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13ème CAHIER (Mai 1898 – Août 1899)

1 Nous étions arrivés avec mon compagnon, le P. Charles (Kanters), le soir du 24 mai à Turin.

Deux choses nous attiraient à Turin, le pèlerinage du Saint Suaire et l'Exposition. Turin était en fête toute cette année, à cause du cinquante­naire de la constitution accordée par Charles Albert au Piémont. Les fê­tes religieuses se mêlaient aux fêtes civiles.

Le malheur est que cette fameuse constitution n'est guère observée, car elle proclamait la religion catholique religion de l'Etat et promettait de grandes libertés.

C'est le 25 que devait commencer 2 l'exposition et la vénération de la relique insigne du Saint Suaire.

Le matin, il y avait grand office pontifical et la cathédrale était inabor­dable, mais l'après-midi, un défilé régulier commença et j'ai pu passer dans le sanctuaire et voir à mon aise le Saint Suaire. C'est bien impres­sionnant de voir ces taches de sang qui marquent les plaies du Sauveur. Le souvenir m'en reviendra souvent dans mes méditations.

Le Suaire est-il bien authentique? Il y a beaucoup de raisons de le croire. On y aperçoit les traits du visage de Notre-Seigneur, marqués par le sang. Je ne reconnais pas là le visage de N.-S. tel que je me le suis toujours représenté. Ces traits sont raides, un peu hiératiques, trop durs et trop vieux. Je les crois altérés ou retouchés 3.

Pour l'Exposition, je dois dire d'abord qu'on lui avait trouvé un em­placement charmant sur les bords du Pô au midi de la ville. Je ne savais pas que Turin eût un côté aussi gracieux. L'Exposition s'étendait dans un jardin public et de l'autre côté les collines, aux pentes couvertes de vi­gnes et de villas, lui faisaient un horizon ravissant.

L'exposition avait une section religieuse et ce n'était pas la moins in­téressante. Divers pavillons gracieux, dans les styles variés de la Chine, de l'Egypte, de la Syrie, abritaient les sections de cette exposition, qui comprenait l'art chrétien moderne et rétrospectif et les missions.

On n'y constatait que trop la médiocrité de l'art chrétien moderne en Italie. Il n'y avait vraiment rien 4 qui surpassât la médiocrité. Le Pape avait destiné un prix pour récompenser la meilleure peinture représen­tant la Sainte Famille, et le prix n'a pas pu être distribué.

L'Exposition rétrospective d'art ancien avait au contraire beaucoup de choses intéressantes: des vases sacrés, des chasubles, des reliquaires, des dentelles. Il y avait bien aussi quelques tableaux anciens, mais d'une valeur secondaire. L'Italie pourrait faire beaucoup mieux comme exposition ré­trospective. Elle a encore tant de belles choses, malgré les pillages exercés par tant d'armées d'invasion et en particulier par les Français.

Le principal attrait de l'exposition catholique, c'étaient les pavillons des missions. Les missionnaires italiens, Prêtres et Soeurs, de l'Orient, de l'Egypte, 5 de l'Abyssinie et de la Chine, ne s'étaient pas contentés d'envoyer des bibelots de ces pays-là, ils avaient amené des groupes d'enfants et on les voyait là à l'œuvre. Ils enseignaient, ils catéchisaient. Les enfants lisaient, cousaient, travaillaient. Ils prenaient là aussi leurs récréations, ils chantaient, ils dansaient les danses de leurs pays. Tout cela avait assez d'étrangeté pour intéresser vivement et assez d'unité pour montrer que l'action chrétienne peut faire de tous les hommes une famille de frères. La Syrie et la Chine avaient là des jeunes gens qui par­laient le français et l'italien et qui ne seraient pas déplacés dans nos sémi­naires.

L'exposition profane avait sa partie industrielle et commerciale 6 qui ressemble à ce que nous avons vu dans toutes les expositions. On y retrou­vait les verroteries de Venise, les marbres et les mosaïques de Florence, les bijoux de Rome, les soieries de Milan, les dentelles de Vénétie. C'est tou­jours un régal pour les yeux de revoir ces choses délicieuses.

L'art contemporain brillait par le nombre plus que par la qualité. Rien de bien saillant. Pauvreté absolue pour les grands genres, religieux et historiques. De la fantaisie et du joli, c'est ce qui domine. Nous som­mes donc dans un temps de décadence où manquent les grandes passions et les sentiments élevés.

Dans la sculpture, c'est l'école de Canova qui domine, genre gra­cieux, sans fermeté, avec la recherche du détail. J'ai remarqué: 7 l'Athlète par Barcaglia, et la Douleur réconfortée par les souvenirs, mo­nument funèbre d'une inspiration toute païenne, par Bistolfi.

Dans les salles de sculpture, il y avait une jolie collection d'ivoires, d'émaux, de miniatures, de majoliques, de terres cuites et de petits-­bronzes.

Dans les salles de peinture, quelques tableaux militaires, bien infé­rieurs à nos Vernet et à nos Détaille; un tableau historique, la Fée Verte annonçant au Comte de Savoie les destinées de sa race, par Villa. J'en ai trouvé l'expression médiocre et les couleurs bien crues.

Beaucoup de paysages, dont plusieurs fort bons, malgré trop de mo­dernisme et de hardiesse. Le roi en a acheté tout une collection 8. Le joli est largement représenté et notamment les enfants sous tous les aspects. Je notai: Promozione arbitraria, un enfant gallonné, par Garagna­ni; Autunno, enfant jouant dans la campagne, par Bordignon; Piccolo stu­dioso, enfant au travail, par Prati; L'assistente della nonna, un enfant qui enfile l'aiguille de sa grand'mère, par Balestra; La favola, débit d'une fa­ble en famille, par Tommasi (acquarelles); Ritorno dal mercato, Soeur de charité au retour du marché, par Cabianca (acq.); Compagni di giuochi, enfants et chat, par Serra. Età gemelle, enfant et vieillard, par Guarini; Primavera, estate, autunno, les trois 9 âges de la vie, par Ciardi; Il nonno rimprovera, grand-père grondera, par Tramontini; Nel dolore, jeune fille malade, soignée par sa mère, par Tessari; L'Padron del Vapour, enfant jouant au bateau, par Negro.

Il faut signaler aussi, comme un signe des temps, quelques scènes in­spirées par l'esprit démocratique, par ex: Al banco di beneficenza, banque de prêts, par Cavallo; Dolori senza conforto, vieillard pauvre, par Giorgi; Laborabis, une veuve d'ouvrier, et son fils, par Tanfini. Figlio della gleba, un faucheur, (modelé en plâtre), par Graziosi; Scopriti! passa un ferito del lavoro, «Découvrez-vous, c'est 10 un blessé du travail qui passe». Grande scène, bien peinte et très observée par les visiteurs, par Damo­lin.

Nos salons parisiens sont généralement plus riches et l'exposition de Paris nous prépare sans doute un meilleur régal.

Le 26, j'allai coucher à Domo d'Ossola (Domodossola) pour passer le Simplon le lendemain. Je fis visite au bon curé de Domo, vieillard peu ingambe, très enthousiaste de quelques bibelots, tableaux médiocres et lithographies, qu'il appelle son musée. Le 27, après avoir dit la messe de bonne heure, je prenais la voiture publique pour Brieg. C'est d'abord une longue montée par la vallée de la Toce, puis la gorge de Gondo, qui rappelle les plus beaux passages du St-Gothard et du Splügen. La route défile 11 entre des rochers à pic hauts de 600 mètres, elle traverse sur un pont léger la cascade de Fressinone.

Nous trouvons à déjeuner à la bourgade de Simplon qui a encore l'aspect italien. Le col du Simplon à ce moment de l'année est encore un coin de Sibérie. Il a un manteau illimité de neige, sur lequel nous cou­rons en traîneau. Les glaciers du Rauthorn et du mont Leone brillent au loin dans des éclaircies de soleil. Plus loin, on aperçoit les Alpes Bernoi­ses et les glaciers d'Aletsch, puis nous descendons en lacets, non sans éprouver quelques fois un petit frisson de crainte à la vue du danger.

Brigue est la petite ville suisse avec ses hôtels proprets, ses pensions de famille, ses guides prêts à toutes 12 les excursions. On y séjourne sou­vent pour les ascensions à la vallée du haut Rhône. C'est près de Brieg que vont commencer les travaux pour le percement du Simplon.

Je descendis la belle vallée du Rhône de Brieg au lac Léman. Sion et St. Maurice sont les deux points les plus saillants de la vallée. Sion est le chef-lieu du Valais, qui est tout catholique. Les deux hautes collines du Tourbillon et de Valèse donnent à cette petite ville un cachet tout parti­culier. Sur la première s'élève un castel pittoresque, sur la seconde une église du XIIIe siècle dédiée à Notre-Dame et à Ste Catherine. La cathé­drale a un trésor riche en reliques et en orfèvrerie du Moyen-âge. Cette vallée a échappé aux pillages de la grande Révolution 13. Ce qui fait l'intérêt de St. Maurice, c'est sa grande abbaye occupée par des chanoi­nes réguliers, dont les confrères desservent les hospices du St-Bernard et du Simplon. St. Maurice et ses vaillants compagnons de la légion thébai­ne ont été massacrés dans cette vallée par les ordres de Dioclétien en 286. L'église en garde d'abondantes reliques. Des fouilles récentes dirigées par les chanoines ont mis à jour beaucoup de restes de l'ancienne station romaine et notamment des stèles et des inscriptions. Le trésor de l'église est extrêmement intéressant, avec ses grandes châsses byzantines, ses ca­lices gothiques et romans, ses monstrances, ses vielles crosses. Un vase byzantin passe pour un ex-voto de St. Martin et une aiguière émaillée pour un don de Charlemagne. J'étais heureux de prier au tombeau 14 de ces héros, et je leur ai demandé le courage dont j'ai tant besoin.

Je passai quelques heures à Lausanne. C'est la capitale du canton de Vaud. Elle est presque entièrement calviniste et le costume ecclésiasti­que a l'air de déplaire à ces pauvres gens dont les aïeux étaient si catholi­ques. Le canton a été conquis sur les ducs de Savoie par les calvinistes de Berne et l'hérésie implantée par la violence y a pris de profondes racines. Une petite église catholique ne compte guère qu'un millier de catholi­ques sur 20.000 âmes. La belle cathédrale du XIIIe siècle est aux calvini­stes, aussi n'est-elle ouverte que le dimanche. Elle possède encore le tombeau de St. Marius, l'apôtre du pays et celui de St. Bernard de Men­thon, le fondateur des refuges 15 du St. Bernard. Le charme de Lau­sanne, c'est la belle vue dont on jouit de ses hauteurs sur le lac Léman, la vallée du Rhône, les Alpes du Valais et de la Savoie, le canton de Vaud et jusqu'aux hautes cimes du canton de Fribourg.

Je passai aussi quelques heures à Mulhouse, pour voir mon ami, M. Cetty1), l'excellent curé de la paroisse St- Joseph. Mulhouse devient grande ville, elle a doublé depuis trente ans. Elle s'élève sur les bords de l'Ill. L'ancienne église de St-Etienne est hélas aux protestants. Les quar­tiers industriels de Mulhouse n'ont pas l'air misérable de nos villes du Nord. La charité catholique et la philanthropie ont rivalisé pour fonder une foule d'institutions en faveur des ouvriers. Les cités 16 ouvrières ont un aspect de modeste aisance. Mais la palme revient pour l'organisa­tion catholique ouvrière à mon excellent ami M. Cetty. Sa maison d'œuvres est superbe. Ses institutions de crédit et d'épargne sont en pleine prospérité. Il a complètement annihilé l'action des usuriers juifs sur sa paroisse.

Je m'arrêtai le soir à Epinal, ville prospère, qui s'étend dans un beau site, sur les bords de la Moselle avec un horizon de collines élevées. Un parc gracieux remplace son vieux castel sur la hauteur. L'église du XIIe siècle est l'ancienne collégiale du chapitre des Dames nobles fondé par Thierry, évêque de Metz. Je n'eus pas le temps d'aller voir mon ami et ancien condisciple le P. Rozerot qui dirige à Epinal 17 un collège tenu par les Pères du Saint-Esprit.

Le 30, de bonne heure, j'allai à Mattaincourt pour y célébrer la messe au tombeau de St-Pierre Fourrier2). J'étais heureux de faire ce pèlerina­ge. Ce cher saint est si sympathique. Grand ami des pauvres, il a mérité le surnom de Vincent de Paul de la Lorraine. Il a fondé les premières œuvres de crédit ouvrier et mériterait d'être le patron des œuvres socia­les qui se multiplient de nos jours. Grand patriote, il a lutté contre Ri­chelieu pour l'indépendance de la Lorraine. - L'église nouvelle est dans le style du XIVe siècle, elle ne manque ni de grandeur, ni d'élégan­ce, mais la petite confession qu'on a ouverte devant le maître-autel est tout à fait mesquine 18.

Comme tous les pèlerins de Mattaincourt, j'ai visité le tombeau pri­mitif du Saint dans une modeste rotonde au cimetière, et le beau mona­stère des soeurs de Notre-Dame. Les chanoines réguliers ont une maison non loin de l'église, mais le sanctuaire est confié aux prêtres du diocèse et les pauvres chanoines ont encore une impopularité qui n'édifie pas le pays.

Je trouvai à Mattaincourt deux anciens élèves de St-Clément et je fis route avec eux jusqu'à Nancy.

Près de la station de Praye est le pèlerinage de Notre-Dame de Sion. Il y a là un pieux sanctuaire, très visité par les populations de la région. L'église moderne n'est pas artistique. Le site est fort beau. C'est une colline triangulaire 19 qui porte à l'autre extrémité la bourgade et le château de Vaudémont.

Le couvent sert de noviciat de Frères pour les Oblats de Marie. Ils ont là un musée intéressant des souvenirs de leurs missions: ethnographie, ornithologie, conchiliographie, tout est là représenté. Cela prouve que les missionnaires savent unir l'agréable à l'utile.

Je revois toujours volontiers Nancy. J'aime ces grandes villes de nos provinces qui ont toutes leur caractère propre, leur école d'art, leurs grands souvenirs. Combien elles surpasseraient en richesses artistiques la plupart des villes d'Europe, si elles n'avaient pas subi le double oura­gan de la rage calviniste et de la barbarie révolutionnaire!

J'aime à saluer la Vierge du Bon-Secours, la Vierge aimée des Lorrains 20. Elle a donné la victoire au duc René3). Elle a dans tout l'Est une popularité incomparable.

Nancy doit tout à ses princes de la famille de Lorraine qui ont laissé comme un parfum d'honnêteté et de goût. Elle a eu plusieurs siècles de prospérité et de gloire artistique. Le XVe et le XVIe siècle lui ont donné le palais ducal et les beaux mausolées de Henri II et de Charles de Lor­raine. Mais elle doit plus et mieux encore au XVIIIe siècle et au bon duc Stanislas4). La place Stanislas, une des plus belles de l'Europe, la porte royale et la cathédrale sont de cette époque.

Parmi les artistes nancéiens, Collot, pour la gravure, est sans rival. Ligier-Richier, 21 pour la sculpture et même Nicolas Drouin peuvent être comparés aux grands maîtres de l'Italie. Le serrurier Lamour a donné à Nancy la plus belle collection de grilles qui existe. Le XIXe siè­cle n'a pas non plus été stérile à Nancy, il lui laisse la gracieuse église de Saint-Epvre5), une dentelle de pierre et l'église St-Léon qui rappelle aussi le grand art ogival du Moyen-âge.

J'allai de Nancy à Paris pour y séjourner trois jours.

J'avais à faire quelques visites, intéressantes et instructives. Je vis le nonce et Mgr di Belmonte, Mgr Pechenard, M. Lemire, M. Lamy6), etc. Je voulus aussi visiter le salon de peinture.

L'art est dans l'histoire un signe 22 des idées et des moeurs. Chré­tienne et chevaleresque, la période du moyen-âge élève ses robustes et poétiques castels, ses sublimes cathédrales, ses pieux et gracieux mona­stères décorés par les peintres ascétiques, des Giotto et des Fra Angelico. Elégant, gracieux, mais fanatique de la civilisation païenne, l'âge de la Renaissance descend du céleste au terrestre et reproduit tout l'art acadé­mique d'Athènes et de Rome. Les moeurs libres et sensuelles du XVIIIe siècle appelaient dans l'art les peintures efféminées de Boucher et de Watteau.

Ces grandes lignes, si bien caractérisées à travers les siècles ont leur analogie dans les salons annuels. Les peintres travaillent selon le goût des acheteurs. Ils appartiennent eux-mêmes à la société contemporaine et sont tout imprégnés de ses idées et de ses moeurs.

Sous l'empire, les tableaux militaires 23 occupaient une large place. Il y a dix ans, nos moeurs se ressentant pas mal de celles de la Conven­tion et du Directoire, le nu dominait avec toutes les audaces du plus har­di sensualisme. Les caricatures du clergé ne manquaient pas non plus: le cléricalisme était l'ennemi.

Dans ces dernières années, l'art religieux a repris une certaine faveur. Les comptes-rendus des salons n'ont pas manqué de le signaler. Il y a eu les grandes et belles toiles de Munkaczy qui rappelaient la dignité et la grandeur du XVIIe siècle, tempérées par un cachet de réalisme moder­ne. Il y a eu surtout la grande épopée chrétienne de Tissot, le plus grand succès de ce demi-siècle, et l'an dernier la Cène de Dagnan-Bouveret ob­tenait tous les suffrages.

Mais cette année, quelle évolution annoncent nos salons? 24.

Il y a bien encore quelques tableaux militaires, mais fort peu: un sou­venir de l'épopée napoléonienne, la dernière charge à Waterloo par Fla­meng; la colonne volante de Madagascar par Tinayre; Félix Faure déco­rant les Alpins par Steinheil; et la belle Revue de Chalons par Detaille. C'est à peu près tout.

A signaler aussi quelques épisodes de nos révolutions: Marie­Antoinette au milieu de la populace, au 20 juin 1792, par Boudoux; Mme Roland et les Septembriseurs, au 2 septembre 1792, par Caïssin de la Fosse; les Insurgés par Assezat de Bouteyre, avec cette épigraphe:

«Quand. . .

La grande populace et la sainte canaille

Se ruaient à l'immortalité».

(A. Barbier, les Jambes)

On compte toujours beaucoup de paysages et de marines et on trouve dans 25 ce groupe des œuvres délicieuses, comme Les hommes de mer, de Mme Demont-Breton; La Rivière, de Carl Rosa; le Teverone, d'Harpi­gnies, et bien d'autres. Ce sont là des meubles de salon de la bourgeoisie, et c'est, avec les intérieurs, le genre qui plaisait aux commerçants des Pays-Bas et de Gênes.

Beaucoup de portraits: c'est le signe d'une société riche.

Peu de mythologie: la Renaissance a vécu. A signaler cependant dans ce genre: Le char du Soleil, par Grandjean, ressouvenir de l'Aurore du Gui­de du palais Rospigliosi à Rome.

On ne compte plus guère de sujets voltairiens ou impies. Il y a bien quelques cardinaux en guoguette (goguette). L'auteur, Brunery est né en Italie: tant mieux pour la France.

Il y a toujours quelques toiles 26 sensuelles, des nymphes, des ondi­nes, des Eve en costume primitif. C'est la part faite à la partie licencieu­se de notre société contemporaine. Si au moins on rangeait ces nudités dans un salon à part, les expositions y gagneraient et seraient plus visi­tées par les gens délicats.

Mais il y a deux séries de toiles qui marquant l'évolution des âmes contemporaines, ce sont les toiles religieuses et celles que j'appelerai so­ciales. Elles indiquent les préoccupations de la société présente. Les peintures religieuses sont nombreuses et le plus souvent elles sont trai­tées dignement, quoique avec une tendance exagérée au réalisme.

On ne reconnaît plus le sens de la tradition dans la Vierge de Lecheva­lier, dans la guérison du démoniaque de Lelong, dans l'adoration des bergers de Cain 27. La communion des apôtres de Jean Aubert est une belle toile. Le sujet est traité d'une manière assez neuve. J'aime à voir les apôtres pré­férés, Pierre, Jacques et Jean, agenouillés aux pieds du Maître. La cou­leur est sobre, les types français et les costumes orientaux.

Il y a de la bonne volonté et de belles parties dans la conversion de Made­leine de Westry; les Impropères de Cavallier; l'ensevelissement du Christ, de Brunet; le soir de la Résurrection, de Bacon; le Christ conversant à la soirée, de Bourgonnier.

C'est aussi une pensée religieuse qui a inspiré la sainte Geneviève de Pu­vis de Chavannes, et celle de Scholty; le Viatique et les enfants de choeur de Brispot; le sommeil de Fra Angelico par Chicotot; le Benedicite au Couvent, par Castres; la Procession, de Duvent; 28 la Vocation de St. Jean, la Vierge et St. Jean par Paul-Hippolyte Flandrin; Lourdes, par Garnelo-Aida; le Baptême d'un bateau de pêche, par Hirschfeld; le couronnement de Ste Cécile par Lalère; les païens et chrétiens de Barrias, belle scène mouvementée où les chrétiens dans un premier tremblement de terre de Pompéi par leur charité, éton­nent et impressionnent la famille même d'un prêtre de Jupiter. La foi se réveille dans un pays qui donne aux peintres l'occasion de tenter tant de sujets religieux.

Les peintures qu'on peut appeler sociales sont une chose nouvelle et un signe des temps. On se rappelle l'intérêt qu'excita l'an dernier un petit tableau qui nous montrait la poussée des classes dans l'invasion d'une salle de festin, où s'étalaient le luxe et la sensualité, par une bande de prolétaires socialistes 29. Cette année on peut compter parmi les toiles sociales. le Misereor super turbam, de Roger; voire même l'adoration des bergers, de Cain, avec cette épigraphe: «Humbles, relevez-vous, un ami vous est né!».

C'est aussi le sentiment de la pitié qui a inspiré les Soeurs de charité par Mine Colin-Sibour; la Soupe du pauvre au cantonnement, par Charles Crès; la Mine et les mineurs de Mme Abran; l'homme à la blouse, de jules Adler; le Pauvre, de Sabatté; l'Eternelle chanson, de Barré: un ménage pauvre au travail.

C'est aussi une peinture sociale que la grande toile de Danger repré­sentant les artisans de l'arbitrage et de la paix à travers les siècles, c'est­-à-dire les personnages historiques qui se sont appliqués dans tous les temps et tous les pays à prévenir ou à résoudre 30 par l'arbitrage les différends entre les peuples.

N'est-il pas permis de voir dans ces deux groupes de peinture une ca­ractéristique de ce siècle: l'avènement de la démocratie chrétienne?

Je reçus dans nos maisons de St-Quentin un accueil fraternel, puis j'allai voir mon frère à La Capelle. Il désirait depuis longtemps visiter nos maisons de Belgique, ce fut bientôt décidé. Nous allâmes ensemble à Clairefontaine, à Luxembourg, à Sittard, à Bruxelles. On se fit partout une fête de nous recevoir et mon frère fut heureux de voir toutes ces mai­sons en bonne voie. De Sittard nous allâmes jusqu'à Aix-la-Chapelle. Mon ami Charles Hummel me fit les honneurs de la ville et je revis avec plaisir la belle cathédrale, son merveilleux trésor et l'hôtel de 31 ville qui a tant de souvenirs historiques.

Le 24 juin, j'assistais au sacre de Mgr Deramecourt à Soissons. Je m'étais occupé de hâter l'expédition de ses bulles à Rome et à Paris au Conseil d'Etat. Quelle cérémonie touchante! Ce sont les rites du sacerdoce, mais avec plus d'ampleur. Notre nouvel évêque manifesta de suite ses pré­cieuses qualités: de la bonté, de l'à-propos, une grande facilité de parole.

L'épiscopat donne la plénitude du sacerdoce. Mais le simple prêtre a déjà une très grande part des grâces sacerdotales. Ne peut-il pas consa­crer le corps et le sang de N.-S., prêcher, baptiser, remettre les péchés? Que Dieu nous donne de saints évêques et de saints prêtres! 32.

J'ai passé quelques jours à Fourdrain à la fin de juin et au commence­ment de juillet. Je trouve là le repos, le bon air, le calme. Cependant un malaise inattendu m'arrête un jour au commencement de la messe. J'ai une tendance à la congestion. C'est un avertissement. Puissè-je être tou­jours prêt à paraître devant Dieu!

Du 12 au 15 juillet, c'était le congrès eucharistique à Bruxelles. Je passai quelques jours à Bruxelles à cette occasion.

Il y a deux Bruxelles: la vieille ville d'abord, la ville brabançonne; celle-là ne diffère guère que par les costumes de la cité du moyen-âge. L'esprit de négoce y domine. Elle est généralement catholique. Il y a cependant quel­ques éléments de désordre, comme il y en avait déjà au temps de 33 Philippe II et du duc d'Albe. Le socialisme est fils de la Réforme.

L'autre ville est la ville moderne, mondaine, cosmopolite. Les moeurs y sont légères et l'esprit de Voltaire y a des disciples. Les deux villes se pénètrent, elles n'ont pas de limites fixes. La première, la meilleure l'emporte de beaucoup.

La police est bien faite à Bruxelles, il y a de la pruderie. Les dehors sont sauvegardés pour les moeurs, ce qui n'empêche pas Bruxelles d'avoir corne Berlin, Londres et Paris, 33% de naissances illégitimes. Il faut pardonner aux bruxellois leur engouement enfantin pour le Manneken-Pis7).

On retrouve à chaque pas à Bruxelles des traces de la pénétration de la vie sociale par l'esprit religieux. L'hôtel de la ville du Moyen-âge avait sa chapelle, défigurée aujourd'hui par des constructions postérieures. Il a encore la statue de St-Michel au 34 sommet de sa flèche, comme un palladium. Au dessus de son portail principal l'image de Marie est ac­compagnée de celles des patrons de la cité: St. Sébastian, St. Christophe, St. Géry.

Les maisons des corporations avaient aussi les statues de leurs pa­trons. Quelques-unes ne les ont plus, elles ont été rebâties à une époque où la foi et la simplicité avaient baissé, au XVIIIe siècle, après le bom­bardement infligé à la ville par Louis XIV.

Bruxelles est fière de ses traditions démocratiques. Elle honore sur ses places publiques les martyrs de la démocratie, les comtes d'Egmont et de Horn et le syndic François Anneessens. Celui-ci était le doyen des corpo­rations au commencement du XVIIIe siècle. Energique défenseur des droits des corporations contre la domination autrichienne, il a été déca­pité en 1719, sous le gouvernement du marquis de Prié 35. Il porte fiè­rement ses chaînes à sa statue au boulevard Anspach, et son supplice est représenté dans une des fresques de l'hôtel de la ville.

D'Egmont et de Horn ont lutté pour la liberté sous Philippe II. L'in­quisition espagnole sévissait, les franchises communales avaient été sup­primées. Les deux comtes n'étaient pas irréprochables, ils s'étaient alliés à Guillaume le taciturne, qui favorisait la Réforme. Ils furent condam­nés à mort en 1768, au moment de la répression vigoureuse exercée par le duc d'Albe. La Belgique retrouva après eux ses franchises municipa­les.

Fière de ses anciennes corporations artistiques et industrielles, Bruxel­les en a représenté les maîtres avec leurs insignes sur la belle place du Sa­blon. Elle s'est plue aussi à faire peindre dans l'escalier de l'hôtel de ville 36 le duc Jean III de Brabante, laissant aux corporations le droit d'élire le bourgmestre, en 1421; et Marie de Bourgogne, jurant de re­specter les libertés de la ville, en 1477.

Bruxelles est assez riche en monuments du moyen-âge. La perle de ces œuvres du passé c'est son merveilleux hôtel de ville. Mais pourquoi faut-il qu'on lui ait accolé par derrière une construction banale du XVIIe siècle.

L'église Sainte Gudule n'a pas la grâce des cathédrales françaises, elle a quelque chose de raide et de guindé, mais sa richesse intérieure atteste la piété des bruxellois. Les églises de Notre-Dame de la Chapelle et de Notre-Dame du Sablon sont de beaux spécimens du XVe siècle. Celle-ci surtout plaira aux yeux quand elle aura été pleinement rajeunie par une restauration intelligente.

J'ai revu les musées de Bruxelles 37. Les primitifs flamands sont déli­cieux. Ils ne valent pas cependant ceux d'Italie, les Giotto, les Fra Ange­lico, les Simone Memmi. Ceux-ci ont encore quelque chose de la raideur byzantine, mais leurs qualités naturelles les ramènent nécessairement à la délicatesse et à la grâce. Les peintres du Nord sont raides et gourmés par nature, c'est le caractère des races de ce climat. Ils n'atteignent à la grâce que par l'étude et le travail.

Les primitifs allemands sont restés raides. Leurs personnages sont de bois. Ceux de Flandre comme ceux d'Italie doivent une bonne part de leur talent à leur exquise piété. Ils ont voulu faire beau parce qu'ils ai­maient les sujets qu'ils traitaient.

Malheureusement les meilleurs des primitifs flamands sont médiocre­ment représentés à Bruxelles. C'est à Gand 38 qu'il faut voir les Van Eyck, dans leur adoration mystique de l'Agneau. C'est à Bruges qu'il faut voir Memling dans la chasse de sainte Ursule et le diptyque de sain­te Catherine. C'est à Anvers que Van der Weyden a son chef d'œuvre, les sacrements. C'est à Louvain qu'on goûte le mieux Sturbout dans la Cène de l'église St-Pierre. Mais Gossart de Maubeuge, Quentin Metzys et Van Orley ont à Bruxelles des œuvres de choix. Gossart a un merveil­leux triptyque en l'honneur de Ste Madeleine représentant la résurrec­tion de Lazare, le repas chez Simon et l'extase de la Sainte. Le peintre de Maubeuge a bien rendu l'humilité, la prière et la ferveur de Madelei­ne. Il a du méditer longtemps la vie de la pénitente privilégiée du Christ. Et puis les artistes des siècles chrétiens ne travaillaient pas seuls, ils n'avaient pas cette témérité; ils étaient doublés d'un théologien pour leurs œuvres 39 importantes, comme on le voit pour la Cène de Stur­bout à St-Pierre de Louvain. Le peintre s'était engagé, dans son traité avec la fabrique de l'église, à prendre conseil d'un théologien personnel­lement désigné.

Quentin Metzys règne au musée de Bruxelles par son triptyque de la légende de sainte Anne. Au centre, c'est un groupe superbe, représen­tant toute la famille du Sauveur: La Vierge Mère et sainte Anne, St. Joachim et St. Joseph, les saintes femmes, Marie Salomé et Marie de Cléophas, avec leurs époux et leurs fils, Zébédée, Alphée, Jacques le mi­neur, Simon, Thaddée et Joseph le juste. Les volets représentent à l'in­térieur la vision de St. Joachim et la mort de Ste Anne; au dehors, l'of­frande de St. Joachim au Temple et le mariage des deux saints époux.

Comme ce tableau est frais! On le dirait peint d'hier. Les volets ont sans doute été souvent fermés, ce qui a préservé la peinture 40. L'expression des physionomies est calme, les vêtements ont des cou­leurs franches et gaies, les ombres sont bien marquées, un gracieux pay­sage forme le fond. Les visages sont arrondis et pleins de vie. Ce tableau rappelle un jour de printemps ou un jour du paradis terrestre.

Van Orley n'est pas un primitif, il est du XVIe siècle. Mais avec quel soin aussi il a traité les sujets religieux! Quel bon coloris et quelle expres­sion de foi! Il a surtout une pietà délicieuse. Cette pietà de Van Orley et divers autres triptyques nous manifestent la piété des familles flamandes. Ces tableaux sont des ex-voto et sur les volets sont peints les portraits de tous les membres de la famille, d'un côté le père avec ses fils, de l'autre la mère avec ses filles, parfois les grands parents et les patrons célestes des donateurs. Quelles familles patriarcales! Il y a souvent sept ou huit garçons et autant de filles, 41 et tout ce monde a l'air si pieux et si can­dide. Tous sont agenouillés et les mains jointes, avec costume modeste et uniforme. Quel contraste avec les familles d'aujourd'hui!

Après le XVIe siècle, les tableaux religieux sont des objets de commer­ce, ce ne sont plus des actes de foi. Il faut excepter peut-être Philippe de Champaigne, qui garde un caractère modeste et grave.

De Croyer a bonne volonté, il y a quelque chose de religieux dans son Assomption et d'autres tableaux de Bruxelles.

Rubens me semble traiter les sujets religieux par métier. Il fait une Descente de croix ou une Adoration des mages parce qu'on les lui de­mande, mais le cœur n'y est pas. D'ailleurs le culte qu'il a pour la chair épaisse et rougeaude ne s'accommode guère avec les sujets ascétiques. Jor­daëns lui-même s'est risqué quelquefois à peindre le Christ et les Saints, 42 mais combien ce lourd viveur est mieux dans son rôle quand il peint «le roi boit». C'est son chef d'œuvre, mais c'est un chef d'œuvre de paillardise.

Je m'arrêtai longtemps aux deux tableaux de Van Alsloot, qui repré­sentent la procession de sainte Gudule au XVIe siècle. Le cortège défile devant la Maison du roi. Les magistrats sont en tête, puis une cinquan­taine de corporations avec leurs bannières. Le nom de chaque métier est marqué avec le nombre des maîtres qu'il comptait. Pourquoi ne redirais-je pas ici ces noms avec leur vieille orthographe: placqueurs (ébénistes sans doutes), tourneurs, corbilleurs, travailleurs de blanc­bois, faiseurs de boisson, barbiers, savatiers, cordonaniers, gantiers, cinturiers, tanneurs, tondeurs de draps, tapissiers, tisserand, pinneurs de soites, chappeliers, cuvelliers, charpentiers, couvreurs de tuiles, pelle­tiers, tailleurs de pierres 43 (ils comptaient 200 maîtres), esperon­niers, armoyeurs, brodeurs, selliers, peintres (ils étaient 120), cerruriers (sic), couteliers, cordeurs, pottiers, faiseurs de flacons de cuir, estain­niers, ferronniers, mouliniers, brasseurs (67) boulangiers (340) fructiers, frippiers, faiseurs de luths, chaussetiers, couturiers, blanchisseurs, mer­ciers (500), boucheurs, poissonniers, maronniers (123) jabottiers et soyers.

Ils ont bonne mine tous ces maîtres, ils portent fraise et jabot et font vivre sûrement les couturiers, les maronniers, les jabottiers et les soyers. Des compagnies d'arbalétriers, de lanciers, de carabiniers, d'arque­busiers précédent le défilé. Quelques scènes rappellent le plein moyen­âge, et montrent la ténacité des traditions.

Un géant figure St-Christophe (un des patrons de la ville) et porte un enfant assis sur son épaule. Une sainte 44 Marguerite tire derrière elle un grand dragon de carton. Un petit drame rappelle les mystères popu­laires de la Sicile: des démons vont et viennent pour tenter les fidèles: les uns cajolent de bonnes vieilles, d'autres les menacent du bâton, mais St. Michel est là avec ses anges et il refoule cette bande audacieuse dans la bouche béante d'un enfer de carton porté sur un char.

En somme, tout cela marque une société prospère, bien organisée et encore naïve et pieuse.

- La transition est facile du tableau de Van Alsloot aux fêtes du con­grès eucharistique. Là aussi on a fait avec éclat la procession de sainte Gudule. C'était encore un beau spectacle.

On y voyait deux cardinaux de la sainte Eglise, trente deux évêques ou abbés mitrés, et nombreux clergé; puis trois cents bannières avec leurs groupes: des confréries, des cercles, des associations. Les riches bannières 45 brodées d'or alternaient avec les cartels de soie flottant au vent. C'était une belle démonstration. C'était une ville chrétienne, une nation chrétienne rendant hommage au Saint Sacrement: il y avait des délégations d'Anvers, de Gand, de Bruges, de Namur et de vingt au­tres villes. Mais ce n'est plus une cité chrétienne organisée. On ne voyait plus là l'ensemble des corporations avec le Conseil communal élu par el­les. Il y avait cependant des essais de corporations, des associations de mineurs, d'ouvriers du fer et autres encore. C'est une société qui cher­che sa voie et qui veut revenir aux bonnes coutumes du passé sans savoir encore comment s'y prendre.

C'était d'ailleurs le ton de tout le congrès et quoique des réunions eu­charistiques n'aient pas directement un but social, à chaque instant quel­que orateur prenait cette voie latérale aux pieuses réunions, 46 et c'était l'occasion d'applaudissements nourris et d'un assentiment général.

Dès le début, le cardinal Goessens8) rappelait les droits royaux du Christ sur la société.

«La génération contemporaine, disait-il, - et c'est son crime capital - prétend se passer de Dieu. Elle l'a éliminé du domaine de la science, de l'art, de l'histoire; elle veut également lui enlever tout pouvoir dans la constitution, la direction, le gouvernement de la société. Fier de ses pro­grès matériels, de ses conquêtes scientifiques, de la diffusion de l'instruc­tion, confiant dans la puissance de ses armées et dans la perfection de ses organismes sociaux(?), le monde moderne ne veut relever que lui-même, ne prendre conseil que de la raison pure, ne vivre que sur ses propres et naturelles ressources.

Mais la parole sacrée demeure toujours vraie! Il n'y a pas de sagesse qui puisse 47 prévaloir contre les desseins de Dieu: non est sapientia con­tra Dominum (Pro 21,30). Il n'y a pas de bâtisseur de la cité, il n'y a point de gardien de ses murailles dont le travail et la vigilance puissent tenir sans l'assistance continue et présente du Seigneur. C'est en Dieu, et en Dieu seul, que se trouvent l'idéal de toute beauté, la racine de tout droit, la raison de tout ordre, le fondement de toute justice, la règle et l'exem­plaire de toute vertu.

L'homme a beau rêver l'indépendance et chercher à se suffire à lui-même. Tout lui crie que, soit pris isolément, soit considéré comme être social, dans les conditions de son existence matérielle et morale, pour la vie du corps comme pour la vie de l'âme, il est constitué le tributaire des bontés de Dieu et partant son vassal et son serviteur».

Le soir du second jour, le R. P. Coubé 48 a parlé de cette douloureuse énigme contemporaine: «Jamais davantage on n'a parlé de la fraternité et jamais cependant tant d'abîmes n'ont divisé les cœurs. Partant on aspire à la paix et nulle part on ne la trouve». Et le P. Coubé posant la question: Tout est-il donc perdu? y répond lui-même en disant: Non, car le remède se trouve dans l'Eucharistie.

Il flétrit l'égoïsme, la plaie de notre temps; il fait un sombre tableau de ce que nous réserve l'avenir, si l'on ne réagit pas contre ce fléau, source et seule raison d'être de nos luttes sociale.

L'Eucharistie, ici encore, est le seul remède: elle seule inspire la vraie charité, la vraie fraternité. Elle seule aussi donne la véritable égalité. Et l'orateur rappelle qu'un jour Turenne9) et son valet se rencontrèrent près de la Sainte-Table. Le domestique voulut s'effacer et dit: «Passez, Mon­seigneur». - «Passez vous-même, répondit Turenne; 49 il n'y a ici ni maître ni valet, nous sommes tous égaux devant Jésus-Christ».

Et ce trait, que nous avons entendu souvent raconter, présenté avec le talent du R. P. Coubé, fait passer un frisson singulier dans cette immen­se assemblée. Certes, l'Eucharistie n'enlève pas à l'humanité ses souf­frances; certes, elle ne fait pas disparaître les inégalités de conditions voulues par Dieu lui-même, mais le Sacrement d'amour donne aux humbles et aux souffrants la soumission et la patience dont ils ont be­soin, et il inspire aux grands la justice et la charité.

Le R. P. Lefebvre, S. I., missionnaire de la Maison de retraites ouvrières à Fayt-les-Manage, lit un rapport sur «la Sainte Eucharistie et les ou­vriers». Il préconise éloquemment l'œuvre des retraites pour ouvriers, et expose le fonctionnement de la maison de Fayt 50. Pendant les pre­mières années, 1498 hommes, parmi lesquels plus de 1200 travailleurs manuels, ont profité du bienfait de la retraite de trois jours. Cela n'a été qu'un début. Une œuvre s'est fondée pour faciliter les retraites à de nombreuses équipes d'ouvriers en leur payant leur salaire de chômage, dans les maisons de retraites de Notre-Dame du travail de Fayt et de Tronchiennes. Ces deux maisons voient leurs chambrettes de retraitants ouvriers remplies toutes les semaines. Une maison s'est ouverte à Arlon. Il s'en ouvrira prochainement d'autres à Liège et à Malines.

Les retraites opèrent une véritable révolution religieuse dans les cœurs des ouvriers. Ils font parfois des pas de géant dans la voie de la sainteté. Certains faits, racontés discrètement par l'orateur en sont la preuve saisissante, ainsi 51 que des exemples remarquables d'un apo­stolat exercé par des ouvriers retraitants.

M. de Pellerin, de Nîmes, donne des détails fort intéressants sur le fonc­tionnement de l'Adoration nocturne organisée par corps sociaux. Plu­sieurs corps de métiers et professions forment des groupes spéciaux; les réunions ont lieu le lundi de 9 à 10 heures; il y a chant en langue liturgi­que, amende honorable lue par le plus ancien des membres, etc.

M. Helleputte, membre de la chambre des représentants, se sent péné­tré des sentiments d'une joie vive et d'une grande espérance: «Aucune des assemblées tenues récemment dans notre pays n'a été comparable à celle-ci. C'est un grand spectacle que de voir ainsi l'homme se retourner vers Dieu dans un siècle qui semblait devoir assurer définitivement le triomphe du rationalisme. Nous sommes à l'aboutissement de 52 l'effroyable déchirement commencé par la Réforme, poursuivi par la Révolution et que voudrait achever le socialisme. C'est à cette heure que nous voyons affirmer avec plus d'intensité que jamais l'Adora­tion du vrai Dieu. Telle est la grande œuvre des Congrès eucharisti­ques…».

L'orateur, après avoir évoqué en termes saisissants les antiques et bel­les fêtes eucharistiques des siècles passés, exprime l'espérance que l'ave­nir réserve à l'Eglise une victoire plus belle que toutes celles qui enrichis­sent ses annales. «Des congrès comme celui-ci amènent admirablement le triomphe de Dieu; c'est dans des assemblées comme celles-ci que nous apportons les pierres qui serviront à la reconstruction du peuple belge».

Enfin, M. le comte Verspeyen rappelle avec combien de clairvoyance Léon XIII dans son Encyclique, a indiqué les remèdes 53 topiques aux maux de notre temps. Et ces remèdes il les a fait voir dans une plus abondante effusion de la charité chrétienne. Cette charité chrétienne trouve son aliment dans la dévotion envers la sainte Eucharistie.

Dans les derniers temps de sa vie, le savant Taine10), cherchant à se rendre raison du dévouement chrétin des ordres religieux, et notamment des Soeurs de charité, reçut cette réponse: «Un quart d'heure de prière devant le Saint Sacrement les paie de tout et les fortifie contre tout». Tai­ne ne comprit pas, mais le bon sens chrétin comprend cela. Il comprend que l'Eucharistie est à la base de toutes les vertus de notre société catho­lique. Riches et pauvres, patrons et ouvriers, pères, mères et enfants ont fait l'expérience de cette vérité. La communion est la plus forte assise de la société. Les progrès du socialisme sont en raison envers des commu­nions pascales 54.

L'orateur tire argument à ce point de vue du résultat des récentes élections législatives allemands. Il rappelle un fait raconté par un vieux chroniqueur flamand: «au milieu d'une lutte civile à Gand, d'une que­relle entre deux corporations, quand on voulut en venir aux armes, un prêtre eut l'idée sublime d'aller chercher le Saint Sacrement dans une église voisine et de l'apporter au milieu de la foule émeutée. Et cette fou­le, soudain apaisée, se jeta à genoux devant Jésus au Saint Sacrement. La paix était faite».

Il en sera de même sur le terrain des grandes luttes sociales, si toutes les classes se trouvent unies dans un amour commun pour la Sainte Eu­charistie et ainsi dans la charité mutuelle catholique.

Tel a été le caractère social du beau congrès de Bruxelles, tant par ses éloquents 55 discours que par la splendide démonstration qui l'a clô­turé. Et je puis terminer le récit de mes impressions de Bruxelles par ces mots de M. Helleputte: «C'est dans des assemblées comme celle-ci que nous apportons les pierres qui serviront à la reconstruction des nations chrétiennes».

Au retour de Bruxelles j'assistai à la distribution des prix de St. Jean, présidée par Mgr Deramecourt, le 29 juillet. L'assistance est nombreuse et sympathique. Cependant le nombre des élèves reste faible, les familles aisées de la région n'ont plus d'enfants.

Mes amis avaient été frappés du malaise que j'avais éprouvé à Four­drain, on m'engagea à aller en Suisse pour essayer la cure d'air. J'y pas­sai un mois et cela me remonta un peu. J'étais à Leysin, en haut des Al­pes du Valais, au Sanatorium en compagnie 56 de M. et Mme Arra­chart. L'hôtel est confortable, mais il a trop de grands malades pour que l'âme puisse s'y épanouir à l'aise. Une petite chapelle proprette me per­mettait da dire ma messe et de faire ma visite au S. Sacrement. Ce coin de montagne est tout protestant. La société des hôtels est un résumé de celle de nos villes. Il y avait là deux ou trois familles de vrais catholiques, puis des financiers juifs et protestants, quelques couples plus ou moins corrects, des étudiants et des artistes fatiguées par la vie mondaine de Paris. Je pris un régime de repos: chaise longue, promenades pacifiques à l'ombre des sapins. J'écrivis quelques pages d'impressions pour la Re­vue. J'échangeai quelques lettres et dépêches à l'occasion de la réunion des Anciens élèves de St Jean 57.

Ce pays est si beau, le bon Dieu y a si bien montré sa puissance! On devrait y voir régner une tendre piété pour le Créateur.

Jean-Jacques Rousseau le sentait bien: «Les méditations, disait-il, prennent sur ces hautes montagnes, je ne sais quel caractère grand et su­blime, proportionné aux objets qui nous frappent. Il semble qu'en s'éle­vant au-dessus du séjour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres, et que, à mesure qu'on approche des régions éthérées, l'âme contracte quelque chose de leur inaltérable pureté».

Tous les éléments du beau sont réunis ici dans les spectacles de la na­ture: la variété, la grandeur, l'harmonie, l'opposition, la couleur. La nappe d'eau des lacs fait contraste avec l'escarpement des montagnes, la fraîcheur des prairies avec la sombre verdure des pins, la blancheur des névés 58 avec l'azur du ciel.

Ces montagnes qui nous écrasent par l'aspect de leur masse ne sont rien aux yeux du Créateur. La science nous dit qu'elles n'ont pas plus de relief sur la sphère terrestre que les rugosités de la pelure sur la surface d'une orange.

Les heures de la journée varient ces grands spectacles. Tel versant, sombre le matin, est ensoleillé le soir. Les cimes sont fleuries par les tein­tes roses de l'aurore et par les nuances d'or et de pourpre du crépuscule. L'homme a inventé la peinture, la gouache, le pastel, l'aquarelle; le Créateur est bien plus varié, plus net, plus doux, plus profond dans ses coloris. L'homme barbouille une toile, le Créateur étend un immense horizon.

On voudrait voir en face de ces grandes œuvres de Dieu un peuple re­ligieux, austère 59 et uni dans un même culte.

La Suisse a été civilisée par ses pontifes et par ses moines, par les évê­ques de Genève, de Lausanne, de Bâle, de Coire, de Constance, par les abbayes de St. Gall, de St. Maurice, de St. Léger, de Gloris, de St. Ur­sanne. Où sont maintenant ses moines? Où sont ses cathédrales? A Ber­ne, à Genève, à Bâle, à Zurich, à Lausanne, il reste de grandes églises qui n'ont plus de cathédrales que le nom: temples sans autels, avec des chapelles dépouillées de leurs reliques et de leurs saintes images. Quel­ques hommes orgueilleux, Zwingle, Calvin, Mélanchton ont passé là, et ce pauvre peuple, simple, bon et désireux du bien, trompé par ces décla­mateurs s'est imaginé qu'il réformait l'Eglise de Jésus-Christ. Le mal s'est fait en peu d'années et le relèvement demandera des siècles 60.

Je me repose ici dans un beau site. J'ai sous les yeux un résumé de la Suisse: la vallée du Haut-Rhône, un coin du lac de Genève, quelques ci­mes des Alpes de Savoie et des Alpes Bernoises, un sommet du Mont Blanc lui-même.

Les souvenirs de l'histoire animent ce cadre grandiose. Cette vallée du Haut-Rhône, c'est le chemin du Simplon et du St-Bernard. C'est la grande voie d'Italie en Gaule et en Germaine. Les conquérants romains ont passé là. Les apôtres de l'Occident y ont passé aussi pour la plupart.

J'aime à me représenter ce flux et ce reflux des peuples à travers les âges. Je vois passer les lourds bataillons d'Annibal, les tribus celtiques aux clans variés; les légions de Varus, de César et de Britannicus savam­ment conduites; l'escorte des empereurs, Maximien, Licinius, 61 Constantin, Constance, julien et bien d'autres; les Francs de Pépin et de Charlemagne aux lourdes armures; la brillante chevalerie de Char­les VIII et de François Ier.

J'aime mieux le souvenir plus doux et plus pur du passage des Saints. Quelques-uns des apôtres de l'Occident sont venus de Rome à Marseil­le; mais beaucoup aussi sont passés par les Alpes; notre saint Quentin, peut-être, avec ses compagnons, qui ont évangélisé le nord de la France et la Belgique.

C'est là, dans cette vallée du Rhône, qu'un des plus beaux témoigna­ges de fidélité et d'amour a été offert au Christ. C'est là que Saint Mau­rice et les héroïques soldats de la légion thébéenne se sont laissés décimer par les bourreaux du tyran Maximien plutôt que d'offrir de l'encens à Mars et à Jupiter. Le Rhône a été rougi par leur sang 62 et la vallée a été semée de leurs tombeaux. Longtemps les pèlerins de l'Occident vin­rent là chercher des leçons de courage et de force. Une basilique y a été fondée au IVe siècle et plusieurs fois renouvelée et agrandie, et les louan­ges de Dieu et des Martyrs y sont encore chantées par un chapitre de chanoines. Les princes carlovingiens, les ducs de Savoie, les rois de France ont honoré ce sanctuaire par leur visite ou leurs offrandes.

Le trésor de l'église a gardé ses joyaux des âges anciennes. Il y a là une coupe romaine en onyx finement ciselée, on la dit donnée par Saint Martin. Une aiguière en or repoussé, de travail byzantin, est un don de Charlemagne. Le XIIe siècle est représenté par un calice et un ciboire, et par les grands châsses des martyrs, en argent repoussé avec des émaux cloisonnés et champ-levé.

Nos grands sanctuaires de France avaient bien d'autres merveilles, mais la nation a 63 passé par deux crises de folie furieuse, le protestan­tisme et la Révolution, et il ne nous reste de tous nos trésors d'art reli­gieux que quelques épaves.

Saint Maurice et ses compagnons ont donné ici le témoignage de leur foi. La même vallée a été honorée par l'héroïque charité de St. Bernard de Menthon. Ce Vincent de Paul de la Savoie a été touché de compas­sion par les épreuves des pauvres voyageurs qui passaient les Alpes dans la saison d'hiver, et il a fondé ces hospices que la poésie a souvent célé­brés. La reconnaissance des peuples a donné son nom au col élevé qui mène de la vallée du Rhône en Italie.

Sous mes yeux encore j'ai tous les sommets des montagnes du Cha­blais, le Grammont, la dent d'Oche et tant d'autres. C'est là, dans les vallées du Chablais, que l'aimable François de Sales a tant travaillé pour réparer dans les âmes les ruines amoncelées par Calvin. 64 Il a conser­vé le Chablais à l'Eglise. Quel zèle admirable le cher Saint a déployé! Conférences, missions, distribution de tracts, il n'a rien épargné. En parcourant ce pays si beau, d'Annecy à Evian et de Genève à Chamou­nix, il apprenait aussi à parler de la nature en poète.

Les Suisses sont à bon droit jaloux de leur liberté. Leurs vallées étaient au XIVe siècle le champ de bataille des empereurs germains, des ducs de Bourgogne et des comtes de Savoie. C'est à leurs dépens que se vidaient les querelles des uns et des autres. Ils s'en sont lassés et ils ont résolu de s'arranger de manière à vivre en paix chez eux. Les aventures de Guillaume Tell, embellies par la légende, montrent le sentiment qu'éprouvaient les Suisses à l'égard de l'oppression allemande.

Il y a une légende ou un trait historique dramatisé au seuil de chaque révolution. Guillaume Tell a délivré la Suisse, les prisons de Silvio Pellico 65 ont libéré Venise, la Bastille et les lettres de cachet ont ren­versé la monarchie française, la Case de l'oncle Tom à brisé les chaînes des esclaves d'Amérique au prix de la guerre de sécession.

Les délégués des trois cantons d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden ont prêté dans la prairie historique de Grütli le serment de libérer la patrie opprimée. Ils ont réuni des compagnies de patriotes volontaires et ils ont battu l'armée de l'empereur Leopold à Morgarten en 1315. La Suisse était fondée. Ses communes et ses cantons organisés sous l'influence de l'Eglise établirent la fédération, qui se développa plus tard par la défaite des Habsbourg à Sempach en 1386 et par celle de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne à Grandson et à Morat en 1476.

Cette Suisse qui avait si noblement conquis son indépendance était toute 66 catholique. Les héros de Grütli, ceux de Sempach et de Mo­rat étaient de vaillants catholiques. Les Suisses ne devraient pas l'ou­blier. Ils doivent tout à ces glorieux ancêtres ils ne doivent rien à Calvin et à ses pareils, que la division des esprits, la guerre civile et cette tristes­se morne qui marque le malaise des âmes ébranlées dans leur foi.

Je parcours les journaux protestants de Genève et de Lausanne. Ils sont obsédés par la question Dreyfus11). Elle remplit chaque jour la moi­tié de leurs colonnes. «Dreyfus est un martyr. Picquart est en train de le devenir. Cavaignac et le Conseil de guerre sont des tyrans comme Néron ou tout au moins comme Charles IX qui a fait la Saint-Barthélemy. Ce sont les cléricaux, poussés par la presse catholique, qui s'en prennent aux juifs, en attendant que vienne le tour des protestants, etc.».

Cavaignac, 67 un clérical! C'est au moins douteux. L'Intransigeant, un journal catholique! C'est encore moins certain. Les protestants, de doux agneaux toujours victimes! Ce n'est pas prouvé par l'histoire: té­moin Calvin, tyrannisant Genève, faisant brûler Michel Servet, conda­mner Gentili, et décapiter Berthelier; témoin Cromwel et ses compa­gnes, Elisabeth et ses pendaisons, les Camisards et leurs violences, les Princes allemands et la dépossession des catholiques.

Charles IX a pris peur, mais il y avait peut-être de quoi. La révolte des Pays-bas sous Philippe II, celle d'Ecosse contre Marie Stuart, celle d'Angleterre contre Charles Ier montrent combien les rois pouvaient se fier aux protestants.

Mais nous voilà lancés, à propos de Dreyfus, dans une dissertation hi­storique. Un officier juif a été condamné pour avoir livré les secrets de l'Etat-major et voilà tout. Le fait 68 est minime, mais quel service il nous rend! Il montre la solidarité de tous les non-catholiques, des juifs, des protestants et des francs-maçons, et leur peu de patriotisme. La hai­ne contre l'Eglise prime tout chez eux et ils sont toujours alliés sur ce ter­rain.

Un juif est déconsidéré, pensent-ils; si la France catholique allait se ressaisir et réduire à sa juste mesure le nombre des Juifs, des protestants, voire même des maçons qui ont envahi les préfectures, les tribunaux, les finances et toutes les administrations, quelle perte ce serait pour la tripli­ce intérieure!

Chez les protestants Suisses, il y a un prosélytisme qui leur fait redou­ter tout réveil du catholicisme en France. Ils ne rêvent rien moins que conquérir la France à Calvin. Il y en a qui sacrifient même pour cela leur 69 nationalité suisse. De là toutes ces naturalisations de profes­seurs et de pasteurs, les Buisson, les Stapfer, les Monod, qui occupent en France de hautes situations; de là l'organisation de la ligue de l'ensei­gnement, dont le but est surtout de combattre l'enseignement chrétien.

L'influence protestante et juive est devenue dominante dans l'Univer­sité et forme la coterie des intellectuels. L'âme de le France est aux mains de ces éducateurs. Le péril est grand, mais Dieu veille. Il reste au fond des âmes françaises un vieil instinct de race, et Jeanne d'Arc l'em­portera sur l'esprit de Calvin…

Ma santé se raffermit un peu à Leysin. Je revins par Genève, Lyon et Ars. Genève s'embellit et se transforme mais elle est toujours intoléran­te.

L'église de Fourvière est gracieuse 70 dans son intérieur, comme la Vierge qu'elle veut honorer. Ars n'a plus guère de pèlerins, la canonisa­tion du saint curé lui rendra de la vie.

Du 1er au 8, c'est notre retraite générale à St Jean. Elle est prêchée par le bon P. Vauthier, tout le monde en est content. Je n'y prends part qu'à moitié parce que j'ai beaucoup à m'occuper des autres. J'y supplée un peu en passant deux jours à la Trappe de Chimai, sur le chemin de Sittard.

La retraite de Sittard est très consolante. Elle est très nombreuse, la chapelle est trop petite. C'est le P. Boller, professeur de dogme à Lou­vain qui la prêche.

Je passe à Bruxelles, à Lille. Nous avions pensé à agrandir la maison de Lille en achetant ou en louant une maison voisine, mais le prix était trop élevé. Nous avons décidé de mettre un groupe d'étudiants à 71 Louvain, et je suis allé passer deux jours à Louvain pour voir tou­tes les maisons que nous pourrions louer. Il fallait faire vite, les cours al­laient commencer bientôt. J'ai loué la moitié d'un ancien couvent d'An­nonciades. Nos j. gens y seront bien installés et ils suivront les cours du scolasticat des Pères jésuites.

J'ai revu avec plaisir Louvain, son merveilleux hôtel de ville, sorte de châsse en pierre, dessiné par un orfèvre plutôt que par un architecte; son église populaire de St-Quentin, élevée sur la route de France par les pè­lerins qui revenaient du grand Saint-Quentin au XVe siècle; son église matrice de St-Pierre, que le temps avait défigurée et découronnée de ses balustrades et de ses pinacles, mais qui se rajeunit grâce à la foi des Lou­vaniens et au bon goût de la nouvelle école d'art religieux 72.

Après les retraites, il faut assigner à chacun son poste et sa fonction. C'est ma besogne . de chaque année en octobre. Comme le joueur d'échec, je m'efforce de mettre en bonne place tous les éléments dont je dispose pour la bataille de l'année.

La maison de Louvain modifie la situation générale. Nos maisons d'études se spécialisent. Luxembourg reste aux Allemands, Lille aux Français, Louvain prépare une troisième province, celle des quatre na­tions, des Belges, des Hollandais, des Luxembourgeois et des Alsaciens-­Lorrains.

Le séminaire de Luxembourg est érigé en faculté de théologie. Nos j. gens y pourront prendre les grades.

Pendant que j'organise la maison de Louvain, le beau pèlerinage du travail est à Rome. Notre petite 73 résidence du Monte Tarpeo a tou­jours l'honneur de recevoir le Bon Père Harmel et sa famille. Le Pape encourage cette fois la démocratie chrétienne, les réfractaires ne se ren­dront pas encore, mais la vérité finira bien par triompher. Nous n'avons pas à créer le mouvement démocratique, il est un fait, il existe et il est ir­résistible, nous n'avons qu'à lui faire bonne mine et à y entrer pour le christianiser et lui infuser l'esprit de justice et de modération.

Le pèlerinage de St-Quentin a toujours ses fêtes populaires. Il n'est pas assez pieux, la curiosité y a trop de part.

Notre nouvel évêque, Mgr Deramecourt vient à St-Quentin à cette occasion et visite gracieusement nos maisons de St Jean, de Fayet et du S.-Cœur. Pressé par le ministre ou le directeur des cultes, 74 il ren­voie les Eudistes de son séminaire.

Je donne encore quelques heures à Turin au retour. On a beaucoup parlé de la photographie du S. Suaire, qui donne les traits de N.-S. plus nettement que la Suaire lui-même. J'ai voulu la voir et en acheter un exemplaire. J'ai toujours plus de peine à croire à l'authenticité du Suai­re. Un livre de l'abbé Chevalier de Tours établit par des documents que le Suaire de Turin qui était d'abord au diocèse de Troyes était regardé aux XIIIe et XIVe siècles comme une simple représentation du suaire. Cela n'empêche pas que la foi des fidèles ne puisse obtenir des prodiges devant cette image du suaire, comme elle en obtient devant les images de la Sainte Vierge ou d'autres saints 75.

Je revois souvent Florence. Cette fois, c'est un grand fait historique qui me frappe. L'ère glorieuse, l'ère de la prospérité et d'éclat artistique et littéraire à Florence concorde avec la suzeraineté des Papes de 1115 à 1530. Ce n'est pas à Rome que l'on peut juger de l'influence de la pa­pauté pendant les grands siècles chrétiens, c'est à Florence. Rome était alors la proie des factions et du schisme. Florence était une vassale sou­mise et respectueuse.

Deux fois dans cet intervalle, les Gibelins ou impériaux ont pris Flo­rence, mais ils n'ont pu s'y maintenir que peu d'années.

En 1240, c'est Frédéric II, le cruel ennemi de la papauté, qui s'empa­re de Florence, appelé par la trahison d'une famille ambitieuse, les Ame­dei; mais dix ans après, les Guelfes rentraient, rappelés 76 par le peu­ple.

En 1260, Mansfeld, fils de Frédéric II, se rend maître à son tour de Florence. Il n'y peut tenir que sept ans. Il est vaincu par Charles d'An­jou, allié des Papes.

Ainsi pendant quatre siècles, la reine de la civilisation occidentale, Florence, est ville papale, gouvernée par des institutions plusieurs fois modifiées, mais ordinairement démocratiques, sous la suzeraineté du Pape. C'est l'empereur Charles-Quint, en 1530, qui donnera à Florence une indépendance absolue, que le Pape Pie V sera obligé de reconnaître en 1569.

Les Médicis ont gouverné Florence sous les deux régimes: sous les pa­pes comme gonfalonniers, et dans l'indépendance, comme grands ducs. Avant les Médicis, Florence avait déjà inauguré le réveil artistique et littéraire en Europe. Elle avait eu Cimabué (1240-1310), le Dante 77 (1265-1321), Giotto (1260-1334).

Les grands Médicis sont les gonfaloniers, chefs de la république vassa­le de Rome, beaucoup plus que les grands ducs. Laurent le Magnifique, julien, Laurent II sont des gonfaloniers.

Sous les gonfaloniers ont fleuri les vrais maîtres de la Renaissance, avant qu'elle ait perdu tout esprit chrétien: Dans la peinture: Masaccio (mort en 1443), Masolino (1447), fra Angelico (1455), Lippi (1468), Ghirlandajo (1495), Botticelli (1510), Léonard de Vinci (1519) Ràphaël (1520), André del Sarto (1530). Dans la sculpture et l'architecture: Bru­nelleschi (1446), Ghiberti (1455), Donatello (1466), Michel-Ange (1475­1564). Dans les sciences et les lettres: Ange Politien (1494), Pic de la Mi­randole (1494), Savonarole (1498) 78.

Tous les artistes que nous avons cités ne sont pas florentins, mais tous ont travaillé à Florence et profité du courant artistique qui régnait dans l'Athènes de l'Occident.

Sous les grands ducs, il n'y a plus guère à signaler que Jules Romain (1546), Cellini (1570) et Jean de Bologne (1608).

Le grand art avait disparu avec la liberté.

A mon arrivée à Rome, je fais mon pèlerinage annuel aux grandes ba­siliques et aux principaux sanctuaires. J'ai aussi toute une série de visites à faire. Les unes sont de convenance et les autres d'amitié. Je vois les cardinaux Rampolla, Vannutelli, Ferrata, Macchi, Agliardi, Ledo­chowski - quelques prélats MMgrs Passerini, Kean, Gelli, Della Chiesa, Mourey, d'Armailhac, Batandier, Radini, de Croy, Tiberghien 79.

Chez les dominicains, je vois le P. Fruhwirt (sup. gen.) les PP. Bau­duin, Laporte, Lepidi, Cicognani - chez les jésuites, le P. Recteur de l'Université grégorienne, les PP. Billot et Biederlack - chez les Franci­scains, les PP. David et Raphaël - chez les capucins, le P. Pie de Lan­gogne - chez les Trappistes, le P. Sébastien - chez les Pères Blancs, le P. Burtin - les directeurs du séminaire français, le P. Debruyne, lazari­ste; le P. Tenaillon, du S. Sacrement; le P. Lemius, des Oblats de Ma­rie; M. Herzog, de S.-Sulpice; le P. Bailly, de l'Assomption; l'abbé Du­chesne, etc.

Chez les uns je m'instruis; chez d'autres, je soutiens et propage les di­rections du Pape. Le travail de bureau ne me manque pas: j'ai toujours une correspondance considérable, j'ai la Revue à écrire, des conférences à rédiger, des notes à relever. Les difficultés de la fondation de Tunis m'apportent de gros soucis12) 80.

Ma santé se ressent encore de l'influenza du printemps. J'ai facile­ment des maux de tête et des vertiges. Je suis obligé de faire une courte promenade le matin à 10 heures 1/2 pour couper le travail de la matinée. C'est une occasion d'aller faire une prière à quelque sanctuaire, le plus souvent à l'église St-Ignace, mais c'est aussi une cause de dissipation que je regrette.

Ce mois ressemble au précédent, j'ai de plus un travail à faire pour l'index. Le P. Eschbach13) est toujours mon directeur. Je visite divers sanctuaires à l'occasion des fêtes liturgiques. Les jours de congé je fais voir à nos jeunes gens quelques salles des musées et les œuvres d'art de plusieurs églises.

La bibliothèque du Vatican a une collection de tableaux primitifs, mais pourquoi sont-ils entassés dans des vitrines, sans ordre et sans cata­logue? On ne peut d'ailleurs les 81 voir qu'en passant, et même en courant, avec un cicerone.

Les statues innombrables du Vatican sont rangées pour satisfaire le regard des touristes, mais on n'a tenu compte ni des écoles, ni des prove­nances. Quel magnifique musée d'étude on aurait en refaisant tout le classement! Il faudrait là un Mécène comme le roi Louis de Bavière14). Des œuvres originales des diverses écoles grecques sont pêle-mêle avec tout le reste. Je voudrais voir chaque école mise à part: les types connus de chaque maître classés avec leurs copies.

Il y aurait le cabinet de l'école primitive:

Polyclète: son Doryphore (canon), le Diadumène, l'Amazone, Junon. Myron. le Discobole, Marsyas15), l'adolescent à l'épine, la génisse. Phidias. Jupiter (d'Otricoli), les frises du Parthénon - La Minerve (Villa Ludovisi) 82. Phidias représentait la beauté divine; Polyclète la beauté humaine; Myron, l'homme en action.

Puis la seconde école où la beauté est moins rude, où sont déjà expri­mées plus sensiblement les passions de l'âme, la joie, la douleur:

Praxitèle: La Vénus de Cnide, Mercure, Cupidon, Apollon saurocto­ne, le Satyre ou faune.

Scopas: Niobé et les Niobides, Menelas et Patrocle, Apollon musogite1616), tombeau de Mausole.

Lysippe: Alexandre … Apoxyoméne (canon nouveau).

Leocharès: Le Ganymède.

Puis l'ecole de Pergame plus réaliste: le Gaulois mourant.

L'ecole de Rhodes, amie du colossal et du tour de force: le Torse, le Tau­reau Farnèse, le Laocoon.

Dates incertaines de la 2e école et de l'hellenisme: Victoire de Samo­trace, Venus de Milo, Apollon du Belvédére, Arianne du Vatican. Vé­nus du Médicis, Junon Ludovisi.

Cette accumulation des œuvres de la grande école grecque, qui s'est perpétuée du VIe siècle avant le Christ jusqu'au IVe siècle après, en fe­rait ressortir les belles qualités: la beauté physique, la pureté des formes, la dignité, les sentiments naturels: joie, douleur, force, etc. 83 . Mais j'aurais aussi le cabinet de la sculpture chrétienne avec les œuvres ou co­pies de Michelange, de Cellini, de Della Robbia, de Sansovino, Sangal­lo, Della Porta, etc. L'anatomie y est parfois moins parfaite, mais on y voit briller les vertus surnaturelles: la modestie, la pureté, la douceur, la charité, la piété.

Pour la peinture, les grands maîtres primitifs sont peu représentés à Rome. Il y a cependant de fra Angelico la jolie chapelle de St-Laurent au Vatican. Le maître est là plus complet, plus créateur que dans ses minia­tures, de Florence. Il a fait faire à la peinture un progrès immense. - Pinturicchio est bien représenté à Rome. Il a les appartements Borgia, avec de grandes scènes et de délicieux détails. Il a peint aussi diverses chapelles dans les églises de Ste-Marie du Peuple, de Ste-Cécile, 84 de l'Ara Coeli. Il n'a pas la perfection idéale de l'Angelico, mais il a en­core en grande partie la grâce et la naïveté des primitifs.

- Masaccio et Masolino ont peint la chapelle de la Passion à la basilique de S-Clément.

- Lippi à décoré une chapelle à la Minerve.

- La chapelle Sixtine est comme le musée des préraphaélistes à leur apogée. Elle a de grandes scènes de Pérugin, de Botticelli, de Signorello, de Ghirlandajo. Quel charme a cette école! Elle ne connaît guère les ombres et sa perspective est fantaisiste, mais son dessin est soigné, son coloris vif, ses détails délicats, son expression naïve et gracieuse. C'est une tran­sition déjà avancée de la miniature à la peinture moderne.

Cette visite aux musées at aux ruines de la vieille Rome me fournit l'occasion de 85 refaire une étude sommaire de l'art à Rome. Quand Rome commença à s'élever, l'Egypte avait déjà un art très an­cien et très parfait. L'Assyrie et l'Inde marchaient dans le même sens que l'Egypte en recherchant comme elle l'effet colossal et le symbolisme païen.

Plus près, l'art de la Grèce et celui de l'Etrurie, sortis tous deux primi­tivement de l'Egypte, prenaient un caractère propre et une grande per­fection,celui de la Grèce surtout. C'est de ces deux arts que devait pro­céder celui de Rome. Rome n'a pas créé, elle a seulement agrandi et adapté à ses besoins, à ses coutumes, à ses matériaux, l'art des Grecs et celui des Etrusques.

L'Etrurie venait jusqu'aux portes de Rome naissante. Elle lui passa ses traditions pour la construction des 86 maisons, des tombeaux, des autels, des remparts, des canaux.

La Rome des rois se servait de la pierre de tuf qu'elle trouvait dans son sol et de la pierre volcanique des monts Albains. La république em­ploya le pépérin de la campagne romaine et la belle pierre de travertin.

L'empire élevait ses grands édifices en briques et les revêtait de mar­bre, de granit et de porphyre.

Il reste du temps des rois: l'enceinte de Servius Tullius, la prison Ma­mertine, la Cloaca maxima.

Du temps de la république: le tablinum au Capitole, des murs et des au­tels au Palatin, les tombeaux des Scipions, ceux de Cécilia Metella, de Bibulus, d'Eurisace; le temple de la Fortune virile et quelques restes du théâtre de Pompée 87. Il n'y avait rien encore pour la sensualité, tout se rapportait à la vie familiale, civile, militaire et religieuse. Pompée éle­va le premier théâtre et comme pour le faire excuser, il en fit une sorte de portique du temple de Junon.

L'empire riche et sensuel, mais aussi superstitieux, allait multiplier les palais, les bains, les théâtres, les cirques, les places et les portiques, et les temples.

Rome imita l'art de la Grèce qu'elle avait conquise. Elle l'imita en no­vice, sans garder les belles proportions géométriques des ordres classi­ques. Elle copia surtout le corinthien et inventa le composite, symbole de sa profusion. N'ayant pas à sa disposition le belles poutres de marbre du Pentélique, elle multiplia les arcs et les voûtes. Les ciments s'y prêtaient et l'ampleur des édifices l'exigeait.

Le temps d'Auguste marque l'apogée de cet art. Il en reste: le Pan­théon 88 les thermes d'Agrippa, le théâtre de Marcellus, la basilica Julia, le temple de Mars vengeur, le mausolée d'Auguste, la maison de Tibère, celle de Livie ou de Germanicus, l'auditoire de Mécène.

Le goût reste assez pur sous les Césars, il est moins correct sous les Flaviens, il se précipite vers la décadence sous les Antonins et leurs suc­cesseurs.

Du temps des Césars, il reste: les débris des temples des Castor et de la Concorde, dûs à Tibère; ceux du palais de Caligula, de la Maison dorée de Néron.

Du temps des Flaviens, il reste: le Colysée, le temple de Vespasien, le forum transitorium, le palais du Palatin, l'arc de Titus.

Sous Trajan, on exécute encore de bons travaux: le forum, la colonne, les sculptures de l'arc de Constantin.

Sous Adrien, l'abondance tient souvent 89 lieu de perfection. Il reste le temple de Neptune, celui de Vénus et de Rome, le Mausolée, la villa de Tivoli.

Les premiers Antonins nous ont laissé le temple d'Antonin et Faustine, la colonne aurélienne, l'arc de Septime Sévère, les thermes.

Après Marc-Aurèle, le goût et l'art se précipitent. Il y a de ce temps­-là, le temple de Saturne, le portique des dieux Consenti, l'arc de Janus, celui de Gallien, le temple de Minerva medica.

L'époque constatinienne accuse un certain réveil, qui aura plutôt son développement à Constantinople, à Ravenne, à Milan.

La Rome chrétienne, pendant longtemps ne sera guère créatrice. Elle avait trop de ruines et de débris à utiliser pour s'ingénier à faire du neuf. Elle adopte avec Constantin la forme des basiliques pour ses sanctuaires, elle n'en sortira guère 90 avant le XIIIe siècle. L'art byzantin, l'art roman, l'art ogival produiront ailleurs des multitudes de chefs-d'œuvre, ils effleureront à peine le sol de Rome.

Pendant toute cette période, Rome bâtissait et rebâtissait ses basili­ques. Elles imitaient les anciens prétoires. Leurs trois nefs se divisaient par des colonnes corinthiennes ou ioniques. Je n'ai trouvé l'ordre dori­que (romain)qu'à Ste-Pudentienne et à St-Pierre-aux-Liens.

Beaucoup de ces basiliques sont encore debout en tout ou en partie. Un certain nombre des plus anciennes ont été refaites ou grandement re­staurées aux VIIIe et IXe siècles. Voici les principales:

I. Basiliques constantiniennes: St Jean de Latran: modernisé. St-Pierre - IVe VIIe XVe siècle. St-Paul - IVe XIXe. Ste-Marie-Majeure 91. Ste-Croix IVe VIIIe. Ste-Agnès IVe VIIe St-Laurent IVe VIe.

II. Autres de la même époque: Ste-Prudentienne. Ste-Praxède. S-Clément IVe VIIIe XIe. Ste-Sabine. Ste-Prisque. St-Sébastien. St-Barthélemy IVe XIe. Ste-Cécile IVe IXe. Ste-Marie in Transtevere. S-Chrysogone. S-Pancrace.

III. Postérieures, faites ou renouvelées: Ste-Agathe VIe. S-Martin VIe. SS-­Jean-et-Paul VIe. SS-Vincent-et-Anastase VIIe. SS-Quatro VIIIe. 92 S-Pierre- aux-liens VIIIe. Ste Marie in Cosmedin VIIIe. Ste­-Suzenne VIIIe. St. Grégoire (à nouveau) VIIIe. S-Georges IXe. S-Marc IXe. Ste-Marie in Domnica IXe. SS-Nérée-et-Achillée IXe. S-Maria nuova (Francesca) IXe. S-Eustache IXe. S-Sabbas (à nouveau) IXe. Ste­Praxède (id) IXe. Ste-Marie in Scala coeli IXe. Ara Coeli Xe.

Six de ces basiliques ont encore le symbole des douze agneaux avec le Bon Pasteur ou l'Agneau divin.

Plusieurs ont des mosaïques d'un grand intérêt. Celles de Ste­-Constance (IVe s.) sont encore païennes (fleurs, fruits et vendanges). Celles de Ste-Prudentienne 93 (IV°) sont un beau spécimen d'art an­tique et représentent la renaissance constantinienne, elles représentent les apôtres avec beaucoup de naturel et d'expression.

Celles de Ste-M-Majeure (la vie de la Vierge) montrent qu'au Ve siè­cle, au temps du Pape Damase, de Sixte III et de Léon le grand, la gran­de culture littéraire avait quelque reflet dans les arts.

Celles des SS-Côme-et-Damien, du VIe siècle, attestent aussi un ré­veil momentané.

L'art byzantin si fécond à Ravenne, à Byzance, et même à Milan, à Aix la Chapelle et dans le midi de la France n'a guère laissé de traces à Rome. On peut lui attribuer certaines mosaïques hiératiques, comme celles de St-Paul et de Ste-Sabine, quelques portes de bronze et peut­-être 94 une part dans la construction du baptistère de Constantin, du tombeau de Constance, de l'Eglise de St-Etienne le Rond, des tribunes de Ste-Agnès et de St-Laurent.

L'art roman ou nèo-romain a couvert de ses œuvres la France, l'Alle­magne, l'Angleterre. Il a eu une délicatesse particulière en Italie, où il est encore représenté par les cathédrales de Parme, de Lucques, de Mo­dène, de Pise, de Gênes, de Plaisance, de Ferrare, St-Michel de Pavie, St-Miniato de Florence, St-Zénon de Vérone, St-Ambroise de Milan en partie, le campanile de Pise, les baptistères de Parme et de Florence.

C'est que les Xe, XIe et XIIe siècles étaient à Rome des siècles de fer, pendant lesquels la féodalité et le peuple divisaient et ensanglantaient la Ville par leurs querelles. Les Papes se retiraient alors souvent à Viterbe 95 et leur influence se rattache au développement de la cultu­re intellectuelle et de l'art en Toscane et en Ombrie.

Rome a cependant quelques spécimens de l'époque romane et en par­ticulier des sculptures et mosaïques de Fecole des Marmorari, de Vassa­letti (Vassalletto), des Cosmas de Torriti: les cloîtres de St Paul, de St­-Jean, de St-Laurent, quelques tombeaux des Cosmati et de nombreux campaniles, ceux de Ste-Marie in Cosmedin, des Saints-Jean-et-Paul, de Ste-Pudentienne, etc.

L'art ogival, qui a été si fécond dans tout l'occident de l'Europe, n'a presque pas laissé de traces non plus à Rome. Il a cependant donné à l'Italie les cathédrales d'Orvieto, de Florence, de Milan, de Sienne, les églises d'Assise et tant de gracieux palais à Venise.

A Rome, il n'a été qu'un art 96 d'exportation étrangère. Les domi­nicains et franciscains du nord ont bâti dans ce style l'église de Ste-­Marie-sur-Minerve et celle de St-François à Ripa. Celle-ci a été depuis entièrement défigurée. Quelques tombeaux des Cosimati et les ciborium de St-Paul, de St Jean et de Ste-Cécile sont dans le style ogival toscan… et c'est tout.

Les baldaquins de St-Paul et de Ste-Cécile, la statue de Charles d'An­jou, le monument de Boniface VIII sont attribués à Arnolfo di Cambio, l'architecte de Ste-Marie del Fiore de Florence.

Les sculptures du baldaquin de St-Paul et l'autel élevé par le cardinal d'Alençon à Ste-Marie du Transtevere sont attribués à Nicolas de Pise et à ses élèves.

Ière Renaissance: Quattrocento. 97.

Au retour du Concile de Constance, la papauté entre dans le courant de l'humanisme qui doit donner à Rome une grande gloire artistique, mais qui doit aussi l'entraîner aux excès du neo-paganisme. Il y a d'abord un siècle de renaissance modérée, ce qu'on appelle le quattrocen­to, de 1419, à 1503, sous les pontificats de Martin V, Eugène IV, Nicolas V, Paul II, Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI.

Rome n'a que des architects de second ordre, comme Baccio Pontelli, Meo del Caprino, Jean Dolci, Jacques Pietrasanta, Giuliano da Majano. Ils lui font des églises pieuses et gracieuses: Ste-Marie-du-Peuple, Ste­-Marie-de-la-Paix. St-Pierre in Montorio, Ste-Marie de l'Anima, San Mar­co, St-Augustin17), les façades des SS-Apôtres et de St-Pierre-aux-liens.

Les grands maîtres de la sculpture en Italie pendant ce siècle sont 98 Donatello, Ghiberti, Della Robbia. Le premier seul vient à Rome et y laisse le ciborium de l'ancienne basilique de St-Pierre (au­jourd'hui à la sacrestie) et le tombeau de Crivelli à L'Ara Coeli. Filarete et Simon Ghini sculptent sous Eugène IV les portes de St-Pierre et le tombeau de Martin V. - Mino de Fièsole sculpte des tombeaux à la Mi­nerve et à Ste-Cécile. Sous Martin V, Masaccio peint la chapelle de la Passion à St-Clément. Sous Nicolas V, Rossellini construit l'église St­Jacques-des-Espagnols et fra Angelico peint la Chapelle de S-Laurent au Vatican. Paul II fait élever le palais de Venise et le palais Capranica dans un style qui n'a rien de romain.

Mais c'est dans la seconde partie du siècle qu'affluent les artistes to­scans et que se prépare la grande renaissance.

Sixte IV surtout est grand constructeur. Il a pour architectes Giuliano da Majano, Baccio Pontelli, Sangallo. - Léonard de Vinci a déjà peint la Ma­donne de S. Onofrio 99 . Signorelli, Botticelli, Ghirlandajo, Perugin déco­rent la chapelle Sixtine. - Sansovino sculpte la Madonne de S-Augustin et les tombeaux des cardinaux Sforza et Basso à Ste-Marie-du-Peuple. Michel-Ange donne sa Pietà.

La Renaissance a son apogée au XVIe siècle. Jules II et Léon X en­vient la gloire de Périclès. Ils font exécuter des œuvres merveilleuses, mais l'esprit chrétien n'anime plus les artistes. On recherche la beauté plastique, la pureté des formes, l'exactitude anatomique. L'art excite l'admiration, il ne fait plus prier.

Trois noms dominent ce grand siècle: Bramante, Michel-Ange, Ra­phaël.

Bramante: travaille au plan de St-Pierre, il bâtit le palais Giraud et la Chancellerie, le tempietto du Janicule, le cloître de la Pace, le cortile du Belvedere, St-Laurent in Damaso, le campanile de l'Anima, les loges de St-Damase. 100 Il est toujours sobre, harmonieux, gracieux.

Michel Ange a déjà donné sa Pietà, il travaille au tombeau de Jules II, il sculpte le Christ de la Minerve, il peint la chapelle Sixtine et la flagella­tion à S. Pietro in Montorio.

Raphaël peint les chambres, les loges, les Arazzi, les sibilles à Ste-Marie­de la Paix, l'Isaïe à S-Augustin, la fable de Psyché et la Galathée à la Farnesina, les portraits de Navagero et Beazano (palais Doria), d'autres tableaux qui sont restés à Rome: La Madonne de Foligno, la Transfigu­ration, la Fornarina (Pal. Barberini), le Violoniste (Pal. Sciarra). Com­me architecte, il bâtissait la villa Madama et la chapelle Chigi à Ste-­Marie-du-Peuple.

C'est l'époque des grands enthousiasmes pour l'art, l'époque où le Lao­coon fut conduit en triomphe (1506) des thermes de Titus au Vatican. A côté de Michel-Ange et de Raphaël travaillent d'autres artistes dont le nom est également connu de tous: 101 Peruzzi construisait le palais Massimo et la Farnesina. Sansovino: St-Jean-des-Florentins, St-Marcel, St Jacques-de-Monserrat, le palais Amici. Giuliano de Sangallo: la façade de l'Anima, la Madonne de Loreto, les plafonds de Ste-Marie-Majeure. Antonio de Sangallo: Ste-Marie-de-Monserrat et la villa Madama (avec Raphaël). Palladio: l'autel de la chapelle à l'hospice du St-Esprit. Benve­nuto Cellini: les chandeliers de S-Pierre et divers objets réunis à la biblio­thèque du Vatican. Sodoma: peintures à la Farnesina.

Les élèves de Raphaël, Jules Romain, Caravage, Jean d'Udine, tra­vaillaient sous ses ordres et continuaient ses œuvres.

Ce fut certainement une époque brillante, mais je préfère a toutes ces œuvres, au point de vue païen le Parthénon d'Athènes et au point de vue chrétien la cathédrale de Reims. 102

Après le sac de Rome par le connétable de Bourbon, deux écoles se partagent les faveurs de l'opinion, celle de Michel-Ange et celle de Ra­phaël.

1527-1585.

I. Imitateurs de Michel-Ange.

Ant. de Sangallo: Palais Farnèse et Sacchetti. Peruzzi: Palais Linotte, casino du Pape Jules. Jacques della Porta: Sapienza, Ste-Catherine des Funari, palais Chigi. Daniel de Volterre: Déposition de croix. Vasari: peintures à la salle royale.

Œuvres secondaires:

Ammanati: Collegio romano, Palais Ruspoli. Pirro Ligorio: Palais Lancellotti. Annibale Lippi: Villa Medicis 103. Dans cette période, Michel-Ange continue St-Pierre; il fait construire la place et l'escalier du Capitole (1536), l'église de la Madonna degli Angeli (1561).

Deux artistes méritent une mention à part, ils essaient de revenir à la pu­reté de l'ancien art romain de la bonne époque, c'est Vignole et Palladio. L'œuvre capitale de Vignole est le Gesù, église adaptée aux besoin des jésuites, sans choeur, avec une large nef, une coupole sans hauteur. Rome n'a de Palladio qu'un autel à la chapelle de l'hôpital du St­-Esprit.

II. Les imitateurs de Raphaël furent d'abord Jules Romain, Pierino del Vaga, Raffaellino del Colle, Jean d'Udine, et à la génération suivante: Sermoneta, Pomarancio, le cavalier d'Arpino, Zuccheri.

Le tort de cette école est d'avoir fait 104 vite, en copiant plus au moins les maîtres et sans s'inspirer aux sources vives de l'art, la nature, la noblesse des sentiments et la foi. On a recherché plutôt l'effet superficiel.

De Sixte V à Urbain VIII - 1585-1623. Cette époque a encore de la grandeur, mais elle n'a plus le souci de la pureté et de l'harmonie des formes. Les deux principaux maîtres de cette période furent Maderna et Fontana. Sixte V, un grand bâtisseur, se servit surtout de Fontana. Voi­ci d'ailleurs les principales œuvres de ce demi-siècle.

Jacques della Porta: S. Louis-des-Français, Villa Aldobrandini à Fra­scati. Mascherini: St-Sauveur in Lauro, Ste-Marie della Scala. Flaminio Ponzio: palais Sciarra, chap. Borghèse à Ste-Marie-Majeure, Palais Rospigliosi 105. Martino Longhi: Chiesa Nuova, Consolazione, St. Carlo al Corso, St. Girolamo degli Schiavoni, Palais Borghèse. Carlo Maderna: Nef de St-Pierre, façade de St-Pierre. St Jacques-des­Incurables. Palais Chigi, Coupole et choeur de St-André, Palais Mattei. Carlo Lombardi: Ste-Francesca Romana. Paolo Olivieri: St-André del­la Valle, Autel du St Sacrement à S-Jean. Dominique Fontana: Palais du Quirinal, Palais de Latran, façade latérale à St Jean, Bibliothéque Vaticane, Palais du Pape au Vatican. Giovanni Guerra: St-André delle Fratte. Francesco Rosati: S. Carlo ai Catinari 106.

Il y avait à la même époque une belle école de peinture qui avait sur­tout son centre à Bologne. Citons les Carrache, le Dominiquin, le Gui­de, l'Albane, le Guerchin, Caravage, Lanfranc.

Au XVIIIe siècle, l'esprit des artistes incline généralement au bizarre et au barroque. On recherche surtout l'effet, le nouveau, l'extraordinaire. Les lignes architecturales sont étrangement contournées. Cette période a cepen­dant un homme d'un génie supérieur, c'est le Bernin. Il est modéré dans ses débuts et tombe ensuite dans le bizarre et l'exagération. Rappelons quelques unes de ses œuvres et de celles de ses contemporains.

Bernin: David, à la ville Borghèse, Apollon et Daphné, à la ville Bor­ghèse, Rapt de Proserpine (Ludovisi), Ste-Bibiane, Ste-Thérèse 107, monuments de Urbain VIII et d'Alexandre VII, Colonnade de St­Pierre, Baldaquin de St-Pierre, Chaire de St-Pierre, façade centrale Bar­berini, fontaine de Piazza Navona, fontaine di Piazza di Spagna.

Borromini: Façade de Ste-Agnès, Façade de Chiesa Nuova, Nef de St Jean, façade latérale de la Propagande, Coupole de la Sapience, Campanile de St-André delle Fratte.

Pierre de Cortona: Palais Doria, façade della Pace, St-Luc, St-Martin aux monts, Ste-Marie in Via lata. Rainaldi: façade de St-André della Valle, façade postérieure de Ste-Marie-Majeure 108, Ste-Marie in Monte sancto, Ste-Marie dei Miracoli, façade del Gesù e Maria, Ste­Marie in Campitelli, Palais Pamphili.

Ant. de Rossi: St-Sylvestre in Capite, St-Roch, Palais Altieri, Palais Colonna, Palais Bonaparte.

Valvassori: Palais Doria sur le Corso.

Carlo Fontana: Palais Torlonia, Palais Giustiniani.

J. B. Soria: façade de St-Charles ai Catinari, Ste-Catherine de Sienne. Algardi: Villa Pamphili.

Comme sculpteurs, cette période a l'Algardi (bas-relief d'Attila, Ste­Agnès à la place Navona, la déposition à St-Luc); Duquesnoy (Ste­Suzanne à la Madonne di Loreto, St-André à St-Pierre).

Comme peintres, il y a le Guerchin 109, Michel-Ange Caravage, An­drea Sacchi, Francesco Mola, le Baciccio (Voûte du Gesù) Pierre de Corto­na (voûte du palais Barberini) et le fameux P. Pozzi (voûte de S-Ignace).

A cette époque, plusieurs peintres étrangers séjournèrent à Rome: Carlo Dolci, de Toscane; Ribera et Salvator Rosa, de Naples; Sassofer­rato, de l'Ombrie (dévotion sentimentale); Rubens (à la Chiesa nuova, au Capitole: Romulus et Remus); Claude Lorrain; Nicolas Poussin (précurseur de David et du classicisme); Velasquez; Van Dyck.

Alessandro Galilei: façade de St Jean, façade de St-Jean-des Floren­tins, chapelle Corsini. Ferdinando Fuga: façade de Ste-Marie-Majeure, St-Apollinaire, La Consulta, palais Corsini. Nicolà Salvi: Fontaine de Trevi 110. Houdon: S-Bruno.

Il y eut alors un retour au classicisme aidé par les livres de Winckelman. Raphaël Mengs était au pinacle (Parnasse à la villa Albani, voûte de St-Eusebe, cabinet des médailles au Vatican, portrait de sa fille à la gale­rie Barberini, etc.). Batoni (Simon le magicien à la Madonna degli An­geli, crèche à la galerie Corsini); Agostino Penna (statue de Pie VI à la sacristie de St-Pierre, monument Chigi à Ste-Marie-du-Peuple); Lebrun (Judith à St-Charles au Corso); Canova; Thorwaldsen.

Le style empire a donné à Rome les architectes Valadier (Place du Peu­ple, Pincio, façade de St-Roch); Camporese (hôpital St Jacques, Portique di Piazza Colonna); Raphaël Stern (Braccio nuovo); Canina (entrée de la villa Borghèse); en peinture, Camuccini (villa Borghèse, St-Paul).

Vint ensuite l'école romantique avec Tenerani (Psyché, Vulcain, Flo­re, déposition, monument de Pie VIII, Bolivar, etc.); Minardi; Bianchi­ni; Owerbeck 111.

Parmi les contemporains, citons Vespignani (restaurations diverses); Amici: monument de Grégoire XVI. Jacometti: Baiser de judas. Podesti: peintures à St-Laurent, salle de l'Im. Conc. Gagliardi: Fresques de St­Augustin, St-Jérôme-des-Esclaves. Mariani: Ste-Marie in Aquiro. Fra­cassini: St-Laurent, Martyrs de Gorcum. Maccari: fresques au Sénat.

Seitz (allemand), a de jolies peintures surtout à Lorette. Il a peint aus­si la bibliothèque du Vatican et la voûte de l'Anima.

Cornelius, Veit et Fürich ont contribué avec Owerbeck à réveiller à Rome l'art de la peinture. Ils ont travaillé à la casa Bartholdy et à la Vil­la Massimo.

Mariani et Fracassini ont inauguré l'école réaliste 112. L'architecture contemporaine a donné les églises du S. Cœur (Salé­siens), de St Joachin, de Pompéi, de Campocavallo, etc. Les deux pre­mières sont des essais heureux de basiliques modernisées avec une gran­de part donnée au décor.

Au total, l'art italien dans ce siècle a été assez pauvre. Il se relève un peu et s'inspire des écoles Allemandes et Françaises. Le grand mouve­ment artistique en ce siècle a été surtout sensible à Munich, à Paris, à Berlin, à Dusseldorf. Athènes aussi a produit de belles œuvres sous l'im­pulsion du roi Louis de Bavièrel18). L'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas, autrefois si féconds sont restés en arrière.

L'Italie a cependant le premier rang pour ses monuments funèbres. Gênes, Milan, Messine, Turin, Rome ont des cimetières monumentaux d'une grande richesse. Le grand art y est rare, mais les 113 monu­ments expressifs, gracieux, réalistes y abondent.

Le musée d'art moderne à Rome a des œuvres gracieuses, agréables. Il y a du coloris, du réalisme, peu de grands sentiments. Citons: en sculpture: Secchi: Modèle au repos, Sommeil de l'enfant; Ximénès: Scolari di cuore. Norfini: Inondation; Maccagnani: Enfant baigneur. En peinture: Podesti: Le Templier. Fracassini: St. Etienne. Franceschi: Fossor. Camuccini: Mort de César, Mort de Virginie. Nono: Enfant en prière. Favretto: Après le bain, etc. 114. Faccioli: Un voyage triste (malades). Faruffini: jeune fille flottant sur le Nil. Michetti: le Voeu: Napolitains se traînant devant une châsse. Ciseri: Ecce homo. Camino: Paysage. Faure: Basilique St-­Laurent, Colysée, etc. Patini: vanga e latte (bêche et lait), travailleurs, l'erede, l'enfant du pauvre. Beccaria: In Val Sesia (paysage). Bartolini: fu­nérailles de St. François. Tommasi. Gli emigranti, Le siflet du vapeur. Fel­di: Dio li accompagni: départ. Vanni: Peste de Sienne. Sciuti: Restauratio aerarii (le fisc reçoit des dons). Mariani: Vapeur remorqué. Cammerano: Bataille de St. Martino 115. Delleani: Ombre secolari, pare, Alto bielle­se, paysage. Piatti: Mort de César. Castelli: Le dieu Pan: paysage. Massi­mo d'Azeglio: un bois avec un brigand au guet. Mion: Les vêpres à St­Marc. Calderini: Tristesse de l'hiver: paysage. De Nittis: Courses au bois de Boulogne. Celentano: Le Tasse à Bisaccio.

En face de ces œuvres qui annoncent un réveil et qui ne s'élèvent guè­re aux grands genres, les grandes écoles d'Allemagne et de France me paraissent garder une supériorité incontestée en ce siècle.

L'Allemagne a Schwanthaler, de Klenze, Rauch, Kaulbach, Corne­lius, Führich, Schadow, Bendemann, Owerbeck, Schnorr, etc.

La France a David d'Angers, Rude, Carpeaux, Chapu, Falguière, Dubois, St-Marceaux 116. En peinture, elle a David, Ingres, Scheffer, Delacroix, les Vernet, les Flandrin, Delaroche, Millet, Corot, Meisson­nier, Breton, Detaille…

En considérant ces périodes successives et ces arts divers, je constate que l'art en chacune de ces périodes arrive vite à son apogée. Il en fut ainsi de l'art grec, de l'art ogival, de la renaissance. Mais le style des grands maîtres descend bientôt en genre. On copie les maîtres au lieu de s'inspirer aux sources de l'art. On les copie froidement, souvent sans lo­gique et trop vite. L'art baisse. Le genre descend au maniérisme et à la fantaisie. L'art grec est celui qui a gardé le plus longtemps sa correction classique. Les Grecs paraissent avoir excellé surtout dans la sculpture, le moyen-âge dans l'architecture et la renaissance dans la peinture 117. Les artistes chrétiens songeaient surtout à faire grande et belle la maison de Dieu et à lui donner le cachet mystique qui porte à le prière. La modestie les éloignait de la sculpture du nu.

Notre siècle sceptique n'est plus apte aux grands styles. La culture in­tellectuelle y est trop divisée pour qu'il y ait un style unique. Nous som­mes nécessairement éclectiques. Des initiatives nombreuses créent de petites écoles. Dans l'art comme dans la littérature, nous étudions toutes les époques, tous les styles, tous les genres. L'unité se refera-t-elle? Ce n'est guère probable. C'est fini de la simplicité et de l'unité de vues… à moins que Dieu ne change la face des choses.

Le 17, grande fête musicale. Le compositeur Perosi, jeune abbé véni­tien, fait jouer, à l'église des Saints-Apôtres, son Oratorio de la Mort et de la Résurrection 118 du Christ. Il y a grand enthousiasme, l'église est comble, les premières places se paient 15 francs, c'est beaucoup pour Rome. Il y a des choeurs, des soli et des partitions musicales. Les instru­ments à cordes dominent. Les gémissements de Madeleine et des Saintes Femmes me font pleurer. L'Alleluia nous fait tressaillir. Perosi est ap­plaudi. On le compare à Beethoven, à Mozart, à Bach, à Haydn, à Che­rubini, à Palestrina. C'est surtout de Bach, parait-il, qu'il dérive. Il a su unir l'harmonie savante de l'Allemagne à la mélodie italienne. Le Pape le nomme directeur de la chapelle pontificale.

L'art chrétien trouve encore un écho dans notre société si divisée. Il serait temps qu'on bannit du culte en Italie la musique d'opéra.

Nous avions plusieurs ordinands le 18 à St-Jean-de-Latran. C'est le 119 jour anniversaire de mon sacerdoce. J'y reçois chaque année de nouvelles grâces. Cela dépend d'ailleurs de mes dispositions. Je me re­proche vivement d'avoir été trop peu généreux ces dernières années.

Nous allons après Noël en excursion à Albano, à Monte Cavo, à Ne­mi. Quelle belle vue on a de la terrasse des capucins d'Albano, sur le lac et toute la région. Souvent les religieux se sont appliqués ainsi à donner à leurs couvent un bel horizon. Cela aide à l'épanouissement de l'âme et à la contemplation. Combien je regretterais d'être obligé de prendre un appartement vulgaire dans les rues de Rome!

Mois de visites et de correspondance. Tout n'est pas perdu en vaines politesses, je puis exercer là un certain apostolat et faire quelque bien. Des difficultés intérieures à la maison de Louvain viennent me causer de la peine.

Je commence à recueillir des lettres épiscopales pour notre approbation. Elles viennent en grand ­nombre. Beaucoup sont extrêmement bienveillantes. Cependant tout n'est pas fait. L'approbation viendra quand il plaira à Dieu.

Je fais quelques recherches pour l'origine de ma famille. C'est, je crois, une curiosité qui n'a rien de blamable. Nous sommes certainement originai­res de la petite paroisse, terre 122 ou seigneurie de Hon, Hon-Hargies, Tesnières sur Hon près Bavay, où il y a encore des familles du même nom.

Les renseignements que j'ai pu trouver me sont venus par M. Dehaisne, archiviste à Lille et par M. Poncelet, archiviste à Mons. On pourrait faire encore des recherches aux archives de Mons et à l'état-civil de Mons.

Hon est un mot celtique, qui veut dire cours d'eau, comme Haine, Hun, Ona. Le Hon est une petite rivière, affluent de l'Escaut.

Hon était une station romaine près de Bavai. On y trouve des ruines ro­maines. Hon a une certaine célébrité au IXe siècle. Waldrade, concubine de Lothaire II roi de Lorraine, habite alors son château. Elle en a un fils nommé Hugues, qui devient abbé de Lobbes. A la demande de Waldrade, Lothaire II donne la terre de 123 Hon à l'abbaye de Lobbes en 862.

Le nom de Hon avec diverses orthographes (Huoi en 1150, Hum en 1185, Hon en 1186) apparaît souvent dans les annales de l'abbaye de Lob­bes, soit dans le recueil de Miroeus, soit dans les Annales du Hainaut de Jacques de Guise, soit dans l'ouvrage de Duvivier: le Hainaut ancien.

Les seigneurs de Hon sont cités plusieurs fois par Miroeus et Duvivier comme bienfaiteurs de l'abbaye de Lobbes aux XIe, XIIe, XIIIe siècle.

Aux XIVe et XVe siècles, on les trouve à Mons comme échevins de la ci­té et comme seigneurs de la cour.

Parmi les armoiries des chefs échevins de la ville de Mons, de 1371 à 1629, publiées dans le tome XX des Annales du Cercle archéologique de Mons, d'après le ms (manuscrit) 371 de la bibliothèque publique de cet­te ville et le ms (manuscrit) 157 du fonds Goethels à la bibliothèque roya­le de Bruxelles 124, se trouve le blason de Jean de Hon, chef échevin de Mons en 1396, il portait d'or à trois merlettes de sable.

immagini1

L'ouvrage intitulé: Sceaux armoriés des Pays-Bas, par J. Ch. de Raadt, donne la description des sceaux suivants:

Jehan de Hon, homme du Comte de Namur, 1379: trois oiseaux, ac­compagnés au point du chef d'une étoile à cinq rais. Un homme sauvage agenouillé tient l'écu sur l'épaule gauche (Chartes des Comtes de Na­mur à Bruxelles n. 1128-9).

Jehan de Hon, homme de fief du Hainaut et de la cour de Mons 1466: trois oiseaux cimier: on voit une partie d'un vol. (Archives de l'Etat à Mons. Chapitre Sainte Wandru Quévy 41-50)19) 125.

Les merlettes sont des armoiries qui marquent les voyages d'outre-mer, parce que ce sont des oiseaux qui passent les mers tous les ans. On les a représentées sans bec et sans pieds pour marquer sous ce symbole les bles­sures qu'on avait reçues en ces voyages entrepris contre les infidèles. Le chef avec l'étoile, le cimier avec le vol, le support sont des supplé­ments concédés par les suzerains après des actions d'éclat.

Les de Hon allèrent donc aux croisades. Rien d'étonnant puisqu'ils sont seigneurs de la cour de Hainaut et de la cour de Namur et on sait que les Comtes de Hainaut et de Namur étaient de vaillants croisés dès le temps de Godefroy de Bouillon. Ils emmenaient sûrement les sei­gneurs de leur cour.

Hon avec le Hainaut méridional est conquis par Louis XIV et cédé à la France par la paix des Pyrénées en 1559 126. Les de Hon qui y avaient leurs terres durent être ruinés par la guerre. On ne les trouve plus ensuite à la cour de Hainaut. Ils ne sont plus Hennuyers, ils sont français par leur pays d'origine.

Nous trouvons les de Hon quelques années après à la paroisse de Do­rengt près Guise: Louis de Hon, meurt en 1674. Ils sont simples rece­veurs ou administrateurs de la seigneurie de Ribeaufontaine. Ils ont leur sépulture dans l'église. Ils s'allient aux bonnes familles de la région, les de Viefville, des Essarts, les de la Tombelle, les Remy d'Audreville.

Le prénom de Jean est traditionnel dans la famille. Nous avons trouvé Louis de Hon à Dorengt. Son fils Jean de Hon épouse Jeanne Preud'hommeart. Son petit fils Jean de Hon épouse Elisabeth Boucquet à la Capelle. C'est là que la particule se perd 127. Adrien Joseph, fils de Jean de Hon (1733-1823) se laisse appeler Dehon à la Révolution. Son fils est Louis Hippolyte Dehon (1781-1862). Son petit-fils est Jules Alexandre Dehon, mon père (1814-1882). La noblesse d'origine n'est rien. Ce qui importe, c'est de servir Dieu et de sauver son âme.

Une lettre du P. Gabriel m'annonce la mort du f. Bonaventure. Le bon frère est parti pour le ciel la veille de l'Immaculée Conception, le 7 décembre20). C'était un religieux modèle. Il était plein de foi et d'une grande égalité d'âme, toujours laborieux et très dévoué. C'est une gran­de perte pour la mission, mais bientôt il pourra l'aider au ciel par ses prières. Cela fait déjà une douzaine de religieux qui sont là-haut 128.

J'ai bien l'expression de deux Rome sous mes fenêtres21). J'entrevois les grandes ruines du Colysée, des Thermes, des arcs de triomphe, des temples des empereurs, des monuments honorifiques: monuments du plaisir passionnel et brutal, de la colère, de l'orgueil, de la vanité.

Sur ces ruines je vois surgir les vieilles églises et basiliques, qui dans cette région sont presque toutes des diaconies. C'était le service des pauvres dans l'humilité et la charité qui succédait aux moeurs païennes. Les esclaves et prisonniers avaient été employés aux travaux publics, livrés aux bêtes de l'amphithéâtre, traînés derrière les triomphateurs; les pauvres, les orphe­lins, les vieillards étaient secourus par les diaconies qui s'élevaient à la place et souvent dans les ruines des temples et des édifices publics.

Les plus anciennes diaconies étaient toutes dans la région du forum 129. On compte seize églises qui ont gardé le titre de diaconies. Je les cite: St-Adrien, SS.-Côme-et-Damien, St-Georges-au-Vélabre, Ste-Marie in Cosmedin, Ste-Marie in Domnica, St-Nicolas in Carcere, Ste-Marie in Portico, Ste-Agathe à la Suburre, Ste-Marie in Via lata, St-Césaire in Palatio, St-Ange in Pescheria, St-Eustache, Ste-Marie ad Martyres, Ste-Marie in Aquiro, St-Vit, Ste-Marie della Scala.

La dernière seule s'éloigne notablement du forum. Elle est au Tran­stevère. Elle est postérieure aux autres 130.

Une autre étude intéressante est celle de la vie religieuse à Rome. La plupart des instituts religieux y sont représentés. Leur liste donne une grande idée de la fécondité de l'Eglise pour la vie contemplative, la vie d'étude, l'apostolat, la vie hospitalière, les missions, les œuvres populai­res. J'essaie un classement qui sera fort incomplet.

Augustins: église St-Augustin, Ste-Marie-du-Peuple.

Basiliens: Via del Colosseo, Vallicella.

Bénédictins: St-Anselmo, St-Paul, St-Callixte, St-Ambroise.

Ermites de St-Augustin: Via St-Uffizio, Via Sistina, Gesù et Maria in Corso 131.

Ermites de St Jérôme: St-Onuphre.

Chan. de St-Jean: St-Pierre in Vincoli, Ste-Agnès.

Chan. de Prémontré: Monte Tarpeo.

Maronites Alepins: Piazza S. Pietro in Vincoli.

Méchitaristes grecs: St-Joseph capo le Case, Via Giulia.

Arméniens: St-Nicolas di Tolentino.

Cisterciens (St-Bernard): St-Bernard, Ste-Croix.

Trappistes: Via S. Giovanni - Catacombes, Trois Fontaines Camaldu­les (St-Romuald): St-Grégoire, SS.-Anges al Tritone.

Olivetains (St-Bernard Tolomei): Ste-Françoise romaine.

Chartreux (St-Bruno): Via Palestro.

Vallombrose (St Jean Gualbert): Ste-Praxède 132.

Sylvestrins: St-Etienne sopra Cacco.

Franciscains: St-Antonio, Ara Coeli, S. Bonaventura, S. Francesco a Ripa, St-Laurent in Lucina, St-Sébastien, St-Isidore, St-Barthélemy, St-Pierre in Montorio.

Conventuels: XII-Apôtres, Via S. Téodoro, Ste-Anastasie, Ste-Prisque.

Capucins: Via Boncompagni, Imm. Conception, St-Laurent.

Tertiaires réguliers: SS.-Côme-et-Damien, St Jean-Porte-Latine 133.

Dominicains: Via S. Sebastiano, Minerve, St-Clément, Ste-Sabine, Ro­saire.

Carmes: Corso d'Italia, Ste-Maria Traspontina, St-Martin, St-Pan­crace.

Servites: St-Marcel, Ste-Marie in Via.

Ordre de la Pénitence (scalzetti): Porta angelica.

Minimes: St-André delle fratte, St-Fr.-de-Paule, Ste-Marie-des-Anges.

Passionistes: SS.-Jean-et-Paul, Scala Santa.

Chevaliers de Malte: Aventin, Via Pinciana 134.

Trinitaires: St-Chrysogone, St-Charles aux 4 fontaines, St-Thomas in formis.

Mercédaires: St-Adrien.

Jésuites: Gesù, St-Ignace, St-André-au-Quirinal, St-Eusèbe, Caravita.

Clercs réguliers mineurs: St-Laurent in Lucina, Ste-Balbine, St-Vital.

Oratoriens: Chiesa nuova.

Barnabites: St-Charles ai Catinari.

Somasques: St Jérôme-de-la-charité, St-Alexis, Ste-Marie in Aqui­ro 135.

Théatins: St-André della Valle.

Clercs réguliers de la Mère de Dieu: Ste-Marie in Portico.

Lazaristes: La Missione, St-Nicolas in Tolentino.

Maristes: Via Goito.

Rédemptoristes: St-Alphonse, St-Joachim.

Sulpiciens: Quattro fontane.

Miss. du Précieux Sang: Chiesa dei Crociferi.

St Jean de Dieu: Ile St-Barthelemy.

Camilliens: Via Lazio, Ste-Madeleine, SS.-Vincent-et-Anastase.

Hosp. de l'Imm. Conception: Piazza Mastaï.

Sculopie (St-Calasant): Via Toscana, St-Pantaléon.

Doctrinaires: Ste-Marie in Monticelli.

Pallottini: St-Sylvestre à Capite.

Pii operai: Via Lungara 136.

Salésiens (don Bosco): S.-Cœur.

Marianistes: Viale Manzoni.

Frères des écoles (de la Salle): St-Sébastien, Piazza Poli?

Institut de la charité: Via Alessandrina.

Frères de la charité: Via Manzoni.

Frères de la miséricorde: Piazza Pia.

Petits frères de Marie: Via Montebello.

Pères du S. Sacrement: St-Claude.

Prêtres du S.-Cœur: …

Pères de Lourdes: St-Benoît Labre.

Pères de la Salette: St-Yves?

Eudistes: St-Jean-de-Latran.

Cong. des SS.-Cœurs: Via in publicolis.

Missionnaires d'Issoudun: N.-D. du S.-Cœur.

Missionnaires du Cœur Imm. de Marie: Via Giulia.

Oblats de Marie: Via Serpenti.

Missions étrangères: Ste-Suzanne 137.

Pères du St-Esprit: Sta Chiara.

Pères Blancs: Via artisti.

Pères de Ste Croix: Via Capuccini.

Résurrectionistes: Via S. Sebastiano.

Salvatoristes: Via Borgo vecchio.

Paulistes: (Amérique) - Scheutt: (Belgique) - Steilh: (Hollande).

Assomptionistes: Ara Coeli.

Frères de St-Vincent-de-Paul: St-Paul: (Suisse)

Missionnaires du travail: (Tarbes)

Missionnaires du travail: Liège.

J'en omets certainement beaucoup, et il y aurait un tableau paral­lèle 138 à faire pour les œuvres de femmes.

Comme la fécondité de l'Eglise est merveilleuse! Et tout ce plan n'a pas été conçu à priori. Les œuvres surgissent suivant les besoins et elles produisent cet ensemble harmonieux.

J'ai revu encore le bon Saint-Père à l'audience de la Chandeleur. C'est toujours impressionnant de voir défiler tous les supérieurs des in­stituts religieux, qui représentent tant d'œuvres de prière, d'enseigne­ment, de charité. J'ai demandé au Saint-Père une bénédiction pour nos œuvres et pour les œuvres de M. Harmel. Ce nom réveille toujours son attention.

Le 3, je vis le cardinal Rampolla et lui parlai des affaires de France, de la fédération des catholiques, de la brouille qui existait entre M. Lamy et les Pères de l'Assomption22). Il déplore les divisions, mais il n'y trouve pas de remède 139.

Le 8, je conduis nos jeunes gens à Ostie. Nous relisons encore dans St. Augustin le récit touchant de la mort de sa mère. Je revins par Porto, le vieux port romain du temps de Trajan. Aujourd'hui le vieux port est un marais malsain. Le prince Torlonia a là un palais qui ne lui sert que pour la chasse des oiseaux aquatiques. Il y a une ferme où vivent quel­ques ouvriers au teint jauni par la fièvre. C'est toute la ville, et Porto qui ne compte pas 30 habitants a deux grandes églises, sa cathédrale de Ste­-Rufine et sa basilique de St-Hippolyte. Ostie et Porto, deux évêchés! Rome a bien le culte des souvenirs.

Le 10, en allant au bain, je glissai dans une baignoire de marbre et je me fendis deux côtes. De là un mois de souffrances que je m'efforçai d'ac­cepter en esprit d'expiation. Un mois sans me 140 mettre au lit, je dor­mais dans un fauteuil, sanglé dans une cuirasse de plâtre. Les moindres mouvements me faisaient bien souffrir. Cependant, je n'omis la messe qu'une fois. Ceux qui m'entouraient furent très charitables pour moi. Au bout de quelques jours je pus sortir un peu en marchant doucement. Je lus quelques volumes, notamment sur Rome et sur l'Italie.

M. Harmel arriva le 15 et passa 15 jours avec nous. Je ne pus guère l'accompagner dans ses visites. Je lui écrivis ses «Entrevues avec St­-Pierre et St-Paul» pour ses lettres circulaires.

Il nous fit le 24 une. conférence chez les Pères de l'Assomption sur l'initiative et la responsabilité dans les œuvres. Quatre cardinaux y assi­staient.

Le 25 il me conduisit à une audition de la Passion du Christ par Pero­si. L'oratorio de la Passion ne vaut pas celui 141 de la Résurrection. Il a cependant de bien beaux passages, comme les paroles du Christ, le Tolle, la mort. La Passion n'eut qu'une exécution et il y avait assez peu de monde. La salle était mal choisie et froide. C'était la salle du palais Umberto. Je crois que la société catholique ne va pas là volontiers.

Outre ma camisole de force j'avais aussi pendant ce mois quelques peines morales. Les négociations pour l'affaire de Tunis étaient toujours très pénibles23) et un pauvre garçon du nom de Merlier que nous avions élevé autrefois à Fayet, m'envoyait des convocations au tribunal de Montélimart pour avoir à lui faire des rentes sous prétexte que sa santé s'est altérée à Fayet! ! !

Je ne manquais pas de faire visite aux évêques français qui venaient à Rome. 142 Mgr de Verdun vint dîner avec nous24).

J'eus aussi à faire un travail pour l'Index.

Mois de travail: la Revue, mes notes, mes conférences, etc. Sollicitudes pour la révision de nos jeunes conscrits.

Mgr d'Armailhac invite toutes les semaines la colonie française ecclé­siastique à un thé. Je vois volontiers mes collègues des autres instituts français.

Je fais mes visites d'adieux aux cardinaux et aux communautés. Mon séjour de Rome est bien abrégé cette année. Je dois partir à la fin de mars pour aller marier ma nièce Marthe25) avec le comte de Bourbou­lon.

Je lis la «Vie intérieure» du P. Tissot, les révélations de N.-S. à Pau­line Périé et surtout la Doctrine spirituelle du P. 143 Lallemant26), dont je me sers pour les conférences aux jeunes gens, mais je n'arrive guère à secouer ma tiédeur.

Je fais la route tout d'un trait de Rome à Paris.

J'arrive le Ier avril à Paris. On me présente mon neveu et je fais la connaissance de sa famille.

Je revois Notre-Dame et la Madeleine. Quel contraste! Notre-Dame est une église toute pétrie de l'esprit chrétien. Tout y est symbolique. Tout y parle à l'âme. Je viens de lire justement «La cathédrale» de Huysmans qui aide si bien à comprendre le symbolisme chrétien et l'art du moyen-âge27).

Et puis Notre-Dame a tant de souvenirs historiques, depuis St. Louis et Philippe Auguste (ses) 144 jusqu'à nos évêques martyrs de ce siè­cle, en passant par les grands actes de consécration de la France à Marie par Louis XIV et par Louis XV.

La Madeleine est aussi un bel édifice. C'est une œuvre de talent plu­tôt qu'une œuvre d'art. L'architecte a emprunté sa colonnade à la Grè­ce et ses autels au Panthéon de Rome. Mais que vient faire cette colon­nade! Les Grecs priaient et sacrifiaient dehors, nous prions dans l'église et c'est dedans que l'art chrétien a mis dès le commencement ses colon­nades. Il y a à la Madeleine un arrangement habile de motifs empruntés à divers arts, il n'y a pas un édifice qui soit comme le vêtement naturel d'une conception pieuse. L'idée chrétienne était secondaire chez l'arti­ste, il voulait avant tout doter Paris d'un specimen plus ou moins réussi de l'art grec 145.

Je fis quelques bonnes visites à nos amis de Paris et puis je partis di­rectement pour Bruxelles où le P. Gabriel28) voulait me voir. Il croyait pouvoir s'embarquer prochainement pour le Congo, mais ce départ ne devait pas aller tout seul. Il fallait recruter des Pères, des Frères, des Soeurs, et cela devait durer plusieurs mois. J'allai aussi à Louvain visiter un de nos aimables bienfaiteurs, M. Thierry, professeur à l'Institut de Philosophie.

J'arrivai seulement le 6 à St-Quentin et pour peu de jours. J'allai de nouveau à Paris le 10, je devais bénir le mariage de ma nièce le 15. La cérémonie à Ste-Clotilde fut fort belle. Le prince Auguste de Saxe-Cobourg, frère du prince de Bulgarie était témoin. Le colonel Markoff, dans son beau costume national représentait le Prince.

Je rentrai le 17 à St-Quentin. Pour fêter mon retour, les en­fants 146 de St-Clément représentaient le 30 le drame de St-Louis en Egypte.

Je repassai à Paris dans les premiers jours de mai, je voulais me ren­seigner sur le courant des études contemporaines, l'américanisme, la nouvelle exégèse, pour envoyer des notes au Vatican par l'entremise de M. Harmel. Je vis en particulier le P. de la Barre, s. j., rédacteur aux Etudes et professeur à l'Institut catholique.

Nous passons par une crise de libéralisme. En philosophie: cartésiani­sme, évolutionnisme, teinte de scepticisme. En exégèse: critique large, abandon des traditions, tendance néo-protestante.

Les hommes qui se laissent gagner par ces travers sont cependant des hommes de piété et de science, comme les Sulpiciens: Levêque, Thon­sard, Cersoy, Mouret; l'abbé Martin, Mgr Batiffol29)147.

Plusieurs revues sont dans le même courant: la Revue biblique, la Re­vue du Clergé français, la Revue d'histoire et de littérature, la Quinzai­ne.

Le St-Siège sera renseigné et prendra les mesures qu'il jugera utiles.

Me trouvant à Paris, je visitai le salon de peinture. Je n'y vois pas d'œuvres absolument hors-ligne, mais un grand nombre d'œuvres de talent. L'école française est, je crois, celle qui possède actuellement le plus de vitalité.

J'aime à constater les courants principaux, les idéals contemporains. Les tableaux religieux reprennent crédit, ils forment presque un dixième du Salon. Il y en a de bons, comme la Mission des apôtres, d'Aubert; la multiplication 148 des pains de Douillard; le Christ sur la montagne de Debat; la translation de St. Julien à Brioude, par Delacroix; le reli­quaire, d'Emile Adan. Je regrette cependant de ne pas voir nos peintres religieux reprendre les traditions pré-raphaéliques, comme on le fait en Angleterre. On retrouverait là toute la grâce religieuse dans sa fraîcheur et sa pureté.

Jeanne d'Arc est toujours en faveur. Maillard la représente écoutant ses voix; Michel a peint sa dernière communion. L'idée sociale est tou­jours très vivante. Elle a inspiré entre autres, les tableaux suivants:

Labor, par Boggio. La soupe du carrier, Baton. La sortie des fosses, Paul Autin 149. Le chemineau, Adler. L'épargne repoussant la misè­re, Benoît-Barnet. Les communaux de Mont sur Monnet, Pointelin. Un blessé du travail, Da Molin. Le bon samaritain, Louvet. Les temps durs, Monchel. Les haleurs, Duvent. Un intérieur d'atelier, Charpen­tier. Le misereor super turbam, Douillard.

Les tableaux militaires diminuent. L'Algérie et l'Alsace sont oubliées. Il y a quelques bons tableaux d'histoire: les funérailles de César, Piotti. L'assassinat de Géta, Rochegrosse. Vercingétorix devant César, Roger. La sortie des S.-Quentinois en 1557, Tattegrain. Le soir de Rivoli, Marchand 150. Toulouse contre Montfort, J.-P. Laurens. Prise de la Bastille, Benoît Lévy. Napoléon à Brienne 1814, Chelminsky. Lasalle, le soir de Rivoli, Marchand. Ceux qui restent, retraite de Moreau, Sergent.

J'aime aussi à revoir les œuvres des maîtres en renom, de ceux qui font école: les portraits d'Henner et de Bonnat; les paysages calmes et soignés d'Harpignies; les scènes classiques et un peu froide de Bougue­reau; les tableaux du genre de Jules Breton, de Chocarne-Moreau; les tableaux d'histoire de J.-P. Laurens…

Jadis, au temps de la décentralisation, les écoles se partageaient par provinces. Aujourd'hui, elles sont toutes à Paris et se partagent par ateliers 151.

Comme sculptures, j'ai remarqué: le souvenir: Alsace-Lorraine, de Paul Dubois; La gloire et le Lafayette - Bartholdi; Le pardon - Ernest Dubois; La tendresse maternelle: Aug. Boucher; La Vierge par Saint­-Marceaux; Alain Chartier par Tony Noël. Bartholdi est toujours solen­nel. Boucher est gracieux. Saint-Marceaux rivalise avec les Florentins.

Le 18, première communion à St.-Jean. Bonne et pieuse cérémonie. Mais je deviens presque étranger à ce petit monde.

Deux congrès intéressants se tiennent pendant ce mois. Le congrès de la jeunesse catholique à Lyon traite de la liberté d'enseignement et le congrès Lamy à Paris traite de 152 la liberté d'association.

Je n'assiste pas à ces deux congrès, je suis obligé de compter avec mon temps et avec mes dépenses. Mais j'en lis les comptes-rendus avec beau­coup d'intérêt. Deux courants se font jour à Lyon. Beaucoup sont d'avis qu'il ne faut pas demander plus de liberté que nous n'en avons actuelle­ment. Nous aurons déjà assez de peine, disent-ils, à garder ce que nous avons. J'aime mieux l'autre opinion exposée avec fermeté par M. de Gail­hard - Bancel30). Il faut, dit-il, prendre l'offensive et demander la liberté complète, la liberté du diplôme et l'égalité des subventions. - Nous som­mes en retard sur la Belgique, sur l'Angleterre, sur les Etats-Unis. Et pour­quoi, en République 153, ne demanderions-nous pas la liberté vraie? S'il y avait un Montalembert à la Chambre, il aurait vite engagé la lutte.

Au Congrès Lamy, c'est le discours de M. Fonsegrive31) qui me sati­sfait le plus. On sent que M. Fonsegrive est un vrai philosophe et qu'il hante les scolastiques. Il rappelle simplement que l'association ne saurait être mauvaise et condamnable si elle a un but honnête, juste et conforme aux lois qui régissent la conscience. A-t-on le souci de cela chez nos légi­slateurs? Le parti dominant, le parti des Loges n'a qu'un 154 raisonnement, c'est que l'association est une force et qu'il faut détruire toute force qui ne tend pas à l'exaltation du parti. Nos députés catholi­ques ne sauront pas hélas! mettre cela assez vigoureusement en relief. Les conservateurs cherchent un sauveur, qu'ils se fassent eux-mêmes les sauveurs par l'étude de la philosophie et du droit naturel et chrétien et par la culture de la logique et de l'éloquence!

Le 9 juin, c'est la fête du Sacré-Cœur. Cérémonie chez nos Soeurs. Mgr32) préside. J'éprouve là plus de peines intimes que de joies.

Le 11 on fait dans toutes les paroisses et chapelles l'acte d'hommage demandé par le Pape33). C'est une grande date. Il y a des années que je travaille à populariser 155 cet acte d'hommage. C'est le but de notre petite Revue «Le Règne du S.-Cœur», qui a déjà dix ans d'existence. C'est le but de l'œuvre des Fastes eucharistiques de Paray-le-Monial34), à laquelle j'ai pris quelque part et dont on m'a déféré la présidence. Le baron de Sarachaga, l'apôtre de cette œuvre des Fastes eucharistiques a des originalités choquantes, mais en somme il a beaucoup aidé à réveil­ler l'idée du règne social de Jésus-Christ. Nos réunions de Paray ont un peu de retentissement en France, elles en ont eu beaucoup à l'étranger, en Italie, en Espagne, dans l'Amérique du Sud. Des adhésions innom­brables nous sont venues des évêques et des fidèles et cette propagande a sûrement attiré l'attention du Pape 156 et préparé le grand acte que nous accomplissons.

Je passe presque tout ce mois à visiter nos maisons. Je vais d'abord à Bruxelles, à Louvain et plus tard à Sittard, à Luxembourg, à Clairefon­taine. Plusieurs maisons ont leurs difficultés intérieures: pauvreté, man­que d'union, etc. J'encourage, je relève les âmes, autant que je peux. Je conseille et je ranime les bonnes volontés. Ces visites sont nécessaires une ou deux fois l'an.

Au milieu du mois j'ai été obligé d'interrompre mon voyage pour aller aux funérailles de M. Félix Harmel. Sa mort est une bien grande perte pour cette chère famille. Dieu a ses desseins et notre intelligence est courte, nous n'avons qu'à nous incliner 157.

Je passe trois jours à La Capelle. Le souvenir de mes parents m'est toujours bon et la visite au cimetière me fait toujours du bien. Je dois tout à ma mère, la foi, la piété, l'éducation chrétienne d'Hazebrouck qui a préparé ma vocation.

Mes amis de S.-Quentin voudraient me voir faire comme l'an dernier un séjour aux Alpes pour ma santé. Mais deux congrès auxquels je dois prendre part, ceux de Toulouse et de Cahors m'appellent plutôt du côté des Pyrénées. Il est donc entendu que je partirai avec ces familles amies que mes congrès seront précédés et suivis de quelques jours de repos aux Pyrénées, en Espagne et à Lourdes.

Je fis donc mes préparatifs pour me mettre en route le 23 158.

Le 24 nous quittions Paris et le 25 nous passions une partie de la jour­née à Bordeaux.

J'aime cette grande ville, avec son beau port sur la Garonne, ses quar­tiers aristocratiques, ses vieux quais du XVIIIe siècle. Il lui manque ce­pendant ce qu'on appelle dans notre langage décadent un clou, une at­traction de 1er ordre. Elle n'a pas comme Marseille et Lyon une colline sainte; comme Reims, Amiens et Chartres une cathédrale merveilleuse; comme Rouen de vieux quartiers pittoresques. Ses quinconces sont froids; ils auraient bien plus de charme s'ils possédaient encore le vieux castel de Charles VII qu'on a détruit en 1789. Sa cathédrale St-André est de la bonne époque, des XIIIe-XIVe siècles, mais d'une importance de second ordre.

Bordeaux a de grands souvenirs. C'est la patrie d'Ausone et de St. Paulin, le dernier poète païen et le premier poète 159 chrétien. Com­me Marseille a eu St. Lazare et les Saintes Marie, selon la tradition Bor­deaux a eu Sainte Véronique et St. Amator ou Zachée. Elle a le tombeau de Sainte Véronique à la vieille crypte de St-Seurin, l'ancienne cathé­drale.

Comme Reims, Clermont, Chartres, Le Mans, Bordeaux a conservé une vieille église romane, Sainte-Croix, qui date du Xe siècle et qui nous offre au portail un vieux jugement dernier bien original.

Bordeaux a eu aussi ses philosophes et ses écrivains. Si Clermont a Pa­scal, si la Touraine a Descartes et Rabelais, Bordeaux et l'Aquitaine ont eu Montaigne qui prétendait nous conduire à la vertu «par des routes gazonnées et doux-fleurantes»; La Boétie, qui s'éleva contre les abus du pouvoir absolu; Montesquieu, qui a préconisé et fait désirer en France le régime constitutionnel35) 160. Ce sont là des célébrités de valeur bien diverse. Je me suis intéressé, à Bordeaux, à une âme beaucoup moins connue que ces grands hommes, mais probablement plus glorieuse au ciel, je veux parler de Soeur Marie Céline de la Présentation, la petite sainte des parfums, la fleur du cloître, morte en odeur de sainteté chez les pauvres Clarisses du faubourg de Talence et qui repose au cimetière de ce quartier. J'ai voulu célébrer la messe au monastère de l'Ave Ma­ria, et saluer la vénérable abbesse et la Soeur Assistante qui a une âme de Sainte et une plume de poète. Puis je suis allé vénérer la tombe mysté­rieuse du cimetière qui a déjà la réputation de faire des miracles.

C'était le marché à Bordeaux. J'y rencontrai quelques créoles. Bor­deaux est le vestibule de nos colonies. Les Bordelais coiffent leurs che­veux d'un chapeau de paille 161, ils ont quelques coutumes espagno­les.

A la gare, quelques Picadores36) prenaient le chemin de l'Espagne, nous sommes envahis par les jeux du cirque.

Le 26, nous étions à St-Sébastien, où nous devions passer deux jours à l'aller et deux jours au retour.

C'est une ville de 30.000 âmes, gracieuse et très vivante, ville de bains de mer, aristocratique séjour de la cour en été. Le site en est charmant. La ville s'étend sur une double baie protégée du coté de la mer par le mont Orgullo qui s'avance en presqu'île. C'était, paraît-il, autrefois une île reliée à la côte par un pont de bois. La ville est moderne, elle a peu de ca­chet, mais elle est propre, aérée, bien tenue. Elle a un aspect de coquet­terie. Ses maisons peintes en tons clairs sont ornées de miradores ou bal­cons saillants.

La résidence royale est une modeste 162 villa d'aspect rustique, couverte en tuiles rouges. Les deux places d'Alameda et de la Concha sont de délicieux buts de promenade. La vieille église de Santa Maria a bien le cachet espagnol avec ses grands retables dorés. La nouvelle église du S.-Cœur est d'un style ogival assez pur. C'est là que je célébrais la messe. Tout y est d'une propreté scrupuleuse. Je fus surpris de trouver au calice deux corporaux, une cuiller pour la goutte d'eau, et sur l'hostie une petite palle supplémentaire et une rondelle pesante pour maintenir le pain d'autel. Ce sont des coutumes espagnoles.

Si la ville n'est guère espagnole par ses constructions modernes, elle l'est bien par ses moeurs. Nous sommes déjà en pays basque; la milice provin­ciale qui monte la garde au château a les couleurs nationales, le pantalon rouge et la tunique bleue. Le type général est basque. Les hommes sont 163 robustes, agiles, plutôt trapus. Ils ont moins de fierté que l'espagnol. Ils se prodiguent cependant les titres de caballeros et d'hidalgos37). Ils aiment les courses de taureaux et le jeu de paume (Pelota). Chaque ville a sa Plaza de toros pour les courses et ses frontones38) pour les jeux. Les affiches qui annoncent les courses couvrent les murs et sont lues avec avidité.

Comme en Italie, les églises n'ont pas de sièges; les fidèles s'agenouil­lent et s'assoient à terre sur des paillassons. Ils ont cependant une tenue meilleure qu'en Italie; ils sont moins familiers avec le bon Dieu. Dans les campagnes, ils portent tous leur éclairage (queue de rat) à l'église et le laissent même à leur place, comptant sur la bonne foi des passants.

L'Espagne a, comme la Sicile et l'Orient, ses conteurs populaires, qui racontent 164 dans les cafés ou au coin des carrefours, avec l'aide de tableaux illustrés, les exploits des héros d'autrefois.

St-Sébastien a un commerce spécial, ce sont les ciselures et incrusta­tions sur acier. C'est le vieil art de Tolèdo.

Nous fîmes deux bonnes excursions, l'une au mont Igueldo, l'autre au pèlerinage du Saint Christ de Lézo. Quel beau panorama au sommet du mont Igueldo. A l'Ouest, c'est le golfe de Biscaye, de St-Sébastien à Za­raus et au-delà; à l'Est, ce sont les soubresauts des Pyrénées jusque vers Tolosa. Vers le soir les sommets sont empourprés par les rayons du soleil couchant comme dans la baie de Naples.

L'Espagne a la dévotion au Crucifix, comme elle a le culte de Marie. Elle doit tenir ces dévotions de l'apôtre St. Jacques, qui a laissé sur son passage le Crucifix (le Santo Cristo) de Burgos, comme il a laissé 165 la Madone de Saragosse. Près de St-Sébastien, la bourgade de Lé­zo a un vieux crucifix très vénéré, abrité par une basilique reconstruite au XVIIe siècle. Les ex-voto y affluent. La route pour y aller est une des promenades de St-Sébastien; elle est bordée de villas et passe au petit port de Passages, bien abrité derrière un îlot montagneux.

De l'autre côté de la ville, la belle avenue de tamarix, de la Concha, rappelle l'Orient. La reine et le petit roi.

Nous partons le 26 pour Madrid. Nous traversons le Guipuzcoa, une des provinces basques et un coin de la Navarre. Nous nous avançons en­tre les Monts Cantabriques à droite et les Pyrénées à gauche. Plus loin, c'est le haut plateau de la Vieille Castille, et après la chaîne du Guadar­rama, qui a des sommets de 2.300 mètres, c'est 166 le plateau aride de la Nouvelle Castille avec Madrid et Tolède.

(Je note ici mes impressions et mes souvenirs sur le pays basque). Les Basques sont une race à part. Ce sont sans doute les vieux Ibères conservés sans mélange au Nord, tandis que dans le centre et le midi, ils se sont alliés aux Celtes, aux Visigoths et aux Arabes pour former la race espagnole. D'où vient ce peuple basque? Dieu le sait. Leur langue ag­glutinante, analogue au japonais et aux dialectes du Pérou laisse croire qu'ils sont une des premières migrations venues de l'Orient par l'Afri­que. Si l'opinion qui restreint le déluge à la vallée de l'Euphrate est fon­dée, ils sont peut-être une des vieilles familles anté-diluviennes.

Ils occupent le Guipuzcoa, une partie de la Biscaye, de la Navarre et de l'Alava 167. Ce sont des hommes forts, lestes, gais, d'une fière atti­tude et d'un mâle visage. Ils sont environ 600.000. Ils se donnent le nom d'Escualduna, dans leur antique idiome, l'escuara. Ils avaient conservé jusqu'à ces dernières années une partie de leurs fueros39), droits et privilè­ges accordés au temps jadis, quand ils s'allièrent avec le peuple espa­gnol.

Au temps de sa franche liberté, ce petit peuple «qui danse au haut des Pyrénées», n'avait pas daigné bâtir de maisons de pierre aux parlements de ses provinces; les Anciens de la Biscaye se réunissaient sous un chêne.

Les provinces basques avaient échappé à la conquête des Goths et des Arabes comme à celle des Romains. Jusqu'au XIVe siècle, elles étaient restées indépendantes de tout pouvoir étranger. Elles formèrent 168 trois petites républiques fédérées sous le nom de Cantabrie. Elles avaient leurs assemblées nationales qui se réunissaient tous les ans ou tous les deux ans. En Guipuzcoa, le congrès changeait de résidence à chaque session et séjournait alternativement dans tous les bourgs de la province. En Biscaye, il se réunissait en plein air sous la chêne de Guer­nica. Là se présentaient les députés des diverses communes portant sur leurs bannières le nom de républiques.

En Biscaye régnait la démocratie; en Guipuzcoa, l'oligarchie; en Ala­va, l'état mixte.

Les juntes nationales élisaient, pour l'intervalle compris entre leurs sessions, un magistrat, nommé Député général, en qui résidait le pouvoir-exécutif, et qui traitait avec le gouvernement espagnol en quel­que sorte d'égal à égal. Le roi d'Espagne n'intervenait nullement dans le 169 gouvernement local. Il avait seulement dans chaque province un commissaire, nommé Corregidor, dont les fonctions rappellent assez bien celles des anciens Comtes (Comtes) que l'empereur envoyait sur­veiller les municipalités romaines.

La constitution, ou Statut royal de 1834, promulgué par la reine ré­gente Marie Christine, restreignit considérablement les libertés du peu­ple basque. Attachées à leurs fueros, c'est-a-dire à l'indépendance de leurs municipalités, qui avaient le droit de se taxer elles-mêmes, d'être affranchies du recrutement militaire et d'approuver les actes du pouvoir exécutif et législatif avant d'être obligées d'y obéir, les provinces basques se soulevèrent et embrassèrent le parti de Don Carlos que le roi Ferdi­nant avait écarté du trône au profit de sa fille Isabelle et qui promettait de respecter les 170 antiques privilèges: la guerre civile commença.

Après une nouvelle insurrection carliste en 1877, les fueros furent défi­nitivement supprimés.

La langue des Escualdunas est belle et sonore. Elle est isolée parmi toutes les autres et unique en son genre, n'ayant que de vagues reflets de ressemblance avec divers idiomes aux longs mots, le japonais, le mexi­cain, l'aymara, l'algonquin, le quitchoua. Comme eux, il forme une langue agglutinante et agglomérante. Ce sont là les vieilles langues du temps du déluge. Ce peuple immémorial n'a cependant pas de tradi­tions. Il n'a ni chants, ni mythes, ni rites anciens, ni légendes. Aucune épopée ne retrace ses origines historiques ou fabuleuses.

C'est cependant une race héroïque 171, qu'on appelait, au seuil de notre histoire, les «Cantabres inhabiles au joug», qui a su vaincre Roland40) dans les défilés des Pyrénées et qui a fourni au nouveau monde tant de marins et de «conquistadores».

Le dôme de feuillage, le chêne de Guernica, à l'ombre duquel s'as­semblaient les députés de Biscaye, mourut de vieillesse en 1811. De ce chêne cassé par l'âge a poussé un rejeton nouveau qui, devenu grand ombrage à son tour, vivra plus longtemps peut-être que ce peuple dont il rappelle les libertés. N'est-elle pas, en effet, appelée à disparaître, cette nation si intéressante, pressée qu'elle est au Sud par 16 millions d'Espa­gnols, au Nord par 40 millions de Français, et décimée par l'emigration qui l'emporte vers les côtes de l'Amérique. On sait que le «libertador» de 172 l'Amérique du Sud, le Vénézuelien Simon Bolivar était de li­gnée basque.

A l'Ouest des provinces basques, sur une belle côte, dans un labyrin­the de gorges, au pied d'un superbe entassement de sierras, vit le noble peuple des Asturies, fier d'habiter les seules montagnes espagnoles que les soldats de la Djehad (la guerre sainte) ne soumirent jamais à la loi de Mahomet: non que les Maures ne les aient pas attaquées, mais ils en fu­rent repoussés en 718, par les soldats chrétiens du roi Pélage, après une bataille très merveilleuse, où, dit la légende, trois cents fidèles anéanti­rent trois cent mille mécréants. A vrai dire, les défilés de Cavadonga «berceau de la triomphante Espagne» n'ont pas assez d'espace pour le développement d'une pareille armée 173.

J'aurais voulu voir ces glorieux Thermopyles chrétiens et le vieux chê­ne de Guernica, témoins des antiques libertés d'un peuple sympathique, mais mon temps était trop mesuré…

J'avais traversé déjà plus de la moitié de l'Espagne. L'Espagne est constituée en grande partie par un plateau élevé de 600 à 700 mètres en moyenne. Les Pyrénées au Nord, la Sierra Nevada au Sud forment les grandes murailles et comme le cadre de ce plateau. La chaîne de Gua­darrama en est comme l'arrête au centre. Ce plateau a un sol souvent pierreux, des vents glacés en hiver, et, comme j'en ai fait l'expérience un soleil brûlant en été. Ce sont de grandes plaines sous un climat dur, se­vrées des vents de pluie, et tour à tour torrides en vertu de la latitude et 174 glaciales en vertu de l'altitude.

L'Espagne ressemble plus au Tell de l'Atlas qu'à la France; elle a le même sol d'airain, là où ne passent pas les eaux courantes; elle a les mê­mes arbres dans ses vallées comme dans ses steppes et ses montagnes, le même soleil brûlant et desséchant, mais quand il luit sur une terre arro­sée, ce soleil radieux sourit à des jardins d'Armide. On pourrait dire qu'après les pentes des Pyrénées, l'Espagne appartient plus à l'Afrique qu'à l'Europe.

Le centre, presque la moitié de la péninsule, appartient au plateau de Castille et de Léon, qui s'incline légèrement au sud-est et au nord-ovest, des deux côtés de la Sierra granitique de Guadarrama, son épine dorsale.

Tous ces plateaux de l'Espagne centrale sont tristes. Ils sont faites de campos gris, assez fertiles en grains 175 mais chiches en arbres, et de steppes où broute le mérinos avec des ravins sans eau.

De loin en loin quelque village dresse ses maisons assez pauvres entre les chaumes de la plaine ou sur les premières arêtes des coteaux. L'Espa­gnol lui-même se raille de ces paramos (hautes plaines froides) par ce pro­verbe: «L'alouette emporte sa becquée lorsqu'elle part pour voyager en Castille». Qui croirait qu'il y a cinq cents ans, les deux plateaux étaient une longue forêt de pins et de chênes avec ours velus, sangliers trapus et cerfs élégants!

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1. Tapisserie du palais de L'Escurial. 2. Saint Sébastien. 3. Sacrifice d'Abraham. 4. Casque de Philippe II. 5. Heurtoir. 6. Dossier de siège. 7. Heurtoir de porte. 8. Crucifix que le Cid portait sous son armure. 9. Pietà, d'après Hernandez. 10. Saint François, d'après Alonso Cano. 11. La Giralda, à Séville. 12. Cabinet. 13. Monastère de Las Huelgas (Burgos). 14. Buire en argent. 15. Coffret à parfum lamé d'argent. 16. Le pont du Diable, près Barcelone. 17. Couteau de chasse.

Une grande cause de la tristesse de tant de campos du centre, c'est la haine du paysan pour les arbres. L'Espagnol, comme le grec moderne abhorre les forêts, les bouquets de bois, tout ce qui a branches et feuilles, parce que les oiseaux y suspendent leurs nids et de là pillent joyeusement les grains en famille. - Arbol pajaro 176, - Arbre, passereau - dit l'Espagnol, et il arrache.

Puis, une partie de ce pays appartient à de grands propriétaires non résidents qui n'ont pas le souci d'embellir et de soigner leurs estados. En dehors de ce vaste plateau, l'Espagne a la région montagneuse de Cantabrie et les chauds et riches bassins du midi, au climat africain. Je n'ai fait qu'apercevoir la mer de Biscaye et les Monts Cantabres. La mer de Biscaye a toujours de hardis pêcheurs et un commerce ani­mé; mais la baleine ne vient plus visiter ses rivages comme aux siècles anciens.

Les Monts Cantabres prolongent les Pyrénées vers l'Ouest et parfois s'élèvent presque aussi haut qu'elles. Cette région étroite et allongée, coupée de torrents clairs et animés, est de ciel humide, de climat tempé­ré, fraîche, cultivée, peuplée; on la peut 177 surnommer l'Espagne européenne.

Ses vallées et pentes basses ont nos cultures: les céréales et les pom­miers qui donnent le cidre. Ses contreforts sont le dernier asile des hau­tes forêts qui couvrirent l'Espagne. Ses hautes pentes sont semblables à celles de la Corse et du Tell, maquis de bruyères arborescentes, de cistes, de lentisques, d'arbousiers, d'aubépines, de genévrins et de romarins.

Je ne devais pas atteindre dans ce voyage le bassin du Guadalquivir, l'Andalousie d'aujourd'hui, la Bétique d'autrefois, qui s'incline au Sud­Ouest et jouit d'un climat africain, ni les bassins plus petits qui s'incli­nent à l'Est et portent le beau nom de jardins ou huertos, parmi lesquels la huerta de Valence rivalise, dit-on, avec la conque d'or de Palerme par la fécondité de ses orangers 178.

Madrid est une ville moderne. Elle n'était au moyen-âge qu'un castel, un alcazar fortifié avec une bourgade. L'alcazar plut à Alphonse VI, roi de Castille qui y séjourna souvent. Au XIVe siècle, les rois y réunirent plusieurs fois les cortes. Ferdinand le catholique agrandit l'alcazar. Charles Quint l'habita. Philippe II fit de Madrid la capitale, aux dépens de Valladolid. Mais le vieil Alcazar bâti par les rois Maures sur le coteau du Manzanarés n'est plus là. Il a été incendié et Philippe V l'a remplacé au XVIIIe siècle par un palais de style italien, dessiné et bâti par le turi­nois Sacchetti pour le prix modique (?) de 80 millions.

«L'air pur de ses montagnes, - dit Emilio Castelar en parlant de Madrid, - la divine splendeur de ses horizons 179, l'abondance et la transparence de ses eaux, le charme, alors incomparable, de ses bois, le nombre et la qualité de ses bêtes de vénerie, la solitude même de ses en­virons où les rois pouvaient tailler à leur guise, sa position géographique en plein centre à une distance mathématiquement exacte de toutes les extrémités du pays, décidèrent Philippe II à y installer sa capitale. Phi­lippe II, Philippe III et Charles Quint même, qui habitèrent si long­temps Madrid ou le mirent par leur choix à la tête de toutes les cités espagnoles, ne songèrent jamais à en faire une ville mais seulement une résidence royale…

Madrid fut donc une cour et non une capitale… de là deux caractères dominants qui se retrouvent dans toute l'histoire de Madrid: c'est une ville de cour et une ville d'employés, ou, comme on dit dans la langue vulgaire, une ville de bureaucratie» 180.

Le charme des bois a disparu et le déboisement a gâté le climat qui est devenu dur, sec et brûlant. La ville s'est agrandie, ses anciens remparts ont cédé la place à des boulevards (ronda) et l'industrie commence à éle­ver ses cheminées dans les faubourgs.

Le palais royal a de splendides jardins qui descendent au Manzanarés et se continuent de l'autre côté du torrent, à l'Ouest de la ville. A l'Est, ce sont les jardins publics, le Parc, le Buen retiro, le Prado.

Le centre de la ville a deux grandes places, la Plaza Mayor et la Puerta del Sol, d'où partent de larges rues: la Calle Mayor va vers le Palais, la Calle de Alcala et la Calle de Atocha vers les jardins publics.

Les deux principaux édifices religieux de Madrid sont en reconstruc­tion: la cathédrale 181 près du Palais, la basilique de Notre-Dame de Atocha près des jardins. La statue miraculeuse de N.-D. de Atocha ou des genêts, la vieille Madone de Madrid se trouve provisoirement à la chapelle de l'hôpital militaire, où je lui fis une pieuse visite.

La monarchie espagnole s'est toujours montrée profondément reli­gieuse. C'est bien sincèrement que Philippe V a fait peindre à la voûte du grand escalier du palais une grande fresque représentant l'hommage de la monarchie espagnole à la religion. Plusieurs églises à Madrid et en province sont de fondation royale et dépendent de la couronne, telles St­-Isidore, St Jérôme, N.-D. de Atocha et l'église des Franciscaines (los Descalzos reales).

L'église de St-Isidore possède le corps du saint patron de Madrid, St. Isidore le laboureur et de sa femme, Sainte Marie de la Cabeza. Leurs corps reposent sous 182 le maître autel qui est d'un grande richesse et qui est couronné par un grand retable au milieu duquel s'élève la statue du Saint sur un trône de nuages. Les madrilènes sont très dévotes à leur cher patron.

Un autre sanctuaire précieux de Madrid est l'église de St-François d'Assise. Le cher Saint a passé là et y avait habité un petit hermitage. C'est aujourd'hui un grand sanctuaire sur le modèle du panthéon de Rome. J'y ai assisté à un bel office en musique d'un caractère pieux. La salle du chapitre a des stalles merveilleuses en sculpture et marqueterie du XVe siècle, qui proviennent de la chartreuse d'El Paular 183.

1898 0
25 mai - Turin 1
26 - Le Simplon 10
Sion - St-Maurice 12
Lausanne 14
Mulhouse 15
Mattaincourt 17
Nancy 19
Paris 21
Juin - Voyages 30
Sacre de Mgr Deramecourt 30
Juillet - Fourdrain 32
Bruxelles 32
Août - Leysin 55
Septembre - Retraites 70
Octobre - Placements 72
Novembre - Turin 74
Florence 75
Rome 78
Décembre:
L'art à Rome 80
Les musées 80
L'art romain 86
L'art chrétien 89
La renaissance 96
17 décembre - Perosi 117
18 décembre - Ordinations 118
1899 0
Janvier - Visites 121
Recherches sur l'origine de ma famille 121
Mort du fr. Bonaventure 127
184 Action chrétienne à Rome: 128
Diaconies, ordres religieux 128
2 février: audience 138
Ostie - Accident 139
M. Harmel - Perosi 140
Mars - travail 142
Avril: mariage de ma nièce 143
Mai: Doctrines libérales 146
Mai: Le Salon 147
Juin: hommages au S.-Cœur 154
Juin: visites à nos maisons 156
Juillet: La Capelle 157
Bordeaux 158
St-Sébastien 161
Le Pays Basque 165
Madrid: L'Espagne 173
Madrid aspect général 178
Madrid églises 180

1)
Cetty (Henri), d’une famille originaire d’Italie, né en 1847. Son père fut tonnelier. Ordonné prêtre en 1872, après plusieurs vicissitudes, il devint vicaire de la paroisse de St. Etienne à Mulhouse et se mit à étudier les problèmes sociaux. En 1883, il publia La famille ouvrière en Alsace, en présentant les institutions sociales de Val-des-Bois et obtint un grand succès. En 1889, on lui confia la paroisse populaire de St. Joseph à Mulhouse. Au bonheur et à la joie des ouvriers, il y créa un cercle social avec diverses caisses (du pain, du vin, du charbon) et avec des groupes de musique, du chant et du théâtre. Son activité sociale le fit connaître en France ou il participa à divers congrès. Il fut aussi un publiciste fécond. Il mourut à Mulhouse le 17.11.1918.
2)
Pierre Fourier, saint. Son ancien nom est Fourrier. Né à Mirecourt en Lorraine, le 30.11.1565, il fit ses études humanistes à l’université de Pont-à-Mousson, se dirigeant vers la prêtrise. Novice à l’abbaye des Chanoines Réguliers de Chaumousey, voulant se consacrer au ministère dans la paroisse. Ordonné prêtre en 1589 et ses études théolo­giques terminées, il fut envoyé à Mattaincourt – paroisse difficile et pauvre. Le saint la transforma complètement, en y travaillant de 1597 à 1632. Il créa aussi des œuvres sociales, p. e. la bourse St. Epvre (du patron de la paroisse) qui prêtait l’ar­gent, sur parole et sans intérêts, aux paroissiens en difficulté et même remettait la dette. Il fonda également une congrégation des enseignantes dans les écoles de jeunes filles – Congrégation de Notre-Dame. Fut un prédicateur extraordinaire et fit passer la région de Badenviller au catholicisme. Entreprit, avec un bon résultat, la réforme des Chanoi­nes Réguliers. Fut aussi très recherché comme directeur spirituel. Ardent partisan de l’indépendance de la Lorraine vis-à-vis de la France, entra en collision avec le card. Ri­chelieu qui voulait le rattachement du duché. C’est pour cela qu’il dut quitter la Lorrai­ne en se réfugiant en Franche-Comté où il mourut à Gray, en 1640. Fut béatifié en 1730 et canonisé en 1897.
3)
C’est René II (1451-1508), duc de Lorraine de 1480 à 1508, célèbre pour sa lutte contre Charles le Téméraire qui meurt aux portes de Nancy.
4)
François III (1708-1765), duc de Lorraine et du Barrois (1729-1736), céda ses droits à Stanislas Leszczynski, roi détrôné de Pologne et devint grand-duc de Toscane (1737). Sera ensuite empereur d’Autriche (François I) et époux de Marie-Thérèse d’Autriche.
5)
Epvre (Saint), Aper, Apre, Avre, Evre. – Il serait né à Trancault-le-Repos, près de Troyes. Il est donné comme le septième évêque de Toul. Sa soeur, Ste Aprône, avait reçu le voile des vierges consacrées; elle vécu près de lui, à Toul, mais retourna dans le pays de Troyes pour mourir (début du IVe s.). Le culte de St. Epvre fut autrefois très populaire; plus de 50 paroisses l’avaient choisi pour titulaire dans l’ancien diocèse de Toul; la plus importante, S.-Epvre de Nancy, garde son chef depuis la Révolution. Cette popularité trouva un aliment dans le livre des Miracles de S. Epvre, récit hagiographique, de caractère fabuleux (B S).
6)
Mgr Péchenard, cf. NQ vol. 2°, note 46, p. 625. Lemire J., cf. NQ vol. 2°, note 8, p. 615. Lamy E., cf. NQ vol. 2°, note 34, p. 634.
7)
Manneken-Pis, célèbre fontaine de Bruxelles, qui tire son nom d’une statuette de bronze, œuvre de J. Duquesnoy (1619), représentant un enfant nu lâchant un filet d’eau. On le revêt, les jours de fête, de costumes variés.
8)
Goossens (Pierre-Lambert), né à Perck (arch. de Malines) le 18.6.1827, élu év. titu­laire d’Abdera le 1.6.1883 et coadjuteur de Namur. Monte sur ce siège le 16.7.1883; promu arch. de Malines le 24.3.1884. Créé cardinal le 24.5.1889.
9)
Turenne (Henri de La tour d’Auvergne, vicomte de), maréchal de France, né à Sedan. Avec Condé, il remporta les victoires de Fribourg (1644), de Nordlingen (1645), et en 1647 il gagna la bataille de Sommershausen, qui servit beaucoup à la conclusion de la paix de Westphalie. Pendant la Fronde, M.me de Longueville l’entraîna un moment dans le parti hostile à Mazarin, mais, après avoir été battu à Rethel par le maréchal d’Hocquincourt, il se rallia à la cour et battit Condé au faubourg Saint-Antoine (1652). Ses succès en 1658, notamment la bataille des Dunes, amenèrent le traité des Pyrénées 1659). Il commanda l’armée française pendant la guerre de Dévolution (1667) et pen­dant la guerre de Hollande (1672), s’illustra par sa belle conquête de l’Alsace pendant l’hiver de 1675, et il allait vaincre Montecuccoli lorsqu’il fut tué par un boulet à Salz­bach (1611-1675). Très simple, très modeste, il tirait sa valeur militaire surtout du cal­cul et de la réflexion. Il a laissé des Mémoires (PLI).
10)
Taine (Hippolyte: 1828-1893), philosophe, historien et critique français. Il a es­sayé d’appliquer la méthode des sciences naturelles aux productions les plus diverses de l’esprit humain.
11)
Affaire Dreyfus – Alfred Dreyfus, d’une riche famille de Mulhouse (né en 1859), capitaine d’état-major, fut accusé, en oct. 1894, d’avoir livré à l’attaché militaire alle­mand, Schwarzkoppen, des pièces intéressant la défense nationale; son écriture présen­tait quelque ressemblance, avec celle du bordereau contenant la liste de ces pièces, et surtout il était juif (les esprits étaient alors très inclinés à l’antisémitisme par la propa­gande violente d’Édouard Drumont). Traduit en conseil de guerre, il fut condamné, à l’unanimité, à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée (22 déc. 1894): jugement illégal puisque, contre la loi, le tribunal avait fait état d’un dossier secret, qui n’avait été communiqué ni à l’accusé, ni à son défenseur. Pendant que l’accusé était interné à l’île du Diable, son frère, Matthieu, s’employait à faire réviser le procès. Entre temps se produisaient des faits nouveaux: le comman­dant Picquart, devenu chef du bureau des renseignements, étudiant le dossier, se per­suadait de l’innocence de Dreyfus et découvrait le vrai coupable, le commandant Ester­hazy; l’ami de ce dernier, le lieutenant-colonel Henry, qui avait lourdement chargé Dreyfus devant le conseil de guerre, confectionnait une soi-disant lettre de l’attaché ita­lien, Panizzardi, mentionnant les trahisons du «juif» Dreyfus; mais, en août 1898, re­connaissant avoir fabriqué ce faux, il se suicidait. Par ailleurs, Zola, par son retentis­sant «J’accuse», alertait l’opinion publique. Dès lors la révision s’imposa: le 29 oct. 1898, la Cour de cassation la déclara recevable; le 3 juin 1899, toutes cours réunies, elle cassa et annula, à l’unanimité, le jugement du premier conseil de guerre et renvoya Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes. Celui-ci, qui tint 29 audiences, condamna par cinq voix contre deux, Dreyfus à dix ans de détention avec circonstances atténuantes (9 sept. 1899), ce qui permettait au président Loubet de prononcer la grâ­ce. Tout en l’acceptant, le condamné poursuivit son entière réhabilitation. La Cour de cassation, toutes chambres réunies, annula, sans renvoi, le jugement de Rennes (juill. 1906); puis, par un vote solennel de la Chambre et du Sénat, Dreyfus fut réintégré dans l’armée, décoré de la Légion d’honneur et promu commandant. Picquart, de son côté, fut nommé général de brigade, puis devint ministre de la guerre. Cette affaire, qui passionna l’opinion pendant des années eut pour la politique fran­çaise les plus fâcheuses conséquences. Elle divisa la France en deux moitiés, violem­ment opposées, et fournit aux partis de gauche une occasion de réaliser leurs desseins anticléricaux. A l’origine, les hommes de tous les partis avaient accepté la chose jugée, cru à la cul­pabilité de Dreyfus, l’avaient poursuivi de leurs malédictions. Malheureusement, les «bien pensants», sauf quelques exceptions, gardèrent cette attitude; ils parurent sacri­fier les exigences de la justice au respect pour l’autorité militaire, qu’une révision ris­quait de déconsidérer; en fait beaucoup d’entre eux cédaient à un antisémitisme, que certaine presse et l’agitation politique ne cessaient de développer; ils subissaient aussi l’influence de ce fait que leurs adversaires politiques se rangeaient de plus en plus parmi les «dreyfusards». Le pape Léon XIII, plusieurs fois, manifesta sa désapprobation et il engagea la Croix à modérer son ton. De l’autre côté, radicaux et socialistes, entraînés par une mystique sincère de la justi­ce dans leur dreyfusisme, ne tardèrent pas, suivant le mot de Péguy, à ravaler leur my­stique en politique. Par le moyen de ces procès ils voulurent assouvir leur haine contre les vieilles institutions antirévolutionnaires, armée, magistrature et Église. C’est celle-ci qu’ils visèrent avant tout, ses œuvres d’éducation, ses congrégations, les jésuites prin­cipalement, accusés de «transformer une simple erreur judiciaire en une machine de guerre contre la République» (le journal Le Radical). Dans les Chambres et dans les mi­nistères, radicaux et socialistes l’emportèrent sur les opportunistes, votèrent les lois contre les associations et l’enseignement libre, puis la séparation de l’Église et de l’État. Pendant des décades encore, prévalut dans les milieux républicains un esprit de défian­ce contre le catholicisme (C H A D). Le P. Dehon fut favorable à la révision du procès de Dreyfus. Il écrit ainsi dans «Le Règne…»: «Que les intéressés fassent réviser le jugement par un tribunal compétent, et les catholiques accepteront la révision comme ils ont accepté la condamnation» (RCJ (1903) 165-166).
12)
En mars 1898 fut confiée à la congrégation la paroisse du Sacré-Cœur de Bab­Khadra à Tunis. Le P. Dehon y envoya, entre autres, le P. Bruno Blanc, ancien mis­sionnaire de l’Equateur (de 1889 à 1896). En 1902, le P. Bruno demanda la laïcisation et quitta l’Institut. En 1899 le P. Dehon nomma curé de Bab-Khadra le P. Sébastien François Miquet lui aussi ancien missionnaire en Equateur (1889-1891) et au Brésil du Nord (1893-1895). Mais le P. Miquet, après quelques mois de séjour à Tunis, quitta l’Institut. L’œuvre de Tunis fut abandonnée en 1900.
13)
Eschbach (Alphonse), cf. NQ vol. 2°, note 22, p. 633.
14)
Louis le, et Louis II de Bavière furent des mécènes. Louis Ie, de Wittelsbach (1786-­1868), poète et amateur d’art, remplit Munich de monuments néo-classiques (Glypto­thèque, Pinacothèque, Odéon, Walhalle), accorda un très grand soutien à l’Université catholique. Louis II de Wittelsbach (1845-1886) fut un grand mécène de Wagner et se lança dans de grandioses constructions, en particulier, les châteaux (Linderhof, Berg, Hohenschwan­gen, Neuschwanstein, Herrenchiemsee).
15)
Dans une note, le P. Dehon précise que le «Doryphore» et «l’Amazone» se trouvent au «Musée Chiaromonti»; le «Diadumène» et le «Discobole» au «Pio Cle­mentino», et le «Marzyas» au «Latran». En marge intérieure de la p. 82, il écrit: «co­pies; dompteurs de chevaux, au Quirinal – Mercure, au Belvédère…».
16)
Dans une note, le P. Dehon précise que la «Vénus de Cnide» se trouve au Mu­sée Chiaromonti, le «Cupidon» et l’»Apollon sauroctone» au «Pio-Clementino», avec l’»Apollon musogite»; «Niobe et les Niobides» au «Latran»; «Mercure» et «Le Satyre ou faune» au Musée du Capitole. En marge gauche de la p. 82, le P. De­hon écrit: «Dates incertaines de la 2e école: Victoire de Samothrace – Vénus de Milo; et de l’hellénisme: Apollon du Belvédère, Arianna du Vatican, Vénus du Médicis, Ju­non Ludovisi.
17)
Dans le texte, le P. Dehon ajoute des renvois où il attribue les églises Ste-Marie­de-la-Paix et St.-Pierre-au-Montorio à Baccio Contelli; Ste-Marie-du-Peuple à Meo del Caprino; St.-Augustin à Giacomo Pietrasanta.
18)
Fils de Louis Ier de Bavière: Otto Ier, fut roi de Grèce de 1832 à 1862.
19)
Nous reproduisons les armoiries des Dehon, telles qu’elles sont reproduites dans l’ouvrage de Ducamp A., «Le Père Dehon et son œuvre», p. 12 (bis).
20)
Le P. Gabriel Grison annonça au P. Dehon la mort, à St-Gabriel (Congo), du fr. Bonaventure Henning (cf. NQ vol. 2°, note 81, p. 645.).
21)
A partir du 3.3.1894, les dehoniens résidèrent à Via del Monte Tarpeo 54, au Ier étage, alors que le reste de la maison fut occupé par les Pères Prémontrés de l’abbaye de Frigolet. Ce fut aussi la Procure de la congrégation. Des fenêtres de cet appartement on jouissait de la vue sur le Forum Romain.
22)
Cf. NQ vol. 2°, note 34, p. 634.
23)
Cf. NQ vol. 2°, note 12, p. 651.
24)
En 1899 il n’y a pas d’évêque à Verdun. Il s’agit probablement de Le Nordez (Albert-Lèon-Marie: 1844-1922) év. tit. d’Arca et auxil. de l’év. de Verdun; 1896-1898; év. de Dijon: 1898-1904; év. tit. de Dionysopolis (1921).
25)
Le premier mari de Marthe Dehon, André Désiré Malézieux, mourut le 8.6.1893. Le comte Alphonse André Robert de Bourboulon fut Grand Chambellan du roi de Bulgarie.
26)
Cf NQ vol. 2°, note 87, p. 648.
27)
Huysmans (Georges, dit Joris-Karl). – Né à Paris, le 5 févr. 1848, d’une vieille fa­mille de peintres hollandais. D’esprit raffiné, attentif au nouveau et au rare, il s’intéressa à l’art moderne, dont il fut l’un des prophètes. Il débuta avec des poèmes en prose: Le drageoir aux épices (1874), des Croquis parisiens (1880), et des critiques : L’art moderne, 1883; Certains, 1889. En même temps, il s’attachait à l’école naturaliste, avec Marthe, hist. d’une fille, 1877; Les soeurs Vatard, 1879; En ménage, 1881; A vau-l’eau, 1882; En rade, 1887. Il collabora, avec Sac au dos, aux Soirées de Médan, 1880. Tous ses personnages, notamment autour de M. Folantin, esquissaient ses dégoûts de la vie ordinaire. Plus fortement et réellement que ses confrères naturalistes, il apparaissait convaincu de la hideur des réalités et du monde. Avec A rebours, en 1884, il sembla chercher une porte de sortie dans l’extraordinaire. Son personnage, des Esseintes, qui est demeuré classique, évite tout le commun du réel pour préparer l’exceptionnel et le bizarre. Il faudrait donc espérer un monde renouvelé qui serait le contraire de celui qui est connu. On a pu rechercher dans cet esprit de des Esseintes les origines de tout notre art moderne en opposition aux apparences acquises. Mais Huysmans eut à parcourir un long chemin avant d’en arriver là. Il rencontra d’abord les émissaires d’un monde assez bas, égarés dans les recherches parfois nobles, mais plus souvent adultérées et corrompues, de l’occultisme. Il y puisa les éléments du plus pénible de ses ouvrages, Là-bas (1891), dont une assez faible part seulement peut se flatter de quelque authenticité. L’expérience fut dure pour l’auteur lui-même. Le jour vint enfin où J.-K. Huysmans éprouva le besoin de «se blanchir». Il rencon­tra le chanoine Mugnier. Celui-ci, après l’avoir envoyé à la trappe d’Igny (1892), lui donna un confesseur, l’abbé Gabriel Ferret, alors vicaire à S.-Sulpice. (Après la mort de ce prêtre, en 1897, Huysmans aura un «second abbé Ferret» en la personne de l’ab­bé Fontaine, curé de N.-D. du Rosaire de Clichy qui l’assistera dans ses derniers mo­ments). Cette évolution parut extraordinaire à une époque où il semblait acquis que l’irréli­gion couvrait sans nuances tout le domaine intellectuel. Huysmans se trouva en butte aux curiosités, aux préventions et aux haines les plus vives. Il n’y put répondre que par la sincérité de ses nouveaux libres: En route, 1895; La cathédrale, 1898; L’oblat, 1903; et quelques ouvrages religieux, Ste Lydwine de Schiedam, 1901; Les foules de Lourdes, 1906. Par une inspiration heureuse, Huysmans conservait son art et son style naturaliste, à l’étonnement scandalisé de quelques catholiques. Henri Bremond put dire le ravisse­ment des fidèles, peu gâtés en livres religieux de bon style, et qui trouvaient dans En route un manuel de pénitent, dans La cathédrale et L’oblat un livre d’heures, une Année li­turgique, une série d’élévations sur les mystères, dans Ste Lydwine un chemin de la croix, dans Les foules de Lourdes le plus vivant des Mois de Marie. La prose bizarre et tourmentée humanisait la dévotion, la mettant à la portée du commun des hommes sans la ravaler ni l’affadir. Pour écrire L’oblat, Huysmans avait séjourné à Ligugé, dans une petite maison près du cloître bénédictin. L’expulsion des religieux l’obligea à revenir à Paris. Il avait été élu président de l’Académie Goncourt à laquelle il n’accordait qu’un intérêt relatif. Il mourut à Paris le 12 mai 1907. Ses derniers temps furent douloureux. Sa souffrance édifiante prouva à ceux qui n’avaient voulu voir en lui qu’un «converti littéraire» à quel point ils s’étaient trompés (C H A D).
28)
Grison (Gabriel-Émile), évêque, dehonien, né le 24.12.1860 à St.-Julien-sous-les­-Côtes (Meuse, France), ordonné prêtre à Verdun le 30.11.1883, entré dans la congré­gation le 10.8.1886, profès le 23.9.1887, missionnaire en Équateur de 1888 à 1896, missionnaire au Congo Belge (Zaire) de 1897 à 1942, Préfet apostolique de Stanley­-Falls de 1904 à 1908, sacré évêque le 11.10.1908, Vicaire apostolique de Stanley-Falls de 1908 à 1934. Meurt à Kisangani le 13.2.1942.
29)
De tous les savants rencontrés par le P. Dehon, les plus célèbres sont Mgr Pierre Batiffol et le P. Eugène Levesque (non pas Levêque, comme écrit le P. Dehon). Batiffol (Pierre: 1861-1929). – Né à Toulouse le 27 janv. 1861, il entra en 1878 au séminaire S.-Sulpice, à Issy, où il se lia d’amitié avec celui qui devait être le R. P. Lagrange. Or­donné prêtre en 1882, il suivit pendant quelques années les cours de l’Institut catholi­que de Paris et ceux de l’École pratique des Hautes-études. Dès 1885, grâce à l’appui de Mgr Duchesne, il reçut une mission officielle pour aller à Bérat d’Albanie; il y étudia un ms. important du N. T. En 1887, il partit pour Rome en qualité de chapelain de S.-Louis des Français. Lorsqu’il en revint en 1889, il avait déjà publié de nombreux ar­ticles dans des revues françaises et étrangères et avait commencé à se faire un nom dans le monde savant. A ce moment, il fut nommé aumônier de l’École Ste-Barbe et pendant les neuf an­nées qu’il y enseigna, il exerça sur la jeunesse qui fréquentait ses cours et même sur cel­le qui n’y assistait pas une influence profonde. Il n’abandonna pourtant pas, pour se vouer au ministère, les études historiques qui le retenaient de plus en plus. Il prépara et soutint brillamment ses thèses de doctorat ès lettres sur L’abbaye de Rossano et sur l’histo­rien arien Philostorge (1891); il publia plusieurs volumes de Studia patristica consacrés en particulier à des pseudépigraphes athanasiens; il donna à des revues savantes de nombreux articles. En 1891, il fut appelé au rectorat de l’Institut catholique de Toulouse. Non content d’assurer la marche de cet important établissement, il parvint à en faire rayonner l’in­fluence bien au delà des diocèses du Midi. Il fut en particulier le créateur et l’animateur du Bulletin de littérature ecclésiastique qui, sous sa direction, se présenta comme une de nos meilleures revues catholiques. Il eut, surtout, pendant les années difficiles de la crise moderniste, à diriger et à calmer les esprits inquiets, tout en restant attaché à l’idéal de travail scientifique qu’il avait cherché à promouvoir jusqu’alors. Il fut l’un des pre­miers à dénoncer les périls des concepts de Loisy et autres et à en mettre à découvert le danger. Il connut pourtant l’amertume de la disgrâce après la mise à l’index de son livre sur l’Eucharistie et, à la fin de 1907, il dut abandonner son poste de recteur. Il revint alors à Paris et reprit modestement, humblement, le poste d’aumônier de Ste-Barbe. Sa nomi­nation de chanoine titulaire de Paris par Mgr Amette lui apporta une vraie joie, parce qu’elle lui sembla une sorte de témoignage de satisfaction accordé par l’Église à sa fidé­lité sans reproche. D’autres témoignages du même genre ne tardèrent pas à se multi­plier. Il fut invité à donner des conférences sur l’histoire de la messe à l’Institut catholi­que de Paris, à prendre part aux conférences de Malines, à professer une série de cours à la Faculté de théologie de Strasbourg, à représenter enfin le Souverain pontife au con­grès des sciences historiques d’Oslo (1928). Pendant ce temps, il multipliait ses ouvrages et ses articles: dès 1909, il publia un ad­mirable livre sur l’Église naissante et le catholicisme, avec une dédicace Matri Ecclesiae, qui révèle le meilleur de son âme. En 1910, il créa le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéolo­gie chrétienne. Il n’est pas possible d’énumérer les revues aux-quelles il collabora, les sociétés aux réunions desquelles il prit une part active, les travailleurs qu’il encouragea ou qu’il diri­gea. Son abord un peu froid cachait mal un cœur d’or et son activité intellectuelle ne saurait faire oublier son dévouement sacerdotal. Il semblait destiné encore à de longues années de vie, lorsque Dieu le rappela à lui le 13 janvier 1929 (C H A D). Levesque (Eugène). – Né à Angers le 20 sept. 1855, ordonné prêtre en 1880, admis l’année suivante dans la Compagnie de S.-Sulpice et nommé professeur au grand sémi­naire d’Orléans, E. Levesque se spécialisa à partir de 1885 dans l’étude de l’Écriture sainte; en 1892 il fut nommé au séminaire S.-Sulpice de Paris où il resta professeur ju­squ’en 1937, bibliothécaire et archiviste jusqu’à sa mort (20 févr. 1944). Auteur de plus de trois cents articles du D. B. de Vigouroux, de nombreuses contributions au D. T. C. et à diverses revues, il composa de bons volumes sur le N. T., pour lequel il eut quelques intuitions fécondes (en particulier sur Les procédés littéraires de S. Matthieu, dans R. B., 1916). Son œuvre plus durable concerne le XVIII° s. français: outre la réimpression des petits ouvrages de J. J. Olier, il donna surtout d’excellentes éditions critiques: en collaboration avec Ch. Urbain, la révision de l’édition Lebarq des Œuvres oratoires de Bossuet, en 7 vol., 1913-1926, et surtout la monumentale Correspondance de Bossuet, Paris, 15 vol. 1909-1925; enfin les Lettres de M. Olier, 2 vol., 1935 (C H A D).
30)
Gailhard – Bancel (Hyacinthe de). – Né à Allex (Drôme), le 1er nov. 1849. Elève des Frères et des jésuites, il vint à Paris pour s’inscrire au barreau et participa à l’Œuvre des cercles, qui lui donna le goût de l’association. La mort de son père le rappela à Al­lex, où il se dévoua au service du monde rural et de l’organisation professionnelle. Dès que la loi sur les syndicats fut votée en 1884, il se fit l’apôtre d’un syndicalisme agricole, qui donna bientôt des résultats avec une amélioration de la structure physique de la ré­gion grâce à la reconstitution du sol, et une amélioration morale par la vie terrienne et l’esprit de famille remis en honneur. En 1889, il fut appelé en Vivarais et il devint dé­puté de Tournon. A la Chambre, il fut le promoteur infatigable de l’organisation pro­fessionnelle. Le 12 juill. 1901, il obtint le vote historique en faveur des consultations des syndicats professionnels sur le projet de loi de retraites ouvrières. Il demandait que l’État laissât aux organisations professionnelles une large initiative en matière d’ensei­gnement professionnel, d’apprentissage, d’assistance, de retraite, de crédit et d’assu­rances. Il déposa de nombreuses propositions de loi pour que les retraites ouvrières et les assurances sociales fussent placées sur le terrain corporatif. Pendant la période combiste, Gailhard-Bancel fut constamment sur la brèche, inter­venant fréquemment à la Chambre, faisant dans le pays des discours d’un grand reten­tissement. Sa foi lui valut ce mot de Clemenceau: Gailhard-Bancel, c’est un paladin. Il organisa de 1895 à 1911 de nombreuses retraites fermées d’agriculteurs. Il partici­pa activement aux grands pèlerinages d’hommes de l’époque 1896-1900. Il prit part à la fondation de l’Union catholique de la France agricole et en fut le vice-président. Devenu vieux et aveugle, il mourut à Allex le 22 mars 1936. Gailhard-Bancel a publié de nombreux ouvrages: un Manuel des syndicats agricoles, classique en la matière: Quinze années d’action syndicale, Les retraites ouvrières, Les syndicats agricoles aux champs et au Parlementa Quatorze années de défense religieuse, 1901-1914; Les reven­dications scolaires des catholiques, Les catholiques en face de la loi de Séparation, etc (C H A D)
31)
Fonsegrive (George). – Né à S.-Capraise, en Dorgogne, le 19 oct. 1852. Enseigne la philosophie aux lycées de Pau, Angoulême, Bordeaux et, à partir de 1889, au lycée Buffon de Paris, jusqu’à sa mort en 1917. Proposé pour une chaire au Collège de Fran­ce, il est évincé sur intervention de Renan. 1° Son œuvre philosophique n’est pas négligeable. Elle est d’abord centrée sur la métaphysique: Essai sur le libre arbitre, 1887; La causalité efficiente, 1893; Essais sur la connaissance, 1909. A partir de 1896, il se fait surtout morali­ste: Catholicisme et démocratie, 1896; Le catholicisme et la vie de l’esprit, 1899; La crise sociale, 1901; Mariage et union libre, 1904; Catholicisme et libre pensée, 1905; La morale contemporaine, dans la Rev. des deux mondes, 1911; Art et pornographie, 1911. Il consacre aussi plusieurs opuscules à l’histoire de la philosophie: Descartes, 1882; Bacon, 1893; Ollé-Laprune, 1898; Brunetière, 1907; Rousseau, 1912; le tout couronné par un livre qui mérite de rester, L’évolution des idées dans la France contemporaine, de Taine à Péguy, paru en 1920. Fonsegrive s’est présenté lui-même comme philosophe chrétien. On doit reconnaître qu’il n’a pas trouvé audience: il fut jugé «clérical et moyenâgeux» par l’Université, «progressiste» par les catholiques. Avant tout logicien, il ne sympathise pas avec les idées complexes d’un Blondel ou d’un Bergson; il ignore le courant néoscolastique, lui qui se voulait thomiste. Son manque de sûreté doctrinale, une manière théorique, sco­laire, de poser les problèmes, découragent le lecteur moderne. S’il fallait choisir quelque chose de son œuvre philosophique, c’est son «Cours» que nous retiendrions d’abord, sobre, ferme, précis, vrai modèle du genre; puis, dans son Essai sur le libre arbitre, l’aperçu historique. Professeur et historien des idées, ces deux termes situent assez bien son tempérament. 2° Fonsegrive a exercé sa véritable influence d’abord comme polémiste, dans La Quinzaine, dont il assura la direction de 1897 à 1907. Regards en arrière (1908) résume sa contribution personnelle: on lira tout spécialement l’émouvant «épilogue» du 15 mars 1907, annonçant la fin de cette revue destinée à «acclimater les catholiques français». 3° Mais c’est surtout par ses romans qu’il a agi: Lettres d’un curé de campagne, 1894; Lettres d’un curé de canton, 1895; Le journal d’un évêque, 1896; Le fils de l’esprit, 1905; Le ma­riage du docteur Ducros, 1916, sous le pseudonyme d’Yves Le Querdec. Romans de la vie sacerdotale et de la démocratie chrétienne, où sont abordées les questions d’actualité (apostolat, prédication, rapprochement des classes, séparation de l’Église et de l’État), véritable tour d’horizon sur «les faiblesses et les richesses» de l’Église de France, ils ont voulu tirer les chrétiens de leur «léthargie», en leur ouvrant les voles de l’action sociale (C H A D).
32)
Mgr Augustin-Victor Deramecourt, év. de Soissons (1898-1906).
33)
La consécration de l’humanité au Sacré-Cœur de Jésus.
34)
La Société des Fastes Eucharistiques fait paraître, le 1er janvier 1883, la revue Le Rè­gne de Jésus Christ éditée à Paray par le baron Alexis de Sarachaga, un noble espagnol très pieux et de son ami le comte d’Alcantara.
35)
Montaigne (Michel de), célèbre philosophe et moraliste français (1533-1592). Boétie (Etienne de La), écrivain français (1530-1563). Une profonde amitié l’unit à Montaigne. Montesquieu (Charles de Secondat, Baron de) auteur de l’Esprit des Lois. Il a mis le premier en lumière le principe de la séparation des pouvoirs (1689-1755).
36)
Picadores. chevaliers armés de pique qui interviennent toujours dans la 1re partie de la corrida.
37)
Hidalgos: nobles, gentilshommes.
38)
Frontones: enceintes fermées ou même ouvertes, avec deux parois, pour jouer au ballon (pelota basca).
39)
Fueros: privilèges.
40)
La défaite de Roland et la déroute de la vallée de Roncevaux, attribuée, d’habi­tude, dans les premières chansons de geste, aux Sarrasins.
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