indications de la Providence.

Réunions de l'Institut des Fastes eucharistiques à Paray le Monial. Les zélateurs de l'Œuvre, M. le baron de Sarachaga, M. le c.te d'Al­cantara, M. le baron de Maricourt et le P. Sanna-Solaro (de Turin) m'ont écrit pour me proposer la présidence des réunions annuelles. J'en ai référé à Mgr l'évêque d'Autun13), il m'a répondu avec bienveillance en m'écrivant: «J'ai la confiance que votre présence 28v et votre pré­sidence maintiendront dans une direction sage les travaux et discussions des conférences qui doivent avoir lieu prochainement à Paray». J'accep­tai donc la présidence à la place du P. Delaporte (d'Issoudun) qui est mort dans l'année. Les Pères Jésuites me logèrent à leur belle maison dé­diée au Ven. Père de la Colombière.

Nous avons trois journées d'études intéressantes. L'excellent baron de Sarachaga et le R. P. Cretin, son conseiller, cèdent parfois au courant de leur imagination, néanmoins ce sont des hommes d'étude et il y a tou­jours profit à converser avec eux.

M. le baron nous montre dans un excellent rapport comment les païens ont rendu inconsciemment un culte au Christ-eucharistique par le sacrifice de l'agneau qui était en usage 29r dans la plupart de leurs rites (ce rapport et les autres sont reproduits dans la Revue trimestrielle de Paray d'octobre 1895).

M. le baron nous donne aussi l'analyse de l'ouvrage de Rougemont sur le peuple primitif. Rougemont (chez Cherbuliez, 1855) a étudié le peuple antédiluvien et les traditions noachiques. Il montre en particulier le polythéisme se formant peu à peu comme une déformation de la révé­lation primitive, par l'abstraction, la personnification des puissances su­périeures, des vertus et des vices et le symbolisme exagéré et détourné de son sens primitif…

Le R. P. Roy nous fait un beau rapport sur le culte social à rendre à Dieu. Il nous montre dans l'histoire et dans la littérature le sacrifice comme l'acte traditionnel du culte 29v social et il nous en prouve la nécessité par la philosophie comme par la foi et la tradition. C'est une belle réfutation de l'hérésie contemporaine qui est l'athéisme social.

Nous étudions aussi les antiquités préhistoriques. Quel rapport peu­vent elles bien avoir avec l'Eucharistie et le S.-Cœur? C'est que Paray était le centre de la vie druidique, comme l'atteste l'histoire. Pythagore vint chez les Eduens étudier les plus pures traditions druidiques. Peut-­être même aux temps préhistoriques était-ce déjà un centre de vie sociale et religieuse, comme l'attestent les débris innombrables de l'âge de pier­re et de bronze qui se retrouvent dans le sol de la région. Il y avait là sans doute une préparation providentielle à la mission actuelle de Paray 30r.

La petite société archéologique de Paray, l'union parodienne, a déjà recueilli une belle collection d'objets préhistoriques et notamment des fi­gures d'hommes et d'animaux en silex et des pierres marquées de signes qu'il sera difficile d'interpréter.

Nous nous félicitons de voir les progrès de l'idée si capitale de l'hom­mage au S.-Cœur de Jésus. La réunion félicite et remercie les apôtres de cette idée: le P. Monsabré14) qui a prêché si vaillamment à Clermont le règne de Jésus-Christ; M. Garnier15) qui propage la consécration natio­nale au S.-Cœur; M. Harmel qui a fait faire l'acte d'hommage par les patrons chrétiens et qui nous convie à le faire à Reims; les Chevaliers de la Croix qui ont arboré dans diverses réunions le drapeau du S.-Cœur 30v.

J'ai le bonheur, pendant ces réunions de célébrer la messe tous les jours à l'autel des apparitions. Je suis là à la source des miséricordes divines. Mgr l'évêque d'Autun était là à la Visitation. Il a eu l'amabilité de m'inviter à dîner. C'est toujours une faveur et un plaisir de converser avec des hommes supérieurs . Nous avons causé de l'Académie, de l'Oratoire et de notre triste situation politique.

Je revins par Verosvres où le bon P. Charcosset m'attendait. C'est à mi-chemin de Charolles à Cluny, dans un site austère et calme. C'est dans le haut Charolais, au milieu des collines. La vallée offre encore quelques beaux pâturages, les côteaux sont boisés. La population est simple et assez chrétienne. C'est loin de tout le mouvement des villes. La maison de 31r la bienheureuse16) est une ferme isolée à un kilomètre du bourg. C'était une ferme de maître. Une salle du haut garde les ar­moiries de la famille. On y a établi un oratoire. La bienheureuse aperce­vait de là le clocher du bourg et priait souvent en s'agenouillant sur les roches qui regardent le village. J'étais heureux de faire ce chemin et de célébrer la messe dans cette église, qui n'est plus celle de la bienheureu­se, mais qui est au même emplacement.

A six kilomètres de Verosvres s'élève un cône isolé dont nous fîmes l'ascension. On a de là une vue immense sur les Cévennes centrales, les monts du Lyonnais et de Baujolais. On voit fumer au loin les usines de Montchanin et du Creusot. Près de ce sommet se voient des 31v monuments druidiques très remarquables et en particulier la Pierre branlante, masse énorme qu'on peut en effet faire osciller en la pous­sant. Sur une de ces pierres on retrouve les traces des sacrifices anciens, une rigole qui sûrement servait à l'écoulement du sang des victimes.

Tout ce pays est rempli des traces des Eduens, qui ont possédé la plus ancienne civilisation de l'Occident et qui ont gardé longtemps les tradi­tions des Gomérites, descendants de Japhet. Le sol a de nombreux dé­pôts d'objets divers de l'âge de pierre.

Le moyen-âge aussi a laissé là les traces de ses légendes. Mon hôte, M. Charcosset, me racontait les récits des veillées villageoises sur les fées et les vives (spectres ailés) qui habitent les ruines de la colline des Cornes d'Artus 32r et qui visitent les habitants du pays dans leurs rêves.

Je revins par Mâcon pour y voir à l'hôpital un de nos séminaristes sol­dats. La grande ville n'est pas pieuse, elle a eu des années de grande pro­spérité et les intérêts temporels ont fait oublier ceux de la foi.

Nous donnons les prix le 1er août. Les élèves me manifestent un grand attachement qui me console de certaines peines.

Au 4 août, je vais faire une visite de charité à ma parente de Verberie17). C'est là aussi un beau pays qui tombe dans le marasme. Châteaux et abbayes y entretenaient autrefois une grande vie. Il n'y a plus maintenant qu'une culture ruinée et les églises sont vides.

Une partie de ce mois se passe 32v à préparer le congrès de septem­bre.

Une journée à La Capelle. Visite à ma famille et aux tombeaux de la famille. Le cimetière est comme l'aire où Dieu réunit tout, le froment et la paille, puis il sépare le bon grain. Comme ces tombes parlent à l'âme! Comme le démon a été adroit d'éloigner les cimetières!

Congrès de la Croix18) à Paris, rue François 1er. C'est le congrès des ardents, des enthousiastes, des hommes d'action. Aucun autre congrès d'œuvre n'a la même intensité de vie.

On y parle des progrès de la Croix et du mouvement catholique, des fondations nouvelles, des luttes. Le programme est vaste. Le P. Picard19) dirige avec autorité. Les repas en commun sont très fraternels 33r. On les commence par une pieuse lecture.

Il y a beaucoup de vie à ce congrès, un peu de pêle-mêle. C'est l'action sans trêve. Comme à l'incendie on travaille à la hâte, il faut faire vite. On rencontre là bien des hommes intéressants! M. Boissard20), le ma­gistrat d'Aix, ardent comme son évêque; M. Loutil, l'écrivain très pari­sien qui signe Pierre l'Ermite21); Miriam dont les brochures secouent les paresseux, et bien d'autres.

On retrouve là les vrais français, ceux des croisades, ceux des zouaves pontificaux, avec leur gaieté, leur entrain, leur foi et leur cœur. J'y re­viendrai s'il plaît à Dieu.

Réunions d'études sociales à St-Quentin. - Ce sont là de 33v grandes journées, ardentes, lumineuses, inoubliables. C'est un petit concile, un concile de jeunes.

Le programme est superbe; l'éducation sociale du clergé et son action sociale; l'usure moderne, la famille, le catéchisme social, les associa­tions, la démocratie chrétienne, la Croix, les journaux, etc.

Avec quelle sagesse, quelle science théologique et quelle douceur évangélique préside M. le chanoine Perriot! Quelle facilité a M. Naudet et comme il connaît la question des journaux!

M. l'abbé Gibier, curé de St-Paterne d'Orléans, nous dépeint la plus merveilleuse organisation paroissiale. M. Lemire nous expose sa belle thèse sur le bien de famille. M. Garnier parle de l'action popu­laire 34r du prêtre.

Le groupe de la démocratie chrétienne est représenté par des hommes jeunes, intelligents, ardents: M. Roux d'Arras; MM. Cochez, Glo­rieux22) et Vanneufville, de Tourcoing; M. Bataille de Roubaix; M. Ma­hieu de Dunkerque; M. Leleu de St-Pol.

M. Guillaume de Beauraing, est bien intéressant sur la question des classiques.

M. Sipp, vicaire de Ste-Marie-aux-Mines représente la chère Alsace et l'école sociale allemande.

Il reste de ces réunions un bon compte-rendu, mais il doit en rester mieux que cela: des convictions, du zèle, de l'ardeur pour le bien.

Ce petit congrès doit peser dans la balance pour le réveil de la 34v vie sociale chrétienne en France.

Ce sont les jours précieux de notre retraite. Elle est prêchée par le P. Vauthier. Il est sympathique. Il est intéressant et pratique. Il fait du bien à tous. Il nous ranime. Nous le retenons pour la retraite de 1897.

Visite à M. le M.is (Marquis) de La Tour du Pin à Arrancy, où je rencontre le P. de Pascal23). En chemin j'admire l'église de Bruyères, son abside du XIe siècle avec ses modillons et sa corniche si fouillée. C'est du roman le plus riche, avec toutes ces figures grotesques qui ont dans le principe symbolisé les vices et qui sont devenues ensuite un jeu de l'ima­gination.

Le Laonnois est couvert de castels, mais il n'y reste rien ou à peu près rien de l'ancienne 35r aristocratie. Les familles se sont éteintes avec la féodalité.

Le château d'Arrancy est un grand logis du temps de Henri IV, bien placé dans un pli de terrain, auprès d'une pièce d'eau. C'est un petit St­Germain. Il y manque un train de maison, des chevaux, des chasses, du personnel. Mais le rôle de la féodalité est fini. Il ne faut plus de cheva­liers, mais des masses populaires dans l'infanterie et des gens d'arts et métiers dans l'artillerie. Il y a encore quelques rares châteaux qui ont leurs archives, leurs chartes, leurs galeries de portraits, leurs souvenirs et leurs traditions. Le XXe siècle n'en retrouvera plus guère. Les restes de la féodalité seront classés dans l'archéologie 35v.

C'était beau ce métier féodal! Ces vaillants avaient des privilèges, mais dame! ils les achetaient en défendant la patrie et en combattant tou­jours au premier rang.

Je marie un ancien élève Taccoen à Bohain: des enfants, 22 et 18 ans! Le 18, c'est à Clairefontaine (près de la Capelle); je marie un autre ancien élève, le Dr. Douche, avec une élève de la Croix. Encore quel­ques années et St Jean aura une véritable influence sociale par les méde­cins, notaires, avocats, cultivateurs chrétiens qu'il aura formés. Dieu veuille que nous fassions vite et bien! Qu'il nous pardonne les faiblesses et les défections.

Congrès des catholiques du Nord à Lille. C'est la 23e année que les ca­tholiques du Nord tiennent leurs assises de charité 36r. Ils ont un pro­gramme très vaste: œuvres de piété et d'apostolat, œuvres de patrona­ge, œuvres sociales, œuvres rurales, art chrétien, etc.

C'est un milieu fort intéressant. Il y a là les éléments d'une société chrétienne, avec des hommes appartenant à l'enseignement, à l'indu­strie, au commerce, au barreau.

Les réunions de commissions se tiennent au Cercle catholique et à la so­ciété industrielle. Les réunions du soir se font à la salle Ozanam, salle de fête des catholiques lillois. Le dimanche, on ose même aborder l'hippo­drome et il est rempli.

M. Thellier de Poncheville- préside avec un esprit très large et beau­coup d'affabilité. Le samedi soir j'ai présidé avec lui la réunion de la sal­le Ozanam et j'ai pris la parole sur les associations professionnel­les 36v.

Quelle belle réunion que celle du dimanche à l'hippodrome. Le grand amphithéâtre contient 3.000 personnes et tout ce monde applaudit le nom du Christ et toutes les nobles pensées et toutes les généreuses résolutions. Ah! comme une nation unie dans ces sentiments serait puissante!

Nous entendons un discours de M. Thellier de Poncheville. Après les compliments d'usage, il nous fait applaudir l'union des catholiques, la liber­té d'association, la liberté de l'enseignement, l'égalité dans l'enseigne­ment, l'égalité devant l'impôt, le droit de manifester nos croyances ju­sque sur la voie publique, la fraternité dans la grands réconciliation na­tionale… Ce sont là les voeux de tous les catholiques et les applaudisse­ments sont unanimes.

M. Chesnelong24) formule la protestation 37r qui est dans tous les cœurs contre les lois fiscales édictées contre les congrégations.

Mgr Turinaz25) fait un discours plein de vigueur et il obtient un succès d'enthousiasme: «Notre situation est lamentable, nous avons abandon­né bien des positions que nous aurions dû défendre et nous pleurons maintenant sur des ruines. Nous sommes cernés comme le fut, il y a 25 ans, la vaillante armée française. Il faut enfin se décider à la résistance, il faut absolument se décider à sortir, a faire une trouée, si nous ne voulons pas rendre à l'ennemi notre drapeau, la Croix… «Il salue les modestes curés de campagne prêts à tout souffrir, les humbles religieuses qui dé­fendent par leur résistance le droit et la liberté. «Réclamons la liberté et la justice pour tous, l'égalité entre tous… Prenons part à la lutte électo­rale». Il termine par un trait 37v bien choisi: «Un vieux général di­sait aux jeunes gens d'un collège dans une distribution des prix: «Quand vous serez au feu et que les balles et la mitraille pleuvront, pour échapper à la mort, pour sortir de ce cercle de feu, faites un bond en avant, c'est le salut et c'est la victoire… Catholiques du Nord, suivez ce conseil et donnez cet exemple: la France entière vous suivra; pour le sa­lut et pour la victoire, en avant!».

M. Denys Cochin26), député de Paris, parle contre le scepticisme et l'indifférence politiques. «Ce n'est pas, dit-il, le moment de nous décou­rager. Nous assistons à la rentrée victorieuse de la pensée catholique dans l'art, et dans la science. Sur le terrain politique, nous sommes vain­cus; sur le terrain religieux nous n'avons jamais été plus près de la victoi­re. La masse des électeurs envoie à la chambre 38r des députés qui vo­tent des lois de stupide oppression, mais l'élite intellectuelle revient au catholicisme. Le matérialisme est repoussé; le déterminisme qui faillit tuer la conscience, enlever aux hommes le sentiment de leur responsabi­lité, n'a plus aucune autorité scientifique. La grande illusion du positivi­sme s'écroule, et la science, dit-on a fait banqueroute. Ce n'est pas la science qui a fait banqueroute, mais la philosophie uniquement fondée sur la science expérimentale…

Nous sommes à ce moment d'effarement et de découragement qui suit toutes les désillusions, mais les premiers qui relèvent la tête aperçoivent l'Eglise qui leur montre la vérité dans le Christ… Comment se fait-il qu'au moment de ce renouveau religieux, de cette restauration de la foi chrétienne, le scepticisme augmente en matière politique? 38v Beau­coup pensent avoir la liberté, parce qu'ils ont le droit de vote, mais la li­berté n'est sauvegardée que si elle est protégée contre les caprices tyran­niques des majorités…».

Le R. P. Feuillette, dominicain, parle ensuite. Il a beaucoup de belles choses, mais il est un peu long. «Le congrès lui semble lever un voile pour laisser apercevoir un peu de soleil, dans les angoisses et les tristesses qui nous accablent en ce moment et qui donnent aux catholiques la no­stalgie de la lumière… Y a-t-il rien de plus douloureux que de constater l'affaissement moral de la France en cette période si menaçante de la fin du siècle? Il faudrait se souvenir que là où les âmes sont vigoureuses, les ruines ne durent pas; là où les âmes sont faibles, les ruines s'amoncel­lent. La faiblesse et l'insouciance ne sont pas 39r d'aujourd'hui; il y a un siècle, par elles, la France était plongée dans un océan de sang et de larmes…» Puis l'orateur donne le plan de son discours: il examinera no­tre faute, notre expiation, notre salut.

I. Dieu ne se désintéresse pas des nations. Il attend leurs hommages, il leur donne une mission. La France a été un peuple privilégié depuis le jour où Dieu l'adopta sur un champ de bataille. Il l'a toujours protégée, mais ce peuple a commis de grandes fautes le jour où, trompé par de fausses doctrines philosophiques, il a brisé, déchiré le pacte qui l'unissait à Dieu. Voilà la faute dont nous portons toujours la responsabilité. L'homme ne peut pas prendre la place de Dieu;

En supprimant Dieu, on a supprimé la justice et le droit. Les droits de l'homme sont sacrés à la condition de leur conserver leur origine sacrée. La notion du droit 39v a subi d'étranges confusions. Aujourd'hui le droit c'est l'intérêt. Cette notion du droit a fait de l'homme un être mal­faisant. Devant l'impudence de cette formule, le patriotisme n'est plus qu'un mot creux; le dévouement, le désintéressement n'existent plus. Le droit, c'est la force; il faut donc que les faibles disparaissent. Alors il s'est formé un monde dans lequel les hommes se combattent et haïssent la li­berté d'autrui parce qu'elle gêne la leur…

En supprimant Dieu, on a supprimé la fraternité. Avec Dieu tout hom­me peut réciter la belle prière de la fraternité: Notre père qui êtes aux cieux. Sur quoi établira-t-on la fraternité sans la paternité? Nous la con­naissons cette fraternité menteuse, elle a pour symbole l'échafaud, elle s'appelle pour nous le fratricide 40r.

En supprimant Dieu, on a supprimé la morale. On nous offre aujourd'hui la morale indépendante: en vérité, celle-là dépend de tout, sauf du bien. Dieu a voulu laisser au milieu des sociétés un gardien de la morale et du droit, c'est son Eglise. Pour soutenir le droit, l'Eglise a ver­sé des flots de sang, elle ne reculera pas.

II. A la suite de cette transformation de la société, Dieu n'a pas fait at­tendre l'expiation. Faut-il rappeler les crimes de la Révolution, les effroya­bles hécatombes faites au nom des droits de l'homme?

Et dans l'instabilité qui règne depuis un siècle, ne faut-il pas voir une autre forme de l'expiation? Dieu confère aux institutions qui viennent de lui quelque chose de son immuabilité, l'instabilité est un châti­ment 40v.

L'expiation d'aujourd'hui nous l'avons sous les yeux. Lacordaire disait: si l'homme d'Etat n'abandonne pas les petitesses de l'esprit de parti, il sera d'une médiocrité désespérée. Qu'aurait-il pensé s'il avait vécu trente ans plus tard? Dieu a épargné cette peine à son patriotisme. Autrefois pour prendre le pouvoir il fallait s'y être préparé. Nos moeurs actuelles sont moins diffici­les. Les hommes qui détiennent le pouvoir prétendaient faire régner la li­berté, et quelle est la liberté qui n'ait pas été attaquée par eux?

Ne semble-t-il pas pourtant que le châtiment commence à atteindre les persécuteurs? La foule a déjà pu les voir s'agenouiller devant le veau d'or. Ils ne sont plus redoutables. Combien sont tombés, combien tom­beront encore, en attendant le coup de vent qui emportera tréteaux et comédiens? 41r.

La violence provoque la résistance. La loi humaine, quand elle contredit la loi divine, n'est plus une loi, c'est la violence; et alors la résistance peut s'imposer comme le plus sacré des devoirs. Il ne suffit pas qu'une loi soit dans un code, si le législateur fait une œuvre mauvaise, l'honnête homme a le droit de se lever devant lui et de lui dire: je n'obéirai pas.

L'expiation continue: l'homme de travail fait entendre sa voix. Il récla­me le silence pour qu'on entende le cri de sa souffrance, et comme il est la force et le nombre, l'avenir est menaçant. Il y a quelques années, les hommes au pouvoir niaient la question sociale, puis ils ont tout promis et ils n'ont rien donné. Ils ont même ôté à l'ouvrier les consolations de la foi et les espérances éternelles. Quel crime et quel péril menaçant!

III. Ou bien la société reviendra 41v aux grands principes de la re­ligion, alors s'ouvrira une ère de bonheur et de prospérité; ou bien, sans le christianisme, nous aboutirons à une mêlée sanglante, car il sera im­possible d'opposer une digue à la marée qui monte.

Le seul moyen de salut, c'est donc de constituer une société chrétienne. Dieu ne peut souffrir l'impiété sociale ou, ce qui revient au même, la neutralité sociale.

Pour certains, notre histoire ne date que d'un siècle et ils prétendent que leurs principes révolutionnaires et impies ont déjà conquis le mon­de. Quelle illusion! Ne voyons-nous pas la république américaine invo­quer le Christ officiellement et solennellement tous les ans, à la demande de son président? N'avons-nous pas vu une autre nation à laquelle nous rêvons d'unir nos destinées 42r, placer sous les auspices de la religion, les effusions de son amitié avec nous?

L'alliance du patriotisme et de la foi avait produit en France l'unité nécessaire. Il y faut revenir, dussions-nous l'acheter par le sacrifice de notre vie.

Le devoir se résume en ce mot: agir, agir avec confiance, avec la certi­tude de la victoire… Quand les droits sont foulés aux pieds, l'abstention doit s'appeler la désertion.

L'action, c'est le devoir. L'action, c'est aussi l'honneur, car la honte n'est pas d'avoir été vaincu, c'est d'avoir été lâche et sans courage.

Il faut donc nous jeter dans la mêlée. Les catholiques veulent la paix, mais une paix honorable, dans le respect de Dieu et dans la juste indé­pendence de l'Eglise et des âmes.

J'aime dans ce beau discours la 42v revendication des droits de Dieu sur les nations. Le salut est là, et là seulement. M. Thellier deman­dait seulement pour les catholiques une place au soleil; Mgr Turinaz ré­clamait le droit commun, ce n'est pas là le vrai terrain de la lutte, c'est mieux que rien, mais ce n'est pas assez pour apaiser la justice divine et sortir du chaos où nous sommes, il faut reconnaître la royauté divine sur les sociétés. De Maistre27) l'a dit: la Révolution a commencé par la pro­clamation des droits de l'homme, elle ne finira que par la proclamation des droits de Dieu.

M. Cochin aussi est de l'école libérale. Il constate le scepticisme politi­que et n'en donne pas le vrai remède. Le P. Feuillette a bien couronné le congrès en caractérisant nettement le péril social et le remède 43r.

Je termine le mois par la visite de nos maisons de Clairefontaine, Lu­xembourg et Sittard. La maison d'études de Clairefontaine est bien en train. Le calme et la piété règnent à Clairefontaine et à Sittard. J'assiste à la fête toute cordiale du P. André. Je recommande au S.-Cœur de Jésus ces chères maisons.

Je prêche la retraite aux petites Soeurs des Pauvres28). Quelle œuvre sympathique que celle de ces chères Petites Soeurs! Elles ont, je crois, déjà environ 350 maisons, 4.000 soeurs et 30.000 vieillards. Elles en ont déjà envoyé 300.000 au ciel. Quelle splendide manifestation de la charité chrétienne, mais aussi quelle condamnation de la société actuelle, qui a dissous la famille et qui ne sait plus soigner ses vieillards!

J'ai passé là quelques bonnes journées 43v à rappeler à ces saintes âmes l'esprit de sacrifice et l'union avec Dieu.

Je perds un véritable ami, M. Petit29) doyen du Nouvion. Nous étions liés depuis vingt ans. Il est un des premiers avec qui j'ai fondé dans le diocèse l'Association des Prêtres vivant en communauté (du ven. Holz­hauser). Il était curé de Buironfosse, puis doyen de Sains et enfin doyen du Nouvion. Nous nous visitions. Il était ami de ma famille. Transiit be­nefaciendo. Il a fait le bien partout. Il a secouru généreusement les pau­vres, visité assidûment les malades, converti les pécheurs, restauré ou rebâti les églises. C'était un apôtre, un homme simple, un homme de foi, un homme de Dieu. Il a suscité bien des vocations, il envoyait au sé­minaire des enfants de bonne volonté et il les aidait. Il était bon pour ses confrères. Combien il en a aidés et consolés 44r!

Il était pour moi un ami véritable, affectueux, dévoué. Il m'est resté fidèle dans les mauvais jours. Il m'a toujours consolé et encouragé. Sa mort m'a profondément impressionné. Mes parents et mes amis s'en vont. Mon tour va venir et je ne suis pas prêt. Aidez-moi, ô mon Dieu, pardonnez mes fautes. Rendez-moi la ferveur et l'union avec vous.

Je vais à Boulogne-sur-mer bénir le mariage d'un jeune parent (Ga­ston Née). Bien curieuse cette ville, quoique froide et triste en hiver. Ce castrum qui la couronne a des remparts du moyen-âge. Il y eut là une acropole romaine et sûrement aussi un fortin gaulois. L'église Notre­-Dame est dans un style rococo, mais elle a de la grandeur. Sa coupole est imposante, ses nefs élevées, ses colonnes sveltes. C'est d'un art ingé­nieux, sinon classique 44v.

La Madone primitive était du VIIe siècle. Elle était venue là, dit-on, par mer et par miracle, au temps de l'invasion de la Palestine par les Musulmans.

A l'angle du castrum est le château des Comtes de Boulogne. Il est sans intérêt artistique. C'est une construction de briques du temps de Henri IV. Là vécut la pieuse famille de Godefroy de Bouillon. C'est là que sa mère Ste Ida lui donna le jour. Le héros a été vénéré dans les siècles passés comme un saint. J'aimerais à voir l'Eglise reprendre sa cause de béatifica­tion. Boulogne avait reçu au temps des croisades une relique du précieux sang, il en reste quelques débris dans une jolie chapelle ogivale.

Le vent a soufflé en tempête depuis trois jours. Les pêcheurs ont été bien éprouvés. Trois hommes 45r ont été élingués (jetés par le vent par-dessus bord). Le quartier des pêcheurs est en deuil. Un cadavre a été retrouvé à la côte. Comme j'allais voir l'église St-Pierre, on faisait l'en­terrement de ce pauvre naufragé. Des marins de l'Etat et des matelots de la pêche étaient là d'un côté. Des femmes de marins de l'autre, avec leur bonnets en éventail comme des auréoles. Tout ce monde était profondé­ment ému. Les victimes laissent des orphelins. Les hommes seuls con­duisent le défunt au cimetière; c'est, paraît-il l'usage du pays.

Paris. Je vais cette année chaque mois a Paris, le 2e mercredi du mois, pour une réunion d'Etudes sociales. Nous étudions la question fonda­mentale de l'usure, sa base (une injustice dans l'échange) et ses manife­stations modernes 45v.

J'ai ainsi l'occasion d'aller voir nos chers élèves d'Issy et de St­-Sulpice. Ils sont réunis le mercredi à Issy. Ils sont quinze cette année et grâce à Dieu ils sont en bonne voie pour leurs études et leur formation sacerdotale. Que de ressources offre Paris pour les études!

J'ai voulu revoir dans mes voyages de novembre et de décembre les musées de St-Germain, de Versailles, du Louvre; je reverrai le musée du Luxembourg. Je poursuis deux études sur l'époque préhistorique et sur les rapports de l'art et de la morale. Je note cela sur des cahiers spéciaux.

Je prêche une petite retraite paroissiale à l'occasion de l'Adoration perpétuelle à Marchovelette près Namur (Belgique). C'est encore là un pays privilégié où tout le monde est catholique. Cinq ou six person­nes 46r seulement échappent aux pâques. Tout le monde communie aux grandes fêtes. On ne connaît pas le travail du dimanche. Garçons et filles ont quatre années de catéchisme de persévérance. Tout le monde a une conscience éclairée et se confesse avec soin suivant l'ordre des com­mandements. Les familles sont nombreuses et bénies. Il y a une modeste aisance et la paix sociale. Il n'y a pas de pauvres. Des faits de ce genre sont la meilleure apologie de la foi chrétienne.

Pendant tout ce mois, des jésuites prêchent la mission à St-Quentin. Le P. Hoppenot est éloquent, le P. Lacour a une science étendue. La mission est très suivie. Les églises sont remplies. L'impression générale est bonne. On parle de 1800 conversions. Les patrons s'abstien­nent 46v.

Les missions sont nécessaires, mais elles ne suffisent pas. Elles sè­ment, mais l'ennemi vient après et sème l'ivraie et les mauvaises herbes reprennent le dessus. Il faut des œuvres, des journaux catholiques et des associations.

Cette année se termine avec beaucoup d'épreuves intimes. Je m'effor­ce de les accepter généreusement, en union avec N.-S., malgré les révol­tes de la nature. J'ai tant à expier! Pénitence et action de grâces, ce sont les sentiments qui conviennent à la fin d'une année.

Merci mon Dieu, pour les grâces que vous m'avez données cette an­née et particulièrement pour votre patience à me supporter. Patience pour toutes mes fautes.

47r Nouvel an

Je vous consacre cette année, ô mon Sauveur. Je l'offre à votre divin Cœur. Je voudrais vous servir tous les jours avec un ardent amour et vous faire oublier toute ma tiédeur passée. Très Sainte Vierge Marie, St. Joseph, St. Jean, St. Léon, St. Augustin, St. François, mes saints pa­trons et mon bon Ange, aidez-moi, intercédez pour moi.

Paris - Réunion des Cercles - Visite à Issy.

C'est l'hiver, l'Assistance publique a fondé l'œuvre des soupes popu­laires. Il y a 30 maisons qui donnent un millier de soupes par jour à des malheureux qui sont sans ouvrage. Trente mille pauvres secourus, c'est bien, mais cela se fait administrativement et sans charité. On faisait cela à la porte des couvents avant 47v la Révolution. Les bons Frères con­naissaient leurs pauvres et leur donnaient un bon conseil avec l'aumône matérielle. Il a fallu un siècle pour relever l'œuvre et la faire sans en­trailles. - Les catholiques donnent le pain de St. Antoine à Montmartre et à 5 ou 6 autres centres. On donne aussi la soupe à la chapelle de Plai­sance. - Les distributions de soupe de la Ville rappellent les temps de la décadence romaine. Il y a là bien des paresseux qui ne cherchent pas de travail. Ils ne demandent que la soupe et la flânerie «panem et «circenses» …

J'ai voulu voir la salle de lecture populaire à la Bibliothèque nationa­le. C'est une bonne œuvre en soi et on en profite. La vaste salle est rem­plie de lecteurs. Ce sont surtout des jeunes gens et sans doute des em­ployés sans 48r travail. L'organisation est bonne. Les catalogues sont à la portée de tous. Malheureusement on écrit aujourd'hui tant de livres corrupteurs!

Chef-Boutonne. je prêche la retraite à nos écoliers. Il y a là de bons jeunes gens. Ce sont des natures calmes, un peu flegmatiques. Cette pe­tite œuvre vivra-t-elle? Les ressources y sont bien restreintes.

Je devais aller ensuite présider un congrès d'Etudes sociales à La Cha­pelle St-Laurent, j'avais de beaux projets, j'aurais visité des amis à An­gers et à Saumur. L'homme propose et Dieu dispose. Une dépêche me rappelle à St-Quentin où ma nièce est très gravement malade.

Ma nièce est retournée à Dieu, à 27 ans! Tous les miens sont dans la plus grande désolation. C'était une âme chrétienne 48v et naturelle­ment bonne. Elle n'avait que des amis. Elle avait pris part à la mission avec ferveur. Elle était de toutes les œuvres. Son cœur la portait vers les Petites Soeurs des Pauvres, les Soeurs de Charité et nos Soeurs. C'étaient là ses relations préférées. N.-S. lui fera grâce. Un grand con­cours d'amis assiste aux funérailles à St-Quentin et à La Capelle. Nous la déposons dans le caveau de mon père. C'est là dans ces deux cimetiè­res du Nouvion et de La Capelle que s'accumulent peu à peu tous les membres de ma famille. Les survivants se font rares. Puissions-nous nous retrouver tous auprès de Dieu!

Difficultés à St Jean, attaques d'un journal socialiste contre l'œuvre de St-Martin. Ce sont des journées d'angoisses. La croix est bonne parce qu'elle expie et purifie 49r.

Réunion d'études sociales à Paris. je lis quelques articles de M. de Vogué30) et je note certaines réflexions fort judicieuses:

«Deux mots résument cette année: l'esprit nouveau, ou le besoin senti de tolérance et de liberté.

La banqueroute de la science, c'est-à-dire la banqueroute du positivisme et du déterminisme, qui ont échoué dans leur assaut contre la conscience et la liberté.

«Les masses du peuple soulevées à la fois par l'ambition du pouvoir, par la haine aveugle de la religion et par les appétits de la convoitise peu­vent produire un bouleversement auprès duquel celui de 93 ne serait qu'un jeu d'enfants.

«Si Dieu n'est pas le maître, il n'y a plus aucune garantie contre la ty­rannie. Ce sera celle d'un homme ou d'une 49v majorité. Ce sera le caprice ou la passion qui fera loi».

«Leur victoire, les Allemands l'ont achetée et obtenue de Dieu par un siècle de patience, d'abnégation et de vertus civiques».

«La montagne Ste Geneviève est comme un Sinaï(???) où furent éla­borées quelques unes des plus belles lois de l'esprit humain». «L'incendie de Paris, de Vigny31) l'avait prédit: «Paris dont on ne peut abaisser l'orgueil, dont la vanité se soutient toujours, malgré tant de choses qui la devraient déprimer, quand te verrai-je renversée? Cf. Bossuet, «Sermon sur le jour des Morts».

Dans ces divers voyages, je revois Paris et je l'étudie. Je revois les égli­ses, les musées, je recherche les anciens monastères, les anciens hôtels. Je note mes 50r impressions sur un cahier spécial. Toutes ces études me servent à l'occasion dans mon apostolat par le livre ou par la parole. J'y trouve bien des éléments pour l'apologétique chrétienne. J'y trouve­rai sans doute un jour la source d'une série de lettres pour la Revue.

Visite au Val. Projets de congrès. Les épreuves intimes ne manquent pas, lettres anonymes, calomnies, etc. Les souffrances sont une purifica­tion nécessaire et une expiation toujours méritée par quelques fautes.

Je veux apprécier un peu cet hiver la littérature contemporaine. Je parcours ce qu'on est convenu d'appeler les principaux romans du siè­cle. Etrange littérature en général et pauvre siècle! 50v je note mes impressions relatives à ces lectures sur un cahier spécial32).

Je prêche le carême à La Fère pendant trois semaines. Cent dames suivent la retraite de la paroisse et cinquante jeunes filles celle du pen­sionnat de la Charité. Quelques officiers, quelques messieurs assistent aux conférences que je donne à la paroisse, mais la masse des habitants est bien indifférente. Pauvre France! Comment la relever?

Nos enfants de Fayet représentent la Passion avec succès. J'ai une trentaine de retours au confessionnal.

Je recherche les pieux souvenirs de La Fère. L'église possède les reli­ques de St. Montain, le pieux ermite du Ve siècle, qui a prédit la nais­sance et la mission 51r de St. Remy.

Une pieuse princesse de Luxembourg a là son tombeau. Elle vivait au commencement du XVIe siècle. Elle a bien réparé l'odieuse trahison commise par sa famille envers Jeanne d'Arc. Elle a couvert le pays de ses fondations. Elle a fait restaurer et agrandir l'église de La Fère et plu­sieurs églises des environs.

Une curieuse fondation est celle de l'hôpital. Elle a été commencée par Mazarin et confirmée par Louis XIV en 1705. On y recueillait tous les mendiants et on les faisait travailler. Les ouvriers qui les dirigeaient acquéraient la maîtrise après cinq ans. C'est un curieux exemple d'assi­stance par le travail.

La Fère a son petit musée de 51V peinture. Il y a de pieuses Mado­nes de Francesco Lippi et de Francia, un curieux ensevelissement du Christ de Wohlgemuth, peintre de Nuremberg, avec des costumes alle­mands du XVe siècle, un St. Jérôme de Vien, qui est une étude académique sans expression.

Office solennel pour l'ouverture du jubilé. L'évêque de Soissons pon­tifie. On chante la messe de Gounod. Les dignitaires du clergé de Sois­sons ont été invités. Il y a foule dans la nef.

En soi tout cela est bien. Il y a même là quelques invités de l'Institut de France: M. de Barhtélemy, M. Delaborde, M. Wallon, M. de Mas Latrie, M. Sénart, M. Marius Sepet, M. Schlumberger (protestant).

Mais je songeais moins à ce que je voyais qu'à ce que j'aurais voulu 52r voir. En ce centenaire du baptême des Francs, où est la France officielle? Où est le parlement? Où est l'armée?

Cet office est beau. Les offices dans les catacombes étaient beaux aus­si. Il y avait une belle assistance. Mais la Rome officielle n'y était pas. Le Christ ne régnait pas. Aujourd'hui, hélas! après quatorze siècles de christianisme, le Christ ne règne plus en France. Ce sont ses ennemis qui règnent. Que Dieu veuille nous le pardonner sans que l'expiation soit trop sévère!

Le révérendissime Père abbé de Maredsous, don de Hemptine me mande à Maredsous pour m'entretenir des missions du Brésil.

Je passe là une journée avec le 52v plus vif intérêt. Don de Hempti­ne est de grande famille. Il est abbé général de l'Ordre. Lui et son ab­baye sont en Belgique les soutiens du parti de la réaction en économie so­ciale.

L'abbaye est bien située sur une colline boisée près d'un vallon pitto­resque. La famille Desclée qui a son château dans le voisinage a beau­coup contribué à cette fondation.

La construction est dans le beau style du XVe siècle. Le plan est du baron de Béthune, le rénovateur de l'art du moyen-âge en Belgique. Les frères convers travaillent eux-mêmes à la décoration de la chapelle.

Cette maison est un bel essai de retour à la grande vie monastique. On s'y croirait au XVIIe siècle. L'abbaye est riche. Ses cloîtres ont 53r un cachet de splendeur. La bibliothèque est bien fournie de livres de fond. Il y a toutes les grandes collections historiques, Pertz, les Bollandistes, etc.

A l'abbaye est annexé un collège aristocratique, meublé avec le plus grand confortable.

Les offices sont chantés avec une grande perfection dans le chant gré­gorien restauré.

L'abbaye avec les novices et les frères compte bien une centaine de membres, aussi les repas au grand réfectoire ont quelque chose de saisis­sant. Ces cent moines blancs faisant au Benedicite leurs profondes incli­naisons sont comme un bataillon du Bon Dieu qui accomplit ses pieux exercices.

Voilà donc cette grande vie 53v monacale, telle qu'elle existait en toutes nos abbayes au XVIIe siècle, avant que Louis XIV, par l'institu­tion des commendes et par la corruption de la noblesse et du clergé à la cour n'ait porté un coup mortel à l'ancienne société chrétienne.

A 1 kilomètre de Maredsous commence à s'élever une abbaye de bé­nédictines. Ce groupe formera comme une oasis du moyen-âge dans la société moderne.

Après Maredsous, je vais visiter Seraing et Liège. Ce qui m'attire à Seraing, c'est l'aumônerie du travail.

Quel contraste! Après une vision du moyen-âge à Maredsous, je trou­ve ici l'organisation démocratique du XIXe siècle 54r finissant. Les aumôniers du travail ont crée là une hôtellerie populaire avec ses anne­xes, cercle, restaurant, coopérative. Une chapelle sanctifie le tout. L'hô­tellerie est confortable et la vie n'y coûte pas plus de 1 f., 25 par jour. Se­raing a des milliers d'ouvriers. Beaucoup viennent des campagnes et sé­journent là du lundi au samedi. Ceux qui ont bonne volonté trouveront là au moins une maison de famille saine, agréable et chrétienne. C'est là une belle œuvre qui va se reproduire dans tous les centres industriels.

J'allai de là visiter le chanoine Pottier33) à Liège, dont je partage en grande partie les idées démocratiques. Il me conta ses difficultés, son dis­sentiment avec son évêque au sujet de la coopérative, dont il est le prési­dent. Je ne pus pas l'approuver 54v de garder la présidence d'une so­ciété commerciale. C'est certainement contraire à l'esprit et à la législa­tion de l'Eglise.

Réunion d'études sociales. Nous essayons de nous mettre d'accord sur le principe de l'usure. C'est en principe le fruit que l'on retire de l'argent comme tel, en dehors du travail et du commerce.

L'usure moderne se prend dans un sens plus large: c'est toute exploi­tation de la bonne foi, de la simplicité ou de la gêne du prochain pour lui extorquer quelque chose de son avoir.

Dans les relations de travail e de commerce, l'usure est la recherche d'un produit supérieur à la valeur de ce qu'on fournit. L'évaluation de l'usure suppose 55r donc celle de la valeur des choses et c'est là un des points les plus délicats de l'économie politique.

L'école marxiste ne voit qu'un élément de la valeur des choses, le tra­vail, et surtout le travail manuel, c'est trop peu. Il faut tenir compte, pour être complet, de la cause matérielle de l'objet à évaluer, de sa cause efficiente, de sa cause formelle et de sa cause finale. Nous aurons ainsi tous les éléments de la valeur suivant la grande division scolastique.

La matière d'un objet a bien sa valeur. On l'acquiert par l'occupa­tion, par l'extraction, par la culture. Sa valeur surpasse le travail qui la met à notre disposition et c'est là ce qui stimule le travail. Le chercheur d'or, comme le cultivateur, comme le pêcheur en mer 55v travaillent pour avoir en main une matière qui par son utilité et sa rareté donneront une valeur rémunératoire.

La valeur de la matière se mesure par son utilité et sa rareté, mais il y faut tenir compte aussi du travail humain d'extraction et d'occupation qui mérite son salaire.

La cause efficiente comprend le travail manuel, mais aussi le travail de direction. Il y faut ajouter les auxiliaires et instruments: le capital­-argent, quand il a un titre à l'intérêt, le capital-outils, qui a droit à l'en­tretien et à l'amortissement, les intermédiaires du transport et du com­merce qui ont droit à leur rémunération.

Ici se présent la question du capital-actions qui nous parait 56r réclamer souvent plus que sa part dans la valeur du produit. Il de­mande un intérêt à titre de capital-argent et un dividende à titre d'admi­nistrateur plus ou moins responsable. Mais l'actionnaire remplit-il son devoir d'administrateur? Souvent il n'en a nul souci. Parfois il prend part aux assemblées qui contrôlent l'administration et nomme les direc­teurs. Y a-t-il là un fondement suffisant pour que l'actionnaire ait de gros dividendes quand le travailleur a de maigres salaires? C'est une question très complexe, mais pleine d'intérêt.

La cause formelle de l'objet à évaluer comprend la quantité, la quali­té, la finesse du produit, et si l'on veut sa présence ici ou là. Dans ce cas, le commerce rentrerait dans la cause formelle plus que 56v dans la cause efficiente.

La cause finale est le but du produit: loger, nourrir, vêtir les membres de la société, etc.

Il y a là aussi un élément humain. La valeur doit être contrôlée par les besoins sociaux, notamment pour les objets de première nécessité. Qui sera l'appréciateur de tous ces éléments de la valeur? Ils sont si complexes! L'appréciateur ne peut être en général que l'estimation com­mune formée par l'opinion des gens honnêtes et loyaux, des gens compé­tents qui connaissent suffisamment les éléments divers de la valeur. Cependant, quand il y a un intérêt social majeur, comme pour le prix des denrées, l'élément social, la commune peut intervenir pour détermi­ner la valeur dans son expression 57r qui est le prix.

Les corps d'état interviennent utilement pour sauvegarder la rémuné­ration du travail.

La valeur s'exprime commodément par l'instrument d'échange qui est communément la monnaie, mais qui pourrait être tel autre objet con­venu, comme une journée de travail, un sac de blé, etc.

Ces quelques notions résument nos études sociales de cet hiver. Une promenade à Paris me conduisit à l'église St-Jean-St-François. On y célébrait la cérémonie commémorative du sacrilège et du miracle de l'année 1290 (16 avril)34). Après un triduum d'adoration, un évêque célébrait les offices. C'est bien émouvant de voir ces pieux fidèles répa­rer encore annuellement le sacrilège de 1290 57v. C'est près de là, rue des Billettes que fut commis le sacrilège par un juif qui poignarda, fouet­ta et jeta au feu l'Hostie achetée d'une pauvre femme. L'Hostie du mi­racle en 1290 fut portée à l'église St Jean, paroisse de l'Hotel de ville. Puis on érigea le sanctuaire des Billettes sur l'emplacement de la maison du juif. La Révolution a détruit l'Hostie du miracle et donné le sanctuai­re des Billettes aux protestants. L'église St-Jean-St-François, ancienne église franciscaine a repris la fête annuelle. Elle a des tapisseries ancien­nes qui rappellent les scènes de la profanation et du miracle. C'est là pour les Parisiens une tradition qui mériterait plus de créance et plus de reconnaissance 58r.

Prédications pour la 1er communion à La Fère. Tout se passe correcte­ment, mais quelle sera la persévérance? Il n'y a plus dans les familles une éducation foncièrement chrétienne, et les catéchismes sont insuffi­sants pour tremper ces jeunes âmes…

Congrès des Cercles d'études d'ouvriers. C'est l'enfance de la démo­cratie chrétienne. Ces hommes ont bonne volonté, mais il leur a manqué ce qui peut former une démocratie éclairée, l'école primaire et profes­sionnelle chrétienne et la vie corporative. Il est bon néanmoins de grou­per et de cultiver ces âmes loyales: puisque nous avançons chaque jour vers la démocratie, il faut y mettre le sel chrétien.

Congrès des Cercles. Peu de monde, mais une élite. L'état-major des Cercles est toujours là: M. de Mun 58v. M. de La Tour du Pin, le P. du Lac, l'amiral Mathieu, MM. de Villechaise, de Marolles, de Bon­vouloir. Les divisions politiques ont tué cette œuvre. Elle va continuer à faire un peu de bien, elle ne peut plus enthousiasmer et conquérir la na­tion: elle n'a plus d'unité.

A ce voyage comme aux autres je visite quelque chose de Paris, je le note sur un cahier spécial. J'ai vu aussi cette fois le salon des beaux-arts. Bien des toiles méritent un moment d'attention: trois exposants seule­ment me laisseront un souvenir. C'est au premier rang Dagnan-­Bouveret. Sa Cène se voit encore volontiers après celles de Vinci, de Fra Angelico, de Raphaël, de Véronèse et de Flandrin. Il a choisi le moment où le Christ élève la coupe, et dit: «Ceci 59r est mon sang». Le Sau­veur a la main gauche appuyée sur le pain de vie et lève les yeux au ciel dans un regard ineffable. Il est debout, vêtu de blanc, une lumière douce et puissante l'enveloppe et projette ses rayons sur les apôtres. St. Jean accoudé regarde pieusement le divin Maître. St. Pierre se tient pensif, les yeux baissés. Judas est debout, effrayé par la lumière qui sort du Christ. Les apôtres sont des travailleurs ou type varié et réaliste. Tout l'agencement du tableau est bon, il parle à l'âme.

Puvis de Chavannes a exposé de grands panneaux allégoriques desti­nés à la bibliothèque de Boston: l'histoire, la poésie, le drame, l'astrono­mie. C'est correct mais aussi froid de coloris que d'expression. C'est de l'Ingres délayé dans l'eau claire 59v.

Enfin un petit tableau très caractéristique attire tous les regards, c'est la Poussée, de Jean Béraud. Il représente l'histoire de demain sous l'aspect d'un riche festin troublé par une invasion socialiste. Dans une salle à manger somptueuse et richement tendue se dresse une table char­gée de fleurs, de vins fins et de mets exquis. Des gens du monde et du demi-monde sont à table. Trois ou quatre énergumènes, le fer en main, l'un d'eux portant une tête sur une pique, entr'ouvrent la porte. Des femmes décolletées s'enfuient effrayées, des hommes lâches les suivent ou tombent à demi-morts de peur sur la nappe. Un seul, un jeune élé­gant est resté debout et soutient d'une main une jeune femme évanouie, tandis que de l'autre il tend 60r ironiquement une coupe de champa­gne aux bêtes fauves qui viennent d'envahir l'hôtel et y ont mis le feu. La scène est bien rendue, le coloris est vif. On pourra voir cela demain si la société française ne revient pas à la religion.

Congrès des propriétaires chrétiens. Mgr Jude de Kernaeret préside avec le P. Leclère. Je fais un rapport sur le malaise social et ses remèdes. Le milieu me parait bien réactionnaire. C'est une bonne petite œuvre qui a peu de vie et pas d'avenir.

Une bonne vieille qui m'a été bien dévouée pendant vingt ans s'éteint aujourd'hui. C'est Mme Guillaume Irland35), mon ancienne concierge. Elle a beaucoup prié avec une grande foi. Je lui suis gré de son long et complet dévouement 60v. Elle a toujours demandé à Dieu que je sois là pour l'assister à ses derniers moments, elle l'a obtenu.

Je vais à Sittard et de là en pèlerinage à Kevelaer et à Xanten. Le pè­lerinage de Kevelaer date de 1647. Une toute petite image représentant la Vierge de Luxembourg en est l'objet. Elle est honorée dans un petit temple octogone du XVIIe siècle au milieu d'une vaste place. Une église ogivale vient d'être élevée à côté du petit temple. On y a joint des cloîtres et une salle pour les confessions, et le tout est richement décoré à fré­sques dans le goût du XVe siècle allemand par un peintre du nom de Stumel.

Une vaste maison hospitalière 61r, dirigée par des chapelains reçoit les prêtres. J'y loge. On n'y parle guère que l'allemand. Dans les cham­bres je trouve cette inscription:

O sacerdos

Quis es tu?

Non es a te, quia de nihilo.

Non es ad te, quia mediator ad Deum.

Non es tibi, quia sponsus Ecclesiae.

Non es tut, quia servus omnium.

Non es tu, quia Deus es.

Quid ergo es?

Nihil et omnia.

O sacerdos!

Il y a là le thème d'une bonne retraite.

Xanten, l'ancienne Colonia Ulpia a encore ses tours romaines. Elle a une superbe église des XIIIe et XIVe siècle, une des plus belles de l'Alle­magne du Nord, et quelle richesse de reliques! 61v. Il y a là le corps de St. Victor dans un superbe reliquaire, le corps de St. Géreon et ceux d'un grand nombre de soldats de la légion thébaine. Je m'arrache à re­gret à ce sanctuaire si impressionnant. Ses rétables d'autels, peints ou sculptés, ses stalles, ses grilles, son grand porche latéral, tout a un cachet qu'on ne retrouve plus que dans quelques vieilles villes allemandes.

Négociations pénibles avec l'évêché. Mgr36) voudrait mettre M. Mercier37) à la tête de St Jean. J'insiste pour garder la maison entre nos mains. Je n'ai gain de cause qu'en passant par bien des humiliations et des peines.

J'allai visiter à Tours une bonne famille, les Camus.

J'aime à Tours ses vieux souvenirs. Le fondateur de son église , St. Gatien, parait bien avoir été un disciple 62r des apôtres au 1er siècle. La cathédrale lui est dédiée. Elle a possédé ses reliques jusqu'aux temps du protestantisme. Mais le charme de Tours, c'est ce qui reste de son vieux monastère de Marmoutier; ce sont là les Lieux-Saints de Tours.

St. Gatien se retirait là dans les grottes sur lesquelles on a élevé plus tard un donjon carré. C'est là que le saint apôtre de la Touraine célé­brait les saints mystères en présence des premiers convertis.

Là aussi a demeuré St. Martin. Il se retirait là dans ces 62v grottes sacrées, au lieu que la tradition appelle encore le repos de St. Martin (lectus S. Martini). C'est là que le grand Saint s'entretenait avec la Ste Vierge, avec Ste Agnès et Ste Thècle. C'est là qu'il concevait ses grands desseins 62v pour l'évangélisation de la France.

Que de grands souvenirs encore dans ce saint lieu! St. Grégoire de Tours, St. Léobard y ont vécu. Sulpice Sévère aussi. St. Yrieix, abbé d'Atane en Limousin y venait souvent. Les Sept dormants, disciples de St. Martin sont morts là le même jour. Que de générations ont passé là et y ont reçu des grâces sans nombre! Et nous sommes aujourd'hui si in­différents à ces grands souvenirs!

Je revis à Tours le bureau de mon ami Palustre. Il y a encore là tout le mobilier artistique de notre cabinet d'études à Paris avec nos souve­nirs de voyage. Cela me rappelle de bonnes années, où la Providence m'a été bien clémente.

Je passe quelques heures à Nevers 63r. Les guides signalent bien sa belle cathédrale du XIIIe siècle et sa vieille église abbatiale du XIe siècle dédiée à St. Etienne.

Les pèlerins doivent y voir aussi le tombeau de Bernadette dans le jar­din des Soeurs de Ste-Gildas, et au monastère de la Visitation le cœur de Ste Chantal et un fragment du cœur de St. François de Sales qui est re­sté attaché aux doigts de la sainte en signe d'union de ces deux saints.

J'obtiens cette fois à Paray un privilège bien précieux. Avec la permis­sion du cardinal Perraud38), je puis pénétrer dans le jardin de la Visita­tion et aller m'agenouiller au mystérieux bosquet de noisetiers, à l'esca­lier des anges, au premier sanctuaire du S.-Cœur. On éprouve 63v là quelque chose des impressions de la Terre Sainte. Il y a là comme une présence mystique de N.-S. J'y ai mieux compris la dévotion eucharisti­que de Marguerite-Marie.

Au bosquet des noisetiers, elle s'approchait de l'église paroissiale et se tournait vers le Christ du Tabernacle. A l'escalier ou à la cour des anges, elle s'approchait autant qu'elle pouvait du sanctuaire de la chapelle et les anges du tabernacle lui chantaient les douceurs de l'amour envers l'eu­charistie.

Je m'arrêtai au retour à Melun où l'on me proposait une œuvre à re­prendre. Melun a une belle église du XIVe siècle, Saint-Aspais, tout le centre de la France a de ces monuments des âges de foi. Que serait-ce si nous n'avions pas eu les destructions de la Révolution? Nos 64r provinces seraient par leur richesses artistiques, le vestibule du ciel.

J'ai l'occasion de visiter Albert, au diocèse d'Amiens. Le pèlerinage de N.-D. de Brebières à Albert a eu sa large part du réveil des pèlerina­ges auquel nous assistons depuis 25 ans. Un curé pieux et intelligent a su recueillir des millions pour la gloire de la Madone. Une grande église s'est élevée. Elle est sans style à l'extérieur, mais l'intérieur a épuisé tou­tes les ressources de l'art décoratif moderne. La mosaïque, le marbre, le bronze, la peinture alternent aux divers autels. C'est vraiment une syn­thèse de l'art contemporain.

Je désirais depuis longtemps aller prier au pays d'où est sortie ma fa­mille, j'en ai saisi l'occasion.

Hon est près de Bavay. C'est 64v de là qu'est venue la famille De­hon ou de Hon. Je passai d'abord à Bavay, la vieille cité nervienne d'où rayonnaient tant de voies romaines. Le supérieur du collège de Bavay me conduisit à Hon et à Taisnières-sur-Hon.

La commune de Hon avait déjà sa notoriété au temps des carlovingiens. Son château et ses domaines appartenaient à Lothaire II, roi de Lotharin­gie, qui y entretenait Valdrade, sa femme adultère. Il eut de cette femme un fils, Hugues qui devint abbé de Lobbes en 880. Lothaire fonda à Hon un autel dépendant de l'abbaye de Lobbes. Plusieurs papes, Eugène III, Adrien IV, Lucius III et Célestin III ratifièrent cette fondation.

Hon continua à avoir ses petits seigneurs qui sont souvent mentionnés dans les documents du moyen-âge sous 65r les noms de Huoi (dans un titre de l'abbaye de Lobbes, publié par Mirans, t. 2 p. 1170) en 1150; Hum en 1185 (Id° t. 3 p. 743); Hon Sancti Petri en 1186 (Annales du Haynaut), etc.

Quelques noms de seigneurs de Hon antérieurs à 1150 sont cités par Duvivier, (le Hainaut ancien, chez Olivier, éditeur à Bruxelles, 1866). Les seigneurs de Hon sont devenus de modestes propriétaires et se sont dispersés. C'est la souche de notre famille. Il reste des Dehon dans la ré­gion de Bavay, qui sont de simples laboureurs ou marchands. Il y en a de plus aisés à Valenciennes et à Bruxelles.

Je désirais prier là depuis longtemps. Nos aïeux ne sont-ils pas des amis et des intercesseurs auprès de Dieu?

L'évêché prend une décision pénible pour moi. Il confie le patronage St Joseph à M. Mercier. Il y avait 25 ans que j'avais fondé cette œuvre. J'y avais mis des sommes importantes. Je m'y étais dépensé avec toute l'ardeur de mon sacerdoce encore jeune. Il me semblait que cette œuvre devait toujours rester entre les mains de notre congrégation. L'autorité diocésaine en décide autrement. Fiat! Sic vos non vobis…

Nous donnons les prix à St-Jean. M. Harmel préside, le P. Delloue39) lit le discours. J'annonce en public sa prise de possession de la maison. La nouvelle est bien accueillie. Deo gratias! Cette œuvre aussi avait failli nous échapper.

Nous tenons à Benoîte-Vaux une 66r réunion de prêtres encoura­gée par Mgr l'évêque de Verdun40) et présidée le matin par moi, et le soir par l'évêque nommé de Cahors41). Il y a là un clergé zélé et plein de bon­ne volonté. Là aussi la foi baisse et il y a quelque chose à faire. On va s'y mettre et on commencera par quelques caisses. rurales et syndicats.

J'aime cette solitude de Benoîte-Vaux. On prie bien là. C'est un nid de conversions comme la Ste Vierge sait en choisir.

A cette occasion, je vais jusqu'à Biding, visiter les œuvres étonnantes de la Soeur Catherine Filljung42). Elle a là un orphelinat modèle. Quel dommage qu'une direction maladroite ait mis cette pieuse fille en désac­cord avec son évêque! 66v.

Réunion de jeunes abbés. Là encore nous faisons de bonne besogne en encourageant ces jeunes clercs à étudier la science sociale et à suivre les directions imprimées par Léon XIII.

Le progrès est lent. Léon XIII se heurte à des résistances étonnantes. Mais l'avenir est assuré parce que ces jeunes abbés, intelligents et con­vaincus, ne se laisseront plus détourner de la bonne voie.

Beau congrès du Tiers-Ordre à Reims au palais archiépiscopal. Excel­lente organisation. Il y a cependant trop de lectures de rapports. Les Pè­res des diverses branches se mettent aux questions sociales, les jeunes surtout. Quelques-uns sont encore bien réfractaires. Le P. Jules du S.-Cœur est admirable d'entrain et de dévouement. Le P. Ferdinand possède d'une manière bien 67r exceptionnelle la question de l'usure et du crédit. Nous avons le soir dans les églises de belles cérémonies po­pulaires. Le P. Pascal expose l'organisation du Tiers-Ordre à Roubaix. C'est une fraternité modèle. En la copiant, on peut rendre au Tiers­-Ordre une puissante action sociale.

Ces congrès répétés à Reims me laissaient quelques loisirs. Je revoyais Reims, sa cathédrale, sa basilique de St-Remy, son musée.

St-Remy, c'est l'apogée du développement monastique. C'est la gran­de et austère église monacale, simple, peu ornée, imposante, faite pour un grand choeur de moines et pour une nombreuse assistance populaire. St-Remy nous révèle l'esprit de Cluny et de Citeaux, l'esprit de la gran­de réforme monastique 67v.

La cathédrale, c'est l'apogée de l'art chrétien, c'est l'épopée chrétienne écrite en pages de pierre, de vitraux et de tapisseries. L'Ancien et le Nou­veau Testament sont là sculptés et peints par les vieux imagiers, avec des pages spéciales pour les saints de Reims. La cathédrale, c'est le corps du Christ en croix, étendu sur le sol et tout fleuri en son mausolée comme les momies royales de l'Egypte. Les trois portes de l'Ouest forment avec cel­les du Nord et du midi comme les cinq plaies du crucifié, et ainsi en entrant par la porte majeure les fidèles entrent dans le Cœur du Ré­dempteur. Il manque les flèches, semblables aux clous de la Passion. La cathédrale de Reims n'est pas comme celle de Paris une église 68r morte; on y prie encore, la Vierge Marie y fait encore sentir sa présence, mais pourquoi faut-il que l'autel de la Sainte Vierge y ait été restauré avec si peu de goût!

Le musée mérite une visite. Il a une belle mosaïque chrétienne du IVe siècle représentant le sacrifice d'Abraham. Il a aussi de curieuses toiles peintes imitant les tapisseries, faites au XVe siècle, avec quelques teintes seulement et représentant l'Ancien Testament. Ces toiles ornaient les salles de l'Hôtel-Dieu.

Dans les salles de peintures, j'ai surtout remarqué quelques primitifs allemands, Cranach, Holbein et Amberger: portraits des princes de Sa­xe et de Brunswick - et les modernes français: Fromentin, Frère, scènes algériennes; Corot, Courbet, Daubigny, Girardet, Ziem, paysa­ges 68v; Couturier, intérieur; Gustave Doré, paysage alpestre.

Au musée d'Anvers, les artistes du moyen-âge sont représentés com­me des hommes austères et mystiques, les artistes de la Renaissance comme des gais vivants, comment représenterait-on les modernes! Com­me des bohèmes, quelques-uns, les autres comme des raffinés, des déli­cats. Tout bien pesé, j'aime encore mieux Fra Angelico.

Du 25 au 27 août, c'est le beau congrès ecclésiastique, préparé par M. Lemire et habilement présidé par Mgr Péchenard43). Il y a là 500 prêtres zélés, ardents. On peut étudier là la psychologie du bon prêtre fran­çais, généreux, actif, dévoué. Le programme est immense. Il comprend l'action, l'étude 69r, l'organisation. M. Lemire résume un grand nom­bre de rapports. Beaucoup d'idées heureuses sont émises. Au banquet de clôture, c'est un enthousiasme délirant.

Le programme était trop chargé, on n'a pu qu'effleurer les questions. Ce pauvre congrès si sage, si prudent, si bien conduit, a été fort conte­sté. On a parlé de presbytérianisme, de synode sans évêque, etc. Beau­coup de bruit pour rien. Dès lors que l'archevêque de Reims44) accueillait le pèlerinage des prêtres et lui permettait de causer un peu d'œuvres et d'études, tout n'était-il pas en règle?

Nous tenons le chapitre triennal de la congrégation à la maison du S.-Cœur. J'y éprouve une peine profonde. Un Père a entendu des calom­nies, il y croit, il 69v les propage, il trouble le chapitre. Cependant tout se passe bien finalement. Nous révisons nos règles et nous prenons bien des décisions utiles.

C'est notre retraite annuelle prêchée par un bon Père jésuite. je fais les conférences de l'après-midi sur l'esprit de l'œuvre. Nous terminons par une belle cérémonie de profession.

Belles réunions à la rue François 1er. Entrain apostolique. Agapes fra­ternelles. Je parle sur les œuvres sociales. L'œuvre de la Croix grandit. La Croix quotidienne tire à 130.000, celle du dimanche à 400.000. Le Pèlerin tire à 64.000, les Croix de province ensemble à 500.000.

Je passe voir ma famille et je vais faire une bonne petite retrai­te 70r à Chimai, pour compléter celle que j'ai faite avec la commu­nauté. je renouvelle mes bonnes résolutions.

Après la retraite je revois Chimai, Dinant, Namur, Maredsous. L'église de Chimai m'intéresse. Elle est pieuse. Elle date des XVe et XVIe siècles. Elle a ses reliques de Ste Monégonde, son monument de Froissard, ses tombeaux des princes de Chimai, alliés aux grandes mai­sons de La Mark, des Montmorency, des ducs de Bavière. Le castel a un bon aspect du côté du parc, il est bien campé sur son rocher. Mais quel dommage que ces grandes familles donnent le mauvais exemple! Le prince de Chimai, le prince de Beauchamps et le comte de Virelles ont des procès en séparation ou en divorce, au grand scandale de la contrée 70v.

Je passe quelques jours à Sittard et à Bruxelles. je fais la visite de ces deux maisons. Ce sont pour moi des jours d'étude et de repos. A Sittard je visite le P. Lehmkuhl45) à Exaeten. Quelle maison favorable pour l'étude! Quelle riche bibliothèque! A Bruxelles je rends visite à nos nou­veaux bienfaiteurs, notamment aux dames de Berlaimont. Ces nobles chanoinesses ont les grandes manières du siècle passé. Elles n'ont pas la simplicité des religieuses d'aujourd'hui, mais elles sont extrêmement bonnes et charitables. Elles nous ont aidés avec un dévouement tout ma­ternel.

Ce congrès dit national n'est à vrai dire que le congrès annuel du Nord, un peu élargi. Il y a là de bons éléments. Il y a quelques 71r hommes aux vues larges, comme M. de Nicolay, M. de Bellomai­re, qui marcheraient volontiers avec les directions pontificales. Les pa­trons du Nord sont passablement réfractaires. Nous concluons une trêve avec eux sur les données du pacte conclu entre M. Harmel et M. Féron ­Vrau46) à Rome, mais cela restera encore lettre morte. Il faut patienter et attendre l'action du temps et du Saint-Esprit. Ce congrès ne peut pas être populaire. C'est une réunion de patrons. La grande réunion de clô­ture serait un fiasco sans la présence des élèves des Frères qui remplis­sent la salle. Il n'y a pas dix ouvriers. J'y fais un discours, j'exprime car­rément mes sentiments démocratiques, conformes à ceux du Pape, et j'obtiens quand même des applaudissements 71v.

C'est le 23 octobre, pendant le congrès de Reims que s'éteignit Mgr Mathieu à l'âge de 72 ans. Depuis trois ans, il végétait, atteint dans tou­tes ses facultés par diverses attaques d'apoplexie. Il avait été longtemps pour moi et pour l'œuvre un ami dévoué.

Il a été un curé de grande allure. Il avait de la dignité et une grande politesse. Il a toujours eu des rapports faciles avec l'administration. Il était prudent et diplomate. Il aimait les œuvres et leur trouvait des res­sources. Mais sa vraie gloire, c'est la restauration de l'église et du culte de St. Quentin. Tout n'est pas irréprochable dans l'ornementation de l'église. Les peintures décoratives sont très discutables. Mais que de cho­ses ont été heureusement 72r conduites! l'érection du maître-autel et des petits autels du transept, la rénovation des scènes du martyre de St. Quentin, la restauration de plusieurs chapelles. Des bannières et des or­nements sacrés dignes de l'église ont été achetés. Et chaque année des fê­tes splendides, rehaussées par la présence de plusieurs évêques ont attiré à St-Quentin des pèlerins fort nombreux.

Le presbytère, ancien chapitre, est aussi un don de M. Mathieu à la paroisse.

Il aurait pu obtenir les honneurs de l'épiscopat, il ne les a pas désirés. Il s'était voué tout entier à sa paroisse. Il y a vécu presque un demi-siècle, tant comme vicaire que comme curé. Il aura une belle place au ciel. Je compte un peu aussi sur ses prières 72v.

Je passe quelques jours à Mende à prêcher. Conférences d'hommes aux Pénitents blancs, réunion de prêtres, causeries aux séminaristes, ces quelques journées sont très remplies. Je reçois l'hospitalité chez un hom­me bien zélé et bien édifiant, M. L'abbé Chapelle. Le supérieur du sé­minaire, M. de Ligonnès me reçoit en ami, il fait un très grand bien dans ce diocèse.

La population de ce pays a une foi vive. Elle est catholique dans la vie privée et elle vote mal. Le clergé est resté en dehors de la vie sociale et il a laissé détruire le règne social de N.-S.

La cathédrale de Mende avec ses flèches a un grand aspect. Elle domi­ne la ville comme notre basilique de St-Quentin 73r. Le mont Mimat, qui domine Mende, possède le vieil ermitage de St-Privat. Il y a là un si­te saisissant qui me rappelle Rocamadour et la Ste-Baume. St. Privat, pontife et martyr du 3e siècle a ceci de particulier qu'il n'a pas été marty­risé par les Romains, mais par une tribu d'Alamands, qui avait envahi la région.

J'étais arrivé à Mende par St-Flour et le merveilleux viaduc du Gara­bit. J'avais salué la cathédrale de St-Flour avec ses deux grandes tours, perchée sur son rocher.

Je repartis par Rodez. Rodez est bien située sur un plateau entouré en partie par l'Aveyron. Pays de grande foi. Cathédrale 73v imposante avec sa grande tour du portail nord en gothique flamboyant très orné. A l'intérieur, tribunes et jubé de la Renaissance. C'est le pays le plus fé­cond de France en vocations. Le séminaire a 300 élèves. Il donne des prêtres aux missions et aux congrégations religieuses.

Conques est dans l'Aveyron. Il y a là, au fond d'une gorge austère et dans un site sauvage une grande église monacale du XIe siècle, un de nos beaux spécimens du style roman en France. Le P. Marie Bernard, des Prémontrés, me reçoit fort aimablement. Il a là, un trésor merveilleux comme reliques et comme reliquaires. On vénère là le St. Prépuce de N.-S., des cheveux de la Ste Vierge, le corps de Ste Foy47) d'Agen. Quel 74r merveilleux reliquaire est cette statue d'or de sainte Foy, statue romaine de la décadence qui a dû figurer quelque divinité de l'Olympe et qui a été transformée en statue de sainte Foy. La statue a 0,85 c. de hauteur. Elle est décorée de nombreux bijoux donnés par les pèlerins.

Un autre reliquaire extrêmement intéressant est appelé reliquaire de Pépin. Il doit remonter à Pépin, roi d'Aquitaine, fils de Louis le débon­naire. Il a la forme d'un coffre avec des toits à rampants. Sur la face il re­présente le Christ en Croix, en or repoussé, entre la Vierge Marie et St. Jean. Il a des bordures en filigranes et des émaux cloisonnés.

Il faudrait citer encore vingt autres reliquaires, celui de Pascal II, l'A dit de Charlemagne, la 74v lanterne de St. Vincent, diacre, etc. Je renvoie aux notices.

Au tympan de la porte d'entrée, l'église a un jugement dernier qui a de grandes analogies avec ceux des primitifs d'Italie, Orcagna et fra An­gelico, par exemple.

Quelle touchante tradition est celle qui rapporte que les belles grilles du choeur sont faites avec les chaînes d'esclaves qui devaient leur libéra­tion aux miracles de Ste Foy. Ce sanctuaire attirait au moyen-âge des foules prodigieuses, comme celles qui allaient à St-Martin de Tours, à N.-D. de Chartres, à St-Remy, à St-Quentin.

J'ai prié la chère sainte de tout mon cœur et je compte sur sa protec­tion.

Je passai une journée à Brives 75r tant pour faire mon pèlerinage à St-Antoine que pour voir le bon P. Jules, franciscain, mon ancien condi­sciple de Rome. Le P. Jules me reçut avec la plus aimable hospitalité. Il y a là un monastère tout neuf, fort gracieux et pieux. Il s'élève sur les grottes qui ont été sanctifié par le séjour et les miracles de St. Antoine de Padoue. Sans avoir la grandeur de celui de Lourdes, ce site parle à l'âme et il attirera les pèlerins. Un vallon profond descend des grottes vers la ville. La vue s'étend au large sur des collines boisées. Mais la pluie et le froid tempèrent très sensiblement mes impressions de pèlerinage.

Clermont a sa belle cathédrale ogivale, restaurée de nos jours 75v, mais combien est plus intéressante pour l'histoire et pour l'art sa vieille église de N.-D. du Port!

Elevée au VIe siècle par St. Avit, cette église vénérable a été relevée au IXe siècle par St. Sigon et restaurée au XIIe et XIIIe siècle. Sa nef sem­ble avoir gardé son cachet primitif.

Là fut le berceau des croisades. Là se prosternèrent avec Urbain II, Pascal II, Callixte II, Innocent II, et Alexander III, des rois, des ducs, des comtes, des barons, des chevaliers, l'élite des peuples et la masse des croisés.

La nef a des chapiteaux corinthiens finement sculptés qui peuvent da­ter de l'église primitive et quelques chapiteaux historiés, qui représen­tent la lutte des démons contre les anges et contre les hommes, et divers 76r sujets bibliques: le péché originel, le sacrifice d'Abraham, l'Annonciation, la Visitation, l'Assomption, etc.

A la porte du Sud, à l'extérieur, les linteaux et le fronton représentent Jésus sur son trône, la Nativité, l'Adoration des Mages, le baptême de J.-C. - de chaque côté un personnage debout, Isaïe et Jean-Baptiste semblent garder l'entrée du sanctuaire comme à Conques.

Dans la crypte est la vieille statue assise, qui ne semble pas antérieure au XIVe siècle. Il y a une source sous l'autel. Le culte de Marie doit avoir succédé là au culte de l'Isis des druides, comme à Chartres et au Puy. Suivant la tradition, St. Avit aurait trouvé là l'ancienne statue, sans doute l'image gauloise de la Vierge 76v. Le trésor possède une partie du voile de la Ste Vierge qui a toujours été depuis le don qu'en a fait l'impératrice Irène à Charles le Chauve, le palladium de Chartres et de la France.

Le 11, j'étais à Lyon et j'y passais deux jours.

Je vis les rédacteurs de la France Libre. Ces jeunes gens sont pleins de foi. M. Berne m'édifie par son zèle aussi modeste qu'ardent.

Je ne connaissais pas à Lyon le musée historique des tissus. Il est, je crois, unique au monde. Il a tous les genres, depuis les étoffes égyptien­nes, trouvées dans les tombeaux, jusqu'aux riches soiries brochées de notre temps, en passant par les broderies et les dentelles du moyen-­âge 77r. Quelle merveilleuse collection d'étoffes égyptiennes: franches, broderies, rayures, dessins, guipures!

Quelles belles broderies avaient produites nos siècles chrétiens! Elles rivalisaient avec les miniatures de nos missels et les peintures de nos vi­traux.

Lyon a une infinité de souvenirs chrétiens qui sont à peine signalés par les guides.

Le trésor de la cathédrale est le plus riche de France. J'y remarque une partie de la Nappe de la Cène, conservée à Vienne, la tête de St. Polycarpe, la crosse de St. François de Sales, des émaux, des ivoires byzantins, et les deux croix qui rappellent l'union des églises au Concile de 1272 77v.

L'église de St-Irénée n'a plus hélas! que des reliques profanées et mê­lées à des ossements d'animaux. A l'hospice de l'antiquaille, il faut voir la prison des martyrs, crypte décorée de mosaïques modernes qui repré­sentent St. Pothin, Ste Blandine et les principaux martyrs lyonnais. On prie là volontiers.

La mission de l'Équateur avait passé depuis huit ans par des alternati­ves de succès et d'épreuves. Elle fut détruite en un jour par la révolution maçonnique qui éclata à Quito. Nos Pères durent revenir. La Providen­ce leur destinait la mission du Congo.

78r

Janvier 1895 - Février 1
Mars - Avril, Carême à Chauny 2
Avril - Turin, Sarzana 3
Florence, Rome 4
Audience, visites diverses 5
Conférences de l'abbé Lemire, Etudes 7-10
Quelques églises 10
Musée Kircher 11
Ruines de Rome païenne 14
Catacombes 15
Tivoli et Mentana 16
Retour 30 avril - Arezzo 17
Bibbiena, Alverne 18
Saint-Clément, Laon, Le Val, Chauny 25
Cilly, Saint-Quentin 26
Paray 10-13 juillet 28
Vérosvres 30
Août - Les prix, Congrès de la Croix 32
Réunions d'études sociales à Saint-Quentin 33
78V
Retraite - Visite à Arrancy 34
Congrès du Nord à Lille 36
Retraite aux Petites Soeurs - M. Petit 43
Boulogne sur mer 44
Paris - Issy 45
Marchovelette (mission) 46
18961896 0
Nouvel an - Paris 47
Chef Boutonne - Mort de ma nièce 48
Paris, études 49
Le Val - Carême à La Fère 50
Reims, ouverture du jubilé 51
Maredsous - Liège (avril) 52
Paris - études 54
La Fère (1ères communions) 58
Congrès ouvrier à Reims 58
Congrès des Cercles à Paris 58
Congrès des Propriétaires chrétiens 60
Sittard - Kévelaer - Xanten 61
Tours - Nevers 62
Paray - Melun 63
79r
Albert - Hon - Bavay 64
Le Patronage - Les Prix 65
Benoîte-Vaux - Biding 66
Reims, Congrès franciscain 67
Congrès ecclésiastique 68
Notre Chapitre 69
Retraite - Congrès de la Croix 69
Chimai - Bruxelles 70
Congrès national à Reims 71
Mgr Mathieu 72
Mende (novembre) 72
Rodez - Conques 73
Brives - Clermont 75
Lyon 76
L'Equateur 78

1)
Au début d’un cahier intitulé Lectures (1895-1896), conservé aux Archives Deho­niennes (AD, B 24/10), on examine le roman au XIXe siècle: «Ce genre d’écrits est tout à fait contraire à ma tournure d’esprit. J’aime les choses positives, précises et logi­ques. Tout roman est une rêverie, écrite le plus souvent sans but moral et dans un style hâtif et inégal. C’est le plus souvent une affaire, une spéculation où l’on exploite les mauvais sentiments et les moeurs relâchées de la foule» (p. 1). Pour le jugement concernant les divers ouvrages, ainsi que la littérature en général, cf. VP, 815-820.
2)
Doutreloux Victor, cf. NQ vol. 2°, note 17, p. 610.
3)
Ducal J.-B., cf. NQ vol. 2°, note 24, p. 613.
4)
Rampolla del Tindaro (Mariano), né le 17.8.1843 à Polizzi (Cefalù, Sicile), il entra au Séminaire Romain en 1856 et passa au Collège Capranica en 1861, ordonné prêtre en 1866, il fréquenta l’Académie Pontificale des nobles ecclésiastiques. Diplômé en droit civil et en droit canon, en 1870, il fut attaché à la Congrégation des Affaires Ex­traordinaires où il révéla sa vaste culture, sa connaissance des langues orientales et ses talents de diplomate. Archevêque titulaire d’Eraclée en décembre 1882, il fut créé car­dinal le 27.12.1887 par Léon XIII et nommé Secrétaire d’Etat le 3.6.1887. Il fut un grand ami du P. Dehon comme le prouvent de nombreux passages du journal. Inter­prète intelligent et exécuteur de la politique de Léon XIII, il s’employa à la réconcilia­tion entre le Saint-Siège et l’Italie, l’œuvre entravée par l’anticléricalisme et la maçonnerie; il chercha à normaliser les rapports avec la France en encourageant le Ral­liement (des catholiques à la IIIe République). A la mort de Léon XIII, le card. Puzy­na, év. de Cracovie, au nom de François Joseph d’Autriche, mit son veto à l’élection du card. Rampolla comme pape (août 1903). On redoutait l’arrivée d’un pape français. Sous le pontificat de Pie X, le card. Rampolla travailla aux Congrégations romaines, toujours considéré comme un des candidats les plus sérieux à la papauté. C’est fut lui qui conseilla au P. Dehon de s’adresser directement à Pie X pour vaincre l’opposition du Saint-Office à l’approbation définitive de la Congregation (cf L D M, 424-425). Son collaborateur intime fut Mgr Giacomo Della Chiesa (futur Benoît XV), un autre grand ami du P. Dehon. En plus de son talent diplomatique, le card. Rampolla montra une très grande ouverture aux problèmes sociaux de son temps et au développement des sciences sacrées auxquelles il contribua par ses travaux personnels. Il mourut à Rome le 16 décembre 1913. Le P. Dehon, au cours de son voyage à Rome apprit sa mort à Gê­nes. Selon ses termes, le card. Rampolla fut «le grand cardinal, un vrai diplomate et un saint prêtre. Il avait mon âge… Il était de beaucoup le plus en vue du sacré-collège» (NQ XXXV, 65).
5)
Parocchi (Lucido Maria), cardinal. Né à Mantoue en 1833, prêtre en 1856, profes­seur de morale, d’histoire ecclésiastique et de droit canonique, fondateur de la revue «La scuola cattolica», fut élu évêque de Pavie par Pie IX en 1871 et, en 1877, créé car­dinal et archevêque de Bologne. En 1882, Léon XIII l’appela à Rome et, deux ans plus tard, le nomma vicaire général pour la ville et le territoire annexe. En 1899, il abandon­na la charge de vicaire de Rome pour l’office de vice-chancelier de la Ste-Eglise Romai­ne. Il a publié de nombreux ouvrages. Il mourut à Rome le 15.1.1903.
6)
Picard (Père François). – Assomptionniste, né le 1er oct. 1831 à Saint-Gervasy, près de Nîmes, dans une famille de cultivateurs foncièrement chrétiens, il commence ses études dans une pension de Nîmes et les continua à partir d’oct. 1844, au collège de l’Assomption dirigé par le Père d’Alzon. Bachelier en 1850, il entre au noviciat, tout en exerçant les fonctions de surveillant, et fait profession perpétuelle à la Noël 1852. Il étu­die la théologie à Rome (1855-1857) où il est ordonné prêtre (25 mai 1856). A partir de 1857, il occupe diverses fonctions: maître des novices à Clichy, aumônier des Dames de l’Assomption et de leur pensionnat d’Auteuil, membre actif de la Société Saint­-François de Sales. En mai 1862, avec quelques pères, il s’installe au 8 de la rue François-1er . Sous son impulsion, une petite chapelle va devenir un centre de rayonne­ment spirituel. Il restera là jusqu’à la dissolution de la congrégation en France (1900-­1901). Malgré une santé souvent chancelante, il lance ou soutient œuvres et mouve­ments. Le 25 nov. 1880, il succède au Père d’Alzon et donne à la congrégation une vi­gueur nouvelle. Après les expulsions, il séjourne en Belgique, visite les missions d’Orient et s’arrête parfois à Paris. Le 14 déc. 1902, il part pour Rome où il meurt le 16 avr. 1903 (C H A D).
7)
Bailly (Benjamin), en religion le P. Emmanuel, frère de Vincent de Paul Bailly et de Marie Bailly supérieure générale des Dames de Ste-Clotilde. Paris en 1842, il entra chez les Augustins de l’Assomption en 1861, après la mort de son père, et fut ordonné prêtre en 1865. Directeur du collège de Nîmes en 1868, maître des novices à Osma (Espagne) en 1880 et à Livry en 1887, procureur général à Rome en 1892, élu supérieur général à Louvain en 1903, il mourut le 23 novembre (C H A D).
8)
Il y a eu deux cardinaux Vannutelli: les frères Serafino (1834-1915) et Vincenzo (1836-1930). Serafino Vannutelli, créé cardinal par Léon XIII 1887, fut préfet de la Congrégation de l’Index (1893) et de la Congrégation des Evêques et Religieux (1896), évêque de Fra­scati (1893), Pénitencier majeur (1899) et Secrétaire du Saint-Office (1903-1908), év. de Porto et Ste-Ruffine, et vice-doyen du sacré collège (1903), év. d’Ostie (1913) et doyen. Il mourut à Rome le 19.8.1915. Le P. Dehon parle, probablement, de Vincenzo Vannutelli, créé cardinal par Léon XIII en 1891. En plus de quarante ans de cardinalat, le card. Vannutelli Vincenzo as­suma de plus importantes fonctions à la curie du Vatican. En 1892 il fut préfet de l’éco­nomie de la Propagande. Il eut d’importantes missions à l’étranger comme légat ponti­cal. Evêque de Palestrina en 1900, il succéda à son frère Serafino comme évêque d’Ostie (1915) et doyen du sacré collège. Favorable tout au long de sa longue vie, à la solution de la «Question romaine», il eut la joie, un an avant sa mort, d’assister à l’événement historique du traité du Latran (1929). Mort à Rome le 9.7.1930.
9)
Hulst (Maurice Le Sage d’Hauteroche d’). Né à Paris le 10.10.1841, prêtre en 1865, Vicaire général de Paris en 1875, eut la charge d’organiser les œuvres du diocèse, spé­cialement l’Institut catholique universitaire dont il devint recteur en 1881. Grand pré­dicateur, écrivain et directeur de conscience; mourut le 6.11.1896.
10)
Pisani (Mgr Paul Joseph), né à Paris le 14 avr. 1852, mort à Asnières le 7 nov. 1933. – Dès 1860, il suit son père, diplomate, à Constantinople. En 1862, il revient à Paris et fait ses études au lycée Louis-le-Grand. En 1869, désireux de se dévouer à la jeunesse ouvrière, il entre au patronage Ste-Mélanie dont il écrira plus tard l’histoire. En 1870, il est à Toulouse où il passe son baccalauréat. Il décide de se consacrer à l’apo­stolat auprès des jeunes apprentis, dans l’état ecclésiastique. Son père lui opposant un refus, Paul Pisani fait son droit à Paris en attendant sa majorité. Cherchant à entrer au séminaire, il rencontre l’abbé d’Hulst. C’est le début d’une longue amitié. En 1873, Pisani entre au séminaire français de Rome. En 1876, il est à l’Université catholique de Louvain et, en 1877, au séminaire S.-Sulpice. Il crée, avec quelques amis, le patronage S.-Pierre à Belleville, pour les apprentis. Prêtre en 1878, il est nommé vicaire à N.-D. de la Croix à Ménilmontant. Il y ouvre une école paroissiale qu’il dirige de 1881 à 1884. Il est l’organisateur des «Expositions industrielles des ouvriers et apprentis des patronages et cercles de Paris». Son apostolat prend une orientation nouvelle lorsque Mgr d’Hulst, devenu recteur de l’Université catholique de Paris, l’appelle à son service comme secrétaire (1884) et le nomme, simultanément, aumônier de l’hôpital S. Joseph. Pisani prépare sa licence d’histoire qu’il obtient en 1887. A cette époque, naissent les «Congrès scientifiques internationaux des catholiques»; Mgr d’Hulst est l’un des pro­moteurs de ces congrès et Pisani en est la cheville ouvrière. Il sera organisateur et secré­taire des cinq congrès: Paris (1888 et 1891). Bruxelles (1894), Fribourg (1897) et Mu­nich (1900). En 1889, Pisani assure la suppléance de Baudrillart comme professeur à l’Institut catholique. En 1893, il devient docteur et professeur titulaire. En 1898, il quitte l’Institut catholique avec le titre de professeur honoraire et devient chanoine titulaire de N.-D. de Paris. En 1908, lorsque la chaire d’histoire de la Révolution fut créée et jusqu’à sa retraite en 1926, il reprend ses cours d’où sortirent les quatre volumes sur L’Église de Paris et la Révolution, 1908-1911. Travailleur acharné, Pisani a alors rassemblé sur le clergé fran­çais pendant et après la Révolution des milliers de fiches conservées à la bibliothèque de l’Institut catholique de Paris. Il a, en outre, publié un recueil A travers l’Orient (1896) et de nombreux articles sur la question d’Orient et les chrétiens de rite oriental. Ajoutons enfin des centaines de comptes rendus dans des revues savantes (C H A D).
11)
L’existence de St. Georges paraît incontestable. Martyr, originaire d’Asie Mineu­re (Cappadoce), supplicié au IVe siècle, probablement sous Dioclétien. Tous les événe­ments miraculeux attribués à ce saint appartiennent, par contre, à la légende (cf. BS VI, 512 ss.).
12)
Orsi (Felice Pietro), né à Capranica le 15.3.1882. Selon son témoignage, recueilli par le P. Ceresoli en 1955, il aurait connu le P. Dehon en 1893 quand il partit avec lui pour Fayet, où il resta sept ans, jusqu’en 1900 (plus une année de rhétorique). Selon le journal, le voyage avec Pierre Orsi aurait eu lieu en 1895. Orsi entra dans la Congré­gation, le 15.9.1901, fit sa profession le 8.10.1902, quitta la Congregation vraisembla­blement, en 1906. Il fut ordonné prêtre le 8.8.1909. C’est à cette occasion que le P. De­hon, de grand cœur, lui envoya 100 francs. Il devint monseigneur et curé de Capranica Prenestina (cf. RP, 70; AD B 48/3, pp. 139-140).
13)
Perraud (Adolphe – Louis – Albert. 1828-1906 , év. d’Autun: 1874-1906, card. 29.11.1895).
14)
Monsabré (Jacques-Marie-Louis), dominicain. Né à Blois en 1827, entra dans l’or­dre dominicain et fut un célèbre prédicateur après 1857, spécialement à Notre-Dame de Paris. Il se révéla profond connaisseur de la S. Ecriture, des Pères, de la théologie, de l’histoire et des sciences profanes. Son art oratoire est moins brillant que celui de La­cordaire, mais plus substantiel et plus persuasif.
15)
Garnier (Théodore: 1850-1920), un abbé démocrate, apôtre ardent, orateur cha­leureux aux répliques foudroyantes. Il a parcouru la France pour la propagation de «La Croix». On le verra partout, répandant son Peuple français, le premier quotidien démocrate catholique qu’il a fondé en 1894: il crée des œuvres et des mouvements, su­scitant partout des militants. Il donne son concours à de grands pèlerinages, à Lourdes, à Paray, qu’il anime admirablement. Il meurt le 20.8.1920, au séminaire des vocations tardives de Montmagny (S.-et-O), édifié par lui.
16)
Marguerite-Marie Alacoque, née le 22.7.1647 à Lautecour, hameau de Verosvres dans le Charolais, morte à Paray le 17.10.1690. Le procès informatif en vue de sa glori­fication avait été achevé dans le diocèse d’Autun dès 1715, mais il ne fut transmis à Ro­me qu’un siècle plus tard, en 1819. Le 30.3.1824, la servante de Dieu est enfin déclarée vénérable; le 18.9.1864 elle reçoit les honneurs de la béatification. Benoît XV la cano­nise le 13.5.1920 (cf. CHAD).
17)
A Verberie (Oise) habitait avec sa famille un oncle du P. Dehon. Il lui rend visi­te en compagnie de son frère. L’oncle que le Père Dehon visite à Verberie est probable­ment Joseph-Hippolyte Dehon (dit Dehon de Paris, où il a vécu). Né à La Capelle le 7 août 1810, est l’époux de Sophie-Eléonore Vandelet, soeur de la mère du P. Dehon. Nous n’avons pas de notice biographique de lui. Ce Joseph-Hippolyte Dehon eut une fille, morte très âgée, après la guerre de 1914-18 à Verberie sans postérité (Archives Deho­niennes, B. 63/1; cf. NQ III, 62: 19 octobre 1886; NQ III, 63-64: 24 et 26 octobre 1886).
18)
Croix (La). – Le journal quotidien La Croix a paru le 16 juin 1883, sous les au­spices du Pèlerin, le premier-né des publications de la Bonne Presse. Il faisait suite à une revue mensuelle fondée en 1880 par le P. d’Alzon, quelques mois avant sa mort. La Croix a été lancée comme un journal populaire. Pour répondre aux besoins d’une partie de sa clientèle et surtout aux désirs de la hiérarchie, elle a élargi son programme et est devenue autant un journal doctrinal qu’un journal d’information et d’action. La Croix a toujours eu comme programme exclusif la défense de l’Église. Elle se tient, par principe, à l’écart des controverses strictement politiques. Tout en approuvant les initiatives et les orientations politiques et sociales des parlementaires fidèles aux ensei­gnements pontificaux et en voyant avec sympathie les militants de l’Action catholique ou de la C. F. T. C. arriver aux responsabilités civiques, elle n’a jamais adhéré à aucun parti, même inspiré et dirigé par des catholiques. La première préoccupation de ses ré­dacteurs est de suivre les directives et conseils des Souverains pontifes; programme par­fois difficile, lorsqu’il s’agit de ne pas compromettre l’autorité suprême et de tenir à la fois compte de la thèse (idéal à promouvoir) et de l’hypothèse (réalisations possibles). En 1900, Léon XIII, dans l’espoir d’éviter la persécution menaçante en France et en raison de certaines attitudes concrètes prises les années précédentes par le journal à l’occasion de l’Affaire Dreyfus et des élections législatives, demanda au P. Picard (le Père) de retirer de La Croix les religieux rédacteurs. Le P. Vincent de Paul Bailly (le Moine) brisa immédiatement sa plume: M. Paul Feron-Vrau, un ami, prit la responsa­bilité du journal et de toute la maison de la Bonne Presse; Mgr Masquelier (Cyr), de Lille, vint deux jours par semaine à Paris pour prendre la direction doctrinale de La croix. Un an après, Léon XIII autorisa un novice assomptioniste, ancien directeur de La Croix de l’Ardèche, le P. Bertoye (Franc), à prendre la succession du P. Bailly. Il la garda jusqu’en 1927, au milieu de difficultés de tout ordre, surtout dans les débuts. Le P. Léon Merklen prit à son tour la direction de La Croix, le 15 déc. 1927. Une société anonyme de la Maison de la Bonne Presse avait été fondée en 1924 et M. Léon Berteaux, auquel depuis a succédé son fils M. René Berteaux, était devenu, lors­que M. Feron-Vrau se retira, gérant, puis président du conseil d’administration. Des «Croix» locales ou suppléments hebdomadaires à La Croix de Paris furent, dans les origines, fondées à peu près dans tous les départements et même parfois plusieurs par département. Elles atteignirent le chiffre de 92. La Croix de l’Isère fut quelque temps quotidienne. La Croix du Nord l’a toujours été et l’est encore. Ces «Croix» locales, d’ailleurs autonomes, marchaient très unies à La Croix mère; el­les profitaient de son influence, de ses services, parfois même de pages entières de ré­daction composées à Paris, par ex. pour La Croix du dimanche. De nos jours les «Croix» de Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Seine-Inférieure, du Calvados, de l’Aisne, Oise, de Picardie, Saône-et-Loire sont toujours imprimées à Paris, où elles ont leur centre ré­dactionnel et administratif. En 1936, Pie XI, qui alors envisageait de réorganiser dans le monde entier la presse catholique, aurait voulu que les différentes «Croix» régionales soient sous la direction doctrinale du rédacteur en chef de La Croix de Paris. Le projet se révéla inviable, chaque évêque désirant donner à sa «Croix» diocésaine, en matière sociale en particulier, l’orientation qu’il estimait la meilleure pour son diocèse. A la suite de l’occupation du territoire français par l’armée allemande en 1940 et de l’établissement du «gouvernement de Vichy», beaucoup de «Croix» ont disparu; d’au­tres ont dû abandonner leur titre et s’appeler Voix (sous l’influence des événements, plusieurs avaient cru pouvoir se plier plus ou moins à certaines exigences) (C H A D).
19)
Cf. NQ vol. 2°, note 6, p. 615.
20)
Boissard (Adéodat). – Né à Aix-en-Provence, le 11 déc. 1870. Député de la Côte­ d’Or. Professeur à la Faculté libre de droit de Lille (1896-1906), puis à la Faculté libre de droit de Paris (1906-1931). Secrétaire général de l’Association internationale et de l’Association française pour le progrès social; secrétaire général des Semaines sociales de France, dont il fut l’un des fondateurs; membre titulaire de la Société d’études lé­gislatives. Ses travaux personnels ont porté surtout sur l’économie et la législation so­ciales, les sciences et la législation financières. Il est mort en 1937. Principaux ouvrages: Le syndicat mixte, 1896; Retraites ouvrières et risque professionnel, 1904; Le mesurage du travail à la tâche, 1907; La lutte contre la concurrence excessive, 1909; Con­trat de travail et salariat, 1910; Les problèmes de l’immigration, 1925; Le statut juridique des fonc­tionnaires publics, 1926 (C H A D).
21)
Loutil (Edmond). – Prêtre et publiciste français, plus connu sous le pseudonyme de Pierre l’Ermite, dont il signa ses innombrables livres et chroniques. Il était né à Mohon (Ardennes) le 17 nov. 1863, d’un père berrichon et d’une mère alsacienne qui lui inspira sa dévotion à Ste Odile. Sa famille s’étant repliée sur Paris, il fit ses études au petit séminaire de la rue N.-D.-des-Champs, puis au grand séminaire de S.-Sulpice. Ordonné prêtre en déc. 1888, il allait consacrer toute sa vie sacerdotale au ministère paroissial. Il fut en effet successivement vicaire dans les paroisses de Cli­chy, S.-Roch, S.-Pierre de Chaillot, curé de S.-Jean de Montmartre et enfin curé de S. François-de-Sales de 1919 à 1959. Il avait été nommé protonotaire apostolique le 3 déc. 1948. Il est mort le 16 avr. 1959. Vicaire au plus fort de la lutte anti-cléricale, entre 1890 et 1914, il comprit très vite quel moyen d’action pouvait lui procurer l’écrit – le journal, le tract, le livre – pour répondre aux campagnes qui se déchaînaient contre l’Église, ses institutions et son mes­sage. Aussi, dès avr. 1889, il entrait en contact avec le P. Vincent-de-Paul Bailly et la rédaction du journal La Croix, auquel il allait collaborer régulièrement jusqu’en 1939 par le billet dominical. Peu à peu son audience s’élargit et il offre à ses lecteurs des éléments de réflexion à travers ses romans. Il en écrit quelque quarante entre 1907 et 1958, dont certains seront tirés à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et traduits en de nombreuses lan­gues: La grande amie, 1907 (363.950); Comment j’ai tué mon enfant, 1921 (375.809); La fem­me aux yeux fermés, 1926 (337.150); Pas de prêtre entre toi et moi, 1933 (241.900). Beaucoup ne font que mettre en œuvre les confidences reçues au cours de son ministère parisien, qui s’est étendu à toutes les couches de la société: depuis le langage dru du Grand Mufflo jusqu’aux sombres drames nés dans les recoins des salons de la bourgeoisie, en passant par les élans de sensibilité du poète de La grande amie. L’Académie française devait lui décerner en 1950 le prix fondé par Mgr G. Grente, pour l’ensemble de son œuvre dont l’un ou l’autre titre avait déjà été remarqué par elle. Née des exigences de l’action et en fonction d’une époque, cette œuvre en porte bien évidemment la marque. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elle ait vite vieilli, après avoir profondément marqué des généra­tions de lecteurs. A cela s’ajoute l’action sociale et charitable d’un prêtre à qui sa notoriété permettait de solliciter la générosité de ses lecteurs pour les œuvres qui lui tenaient à cœur: celles de ses paroisses et aussi, pour le diocèse de Paris, l’église Ste-Odile, édifiée avec des of­frandes venues de tous les lieux où il s’était fait lire. Une association perpétue sa mémoire: Les amis de Pierre l’Ermite, 3 rue Viète, 75017 Paris (C H A D).
22)
Glorieux (Louis-Modeste). – Né à Tourcoing en 1867; étudie successivement au collège du Sacré-Cœur de cette ville et aux séminaires de Solesmes et de Cambrai. Or­donné prêtre en 1894. Professeur aux collèges de Bailleul, puis de Tourcoing. Il prend une place éminente dans le mouvement social qui s’inspire des grandes directives de Léon XIII et fait partie de l’équipe de La Démocratie chrétienne avec deux amis intimes, promis à la même carrière romaine, NN. SS. Vanneufville et Tiberghien. Léon XIII l’appelle personnellement auprès de lui en 1898. Il devient alors camérier secret (1901), chanoine de Ste-Marie-Majeure et prélat de Sa Sainteté (1903), protono­taire apostolique (1913). Il est correspondant de L’Univers et d’autres journaux. Il re­vient en France à l’appel de Mgr Lecomte, évêque d’Amiens, qui le fait secrétaire par­ticulier et vicaire général (1921). Il meurt à Amiens le 3 janv. 1925 et il est enseveli dans le caveau des évêques, à la cathédrale. Sa promotion à l’évêché de Langres lui était parvenue sur son lit de mort (C H A D).
23)
Pascal (Alexandre – Sacerdos, de), né à Sarlat – Lot, en mars 1850, prêtre dans le dio­cèse de Poitiers, où il était dirigé par Mgr Gay. Il entra dans la Congrégation le 17.10.1882, fit sa profession le 22.4.1883. Il quitta la Congrégation en avril 1884 et mourut en 1885 (cf. NHV XIV, 107; CP, 6).
24)
Chesnelong (Pierre-Charles: 1820-1899). Homme politique, partisan d’abord de la république, puis du bonapartisme. Elu député en 1865, il défendit la papauté lors de la question romaine. Après la défaite de Sedan, il devint monarchiste légitimiste, partisan du comte de Chambord. Il travailla à la fondation des universités libres (catholiques). Avec Albert de Mun, il fut un des premiers dirigeants de l’œuvre des cercles ouvriers catholique. Il publia différents écrits inspirés par les problèmes politiques du moment.
25)
Turinaz (Jean -François-Marcellin: 1838-1918) évêque de Nancy: 1882-1918. Cf. SRSL (1888), pp. 689-691.
26)
Cochin (Denys) (1851-1922) fut toute sa vie le champion des droits et des libertés de l’Église. Sa longue vie parlementaire – il fut député de Paris de 1893 à 1919 – fut consacrée à la défense de la liberté d’enseignement. Son éloquence fut au service de tous les opprimés, en France et hors de France. Ses interventions pour les Irlandais, les Polonais, les Maronites, les Arméniens sont célèbres. Élève de Pasteur à la rue d’Ulm, il publia plusieurs études de chimie avant de se tourner vers la philosophie. Ses essais avec sa parole, chaude et aux larges périodes, lui ouvrirent en 1912 les portes de l’Aca­démie française. De tradition monarchiste, il crut ne pouvoir se rallier à la République tout en servant la France à laquelle il donna, durant la guerre de 1914-1918, deux de ses trois fils. De tradition libérale, il jugeait possible un aménagement de la loi de Sépa­ration et fut un des «cardinaux verts». Ministre d’état, sous-secrétaire d’État aux Affai­res étrangères de 1915 à 1917, sous le signe de l’Union sacrée, il prépara la reprise offi­cielle des relations diplomatiques avec le S.-Siège. On lui doit, en grande partie, l’ac­ceptation par le Vatican des interprétations satisfaisantes que le Conseil d’État devait donner de la loi de séparation. Il avait prêté son domicile au cardinal Richard, chassé de son palais archiépiscopal. Son amitié avec le cardinal Gasparri, secrétaire d’État de Benoît XV, fut des plus utiles à la France en guerre, comme ses liens avec Aristide Briand firent comprendre à l’homme d’État les nécessités des libertés catholiques et les limites des intransigeances nécessaires de l’Église. Il avait été un adversaire loyal et courtois des anticléricaux; il fut un collaborateur compréhensif et libéral des restaura­tions spirituelles indispensables. Il ne se représenta pas à la Chambre en 1919 et mou­rut au début de 1922 (C H A D).
27)
Maistre (Joseph de). – Né à Chambéry le 1er avr. 1753, dans une vieille famille de magistrats, élève des jésuites, il étudie le droit à Turin et entre à son tour dans la magi­strature (1774). Sa curiosité intellectuelle et son mysticisme l’attirent vers les ateliers maçonniques dans lesquels il espère trouver la clef du véritable christianisme et qu’il ju­ge seuls capables de réaliser la réunion des Églises. Inscrit à la loge anglaise, puis écos­saise, de Chambéry, il appartint quinze ans aux sociétés secrètes et, s’il les abandonna, ce fut à regret, et sans rompre avec ses amis théosophes. Séduit par les doctrines philo­sophiques, il se pose en réformiste politique. Apologiste de la papauté, il devient le théoricien de l’ultramontanisme: Du Pape paraît en 1819, De l’Église gallicane dans son rapport avec le souverain pontife, en 1821. Après sa mort, survenue le 26 févr. 1821, sont publiés des ouvrages composés en Russie: Les soirées de S.-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence (1821), Exa­men de la philosophie de Bacon (1836). Avec de Bonald, Joseph de Maistre est le principal représentant de la réaction tradi­tionaliste contre les doctrines révolutionnaires. Au rationalisme, il objecte la foi et le sens commun. Au gallicanisme, il oppose des principes absolutistes et ultramontains. Mais lui, comme Lamennais, parle plutôt d’un pape idéal. A l’encontre des hommes de la Révolution, Joseph de Maistre voit dans le monarque le représentant de Dieu, le titulaire unique de la souveraineté, l’émanation de l’ordre social providentiel. Une foi inébranlable dans la Providence amène de Maistre à se faire l’apologiste du bourreau et de la guerre. Défenseur véhément des structures traditionnelles, convaincu de la prééminence de l’aristocratie, il s’oppose néanmoins aux vues étroites des émigrés et n’est pas partisan fanatique de l’Ancien Régime. Son œuvre a été composée pour la plus grande part en relation avec la France à la­quelle l’attachaient ses origines familiales, sa langue et son tempérament, et elle a exer­cé une influence capitale sur la pensée française de la Restauration. Sa correspondance avec sa famille et ses amis révèle un homme tour à tour sensible ou caustique, charmeur ou nuancé, obstiné ou capricieux. Noble Savoyard et chrétien convaincu, il a été conscient du rôle irremplaçable des laïcs dans l’Église, se jugeant personnellement chargé de défendre la religion, «la première et la plus sacrée des pro­priétés» du patricien. Il fut l’un des artisans de la conversion de Mme Swetchine qui di­ra de lui: «Il a été un grand semeur» (C H A D).
28)
Les Petites Soeurs des Pauvres – Jeanne Jugan (née à Cancale, en 1792, morte en 1879). Aux débuts de 1839 elle accueillit dans sa modeste maison à St-Servan une vieil­le dame aveugle et la soigna. Une autre vieille dame se joignit à la première et le 15.10.1840 quelques pieuses per­sonnes rejoignirent Jeanne Jugan pour l’aider dans cette œuvre de charité. Le 1.10.1841 elle prit une autre maison et le nombre des vieilles dames s’éleva à six. Pour les nourrir Jeanne mendiait de porte à porte. Bien vite le refuge ouvrit aussi ses portes aux hommes. C’est ainsi que naquit la congrégation des «Servantes des pauvres», qui, en 1844, changèrent leur nom en celui de «Soeurs des pauvres», et en 1846 prirent le nom ac­tuel de «Petites Soeurs des Pauvres». En 1846 elles ouvrirent des hospices à Rennes, Dinan et dans d’autres villes de France, atteignant, en 1851, le nombre de 15, pour 1500 pension­naires. En février 1854, arriva le décret de louange de la part du Saint-Siège. Les fonda­tions se multiplièrent en France, en Belgique, en Angleterre, en Ecosse, en Irlande, en Espagne, en Italie, en Amérique, en Afrique, en Asie et en Océanie. A la mort de la fonda­trice (1879), la congrégation compta 177 hospices, avec 2488 religieuses et 20.500 pension­naires. En 1950, les hospices furent au nombre de 314, avec 5700 religieuses et plus de 60.000 pensionnaires. L’approbation définitive arriva le 1.3.1879. Les Petites Soeurs des Pauvres n’ont d’autre but que l’assistance matérielle, morale et spirituelle des pauvres vieillards.
29)
Petit (Cyrille). Dans ses Mémoires, le P. Dehon parle souvent de ce prêtre et ami (cf. 5/IX/, 72. 156-160; 5 /X/, 64; 6 /X/, 174.175; 6 /XI/, 145. 165; 6 /XII/, 14; 7 /XII/, 134; 8 /XIV/. 93, en particulier, parce qu’il prêta assistance à sa mère lors de sa dernière maladie (cf. 8 /XIV/, 144-149). Plusieurs lettres du Rév. C. Petit se trouvent aux Archives Dehoniennes.
30)
Vogüé (Eugène-Melchior, vicomte de), écrivain français (Nice 1848 – Paris 1910). Il suit la carrière diplomatique de 1871 à 1882, occupe notamment le poste de secrétaire d’ambassade à Saint-Petersbourg, puis se consacre exclusivement à la littérature. Son ouvrage sur le Roman russe (1886) contribue à révéler aux Français les écrivains russes du XIXe s., alors peu connus, mais marque aussi le début du mouvement néo-chrétien, qui, en partant de l’exemple de Tolstoï et de Dostoïevski, réagit contre le naturalisme en littérature et le scientisme en philosophie. Le vicomte de Vogüé a publié d’autre part de nombreux essais, notamment Souvenirs et Visions (1887), Cœurs russes (1897), Hi­stoire et poésie (1898), Pages d’histoire (1902), Maxime Gorki (1905), Trois drames de l’histoire de Russie (1911). On lui doit aussi deux romans: Jean d’Agrève (1897) et Les morts qui par­lent 1899 (Larousse).
31)
Vigny (Alfred, comte de), écrivain français (1797-1863).
32)
Cf. NQ vol 2°, nota 1, pag. 614.
33)
Pottier (Antoine). – Né à Spa (Belgique) en 1849, il termine ses études sacerdota­les à Rome. Ordonné en 1874, nommé, peu après, professeur de théologie morale au grand séminaire de Liège, il observe de près le développement de la grande industrie après 1880, le surpeuplement de l’agglomération, la misère ouvrière qu’aggrave la con­currence américaine et allemande causant la baisse des salaires, les progrès du Parti ou­vrier belge fondé en 1885, enfin l’explosion sanglante dite «guerre sociale» (mars 1886). Très uni à son grand évêque, Mgr Doutreloux, Pottier proclame le devoir impérieux pour les catholiques de rompre avec le libéralisme économique, de reconnaître l’exi­stence d’une question ouvrière, à l’exemple du Centre allemand. A cela, répondent les congrès des œuvres sociales tenus à Liège (1886, 1887, 1890) et Malines (1891). Ils fi­xent des buts et choisissent des modes d’intervention. Les buts sont le repos dominical, l’interdiction ou la limitation du travail des femmes et des enfants, l’assurance des ou­vriers contre l’accident, la maladie ou la vieillesse, la proscription de l’alcoolisme, la constitution de syndicats mixtes ou indépendants pour les ouvriers, la création d’écoles professionnelles, de banques populaires, de sociétés agricoles, de constructions de mai­sons ouvrières, d’œuvres religieuses pour transformer l’esprit. De ces voeux sont issues de très nombreuses fondations dans la région liégeoise. D’emblée, les Congrès font appel à l’État. «Il faut que l’État intervienne là où, sans action publique et législative, le secours nécessaire ne saurait être obtenu ni l’injustice redressée» (Mgr Doutreloux au IIe Congrès). Ainsi l’«École de Liège» s’oppose-t-elle aux positions libérales des catholiques réunis à Angers en 1890. Après Rerum novarum reçue dans la joie et que Doutreloux est le premier évêque à présenter dans une pastora­le, Pottier refuse la représentation ouvrière dans le syndicat mixte en faveur des seuls syndicats ouvriers. Il enseigne que l’action sociale répond à une exigence de la foi con­tenue dans la théologie, le thomisme, la patristique. Enfermant le patronat entre les contraintes de l’obligation de conscience, de l’autorité de l’État et de la revendication ouvrière, s’exprimant avec conviction et fougue, il exaspère et déchaîne les conserva­teurs. Le conflit s’aggrave encore avec le développement de l’Action démocratique chrétienne à partir de 1890, à qui l’extension du suffrage universel oblige à faire sa pla­ce. Pottier se lance avec ardeur dans le combat politique et dresse contre lui le parti ca­tholique, Woeste et le roi Léopold II lui-même. On le dénonce à Rome parce qu’il divi­se et affaiblit le parti du gouvernement. Défendu par Mgr Doutreloux, il donne une impulsion décisive à la Démocratie chrétienne. Mais, en 1896, déférant au désir discret mais ferme de Rome, il renonce au combat et se consacre à l’enseignement. A la mort de l’évêque, ses adversaires imposent son éviction du diocèse (1901), Léon XIII l’ap­pelle à Rome, le nomme prélat. Professeur au Collège Léonin, Mgr Pottier s’intéresse aux progrès des œuvres sociales qu’il a connues et les aide. Il meurt à Rome en 1923 (C H A D).
34)
Miracles des Billettes. Une ancienne tradition rapporte qu’une hostie consacrée, dérobée par une femme qui avait simulé la communion à l’église St-Méry, à Paris, fut profanée par un juif qui la frappa de coups de couteau. L’hostie répandit du sang. Le fait se serait passé le jour de Pâques, le 12.4.1290, dans une rue alors nommée «rue des jardins» et depuis «des Billettes», d’où, «le miracle des Billettes». Au XVIIe siècle, la chapelle du miracle était devenue l’un des centres principaux de l’adoration réparatri­ce. Au moment de la Révolution l’hostie du miracle existait toujours à St. Jean en Grè­ve. Quand cette église fut fermée (1790) les marguilliers de l’église St-Gervais songè­rent à obtenir la garde de cette relique (1.5.1791). C’est la dernière trace historique que nous possédions de l’hostie. Aujourd’hui la réparation est encore continuée par 1’»Œuvre de Réparation eucharistique des Billettes».
35)
A propos de Mme Guillaume Irlande, le P. Dehon écrit dans ses Mémoires: «Je veux aussi, en passant, rendre justice à une pieuse femme, madame Guillaume Irlande, qui a rendu service à la maison pendant de longues années, en me témoignant un grand dévouement» (NHV XIII, 227).
36)
Mgr Duval.
37)
Cf. NQ vol. 2° note 5. p. 604.
38)
Evêque d’Autun, card. en 1895.
39)
Delloue (Albert), en religion Paulin, né à Hirson (Aisne) le 23.2.1863, entré dans la congrégation le 15.4.1889, déjà ingénieur. En octobre 1889, il est envoyé à Rome pour les études de théologie. Il fit sa première profession le 6.9.1890. Il devint prêtre le 11.6.1892 et supérieur du collège Saint Jean en 1896. Il se sécularisa en 1901 à la suite des lois de Waldeck-Rousseau sur les associations. Il demeura directeur du collège Saint-Jean jusqu’en 1914. Il mourut en 1927.
40)
Pagis (Jean – Pierre: 1835-1902), évêque de Verdun: 1887-1901.
41)
Énard (Émile-Christophe: 1839-1907), év. de Cahors: 1896-1906; arch. d’Auch: 1906-1907.
42)
Filljung (Catherine: 1848-1915), naquit à Biding-les-Maxstadt (Moselle) le 13 avril 1848. Vers 1864, elle commença à avoir des extases et des crises cataleptiques, et le curé Meyer, qui la dirigeait, homme imprudent et obstiné, croyant voir en elle des signes de sainteté, la fit entrer au Carmel de Lunéville. Elle en sortit dix mois plus tard. Toujours maladroitement guidée par le curé Meyer, elle séjourna à Biding et à Puttelange, se prétendant favorisée de ravissements, de visions, de revélations, elle commença aussi à prophétiser. Son évêque l’écarta de son diocèse et elle alla en octobre 1876, travailler à Nancy. Rentrée à Biding en 1878, avec de l’argent emprunté ou obtenu en fraude, elle y fit construire une grande maison et commença à grouper autour d’elle des jeunes fil­les qui partageaient son exaltation religieuse. En octobre 1882 Catherine va à Rome afin de plaider sa cause, mais le Saint-Office la renvoya à son évêque. En 1886, elle alla de nouveau à Rome plaider contre son évêque, mais sans succès, et, en 1887, se rendit à Paris où elle tenta de pénétrer dans les milieux aristocratiques, espérant y trouver des fonds et des appuis. A son retour en 1890, elle fut arrêtée pour escroquerie par les auto­rités allemandes, et placée en observation dans un asile d’aliénés. Elle mourut le 4 août 1915, toujours en lutte avec les autorités ecclésiastiques. Catherine Filljung est considé­rée par certains comme une grande mystique, mais Mgr Pelt, évêque de Metz, la traite d’aventurière, d’hystérique, de simulatrice (cf. NQIV, 34: 11 avril 1888; NQXI, 66r: 7 août 1896, Vie du P. Rasset, pp. 209 et 217). Les Pères Weber Alphonse et Joseph étaient ses neveux.
43)
Péchenard (Pierre-Louis: 1842-1920), vicaire général à Reims en 1896. Nommé évêque de Soissons le 22.12.1906, consacré le 31.1.1907, il mourut à Soissons le 27.5.1920.
44)
Le card. Langénieux.
45)
Lehmkuhl (Auguste). – Né à Hagen (Westphalie), le 23 sept. 1834, entré dans la Compagnie de Jésus le 15 oct. 1853, prêtre en 1862, Lehmkuhl enseigne d’abord (1865) l’Écriture sainte et le dogme, puis (1871-1880) la théologie morale à Maria Laach et à Ditton Hall (Angleterre), lors du Kulturkampf. A partir de 1880, il se consa­cre exclusivement à son œuvre littéraire. Il meurt à Valkenburg (Limbourg hollandais) le 23 juin 1918. L’activité littéraire de Lehmkuhl s’est exercée en trois domaines: 1. Théologie morale. – l’œuvre principale de Lehmkuhl est sa Theologia moralis, 2 vol., Fribourg, 1883-1884, qui connut de nombreuses rééditions soigneusement mises à jour. On peut dire qu’elle a été un ouvrage classique pendant cinquante ans. 2. Doctrine politique et sociale. – L’étude des problèmes de morale conduisit Lehmkuhl à celle des questions politiques et sociales. Lors du Kulturkampf, il publia, dans les Stim­men von Maria Laach, des articles retentissants sur les droits de l’Église, la mission des évêques, l’obéissance aux lois de l’État, la liberté de conscience et du culte. Parmi les problèmes sociaux nés de l’industrialisation, Lehmkuhl s’intéressa surtout au contrat de travail et au droit de grève: Arbeitsvertrag und Streikrecht, Fribourg, 1899; il étudia encore l’assurance obligatoire, le rôle de l’Église et de la société internationale dans la solution de la question sociale: Die internationale Regelung der sozialen Frage, Fri­bourg, 1893. Lehmkuhl traite ces problèmes, en dehors de tout opportunisme, en réfé­rence aux principes du droit naturel et de la révélation chrétienne et aux réalités socia­les de son temps. 3. Spiritualité. – Lehmkuhl fut encore un écrivain spirituel de qualité. Lehmkuhl collabora encore à de nombreuses revues: Pastor bonus, Theologische praktische Quartralschrift, Zeitschrift für katholische Theologie, ainsi qu’au Kirchenlexikon de Mgr Hergenro-ther. Il fut l’un des membres les plus assidus de l’Union de Fribourg (C H A D).
46)
Feron (Camille-Édouard), officiellement autorisé par la Chancellerie en 1873 à por­ter le nom de Feron-Vrau. – Né à Lille le 23 juill. 1831, d’une famille commerçante ho­norablement connue et très liée avec la famille Vrau, dont le fils Philibert fut le camara­de d’enfance et le compagnon de vie de Camille Feron. Celui-ci épousa la soeur de Phi­libert, Marie Vrau, en 1861, et il en eut cinq enfants. Camille Feron fit ses études de médecine et il exerça à Lille, recherchant une clientèle de pauvres. Il fut professeur adjoint de clinique médicale à l’hôpital S.-Sauveur. En 1866, il renonça à la médecine pour s’associer à la maison Vrau, dont l’activité s’était universellement répandue, notamment avec le fil au Chinois. Dans l’entreprise, Phili­bert Vrau s’occupa spécialement des installations d’usine et des marchés extérieurs, c’était «le voyageur». Camille Feron suivait les institutions en faveur des ouvriers. Camille Feron s’attachait fortement à faire régner dans l’usine un esprit chrétien ab­solu. On faisait la prière avant de commencer le travail; des statues de la Vierge étaient dans les bureaux, ornées aux fêtes liturgiques; on y suivait le mois de Marie; on avait des institutions de piété: l’Apostolat de la prière, la garde d’honneur du Sacré-Cœur, l’Apostolat de la bonne presse, reliées à la confrérie de Notre-Dame de l’Usine. Une chapelle favorisait les communions fréquentes et l’adoration perpétuelle. On fit venir des religieuses; leur rôle pouvait préfigurer, en quelque sorte, celui des assistantes so­ciales; mais il était surchargé d’un travail de contrôle. Elles furent expulsées par la poli­ce en 1903, en application de la loi contre les congrégations. La vie religieuse de l’usine n’en fut que plus appuyée, notamment par un catéchisme de persévérance. De 1871 à 1902, cinquante-deux ouvrières de la maison Feron-Vrau se firent religieuses. Cette forte action religieuse, qui excédait peut-être une partie des ouvriers, simple­ment encore fidèles «de tradition», s’appuyait d’une action sociale. Sous l’influence de M. Harmel furent institués un conseil patronal, un conseil d’usine, un patrimoine cor­poratif, des institutions économiques comme des caisses de prêts, de secours mutuels, d’achats à bon marché, d’assistance mutuelle. La maison offrait au personnel une ap­préciable stabilité, puisque, lors de la célébration d’un jubilé, une centaine d’ou­vriers fêtèrent leurs vingt années de présence. Cependant il semble que certains buts, jugés essentiels par les ouvriers, ne furent pas atteints, puisque la 1er mai 1890 le per­sonnel de la maison Feron-Vrau participa au mouvement de grève. En dehors de l’usine et sur le plan religieux, économique et social, Camille Feron et Philibert Vrau furent les artisans actifs, à Lille et dans la région, de toutes les institu­tions et de toutes les œuvres. Il est difficile de résumer la vaste étendue de leur action: Adoration nocturne, Conférence de S.-Vincent de Paul, congrès eucharistiques, De­nier de S.-Pierre, etc. Infatigables bâtisseurs, ils construisirent des églises (dont la ca­thédrale N.-D.-de-la-Treille), une maison des œuvres, les Facultés catholiques. M. Feron-Vrau, en souvenir de sa profession, y voulut une faculté de médicine. Quand sa fille Anne-Marie mourut à seize ans, il affecta la dot qui lui était promise à la constitu­tion d’un hôpital pour enfants. Il fonda aussi une Charité maternelle et une école de sages-femmes. M. Feron Vrau accomplissait ces œuvres en silence, refusant qu’on dise son nom. C’est également aux deux beaux-frères que Lille doit son Institut catholique des arts et métiers, l’I. C. A. M. En 1878, M. Feron-Vrau avait établi l’Association des patrons chrétiens du Nord, dont il fut le président de 1890 à sa mort. Il fonda pour les ouvriers fileurs, tisserands et filliers, la Corporation de S.-Nicolas, sur le modèle des Cercles catholique d’ouvriers. En 1885, il accompagna M. Harmel à son pèlerinage ouvrier de Rome. Les créations de cercles d’études ou de syndicats mixtes furent encouragées. La mort de Philibert Vrau en 1905 n’arrêta pas le travail de Camille Feron. L’une de ses dernières préoccupations fut la construction de logements ouvriers, qu’il avait prô­née depuis longtemps sans être suivi; un immeuble avec 40 logements fut réalisé. Camille Feron-Vrau mourut le 30 mai 1908. On a pu dire que c’était un grand cœur servi par un noble esprit et qu’une splendeur de charité et de sainteté avait rendu sa vie et sa mort comme celles de Philibert Vrau, précieuses devant Dieu. Dès 1912, la cause de béatification de Camille Feron et Philibert Vrau fut engagée. Les procès diocésains sont terminés sauf en ce qui concerne les miracles: sur ce dernier point ils ont été retardés, parce que les fidèles ont coutume d’invoquer à la fois «les deux frères», ce qui est contraire aux règles de la S. C. des Rites. Quant au procès de Rome, on en est à l’examen de l’héroïcité des vertus. Les restes des serviteurs de Dieu se trouvent aujourd’hui dans la crypte de la cathédrale de Lille (C H A D).
47)
Foi (Sainte). – Le nom est souvent écrit Foy (en latin Fides). – Vierge et marty­re. Elle a été très populaire au Moyen Age, ce qui ne veut pas dire que sa vie a été très bien connue. La recension auxerroise du martyrologe hiéronymien signale, le 6 oct.: «En Gaule, dans la cité d’Agen, Ste Foi, martyre». Le martyrologe romain n’est guère plus renseigné; il ajoute seulement que son exemple anima au martyre le bienheureux Caprais. La plupart des textes placent sa mort sous Dioclétien (Adon écrit: en 303). Mais il ne semble pas que la persécution de Dioclétien ait atteint l’Aquitaine. Le martyre de Foi eut lieu sans doute un peu plus tôt, au IIIe s., aux origines de la chrétienté agenaise. On a de sa passion des récits qui ne semblent pas antérieurs au IXe s., Florus résume dans son martyrologe un récit différent et plus simple. Foi serait née de parents nobles. Arrêtée comme chrétienne par le préfet Dacien, elle refusa d’abjurer et fut, par son or­dre, étendue sur un lit de fer, sous lequel on alluma du feu. Un chrétien de la ville, Ca­prais, ayant appris par révélation le supplice de Foi et obtenu, comme un signe du ciel, le jaillissement subit d’une source, vint se livrer au persécuteur, qui essaya vainement de le ramener à l’idolâtrie. Le préfet le fit alors déchirer par des fouets. Comme Foi et lui demeuraient inflexibles, ils furent décapités. Leurs corps furent ensevelis sur place et restèrent longtemps ignorés. La Passion de Ste Foi attribue à l’évêque d’Agen, S. Dulcide, au Ve s., l’érection d’une basilique en l’honneur de la vierge martyre. Quoi qu’il en soit de l’origine de cet­te église, celle-ci fut reconstruite au XIIIe s., agrandie au XVe et presque entièrement détruite en 1890. Les reliques de Ste Foi furent volées au IXe s. par un moine de Conques en Rouer­gue (8 janv. 866), qui les transporta dans son monastère. Le récit de l’enlèvement fut écrit vers le milieu du XIe s. et possède une grande valeur historique. A cette époque, Ste Foi était déjà, à Conques, l’objet d’un pèlerinage très fréquenté. Dès le Xe s. on vénérait la statue d’or, richement décorée de pierres précieuses, qui contenait sa tête: la Majesté de Ste Foi. D’innombrables miracles témoignaient de sa puis­sance. De Conques, sa popularité rayonna largement, d’autant plus que les pèlerins de Compostelle passaient par Conques. Seize communes et plusieurs localités, en France, portent le nom de Ste Foi; les égli­ses qui lui sont dédiées sont plus nombreuses encore. La fête est inscrite au martyrologe romain le 6 oct. Un indult du 30 oct. 1951 de la S. C. des Rites a autorisé la célébration de la solennité le 3e dimanche de septembre (C H A D).
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