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12ème CAHIER (Novembre 1896 – Mai 1898)

1

Je prends quelque jours de repos à Marsanne, auprès du sanctuaire de N.D. de Consolation. Le P. Dupland me conduit faire quelques visites. Nous allons à Valence voir Monseigneur1), qui est toujours fort bienveil­lant. Je revois la cathédrale, église romane du XIe siècle, consacrée par Urbain II.

Valence a un curieux musée fondé par son archiprêtre. Il a réuni des moulages de toutes les anciennes sculptures chrétiennes, frises, tom­beaux, etc. Il y en a de France, d'Italie, d'Espagne. Rien n'est plus pro­pre à faire ressortir le symbolisme chrétien et la 2 représentation des mystères dans les premiers siècles.

J'allai voir aussi le bon évêque de Viviers2), qui nous reçut avec beau­coup d'amabilité. Sa ville épiscopale n'est qu'une bourgade bien située et dominée par sa vieille cathédrale, qui possède de riches tapisseries. L'évêché est un bel hôtel Louis XV.

Cette région là a des usines chrétiennes. Les La Farge ont au Teil une importante fabrique du Chaux hydrauliques. Ils ont une chapelle pour les ouvriers et un aumônier qui est un saint prêtre, mais ces messieurs ont trop peu de contacts avec leurs ouvriers.

M. Lacroix à l'usine St Joseph fait dévider les cocons de soie. Il a des Soeurs qui dirigent ses orphelines et ses 3 ouvrières. C'est pieux. Dieu veuille bénir ces bonnes volontés!

Qui donc connaît Saint-Antoine du Dauphiné en France? Personne. Et cependant nous avons là un monument de premier ordre et une reli­que précieuse entre toutes, le corps de St.-Antoine le grand, l'ermite du désert d'Egypte.

Le corps de Saint Antoine fut apporté là de Constantinople en 1070 par le baron Jocelin de Chateauneuf de l'Albenc. Des bénédictins de Montmajeur élevèrent une basilique pour le recevoir et une bourgade se bâtit sous le nom de St-Antoine.

Des religieux hospitaliers se fondèrent là, qui essaimèrent partout et soignaient la maladie du feu de St. Antoine. Aujourd'hui dom Gréa3) a mis là le centre de ses chanoines réguliers 4.

La basilique fut consacrée en 1119 par Callixte II. L'intérieur rappelle nos plus belles cathédrales. La façade commencée au XVe siècle est ina­chevée. Le grand portail a tout un monde de statues finement sculptées: Notre-Seigneur entre la Ste Vierge et S. Jean-Baptiste, les prophètes, les anges.

Le tombeau de S. Antoine forme le maître-autel. Il date du XVIIe Siè­cle. Il est en marbre de Savoie, revêtu d'ornements en bronze ciselé: guirlandes, cariatides, anges et chimères. La châsse de St. Antoine est en bois, recouvert de lames d'argent ciselé et repoussé. On y voit neuf scè­nes diverses de la vie de S. Antoine.

Des châsses en bois doré, du XVIIe siècle contiennent des reliques nombreuses.

Les chanoines réguliers chantent 5 là pieusement leur office.

Le site est beau comme celui de toutes les gorges de l'Isère. Quel dom­mage qu'un siècle religieux et libre n'achève pas et ne restaure pas des monuments de cette valeur.

On nous dit chauvins à l'étranger, mais aucun peuple ne l'est moins pour faire valoir ses richesses artistiques et religieuses. Il faut que St. Antoine soit en France pour rester ainsi ignoré.

De St. Antoine je passai à Grenoble pour visiter Monseigneur4) qui a toujours été bienveillant pour moi. Il m'invita à déjeuner. Je le trouvai trop attaché à la fable de Diana Vaughan5). Il me montra de ses lettres et de ses dédicaces.

Grenoble est dans une situation 6 unique, avec ses belles montagnes qui l'encadrent. Elle a eu ses célébrités, le triste baron des Adrets6) et le bon chevalier Bayard7).

Sa cathédrale est une lourde église du XIIe siècle, mais son palais de justice de la Renaissance est plus gracieux que beaucoup de célèbres pa­lazzi italiens.

La cathédrale a un beau tabernacle en pierre du XVe siècle, haut de 14 mètres, comme on en voit en Allemagne (à Nuremberg) et en Belgi­que.

Son musée est un des plus riches de la province. J'y remarque une Sainte Famille de Vouet; un Rigaud, portrait de St. Simon évêque de Metz; Lesueur, la famille de Tobie remerciant Dieu; Bruandet, une fo­rêt; Desportes, cerf aux abois; 7 Tintoret, le doge Gritti, devant la Sainte Famille, en prière; Le Pérugin, St. Sebastian et Ste Apollonie; Véronèse, Jésus guérissant la femme hémorroïsse; Guardi, la place St­Marc à Venise; Ribera, St. Barthélémy prêt de souffrir le martyre; C1. Lorrain, marine; Rubens, St. Grégoire Pape avec St. Maurice, Ste Do­mitille, etc; Ph. de Champaigne, Louis XIV conférant l'ordre de St-­Esprit au duc d'Anjou, son frère; et, parmi les modernes, Merle, le Ré­dempteur; Vayson, gardeuse de moutons.

Il faut voir encore à l'église St-Laurent une crypte du VIe siècle avec 28 colonnes de temples antiques.

Il a été superbe le congrès de Lyon. Il était successivement anti­maçonnique, antisémite et social. La présence de Drumont a mis en émoi le 8 clergé. C'est qu'il parle si mal des évêques! Mais cependant il a rendu d'immenses services à la bonne cause en soulevant la question juive.

J'ai entendu là de belles paroles; parmi les jeunes, Monicat et de Ma­gallon; parmi les parlementaires, le comte d'Hugues, et Delahaye; par­mi le clergé, les abbés Gayraud, Lemire et Cetty.

Les meetings du soir étaient des explosions d'enthousiasme. Les voeux étaient bien préparés.

M. Lemire nous a parlé bien éloquemment de la terre et du foyer. J'ai fait un rapport sur la situation actuelle et les causes du malaise so­cial. C'est un travail qui me servira pour mes conférences de Rome 9.

Je prêche une petite mission à Mais. Le pays passe par une grève mé­tallurgique. J'ai de beaux auditoires dans la vieille cathédrale, et tout se passe sans encombres.

Je visite à Vezenobres la famille de Bernis dans son castel du XVIIe siè­cle sur les bords du Gardon. La famille est édifiante, mais sa galerie de ta­bleaux montre que les aïeux au XVIIIe siècle étaient bien de leur temps.

Conférence d'hommes à Nîmes, réunion de prêtres, conférences au séminaire, au cercle militaire, ce sont des journées bien remplies.

Nîmes est une ville bien agréable, quand elle n'est pas balayée par le mistral. Sa Maison carrée et ses arènes en font une petite Rome. Sa fon­taine forme avec le Mont 10 Cavalier un délicieux jardin public. Ses églises neuves de Ste Perpétue et de Ste Bandile sont fort réussies.

Les catholiques de Nîmes se souviennent que les rois les ont défendus autrefois. Ils sont restés ardents royalistes. Un travail se fait, mais assez lentement, dans le sens des directions pontificales.

J'allais passer quatre mois à Rome, j'en étais bienheureux. Je rever­rais Rome et tous ses sanctuaires. Je recevrais la bénédiction du Saint-­Père, je visiterais les ecclésiastiques les plus éminents.

Je m'instruirais des véritables intentions du Pape. C'est pour moi un coin bleu dans un ciel nuageux, une oasis dans le désert de ces années as­sez tristes.

J'ai vu le cardinal Parocchi8), de qui nous dépendons pour notre maison de Rome. J'admire toujours son érudition. Il a tout lu en histoire et en lit­térature. Il a un petit faible pour le journal La Vérité et se plaint un peu des polémiques de l'Univers.

Plusieurs fois, j'ai vu le card. Rampolla9), toujours bienveillant et con­tent de mon petit apostolat social. Il m'édifie toujours par sa piété et j'admire sa prudence et son habilité.

Le card. Ferrata10) aime à causer de sa nonciature en France, de la poli­tique papale dont il a été un instrument, de la résistance des congréga­tions, qu'il n'approuve pas.

Le card. Satolli11) a rapporté d'Amérique des idées larges. Il goûte la 12 démocratie et l'action populaire. Il est d'avis qu'un prêtre in­struit gagnerait à passer quelques mois en Amérique.

Le card. Jacobini12) me renseigne sur les missions que nous pourrions demander à la Propagande. Sa santé me paraît altérée, la nonciature de Lisbonne l'a fatigué.

Le card. Ledochowski13) m'accueille avec bonté. Je lui demande une mission, il y pensera. La Propagande ne donne plus facilement, dit-il, de missions indépendantes, il faudra sans doute commencer sous la juridic­tion de quelque vicaire apostolique. Fiat!

Le card. Agliardi14) est un ami ardent de la démocratie. Il a beaucoup aidé Lueger à Vienne, il a contribué à former le parti catholique hongrois 13. Il aime à causer de toutes ces questions. Il est bien encou­rageant.

Le card. Vincenzo Vannutelli15) est très uni au Pape et au card. Rampol­la. Il désire le succès de la politique pontificale en France. Il se montre très bienveillant.

Le card. Seraphino Vannutelli16) est notre supérieur comme préfet de la cong. des évêques et réguliers. Il est plus solennel et plus réservé que son frère. Il est bienveillant et m'engage à demander l'approbation de notre congrégation.

Le card. Prisco17) était professeur à Naples. Il achève d'écrire sa philo­sophie où il traite, aussi des principes sociaux. Il s'intéresse à nos études. Le card. Steinhuber18) est mon supérieur à l'Index. Jésuite autrichien (ou bavarois) il est assez 14 au courant des questions modernes. An­cien élève du collège germanique, il a connu mes collègues de la sténo­graphie du Concile.

Le card. Gotti19), religieux carme, est un homme d'études. Il vit à son bureau. Il parle bien le français et paraît assez au courant des choses mo­dernes. C'est un de ceux qu'on dit papables religieux.

Ma Retraite du S. -Cœur avait paru, je l'offris au card. Rampolla, qui me donna une lettre fort encourageante.

Je visitai bon nombre de religieux les plus influents de Rome.

Dom Hildebrant de Hemptine est abbé primat des Bénédictins. Je l'avais déjà vu à Maredsous. Il habite à Rome le beau monastère neuf de St-Anselme à l'Aventin. Par ses relations avec l'aristocratie belge, il s'entretient 15 dans des idées réfractaires. Il est d'ailleurs très cour­tois.

Les bénédictins sont encore bien divisés, mais leur université commu­ne de St-Anselme prépare une fusion à longue échéance.

Dom Sébastien Wyart20), abbé général des Cisterciens de la Trappe. C'est un vieil ami. Je l'ai connu capitaine des zouaves. C'est un cœur d'or. Il s'attache peu à peu aux directions pontificales. Il a fait l'union des Trappistes. On l'espère qu'il fera celle de tout l'ordre de Cîteaux.

Dom Wyart a de bons et aimables auxiliaires, Dom Benoît, abbé et procureur général, Dom Ignace abbé de St-Calixte.

Dom René Herbault est procureur général des Chartreux, via Palestro. Les Chartreux n'ont plus à Rome 16 qu'une procure, depuis que l'Etat leur a pris la maison de Ste-Marie-des-Anges.

Le procureur général des Prémontrés de France, le P. Alphonse Pugniè­res est notre hôte. Nous habitons chez lui. Je pense que les Prémontrés de France sont en souffrance à Tarascon et à Conques. Ils n'ont plus d'abbé. On parle de leur fusion avec ceux de Belgique.

Chez les Dominicains, j'ai vu plusieurs Pères: le P. Fruhwirth, maître général, autrichien, très affable, très au courant des questions sociales, ayant écrit lui-même un ouvrage sur l'usure. - Le P. Cormier, proc. gen. et le P. Bauduin, conseiller, sont deux français aussi aimables qu'instruits. Le P. Bauduin a revu avec moi le Manuel social. Le P. La­porte est de notre diocèse: très érudit, très original, aimable cau­seur 17.

Le P. Général des Françiscains est bien vénérable, il est italien. Il est sympathique aux œuvres modernes sans y être trop initié. Il y a là aussi le P. Raphaël, procureur, d'une amabilité et d'une charité bien édifian­tes, et le P. David, anglais aux idées larges, d'allures plutôt américaines. Le P. Général va être changé par suite de la fusion de diverses branches.

Chez les Capucins, le P. Général, Bernard d'Andermatt est suisse. Il est en défiance contre les œuvres sociales par suite des échecs du P. Lu­dovic de Besse en France. Je vois aussi là le P. Pie de Langogne, très agissant, membre de plusieurs congrégations romaines. Les capucins se regardent, paraît-il, comme l'aristocratie de l'ordre. Ils se recrutent sou­vent dans une classe plus élevée que les franciscains.

Chez les Jésuites, j'ai vu les 18 principaux professeurs du collège ro­main et les écrivains de la Civiltà. Au collège romain le P. Ferretti, rec­teur, les Pères Billot, de Maria, de Augustinis, de Mandato et Vernhes. Le P. Vernhes, prof. de droit canon et le P. de Mandato paraissent seuls un peu au courant des questions sociales. Je parle à ces Pères de la fonda­tion d'une chaire de philosophie sociale, mais on craint la nouveauté et on suit les habitudes prises. Le P. Billot est absorbé par la spéculation théolo­gique pure. C'est le frère de mon ancien condisciple, Gabriel Billot.

A la Civiltà, le P. Steccanella est ardent pour les questions sociales; mais il est arrêté par le P. Recteur qui est timide. On craint de heurter la clientèle aristocratique des collèges. Le P. Zocchi est avec nous. C'est le meilleur orateur de la Compagnie à Rome 19.

Chez les Pères de la Mission (Lazaristes), je ne vis que M. Milon, le ty­pe du bon missionnaire français, simple, pieux et affable.

A la procure de St-Sulpice, je vis plusieurs fois M. Hertzog. Il eut l'amabilité de m'inviter. On est là un peu en retard sur le mouvement social provoqué par Léon XIII.

Le P. Mallet, procureur des Eudistes, est la droiture même. Il aime le Pape et tout ce que veut le Pape.

Je puis en dire autant du P. Burtin procureur des Pères Blancs. C'est un missionnaire ardent, dévoué au Pape et disciple enthousiaste du car­dinal Lavigerie.

Le P. Lemius21), procureur des Oblats de Marie Immaculée a le même caractère loyal et dévoué. Il travaille et il est estimé 20.

Je vis souvent les Pères du St-Esprit. Mgr Leroy leur général passa quel­ques jours à Rome et vint me voir. C'est encore un vrai missionnaire français, loyal et ardent. Le P. Brichet est toujours le même, tout dévoué à sa procure. Le P. Eschbach22) est érudit et pieux, il arrivera sans doute au cardinalat. Je trouve sa prudence exagérée dans les questions socia­les. Le P. Daum est héroïque dans ses souffrances, il tremble toujours comme les branches du peuplier. Le P. Duplessis est resté un saint sémi­nariste, pieux, régulier et très intérieur. Il faudrait quelque chose de plus pour former ses jeunes gens.

Chez les Rédemptoristes, je vis le P. général et le P. Berthe, un bon vieil­lard qui a écrit la vie de Garcia Moreno. Je le crois trop en défiance 21 contre la démocratie moderne.

Chez les Pères de Ste Croix, le P. Zahm, procureur, est américain, de l'école du Mgr Ireland et du Mgr Kean. Il aime l'action sociale et envoie ses scolastiques à toutes mes conférences.

J'ai vu le P. Martin, général des Maristes et le P. Nicolet procureur. Ils entreprennent une bien grande fondation à Rome. J'envie leurs ressour­ces.

Le P. Jouet, procureur des Marianistes, fait aussi partie du bon groupe des français simples et vraiment apostoliques.

J'ai vu souvent le P. Emmanuel Bailly23) de l'Assomption. Il s'est mon­tré bien hospitalier et m'a prêté ses locaux pour mes conférences. Il est plein de bonne volonté.

Chez les Pères de Lourdes, le procureur, le P. Luciat est encore tout jeu­ne. Il représente bien aussi le caractère français 22. J'ai vu aussi le P. Jouet d'Issoudun. Il est séparé de sa communauté, mais il réussit dans sa fondation aux Prati. Il nous fait un accueil très affable.

Que d'éléments édifiants et comme tout cet ensemble nous invite au travail et à la piété pour faire l'œuvre de N.-S. comme il le voudra!

Je suis allé saluer la plupart des évêques français qui sont passés à Ro­me pendant l'hiver: Mgr de Rouen24), qui a gardé un bon souvenir de St­Quentin et qui connaît le P. Blancal; - Mgr de Nevers25), que je trouvai occupé à lire mon Manuel et qui est tout dévoué à mes idées; Mgr de Meaux26), maladif et amoindri par des embarras financiers; - Mgr de Lyon27), qui est entouré d'influences bien réfractaires; - Mgr de Carcassonne28), même note beaucoup plus accentuée; - Mgr de Montauban29), plein de bonne volonté 23; Mgr de Cabrières30), ev. de Montpellier, retenu par des traditions de famille et par son entourage; - Mgr Richard31), cardinal de Paris, très désireux de marcher avec le Pa­pe, quoiqu'il lui en coûte de rompre avec ses traditions familiales et bre­tonnes; - Mgr de Vannes32), lié à l'empire par ses origines, à la royauté par son entourage; - Mgr de Saint-Flour33), animé des meilleures inten­tions.

Tout cela montre que nous avons un épiscopat honorable et digne, mais empêché d'avoir une action intense et générale tant par ses propres divergences d'opinions que par la susceptibilité de l'Etat.

J'ai vu souvent Mgr Mourey, auditeur de Rote et avec lui son compa­gnon, Mgr d'Hautpoul. Mgr Mourey est très intéressant, très au cou­rant des choses de France, correspondant 24 assidu de M. Etienne Lamy34) et très agissant à la secrétairerie d'Etat. Il se justifie de ses démê­lés avec les dominicains, et il espère, je crois, le chapeau de cardinal.

J'ai vu aussi M. Duchesne35), l'archéologue auquel je reproche de de­molir nos traditions apostoliques. Quelques uns de ses élèves de l'Ecole française sont bien charmants. J'en reçois deux à déjeuner, MM. Du­fourcq et Besnier, qui sont des catholiques sans respect humain.

M. Poubelle, notre ambassadeur, au palais Rospigliosi, n'a pas, je crois, de doctrines bien arrêtées. Il tient que les églises nationales doi­vent s'attacher à leurs libertés, à leur liturgie, etc. Il a une tendance gal­licane sans bien savoir ce que cela vaut 25.

Nos pieuses communautés de femmes sont largement représentées à Rome. Je reçois un accueil très sympathique chez les Dames du S.-Cœur et chez les Dames de la Retraite.

Je vois souvent Mgr Tiberghien et Mgr Radini-Tedeschi son com­mensal.

Mgr Tiberghien36), fils d'un riche industriel de Tourcoing, a étudié à Rome, à l'académie des nobles. Il fait sa carrière dans la prélature, il est camérier surnuméraire. Il est très courtois, très dévoué, fort attaché aux directions du Vatican, très ami de M. Harmel. C'est lui qui m'a amené à faire des conférences à Rome et qui les a organisées.

Mgr Radini-Tedeschi37) est d'une noble famille de Plaisance. Il est chanoine de St-Pierre. Il est éloquent, très fin, bien au courant des questions 26 actuelles. Il a un des principaux rôles dans l'œuvre des Comités et dans le réveil catholique italien. Il est fort aimé de Léon XIII et appelé à un grand avenir.

Parmi les laïques, j'ai vu le Mis (marquis) Crispolti38), correspondant de La Croix, dévoué à M. Harmel, pauvre d'argent et riche de bonne volonté. J'ai vu aussi le comte Soderini39), catholique assez en vue, écri­vain social, ayant ses entrées au Vatican, mais n'ayant pas les sympa­thies de tous.

Enfin j'ai vu plusieurs fois Mgr Kean, disgracié à l'Université de Wa­shington. Il prend de l'influence à Rome. Il est très américain, très dé­mocrate et pense que l'Europe a beaucoup à apprendre de l'Amérique.

Je ne dois pas oublier Toniolo40), professeur à l'Université de Pise 27, philosophe et sociologue très remarquable et avec cela d'une amabilité et d'une grâce charmantes. Ses idées sont fort avancées. Léon XIII l'aime beaucoup et l'appelle le maître en sociologie. Par sa science et sa douceur, il a mérité d'être comparé à St. Bonaventure, le docteur séraphique.

Le St-Père voulut bien me recevoir avec le bon Père Harmel et le P. Jules, franciscain, le 22 janvier. M. Harmel fit entrer aussi M. de Palo­mera, un homme d'œuvres, de Cognac.

Le St-Père nous a reçus à 11 h. 3/4. Nous étions quatre agenouillés autour de lui comme des enfants auprès de leur père. J'étais devant lui, M. Harmel était à sa gauche, le P. Jules et M. de Palomera à sa droite.

Le St-Père était bien portant. Il a toujours la même vivacité d'intelligence 28 et le regard vif et pénétrant. Il nous témoigna une grande bonté et nous conserva trente cinq minutes auprès de lui.

Comme j'arrivais, il m'adressa la parole et me dit avec un bon souri­re: «Vous faites des conférences à Rome, vous avez commencé». - «Oui, lui dis-je, j'en fais tous les quinze jours». - Il ajouta: «Sur la question sociale?». - «Oui, très Saint-Père». - «C'est très bien».

M. Harmel lui parla alors des œuvres sociales, j'y reviendrai tout à l'heure.

Quand vint le moment de parler au Saint-Père de la Congrégation, il écoutait avec une grande attention. Je lui rappelai notre but intime, dé­vouement et réparation au S.-Cœur, et nos œuvres extérieures qui con­sistent surtout dans l'apostolat populaire, missions populaires dans plusieurs 29 diocèses, Soissons, Poitiers, Valence, œuvres du Val, Bruxelles, missions au Brésil.

Le St-Père écoutait avec une grande bienveillance. Il me dit alors: «C'est cela, il faut vous dévouer au peuple par la prédication et les œuvres. Et les évêques encouragent vos œuvres, n'est-ce pas?».

- «Oui, très Saint-Père».

- «Combien êtes vous?».

- «Environ deux cents et nous avons deux cents enfants dans nos écoles apostoliques».

- «Combien êtes vous de prêtres».

- «Soixante cinq prêtres».

- «Et vous n'êtes pas tous français?».

- «Non, très Saint-Père, nous avons aussi des Allemands et des Hollandais».

- «Et des Belges?».

- «Oui, très Saint-Père, et nous avons aussi des Soeurs qui se dé­vouent aux 30 même œuvres».

- «C'est très bien. Avez-vous l'approbation de l'Institut?».

- «Très Saint-Père, nous avons le Bref laudatif depuis neuf ans déjà et nous espérons avoir bientôt l'approbation de l'Institut?».

- «C'est très bien. Faites l'apostolat populaire, enseignez les droits de chacun, des patrons, des ouvriers. Détournez le peuple du socialisme».

- «Très St-Père, je vous demande de bénir toutes nos œuvres, nos religieux, nos enfants et aussi nos Soeurs».

- «Oh! n'en doutez pas, je bénis toute votre œuvre très volontiers».

Le St-Père accentuait fortement ces paroles et marquait sa bienveil­lance par un bon sourire.

M. Harmel dit au St-Père:

- «Très St-Père, le mouvement 31 démocratique chrétien, con­formément à vos encycliques, fait des progrès en France. Il a ses revues, comme la Démocratie chrétienne de Lille, ses journaux, la France libre, l'Uni­vers, etc.».

- Le St-Père ajouta: «Et le Peuple Français».

- M. Harmel reprit: «il a aussi ses congrès qui sont très vivants». - Le St-Père se tourna alors vers moi et me dit: «Vous étiez au Con­grès de Lyon n'est-ce pas?».

- Je répondis: «Oui, très St-Père, et tout s'y est très bien passé. On a bien acclamé toutes les doctrines pontificales».

- «Et l'archevêque Mgr Couillé avait pris un peu peur, n'est-ce pas?».

- «Oui, reprit M. Harmel, parce qu'il y a à Lyon de puissantes in­fluences réfractaires».

M. Harmel présenta alors des adresses 32 envoyées par les Unions démocratiques ouvrières. Le St-Père promit de répondre à toutes.

M. Harmel rappela alors l'action des prêtres dévoués au peuple: avec le P. Dehon, M. Lemire, M. Gayraud, M. Garnier, M. Naudet41). Le St-Père nous dit: «Il faut une organisation et des chefs pour l'ac­tion politique et sociale. Pour l'action sociale, nous avons Harmel; pour l'action politique, pensez-vous que M. Lamy pourra réussir!».

M. Harmel parla encore du succès du congrès de Lyon, du projet de con­grès démocratique régional à Marseille, que le St-Père bénit et de l'utilité des congrès pour l'union des catholiques, comme le prouve le pacte conclu à Reims entre le groupe des patrons du nord et les unions démocratiques 33. Cette union de Reims était due surtout aux efforts d'un patron du Nord, M. Legros. Le St-Père promit de lui donner une décoration.

On parla alors longuement du Tiers-Ordre de St. François. Le St­-Père loua les congrès du Tiers-Ordre, son action sociale, son organisa­tion. Il nous rappela qu'il y avait là un moyen providentiel pour lutter contre la franc-maçonnerie. Il verrait volontiers l'union des diverses branches franciscaines, c'est une question à l'étude.

Nous parlâmes alors au St-Père d'un discours important prononcé au congrès de Fiesole par Mgr Radini-Tedeschi sur l'action sociale du clergé. Nous dîmes au St-Père que nous allions répandre ce discours en France et que nous espérions qu'il ferait 34 un très grand bien parmi le clergé.

Le St-Père nous encouragea et ajouta: «Mgr Radini-Tedeschi est le prélat que nous avons mis à la tête des œuvres à Rome, car l'action sociale chrétienne est organisée en Italie. Il y a un président général et des présidents provinciaux à Naples, à Palerme, à Venise, à Milan, à Rome, etc.».

Nous dîmes alors: «Très St-Père, si cette organisation pouvait se faire en France, cela aiderait peut-être à réaliser le bien plus vite».

Le St-Père réfléchit. Je vis qu'il hésitait à conseiller cette organisation pour la France, dans la crainte peut-être de n'être pas suivi. Il dit seule­ment: «En Italie, nous l'avons ordonné», et il paraissait heureux du succès croissant de cette 35 organisation.

M. Harmel lui demanda alors si on ne pourrait pas reprendre les pèle­rinages ouvriers. On amènerait seulement trois trains, environ 1500 ou­vriers à la fois par an.

Le St-Père leva les bras en souriant et dit à haute voix: «Ah! les pèle­rinages ouvriers!». - Il nous faisait comprendre qu'il en avait gardé un excellent souvenir. Il ajouta: «Mais à mon âge, je ne puis, plus guère leur faire de discours».

M. Harmel répondit: «Mais, très St-Père, nos ouvriers seront quand même très heureux de vous voir».

- «Eh bien! dit le St-Père, qu'ils viennent me voir, je leur dirai la messe à St-Pierre».

Et il paraissait très content de ce projet.

Nous aurions pu prolonger 36 encore ce délicieux entretien, mais nous avons craint de fatiguer le St-Père. Nous lui avons alors demandé de bénir toutes nos intentions que nous déposions par écrit sur ses ge­noux. J'avais inscrit avec toutes nos œuvres, ma famille, nos principaux bienfaiteurs, etc.

Le St-Père appuya ses mains sur ces feuilles et nous dit: «Je bénis tou­tes vos intentions». Puis il nous bénit tous quatre solennellement. Il nous donna encore ses mains et ses pieds à baiser, et comme nous par­tions, il nous dit: «Allez, il faut sauver la France, cette nation nous est très chère».

Nous l'avons quitté bien émus et bien heureux après trente cinq mi­nutes d'audience.

Fin janvier, Mgr Della Chiesa42) dîne chez nous avec M. Harmel et le P. Jules 37.

J'ai donné cinq conférences sur la question sociale dans les salles de l'Assomption. En voici les titres:

14 Janvier: La crise sociale et économique actuelle en France et en Eu­rope.

28 janvier: Où sont les vraies causes et les remèdes du malaise social contemporain.

11 février. Le judaïsme, le capitalisme et l'usure moderne.

18 février: Le socialisme et l'anarchie.

11 mars. La mission sociale de l'Eglise.

Je ne les résumerai pas ici, je les publierai peut-être dans notre petite Revue43).

J'avais environ 500 auditeurs: les élèves du séminaire français et des sco­lasticats, des Belges, quelques Allemands, Polonais, etc., des religieux, de diverses congrégations, des prélats, quelques laïques des œuvres de Rome 38.

La première fois, le cardinal Vincenzo Vannutelli et le cardinal Agliardi y assistèrent. A la dernière conférence, j'avais quatre cardi­naux, les cardinaux Ferrata, Agliardi, Jacobini et Macchi44).

Les applaudissements ne manquaient pas et les journaux donnaient des comptes-rendus bienveillants, sauf la juive Tribuna qui demandait quand cela finirait.

Puissè-je avoir fait là quelque bien!

A la première conférence, je fis applaudir l'abbé Gayraud parce qu'il se présentait à la députation en Bretagne avec un programme conforme aux directions pontificales. Après la conférence, je lui envoyai une dépêche si­gnée de moi, de M. Harmel et du P. Bailly. La dépêche aida à 39 l'élec­tion, cela devint un évènement, on en parla à la Chambre française45).

Au 2 février, j'allai porter mon cierge au Pape. Il me reconnut. Il m'encouragea: «Continuez vos conférences, propagez mes encycliques, je vous bénis spécialement».

Aux congés du Collège romain, je faisais quelques excursions avec nos jeunes gens. Nous sommes allés à Albano, Nemi, Monte Cavo, Frascati; à Préneste, Genazzano, Olevano, Subiaco, Tivoli. Je veux signaler seu­lement la bonne Madone de Genazzano, Notre-Dame-du-Bon-Conseil. Léon XIII y a une grande confiance, c'est un des lieux de pèlerinage de son enfance. Il n'y a pas trop loin de là à Carpineto où il est né.

J'aime bien cette Madone, dont 40 l'image est si sympathique. Je lui demande de m'aider dans les difficultés présentes.

Dans ce pays de Sabine, il y a une belle race, intelligente, fière et labo­rieuse. Je fus frappé à Olevano de l'attitude des enfants. Ils vont de bon­ne heure au travail. Leurs traits indiquent du caractère. Ils sont intelli­gents. Ce pays-là a dû donner à Rome autrefois ses meilleurs soldats. Si je voulais recruter des Italiens, j'irais chercher là.

J'avais parlé au R. P. Raphaël, procureur des Franciscains, de notre désir d'avoir une mission. Le 24 mars, il m'arrive me disant que le Se­crétaire d'Etat du Congo Belge, M. Van Etvelde, cherche des mission­naires. M. Van Etvelde était à Rome. Le lendemain, j'allai le voir 41, il me proposa le Haut Congo, la région de Stanley-Falls, tout fut conclu, sauf assentiment de notre Conseil. M. Van Etvelde en parla au card. Le­dochowski et au Pape, et notre bonne volonté fut agréée. C'est la Sainte Vierge au jour de l'Annonciation qui a voulu nous ouvrir le grand conti­nent noir. J'espère que cette mission sera bénie.

La préparation de mes conférences m'absorba beaucoup cet hiver. J'ai toujours aussi la Revue46) à faire chaque mois. J'avais de vieilles notes à mettre au courant. On me demandait aussi quelques articles de jour­naux et de revues, au XXe siècle, à la France Libre, à la Chronique du Sud-Est, etc.47). J'ai pu écrire cependant quelques méditations sur la vie d'amour au S.-Cœur de Jésus48) 42.

Et puis le Card. Rampolla m'a demandé d'écrire une brochure pour défendre l'utilité des Congrès qui était fort contestée. Je l'ai fait et cette brochure «Nos Congrès» a, je crois, rempli son but en faisant tomber bien des objections49).

Le card. Rampolla voulait me récompenser de mon apostolat social et me manifester la bienveillance et la confiance du St-Père. Il avait obtenu du Pape de me donner une prélature, mais je lui fis observer que c'était contraire à ma vocation religieuse. Il chercha autre chose et me fit nom­mer Consulteur de l'Index. Il ajouta beaucoup à cette faveur par la ma­nière gracieuse dont il m'en fit part. Il m'envoya la nomination le 10 au soir, en se félicitant de 43 m'offrir cela pour la fête de S. Lèon, mon patron. Je prêtai le serment ordinaire quelques jours après et je fus char­gé de suite d'un rapport à faire sur un ouvrage dénoncé.

Nos anciens élèves ont fondé un groupe de jeunesse catholique et un vaillant petit journal «Le Réveil Picard». Il y a là une âme d'élite, Maurice Vasseur. Il est très intelligent et capable d'un grand dévoue­ment. Quelques petites épreuves le mûriront. Un certain nombre de nos anciens nous consolent de la défection de tant d'autres.

Je quitte Rome le 5 mai. Je me rends au Tyrol pour visiter nos étu­diants d'Innsbrück; mais en chemin, je fais quelques 44 pèlerinages italiens. En Ombrie, je visite Foligno et Montefalco et je revois Assise. L'Ombrie est le pays des saints autant que de l'art religieux. A Assise, on vénère St. François et Ste Claire; à Foligno, Ste Angèle, Ste Angeli­ne, Ste Eustochie, St. Carpofore, St. Abondius; à Montefalco, Ste Clai­re, Ste Clarella, Ste Illuminata.

Assise a ses merveilleuses peintures de Cimabue, de Giotto et de leurs élèves; Foligno a ses peintures du Pérugin et de Mezzostris; Montefalco, celles de Benozzo Gozzoli, élève de fra Angelico.

Je ne veux pas décrire tout ce que ces villes ont d'intéressant, mais seulement quelques objets importants auxquels je me suis arrêté davan­tage dans ce pèlerinage 45: A Assise, les Carceri; à Foligno, la Mano morta; à Montefalco, le corps de Ste Claire et les peintures de Gozzoli.

A Assise, les Carceri. Cela me rappelle l'Alverne, mais c'est moins gran­diose. C'est une petite gorge de montagne, à une heure de la ville, où St. François cherchait le silence et le recueillement. Il trouva là quelques grot­tes ombragées par un bosquet. Un torrent le gênait, il pria et l'eau dispa­rut. Ce lieu est resté sauvage. Quelques pauvres murs forment les grottes et permettent à quelques franciscains de vivre là dans la pauvreté et la prière. Les rochers du vallon laissent place à un petit jardin. Le monastère est la pauvreté même. Tout y est petit, étroit, resserré. Il y fait 46 froid l'hiver. L'été, on y peut séjourner pour une retraite. Le lieu inspire bien le détachement du monde. On médite bien là sur la mort.

Le fisc a porté, je crois, sa main rapace jusque là, et les pauvres franci­scains n'ont plus même leur bosquet. Dieu punira de telles infamies. A Foligno, j'ai vénéré le corps de Ste Angèle, la grande mystique à l'église de St-François; puis j'ai constaté au monastère de Ste Anne le miracle de la Mano morta.

Il y a quelques années, une soeur morte pieusement, mais condamnée cependant au purgatoire pour quelques manquements à la pauvreté, est apparue plusieurs fois à la lingerie du couvent demandant des prières 47, et quand elle fut délivrée par les prières et les pénitences de ses soeurs, elle le fit connaître et déclara qu'elle laissait un signe de ses manifestations, ce signe c'était la marque de sa main brûlante incrustée dans une porte. Et la main de la morte, la Mano morta est toujours là, re­connue par l'évêque et visitée par les pèlerins.

J'avais vu à Rome, quelques jours avant, chez le P. Jouet d'Issoudun, un témoignage analogue du purgatoire. C'est un livre de prières touché aussi par une main de mort et brûlé à travers toutes ses pages. Voici son histoire! un soldat lorrain à Reischoffen, avait promis une messe à l'âme la plus délaissée. Il échappa à la mort mais il oublia sa promesse. L'âme 48 est venue la lui rappeler dans son sommeil. Il fit dire la mes­se et, après la communion, l'âme vint frapper son livre en lui disant «je suis délivrée». Le livre a été reconnu par le cardinal vicaire.

Plus récemment, un fait moins certain, mais fort curieux a eu lieu à la petite chapelle du S.-Cœur aux Prati. Après une messe les draperies de l'autel prirent feu et ce feu a laissé comme trace une figure d'âme souf­frante près de l'autel.

A Montefalco je dois signaler le corps merveilleusement conservé de Ste Clairç, vierge augustine, et puis les objets miraculeux trouvés dans son cœur, les instruments de la Passion, croix, clous, fouets, etc. Ces objets sont là, parfaitement 49 formés. Ils semblent être faits d'une chair noire et durcie… Quelques uns sont conservés en France, dans un monastère d'Avignon.

Montefalco est bien riche en peintures de Benozzo Gozzoli, élève de fra Angelico, qui n'a plus toute la grâce et toute la piété du maître, mais qui est encore digne de l'âge du grand art chrétien. A l'église St. ­Augustin surtout, il a peint dans le choeur la légende de St. François avec le soin pieux qu'y aurait mis le Beato Angelico. C'est déjà de la peinture historique, perfectionnée par la connaissance des anciens, mais encore toute empreinte de piété, de foi, d'esprit surnaturel. Cela rappel­le les belles peintures du Beato à la chapelle de Nicolas V au Vatican 50.

Je remarquai surtout le caractère distinctif que l'artiste a donné aux types de St. François et de St. Dominique. Le premier est tout humble, tout simple, comme un pauvre qui n'a pas de prétention. Le second lève la tête et a conscience de son talent et de son influence. L'esprit des deux ordres est marqué par cette fresque.

J'étais en train de voir des choses merveilleuses, je m'arrêtai quelques heures à Bologne pour revoir la Sainte, Catherine de Bologne, la Sainte populaire, qui est là, quatre cents ans après sa mort, assise dans son fau­teuil, à l'église du Corpus Christi. Son corps est noirci mais bien conser­vé. Les membres sont flexibles, les lèvres qui ont eu la faveur d'embras­ser l'enfant Jésus sont restées blanches.

Le peuple aime à vénérer sa Sainte 51. L'Italie a eu de grandes fa­veurs de la Providence, mais sa foi baisse. Dieu veuille la relever.

Le 8 au soir j'étais à Milan. Je ne faisais pas une visite de touriste. J'ai revu la cathédrale et St-Ambroise comme on revoit de vieux amis pour passer quelques bons moments auprès d'eux. Il fait si bon à s'unir là à l'âme de St. Ambroise, de St. Augustin, de St. Charles Borromée. Je voudrais avoir quelques jours de loisir et de solitude à Milan pour y reli­re la vie de ces grandes âmes et me réchauffer à leurs saintes ardeurs.

C'est le Milan des œuvres et du mouvement catholique que je voulais voir cette fois-ci.

Ma première visite fut pour don Albertario50), le chevalier et l'apôtre de l'Osservatore cattolico 52. Je le vis à son bureau, à son journal, tout oc­cupé, tout affairé pour le bien. C'est une nature ardente et tout d'une pièce, sans compromission et sans diplomatie. Je l'appellerais volontiers le Veuillot de l'Italie. Il a bien contribué au réveil catholique qui de Mi­lan gagne toute la péninsule. Il organisa une conférence que je donnai dans les salons de l'évêché, après avoir dîné avec le bon cardinal51). J'avais un bel auditoire, très sympathique et je parlai du malaise social contemporain et de ses remèdes.

De Milan, j'allai à Bergame. C'est là que les œuvres ont reçu la plus parfaite organisation en Italie, grâce à l'influence du comte Medo­lago52), petit neveu de Joseph de Maistre, et au zèle du professeur Rezzara53).

La province de Bergame est 53 acquise aux catholique. Ils ont 40 sièges sur 60 au conseil provincial. Le comte Medolago en est le prési­dent. Ils ont 92 caisses rurales. Ils obtiennent 76% d'abstentions aux élections politiques et 79% aux élections administratives. M. Rezzara a concentré dans une maison d'œuvres à Bergame, un journal, un cercle, une caisse d'épargne, une banque catholique, une coopérative, des réu­nions de jeunes gens, de prêtres, des conférences populaires. Au sémi­naire de Bergame, on étudie l'histoire sociale de l'Eglise, le mouvement social catholique, le fonctionnement des caisses rurales. Comme nous sommes en retard chez nous! Les résultats devraient cependant nous ou­vrir les yeux.

De Milan j'ai remonté tout 54 le beau lac de Côme jusqu'à Chia­venna. C'est une des plus belles régions de l'Europe, un paradis terre­stre avec un climat très doux et la perspective des grandes Alpes.

Je voulais éviter le Gothard que j'ai vu tant de fois et faire connaissan­ce avec le Splügen et les Grisons. La route fut assez dure, mais le specta­cle merveilleusement imposant. Après quelques heures de montée je trouvai le Splügen revêtu de son grand manteau de neige. Les voitures se refusant à marcher, il fallut monter dans les traîneaux pour parcourir le grand plateau qui ressemble aux champs de la Sibérie. Des poteaux gradués nous montraient que la neige avait parfois cinq à six mètres d'épaisseur. Après ce rude passage, nous descendions à 55 Splüga, qui est encore à 1450 mètres d'élévation. Nous suivions la belle vallée du Rhin supérieur, le Rheinwaldtal, puis nous traversions trop vite cette Via Mala, cette gorge aux terribles profondeurs et aux effrayants abîmes où il faudrait séjourner pour bien s'imprégner des impressions dont on y est saisi. Et nous arrivions à Coire, la capitale des Grisons, la ville alpe­stre sombre, mais pas triste, encadrée dans son grand paysage et couron­née par sa vieille cathédrale de St. Luce.

Coire honore St. Lucius, un roi d'Angleterre qui serait venu mourir là dans la solitude en l'an 189, au retour d'un pèlerinage au tombeau du Christ. Là aussi est le corps de St. Fidèle de Sigmaringen, dont la tête est conservée à Feldkirch 56. Le trésor a des diplômes bien conservés de Charlemagne et de Louis le débonnaire, des reliquaires des 8e et 9e siè­cles, des étoffes byzantines du VIe siècle et des étoffes arabes du XIe.

De Coire, je gagnai Feldkirch par le chemin de fer. Je traversai l'Arl­berg aux lacets vertigineux et je descendis à Innsbruck par la vallée alpe­stre de l'Inn, où le rude labeur des tyroliens entretient sur les coteaux de verts pâturages.

Innsbruck a un grand charme. Elle est si bien encadrée. De certains côtés sa perspective s'étend au loin sur d'effrayants glaciers. Plus près el­le a ses hauteurs où se mélangent les bosquets, les lacs alpestres, les fer­mes et les villas et d'où on jouit de si splendides panoramas.

L'église de la cour, avec ses 57 grandes statues des paladins, rappel­le le vieux tyrol féodal. L'église des Prémontrés accuse l'influence des Pays-Bas, qui échangeaient avec l'Autriche leurs religieux et leurs arti­stes.

L'université surtout m'intéressait. J'ai voulu connaître les principaux professeurs: Le P. Flunck, recteur; le P. Hurter, bon vieillard de 70 ans qui enseigne encore fort clairement les éléments de la théologie; le P. Noldin54), professeur de morale; le P. Nilles55), qui a écrit un livre si intéressant sur le S.-Cœur; le P. Biederlak56), canoniste et sociologue; le P. Machaïl et M. Pastor57), connus pour leurs travaux d'histoire. J'ai été reçu avec beaucoup de bonne grâce et d'affabilité.

Les Pères ont grand souci de leurs étudiants et veillent à ce que leur 58 vie soit édifiante. Il y a là beaucoup de bonhomie et de simpli­cité, et une foi profonde qui entretient ces jeunes gens dans une atmo­sphère favorable.

Je voulais rester quelques jours encore à Innsbruck, le ciel com­mençait à sourire après trois jours de neige et de pluie, quand une dépê­che m'appela à Luxembourg pour un projet de terrain à acheter.

Le projet en question n'était pas pratique pour le moment. Mon voya­ge ne fut pas perdu, j'assistai au beau pèlerinage de N.-D.-de­-Luxembourg. Je célébrai la messe auprès de la Madone vénérée et je pus voir nos enfants de Clairefontaine qui étaient venus courageusement à pied en vrais pèlerins 59.

J'assistai à la Ire communion de mon petit neveu Henri58), au collège Stanislas. Je trouvai là un supérieur qui est un homme de Dieu, un hom­me de foi. Sa direction doit laisser dans l'âme des enfants une empreinte profonde. Je visitai le collège, il manque un peu d'espace, mais tout y est tenu avec beaucoup d'ordre et de soin. Les petits enfants paraissent ex­cellents à Stanislas. Parmi les grands, il y a plus de mélange, l'influence de Paris se fait trop sentir chez les externes.

Je visite à Paris quelques personnalités. J'ai vu le nonce et son secré­taire, le prince de Belmonte. Je désirais intéresser le nonce au mouve­ment d'œuvres qui a son centre au Val.

J'ai vu aussi M. Etienne Lamy, le card. Rampolla m'avait recom­mandé de le voir pour l'encourager 60 dans ses essais d'organisation catholique.

J'ai vu l'abbé Lemire, l'abbé Naudet, l'abbé Gàyraud, l'abbé Boy­reau. Ce sont les agissants qui, dans la politique, dans la propagande, dans les œuvres, réalisent ce mouvement démocratique, cet «aller au peuple» que le Pape a voulu créer.

Ils se heurtent à bien des routines, des préjugés, des apathies. Cepen­dant les idées marchent et l'évolution se produit.

J'ai visité aussi le collège Ste-Geneviève. Il y a là de la grandeur, de la solennité. On y travaille, on s'y surmène, mais que de côtés doivent re­ster peu cultivés dans ces âmes trop nourries de mathématiques. Les exi­gences des examens sont bien tyranniques.

Chez M. Lorin59), j'ai rencontré Mgr 61 Boeglin, un homme intelli­gent, un franc-tireur de l'armée de l'Eglise. J'ai vu là aussi une person­nalité peu vulgaire, Mgr Stojalewski, curé dans la Galicie, un tribun, un peu teinté de socialisme. Il tient là-bas le peuple de toute une province dans les mains. C'est une puissance. Il a encouru l'interdit ecclésiasti­que, mais il va aller à Rome s'en faire relever.

J'ai vu aussi la rédaction de l'Univers, le vieux Eugène Veuillot, tou­jours ardent et ferme. Il est avec le Pape comme y serait Louis60), s'il vi­vait. J'ai vu là aussi Tavernier, qui est dans la maison comme le moyen­-âge, et les jeunes gens Pierre et François. C'est le bon journal, et tout le monde vient marcher là avec Léon XIII, soit pour la politique, soit pour l'action sociale 62.

Le 29, je rentrai à St-Quentin. Je trouvai là des intrigues, des divi­sions, du mauvais esprit. Pauvre humanité! Inutile de décrire tout cela dans le détail. Notre Seigneur le permet, je l'accepte pour l'expiation de mes fautes. J'en souffre le martyre pendant quelque temps, puis cela s'atténue. Que la volonté de Dieu soit faite!

Je vais à Lille pour quelques affaires, puis je séjourne un peu à Bruxel­les pour préparer notre mission du Congo. Je visite le ministre d'Etat, M. Van Etvelde et ses auxiliaires M. de Cuvelier et M. Liebrechts. Tout s'organise nous concluons un traité avec l'Etat. On nous paiera les pre­miers voyages et les premières constructions.

J'obtiens une audience du roi 63, en son palais de Bruxelles. Il est en tenue de général. Il est grand de taille, assez boiteux et plus blanc que son âge ne le comporte. Il se montre affable, bienveillant. Il est heureux que nous allions évangéliser ses nègres. Il comprend que c'est urgent. Les nègres païens ou musulmans trahissent, les nègres protestants ont des sympathies anglaises, ce sont les missions catholiques qui sauveront la colonie.

Le roi devait connaître mon apostolat social. Il me dit ses craintes re­lativement au socialisme. Il ne voit pas de bon oeil les démocrates qui lui font peur. Evidemment, c'est un conservateur, plutôt bourgeois qu'ari­stocrate, mais très effrayé du mouvement ouvrier.

Je vois aussi la rédaction du XXe 64 siecle. Ce sont des démocrates modérés et corrects, qui ne goûtent guère l'abbé Daens et son école. M. Jacquart me procure une carte pour la chambre des représentants, où je cause un peu avec M. Renkin et où j'assiste à une séance de discussion du budget. C'est assez monotone. Les députés parlent de leur place. Ils lisent généralement, et défendent les intérêts de leurs provinces. Les so­cialistes interrompent et parlent hors de propos, comme chez nous. J'en­tends cependant un discours bien tourné de M. Helleputte.

Il fallait envoyer deux explorateurs au Congo pour fonder la mission. Un moment je croyais y aller moi-même avec le P. Gabriel Grison, mais j'aurais laissé toute l'œuvre en souffrance et je l'aurais trouvée 65 démolie à mon retour. Je décidai d'aller avec le P. Gabriel à Bonn pour engager le P. Lux à faire ce voyage d'exploration. J'allai à Bonn et je réussis61).

J'en profitai pour étudier un peu Bonn et ses environs. L'université y vaut mieux que sa réputation. Il y a, il est vrai, deux ou trois professeurs vieux-catholiques, mais ils n'ont pas d'élèves à leurs cours.

Ce qui m'a frappé à Bonn, c'est l'intensité de la vie sociale. Toute la population y est englobée et enserrés très étroitement dans des associa­tions. On y compte neuf sociétés d'étudiants, qui ont leurs cercles, leurs bannières et leurs insignes, et quarante sociétés musicales. Le Tiers-­Ordre est très nombreux. Les associations de St-Antoine de Padoue 66 comptent 10.000 membres.

Le dimanche, c'est par associations qu'en se récrée. Les paroisses, les sociétés musicales prennent le steamer ou apprêtent un vapeur et font quelque pèlerinage sur les bords du Rhin. Dans les pèlerinages parois­siaux, les hommes sont tout aussi dociles et tout aussi nombreux que les femmes.

Quelles belles excursions il y a à faire de Bonn. C'est, en été, un des plus beaux coins de l'Europe.

J'allai à Linz, voir un ami, Charles Hummel. En haut de Linz, le sanctuaire de St-Donatus offre un splendide panorama sur le Rhin et sur le groupe montagneux des Siebengebirge.

Nous déjeunâmes sur la terrasse d'un hôtel au bord du Rhin, en re­gardant passer des bateaux chargés 67 d'un monde chrétiennement joyeux. L'après-midi, nous allâmes en ramant à Remagen au pèlerinage de St-Appolinaris. Puis, revenant à Bonn nous contemplions à droite le château royal de Konigswinter sur son sommet boisé, et à gauche le ro­cher édenté de Rolandseck, qui porte les débris de son vieux schloss féo­dal.

La famille Lux est un exemple de l'esprit chrétien des familles rhéna­nes. Le père est mort. Le fils aîné a repris la maison, mais il garde sa vieille mère et ses soeurs et il attendra pour se marier que celles-ci soient établies. Le foyer de la famille ne sera ni divisé ni vendu.

Je passai quelques jours à Sittard occupé à prêcher une petite retraite aux grands élèves pour la fête du S.-Cœur 68.

Un évènement dramatique vint attrister cette fête. Le soir comme on se récréait avec des montgolfières et des pétards, le f. Dalmace62) eut une syncope. Je l'envoyai se reposer, mais le lendemain matin, on le trouva mort. Le médecin nous dit que c'était une rupture des parois du cœur.

Nous profitâmes des funérailles pour rapporter nos deux morts qui étaient encore à Watersleyde et les trois cercueils furent déposés dans le petit cimetière de la prairie. Nos frères défunts étaient tout desséchés dans leur tombe, mais nous fûmes frappés de voir le grand scapulaire du f. Sanctus63) absolument conservé, comme s'il était neuf. Est-ce un signe providentiel?

Je passai de nouveau quelques jours à Bruxelles et je visitai 69 l'ex­position. Ce qui m'intéressa le plus., ce fut l'exposition coloniale à Ter­wueren, les villages congolais où je vis de beaux jeunes gens intelligents, bien formés à la musique européenne et à nos exercices militaires.

Le petit palais de Terwueren contenait des spécimens de la flore, de la faune et des produits du Congo. J'aimais à voir ces plantes que nos Pères admireraient ou cultiveraient, le baobab, le cotonnier, le bananier, le papayer, le manguier, l'arbre à pain, l'igname, le manioc, etc, etc.

Il y avait là aussi tout le mobilier propre à ces régions, les instruments de musique, de chasse, de pêche, les armes, les meubles, etc.

Pour la musique ils ont des trompes diverses, des chalumeaux, des xy­lophones, des marimbas, 70 (ferrophones) des lyres, des caisses et des grelots.

Ils ont des nasses, des filets, des harpons pour la pêche; des arcs, des lances, des boucliers pour la chasse et la guerre.

Ils connaissent la forge et le soufflet, les petits métiers à tisser, les nat­tes, les poteries, les paniers, les ustensiles de bois; les tissus de coton, de fibres de palmier et de raphia; la houe et la hache; les pirogues.

Ils ont une infinité de fétiches et de gris-gris.

L'exposition européenne m'intéressa moins. La Belgique et la Hol­lande n'ont plus d'école de peinture. La France était bien représentée, notamment par une belle toile de Detaille; mais ce qui me surprit 71, c'est que l'Angleterre avait une belle exposition de peintures; elle fait bien le portrait, l'intérieur, le tableau d'histoire. Elle a un coloris vif et accentué qui est souvent heureux.

J'allai voir à Scheut celui qui allait être notre vicaire apostolique, Mgr Van Ronslé64). C'est un bon missionnaire, simple et sans prétention. Scheut a une exposition permanente, un petit musée formé par les en­vois des missionnaires du Congo et de la Birmanie.

Le 6 juillet, nos deux explorateurs, le P. Gabriel Grison et le P. Ga­briel Lux s'embarquaient à Anvers avec Mgr Van Ronslé et plusieurs missionnaires et religieuses pour le Congo.

J'allai ensuite visiter la maison de Clairefontaine et y séjourner quel­ques jours. Je trouvai là 72 le calme et le bon esprit et ce fut pour moi un vrai repos. Il y a là auprès de la grotte de Lourdes des impressions de grâce qui rappellent le Lourdes des Pyrénées.

De là, j'allai faire une petite retraite à la Trappe de St-Remy près Ro­chefort. Je trouvai là des consolations réconfortantes et j'y pris de bon­nes résolutions.

Ma famille attendait une visite, je lui donnai trois jours. J'ai là des souvenirs si chers, surtout ce cimetière de La Capelle où reposent beau­coup des miens. C'est ma mère qui a eu sur ma vie la plus grande in­fluence, et sa tombe me parle encore avec une sorte d'autorité qui me pénètre.

Réunion annuelle des anciens élèves à St Jean. Le joyeux entrain ne manque pas. Ces jeunes gens 73 nous restent attachés et dévoués. Ils ne sont pas cependant assez nombreux. Le milieu où ils retombent en nous quittant est si indifférent!

Réunion des séminaristes. Ils sont une soixantaine appartenant à une dizaine de diocèses. Ils viennent s'initier aux œuvres sociales chrétien­nes. Toutes les questions théoriques et pratiques leur passent sous les yeux. Ils emportent quelques documents et ils ne sauront plus rester in­différents à ces questions. Ils ont des conférences d'études dans plusieurs séminaires et ils ont organisé des rapports de correspondance entre eux. Le groupe de la démocratie chrétienne de Lille est l'âme de ces petites réunions.

Trois jours de belles réunions franciscaines. Beaucoup d'animation, beaucoup d'enthousiasme. Là aussi le mouvement est donné 74. Il se développera lentement. L'opposition baisse, mais la routine est longue à secouer. Il faut compter sur les jeunes et ils sont ardents chez les Pères franciscains.

Le P. David préside admirablement et avec une grande largeur d'esprit et de vues.

Il y a là des hommes du monde qui font honneur au Tiers-Ordre, l'amiral Rallier, M. Nogues, M. Paul Lapeyre65), M. Goyau66). J'admire à nouveau l'organisation du Tiers-Ordre roubaisien dont on nous fait l'exposé.

Après le congrès, pèlerinage aux Saintes-Maries. Au-delà de la Ca­margue et sur une côte nue et sans rade, il y a là une vieille église créne­lée et une bourgade. C'est là que Ste Madeleine, St. Lazare et leur 75 groupe auraient abordé. Au-dessus du choeur sont les tom­beaux des deux Maries, dans une tour ou chapelle supérieure, et dans la crypte, le tombeau de leur servante.

L'église romane n'a qu'une nef. Sur sa toiture de dalles on a une belle vue de la Camargue. C'est là qu'il faut lire la Mireille du poète provençal67).

Il a si merveilleusement décrit les légendes, les moeurs et les sites de ce coin de la Provence!

J'ai revu Arles, sa vieille cathédrale de St-Trophyme, au portail ro­man si original, qui nous donne un jugement dernier analogue à ceux des primitifs italiens, son beau cloître, ses grandes ruines romaines des arènes et du théâtre. Je voudrais revoir encore à l'aise tout ce midi que nous ne connaissons pas assez 76. Ah! si nous étions traditionnels com­me les Italiens, quelles merveilles nous aurions. Nous avons laissé pre­sque détruire nos grands Alyscamps d'Arles et nous ignorons même nos lieux-saints de Tours, de Marseille, de St-Antoine, et tant d'autres. Qui connaît en France les restes si intéressants de l'abbaye de St-Victor à Marseille, la crypte qui, selon la tradition, a été le premier séjour de St. Lazare, qui en conserve un autel avec des traditions séculaires si éton­nantes?

C'est notre retraite annuelle. Elle est prêchée par le bon P. Fernhoes S. J. Tout se passe avec calme et de nombreuses professions donnent à la clôture un ton de fête.

Je passe le mois d'octobre à Fourdrain. Je travaille là dans le calme. J'achève de rédiger mes Directions 77 pontificales. J'écris aussi quelques méditations et quelques chapitres du catéchisme social68).

Le P. Falleur essaie de fonder là une savonnerie et réorganise la cultu­re. Je ne sais si ce beau domaine deviendra pour l'œuvre une maison d'un intérêt vraiment religieux.

Je passai là un mois à prêcher l'Avent. J'avais des prédications le di­manche à la cathédrale et trois retraites qui me laissèrent juste le loisir d'aller au congrès de Lyon.

La retraite des Dames de la Miséricorde me donna des consolations, quoique ces dames, attachées aux idées nîmoises fussent un peu prove­nues contre un prédicateur «qui donne dans le mouvement» c'est-à-dire qui suit les directions de Léon XIII. Je prêchai aux hommes des 78 conférences sociales très suivies mais peut-être un peu au-­dessus de l'auditoire.

Monseigneur l'évêque69) me fit l'honneur de m'inviter à Noël. Mon hôte, M. l'archiprêtre Michel, toujours aimable et bienveillant me con­duisit un jour au Pont-du-Gard et me donna congé un autre jour pour aller visiter Aigues-Mortes.

Quelle merveille que cet aqueduc du Gard! Il surpasse par sa hauteur et par la perfection de sa construction les grands aqueducs de Rome. C'est des Etrusques que les Romains primitifs ont appris à exécuter ces grands travaux de canalisation. Et les Etrusques avaient appris cela sans doute de Tyr et de Sidon 79 dont ils paraissent être les colons. Vraiment Nîmes, Orange, Beaucaire, Arles, Aix et Vienne ont des monuments qui ne le cèdent en rien à ceux de la grande Rome.

Il y a là une enceinte de ville modèle, une enceinte en miniature du XIIIe siècle, plus complète et mieux conservée que celles d'Avignon et de Carcassonne. je ne connais pas de plus gracieux spécimen de l'archi­tecture militaire du Moyen-âge.

Comme j'étais à Nîmes, mon livre des Directions pontificales parut. Il devait recevoir bientôt une belle approbation du Pape. Il ne s'est pas as­sez répandu. Les braves gens croient connaître les directions du Pape qu'ils connaissent fort mal, et les autres n'en veulent pas entendre parler 80.

Ce congrès rappela celui de l'an passé. Cependant il fut plus ecclésia­stique. Drumont n'y était plus, ni Delahaye, ni Guérin, ni Monicat. Le cardinal70) bénit le congrès. Beaucoup d'évêques envoyèrent un mot bienveillant. On put constater que les idées faisaient leur chemin, que le ralliement était très général et que la propagande démocratique chré­tienne était acceptée.

Je fis un rapport sur le programme de la démocratie ouvrière et je fis voter un programme général de la démocratie chrétienne. On me nom­ma du Conseil de la Démocratie. Soit! Mais je suis souvent à Rome et je ne puis pas aller aux réunions de Paris71).

Pendant les loisirs du congrès, je revois et je médite Fourvière 81. C'est une œuvre de foi, une œuvre fortement pensée et peut-être le chef-d'œuvre de l'art chrétien au XIXe siècle. Comme nos architectes du Moyen-âge, Bossan»72), le pieux architecte de Fourviere, a conçu son œuvre à la façon d'un poème.

L'artiste du XIIIe siècle voyait dans sa cathédrale le sépulcre glorieux de Jésus en croix et dans l'ensemble des sculptures et des vitraux, il dé­veloppait toute l'épopée surnaturelle de l'Ancien et du Nouveau Testa­ment comme une série de chants à la gloire du Christ.

Bossan a voulu que toute son œuvre, dans sa structure et dans sa dé­coration représentât les prérogatives de Marie, ses vertus, ses mystères, sa mission.

Bossan avait étudié à Palerme 82 en 1845. Il avait été vivement im­pressionné par la grande cathédrale normande de Palerme et par les ri­chesses intérieures et le symbolisme de la cathédrale de Montréal et de la chapelle palatine. Il s'en souvint, et on retrouve dans l'extérieur de Fourvière quelque chose de l'église de Palerme et dans son intérieur le goût du symbolisme de Montréal et de la chapelle palatine.

Depuis sa jeunesse Bossan rêvait une église de Fourvière. Il en avait fait une étude à Rome en 1850. Gagné à la piété par le Curé d'Ars en 1852, il est encouragé par lui dans son étude.

La cardinal de Bonald73) avait goûté ses plans en 1866, mais après le voeu de 1870, si manifestement 83 exaucé par Marie, les Lyonnais se déterminèrent à offrir à Marie le sanctuaire promis. Le plan de Bossan était prêt, il fut accepté.

A l'extérieur Fourvière est l'acropole de la cité. Elle a ses tours créne­lées comme un donjon inexpugnable. L'architecte a donné à l'extérieur le cachet de la force, à l'intérieur celui de la richesse et de la grâce.

Le fronton de la façade représente les deux voeux des Lyonnais à Ma­rie: le voeu de la peste de 1643, le voeu de la guerre de 1870. Aux pieds de Marie sont représentés d'un côté le prévost et les échevins de 1643, de l'autre les prélats qui ont contribué à réaliser le voeu de 1870: le cardinal de Bonald, qui avait fait préparer le projet de Bossan, Mgr Ginoulhiac 84, le cardinal Caverot, le cardinal Foulon74) et Mgr Couil­lé. Sous les traits du prévost et des échevins, le sculpteur a eu l'heureuse idée de représenter les pieux lyonnais qui se sont succédé à la tête de la commission de Fourvière: M. de la Perrière. M. de Boissieu, M. Dugas, M. Frapet et M. Lucien Brun.

Dans le tympan de la porte principale, un bas-relief à fond d'or prépare les pèlerins à offrir à Marie l'hommage de leur foi. C'est le commentaire de ce texte: Toutes les générations me proclameront bienheureuse (Lc 1,48). Le su­jet représente la création de l'âme de Marie: Dieu le Père entouré d'anges présente une branche d'olivier à une petite colombe gracieusement posée sur sa main gauche: Surge, columba mea et veni (Ct 2,10). De chaque côté 85, quelques personnages représentent les principaux patriarches et prophètes qui ont attendu et annoncé Marie, sans oublier la Sibylle de Cumes, citée par Virgile et un druide de la vieille Gaule qui dépose le gui sur un dolmen consacré à la Vierge féconde: Virgini pariturae.

Le symbolisme de l'intérieur est plus riche et plus éclatant. La belle statue blanche de Marie immaculée, qui présente son fils bénissant, do­mine tout. La voûte est comme un velum d'or tout frissonnant de lumiè­re. Tout le coloris est tendre et joyeux. Ces colonnes d'un marbre gris perle avec leurs bases et leurs chapiteaux blancs garderont toujours leur fraîcheur. L'église est vraiment virginale. Le dallage du choeur re­présente 86 dans ses mosaïques le démon vaincu aux pieds de Marie. Aux vitraux de l'abside, des légions de vierges entourent Marie: vierges martyres, vierges dans le monde, vierges dans le cloître.

Les huit chapelles reproduisent les fastes sacrés de la vie de la Ste Vierge, depuis sa naissance jusqu'à son couronnement dans la gloire: la nativité de Marie, la présentation, l'annonciation, la visitation, Marie à Cana, au Calvaire, au Cénacle, à l'assomption.

Les trois coupoles chantent le divin commerce de la Sainte Vierge et de la Sainte Trinité. Dieu le Père bénit Marie dès le principe: «Dominus pos­sedit me ab initio» (Pro 8,22). Le St-Esprit, sous le voile d'une colombe enveloppe Marie de rayons 87 lumineux. Le Verbe aux bras de Marie reçoit les adorations de ses visiteurs à Bethléem.

Sur les murailles latérales, deux poèmes se déroulent: Marie et l'Egli­se d'un côté, Marie et la France de l'autre.

Marie et l'Eglise: S. Cyrille à Ephèse proclame devant le peuple la maternité de Marie; Pie V obtient de Marie par la prière le triomphe de Lépante; Pie IX définit l'Immaculée Conception.

Marie et la France: S. Pothin, disciple de S. Polycarpe, apporte dans les Gaules l'image et le culte de Marie; St. Dominique combat par le ro­saire l'hérésie des Albigeois; Louis XIII consacre la France à Marie.

Les six grandes verrières qui éclairent le vaisseau proclament 88 les royautés de Marie énumérées aux litanies. Dans la première travée, c'est Marie reine des patriarches et des prophètes, dans la seconde, Ma­rie reine des martyrs et des confesseurs; dans la troisième, Marie reine des apôtres et des anges.

Lyon a donné, à juste titre, une belle place à ses gloires locales. Parmi les martyrs et les confesseurs, elle nous montre St. Polycarpe, St. Po­thin, St. Irénée, Ste Blandine, St. Bonaventure, St. Eucher, St. Nizier, St. François de Sales.

Reine des apôtres, la Vierge de Fourvière voit fleurir à ses pieds les ra­meaux magnifiques de la Propagation de la foi.

J'omets les autres détails et la crypte pour ne pas trop m'étendre. Je suis heureux de constater, après 89 avoir vu Fourvière, la basilique N.-D. de Brébières à Albert et celle du S.-Cœur à Anvers, que nous avons encore des artistes chrétiens.

De Nîmes, je vais directement à Rome. Je m'arrête seulement quel­ques heures à Avignon et c'est assez pour y faire une trouvaille.

Je vais à Avignon dire la messe à l'église St-Didier, parce qu'elle est la plus proche de l'hôtel. Là, un aimable vicaire me propose de célébrer à l'autel de St. Bénézet, un des patrons du travail chrétien75). J'accepte vo­lontiers et je vois que cette église possède le corps de St. Bénézet et celui du B. Pierre de Luxembourg. Avignon étant ville papale n'a pas eu ses reliques brûlées par les protestants. Elle a encore de ces richesses qui sont devenues 90 si rares en France et que les guides de voyage sont trop stupides pour nous signaler.

J'arrive à Rome pour fêter la St Jean avec notre petite colonie. J'espè­re passer là quelques mois de paradis.

J'ai revu Naples et ses environs deux fois en un mois. Je l'ai déjà dé­crite dans mes notes. Elle me laisse toujours les mêmes impressions. Na­ples a encore une aristocratie assez riche, du moins en apparence, mais la classe populaire y est aussi nombreuse que pauvre. Les mendiants y sont beaucoup plus déguenillés qu'à Rome. La mendicité dans les villes où abondent les touristes devient un métier, et le charme de ces villes en est bien diminué.

Cette population souffre, quoiqu'elle sache vivre de peu. Il me semble que pour les moeurs, il y a plus de tenue qu'il y a 30 ans. De bons arche­vêques ont passé par là. La foi diminue cependant. 92 Les églises sont moins fréquentées. Les œuvres nouvelles s'organisent. Il faut là une transformation sociale qui sera longue.

L'aspect de la ville est transformé depuis trois ans par l'ouverture d'une grande artère, le Corso Umberto, qui va de la gare au palais. La dernière crise de choléra en a donné l'idée, pour aérer le centre de Na­ples. Le développement du quartier de Chiaia où se portent les touristes demandait aussi que ce quartier fut relié à la gare par une voie directe. Naples y a perdu en pittoresque, mais elle y a gagné pour l'hygiène et l'élégance. Le quai de Santa Lucia disparaît aussi, on n'y verra plus dor­mir les lazarones et chanter les trouvères. Le petit port est rempli et un 93 boulevard se prépare. Nous sommes destinés à voir d'ici cin­quante ans dans toutes les villes agréablement situées un quai ou une avenue des Anglais… à moins que cela ne devienne le quai des Russes.

A mon premier séjour, avec Mmes Malézieux76), je logeai à l'hôtel Victoria, sur le beau quai de Parthénope. Ces hôtels Victoria sont enco­re une de ces particularités fin de siècle qui rendent le monde actuel bien monotone. On y vit passablement pour un prix élevé mais il y a une éti­quette fatigante. Je disais la sainte messe à l'église voisine de Sainte Ca­therine. Les bons chapelains faisaient un effort pour m'ouvrir l'église avant huit heures. C'était l'église d'un monastère devenue une œuvre 94 d'assistance publique.

Au second voyage avec mon frère, je descendis à l'hôtel de Genève. Cet hôtel a pour moi de chers souvenirs. J'y logeai avec mes parents en 1868 après mon ordination. J'ai dit là quelques unes de mes premières messes à la gracieuse église voisine de la Parochietta. J'aime à redire là la sainte messe. Mes impressions d'il y a trente ans ne sont pas encore ef­facées.

Je fus de nouveau frappé de la pauvreté de Naples en monuments de l'art chrétien. Naples n'avait pas de gouvernement stable dans les beaux siècles. Les Normands, les Hohenstaufen et les Angevins se succédaient à de courts intervalles après des luttes sanglantes.

Naples s'est surtout développée sous les princes d'Aragon du XVe au 95 XVIIe siècle, mais l'âge de l'art chrétien était passé et l'école de Naples n'a été qu'une école éclectique où l'on imitait et confondait l'art de Milan, de Bologne et de Séville. On a eu soin d'ailleurs, à cette épo­que trop riche, de gâter tout ce que Naples pouvait avoir des XIIIe et XIVe siècles, comme St Janvier, Ste-Marie-la-Neuve, Ste-Chiara et St­-Domenico.

La sculpture est plus richement représentée à Naples que la peinture. Les tombeaux de Santa Chiara, dus à Masuccio sont de fort beaux spéci­mens de l'art du XIVe siècle. C'est l'art chrétien avec un dessin déjà as­sez correct et un sentiment religieux toujours profond.

A San Domenico, les tombeaux et les reliefs de Jean de Nole 96 nous montrent la première renaissance, encore sobre et modeste, avec un mélange de quelques symboles païens.

A la chapelle Sansevero, c'est le réalisme du XVIIe siècle. Ce n'est plus de l'art, c'est du métier, traité avec une suprême habileté. On voit cependant avec intérêt ce Christ sous son linceul transparent, et ce prin­ce désenchanté du monde, qui déchire avec l'aide de la raison, le filet de marbre dans lequel il est enveloppé.

J'ai revu la Certosa et Saint Janvier. Les artistes du XVIIe siècle, Le Guide, Lanfranc, Corenzio, le Dominiquin, l'Espagnolet, Solimena ont rivalisé de fécondité et de richesse de dessin et de coloris dans leurs vastes fresques, mais la piété en est absente. Je donnerais le prix à la Nativité 97 du Guide au choeur de la Certosa; il y a là un délicieux groupe d'enfant qui viennent adorer l'Enfant-Dieu.

J'ai revu aussi le musée, il est surtout remarquable par les produits des fouilles d'Herculanum, de Pompéi, de Stabies et de Cumes. Nulle part, sauf en Egypte, on ne peut retrouver ainsi tout le détail d'une civi­lisation vieille de 2.000 ans.

Les peintures murales antiques et les mosaïques forment une collec­tion unique au monde. Les tons des peintures sont amortis par le temps, cependant tout cet ensemble offre un grand intérêt. Ce n'étaient que des peintures d'appartement, des peintures décoratives. Le dessin un peu lâ­che en est souvent très gracieux. Il n'y a pas de perspective et pas d'om­bre. Ce sont le plus souvent des scènes 98 mythologiques, des ani­maux, des fleurs, ou des fantaisies sensuelles, des danseuses, des jeux de satyres et d'amours. Il y a quelques grandes scènes bien traitées: Hercu­le découvrant Télèphe allaité par la biche, Achille et Patrocle, la toilette d'une mariée, etc. Les paysages ne manquent pas non plus. Un grand nombre de décorations murales avec des stucs et des reliefs ont servi de modèles aux peintres de la renaissance.

A signaler parmi les mosaïques une tête de mort représentée sur la ta­ble d'un triclinium. Cela vient sans doute de la maison de quelque stoïcien.

Dans la galerie des marbres, le taureau Farnèse et l'Hercule Farnèse sont connus. Le taureau Farnèse ou plutôt Dircé attachée aux cornes 99 d'un taureau par les fils d'Antiope, faisait le principal orne­ment des thermes de Caracalla à Rome, comme le Laocoon ornait les thermes de Titus. Les empereurs romains prodiguaient dans les bains les chefs-d'œuvre de l'art grec. La Psyché, l'Antinoüs, le Satyre, la Vénus sont connus aussi.

Parmi les bronzes, le plus délicieux est le Narcisse, c'est la perfection de l'art. Le Mercure au repos est délicieux aussi. Tout cet art antique est incomparable pour la beauté des formes, mais le sentiment en est pre­sque absent. Le taureau Farnèse comme le Laocoon expriment bien la douleur, l'Apollon du Belvédère a une fierté dure, le Narcisse de Naples exprime la finesse et la malice. Fra Angelico en une seule de ses fresques surpasse 100 tous ces chefs-d'œuvre par l'élévation et la pureté du sentiment.

Au musée de peinture, une sainte famille de Raphaël, Madonna col di­vino amore. C'est de la dernière manière du peintre, je ne trouve plus là rien de la piété des primitifs.

Je revois toujours volontiers la collection d'objets mobiliers trouvés à Pompéi. Il y a là les témoignages d'une civilisation très avancée. Les verres sont merveilleux de grâce et de variété. Les services de tables, ustensiles de cuisine, instruments de chirurgie, de musique, jeux et pe­tits meubles égalent ce que nous avons aujourd'hui et souvent le surpas­sent pour l'élégance des formes. Les camées sont d'une finesse exquise. Les pauvres Pompéiens et autres sybarites de la région ne manquaient que d'une chose, un peu de vertu 101.

Avec Mmes Malézieux, j'ai revu toute la Sicile. J'ai refait mon pèleri­nage à ses quatre saintes: à Ste Rosalie de Palerme, à Ste Lucie à Syra­cuse, à Ste Agathe à Catane, à Ste Flavie et à St. Placide son frère à Messine. J'ai revu tous ses beaux horizons, au Mont Ste-Rosalie à Pa­lerme, au théâtre grec de Syracuse, à celui de Taormine et au phare de Messine. Par une heureuse circonstance, les beaux reliquaires de Ste Rosalie à Palerme et de Ste-Agathe à Catane étaient découverts.

J'aime la Sicile, son climat merveilleux, ses grandes ruines et ses grands souvenirs. Malheureusement, ce pauvre peuple mal administré vit dans une misère profonde et il est aigri contre Dieu et contre les hommes 102.

Je désirais depuis longtemps voir Malte à cause de ses grands souve­nirs de St. Paul et des chevaliers.

Je quittais le port de Syracuse le 10 au soir et le 11 au matin j'arrivais à La Valette. La ville propre et gracieuse est campée sur une langue de terre rocheuse entourée de baies profondément déroupées. Il y a là un des plus beaux ports de la Méditerranée. Les Anglais le savent bien. Ils s'en sont emparés en 1800. Ils avaient bien promis en 1802, au traité d'Amiens, de rendre Malte aux chevaliers, mais d'après le nouveau droit des gens, ce qui est bon à prendre est bon à garder. Les Anglais sont restés à Malte. C'est ainsi qu'ils rendront l'Egypte au vice-roi.

Ma première occupation à Malte fut de dire la sainte messe dans la belle 103 église de Saint Jean, puis, après un peu de repos, je com­mençai la visite de la ville et de l'île.

La Valette est grande ville, elle a 75.000 âmes. Sa grande rue royale la partage en deux. Les remparts qui l'entourent ont une série incompara­ble de vues sur les ports remplis de navires, sur les bourgades environ­nantes, sur les forts qui défendent l'entrée des deux baies principales.

Je prends d'abord une première connaissance générale de la ville et l'après-midi je vais à Città Vecchia. Città Vecchia s'appelle aussi la Vil­le Noble «Notabile». C'est l'ancienne capitale de l'île. C'est là que S. Paul séjourna trois mois. C'est à 10 kilomètres de La Valette. En s'y rendant, on se rend compte de ce qu'est l'île 104. Elle paraît aride au premier aspect, parce qu'elle est très déboisée et que ses champs sont en­tourés de pierres sèches, mais elle a de belles cultures. Les laborieuses populations ont relevé les pierres du sol et tracé un réseau de canaux d'irrigation. Grâce à ces travaux les plaines et les vallons de l'île donnent généralement deux récoltes par an, une en céréales et une en coton.

Sur le chemin de Città Vecchia, on rencontre le palais Sant'Antonio, résidence d'été du gouverneur, avec un splendide jardin. Là les orangers portent à la fois des fleurs et des fruits, les plates-bandes sont fleuries comme en été et des plantes grimpantes étalent aux murs leurs belles grappes de fleurs violettes.

Città Vecchia a de loin un bel 105 aspect. La coupole de sa cathé­drale lui donne un grand air, elle est sur une colline qui domine toute l'île.

De beaux hôtels du XVIIe siècle entourent la cathédrale et sont occu­pés par le séminaire et par les chanoines.

Tout est rempli des souvenirs de S. Paul à Città Vecchia. La cathé­drale occupe l'emplacement du palais de Publius. L'église St-Paul s'élè­ve au-dessus de la crypte où l'apôtre séjourna trois mois, et si l'on monte sur la terrasse qui est derrière la cathédrale, on aperçoit à l'horizon la pe­tite baie où St-Paul aborda après son naufrage.

Après de longs jours de tempête et de jeûné, le vaisseau qui portait l'apôtre et ses 275 compagnons avait été poussé par le vent sur la grève à peu de distance du rivage. Ceux 106 qui savaient nager allaient à la cô­te et entraînaient les épaves qui portaient les autres. On reconnut alors qu'on était à Malte et les indigènes se montrèrent bienveillants. Les nau­fragés étaient transis par le froid et mouillés par la pluie, on fit un grand feu pour les réchauffer, mais comme St. Paul activait le feu, voilà qu'une vipère s'attache à sa main. Les habitants se demandaient quel pouvait être ce criminel qui à peine échappé au naufrage, tombait dans un autre péril. On voit que les Maltais étaient déjà des gens religieux. Mais Paul secoua sa main, la vipère tomba et il n'en eut aucun mal. Alors les habi­tants passant à un autre extrême le regardaient comme un dieu.

Publius, le préfet de l'île pour 107 les Romains, accueillit bien St. Paul et l'apôtre l'en remercia en guérissant son père qui était malade de la fièvre et de la dyssenterie. Les habitants de l'île se hâtèrent d'apporter leurs malades qui furent aussi guéris.

St. Paul fut choyé à Malte pendant trois mois, il convertit les Maltais, il leur laissa Publius pour évêque, et il s'embarqua de là pour Syracuse. Tel est le récit biblique. C'est donc là dans cette petite anse au nord qu'abordèrent les naufragés, c'est là que St. Paul échappa à la morsure du serpent. C'est au lieu même de la cathédrale qu'habitait Publius, et la grotte de St. Paul est le modeste refuge que St. Paul préféra au palais du Préfet et c'est là qu'il fit tant de miracles 108. Les murs de cette grotte sont restés miraculeux et les Maltais en prennent la poussière pour guérir leurs malades.

J'avais déjà suivi les souvenirs de St. Paul à Rome, à Pouzzoles, à Rheggio, à Syracuse, j'étais heureux d'aller pour ainsi dire au devant de lui jusqu'à Malte.

A Città Vecchia, les légendes profanes se mêlent aux souvenirs sacrés. Du haut de la terrasse qui est près de la cathédrale, on n'aperçoit pas seulement la baie de St-Paul, mais on entrevoit aussi au nord-ovest l'an­se de Calypso.

L'île de Malte est l'Ogyjie d'Homère. C'est là qu'Ulysse aurait passé sept ans, séduit par les charmes de Calypso.

J'aurais voulu relire là les premières pages du livre de 109 Télémaque, que le bon Fénelon a écrit au lieu de nous faire le récit de nos gloires nationales et chrétiennes.

On aime à se représenter là les conceptions d'Homère et de Fénelon, mais le récit des actes apostoliques est bien plus touchant. On revoit en imagination St. Paul abordant à la nage, puis la scène du foyer et de la vipère, les entretiens avec Publius, la guérison des malades, les prédica­tions de l'apôtre. Ce sont là des faits dont les conséquences sont encore palpables dans la foi vive des Maltais.

Avant de visiter en détail les monuments de Malte, j'aime aussi à me représenter du haut de ses remparts une autre grande scène de son hi­stoire, c'est le fameux siège de 1565.

Le grand Maître, La Valette77) avait 110 fait avec succès des cour­ses contre les infidèles. Soliman II pour réparer ses pertes envoya contre Malte 40.000 hommes et 200 vaisseaux commandés par le fameux Dra­gut, pacha de Tripoli. La flotte sarrasine était là, entourant le fort Saint­-Elme, mais La Valette avait autant de bravoure que de foi. Il priait, il in­voquait l'Eucharistie et la Vierge Marie, et après quatre mois de siège les Sarrasins furent entièrement défaits. Dragut périt dans la lutte. Son yatagan et sa hachette sont conservés au palais du gouverneur avec les étendards mahométans.

C'est du haut de ces remparts qu'on peut aussi en imagination voir se dérouler toute l'histoire de Malte. Des vaisseaux phéniciens viennent co­loniser l'île vers l'an 1500 avant Jésus-Christ. Pendant un millier 111 d'années, Malte est une république phénicienne. Vers l'an 400 les Carthaginois y abordent et se la disputent pendant 200 ans avec les tyrans de Syracuse et d'Agrigente. Les Romains s'en emparent en 218 avant Jésus-Christ, et c'est pour six cents ans. C'est sous leur do­mination que St. Paul fut jeté là par la Providence et qu'il fonda l'église de Malte.

En 455 après Jésus-Christ, les Vandales se rendent maîtres de l'île. Les Grecs de Constantinople la reprennent en 534, mais en 870 elle tom­be au pouvoir des Arabes. Ils n'en sont les maîtres que pendant 200 ans, mais ils y laissent les traces les plus profondes: la langue si mêlée des Maltais est en grande partie arabe. Ce sont les braves Normands de Sici­le qui reprennent l'île à Mahomet pour la rendre au Christ 112 en 1090, et je salue en eux les premiers des croisés. Malte suit le sort de la Sicile jusqu'en 1530. Elle passe des Normands à la dynastie des Hohen­staufen à laquelle elle échut par le mariage de Constance, héritière de Si­cile avec Henri VI. Avec la Sicile, elle passe ensuite à la maison d'Anjou puis à celle d'Aragon.

C'est Charles Quint qui a la grande pensée de la céder en 1530 aux Chevaliers de S. Jean de Jérusalem, chassés de Rhodes par Soliman II. Sous les chevaliers Malte formait un petit état électif, gouverné par le Grand Maître. Pendant plusieurs siècles les chevaliers rendèrent à la chrétienté les plus grands services et ils furent la terreur des pirates mu­sulmans. Ils seraient encore là si Bonaparte n'avait eu la malheureuse idée de s'emparer de Malte par surprise à son retour d'Egypte en 1798. Les Anglais 113 la lui ont reprise et ils y sont restés.

Pour prendre intérêt à la visite de la Cité de La Valette, il faut se rap­peler quelle était l'organisation de l'Ordre de Malte. L'Ordre était divi­sé en huit langues ou nations: Provence, Auvergne, France, Italie, Ara­gon, Allemagne, Castille, Anglo-Bavière. Les nations étaient elles­-mêmes divisées en un grand nombre de Commanderies, mais elles avaient à leur tête un Prieur qui résidait à Malte auprès du Grand Maître. De là ces Hôtels de Castille, de France, d'Auvergne etc., rési­dences des Prieurs et de leur curie; de là aussi ces huit chapelles de l'égli­se St Jean où les Prieurs de chaque nation ont leurs riches tombeaux.

De tout cela aujourd'hui, il ne reste qu'une ombre. Il y a enco­re 114 à Rome un Grand Maître et un prieuré général au mont Aven­tin. L'Ordre entretient encore à Rome deux hospices et il a dans les di­verses nations encore une centaine de Commanderies, et quatre grands prieurés, ceux de Rome, de Lombardie, des Deux-Siciles et de Bohême. L'Ordre ne fait plus guère parler de lui. Le Grand Maître et le Prieur de Rome figurent aux fonctions pontificales où leur costume original ap­porte un élément fort décoratif.

Mais il faut maintenant visiter la ville. Elle est toute du XVIe et du XVIIe siècle, cette cité de La Valette. Elle a ses rues tracées en damier. Celles qui descendent des deux côtés vers les deux ports ont des enfilades d'escaliers comme certaines rues de Naples, ce qui leur donne une aspect pittoresque. La rue royale est la plus animée 115. On y voit le Palais du gouverneur, modeste hôtel du XVIIe siècle, le Cercle militaire avec son portique dorique et le nouveau théâtre royal avec sa colonnade corinthienne.

Parmi les anciens prieurés, le plus remarquable est l'Hôtel de Castille dans le style espagnol du XVIIe siècle.

L'église St Jean, élevée en 1576 est d'une grande richesse de marbres à l'intérieur. Elle est toute pavée de dalles tumulaires et ses chapelles sont remplies de tombeaux. Dans les chapelles reposent les Grands Maîtres; sous les dalles, les Prieurs et les chevaliers.

Dans la crypte, derrière le maître-autel reposent deux héros: Villiers de l'Isle-Adam et La Valette. Le premier, avec 600 chevaliers et 4500 soldats a défendu l'île de Rhodes en 1522, pendant tout une année, con­tre 200.000 Sarrasins et 400 bâtiments de guerre 116. La Valette a dé­fendu et sauvé Malte en 1565.

Dans la chapelle de Portugal sont les beaux monuments de Manoël Villena et de Manoël Pinto. Celui-ci a fait comme les autres souverains d'Europe, en chassant les jésuites en 1756. La chapelle des Espagnols a les beaux monuments de Rocafueil(?) et Coloner. Celui-ci a fait beau­coup pour l'embellissement de la ville.

Sur les dalles funéraires, on retrouve les noms de toutes nos grandes familles de France. Nous pouvons être justement fiers de ces générations de croisés.

Au Palais du gouverneur, la salle d'armes contient divers trophées et des armes de tous les modèles rappelant les diverses époques du temps des chevaliers.

Le bâton de commandement de La Valette est là comme une relique, avec les belles armures de La Valette et de 117 Wignacourt. Une bel­le croix de procession a été rapportée de Rhodes, comme divers objets conservés à la Città Vecchia. Le diplôme de Charles V, faisant don de l'île aux Chevaliers est là aussi, au Palais, protestant contre les usurpa­tions postérieures.

Les Maltais sont une race à part. Ils sont actifs et industrieux et mé­prisent beaucoup les Italiens, qu'ils regardent comme peu travailleurs et peu scrupuleux sous le rapport de la justice.

Ils ont toute la piété d'un peuple oriental. Ils sont admirables à l'égli­se, tous agenouillés, sans appui et le chapelet à la main. Les hommes ai­ment à travailler nu-pieds, soit au port soit à la campagne, tout en ne manquant pas de tenue pour le reste. Les femmes se couvrent la tête d'une mantille de soie, qui 118 ne les empêche pas de regarder assez curieusement ce qui se passe.

La rue royale est très animée tout le jour, mais surtout le soir. Les étrangers visitent ses magasins de dentelles, d'antiquités, d'argenterie, de photographies et d'objets orientaux, arabes et persans.

Je n'avais pu donner que deux jours à Malte; c'était court, mais qui sait? Il y aura peut-être quelque occasion d'y repasser.

Dans ces deux séjours, j'ai revu les environs de Naples. Ils m'étaient déjà connus. je voyais cependant pour la première fois Capri et la nou­velle route d'Amalfi à Sorrente, et je revoyais avec un nouvel intérêt Pompéi et le Vésuve.

On n'a pas l'idée de la grotte d'azur avant da l'avoir vue. Je m'éton­ne 119 que les anciens n'en aient pas fait le séjour de quelque fée ou de quelque nymphe. Par un orifice étroit on entre en barque dans cette grotte qui a une voûte de cathédrale, et là les reflets d'azur pénètrent l'eau et se reproduisent sur les voûtes. Le mot d'azur ne rend pas bien encore le bleu si clair et si délicat qui tapisse cette grotte. Je ne puis le comparer qu'au reflet des ailes de certains papillons et de certains oi­seaux des tropiques. Je laisse d'ailleurs aux savants le soin de l'expli­quer. Heureuse Naples qui a tant de merveilles à sa portée.

Une route nouvelle a été ouverte de Sorrente à Amalfi par-dessus les montagnes de la presqu'île de Sorrente. Cette route surpasse par ses beautés la Corniche de 120 Provence elle-même. En partant de Sor­rente, la route s'élève entre les vergers d'orangers chargés de fruits, avec des échappées de vues sur Naples et son golfe jusqu'à Pouzzoles et Ischia. Elle descend au golfe de Salerne en face des îles gracieuses où la poésie a placé les Sirènes; puis elle longe le rivage au pied de monts abrupts qui rappellent les Alpes. Positano et Prajano sont des bourgades aux maisons coloriées, étagées sur les rochers au milieu de vergers d'agrumi conquis sur la pierre par le labeur patient des habitants.

Je revoyais Amalfi pour la troisième fois. C'est un centre d'excursions ravissantes et je ne m'étonne pas que les touristes y fassent volontiers un petit séjour. C'est cependant dommage qu'on leur ait fait un hôtel de l'ancien couvent des 121 capucins. Ce sont les cisterciens qui avaient bâti au XIIIe siècle ce cloître merveilleusement situé à 70 mètres au­-dessus de la mer sur la pente des rochers, en vue d'Amalfi et du golfe de Salerne. Vue splendide, jardin délicieux et végétation africaine à l'abri des vents du Nord, tels sont les avantages de ce site privilégié où l'on trouve en janvier la brise tiède et les fleurs du mois de mai.

Mais Amalfi a un autre intérêt, c'est sa belle cathédrale normande avec le corps de St. André qui donne toujours sa manne miraculeuse. Amalfi et Sorrente comptaient au Moyen-âge parmi les villes les plus prospères et les plus civilisées de l'Europe. Elles ont au moins gardé leurs grandes reliques.

Il y a toujours un intérêt à 122 revoir Pompéi parce que les fouilles s'y continuent régulièrement. C'est dans ces trois dernières années qu'on a découvert la maison la plus belle et la mieux conservée, celle des Vetti. Elle a encore son jardinet intérieur qu'on a reconstitué avec les statuettes de ses jets d'eau. Les ustensiles de cuisine sont encore auprès du foyer. Mais les peintures surtout sont ravissantes. Plusieurs hélas! sont immodestes, elles sont heureusement cachées sous des volets. C'était là évidemment la maison d'un riche épicurien. Mais quel char­me ont toutes ces peintures encore fraîches et vives, et si admirablement variées! On y voit des paysages, des animaux, des scènes historiques et mythologiques, et des fantaisies gracieuses. L'art moderne n'a rien de plus délicat 123 que ces groupes de petits amours qui se livrent aux métiers ou au jeux du temps. Les uns sont monnayeurs, d'autres sont teinturiers, fleuristes, pharmaciens, d'autres font la course dans le cir­que. Tout cela est d'une grande perfection de dessin, de coloris et d'ex­pression. Tous les touristes en achètent les copies et bientôt le monde en­tier connaîtra les peintures de la maison des Vetti.

Ce qui m'a le plus frappé dans les peintures de cette maison, c'est une scène mythologique où j'ai retrouvé l'origine de l'auréole chrétienne. La fresque représente un jugement. C'est, je crois, Junon qui condamne à la roue je ne sais quel coupable en présence de Mercure. Mais ce qu'il y a de saillant, c'est qu'un génie qui se tient debout à la droite 124 de la déesse, comme pour l'inspirer, a une auréole bleue. Cela a paru propre à représenter un génie céleste. Les chrétiens ont imité cela pour repré­senter les habitants des cieux. Ils leur ont donné d'abord une auréole bleue, comme on en voit une, je crois, aux catacombes de Ste Domitille, puis ils ont adopté l'auréole d'or.

J'ai revu aussi le Vésuve. J'y étais déjà monté avec mon père en 1868. J'ai eu cette fois un beau temps bien clair. On va de Naples en voiture ju­squ'auprès de l'Observatoire. On traverse Portici et Résina qui a succédé à Herculanum. Portici a de beaux restes de sa splendeur du siècle passé. Le roi et les grands de Naples ont construit là de splendides villas dont les vergers d'orangers descendent jusqu'à la mer, mais tout cela est aujourd'hui fort appauvri et négligé 125. Il manque à Naples une cour. Le roi d'Italie ne peut pas suppléer à la vie propre qu'avaient ces diverses capitales en faisant séjourner son fils tantôt à Naples, et tantôt à Florence.

De l'Observatoire jusqu'au pied du funiculaire, il faut aller à cheval, les nouvelles laves ayant coupé la route. Le cratère est entouré d'un rem­part de sables noirs et de scories. Nous avons eu la bonne fortune de voir le volcan en activité. Ce n'était pas une grande éruption, mais cela en donnait bien l'idée. A chaque instant éclatait comme un coup de foudre. Les gaz surchauffés faisaient éclater la croûte du cratère. Un nuage de noire fumée s'élevait brusquement vers le ciel et des scories tombaient brûlantes tout autour du cratère. C'est vraiment un spectacle gran­diose 126.

J'étais rentré à Rome le 30 janvier. Le 2 février, j'allais suivant l'usage, porter mon cierge au Pape. Nous défilions assez vite devant lui pour ne pas le fatiguer. Je lui demandai une nouvelle bénédiction pour mon apostolat social. Il montra qu'il se rappelait mon nom et mes conférences.

Le 6 février, quatre de nos missionnaires partaient d'Anvers pour le Congo: les Pères Bonifacius et Willibrodo, les frères Bonaventure et Vital78). Je ne pouvais pas présider à leur départ, le P. Jeanroy s'en char­geait. C'est pour l'œuvre une bénédiction d'offrir au Cœur de Jésus un généreux sacrifice comme celui de l'apostolat en Afrique.

C'est dans les premiers jours de 127 février que paraissait mon Ca­téchisme social chez les éditeurs Bloud et Barral. Il était bien accueilli par la presse et je recevais de bonnes lettres des archevêques d'Aix et d'Avi­gnon, des évêques de Fréjus, Nevers, S.-Dié, Laval, et de M. Cardon, vicaire capitulaire de Soissons79).

Puisse ce petit livre devenir classique et populariser les enseignements de Léon XIII.

A la même date, Mgr l'archevêque de Cambrai80) me priait d'être po­stulateur pour la cause de béatification des Ursulines de Valenciennes, martyres de la Révolution. Je vais mettre cette cause en train, j'espère que ces saintes Soeurs m'en sauront gré et m'aideront à faire mon salut81).

Du ter au 15 je revois Rome 128 avec mon frère. Je complèterai cette visite dans mes loisirs de cet hiver.

Vers la fin du séjour de mon frère, je pris froid et je gagnai l'influenza qui régnait à Rome. Une bronchite et un grand affaiblissement s'en sui­vit. Je gardai la chambre 15 jours. Après cela je crus bien faire pour hâ­ter ma convalescence de changer d'air et d'aller me reposer à Porto d'Anzio. L'air de la mer était trop vif, je fus pris de crachements de sang. Je revins me soigner, mais ma santé devait rester languissante pendant plusieurs mois.

Quand je fus remis, je repris mes petites promenades quotidiennes. J'aime toujours à comparer les deux Rome: la cité païenne et la cité chrétienne. Celle-là a son histoire glorieuse, ses héros, ses 129 vertus, ses monuments grandioses, mais elle est la cité de l'esclavage, de la cruauté, des plaisirs sensuels.

Celle-ci a toutes les grandeurs, elle est le centre moral, religieux et ar­tistique de toute la civilisation chrétienne.

La vieille Rome, avant l'empire, était simple dans ses moeurs. Elle a laissé peu de monuments. Elle avait sans doute de modestes maisons, plus fragiles que les riches palais de l'empire. Il reste peu de choses de cette époque-là. Les vieux romains bâtissaient en pépérin, pierre grise et simple. Plus tard, ils ont bâti en travertin, pierre blanche et dure.

Les tombeaux des Scipions marquent la simplicité de l'ère républicai­ne. Il y a là une simple frise dorique 130 avec une corniche en pépé­rin. Le tablinum du capitole, construit au dernier siècle de la république est encore en pépérin et en style dorique. Les temples étaient modestes et souvent ronds. Le temple de la Fortune virile, de la fin de la république est d'ordre ionique. Rome abandonnait les traditions étrusques pour co­pier l'art grec. Le tombeau de Cécilia Metella fut le premier monument bâti en marbre. Pompée construisit le premier théâtre en pierre. Augu­ste fit bâtir le beau théâtre dit de Marcellus avec les trois ordres superpo­sés dans de belles proportions.

Dès lors les richesses des peuples conquis allaient amener le dévelop­pement exubérant et la décadence de l'art. Le Panthéon d'Agrippa avait encore de belles 131 et nobles proportions, mais ensuite, c'est un amas de palais, de temples et de thermes où le colossal remplace ordi­nairement l'élégance et la pureté du style.

Mais le paganisme devait s'effondrer dans l'excès de ses richesses. Le forum avait été le centre de la Rome impériale où régnaient l'absoluti­sme, l'esclavage et la luxure. Il allait être le centre des sanctuaires chré­tiens et en particulier des diaconies où régnèrent désormais l'humilité, la fraternité, la charité.

Je cite les diacomes, elles étaient presque toutes autour du forum ou à peu de distance: Ste-Marie in via Lata, St-Adrien au forum, Ste-Agathe à la Suburra, St-Ange in Pescheria; St-Césaire in Palatio, 132 SS. Côme-et-Damien, St-Eustache, St-Georges au Vélabre, Ste-Marie ad Martyres, Ste-Marie della Scala; Ste-Marie in Aquiro, Ste-Marie in Cosmedin, Ste-Marie in Domnica, Ste-Marie in Porticu, St-Nicolas in Carcere, les SS.-Vite, Modeste et Crescens.

La Rome chrétienne se servit des artistes qu'elle avait sous la main. Les premiers siècles chrétiens du IVe au XIe furent trop entravés par l'invasion et l'éducation barbare pour que l'art put prendre un essor nouveau.

Toutes les églises prirent la forme des basiliques ou tribunaux adaptés aux besoins du culte. Les colonnes et les chapiteaux étaient le plus sou­vent empruntés aux temples païens. Les styles ionique et corinthien y dominaient 133.

L'art de la mosaïque garde seul une vitalité propre et il produisit quel­ques belles œuvres. Il faut signaler au IVe siècle les mosaïques de Ste­Constance et de Ste-Pudentienne; au Ve siècle, celles de Ste-Marie Ma­jeure, de St-Paul, de Ste-Sabine; au VIe siècle, celles des SS.-Côme-et­-Damien.

Les plus belles basiliques élevées dans cette période, en dehors de cel­les de St-Pierre et de St-Paul qui ont disparu et de celle de St Jean de La­tran qui a été déformée, sont celles de Ste-Marie Majeure, Ste-Marie du Transtevère, Ste-Sabine, St-Chrysogone, l'Ara Caeli, St-Laurent, Ste­Agnès.

Le moyen-âge a eu aussi cependant quelques édifices ronds: 134 le baptistère de Constantin, celui de Constance, l'église de St-Etienne. L'art byzantin proprement dit, avec ses églises en croix grecques sur­montées d'une coupole n'a pas pénétré à Rome, quoiqu'il ait donné à l'Italie: St-Vital de Ravenne, St-Marc de Venise, St-Cyriaque d'Ancô­ne, et peut-être St-Laurent et St-Satire, à Milan.

Les campaniles s'élevèrent nombreux au XIe siècle. Quelques uns ce­pendant sont plus anciens: Ste-Pudentienne, VIe s.; Ste-Marie in Co­smedin et St-Eustache, IXe s. Naturellement on ne trouvait pour cela aucun modèle dans le paganisme, qui n'avait pas connu les cloches.

L'art roman était une première renaissance, un 135 premier essai de retour à l'art romain, interrompu par le magnifique épanouissement de l'art ogival.

L'art roman au XIe et XIIe siècle a laissé à l'Italie de nobles et beaux monuments. Citons les cathédrales de Parme, de Lucques, de Modène, de Pise, St-Michel de Pavie, les cathédrales de Gênes, de Plaisance, de Ferra­re, le campanile de Pise, St-Miniato à Florence, St-Zenon à Vérone, le baptistère de Parme, St-Ambroise à Milan, le baptistère de Florence, etc.

A Rome, il n'a pas laissé d'églises complètes, mais il a produit des cloîtres splendides, des restaurations d'églises, des tours, des tombeaux, des mosaïques. Alors florissait l'art des marbriers, marmorarii, 136 qui s'aidaient de l'art romain pour revêtir de fines décorations les nouveaux édifices qui s'élevaient dans ce premier réveil de l'art.

Les marmorarii (dont les Cosmati ou fils de Cosmas sont les principaux) ont laissé à Rome les cloîtres de St-Laurent, de St-Paul, de St Jean, la re­stauration de Ste-Françoise romaine, la chapelle du Sancta Sanctorum, la chapelle de la crèche à Ste-Marie Majeure, le baldaquin de Ste-Marie in Cosmedin, les monuments de l'évêque Durand à la Minerve, de Gonzalve à Ste-Marie Majeure… De cette époque aussi sont le choeur de St-Laurent et l'église de Ste-Agnès avec leurs galeries supérieures.

L'art gothique ou ogival a laissé aussi en Italie de belles œuvres, moins grandioses sûrement, 137 moins scientifiques, moins hardies que nos cathédrales du Nord, belles cependant et souvent délicates et gracieuses, œuvres de marbriers ou d'orfèvres plutôt que d'architectes, telles le Campo-Santo de Pise, l'église de St-François à Assise, les cathé­drales d'Orvieto, de Florence, de Sienne, de Milan et tant d'autres.

A Rome, à cette époque on bâtissait peu, on entretenait les basiliques. L'art ogival est cependant représenté par l'église de la Minerve, le Sanc­ta Sanctorum, les baldaquins de St-Paul et Ste-Cécile, et quelques tom­beaux des Cosmati.

Je ne dis rien de la Renaissance, son œuvre est trop connue 138. J'aime à comparer l'art chrétien et l'art païen, leur esprit, leurs ten­dances.

L'art païen a eu son apogée en Grèce, pendant près d'un millier d'an­nées, du VIe siècle avant J.-C. jusqu'au IVe après. Il a atteint à peu près la perfection naturelle. L'homme livré aux seules forces de la nature ne produira rien de plus beau en architecture que le parthénon d'Athènes, en sculpture que les statues de Polyclète, de Myron, de Phydias. Dans l'architecture, règnent l'harmonie et la beauté des proportions; dans la sculpture, la beauté physique, la noblesse, la dignité, avec l'expression exacte des passions et des sentiments humains. Nous pouvons moins ap­précier la peinture grecque: nous n'en 139 avons que des copies ro­maines, dont quelques unes toutefois atteignent une assez grande perfec­tion: telles les peintures de la maison des Vetti à Pompéi, et à Rome, au musée Tibérin celles d'une maison située près du Tibre.

L'art chrétien n'a pas d'abord donné tant de soin à la beauté physi­que. Il s'y est mis cependant au XVIe siècle avec Raphaël et Vinci, avec Michel-Ange et Cellini. Mais ce qui fait sa supériorité, c'est le symboli­sme pieux de son architecture, ce sont les sentiments surnaturels qu'ex­priment ses peintures et ses sculptures. Comment les païens avaient-ils pu exprimer des vertus et des sentiments dont le nom même leur est resté inconnu: la foi, la modestie, la pureté, la charité? 140.

On peut étudier à Rome l'art d'Athènes. Les principales œuvres des sculpteurs, celles qui passaient pour des types accomplis ou des modèles s'y retrouvent soit dans les originaux, soit en copies. Mais pourquoi faut-il qu'elles soient dispersées? Je voudrais voir au Vatican des salles spéciales attribuées aux maîtres. Dans la salle de Polyclète, on verrait son Doryphore (que les anciens appelaient le modèle, le canon) son Diadu­mène, son Apoxiomène, sa Junon, ses Amazones. On a tout cela, au moins en copie. Dans la salle de Myron, on verrait son Discobole, son Marsyas, sa Génisse. Dans la salle de Phidias, son Jupiter, sa Minerve. Ce sont là les trois maîtres de la Ire école, de l'école purement clas­sique 141.

La seconde école a exprimé une beauté plus douce et moins austère, elle s'est plus à reproduire les passions de l'âme, la joie, la douleur. Pra­xitèle primerait là avec son Apollon, sa Vénus de Cnide, son Cupidon, son Mercure. Scopas nous montrerait Niobé et ses enfants; Lysippe, son Alexandre, Léocharès, son Ganymède.

L'école de Pergame a visé au réalisme, celle de Rhodes au colossal et au tour de force. A celle-là appartient le Gaulois mourant du Capitole; à celle-ci le torse du Belvédère, le Laocoon, le taureau Farnèse.

Je m'étonne qu'aucun musée n'ait encore songé à nous montrer ces diverses écoles groupées au moins dans de bonnes copies.

L'art chrétien a aussi à Rome ses chefs-d'œuvre. Je ne fais 142 que nommer: fra Angelico, la chapelle St-Laurent au Vatican; Pinturicchio, les appartements Borgia, l'église Ste-Marie du Peuple; Raphaël, les chambres, la Transfiguration; Michel-Ange, le Moïse, le jugement der­nier, etc…

Mgr Gerbet fait bien ressortir comment Rome est un grand temple, un grand reliquaire, une grande chaire de vérité, c'est aussi un grand musée et un grand monastère.

C'est un grand temple, avec ses 400 églises où chaque jour est offert le S. Sacrifice, où tant de fidèles passent pour prier Dieu.

C'est un grand reliquaire avec ses catacombes immenses, ses basili­ques, élevées sur les tombeaux des martyrs, ses corps saints et ses cham­bres de Saints de toutes les époques 143.

C'est une grande chaire de vérité, avec son Pontife infaillible, ses Congrégations, maîtresses de la doctrine, ses universités, ses séminaires qui remplissent la ville.

C'est un grand musée avec ses monuments anciens, ses palais, ses ga­leries, ses collections.

C'est aussi un grand monastère ou plutôt un réseau de monastères, avec cent costumes divers.

Ce sont d'abord les grands ordres anciens, les Bénédictins, les Augu­stins, les Basiliens, avec leurs variantes; puis la réforme du XIIe siècle, St. Bernard, les Camaldules, les Olivétains; les ordres mendiants et prê­cheurs du XIIIe siècle, les Franciscains, Dominicains, Carmes, Servites, et plus tard les Minimes, les Passionistes; les ordres militaires, chevaliers de Malte; les ordres voués à la rédemption des captifs, Trini­taires 144 et Mercédaires; les congrégations apostoliques et ensei­gnantes du XVIe siècle, jésuites, Somasques, Barnabites, Oratoriens et plus tard les Rédemptoristes, les Lazaristes; les ordres hospitaliers, Ca­milliens et Frères de St. Jean de Dieu; les apôtres du peuple: Scuole Pie, Palottini, Salésiens, Frères des Ecoles Chrétiennes et autres; les apôtres des dévotions modernes, Pères du St-Sacrement, du S.-Cœur, de Lour­des, de La Salette, Eudistes, Pères d'Issoudun; les missionnaires, Oblats de Marie, Pères du St-Esprit, Pères Blancs, Pères de l'Assomption, Pau­listes… l'apostolat moderne, presse, œuvres sociales; Assomption, œuvre de St-Paul, Frères de St-Vincent de Paul, Missionnaires du travail…

Tout cet hiver nous lisons au réfectoire les Trois Rome de Mgr Gaume82). Je retourne toujours à ce vénérable 145 écrivain. Il est éru­dit et d'une foi admirable. On lui passe facilement son style un peu lourd. Cependant si le style, chez lui, avait valu le fond, il aurait été lu cent fois plus et il aurait fait un bien incalculable.

J'ai lu la vie du P. Hecker83), qui était fort contestée. Elle m'a édifié. Ses contradicteurs ont exagéré ce qu'il peut y avoir d'un peu étrange. On n'a mis dans cette controverse aucune charité.

Je lisais d'ailleurs en même temps comme lecture spirituelle la Doctri­ne du P. Lallemant84). Lui aussi veut que nous soyons dociles à la direc­tion du St-Esprit. On n'a guère mieux parlé que lui de la vie intérieure.

Au 24 mars, j'avais assisté à la messe consistoriale. J'avais eu le bon­heur de voir le St-Père pendant plus 146 d'une heure et de prier avec lui. C'est à ce consistoire que Mgr de Ramecourt (Deramecourt) a été préconisé85).

Le Ier avril, je reçus deux bonnes visites, Pierre Veuillot et Toniolo86). Quelle âme candide et bonne a celui-ci! Comme St. Bonaventure, c'est un docteur séraphique. Pierre Veuillot se forme. Il a du caractère et son talent se développe. Puisse-t-il approcher du génie de son oncle!

Le 13, je conduisis mes j. gens à Tivoli et le 14 à Mentana. Je revis à Tivoli la vieille basilique chrétienne aux colonnes doriques et les nom­breux reliquaires où se retrouvent avec d'autres trésors quelques osse­ments de Ste Symphorose, la grande martyre de Tibur.

J'ai revu la villa Adriana. C'était le Versailles de l'empire romain. Que de richesses accumulées! 147 Mais la richesse énerve souvent les âmes. C'est ce qui est arrivé pour Adrien et ses successeurs.

Le 14 nous allions revoir Mentana et prier dans sa petite église où les zouaves se sont préparés au sacrifice. L'Italie a élevé un riche monu­ment aux révolutionnaires qui sont venus à l'assaut des droits les plus sa­crés. C'est la glorification de l'anarchie.

Le 29, fête millénaire de St. Robert87), à l'abbaye des Trois-fontaines. Belle réunion: tous les abbés de la Trappe sont là au nombre de 80. Ils alternent à table avec les invités, prélats et dignitaires religieux. Le bon Père Sébastien88), abbé général, est radieux. Quelle belle figure de moi­ne! Il a, avec une grande énergie de caractère, la douceur et la bonté de St. Bernard 148.

Quoique convalescent, je travaille un peu. J'écris une préface pour le Compte-rendu du congrès du Tiers-Ordre et des articles pour la Chroni­que du Sud-Est.

Je fais deux conférences publiques, sur la démocratie et son program­me. Le card. Agliardi assiste à la seconde.

Le 8 mai, nous avions quelques ordinands, dont un prêtre, le P. Charles89). Le 15 j'obtenais une petite audience du Pape, qui encoura­geait de nouveau mes petits efforts pour propager ses enseignements so­ciaux.

Je rentrai en France par Assise, Lorette, Milan, Turin et le Simplon. Assise! C'est un sanctuaire et un musée. Je revois tout le théâtre de son épopée: Ste-Marie des Anges, St-Damien, la Maison paternelle, les Carceri, le tombeau 149.

St. François a glorifié la pauvreté volontaire et expiatrice. Le résumé de son œuvre est bien rendu dans la fresque de Giotto: St. François rece­vant du Christ la pauvreté comme fiancée.

L'église basse de St-François est romane, l'église supérieure est ogiva­le: les deux styles chrétiens ont glorifié le saint.

Les anges de la peinture, les primitifs pieux de l'Ombrie, Cimabué, Giotto, Simone Martini, Lorenzetti, Giottino ont rivalisé d'ardeur pour décorer le sanctuaire élevé sur le tombeau du saint. Il y manque l'Ange­lico. L'église St-François à Assise et le couvent de St-Marc à Florence sont les deux musées de l'art chrétien primitif.

De Cimabué et de Giotto, il y a toute la nef de l'église supérieure: l'ancien et le nouveau Testament et la 150 vie de St-François. Ils ont peint aussi dans l'église basse quelques scènes de la vie de N.-S. et de la Sainte Vierge.

De Simone Martini, il y a de nombreux joyaux dans l'église basse: la Vierge avec des saints, la vie de St-Martin. Lorenzetti a pour chef-­d'œuvre la Vierge avec St. Jean et St. François, le Giottino a le couron­nement de la Vierge.

Ces œuvres des primitifs, avec les cathédrales françaises et la poésie du Dante, c'est le génie chrétien dans toute sa pureté et sa suavité. Les siècles qui ont précédé sont trop incorrects, ceux qui suivent retombent dans le paganisme.

J'ai revu Lorette et célébré à la Santa Casa, comme toujours avec émotion et attendrissement.

J'ai décrit l'église autrefois, mais le siècle finissant lui apporte une décoration 151 nouvelle, qui fera honneur à notre temps. A l'occasion du VIe centenaire de la translation, on orne de peintures avec les dons des fidèles, la coupole et plusieurs chapelles. Des peintres de diverses na­tions se partagent les travaux. Leur rivalité aiguise et affine leur talent. Il en résultera des chefs-d'œuvre. Faustini et Maccari représentent l'Ita­lie, Seitz l'Allemagne, et Lameire la France. Faustini a commencé, il a peint la chapelle St-Joseph, il n'est pas à la hauteur des autres. Il imite les Allemands modernes. Il a du dessein, de la couleur, mais peu d'ex­pression et pas de réalité historique. Il a seulement quelques grandes fre­sques, l'atelier de St-Joseph, le songe de St-Joseph, la fuite en Egypte. Il a du talent plus que du génie. Ce n'est pas son coup d'essai, il a déjà dé­coré une église en Lombardie. 152.

Maccari est italien aussi. Il peint la coupole. Il ne m'est pas inconnu. Je l'ai admiré comme peintre d'histoire dans les grandes scènes histori­ques qu'il a peintes au Sénat de Rome. Il a beaucoup de lumière et de couleur et sait bien disposer un groupe. Il nous donnera une coupole splendide à Lorette. Il y peint la gloire de Marie: Marie reine des anges, des prophètes, des patriarches, des martyrs, des vierges, des confesseurs. Il y a quelques réminiscences des Chambres de Raphaël dans la disposi­tion de ces groupes. Je ne sais pas si Maccari est religieux, il a en tout cas un grand don d'assimilation, il a étudié Raphaël et les primitifs. Son œuvre est ravissante et sa coupole surpasse celles qu'ont décorées les peintres de la Renaissance.

Lameire représente la France. Il peint la chapelle St-Louis. Il est con­nu par ses fresques de St-Sulpice et d'autres 153 églises parisiennes. Il est le moins avancé à Lorette. Hésite-t-il? Craint-il la comparaison? Veut-il voir d'abord ce que les autres ont fait? Nous le verrons à l'œuvre s'il aboutit.

La chapelle de la Ste-Vierge est confiée à Seltz. C'est un allemand né à Rome et le peintre ordinaire du Vatican. J'avais vu ses peintures de la bibliothèque vaticane, elles m'avaient paru vulgaires. Il m'a émerveillé à Lorette. Il peint toute la mariologie: les prophéties, les figures relatives à Marie, sa vie et sa gloire. C'est tout un poème. Il est superbe de soin, de réalisme, de coloris. Je ne connais rien d'aussi brillant dans nos déco­rations modernes: Lyon, Albert, Domrémy, etc. Ce sera seulement trop chargé et trop éblouissant, quand tout sera découvert. C'est tout un monde qui sera entassé 154 dans cette chapelle. L'artiste a un peu ou­blié le conseil de St. Paul: oportet sapere ad sobrietatem (Rm 12,3). Le mieux est quelques fois l'ennemi du bien.

Je suis allé de nouveau à Campocavallo. Une belle église à coupole s'élève pour abriter l'image qui a remué les yeux. L'Italie aura un pèle­rinage de plus, mais Lorette gardera le premier rang après Rome, parce qu'elle a la sainte Maison.

Je passai ensuite à Milan. C'était peu de temps après la révolte. Il re­stait des traces des barricades, les troupes campaient dans les rues. Don Albertario venait d'être arrêté. On parlait de 1.100 à 1.200 victimes. Milan n'a plus aucune sympathie pour la dynastie de Savoie et l'état ac­tuel de l'Italie. Les catholiques, les socialistes, les libéraux attendent tous un changement qui finira par venir.

155

1896 Novembre 0
Marsanne, Valence, Viviers 1
Saint-Antoine, Grenoble 3
Lyon: Congrès démocratique 7
Alais, Vezenobres 9
Nîmes, Fréjus 9
Rome 10
1897 0
Rome: relations, cardinaux 11
Religieux 14
Prélats français 22
Autres relations: Mgr Della Chiesa 23
Audience 27
Conférences 37
Incidents 38
Excursions 39
Projet du Congo 40
Mes travaux 41
Consulteur 42
156 Le Réveil Picard 43
Foligno, Assise, Bologne 43
Bologne, Milan, Bergame 50
Le Splügen, Coire, le Voralberg 54
Innsbrück 56
Luxembourg 58
Paris 59
Saint-Quentin, Lille, Bruxelles 62
Bonn 64
Sittard 67
Bruxelles: départ pour le Congo 68
Clairefontaine, Saint-Remy 71
La Capelle, Les Anciens élèves 72
Le Val; séminaristes 73
Nîmes: Congrès, Arles, Saintes-Maries 73
Notre retraite, Fourdrain 76
Nîmes, Pont du Gard,
Aigues Mortes 77
Congrès de Lyon, Fourvière 80
Avignon, Rome 89
157 1898 0
Naples, La Sicile 91
La Sicile 101
Malte 102
Environs de Naples, Capri 118
Sorrente, Amalfi 119
Pompei 122
Le Vesuve 124
Rome, le Congo, Catéchisme social 126
Postulateur 127
Maladie. Promenades artisti­ques et archeologiques 128
Mars: lectures, consistoire 144
Avril: visites, excursions, travaux 145
Mai: audience, retour, Assise 148
Lorette 150
Milan 154

1)
Cotton (Charles-Pierre-François: 1825-1905), év. de Valence; 1875-1905.
2)
Bonnet (Joseph-Michel-Frédéric: 1835-1923), év. de Viviers: 1876-1923.
3)
Gréa (Marie-Étienne-Adrien). – Né à Lons-le-Saunier (Jura), le 18 févr. 1828. Il fit d’abord des études de droit et suivit les cours de l’École des chartes. Le 8 avr. 1850, il soutint sa thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe. Ensuite il décida de se faire prêtre. Il alla étudier à Rome, où il passa le doctorat en théologie, et il fut ordonné en 1856. Après avoir été aumônier des Forges de Baudin, il devint, en 1862, directeur de la maîtrise de S.-Claude et vicaire général. Dès le temps de son aumônerie, il avait conçu le dessein de créer une congrégation religieuse d’hommes. Ce projet aboutit en 1866, et ce fut la congrégation des Chanoines réguliers de l’Immaculée Conception. Son centre resta d’abord à S.-Claude; puis, en 1890, dom Gréa établit un monastère à S.-Antoine en Viennois, où il alla résider. Il reçut la dignité abbatiale en 1896. Lors des lois françaises contre les congrégations, il partit avec ses religieux pour An­dora, dans la province de Gênes. Il mourut dans son diocèse natal, à Rotalier (Jura), le 23 févr. 1917. Deux livres de dom Gréa sont restés connus. Le premier a pour titre L’Église et sa divine constitution (1885); on y retrouve son étude sur les archidiacres; on peut n’être pas d’accord avec l’auteur sur toutes les vues qu’il y expose, mais on doit reconnaître l’im­portance de ce travail; plusieurs des idées de l’ouvrage ont inspiré la fondation de sa congrégation. Le second livre a pour titre La sainte liturgie (1909).
4)
Fava (Armand Joseph. 1826-1899), évêque de Grenoble: 1875-1899.
5)
Vaughan Diane, personnage imaginé par l’écrivain et mystificateur Léon Taxil, pseudonyme de P.-Antoine Jogand-Pagès (1854-1907). D’abord anti-clérical féroce puis maçon, en 1885 il déclare sa conversion et commence une violente campagne anti­maçonnique afin de révéler l’aspect satanique de la secte et l’adoration du démon qu’on y pratiquait. Il imagina ainsi la prêtresse Diane Vaughan, épouse du démon Asmodé, et fille du démon Bitru et de Sophie Walter, aïeule de l’Antéchrist. L’exagération des révélations de Taxil, poussée à l’exaspération par l’immoralité, mit en garde certains catholiques. Enfin, en 1897, lors d’une réunion publique à Paris, le mystificateur ôta son masque et révéla cyniquement l’imposture et l’invention de Diane Vaughan. Nom­breux furent ceux qui ne le crurent guère, mais avec le temps les prétendues révélations antimaçonniques de L. Taxil se montrèrent comme de vulgaires mystifications. Par ail­leurs, l’imposteur reprit bruyamment son anticléricalisme et son activité de pamphlé­taire d’autrefois (cf. EC).
6)
Adrèts (baron des), chef protestant, né à la Frette (Dauphiné) et connu par sa cruau­té. Il obligeait, dit-on, ses prisonniers à sauter du haut d’une tour sur la pointe des pi­ques des soldats. Comme l’un d’entre eux hésitait: «Allons donc, poltron! est-ce donc si difficile? s’écria des Adrèts. «Je vous le donne en quatre!» répliqua le soldat. Le baron fit grâce. Il mourut catholique (1513-1587) (P. L. I.).
7)
Bayard (Pierre du terrail, seigneur de), illustre capitaine français, né près de Grenoble vers 1473. Il se couvrit de gloire pendant les guerres de Charles VIII, Louis XII et François Ier. Sa bravoure et sa générosité excitèrent l’admiration même de ses ennemis et lui valurent le glorieux surnom de Chevalier sans peur et sans reproche. Le soir de la ba­taille dé Marignan, François Ier voulut être armé chevalier de sa main. On le vit défen­dre seul le pont du Garigliano contre 200 cavaliers espagnols. Ce brave capitaine fut tué d’un coup d’arquebuse à Abbiategrasso en 1524. Avant d’expirer il reprocha sévère­ment au connétable de Bourbon son infâme trahison. Comme Bourbon exprimait sa pi­tié de le voir en cet état: «Je ne suis point à plaindre, répondit Bayard, car je meurs en homme de bien: mais j’ai pitié de vous qui combattez contre votre roi, votre patrie et votre serment». Sa vie a été écrite par le Loyal Serviteur (P. L. I).
8)
Cf. NQ vol. 2°, note 5, p. 614.
9)
Cf. NQ vol. 2°, note 4, p. 614.
10)
Ferrata (Dominique). – Né à Gradoli (dioc. de Montefiascone), le 4 mars 1847. Études chez les jésuites d’Orvieto, au séminaire de Montefiascone (1860) et à Rome (1867). où il prit ses grades en théologie, droit canon et droit civil. Professeur de droit à l’Apollinaire (1876), puis au collège de la Propagande (1877). Pie IX le fit entrer com­me minutante à la S. C. des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, dont le secrétaire était alors Mgr Czaski. Camérier secret surnuméraire (16 juin 1879). Léon XIII, qui avait succédé à Pie IX le 20 févr. 1878, décida de changer le titulaire de la nonciature de Paris; il choisit pour ce poste Mgr Czaski; celui-ci demanda d’emmener avec lui Mgr Ferrata, comme auditeur; cette nomination fut signée le 19 sept. 1879. Après trois années de séjour à Paris, Mgr Ferrata reçut la charge de sous-secrétaire de la S. C. des Affaires ecclésiastiques extraordinaires (1883). Léon XIII lui confia la mission d’aller en Suisse, à titre privé, pour tâcher d’y rétablir la paix religieuse alors compromise; il y fit plusieurs voyages. Il fut nommé président de l’Académie des no­bles ecclésiastiques et chanoine de Ste-Marie-Majeure. Quand le S.-Siège, un peu plus tard, sentit le moment venu de rétablir des relations normales avec la Belgique, ce fut Mgr Ferrata que le pape nomma nonce à Bruxelles (29 mars 1885); il reçut à Rome la consécration épiscopale, avec le titre d’archevêque de Thessalonique (19 avr. 1885). Quatre ans plus tard, rentré à Rome, il fut promu secrétaire de la S. C. des Affaires ec­clésiastiques. extraordinaires (1889). Dans ses Mémoires, Mgr Ferrata raconte que Léon XIII lui demanda un rapport très détaillé sur la situation politico-religieuse de la France. Ce travail et les conversations qui le suivirent eurent, semble-t-il, une influence importante pour l’adoption par le S.-Siège de la «politique du ralliement». En tout cas, ce fut pour appliquer cette politi­que que Mgr Ferrata, en juill. 1891, fut nommé nonce à Paris (il y arriva le 16 juill). Le 22 juin 1896, Mgr Ferrata fut créé cardinal-prêtre, du titre de Ste-Prisque. Il quitta Paris le 12 nov. Durant les quinze années qui suivirent il occupa successivement à Rome la préfecture de quatre Congrégations: les Indulgences (20 nov. 1899), les Ri­tes (22 oct. 1900), les Évêques et Réguliers (27 nov. 1902), la Discipline des sacre­ments. A la mort du cardinal Satolli, il lui succéda comme archiprêtre de S. Jean de Latran (7 avr. 1913). Il fut légat pontifical au congrès eucharistique international de Malte (1913). Le 3 sept. 1914, quelques minutes après le dernier scrutin du conclave qui venait de lui donner la tiare, Benoit XV dit au cardinal Ferrata: «Vous restez avec moi». Le len­demain, il le nommait secrétaire d’État. Peu de jours plus tard, le cardinal s’alita. Il mourut dans la nuit du 10 au 11 oct. Son corps a été rapporté à Gradoli, où il est inhumé. Les Mémoires du cardinal ont été publiés à Rome, 1920-1921, 3 vol., par les soins de son frère, Nazzareno Ferrata. – A Paris, l’Action populaire a fait paraître en 1922 une édition française, en 1 vol., reproduisant exclusivement les chapitres qui ont trait à la France (C H A D).
11)
Satolli (François. 1839-1910), élu le 1er juillet 1888 arch. titulaire de Lépante et délégué apostolique aux Etats-Unis, fut crée cardinal le 29.7.1895; préfet de la Congré­gation des études, en 1897.
12)
Jacobini (Domenico), cardinal. Né à Rome en 1837, ordonné prêtre il fut un ar­dent promoteur de l’Action Catholique et de l’apostolat des laïcs. Etudiant les questions sociales il s’intéressa beaucoup à la classe ouvrière. En 1881, Léon XIII le nomma ar­chevêque de Tyr et secrétaire de la Propaganda Fide. Comme tel il a rencontré le P. Dehon. En 1891 il fut envoyé comme nonce apostolique au Portugal. Créé cardinal en 1896, vicaire de Rome en 1899, il meurt en 1906.
13)
Ledochovski (Mieczyslaw), cardinal, comte de Halka. Né à Górski (Pologne) le 29.10.1822, il étudia à l’académie des nobles ecclésiastiques à Rome où il fut ordonné prêtre en 1845. Il entama la carrière diplomatique. Nonce à Bruxelles, il fut consacré archevêque titulaire de Thèbes en 1861. Elu archevêque de Gnesna et Posnanie en 1865; en 1872 il entra en conflit avec le gouvernement prussien à cause de l’interdiction de donner l’instruction religieuse en polonais. Il fut un fier opposant dans le Kultur­kampf de Bismarck. Il fut arrêté le 3.2.1874 et emprisonné. Le bref du pape qui l’éleva au cardinalat le trouva en prison. Libéré en mars 1876 il vint à Rome. Léon XIII lui adressa Mgr Thibaudier pour examiner les problèmes de la congrégation du P. Dehon et la question des lumières d’oraison de Sr. Marie de St.-Ignace en 1882 (cf. NHV XIV, 99.100.101.102.103.137.183). Il mourut à Rome le 22.7.1902.
14)
Agliardi (Antoine: 1832-1915), card. Né à Cológno al Sèrio (Bergame), en 1832, fit ses études à Rome, obtenant les diplômes en philosophie, en théologie, en droit ca­non et en droit civil. Il se dévoua au ministère pastoral dans son diocèse, à Osio-Sotto (1865-1867) et enseigna au séminaire de Bergame. Nommé professeur de théologie mo­rale au Collège Urbain de la Propagande de la Foi, par Pie IX. Archevêque de Césarée, il fut délégué apostolique aux Indes (1884). Il négocia le concordat avec le Portugal. Se­crétaire de la Congrégation des affaires extraordinaires de l’Eglise (1886-1889), il s’em­ploya à l’apaisement religieux en Allemagne et au dépassement du Kulturkampf. Il de­vint nonce à Munich (1889-1893) puis à Vienne (1893-1896), soutenant l’action sociale des catholiques allemands alors que mûrissait l’encyclique Rerum Novarum. Créé cardi­nal en 1896, nommé évêque suburbicaire d’Albano en 1899, vice-chancelier de la Sain­te Eglise Romaine en 1903, il fut entouré d’une popularité bien mérité comme partisan convaincu des premières manifestations de la démocratie chrétienne en Italie. Il mou­rut à Rome le 19.3.1915.
15)
Vannutelli (Vincent), card., cf. NQ vol. 2°, note 9, p. 616.
16)
Vannutelli (Séraphin), card., cf. NQ vol. 2°, note 9, p. 616.
17)
Prisco (Giuseppe), card. Né à Boscotrecase (Naples) en 1833. Il fit ses études au Séminaire de Naples sous la direction de G. Sanseverino, célèbre philosophe néoscola­stique. Ordonné prêtre en 1856, il fut appelé à l’université de Naples, mais, refusant de prêter serment, il abandonna la chaire en 1860. Il créa sa propre école de philosophie tout en enseignant en même temps au séminaire. Pour son soutien apporté au thomi­sme, Léon XIII le créa cardinal en 1896 et l’appela à Rome. En 1898 il le nomma ar­chevêque de Naples. Prisco laissa de nombreux ouvrages apportant une grande contri­bution dans le domaine de néothomisme. Il mourut à Naples le 4.2.1923.
18)
Steinhuber (Andreas), card. Né à Utlau, diocèse de Passau (Autriche), en 1825. Créé cardinal «in pectore» en 1893, son nom fut rendu public en 1894. Au temps du P. Dehon il était préfet de la Congrégation de l’Index.
19)
Gotti (Antonio, Girolamo Maria). card. Né à Gênes en 1834, il entra dans l’ordre des carmes déchaux, enseigna la philosophie dans leurs écoles et les mathématiques à l’Ecole Navale de Gênes. En 1892, Léon XIII le nomma archevêque titulaire de Petra et l’envoya comme inter-nonce au Brésil. Créé cardinal en 1895, il fut préfet de la Con­gregation des Evêques et Religieux, et, en 1902, préfet de la Congrégation de Propa­ganda Fide. Il se dévoua inlassablement au développement des missions catholiques. Au conclave de 1903 il obtint 17 voix. Il mourut à Rome en 1916.
20)
Wyart (Théophile-Louis-Henri), en religion, Sébastien. Abbé général des trappi­stes, né à Bouchain (Valenciennes), en 1839. Dès sa jeunesse il fut attiré par la vie mo­nastique et par la carrière militaire. Il combattit dans l’armée pontificale de 1860 au 20 septembre 1870 et par ses mérites atteignit le grade de majeur des zouaves. Aussi, il se battit héroïquement dans la guerre de 1870-1871. Ensuite, il embrassa la vie monasti­que chez les trappistes, fit ses études et son noviciat à Rome où il prononça ses vœux et fut ordonné prêtre en 1877. Il fut envoyé à Tilbourg (Hollande), pour y fonder une trappe. En 1883, il fut nommé Abbé du monastère N-D du Mont (ou Monts des Cats), près de Hazebrouck, dans le Nord. A ce moment se noua une amitié entre le p. Dehon et Dom Sébastien Wyart. Un ami de ce dernier, le P. A. de Pascal (P. Sacerdos) qui avait été lui aussi zouave, devint Oblat. Dom Sébastien s’intéressa vivement au nouvel institut. Il reçut le Directorium du P. Captier. Bien que certains passages de ce Directo­rium suscitent l’étonnement, d’autres sont si délicieux qu’ils nourrissent l’âme. Wyart s’engagea à fournir des vocations à l’Institut du P. Dehon et si ce dernier avait fondé un troisième ordre, il eût souhaité en devenir le premier tertiaire (lettre au P. A. de Pascal, écrite, probablement, à la fin de 1882, AD, B 21/3; NHV XIV, 111-112). Le 25.1.1883, il écrivit encore au P. de Pascal pour le préparer aux dures épreuves qui l’attendaient dans sa difficile mission à Rome où il fut envoyé par la Congrégation afin d’apporter d’éventuels éclaircissements au Saint-Office. Après avoir été élu Abbé de la Trappe de N-D du Mont, Dom Wyart écrivit au P. Dehon, se recommandant à ses prières: «Je désire vivement que nos deux communautés soient unies étroitement d’amitié pieuse de prières et de sacrifices. Que Dieu bénisse toutes vos démarches, sur­tout en cour de Rome». L’échange de lettres entre le P. Dehon et Dom Wyart continua aussi par la suite (cf. AD, B 21/3). Dom Sébastien mena à terme l’œuvre de fédération de diverses commu­nautés trappistes, redonnant de la vie à l’ordre de cisterciens réformés dont il fut le pre­mier Abbé général, dirigeant successivement, après la Trappe de Monts des Cats la Trappe de Sept-fonts et, enfin, celle de Citeaux, berceau de l’ordre. Lui-même, dans sa difficile mission de réformateur, d’une attitude exigeante caractéristique d’un soldat, bien que toujours tempérée par la douceur, passa à la sagesse d’un père plein d’amour, versé dans la science divine, exemple admirable de piété et d’ascèse. Il jouit de la con­fiance absolue de Pie IX et de Léon XIII qui lui confèrent d’importantes missions, toujours remplies à la plus grande satisfaction des deux papes. Il Mourut à Rome le 18.8.1904.
21)
Lemius (Jean-Baptiste), oblat, cf. NQ vol. 2°, note 19, p. 611.
22)
Eschbach (Alphonse. 1839-1923) naquit à Ingersheim (Haut-Rhein) le 6 janvier 1839 et entra dans la Congrégation du Saint-Esprit. Le 19 mars 1875 fut nommé supé­rieur du Séminaire Français à Rome et procureur général de son Institut. En octobre 1904 il s’est démis de supérieur de «Santa Chiara» et est resté seulement procureur gé­neral. Il est décédé à Notre-Dame de Langonnet, diocèse de Vannes, le 24 octobre 1923 (cf NHV IV, 140; XI, 22: XII, 156-157; XV, 60-62-66).
23)
Bailly (Emmanuel) de l’Assomption, cf. NQ vol. 2°, note 7, p. 615
24)
Sourrieu (Guillaume-Marie-Romain: 1825-1899), év. de Châlons-sur-Marne: 1882­1894, arch. de Rouen (1894-1899); cardinal: 19.4.1897.
25)
Lelong (Etienne-Antoine-Alfred.- 1834-1903), év. de Nevers: 1877-1903.
26)
Bricy (Emmanuel-Marie-Ange de: 1828-1909), év. tit. de Rosea et coadj. de l’év. de Meaux: 1880-1884; év. de Meaux: 1884-1909.
27)
Coullié (Pierre-Hector: 1829-1912), év. tit. de Sidon et coadj. de l’év. d’Orléans, Dupanloup: 1876-1878, év. d’Orléans: 1878-1893; arch. de Lyon: 1893-1912. Cardi­nal: 19.4.1897.
28)
Billard (Félix-Arsène: 1829-1901), év. de Carcassone: 1881-1901.
29)
Fiard (Adolphe Josué-Frédéric: 1821-1908), év. de Montauban: 1882-1908.
30)
Rovérié de Cabrières (Anatole-François-Marie de: 1830-1921), év. de Montpellier: 1874-1921. Cardinal: 27.11.1911.
31)
Richard de La Vergne (François-Marie-Benjamin: 1819-1908, év. de Belley: 1872­1875; arch. tit. de Larisse et coadj. de l’arch, de Paris. Guibert: 1875-1886; arch. de Paris: 1886-1908. Cardinal: 24.5.1889.
32)
Bécel (Jean-Marie: 1825-1897), év. de Vannes: 1866-1897.
33)
Lamourux (Jean-Marie-François: 1834-1906), év. de St-Flour: 1892-1906.
34)
Lamy (Étienne). – Né le 2 juin 1843, à Cize dans le jura; élève du collège de So­rèze où il subit l’influence du P. Lacordaire, puis du collège Stanislas; docteur en droit en 1869. Lamy est, en 1870, à la tête des mobiles du jura. Voilà l’une des raisons de son élec­tion comme député di jura à l’Assemblée nationale en 1871. Catholique, il siège sur les bancs républicains. Mais Lamy va se séparer de la majorité républicaine, s’opposant à l’article 7 et aux décrets Ferry de 1880. Cette prise de position entraîne son échec aux élections de 1881: une carrière parlementaire qui s’annonçait brillante (comme l’atteste l’important rapport sur le budget de la marine pour l’exercice 1878) est brisée sans ap­pel. Étienne Lamy ne se désintéresse pas pour autant de la politique. Il collabore au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes, au Correspondant, évoquant avec prédilection la politique religieuse, les problèmes de politique étrangère. Surtout, à l’occasion du ral­liement, Lamy joue un rôle considérable, mieux connu depuis peu. Dans un important article de la Revue des Deux Mondes (Le devoir des conservateurs, 1er juin 1892) et dans un re­tentissant discours à Bordeaux le 14 juill. 1892, il invite les conservateurs à fonder avec les républicains modérés une République qui sache lutter contre le danger socialiste. A l’appel du cardinal Rampolla, en 1896, il s’efforce de mettre sur pied une fédéra­tion qui rassemble les divers groupements catholiques en vue des élections de 1898. Le programme de la «Fédération» est accepté au Congrès catholique de Paris et au Con­grès de la démocratie chrétienne de Lyon en déc. 1897. En fait, les assomptionnistes du comité «Justice-Égalité», l’organisation la plus dynamique de la Fédération, se plient mal à l’essai de coordination de Lamy, font campagne localement avec les conserva­teurs et les monarchistes, cependant que les républicains modérés refusent des alliances compromettantes et maintiennent leur attachement aux lois intangibles de laïcité. La Fédération échoue. Désormais Lamy renonce à toute action politique. Directeur du Correspondant de 1904 à 1910, élu en 1905 à l’Académie, dont il devient secrétaire perpétuel en 1913, il se con­sacre «au service des idées et des lettres». Admirateur du régime parlementaire à l’anglaise, méfiant devant l’État, il souhaite un régime de décentralisation et la liberté d’association. Il déplore que le manque de clairvoyance des conservateurs n’ait pas permis de fonder une République modérée, qui puisse «conjurer le vrai péril de notre temps, le péril social». Conscient de «la condi­tion inique des prolétaires», Lamy voit la solution du problème dans l’initiative indivi­duelle: l’acceptation par les riches de leurs devoirs vis-à-vis des pauvres doit permettre le rapprochement des classes sociales. (Il est) convaincu de la nécessité pour l’Église de ne pas ignorer le monde né de la Révolution française. Étienne Lamy est mort le 9 janv. 1919 (C H A D).
35)
Duchesne (Louis). – Né à S.-Servan (Ille-et-Vilaine), le 13 sept. 1843, il fit ses études théologiques à Rome, où l’avait envoyé son évêque et où il noua de précieuses relations, en particulier avec J.-B. de Rossi. Ordonné prêtre en 1867, il fut d’abord professeur à l’école des St-Charles de S. Brieuc (1867-1871), puis élève à l’école des Carmes et à l’École des hautes études à Paris (1871-1873). Nommé membre de l’École archéologique française de Rome, qui était alors à ses débuts, il fut en cette qualité chargé de missions scientifiques en Épire, en Thessalie, au Mont-Athos, en Asie Mi­neure. Mais très vite il s’orienta vers l’histoire de l’Église ancienne et de la papauté: ses thèses de doctorat ès lettres furent consacrées, l’une à l’apologiste Macarius Magnès, l’autre au Liber pontificalis. Jusqu’à sa mort, il demeura fidèle à cette vocation. En 1876, lors de son retour à Paris, il fut appelé à enseigner l’histoire de l’Église à l’Institut catholique. Très rapidement il y rencontra des difficultés. Qu’il s’agit des té­moins anténicéens du dogme de la Trinité, ou des origines des Églises de Gaule, il fut vivement combattu. Il dut abandonner la faculté de théologie et on lui confia une chaire à l’École supérieure des lettres, où il enseigna jusqu’en 1895. A cette date, son édition monumentale du Liber pontificalis avait fait de lui un savant de réputation universelle; dès 1888, l’Académie des inscriptions et belles-lettres l’avait élu parmi ses membres. En 1895, le gouvernement français le nomma directeur de l’École archéologique de Rome; il occupa ce poste jusqu’à sa mort. En 1900, Léon XIII lui accorda la dignité de protonotaire apostolique. Le 26 mai 1910, il fut appelé à siéger à l’Académie française, où il remplaça le cardinal Mathieu (il eut lui-même pour successeur M. l’abbé Bre­mond). Il mourut à Rome le 21 avr. 1922. Sur l’histoire général de l’Église: Les origines chrétiennes, leçons professées à l’Institut catholique de Paris, lithographié, s. d.; plusieurs éditions, quelques-unes plus ou moins clandestines, furent publiées, la dernière datant peut-être de 1905. En 1906, Duchesne céda aux sollicitations de ses lecteurs et reprit cet ouvrage sous une forme nouvelle, tout en le conduisant jusqu’à la fin du Ve s.: ce fut l’Hist. ancienne de l’Église, 3 gros vol. in-8e (I, Paris, 1906, II, 1907; 111, 1910). On était alors en pleine crise moderniste, d’arden­tes oppositions s’élevèrent; malgré l’imprimatur dont il était revêtu, l’ouvrage fut mis au catalogue de l’Index en 1912. Un quatrième volume, inachevé d’ailleurs, put paraître en 1924, après la mort de l’historien, sous le titre L’Église au VIe siècle. A l’histoire de l’Église de France se rapportent, en dehors de très nombreux articles, les trois volumes qui constituent les Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, Paris, 1894, 1900, 1915. Non content d’y publier avec des notes critiques les textes de nos anciennes listes épiscopales, l’auteur y étudie des problèmes essentiels, tels que les origines des Églises de Gaule, la primatie d’Arles au Ve s., la formation des légendes provençales et autres. On comprend sans peine qu’il ait soulevé de nombreuses et violentes polémi­ques. Duchesne fut l’un des fondateurs du Bulletin critique, auquel, durant de longues an­nées, il donna une fidèle collaboration. Nulle part peut-être, autant que dans ces recen­sions, n’éclatent la richesse de son érudition et aussi la causticité de son esprit, toujours prêt à égratigner les amateurs qui se croient de droit d’écrire l’histoire sans connaître, ou tout au moins sans appliquer, les règles de la méthode critique. L’œuvre de Duchesne a été diversement appréciée. Au cours de ces dernières an­nées, beaucoup de documents nouveaux ont été découverts, qui obligent les travailleurs à revoir telle ou telle de ses conclusions; mais il faut dire qu’il savait tout ce qu’on pou­vait savoir de son temps. D’autre part, la limpidité de son style, l’art avec lequel il re­trace la physionomie de ses héros, la clarté qu’il apporte dans l’exposé des problèmes les plus difficiles font de lui un très grand écrivain. On peut lui reprocher de simplifier par­fois les questions théologiques, voire d’en méconnaître la gravité et d’en parler ainsi d’une manière superficielle, sinon même inexacte. On comprend sans peine, dans ces conditions, qu’il ait heurté les légitimes susceptibilités des théologiens et que l’Église ait dû mettre à l’Index son Hist. anc. de l’Église. Mais on doit ajouter que sa fidélité catholi­que reste au-dessus de tout soupçon; certains l’ont accusé de duplicité: sa vie entière et sa mort font justice de cette calomnie (C H A D).
36)
Tiberghien (Jules). Né à Tourcoing en 1867, chanoine de Saint Jean de Latran, consulteur de la Congrégation pour l’Église Orientale, arch. tit. de Nicée. Mort à Ro­me le 3.1.1923.
37)
Radini Tedeschi (Giacomo), né à Plaisance (Piacenza) le 12.7.1857, d’une famille noble. Son père, Charles, fut très engagé dans l’Action Catholique et dans l’œuvre des Congrès. Giacomo obtint son diplôme en théologie et en droit canon à la Grégorienne. Appelé au Secrétariat d’État par Léon XIII, en 1890, il y resta jusqu’en 1896. Nommé chanoine du chapitre du Vatican, il s’adonna à un intense apostolat dans l’Action Ca­tholique et dans les pèlerinages. C’est à Rome qu’est née son amitié avec le P. Dehon. Nommé évêque de Bergame par Pie X, en janvier 1905, il fut partisan de la collabora­tion avec les laïcs. Au niveau social il donna son soutien à Toniolo et à Medolago. Dans la politique, il favorisa la conciliation. Son œuvre pastorale dans le diocèse de Bergame laissa une empreinte durable. Il fit bon accueil à la congrégation du P. Dehon dans son diocèse. Il bénit l’École apostolique de Albino, en mai 1910 (NQXXV, 37-38). Il mou­rut à Bergame le 22.8.1914.
38)
Crispolti (Filippo), né à Rieti en 1857. Journaliste, homme de lettres, sénateur du Royaume d’Italie. En 1886 il fut appelé à Rome comme rédacteur de L’Osservatore Ro­mano. Il eut ainsi l’occasion de s’affirmer comme écrivain, conférencier, polémiste plein de vigueur, militant de l’Action Catholique. Il devint conseiller municipal de Rome (1893-1899) et, ensuite, directeur de L’Avvenire d’Italia de Bologne (1893-1902). Il en fit un de premiers journaux catholiques. Il prit part aux congrès catholiques nationaux ainsi qu’à la constitution du Parti populaire de don Sturzo. Il fut élu député de ce parti en 1919 et sénateur, en 1922. Il favorisa avec constance la politique de conciliation dans les rapports entre l’Eglise et l’Etat, répugnant tout extrémisme que ce soit de droite ou de gauche. Dans cet engagement, il fut encouragé, en particulier, par Benoît XV et par le card. Gasparri. Il mourut à Rome le 3.3.1942.
39)
Soderini (Edouard), homme politique italien, né à Rome en 1853, Très dévoué au Saint-Siège, il fit promouvoir la participation des catholiques italiens à la vie politique et favorisa la constitution d’un parti conservateur. Député et sénateur à partir de 1923, ami de Léon XIII, il écrivit une biographie en 3 volumes du grand pape. Soderini mou­rut à Rome le 15.3.1934.
40)
Toniolo (Giuseppe), un des plus grands penseurs sociaux catholiques, né à Trévise le 7.3.1845, mort à Pise le 7.10.1918, en odeur de sainteté. Professeur d’économie poli­tique à l’université de Pise à partir de 1878, il étudia, en particulier, la question de l’in­fluence de l’éthique sur l’économie. Il fut un savant et aussi un publiciste, un orateur et un grand organisateur, convaincu de la mission rédemptrice du catholicisme dans le domaine social. Il soutint et diffusa les idées de Léon XIII, en particulier en ce qui con­cerne la justice sociale, organisa l’Union Catholique pour les études sociales (1891), fonda la Rivista internazionale di scienze sociali e ausiliarie (1893). Pie X le désigne à la prési­dence de l’Union Populaire. Toniolo publia de nombreux écrits de caractère divulga­teur et originaux, et fut considéré maître de la pensée sociale catholique en Italie et à l’étranger. La cause de sa béatification a été introduite. Le P. Dehon l’estimait beaucoup, non seulement pour sa grande culture, mais aussi pour son amabilité et sa grâce charmantes, pour lesquelles il eut mérité d’être comparé à St. Bonaven­ture, le docteur séraphique (NQ XII, 26-27: janvier 1897). A la nouvelle de la mort de G. Toniolo, le P. Dehon écrit dans son journal: C’est un saint. Il avait bien voulu m’honorer de son amitié. Je l’ai vu souvent à Rome . Il goûtait mes livres sociaux et les a fait traduire en italien» (NQ XLIII, 2: octobre 1918).
41)
Lemire, cf. NQ vol. 2°, note 8, p. 615. Gayraud (Hippolyte), né à Lavit en 1856, se fit dominicain en 1877 et devint professeur de philosophie scolastique à l’Institut Catholique de Toulouse. Célèbre pour son élo­quence, il quitta l’ordre en 1893 et devint missionnaire apostolique. Il donna son adhé­sion à la Démocratie chrétienne, accepta la République et oeuvra pour un parti démo­cratique non confessionnel et fortement engagé dans le domaine social. En 1897 élu dé­puté de Brest contre un candidat monarchiste, son élection fut invalidé, mais il fut réélu avec plus de voix. Sa personne devint le symbole d’une nouvelle tendance politique des catholiques. Son action de député fut considérable pour la défense des intérêts religieux comme pour les relations pacifiques entre l’Eglise et l’Etat. Il fut également estimé comme publiciste et auteur de plusieurs ouvrages. Il mourut le 17.12.1911. Garnier, cf. NQ vol. 2°, note 17, p. 618. Naudet, cf. NQ vol. 2°, note 22, p. 612.
42)
Della Chiesa (Giacomo), né à Gênes le 21.11.1854. Après des études dans sa ville natale où il obtint le diplôme en droit, en 1875, il entra au collège Capranica à Rome et devint docteur en théologie. Ordonné prêtre en 1878. En 1882, ayant terminé ses étu­des à l’Académie des nobles ecclésiastiques, il fut engagé par le Secrétariat d’Etat et ac­compagna en Espagne le nonce, Mgr Mariano Rampolla del Tindaro comme son se­crétaire particulier. Celui-ci, devenu cardinal et nommé secrétaire d’Etat, en 1887, le nomma secrétaire des affaires ordinaires en l’envoyant à Vienne en 1889 et 1890 pour des missions particulières. Substitut du Secrétariat d’Etat en 1901, enseignant de diplo­matie à l’Académie des nobles ecclésiastiques, il fut nommé archevêque de Bologne en 1907 et cardinal, le 25.5.1914. Trois mois plus tard, le 3.9.1914, il fut élu pape, choisis­sant le nom de Benoît XV, en hommage à son prédécesseur au siège archiépiscopal de Bologne, devenu pape lui aussi, Prospero Lambertini (Benoît XIV). Giacomo Della Chiesa mourut le 22.1.1922, après sept années d’un pontificat difficile à cause de la guerre et de l’après-guerre.
43)
Ces cinq conférences, avec les quatre autres tenues les années suivantes, jusqu’en 1900, furent publiées en 1900 sous le titre «La rénovation sociale chrétienne. Conférences données à Rome: 1897-1900» (Paris, Librairie Bloud et Barral). On les trouve dans le 3e vol. des «Œuvres sociales», pp. 177-376 (Ed. Dehoniane: Napoli-­Andria 1977).
44)
Macchi (Luigi), card., né à Viterbe en 1832, maître de chambre de Pie IX et de Léon XIII, puis majordome des palais apostoliques, fut nommé cardinal en 1889. En 1897, il fut administrateur apostolique de l’abbaye de Subiaco et secrétaire des brefs.
45)
En 1897, l’abbé Hippolyte Gayraud fut élu député de Brest, remplaçant Mgr Frep­pel et ayant comme concurrent le candidat monarchiste, comte de Blois. Ce fut la cause du grand mécontentement du marquis La Tour du Pin, ami du Père Dehon et légitimi­ste convaincu. Son mécontentement fut d’autant plus grand que le P. Dehon intervint en faveur de Gayraud. L’élection prit une signification symbolique, fut invalidée, mais Gayraud fut réélu avec davantage de voix et conserva sa place au parlement jusqu’à la mort (17.12.1911). Son activité parlementaire fut considérable. Il fut très apprécié pour sa dignité, son calme, son sens politique et son éloquence. Il défendit la cause de la reli­gion et oeuvra au rétablissement des relations justes entre l’Eglise et l’Etat.
46)
Le Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés.
47)
Dans la revue «Le XXe siècle», le P. Dehon publia l’article «Consultations et enquêtes sociales» (cf. OS I, 340-350); dans «La Chronique du Sud-Est», l’article «Liberté religieuse, oui, mais libération économique également» (cf. OS I, 320-322). Nous ne connaissons pas l’article paru dans «La France libre».
48)
Ces méditations furent publiées sous le titre «De la vie d’amour envers le Sacré­-Cœur», en 1901 (Casterman, Tournai). On les trouve également, dans les «Opera omnia» du P. Dehon: «Œuvres spirituelles»; vol. 2, pp. 7-172, Ed. CEDAS, Andria 1983.
49)
L’opuscule parut en mars 1897, aux éditions de la Maison de la bonne presse, Paris. On le trouve, également, dans «Opera omnia», du P. Dehon: «Œuvres socia­les», vol. 2, pp. 355-377.
50)
Albertario (Davide), prêtre et écrivain, né à Filighera (Pavie), en 1846. Pendant une trentaine d’années, après 1870, il fut le journaliste le plus brillant et le polémiste le plus efficace au service de la cause catholique en Italie. Son nom et son activité sont liés à L’Osservatore cattolico, quotidien de Milan dont il fut directeur. Après l’encyclique «Rerum Novarum», il fut l’un des pionniers de la Démocratie chrétienne. En 1898, le mi­nistre de l’intérieur, Di Rudini, mit fin à plus de 6.000 associations catholiques qui pre­naient leur défense et fit des procès à leurs directeurs. L’abbé Albertario Davide lui aussi fut arrêté et condamné à trois ans de réclusion et 1000 Lit. d’amende. Cette dou­loureuse expérience le rendit plus populaire encore et lui fit comprendre l’importance de la participation des catholiques à la direction politique du pays. Il passa ainsi de la fameuse formule: «Ni élus, ni électeurs», à celle lancée par L’Osservatore Romano: «Pré­paration dans l’abstension». Il devint ainsi l’animateur des forces plus jeunes du catho­licisme militant. Il mourut à Carenno (Bergame), le 12.9.1902.
51)
Le cardinal de Milan, en 1897, fut l’archevêque Carlo Andrea Ferrari, né à Lalatta di Protopiano (Parme), en 1850, d’une famille pauvre. Ordonné prêtre en 1873, il fut nommé recteur du séminaire de Parme ayant à peine 26 ans. Nommé évêque de Gua­stalla en 1890, neuf mois plus tard il passa au siège de Côme et, en 1894, à celui de Mi­lan, après avoir été nommé cardinal par Léon XIII qui l’aima beaucoup. D’une grande charité, zélé et courageux, il fut béatifié par Jean-Paul II, en 1987.
52)
Medolago Albani (Stanislao), comte, né à Bergamo en 1852. Fut, avec Rezzara et Toniolo, un grand promoteur des œuvres économiques et sociales des catholiques ita­liens. Président de l’Union économique et sociale à laquelle donnèrent adhésion 2432 coopératives, sociétés de secours mutuel, caisses rurales, unions professionnelles, etc. Comme représentant des catholiques italiens, il prit part aux travaux de l’Union catho­lique des études sociales de Fribourg qui prépara l’encyclique Rerum Novarum. Il mou­rut à Bergame le 3.7.1921.
53)
Rezzara (Niccolà), né à Chiuppano (Vicence), en 1848, fut très actif organisateur des cercles des jeunes, fondateur de la revue Berico. Transféré à Bergame, il poursuivit son apostolat, en particulier dans l’Œuvre des congrès catholiques. Il fut un journaliste efficace: fonda l’hebdomadaire Campanone et fut directeur de l’Eco di Bergamo, il donna une forte impulsion aux activités éditoriales. Oeuvra en faveur des travailleurs comme secrétaire de l’Union économique et sociale. Son activité fut intense, surtout dans le do­maine de l’éducation, visant à sauvegarder la liberté de l’enseignement et à augmenter le nombre des écoles catholiques. Sa fidélité à l’Eglise et au pape lui fit des opposants et des adversaires. Il mourut à Bergame le 6.2.1915.
54)
Noldin (Hieronymus), jésuite et moraliste. Né à Salorno (Bolzano) en 1830. Déjà prêtre, il entra dans la Compagnie de Jésus en 1863. Il fut professeur de philosophie à Presbourg (Bratislava), supérieur du collège théologique d’Innsbruck, professeur de théologie morale et pastorale à l’Université d’Innsbruck. Il publia un traité de théologie morale en 3 volumes, fort estimé et assez répandu (1897) et qui a été réédité nombre de fois, avec plusieurs mises à jour. Noldin mourut à Vienne-Lainx, le 7.11.1922.
55)
Nilles (Nicolas: 21 juin 1828 – 31 janvier 1907). Il naquit à Rippweiler (Luxem­bourg), fit ses études ecclésiastiques au Collège Germanique de Rome et entra ensuite dans la Compagnie de Jésus. Après son ordination, il fut nommé à Innsbruck (Autri­che) en qualité de professeur de Droit Canon et y resta jusqu’à sa mort. Il composa sur­tout deux ouvrages importants: le Kalendarium manuale utriusque Ecclesiae orientalis et occi­dentalis (fort apprécié par les Protestants et l’Eglise officielle russe); le De rationibus festo­rum sacratissimi Cordis Jesu et purissimi Cordis Mariae, libri IV. Le P. Dehon fait allusion, ici, à cet ouvrage. Au jugement de beaucoup, c’est un ouvrage fondamental pour l’ex­posé théologique du culte du Sacré-Cœur.
56)
Biederlack (Joseph), jésuite, né à Greven, (Westphalie) en 1845. Professeur à la Faculté de théologie à Innsbruck et à l’Université Grégorienne de Rome, fut un grand spécialiste de questions sociales. Ses cours de sociologie, commencés en 1893 et pour­suivis le reste de sa vie, furent à l’origine de l’ouvrage «Die soziale Frage» (La que­stion sociale), paru en 1895 à Innsbruck et, en italien, en 1907, à Rome, stimulant l’étude de divers problèmes sociaux, en particulier, de la part des catholiques laïques et du clergé. Biederlack mourut à Innsbruck en 1930.
57)
Pastor (baron Ludwing von). – Né à Aix-la-Chapelle le 31 janv. 1854, fils d’un pè­re luthérien et d’une mère catholique, il est mort à Innsbruck le 30 sept. 1928. Très doué pour l’histoire, il fit ses études aux universités de Louvain, Bonn, Berlin, Vienne et Graz. Il poursuivit des recherches à Rome de 1876 à 1878 et eut l’autorisation de fouiller les archives secrètes du Vatican. En 1886 il est nommé professeur d’histoire à l’université d’Innsbruck et, en 1901, prend la succession de Th. Sickel comme directeur de l’Institut historique autrichien à Rome (1901-1915 et 1921-1928). C’est alors qu’il fut pressenti pour assurer le secrétariat d’un Institut voulu par Pie X et qui aurait eu pour tâche de montrer qu’au-delà de la crise moderniste, l’Eglise catho­lique n’était pas systématiquement défavorable au progrès des sciences. Son peu d’em­pressement fit échouer le projet. En février 1921, il sera nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près du S.-Siège et présentera ses lettres de créance à Benoît XV le 12 mars. Il le demeurera jusqu’en 1928. Son œuvre magistrale est Geschichte der Papste seit dent Ausgang des Mittelalter, Herder, Fribourg-en-Brisgau, 1886-1933, 16 vol. (réimprimée en 1955 et traduite en de nom­breuses langues étrangères). L’édition française: Histoire des papes depuis la fin du Moyen Age, parut chez Plon à partir de 1888 (la 5e définitive à partir de 1925) (C H A D).
58)
Malézieux (Henri-Louis Joseph), fils de Marthe Marie Louise Dehon et d’André Désiré Malézieux, né à La Capelle le 18.3.1886.
59)
Lorin (Henri). – Né à Paris en 1857, d’une famille de grande bourgeoisie pari­sienne, légitimiste et ultramontaine. Il reçoit chez lui une grande partie de l’élite catholique; il est en effet passionné par tous les grands problèmes de son temps: l’anglo-catholicisme avec le P. Portal, l’améri­canisme avec Mgr Ireland, les relations avec l’Orthodoxie avec Soloviev, le retour des élites à la foi avec Brunetière. Très tôt, il s’est préoccupé de sociologie après son «apprentissage social» comme confrère de S.-Vincent-de-Paul. Il adhère à l’Œuvre des cer­cles de La Tour du Pin et d’Albert de Mun, collabore au conseil d’études et à son orga­ne, l’Association catholique, où il commence à définir une doctrine pour dépasser le stade du paternalisme charitable sans se couper encore des disciples de Le Play. Devenu président de l’Union d’études des catholiques sociaux, prolongement de l’Œuvre des cercles, il inspire plusieurs projets de loi défendus à la Chambre par A. de Mun. Ami de Mgr Mermillod, il fait partie de l’Union internationale d’études écono­miques et sociales de Fribourg. Parmi les Avis qu’il a rédigés, citons le projet d’une con­férence internationale sur les problèmes ouvriers (Berlin, 1889), celui d’une encyclique sociale, qui aboutira à Rerum novarum (1891). Collaborant pour des réformes sociales avec des socialistes comme Millerand, il adhère à l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, d’où émanera toute une législation. Il aide à la créa­tion de l’École libre des Sciences politiques, mais surtout voit dans les Semaines socia­les, fondées en 1904 par A. Boissard et M. Gonin, un moyen de répandre dans un pu­blic éclairé les doctrines catholiques sociales. De 1905 à 1914, il en définit les thèmes et les expose dans des Déclarations inaugurales, où il peut donner libre cours à son goût des synthèses. D’une foi simple, très écouté au Vatican, soumis aux orientations des papes, H. Lo­rin prit assez tôt ses distances avec le Sillon de Sangnier, mais eut la joie de voir son ami Della Chiesa devenir le pape Benoît XV. Il meurt à 57 ans au retour d’un voyage à Ro­me, le 19 nov. 1914. Brillant causeur, d’une inlassable curiosité, homme de contacts humains, il a été comparé à Ozanam pour son enthousiasme généreux, tempéré par un esprit critique aigu. Il a peu écrit. On a publié en brochures ses Déclarations aux Semaines sociales (C H A D).
60)
Veuillot (Louis), journaliste catholique et grand polémiste français (1813-1883), dont P. Dehon parle plusieurs fois dans ses «Mémoires» (cf. NHV, Index onomasti­que, vol. VIII, p. 272).
61)
Les P. P. Gabriel Emile Grison et Jacques Gabriel Lux furent les premiers à lancer la «grande mission» du Haut-Congo (Zaïre). Le P. Grison, né à St-Julien-sous-les-Côtes (Meuse), le 24.12.1860, avait à l’époque 37 ans. Le P. Lux, né le 8.5.1869 à Bonn, en avait 29 en juin 1897. Il était déjà missionnaire en Equateur, de 1890 à 1896, avec le P. Grison. Son séjour au Haut-Congo fut très court, un seul mois: atteint de paludisme il fut obligé de rentrer en Europe. Le P. Grison y resta seulement pendant sept mois. Il plan­ta ses tentes aux bords du grand fleuve Zaïre (Congo) et inaugura la première mission de St-Gabriel. Dans le pays il y avait encore des cannibales. La nuit de Noël de 1897 il eut la joie d’y célébrer sa première messe. Il fêta ainsi son anniversaire de 38 ans. Sa vie de missionnaire et, à partir de 1908, sa vie d’évêque continua encore pendant 45 ans. Il mourut en 1942 à 81 ans. Les chrétiens du vicariat, d’après le recensement de 1941­1942, atteignirent le nombre de 87.664, dont 1791 de blancs; les catéchumènes furent au nombre de 52.018 et on célébra 9956 baptêmes par an (cf. Cinquante ans aux Stanley Falls – Statistiques CEM, Louvain, n. 2, pp. 38-39).
62)
Granier (Joseph-Dalmace), dehonien, né à Laguiole (Aveyron), le 20.10.1866; pro­fession le 15.11.1894 à Sittard; mort à Sittard le 25.6.1897.
63)
Accary (Jean-Sanctus), né à Mars (Loire) en mars 1865; novice le 14.1.1883 à St­Quentin; mort à Sittard le 16.8.1883. Le troisième défunt fut le novice Wallerand (Auguste-Philippe), dehonien, né à Buironfosse (Aisne), en mars 1863; novice le 2.3.1883, mort à Sittard le 25.2.1884.
64)
Depuis 1888 la congrégation du Cœur Immaculé de Marie (Missionnaires de Scheut) avait commencé l’évangélisation de l’état indépendant du Congo et érigé un vi­cariat apostolique. Les Missionnaires de Scheut furent fondés en 1862 par le P. Verbist Théophile. Leur première maison fut à Scheut, banlieue de Bruxelles. Leur but fut ex­clusivement missionnaire avec une prédilection particulière pour l’évangélisation de la Chine.
65)
Lapeyre (Paul) 1847-1906. – Secrétaire particulier de Louis Veuillot pendant neuf ans; auteur de plusieurs ouvrages sur la réforme sociale, dont le principal est: Le socialisme catholique… 1894-1897 (t. I: Les vérités mâles), poursuivi sous le titre: Le catho­licisme social (t. II: Les remèdes amers; t. III: Le retour au Paradis terrestre). L’abbé Calippe en résume ainsi la thèse: «Point de vie sans travail; pas de travail fécond sans vie sociale; point de vie sociale sans la charité; point de charité efficace sans le christia­nisme: tout son ouvrage n’est que le développement de ces vérités solidement liées l’une à l’autre». Son libre est riche en formules frappantes («Le christianisme est la société des gens qui s’engagent à ne pas exploiter les autres») et remarquable pour son style passionné. Lapeyre est considéré à bon droit comme l’un des précurseurs du Catholici­sme social (C H A D).
66)
Goyau (Georges). Né à Orléans, le 31 mai 1869. Fils unique, élevé par sa mère, d’une apparence physique très chétive, on a pu dire que «rarement aussi frêle envelop­pe recouvrit une intelligence aussi vive, aussi remarquablement cultivée». Animé d’une foi vive, il s’intéressait directement aux questions qui touchaient à la vie de l’Église. Les enseignements de Léon XIII le convainquirent fortement. En 1891, il publia, anonymement, une brochure: Être républicain ou n’être pas, écrite avec Bernard et Jean Brunhes. Avec Jean Brunhes et toujours anonymement, il publia un ouvrage, Du toast à l’encyclique (1892), où l’on prenait résolument parti pour la nouvelle politique catholique et républicaine. La même année il donna, sous la signature «Léon Grégoire», Le pape, les catholiques et la question sociale, faisant un puissant écho à l’encycli­que Rerum novarum (une 4e éd. de cet ouvrage, publiée en 1895, fut honorée d’une lettre du cardinal Langénieux). A ce moment, il se lia avec Henri Lorin, dont il allait ap­puyer l’action sociale… En 1906, après le vote de la loi qui, en France, séparait l’État et les Églises, Goyau prit rang parmi les catholiques qui souhaitèrent qu’on fit un essai loyal des associations cultuelles; il se trouva dans le groupe des «cardinaux verts» (I, 937-938). Il s’inclina, sans amertume, devant la décision contraire de Pie X. Il travailla longuement à son grand ouvrage: Hist. religieuse de la France, qui forme le t. VII de l’Hist. de la nation française de Gabriel Hanotaux. En 1922, Goyau fut élu à l’Académie française. En 1923 et jusqu’en 1939, il exerça la présidence de la corporation des publicistes chrétiens. En 1927, il devint titulaire de la chaire d’histoire des missions à l’Institut catholique de Paris, et l’occupa onze ans. En 1930, il écrivit pour la collection Les religions, chez Al­can, un volume, Le catholicisme, remarquable condensé de doctrine et d’histoire destiné aux incroyants. Il fut nommé consulteur à la section historique de la Congrégation des Rites. Quelque peu malgré lui, l’Académie française, en 1938, l’élut son secrétaire per­pétuel: «Nous avons un saint parmi nous, avait dit l’académicien André Chaumeix, élisons-le». Il témoigna une fois de plus de son admirable charité en intervenant en fa­veur de membres de L’Action française, encore qu’il ait été violemment et cruellement insulté. Il écrivit son dernier livre, Le Christ, et il mourut le 25 oct. 1939. Pie XII écrivit: «Cette âme de lumière laisse après soi un profond et bienfaisant silla­ge. Toute sa vie a resplendi d’une charité exemplaire». Henri Bremond avait dit de lui: «C’est notre Ozanam». Son œuvre demeure profondément vivante et utile (C H A D).
67)
Mireille (Mirèio), titre d’un poème provençal, de Frédéric Mistral (1830-1914), paru en 1859 à Avignon et qui fut tout de suite reconnu comme un chef-d’œuvre de la littérature européenne du XIXe siècle. C’est un poème en 12 cantiques qui raconte l’hi­stoire d’amour contrarié d’un jeune vannier, Vincent, et de la fille d’un propriétaire terrien provençal, Mireille.
68)
Les directions pontificales politiques et sociales parurent à Paris en 1897 (Cf. OS II, 379-474). Le «Catéchisme social» fut publié également à Paris, en 1898 (cf. OS III, 1-158 + XI-XV).
69)
Béguinot (Félix-Auguste; 1836-1921), év. de Nîmes: 1896-1921).
70)
Le card. Coullié, cf. NQ vol. 2°, note 27, p. 634.
71)
Le congrès de la Démocratie chrétienne tenu a Lyon corrigea la tendance exclu­sivement ouvrière du congrès de Reims (23-25.5.1896). On y constitua un comité di­recteur, présidé par L. Harmel. Ce comité fut divisé en trois sections: ouvrière, intel­lectuelle et ecclésiastique. Cette dernière fut formée par le P. Dehon et les abbés Lemi­re, Naudet et Garnier. En 1897, la Démocratie chrétienne atteignit son sommet après quoi elle déclina rapidement.
72)
Bossan (Pierre-Marie), architecte. Fils du sculpteur ornemaniste Etienne Bossan, il naquit à Lyon le 23 juill. 1814, entra en 1828 à l’Ecole des beaux-arts de la ville, puis alla à Paris, où il travailla avec Labrouste. Il revint à Lyon lors de la mort de son père, et, après un voyage en Italie et en Sicile, se fixa dans sa ville natale. Le cardinal de Bo­nald le prit pour architecte, et, à partir de ce moment, il se consacra entièrement à l’art sacré. S’inspirant à la fois des églises romanes, de l’art byzantin et des monuments reli­gieux de Sicile, il parvint à créer un style nouveau et personnel. Sa grande œuvre a été la basilique de Fourvière, à Lyon (1872). La santé débile de Bossan l’obligea à résider d’abord à Valence, puis à La Ciotat; c’est là qu’il mourut le 23 juill. 1888 (C H A D).
73)
Bonald (Louis-Jacques-Maurice de: 1787-1870), év. de Le Puy-en-Velay: 1823­1840; arch. de Lyon: 1840-1870. Cardinal: 1.3.1841.
74)
Ginoulhiac (Jacques-Marie-Achille: 1806-1875), év. de Grenoble: 1853-1870; arch. de Lyon: 1870-1875. Carverot (Louis-Marie-Joseph-Eusèbe 1806-1887), év. de Saint-Dié: 1849-1876; arch. de Lyon: 1876-1887. Cardinal: 12.3.1877. Foulon (Joseph-Alfred: 1823-1893), archevêque de Lyon: 1887-1893.
75)
St. Bénézet ou St. Benoît d’Hermillon, né en 1165, appelé «Bénézet» à cause de sa petite taille, fut gardien de troupeaux, la seule richesse de famille. Par suite d’une vi­sion qu’il eut à 13 ans, il se rendit à Avignon pour construire un pont sur le Rhône dont la traversée était à cette époque très difficile. Après diverses péripéties le pont fut com­mencé, mais Bénézet mourut à 19 ans, en 1184. Plus tard, le pont fut terminé et les reli­ques du saint furent placées dans la chapelle construite sur la troisième arche du pont. Lieu de nombreux pèlerinages rendu célèbre par de nombreux miracles. Comme la chapelle alla en se dégradant les reliques furent transportées dans la cathédrale d’Avi­gnon et puis dans l’église des Célestins. Disparues pendant la Révolution, elles furent retrouvées plus tard et, en 1854, transférées dans l’église de St-Didier.
76)
Marthe Marie Louise Dehon, nièce du P. Dehon, en 1884 épousa André Désiré Ma­lézieux.
77)
La Valette (Jean Parisot de). – Né en 1494, mort en 1568. Il descendait de la famil­le de Cornusson en Quercy. Admis très jeune dans l’Ordre de Malte, il fit carrière à Malte. Marin audacieux et avisé, des croisières fructueuses l’imposèrent à tous. Deve­nu général des Galères, il lutta contre les pirates barbaresques, afin de protéger les na­vires chrétiens et d’arrêter l’infiltration de l’Islam en Occident. Élu grand-maître de l’Ordre le 21 août 1557, il mit l’île en état d’alerte et intensifia la lutte sur mer. En mai 1565, parut la grande flotte turque de 200 bâtiments, portant des milliers de combattants d’élite, enivrés par leurs récentes victoires en Europe. Durant quatre mois «le grand siège» fut mené avec une rare violence. Dragut, l’amiral otto­man, y trouva la mort. Les chevaliers tinrent au-delà des possibilités. Le 7 sept. 1565, la flotte de secours ar­riva. On ne put répondre à son signal. Il n’y avait plus de poudre! Malte délivrée, la chrétienté respira. L’Ordre fut plus honoré que jamais. Sur l’em­placement du fort S.-Elme âme, de la résistance, La Valette fit établir les plans d’une ville, dont il posa lui-même la première pierre et qui porte toujours son nom: «Cité-La Valette».
78)
Winz (Joseph-Bonifacius), dehonien, né à Süchteln (Niederrhein – Allemagne), le 11.5.1867, fit profession religieuse le 24.4.1889 à Sittard: ordonné prêtre à Portoviejo (Équateur) le 21.9.1894; mort le 25.12.1899 à St.-Gabriel (Zaïre). Il séjourna en Équa­teur de 1892 à 1896 et fut missionnaire au Zaïre de 1898 à 1899. Reelick (Jacques- Willibrod), dehonien, né à ‘s-Hertogenbosch (Hollande) le 19.5.1847; profession à Ambato (Équateur) le 1.8.1893; ordination à Luxembourg le 10.8.1897; mort à Bruxelles le 10.6.1931. Il séjourna en Équateur de 1892 à 1896 et fut mission­naire au Zaïre de 1898 au 1931. Henning (Pierre-Bonaventure), né à Franeker (Hollande) le 18.6.1870; profession à Sit­tard le 8.9.1890; mort à St-Gabriel (Zaïre) le 7.12.1898. Il séjourna en Équateur de 1892 à 1896 et fut missionnaire au Zaïre en 1898. Le Frère Vitale – il s’agit, probablement, de A. Weyland qui quitta la congrégation en mars 1899.
79)
Mgr. Gouthe-Soulard, arch. d’Aix-en-Provence (1886-1900); Mgr Sueur, arch. d’Avignon (1896-1907); Mgr Mignot, év. de Fréjus (1890-1899); Mgr Lelong, év. de Ne­vers (1877-1903); Mgr. Foucaul, év. de Saint-Dié (1893-1920); Mgr Geay, év. de Laval (1896-1904). Le chan. Cardon fut nommé vicaire général de Soissons par Mgr Thibaudier le 8.8.1887, conserva sa fonction sous Mgr Duval. A la mort de ce dernier (23.8.1897), il fut élu vicaire capitulaire en compagnie des chanoines Turquin et Brancourt. Mgr Pé­chenard le choisit comme vicaire général avec le chan. Turquin.
80)
Sonnois (Alphonse-Marie-Étienne: 1828-1913), év. de Saint-Dié: 1890-1893; arch. de Cambrai: 1893-1913.
81)
Ursulines de Valenciennes. – Après avoir travaillé pendant plus d’un siècle et demi à l’éducation des enfants et au soulagement des misères dans la ville de Valenciennes, la communauté des ursulines venait d’élire une nouvelle supérieure en mars 1790, quand elle fut invitée à se disperser. En septembre de la même année, la nouvelle supérieure écrivait au nom de ses filles, que toutes entendaient demeurer fidèles à leurs voeux. Exilées à Mons, de septembre 1792 à novembre 1793, elles rentraient à la fin de cette même année pour reprendre leurs traditions, sous la protection du gouvernement au­trichien. Le retour des Français dans la ville, 1er septembre 1794, marqua de nouvelles rigueurs pour les religieuses. Arrêtées et jetées en prison en septembre 1794, elles s’y préparèrent à mourir sur l’échafaud. Le tribunal révolutionnaire, devant lequel elles comparurent, les traita d’émigrées rentrées: en réalité, comme le déclara l’une d’elles de­vant les juges, elles moururent pour la foi et la religion catholique et romaine, qu’elles avaient enseignée. L’exécution des onze religieuses, qui ont été béatifiées par Benoît XV le 13 juin 1920, eut lieu les 17 et 23 octobre 1794. La prieure, Clotilde Joseph Paillot, fit aux juges des réponses dignes des martyrs de la primitive Église. Voulant pardonner à leurs persécuteurs, elles allèrent jusqu’à bai­ser la main du bourreau qui les couchait sur la planche.
82)
Gaume (Jean Joseph). Né à Fuans (Doubs), le 5 juin 1802. Élève du petit séminai­re d’Ornans, puis du grand séminaire de Besançon, il fut ordonné prêtre en 1825 et nommé vicaire à Vesoul (1825-1827). Il passa en 1827 au service du diocèse de Nevers sur la demande de Mgr Millaux. Professeur de dogme au grand séminaire de Nevers de 1827 à 1828, supérieur du petit séminaire de Nevers de 1828 à 1831. Directeur du catéchisme de persévérance des jeunes filles, président de l’Œuvre de S. François-Xavier et des Conférences de S. Vincent-de-Paul, vicaire général de Ne­vers de 1843 à 1852, il mena de pair avec toutes ces tâches la rédaction d’ouvrages aussi nombreux que copieux: on en compte en effet 45, et d’aucuns comprennent plusieurs tomes (de 2 à 12). L’auteur embrasse les sujets les plus divers, depuis L’eau bénite au XIXe s. jusqu’à l’Hist. de la société domestique… et La Révolution. Mgr Gaume mourut à Paris, le 19.11.1879 (C H A D).
83)
Hecker (Isaac-Thomas). – Né à New York, le 18 déc. 1819 (père indifférent, mère protestante très pieuse). Obligé de travailler tout jeune, il fréquenta peu l’école, mais se passionna pour les questions sociales, philosophiques et religieuses. Converti en 1844, entré chez les Rédemptoristes en 1845 (noviciat en Belgique, ordi­nation à Londres par le cardinal Wiseman en 1849) et revenu aux États-Unis en 1850, il chercha tout de suite à élargir et aussi à américaniser un apostolat que ses confrères, allemands pour la plupart, limitaient généralement à leurs compatriotes immigrés. Il se rendit même à Rome en 1857 pour essayer d’obtenir de son supérieur général la fonda­tion d’une maison «typiquement américaine». Expulsé de son ordre (pour n’avoir pas suivi en cette démarche la voie strictement hiérarchique), il fut relevé de ses voeux et Pie IX l’encouragea à organiser un groupe de missionnaires selon son cœur. Dès 1858, il fonda avec quelques confrères américains la Société missionnaire de l’Apôtre S.-Paul, couramment appelée Société des Paulistes. Il obtint de l’archevêque Hughes une paroisse à New York et entreprit de nombreuses missions et tournées de conféren­ces, s’adressant autant aux protestants et aux incroyants qu’aux catholiques. Sa vie vraiment active s’arrête en 1871. Il s’éteignit à New York, le 22 déc. 1888, après de longues souffrances physiques, accompagnées d’épreuves d’apparence mystique. Il avait compris de bonne heure l’importance de la Presse. Il avait lancé d’abord la revue Chatholic World (pour les intellectuels), puis en 1870 le journal pour enfants The Young Catholic. Une maison d’éditions qu’il fonda en 1866 (The Catholic Publication Socie­ty) fit paraître des quantités de brochures et de tracts rédigés de façon attrayante pour le public américain. Lui-même écrivit plusieurs livres: Questions of the Soul, New York, 1856; Aspirations of Nature, New York, 1857; The Church and the Age, New York, 1888. Les idées principales qu’on retrouve dans tous ces ouvrages, comme dans les conférences du P. Hecker, sont les suivantes: Depuis la Réforme, l’Église a dû, avec raison, insister sur l’idée d’autorité et de discipline; il y aurait lieu maintenant de développer la vie religieuse personnelle de chaque chrétien, soumis directement à l’action du S.-Esprit. On doit faire confiance aux initiatives personnelles et ne pas négliger les vertus naturelles qui sont le fon­dement indispensable et trop oublié des vertus surnaturelles. Quoi qu’il en soit des nuances qui peuvent être apportées à ces idées, trois choses semblent indéniables: le P. Hecker fut lui-même, non seulement un fils très soumis de l’Église, mais un apôtre admirable – et, semble-t-il, un vrai mystique; – son influen­ce fut très grande et très bienfaisante aux États-Unis et elle contribua à y «acclimater» le catholicisme, considéré généralement par les «vrais Américains» (Nativists) comme un article d’importation suspect; – on trouverait sans peine dans sa vie et ses ouvrages plus d’un pressentiment des problèmes actuels de l’Église – et des idées pour la solu­tion de ces problèmes (C H A D).
84)
Lallemant (Louis), jésuite, naquit à Vertus (Champagne) en 1588. Il entra dans la Compagnie de Jésus à 18 ans, en 1605. Il fit sa profession solennelle en 1621. Après avoir enseigné les mathématiques, la philosophie et la théologie, il fut nommé recteur et maître des novices de la maison de Rouen et chargé, de 1628 à 1631, de la formation spirituelle des jeunes prêtres jésuites du troisième an de probation. Il mourut en 1635.
85)
Il s’agit de l’év. de Soissons, Mgr Deramecourt (Augustin-Victor), né à Beauvois (Pas-de-Calais) le 7.3.1841, préconisé év. de Soissons le 24.3.1898 (la nomination de l’administration civile date du 22.3.1898), consacré le 24.6.1898 dans la cathédrale de Soissons. Il gouverna le diocèse jusqu’à sa mort, le 16.9.1906.
86)
Toniolo (Giuseppe), cf. NQ vol. 2°, note 40, p. 637.
87)
Il n’est pas possible de déterminer le millénaire en question. Il y a plusieurs bien­heureux et saints cisterciens au nom de Robert. Le bienheureux Robert de Bruges fut le successeur de St. Bernard comme abbé de Clair-vaux et mourut le 29.4.1157. Le plus cé­lèbre fut St. Robert de Molesme (1028-1111). L’approbation de légat pontifical, Hugues de Lyon, de vivre selon la règle primitive sans aucun adoucissement, date de 1098.
88)
Wyart (Sébastien), cf NQ vol. 2°, note 20, p. 692
89)
Kanters (Georges-Charles), dehonien, né à Echt (Hollande), le 30.9.1874 profession à Sittard le 20.9.1894, ordination à Rome le 8.5.1898, mort à Bruxelles le 18.7.1944. Fut supérieur local de Quévy, de 1905 à 1908; conseiller provincial de la province Franco-Belge, de 1920 à 1923 et maître des novices à Brugelette, de 1931 à 1934.
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