nqtnqt-0003-0017

17ème CAHIER (1.7.1901 – 24.8.1902)

1 Notes quotidiennes

Depuis quelques semaines on discutait fiévreusement au Parlement la loi sur les associations. La but de la franc-maçonnerie était d'atteindre les congrégations, d'en détruire un grand nombre et de tenir les autres sous l'épée de Damoclès. Des deux côtés on fit des grands efforts de rhé­torique. Les sectaires accumulèrent les accusations. Ils se montrèrent di­gnes de Pascal, de Voltaire et des grands ancêtres. Ils allèrent chercher des textes tronqués, incompris et défigurés chez les moralistes et firent de la théologie digne de la foire. La droite répondit dignement et la Cham­bre vit un réveil d'éloquence qu'on. n'avait plus connu 2 depuis les grandes discussions d'autrefois sur la question romaine ou sur la liberté d'enseignement. M. de Mun1) fut superbe, M. Gayraud2) fut solide, do­cumenté, tenace, M. Lemire3) faible. D'autres catholiques à la Chambre et au Sénat se surpassèrent. Des libéraux comme M. Ribot4) apportèrent un bon appoint. Viviani5) déclara la guerre ouverte à l'Eglise. Waldeck6) se montra avocat retors, anticlérical avoué à la Chambre, légiste et galli­can au Sénat où dominent les vieux parlementaires.

Pendant ce temps-là, on souffrait dans tous les couvents les angoisses de la plus vive inquiétude, l'agonie qui précède la mort. Serait-on auto­risé à vivre et à continuer le travail du saint apostolat pour la gloire de Dieu? On priait, 3 on offrait à Dieu de pieux sacrifices. Mais Dieu voulait ou permettait l'épreuve. La loi fatale était votée le 1er juillet.

Dans les couvents, la souffrance augmentait. Les âmes faibles se dé­courageaient. Les âmes exaltées voulaient la protestation, la lutte, le dé­part bruyant. Les âmes sages en grand nombre priaient, attendaient les règlements qui devaient compléter la loi et consultaient le S.-Siège.

Chez nous aussi, c'était l'angoisse, l'hésitation, une succession de projets, de propositions qui n'aboutissaient pas. Mais la croix s'alourdis­sait. P. Paulin7) crut devoir demander sa sécularisation pour sauver le collège. Il m'en fit part le 5, le 1er vendredi. Avait-il tort? Dieu le sait. En tout cas pour moi, c'était encore 4 une phase du Consummatum est. Saint Jean avait été le berceau de l'œuvre. J'y avais vécu vingt ans, et après vingt-quatre ans, S. Jean se sécularisait, en attendant peut-être sa fermeture! C'était une blessure qui ne devait pas se fermer et qui devait me donner bien des nuits d'insomnie.

Chez les professeurs de S.-Jean, c'était le commencement d'un trou­ble qui allait s'accentuer et amener des défections.

Je laissai faire, sans y paraître, la distribution des prix de ce pauvre S. Jean. M. L'Archiprêtre8)) présida…

Je pris quelques jours de repos à Fourdrain. La propriété est bien belle et bien favorable pour les vacances de nos jeunes gens. Elle s'améliore, bien des travaux de restauration et d'aménagement y ont été faits. Que 5 va-t-elle devenir? Les gros bourgeois de La Fère la regardent déjà comme un bien d'Eglise qu'on achètera bientôt à bon compte. Deux familles sont déjà venues la visiter dans ce but. On les entend mur­murer: «On pourra faire quelque chose de bien ici». Ces pauvres bour­geois imbus des idées révolutionnaires n'entendent pas derrière eux les socialistes de la plèbe qui regardent leurs habitations richement meu­blées en disant à leur tour: «On pourra faire quelque chose de bien ici pour le peuple». Je crois que la société actuelle passera par un déluge.

Dans la seconde quinzaine du mois, je visite les maisons de Sittard, Clairefontaine, Luxembourg.

L'école de Sittard s'est bien agrandie. La Providence continue 6 à nous aider là-bas.

Nos confrères allemands désirent développer leur branche et préparer une province, ils ont raison. Ils ont déjà deux maisons qui leur sont ré­servées, l'école de Sittard et le scolasticat de Luxembourg. Ils voudraient une maison de prêtres missionnaires. Le moment est venu de la com­mencer. Où la mettre? Les avis sont divers et il y a une certaine souffran­ce d'enfantement. Les uns la voudraient unir à l'école de Sittard, d'au­tres la voudraient mettre aux environs de Sittard ou à Luxembourg. J'écoute et ne veux pas me décider trop vite. La lumière se fera. La Pro­vidence a ses desseins. En pareil cas, il ne faut pas la devancer, mais prier, chercher et attendre l'heure de Dieu. 7

J'allai voir ma famille. Mon frère me dit que les idées républicaines ont absolument gagné le pays. Aux dernières élections pour les conseils départementaux, toutes les communes du canton ont donné la majorité à un jeune candidat qui se donnait comme représentant des idées nouvel­les. Cela prouve une fois de plus la justesse des directions politiques et sociales du Pape. On né peut plus aller au peuple qu'avec un program­me républicain et démocratique.

Mon neveu me parle du Prince du Bulgarie, qui est croyant et même superstitieux, malgré l'apostasie qu'il a imposée à son fils. Il fait dire des messes et des trentains pour le prince Henri d'Orléans, son cousin, mort en voyage. Il ne supporte pas qu'on soit treize à table, qu'il y ait trois bougies d'allumées, etc. etc. 8

M. et Mme de Menezes viennent nous voir à Saint-Quentin. Ils nous apportent des nouvelles de nos missionnaires et des photographies intéressantes.

Il faudrait développer cette mission ou la supprimer. Le nouvel Evê­que d'Olinda demande que nous ayons là un groupe plus important comme noyau de la mission. Il parle de nous céder son collège épiscopal. Nous pensons avec M. de Menezes qu'il faut commencer par y mettre deux Pères de plus qui missionneront autour de Camaragibe et desservi­ront une ou deux paroisses. Etant sur les lieux, ils verront ce qu'on pour­rait faire et se formeront à la langue portugaise. Il est entendu que je vais chercher deux hommes de bonne volonté. Ce ne sera pas des plus facile, mais Dieu aidera. 9

La réunion des anciens élèves de S. Jean avait lieu le 18. Je l'esquive, ce serait trop pénible en ce moment d'aller écouter des rires et des chants sur ce que je pourrais appeler le tombeau de S. Jean.

Je vais passer une bonne journée au Val à la réunion d'études sociales des séminaristes et jeunes prêtres.

Le bon chanoine Perriot9) est toujours là avec sa bonne direction, sa­ge, pieuse et docte. M. Lemire passe, toujours bon et aimable, toujours peu sûr comme doctrine et un peu influencé par le milieu parlementaire où il vit. M. Fonsegrive10) passe aussi. Il est intéressant, charmant cau­seur, un peu nuancé de kantisme. Marc Sangnier11) est là. Il est tout cœur: pectus est quod disertos facit. Je crains qu'il ne se surmène et ne s'use vite. 10

Il y a là d'excellents et aimables jeunes gens du Nord: Diligent, Jar­del, Doal, etc. qui ont de la foi et des idées, et qui savent parler et écrire et puis quelques adolescents, rhétoriciens ou philosophes des collèges de Dunkerque et de Tourcoing: Decreton, Mopty, Debil, etc. Plusieurs d'entre eux vont entrer au séminaire. Ils sont enthousiastes pour la dé­mocratie chrétienne.

Ces réunions, comme le remarque M. Fonsegrive, donnent de l'espéran­ce pour l'avenir de la France. Il y a en France des groupes de jeunesse ca­tholique, ardente, comprenant les besoins de la société nouvelle et dévouée au vicaire de Jésus-Christ. Ce sont nos Macchabées. Notre espérance repo­se sur eux. Ils ont leurs journaux, leurs groupes locaux. Ils formeront plus tard à la chambre le noyau du groupe 11 démocratique chrétien.

J'allai bénir à Boulogne le mariage de mon ancien élève Victor Ravi­net. J'étais heureux de donner cette marque d'estime à une famille ex­cellente. J'avais une assistance d'employés de l'Etat et leur tenue ne lais­sa rien à désirer.

Cette grande basilique de Notre-Dame de Boulogne témoigne de la grande foi du prêtre et des fidèles qui l'ont élevée, mais pour le style, elle en est encore aux excentricités du XVIIIe siècle, au genre baroque des Borro­mini et des Guarini. C'est une des dernières œuvres du style rococo.

Je logeais chez l'aumônier des Ursulines. Les bonnes Soeurs sont bien édifiantes. Elles aiment bien le S.-Cœur, mais la vénérable supérieure tient à sa vieille indépendance et ne goûte pas l'union générale que le Saint Père a conseillée. 12

Nous faisons la retraite comme à Fourdrain, comme cela a eu lieu au­trefois. C'est le P. Fontaine s. j. qui nous la prêche. Il lui donne le cadre général d'une retraite de prêtres: le sacerdoce, sa dignité, ses fonctions, la messe, l'office, l'enseignement… Il a cependant des méditations sur les voeux.

J'ai vécu l'année qui fuit sur une disposition d'humilité. Ma devise, mon mot d'ordre était «Pardon, mon Dieu!». Je voudrais vivre cette année sur une disposition d'union avec Dieu. Puissé-je être fidèle toute l'année! J'ai été bien lâche depuis six mois!

Le bon Père est un homme de doctrine. Il signale avec raison les dé­viations de certaines revues: Revue du clergé, Annales de philosophie, Revue d'histoire et de littérature, Quinzaine. 13 En politique, il est réfractaire. Il hait la démocratie. C'est un breton et il croit encore au Roy.

Le récépissé du dépôt de notre demande d'autorisation m'est venu le 12. C'est une date.

Nos Soeurs12) sont résolues à partir. Elles emballent leurs meubles. J'insiste pour les faire rester. Je crois que c'est plus sage. Elles ont des chances d'obtenir l'autorisation, comme alsaciennes. Au fond, la plu­part des Soeurs désirait rester. La Chère Mère13) croyait mieux faire de partir. Elle a acheté une maison au Limbourg.

A la fin, elle cède. Nous rédigeons vite ses pièces. La Soeur Marie de la Providence les porte à la signature de Monseigneur14), et tout rentre dans le calme. 14

Le 15 nos rhétoriciens prennent la soutane à S.-Clément. Ils sont bien disposés, puissent-ils continuer!

Je passe encore quelques jours à Fourdrain du 19 au 22. Je m'interes­se aux arrangements de la propriété. Puis c'est le moment de faire tous les placements. C'est assez compliqué. Les besoins des maisons ne cor­respondent pas toujours avec les attraits de chacun. Il faut demander à quelques-uns des sacrifices. Tous ne sont pas généreux.

La situation politique trouble les esprits. Il y a des découragements et quelques désertions. C'est toujours pour moi un déchirement.

Mes préparatifs de départ prennent les derniers jours du mois.

Si l'autorisation nous est refusée, je reviendrai dans des circonstances bien pénibles. 15

Je ne vois à Paris que M. de Menezes et l'abbé Billet. Je ne rencontre pas le Nonce. Tout s'arrange pour le Brésil. Je pourrai donner deux Pè­res: P. Angelus15) et P. Longin16). Si je n'étais pas retenu par les difficul­tés administratives, j'irais faire une visite là-bas.

Je m'arrête à Aix-les-Bains, pour couper le voyage. Aix a son église neuve, comme Vichy. Elle a aussi son beau parc, ses magasins de bibe­lots, ses photographies immondes. C'est encore un quartier de Cosmo­polis, de cet immense caravansérail, qui s'appelle ici Monaco, là Nice, Vichy, Saint-Sébastien, Lucerne, S.-Maurice, Venise, etc. etc.

On retrouve partout le Grand Hôtel, l'Hôtel Victoria, l'Hôtel d'An­gleterre. Le globe terrestre est devenu petit par la facilité de le visiter. Il ne suffit plus 16 à dissiper le «spleen»17) des millionnaires d'Angleter­re et d'Amérique.

A Turin, je dis la messe à la Madone della Consolata dans la crypte. Les Piémontais aiment bien leur Consolatrice. Je revois la voûte étrange de cette église, conçue par le P. Guarini18) dans le plus pur rococo. Il y a dans l'église les statues agenouillées de deux pieuses reines, Marie­-Thérèse, épouse de Charles-Albert et Marie-Adélaide, épouse de Victor­-Emmanuel II, mortes toutes deux en 1855. Elles n'auraient peut-être rien empêché des vilenies italiennes. Dieu les a prises à temps pour qu'elles n'en soient ni témoins ni complices.

Je vais prier au Saint Suaire.

Je revois le musée royal des armures. Il ne faut là qu'un peu d'imagi­nation pour se représenter le moyen-âge avec ses tournois et ses batail­les. 17 Il y a là les lourdes armures des chevaliers et celles plus artisti­ques des princes et des rois. La pensée remet tous ces hommes de fer sur leurs chevaux. Leurs lances se croisent. Les mousquets et les arquebuses des hommes de pied lancent flèches et balles.

Des rostres et des béliers de la vieille Rome permettent même de se re­présenter les sièges des villes et les batailles navales. On peut étudier là un bon chapitre d'histoire.

Je monte ensuite au sommet de cet étrange monument qu'on appelle la Mole Antonelliana. C'est l'architecte Antonelli19) qui a élevé cette sor­te de Tour Eiffel, close et vitrée, pour en faire une synagogue. Les juifs, pour une fois, ont manqué de fonds pour achever, c'est bien étrange. La ville va en faire 18 une musée. La tourelle a cent mètres. Je pouvais voir de là-haut le Pô et la Doire sortis de leurs rives et envahissant les faubourgs de la ville.

Je voulais faire aussi une visite aux morts. J'allai d'abord au cimetière commun. Je vénérai là la tombe de Silvio Pellico qui a été aussi saint dans sa vie privée qu'ardent patriote dans sa vie politique. Je recherchai ensuite la tombe de Gioberti20). Je souhaite qu'il ait au ciel autant d'ho­neurs qu'ici parmi les patriotes modernes.

J'allai ensuite au Val Salice, prier auprès du corps de Don Bosco, que j'ai eu le bonheur de connaître de son vivant. Quelle belle œuvre que cet alumnat du Val Salice! Et quel site gracieux aux portes mêmes de la vil­le! De jeunes clercs s'ébattaient 19 là joyeusement. C'est un Fayet, mais plus considérable et plus poétique.

Milan est vraiment une ville intelligente et intelligemment gouvernée. Elle conserve et rajeunit ce qui lui reste du vieux temps, du temps des Visconti et des Sforza: la piazza dei Mercanti avec son palais de justice du XIIIe siècle et sa loggia du XIVe; le Castello, merveilleux ensemble qui étonnera comme nos plus imposants châteaux du Moyen Age, quand sa restauration sera complète.

Le Duomo a toujours un grand charme. Il n'a pas la hardiesse, le ca­ractère mystique, ni l'harmonie des formes de nos grandes cathédrales du Nord. C'est une œuvre d'orfèvre, comme les monuments plateresques d'Espagne. C'est une grande châsse où la préoccupation d'accu­muler 20 la richesse des détails a fait tort à la conception de l'ensem­ble. Il y a là le travail artistique de cinq siècles.

Que de souvenirs offre cette église! Je pus y célébrer dans la crypte, au tombeau de s. Charles Borromée, après l'Evêque de Bitonto qui fait par­ler de lui par son journal social21) à l'usage des séminaristes.

Le Duomo a plusieurs monuments des Visconti et des Médicis, une statue assise de Martin V, une autre de Pie IV. Le trésor a quelques ob­jets de l'époque lombarde, diptyques du VIe siècle, couvertures de li­vres, vases d'ivoire. L'ange de porphyre du baptistère serait le sarcopha­ge de s. Denis. Le vieux crucifix de bois d'une chapelle latérale est celui que portait s. Charles dans les processions au temps de la peste. 21 Un tableau du Baroche représente s. Ambroise donnant l'absolution à l'em­pereur Théodose.

Je revis aussi le musée Bréra. Quelle belle collection de primitifs, sur­tout les Borgognone, puis les Luini, les Bellini, les Lotto, les Crivelli. Mais la pièce maîtresse, c'est le Sposalizio de Raphaël. Il n'était encore, quand il l'a fait, qu'un miniaturiste. Il n'avait pas appris de Michel­-Ange à dessiner l'académie ni des anciens romains à peindre la beauté sensuelle, mais il était encore naïf, simple et pieux. Rome l'a grandi puis , J'a perdu.

Sa Transfiguration est merveilleuse, mais je trouve que c'est à la Ma­done dite du Grand Duc qu'il a donné la plus grande intensité de senti­ment religieux.

Milan qui a toutes les activités 22 avait en ce moment un congrès scientifique catholique. Les jeunes gens du fascio démocratique vinrent me saluer à l'hôtel, conduits par don Vercesi22).

Je fis encore une visite ou plutôt un pèlerinage à la vénérable basilique de S.-Ambroise, où l'on peut faire revivre les rites antiques, la prière des catéchumènes dans l'atrium, la lecture aux ambons, la messe pontificale avec l'autel tourné vers le peuple, etc.

La Cène de Léonard de Vinci nous montre, comme les peintures du Vatican, l'alliance de l'art et du sentiment théologique. Chacun des apô­tres représente là un caractère, une attitude traditionnelle. Nos peintres de métier ne voient pas si loin.

Les deux églises de S.-Laurent et S.-Eustorge contribuent à donner à Milan son cachet historique. S.-Laurent, c'est 23 l'église byzantine octogone à coupole, comme S.-Vital à Ravenne, et la cathédrale d'Aix­la-Chapelle. Elle a encore le tombeau de son fondateur, le roi lombard Astolphe, et de vieilles mosaïques du VIe siècle.

S.-Eustorge, basilique du IVe siècle possède le sarcophage byzantin qui a contenu les reliques des Rois Mages, envoyées à Cologne en 1162 par Frédéric Barberousse. On y voit aussi deux tombeaux des Visconti où les nobles princes sont agenouillés au près de Marie - et le magnifique tombeau en marbre de s. Pierre martyr par Giov. Balduccio de Pise (1339) , rival des beaux tombeaux de S.-Augustin à Pavie, de S.-Antoine à Padoue et de S.-Dominique à Bologne.

Je refis de Milan ce qu'on appelle l'excursion des lacs, c'est-à-dire la visite des trois lacs de Côme, Lugano et Majeur. 24 Ces lacs me pa­raissent être le coin le plus délicieux de l'Europe. C'est un des jardins enchanteurs que le Créateur nous a ménagés. On y jouit à la fois des grands horizons alpestres et de la chaude nature du midi. Du pied des orangers de l'Isola Bella, des magnolias et des palmiers de la villa Car­lotta et de la villa Serbelloni, on aperçoit les grandes neiges des Alpes. L'industrie moderne facilite ces douces jouissances. Des funiculaires vous transportent en quelques instants de Côme au Brunate et de Luga­no au sommet de San Salvatore. Quels splendides panoramas sur ces hauteurs! On découvre les lacs, leurs angles et leurs circuits, une foule de villes coquettes et dans le lointain la chaîne du mont Rose ou celle du Splügen.

Ces lacs sont encore un quartier de Cosmopolis. Les villas des princes allemands et russes succèdent aux villas des riches 25 banquiers ou des grandes actrices.

Auprès du lac de Côme, où était la villa du vieux Pline, il y a la villa des Visconti de Milan, celle de la danseuse Taglioni, celle des Gonza­gue, celle du Dr Franck de Pavie, celle du prince Albert de Prusse, celles du duc de Lodi, du comte Blome de Vienne, de Massimo d'Azeglio, des Médicis, etc. etc.

Les beaux marbres de la villa Carlotta, dûs à Thorvaldsen, à Canova, à Hayez, à Acquisti, à Bienaimé, à Fontana, n'ont pas la perfection aca­démique du siècle de Périclès, mais ils ont plus de grâce.

Quels charmants séjours on ferait à Bellagio, à Lugano, à Pallanza ou Stresa! Mais pas en pleine saison, c'est trop cosmopolite.

Les lacs ont leur sanctuaire à Varese, comme ceux de Suisse ont Ein­siedeln. 26

Venise avait une exposition d'art moderne. L'art, c'est l'expression des sentiments d'une époque. Je désirais voir cela. Ce fut d'ailleurs une déception.

Venise a toujours un grand charme. La place S.-Marc est décidément la plus belle que je connaisse. Elle a moins d'étendue, mais plus d'art que la place S.-Pierre à Rome, que la place de la Concorde à Paris. La basili­que de S.-Marc d'un côté et le palais des Doges, merveilles de l'art byzan­tin et de l'art ogival, les Procuratie et la Libreria de l'autre, œuvres de pure et sobre renaissance, et puis ce petit coin de mer avec la perspective de l'île S.-George, combien tout cela surpasse la lourde façade que Paul V Borghèse fit ajouter à S.-Pierre et la colonnade pharaonesque du Pape Alexandre VII! 27

Je revis l'Académie de peinture puis les deux panthéons des Doges, les églises de S.-Jean-et-Paul et des Frari.

Venise, comme Naples, a ses deux panthéons. Les Doges ici, comme les rois là-bas, choisissaient pour leur dernière demeure l'une ou l'autre église, suivant que les dominicains ou les franciscains étaient les plus en faveur. Aujourd'hui, on se fait enterrer dans un panthéon laïcisé, en compagnie de Voltaire et de Rousseau!!!

L'église de Ste-Marie-des-Frari, outre les monuments pompeux du Titien et de Canova, a plusieurs tombeaux des Doges, depuis le monu­ment gothique et modeste de François Foscari (1457), jusqu'au monu­ment majestueux et de mauvais goût de Jean Pesaro (1659). - La sa­cristie a une suave Madone de Bellini, et une urne de marbre qui con­tient une relique du précieux sang. 28

A l'église S.-Jean-et-Paul: monuments gothiques de Marc Cornaro (1368), de Michel Morosini (1382), de Thomas Mocenigo (1423). Celui-­ci est déjà mi-partie Renaissance. Il marque donc la date de la transition.

Monument de Pierre Mocenigo (1476) avec quinze statues par les Lombardi; monument d'André Vendranin (1478) par Leopardi, de la plus pure Renaissance. La belle chapelle du Rosaire, incendiée en 1867 avait été érigée en souvenir de Lépante en 1571. Quelques beaux frag­ments du rosaire ont échappé à l'incendie.

La visite du Palais des doges me laisse une triple impression, celle de la piété des doges, celle de la grandeur de Venise et celle du paganisme de la Renaissance. Piété des doges: je vois dans les peintures artistiques des salles du palais: le doge Ant. Grimani à genoux devant la religion, par le 29 Titien; la prière du doge André Gritti à la Vierge; le doge François Dona agenouillé devant la scène des épousailles mystiques de ste Catherine; la Vierge dans une gloire avec le doge Nicolas da Ponte; l'Adoration du Sauveur avec le doge Alvise Mocenigo; le Christ dans une gloire et au­dessous le doge Venier; le doge L. Donato, à genoux devant la Vierge; la Vierge avec l'Enfant-Jésus et Saints et le doge Léon Lorédan.

Si nos réfractaires allaient à Venise, ils reviendraient peut-être per­suadés que toute république n'est pas essentiellement satanique.

La grandeur de Venise: elle se manifeste surtout dans la Salle du grand Conseil. On y voit représentés les succès du doge Seb. Ziani uni au Pape Alexandre III contre l'empereur Frédéric I, puis les succès du doge Henri Dandolo uni 30 aux croisés de France en Orient.

Dans la salle du Scrutin, ce sont d'autres victoires sur les Turcs, à Jaf­fa, en Morée, aux Dardanelles, à Lépante.

Le paganisme de la Renaissance: Que signifie ce mélange de tous ces polichinelles de l'Olympe avec le vrai Dieu? - Dans la Salle des quatre portes, Tintoret a peint au plafond Jupiter entouré des dieux donnant l'empire des mers à Venise!!! (Venise n'aurait pas été loin avec de pa­reils protecteurs). - Salle de l'Anticollège: Enlèvement d'Europe par Véronèse; Vulcain, Minerve, Mercure, Mars, Ariane et Bacchus, par le Tintoret! ! ! - Salle du Collège, plafond par Véronèse: Venise avec la Foi, Neptune, Mars, la Justice et la Paix!!! - Salle du Sénat: Palma le jeune: Venise avec le lion de S.-Marc se défendant contre 31 l'Europe assise sur le taureau (allusion à la ligue de Cambrai). Est-ce assez Renais­sance?…

Avant de quitter le palais je veux signaler une merveille, bibliographi­que, le bréviaire du Card. Grimani, de famille ducale, décoré de minia­tures par les meilleurs artistes de l'école flamande, Memling, Antonello de Messine, etc. Ce bréviaire vaut à lui seul tout un musée. Je pense qu'il emporterait le prix contre toutes les collections de peintures de l'art grec et romain.

Je revis aussi l'Académie de peinture. Les primitifs y sont délicieux. Jean Bellini, Bocaccino de Crémone, Bonifacio, Bissolo, Jacobello del Fiore, Jean et Antoine de Murano ont des œuvres charmantes de naïveté et de sentiment religieux.

L'Assomption du Titien rappelle 32 la Transfiguration de Raphaël. Elle prouve que le Titien comprenait le sentiment religieux.

J'étais étonné de voir à ce musée des portraits au pastel par Rosalba Carriera, qui rappellent étonnement ceux de Quentin de la Tour. Venise produit encore des objets artistiques, des verres, des sculptures en bois et des dentelles. J'ai visité l'atelier et les magasins de Salviati au palais Bernardo. Je ne pense pas qu'on puisse voir au monde une plus merveilleuse collection d'objets en verre de toute espèce, de style romain et pompéien, de style vénitien ancien et moderne.

Excursion au Lido: belle plage, bains et hôtels. C'est encore un coin de Cosmopolis. Il faudrait lire là quelques belles pages de Byron, de Chateaubriand 33 ou de… Bourget.

Enfin, visite à l'exposition d'art moderne. Avant d'y entrer, saluons dans l'ancienne église patriarcale de S. Pietro di Castello, les reliques glorieuses de s. Laurent Justinien.

J'espérais trouver mieux à l'exposition. Il y a peu d'œuvres bien sail­lantes. En somme les vrais artistes d'Europe dédaignent cette exposition dite internationale.

Il y a quelques œuvres de nos grands paysagistes, prêtées par un col­lectionneur anglais: l'arbre incliné de Corot; les rives de l'étang de Dau­bigny; la solitude de Millet; le chêne de Dupré; le laboureur, de Bur­naud. Les Italiens passent froids devant ces œuvres qui nous charment à Paris. Elle ne sont pas à leur diapason comme lumière, comme ciel et comme coloris. Elles sont faites pour des tempéraments du Nord. 34

Le principal intérêt de cette exposition, c'est peut-être la réunion des œuvres de Luigi Nono, peintre vénitien, mort il y a peu d'années. Il y a là des œuvres charmantes qui rappellent nos meilleurs réalistes, telles «La mort du petit poussin», le «Refugium peccatorum». Toute la cou­vée parait en deuil à la vue de ce petit poussin étendu mort. C'est peut­-être dans la pensée de l'auteur, le symbolisme de quelque deuil de famil­le. Dans le «Refugium peccatorum», une jeune fille prie devant la Ma­donne d'un petit autel. Il y a là quelque chose de Murillo dans le réa­lisme et le sentiment religieux. J'ai goûté aussi une bonne toile de Mo­relli (napolitain), la fille de Jaïre. Le cachet oriental y est observé.

Il y a quelques bonnes œuvres des Hongrois: Laszlo, portrait du card. Rampolla; 35 Kernstok, halage le long du Danube; Zemplenyi, vieille paysanne.

Il y a quelques ébauches russes: un bon portrait de Léon Tolstoï, à cheval, avec sa blouse légendaire par Troubetzkoy; le Rire ou femmes ébauchées comme dans un rêve et montrant leurs dents blanches, leurs joues enluminées et leurs corps se perdant dans la brume. C'est une fan­taisie qui a au moins pour elle le mérite de l'invention.

Il y a de Von Kaulbach un portrait de son père et celui de sa femme; de von Leubach, un bon portrait de Bismarck; d'Oesterman, un portrait d'Oscar II de Suède.

De l'anglais Jones Burne, le songe du chevalier Lancelot, riche de couleur; de Sauter, la consultation du P. Kneipp.

Parmi les contemporains italiens, la Sicile et Naples me paraissent mériter 36 la palme. Au coin de la Sicile, je remarque: de Maria, le soir; Lojacono, l'homme d'armes et un matin d'été; Tomaselli, portrait d'un compositeur russe.

Au panneau de Naples: De Nittis, la Dame aux chiens, et quelques paysages.

On dit qu'on a refusé 25% des œuvres proposées, il eut fallu en refu­ser 75%. C'eût été mieux pour l'honneur de l'art contemporain en Ita­lie.

A Bologne, je vais vénérer la Santa et s. Dominique. Puis je revois S. Stefano, un étrange sanctuaire qui contient sept églises de tout style, une basilique à colonnes, urie retonde byzantine comme S.-Vital de Ravenne, un cloître lombard, etc. C'est bien là les lieux saints du vieux Bologne. Aussi les fidèles y vont-ils avec une foi admirable d'un autel à l'autre. On y vénère les corps de s. Vital, de 37 s. Pétrone et de s. Agricola.

A Florence, je célèbre la messe auprès du corps de s. Zénobius, l'apô­tre de la ville devant le merveilleux reliquaire en bronze que lui a fait Ghiberti.

Je vais voir les fouilles de Fiesole. C'est tout un petit Pompéi, avec théâtre, bains, temple étrusque, etc.

Je m'arrête à San Domenico où a vécu l'Angelico. Il y a de lui dans l'égli­se une suave Madonne avec des saints et dans une salle, un grand Christ. S. Laurent Justinien est entré là très jeune. C'est encore un alumnat.

A Assise, je célèbre dans le sanctuaire de la Portioncule et je vais re­voir l'église de S.-François, qui est comme un beau missel à miniatures du XIIF siècle. Je rentre à Rome le 15. C'est toujours avec une nouvelle joie. 38

Après quelques jours de repos, pendant lesquels j'eus une grosse cor­respondance à mettre à jour, je prêchai la retraite au collège canadien, du 27 oct. au 1er novembre23). Ces jeunes gens et leurs directeurs m'ont bien édifié. Ce fut pour moi une retraite aussi. Je me suis servi beaucoup du beau livre de Manning sur le sacerdoce.

La retraite que je leur ai donnée pourrait servir pour une retraite dio­césaine, en y ajoutant une ou deux conférences sur le ministère parois­sial.

J'ai pu apprécier davantage les Canadiens que je connaissais déjà un peu. Leur clergé est très sérieux et bien formé. - Celui des Etats-Unis a été longtemps très bon, quand on allait là avec l'abnégation du mission­naire. Il se recrute trop aujourd'hui des fruits secs des séminaires d'Eu­rope, qui vont là souvent avec des vues intéressées. 39 Il y a là un sé­rieux péril pour l'Eglise d'Amérique.

Mes premières promenades dans Rome me permirent de constater que l'on avait poussé activement les travaux publics depuis quelques mois. Le syndic Colonna veut faire parler de lui. J'aime Rome comme une seconde patrie et je suis heureux de la voir s'approprier et s'embel­lir. L'exèdre de la place Termini, le pont de Ripetta et l'élargissement de la place de Venise sont de beaux et utiles travaux.

Tout Rome est au cimetière. On s'y coudoie comme au marché. Tou­tes les tombes sont fleuries, c'est comme une exposition de chrysanthè­mes et le soir toutes sont illuminées. C'est un champ de feu. Le peuple a la foi en l'autre vie. 40

Je reprends mes petits travaux quotidiens, notes, études, rédactions. C'est en apparence une grande paix. Les fleurs cachent la croix: la mau­vaise santé est toujours là avec les insomnies, les difficultés d'argent qui durent depuis 25 ans, les défections, les ingratitudes, le poids des fautes, le souci des difficultés politiques et encore un gros nuage du côté du Saint-Office qui se préoccupe à nouveau de nos difficultés de 1884.

A défaut d'autres, les croix qui se sont accumulées depuis vingt-cinq ans ne sont-elles pas une preuve que notre sacrifice a été accepté par Dieu?

J'achève de rédiger nos Règles, notre Directoire, nos prières.

Je fais quelques bonnes visites aux Cardinaux Rampolla, Parocchi, Agliardi, Ferrata, Vannutelli, et au P. Lepidi24). Je m'efforce de donner sur la France 41 quelques renseignements exacts et utiles. Les réfractaires sont à démasquer, ils empêchent l'union. Nous avons aussi des tendances doctrinales dangereuses, une infiltration de protestantisme. Les revues «Annales de philosophie chrétienne», «Revue du Clergé», «Revue d'his­toire et de littérature» et parfois «La Quinzaine» enseignent le kantisme et l'exégèse libérale. Dans la «Revue du clergé», M. Loisy25), sous des pseu­donymes divers, nous fait de l'exégèse protestante. Dans les «Annales», c'est toute la Revue qui a des tendances kantistes: M. Denis lui-même son directeur ne prend pas au sérieux l'Encyclique sur les études philosophi­ques. Les autres rédacteurs sont dans le même courant: Gerogel «Matière et dogme», Le Chartier «Méthode positiviste», Jules Matin «Scepticisme et dogmatisme». 42

Mon âme a besoin de calme, je vais chercher quelques jours de paix auprès des sanctuaires bénédictins de Subiaco.

Les bonnes Soeurs du Saint-Sacrement, les Monache francesi, me don­nent l'hospitalité. Ces pieuses filles sont là au nombre de onze, six Ita­liennes et cinq Françaises. Elles sont bien humbles, bien pauvres et bien dévouées. Elles ont chaque jour trois cents enfants du peuple à garder et à instruire depuis neuf heures du matin jusqu'à quatre heures du soir. Tout ce petit monde manœuvre très docilement et sans trop de bruit. Les enfants apportent dans un modeste panier leur… dîner quotidien, un morceau de pain et un fruit de la saison. Les plus favorisées ont un flacon d'eau rougie. Ce sont bien des enfants du peuple, car il n'y a que du peuple à Subiaco. Dans cette grande ville de 7 à 8.000 âmes, 43 ôtez sept ou huit familles aisées et il ne reste que du petit peuple, que des pauvres. On n'y lit guère. Il n'y a pas besoin de libraire. On y vend une douzaine de Tribune et de Patria, pas un journal catholique. Il n'y a pas de magasins. On y trouve seulement quelques étoffes de coton, quelques chapeaux de feutre, des outils grossiers, du vin à quatre sous le demi-­litre.

Tout le peuple vous demande le demi-sou, mezzo baiocco, quand vous sortez. Il faudrait pour les contenter se faire suivre d'un âne chargé de monnaie.

J'habite l'appartement de Pie VI26). Oh! il n'a rien de royal, si ce n'est la belle vue qu'on a de ses fenêtres. J'ai deux chambres. Pie VI y a séjourné lorsqu'il était encore le Cardinal Braschi. Il y est revenu 44 quand il était pape. C'est que Pie VI était, comme cardinal, abbé commendataire de Su­biaco, et comme Pape il a gardé l'abbaye en commande par dévotion pour saint Benoît.

Subiaco doit tout à Pie VI. C'était en 1775 un village infect et sans is­sue. L'abbaye était fort déchue. Le palais abbatial, la Rocca, vieille for­teresse élevée par Alexandre VI, tombait en ruines.

Pie VI fit faire la belle route de Tivoli, il fit restaurer et embellir la Rocca, il fit construire le boulevard, le viale qui y conduit. Il fit bâtir la grande basilique de Saint-André. Il dota la bourgade de fontaines. Il ra­jeunit l'église de Sainte-Scolastique. Cela, par exemple, n'est pas ce qu'il a fait de mieux.

Le XVIIIe siècle ne pouvait pas toucher un édifice gothique 45 sans le gâter horriblement. Mais où le pauvre Pie VI aurait-il trouvé un ar­chitecte qui comprit le gothique en 1776?

Enfin ce que Pie VI fit de meilleur, c'est de rendre à l'abbaye un peu de vie et de ferveur religieuse qui allait être tranchée trop tôt par la Ré­volution.

Subiaco reconnaissante éleva à son bienfaiteur un arc de triomphe «Benefattori et locupletatori». Le Pape en fit les frais, bien entendu. Aujourd'hui, le boulevard tracé par Pie VI s'appelle Viale Umberto. Les rues ont laissé leurs noms de saints pour s'appeler Via Garibaldi, Ca­vour, Cadorna, etc… Tous ces héros ont fait oublier Pie VI et saint Benoît lui-même!!

Je reviens à mon appartement pontifical. Mes deux chambres sont 46 gentiment peintes, comme on faisait en 1775. La Renaissance n'était pas finie. On en était encore au style de Jules Romain et des élè­ves de Raphaël. Mes chambres sont voûtées. Mon salon a quatre gran­des scènes sur les parois, quatre petites dans-les lunettes, quatre dessus de porte et les compartiments de la voûte.

Les quatre parois me représentent la Création, le transport de l'Arche en Palestine, les juifs captifs à Babylone et saint Paul prêchant à Ephèse. C'est l'histoire à grandes enjambées. Ephèse sur ces murs est une ville superbe, avec palais, fontaines et arcs de triomphe. Le peuple est très vi­vant et très varié sur la place. Aucune scène n'y manque, pas même le mingens ad parietem [3 Rg 14,10]. On brûle aux pieds de saint Paul les 47 livres condamnés (Act. XIX, 19).

Les lunettes et les dessus de portes sont à la gloire de Pie VI. Dans les lu­nettes, il préside le S. Collège, il ordonne les embellissements de Subiaco, la construction de la basilique Saint-André et la restauration de la Rocca.

Les dessus de portes ont de jolies petites scènes dignes de Pompéi par le style. Le Pape est là avec des figures symboliques qui représentent les vertus ou les arts, ou bien il travaille à son bureau, et il reçoit les délé­gués de Subiaco. Les petites scènes sont expliquées par ces textes de l'Ancien Testament:

1. Misericordia et veritas custodiunt… et robaratur clementia thronus ejus (Prov. 20, 28). - 2. Nec per noctem mente requiescit (Eccle., 2,23). - 3. Laetabor super eis cura bene eis fecero (Jérém. 23) [32, 41]. 48 - 4. Divites in virtute, pulchritudinis studium habentes (Eccli. 44, 6).

Traduction: 1. La miséricorde et la vérité gardent son trône; la clémen­ce le fortifie (Prov. 20). - 2. Même la nuit son esprit travaille (Eccle. 2). - je serai heureux de leur avoir fait du bien (Jérém. 23) [32]. - 5. Ils sont riches en vertus, ils ont le goût du beau (Eccli. 44).

La voûte représente le triomphe de la religion, avec quatre vertus symbolisées.

La chambre à coucher est plus simple. Les parois ont des tentures de vieux reps de soie jaune moirée. Une embrasure de porte murée forme prie-Dieu. Une fresque y représente l'adoration des bergers, et en bas deux figures me paraissent être Adam et Eve repentants de leur faute.

Ce qui me touche plus que ces décorations, c'est le souvenir du saint Pontife qui est mort en exil à Valence.

Avant saint Benoît, Subiaco était célèbre par le séjour de Néron. Il s'était fait élever là, comme à Antium, comme à Baia, un riche palais où il put satisfaire sa sensualité 49 tout asiatique. Trente mille esclaves avaient travaillé onze ans pour édifier la Villa Sublacensis. Elle était à cheval sur le torrent où des barrages avaient formé trois lacs. Il y régnait une fraîcheur délicieuse. On pouvait braver là les étés de Rome. Mais Dieu ne laisse guère en paix les jouisseurs. Néron était à peine installé là en l'an 61, au retour de ses ridicules triomphes de Grèce, qu'un orage éclata pen­dant qu'il banquetait et la foudre tomba sur sa table (Annales de Tacite). Cela refroidit son amour pour Subiaco. Il reste des ruines imposantes de la villa et jusqu'à nos jours on y a trouvé des œuvres d'art.

O contraste! un autre patricien de Rome, Benoît, fils d'Eutropius, de la grande famille Claudia Anicia, devait venir habiter là quatre cents ans 50 plus tard, non pas pour y chercher des jouissances grossières, mais pour s'y livrer à la plus austère pénitence. Il ne fatiguait pas trente mille esclaves pour se bâtir un palais. Il se blottissait dans un creux du ro­cher où il passait trois ans à méditer et à prier, vivant d'un peu de pain que lui faisait tenir l'anachorète Romanus. Et depuis lors le palais de Néron est resté à l'état de ruine maudite, mais la grotte de Benoît, tou­jours plus vénérée et glorifiée a déversé sur le monde entier tous les bien­faits de la foi et de la civilisation, comme une source de paradis.

Benoît naquit en 480 à Norcia en Ombrie. O douce Ombrie qui nous a donné tant de saints et d'artistes, saint Benoît, saint François, l'école de Pérugin 51 et de Raphaël et les aimables vierges de Foligno et de Montefalco!

«A la fin du Ve siècle, dit Montalembert, tout paraissait retourner à l'antique chaos, tout, hommes et choses; et tout en Europe, dans l'an­cien empire romain, en Italie et à Constantinople, tout était carnage, ruine, désolation et mort. Au nord, la Germanie toute païenne, sembla­ble à un impétueux torrent qui rompt ses digues, inonde, submerge, dé­truit et transporte tout, ne cessait pas de verser sur le reste de l'Europe ses hordes barbares, féroces, inhumaines, avides de carnage et de ruines. La grande Bretagne avait été envahie récemment par les Angles et les Saxons, qui y avaient étouffé la foi à sa naissance. La Gaule était enva­hie au nord par les Francs païens, au midi par les Bourguignons ariens. L'Espagne était 52 dominée et dévastée par les Visigoths, les Suèves, les Alains, les Vandales, tous ariens. Ces mêmes Vandales, conduits par Genséric désolaient l'Afrique chrétienne en y multipliant les ruines et les martyrs. L'Italie, après la chute de l'empire romain, était devenue la proie d'Alaric et d'Attila.

En Orient, les empereurs ineptes, mous, efféminés et théologisants, ne paraissaient reprendre le courage qu'ils perdaient contre les barbares que pour publier des édits, réunir des conciles, formuler des dogmes et persécuter la foi orthodoxe, défendue et soutenue par les Papes. Ainsi tous les germes de la culture et de la civilisation antiques étaient enseve­lis sous les décombres et sous les ruines fumantes des cités désolées».

C'est toute la civilisation qu'il fallait renouveler. Saint Benoît médita pendant trois ans dans sa grotte solitaire. Ce n'était qu'un adolescent, mais 53 Dieu ne lui laissait rien ignorer de sa mission et des grandes destinées de son Ordre. Benoît conçut son plan, aussi simple dans sa forme que grand et efficace dans ses résultats. Il fonderait des petits groupes de prière et de travail. On y chanterait les louanges de Dieu, on y conserverait les traditions ecclésiastiques et littéraires, on y donnerait au peuple l'exem­ple du travail agricole et des arts et métiers. Ces groupes d'élite seraient au­tant de foyers de sanctification et de civilisation. En se multipliant, ils refe­raient une société chrétienne et cultivée qui embrasserait le monde entier.

Après ses trois années de retraite et un essai infructueux à Vicovaro, il se fixait à Subiaco et commençait là à former ses groupes apostoliques. Lui-même enseignait la prière et le 54 travail aux bergers, aux ou­vriers de la montagne, aux pauvres Goths que les invasions avaient se­més sur tous les chemins.

Cette petite grotte où il enseignait les bergers et qui est au-dessous de son ermitage primitif, a été la source de tout l'apostolat bénédictin, et de nos jours, on a pu, sans emphase, écrire là les noms de tous les chefs de missions formés par l'ordre bénédictin et qui ont porté la civilisation chrétienne dans le monde entier. Cette inscription mérite d'être repro­duite, c'est la plus belle protestation contre la lâche ingratitude de toutes les nations chrétiennes d'aujourd'hui. En voici le texte et la traduction:

Ex hoc Specu, in qua s. Benedictus, praeludens apostolicis filiorum suorum labo­ribus, pastores verbis aeternae vitae erudire consuevit, 55 prodisse intellige legio­nem tot monachorum, qui xnagistrum imitati, plerosque nationes occidentis vel primo ad Christum converterunt vel jam conversas in fide excoluerunt.

S. Augustinus Evangelium praedicavit Anglis,

S. Bonifacius Germanis,

SS. Anscharius et Rembertus Danis et Suecis,

S. Leander Visigothis in Hispania,

S. Switbertus Frisis ac Westphalis,

SS. Ludgerus et Sturmius Saxonibus,

S. Adalbertus Bohemis ac Polonis,

S. Willibrordus Batavis,

SS. Amandus et Livinus Flandris,

S. Otho Pomeranis,

S. Gerardus Hungaris,

S. Bruno Prussis,

SS. Chilianus et Rupertus Franconibus,

S. Wolfgangus Austriae et Norici inculis,

S. Bonifacius cognomento igneus Russis,

S. Corbinianus nonnullis Germaniae et Galliae populis.

Serius quoque ad Americam vix adinventam 56 acque ad Australiam recens no­tam Benedicti discipuli

S. Fidei praecones perrexere.

Traduction:

De cette Grotte, dans laquelle saint Benoît, préludant aux travaux apostoliques de ses fils, enseignait aux bergers la doctrine de la vie éter­nelle, vous pouvez voir sortir toute la légion des moines qui, en imitant leur maître, ont converti au Christ la plupart des nations de l'Occident ou bien ont développé la religion qu'elles avaient déjà embrassée.

Saint Augustin a prêché l'Evangile aux Anglais.

Saint Boniface aux Germains.

Saint Anschaire et saint Rambert, aux Danois et Suédois.

Saint Léandre aux Visigoths en Espagne.

Saint Switbert aux Frisons et aux Westphaliens.

Saint Ludger et saint Sturnius aux Saxons.

Saint Adalbert aux Bohémiens et aux Polonais.

Saint Willibrod aux Hollandais.

Saint Amand et saint Liévin, aux Flamands.

Saint Othon aux Poméraniens. 57

Saint Gérard aux Hongrois.

Saint Brunon aux Prussiens.

Saint Chilion et Rupert aux Franconiens.

Saint Wolfgang aux Autrichiens et aux Suisses.

Saint Boniface l'enflammé aux Russes.

Saint Corbinien à certaines peuplades de Germanie et de Gaule. Plus tard encore les disciples de saint Benoît ont porté la foi à l'Améri­que à peine découverte et à l'Australie récemment connue.

Des centres secondaires, comme le Mont-Cassin, Tours, Fulda, se dé­veloppèrent, mais la source première de cette immense action civilisatri­ce fut vraiment Subiaco.

Je ne veux pas redire toute la légende de saint Benoît, elle est trop con­nue. J'aime mieux montrer à Subiaco quelques témoignages de l'action civilisatrice de saint Benoît.

Les moines donnaient dans toute 58 la vallée l'exemple du travail ma­nuel. Sur la pente des monts calcaires, ils soutenaient la terre par des terras­ses, ils plantaient vignes et oliviers, et dans la plaine ils semaient le grain.

Dans un ordre plus élevé, ils écrivaient, ils copiaient, ils conservaient les œuvres des littérateurs et des philosophes d'autrefois comme celles des Pères de l'Eglise. Leurs ateliers de copie correspondaient à nos im­primeries d'aujourd'hui. Ils prenaient note des événements contempo­rains et nous conservaient des chroniques inappréciables. La bibliothè­que et les archives du monastère de Sainte-Scolastique attestent tout ce­la. On y compte trois mille chartes. Les manuscrits y sont encore nom­breux, quoique plusieurs à cause de la richesse de leurs miniatures aient été transportés 59 aux musées de Rome. Quelle merveilleuse collec­tion aussi de livres d'offices et de chant! Les moines enseignaient au peu­ple à redire les douces mélodies de Grégoire le Grand.

Comme les fils de saint Benoît avaient été les premiers à copier les li­vres après l'invasion barbare, ils furent aussi les premiers à les impri­mer. On conserve à Sainte-Scolastique les premiers livres imprimés en Italie en 1465 par des disciples de Gütenberg. Ce sont déjà de belles édi­tions que celles de Lactance, de saint Augustin et de saint Jérome que j'ai vues là.

Propagateurs de l'agriculture et des métiers, propagateurs des scien­ces et des lettres, les moines furent aussi des maîtres pour les beaux­arts. 60

Pour l'architecture, il reste la première église bâtie par saint Benoît lui-même et dédiée aux saints Cosme et Damien. C'est une salle simple et majestueuse comme la cella d'un temple. Elle sert de salle capitulaire au monastère de Sainte-Scolastique.

L'art roman est là représenté par un beau cloître, le cloître du noviciat à Sainte-Scolastique. Il ressemble à ceux de Saint-Paul-hors-les-murs et de Saint-Jean-de-Latran, et il est l'œuvre de la même famille d'artistes, les Cosmati de Rome.

L'art ogival est représenté par les chapelles du Sacro Speco, qui sont du XIe siècle. C'est là qu'aurait commencé l'usage de l'ogive en Europe. Le second cloître de Sainte-Scolastique est ogival aussi. L'église elle-­même de Sainte-Scolastique 61 a été construite dans le style ogival, mais elle a été absolument défigurée au XVIIIe siècle. Il faut monter au­-dessus des voûtes actuelles pour retrouver l'ogive des anciennes voûtes.

A ce sujet,, un problème se pose. L'église de Sainte-Scolastique aurait été, d'après une inscription scellée près de sa porte, reconstruite et consa­crée sous Benoît VII en 981. Nous aurions donc là une église ogivale du Xe siècle. C'est difficile à croire. La pierre répond bien à une consécration du Xe siècle, mais l'église a pu être restaurée et agrandie postérieurement.

Pour les peintures, toute l'histoire de l'art est là résumée. L'étude de Su­biaco confirme ce que les recherches récentes ont prouvé à Rome, à Santa Maria Antica, à Saint-Clément, à Saint-Jean-et-Paul, c'est que 62 la peinture chrétienne n'a jamais eu d'éclipse entière en Italie. Avec les pein­tures de Rome, de Subiaco, de Casauria, de la Cava, du Mont Cassin, on peut suivre la peinture chrétienne de siècle en siècle depuis l'art des cata­combes jusqu'au réveil du XIIIe siècle.

On attribue au IXe siècle, au temps du Pape Léon IV, une Madone et des Saints d'un caractère byzantin, qui sont à la chapelle des bergers au Sacro Speco.

Au XIIe siècle appartiennent ces figures de style grec, raides, sans mouvement, sans expression et sans ombre, qui décorent la voûte et une paroi de la chapelle moyenne du Sacro Speco, devant la sainte grotte.

Le XIIIe siècle est largement représenté dans cette même chapelle moyenne et dans la chapelle supérieure 63 par plusieurs scènes de la vie de saint Benoît, et dans la chapelle dite de Saint-Grégoire, où se trou­vent représentés le calvaire et un jugement dernier. Il y a là aussi un por­trait de saint François qu'on dit fait de son vivant. Ces peintures du XIIIe siècle sont une transition entre la raideur byzantine et la rénova­tion due à Cimabué et Giotto. Elles ont été faites probablement par les moines eux-mêmes. Un d'eux a signé son œuvre: frater Oddo. Une autre signature «Conxolus» est peut-être aussi celle d'un moine.

C'est le XIVe et le XVe siècle qui ont la palme. On leur doit la déli­cieuse chapelle des Madones où sont représentés les mystères de la sain­te Vierge, et la première partie de la chapelle supérieure où sont repré­sentés les mystères de la vie de Notre-Seigneur. De qui sont ces peintu­res, on ne le sait pas, peut-être d'humbles 64 moines. On a voulu les attribuer à Cavallini de Rome, à Giotto, à Giottino, à l'Ucello (Paolo Uccello), à Gaddi. Le problème restera sans doute insoluble. Mais quel­le grâce dans ces figures, quelle expression de foi et de douceur! Il man­que encore bien des perfectionnements pour le mouvement, la perspecti­ve et l'ombre, mais on ne s'élèvera pas plus haut pour la pureté du senti­ment chrétien.

Si nous n'avions pas eu la déviation de l'humanisme païen, l'art chré­tien se serait perfectionné dans la forme en gardant la pureté du senti­ment et il eut surpassé en tous points ce qu'Athènes et Rome ont produit de plus beau.

L'humanisme et ses conséquences passeront et Dieu nous réserve sans doute quelques beaux siècles 65 chrétiens.

Comme l'a dit admirablement saint Augustin, le beau descend de la beauté infinie et passe par l'âme et la main des artistes pour se mani­fester à nos yeux: Deus meus et decus meum, dito tibi hymnum et sacrifico lau­dem sanctificatori meo, quoniam pulchra, trajecta per animas in manus artificiosas, ab illa pulchritudine veniunt cui suspirat anima mea die ac nocte. - Et le beau m'invite à remonter à sa source et à louer Dieu.

Dans cette visite aux lieux saints de Subiaco, j'ai été frappé de la repré­sentation du Sacré-Cœur sous maintes formes différentes. C'est que la dé­votion au Sacré-Cœur est une dévotion éminemment bénédictine. Sainte Gertrude l'a portée plus haut qu'on ne pourra 66 jamais la porter.

A la sacristie du Sacro Speco, dans une belle fresque de Manente, la sainte Vierge et s. Jean invitent s. Benoît et ste Scolastique à contempler le Cœur de Jésus percé par la lance, c'est la dévotion au Sacré-Cœur ré­vélée à l'Ordre bénédictin.

Entrez dans la chapelle supérieure de Sacro Speco, que voyez-vous à l'arc majeur de la voûte? C'est le Cœur de Jésus ouvert par Longin et laissant couler son sang dans un calice tenu par un ange. Sur les côtés, c'est saint Jean à la Cène reposant suavement sa tête sur le Cœur de Jésus, c'est l'apparition aux apôtres où saint Thomas enfonce sa main dans le côté de Jésus.

Descendez dans la chapelle moyenne, au milieu de la voûte vous voyez un agneau qui a le côté largement 67 ouvert et de cette plaie jaillit un sang vermeil qui va remplir un calice d'or.

Au réfectoire du monastère est répété le même agneau symbolique au centre de la voûte.

A la chapelle Saint-Grégoire, la blessure du Cœur de Jésus est bien accentuée aussi dans les divers mystères, au Christ ressuscité, au Christ jugeant les hommes et surtout au Calvaire où Longin enfonce sa lance et un ange recueille le sang.

C'est partout la pensée du Sacré-Cœur se manifestant au premier plan dans la décoration des monastères et sanctuaires bénédictins.

J'unis mon hymne de louange et d'action de grâces à celui que tous les siècles chrétiens ont offert 68 à saint Benoît.

L'art a dit sa grande gloire sous toutes ses formes. Les grands du mon­de, les empereurs, les papes, les saints sont venus visiter son humble grotte. Nous avons lu l'inscription qui lui attribue la plus grande part dans l'apostolat du monde entier. L'art moderne le représente dans une chapelle de l'église Sainte-Scolastique assis sur un trône et entouré des armoiries de tous les ordres monastiques et militaires qui ont été greffés sur sa règle, les congrégations du Mont Cassin, de Vallombreuse et de Cluny, les Olivétains, les Cisterciens, les ordres des Templiers, des Che­valiers teutoniques, des Chevaliers des SS.-Maurice-et-Lazare, etc. Ecoutons encore quelques témoignages éminents.

«Il faut plaindre, a dit Montalembert, le chrétien qui n'a pas-vu cette grotte, 69 ce désert, ce nid d'aigle et de colombe, ou qui l'ayant vue ne s'est pas agenouillé avec un tendre respect devant le sanctuaire d'où est sortie, avec la règle et l'institut de saint Benoît, la fleur de la civilisation chrétienne, la victoire permanente de l'âme sur la matière, l'émancipa­tion intellectuelle de l'Europe, et tout ce que l'esprit de sacrifice, réglé par la foi, ajoute de grandeur et d'élévation à la science, au travail et à la vertu» .

C'est là, a dit Pétrarque, la grotte sainte qui semble être pour ceux qui la voient, le seuil du paradis:

Immane illud et devotum specus, quod qui viderunt, vidisse quodammodo limen Paradisi credunt…

On peut dire aussi de Subiaco ce que Dante. fait dire à s. Benoît 70 à propos du Mont-Cassin:

«Je suis celui qui ai porté là le premier

le nom du Christ dont l'éclat nous illumine

et une si grande grâce s'est manifestée en moi,

que j'ai entraîné toutes les villes environnantes

loin du culte impie qui les séduisait».

«E quel son io che su vi portai prima

lo nome di colui che 'n terra addusse

la verità che tanto ci sublima;

e tanta grazia sopra me rilusse,

ch'io ritrassi le ville circostanti

da l'empio cólto che il mondo sedusse».

(Paradiso XXII, 40-45)

Deux épisodes encore.

Au XIIIe siècle, ce siècle où la sainteté coulait comme un fleuve à pleins bords, un des douze monastères de la vallée de l'Avio, celui de Notre-Dame avait à sa tête un grand Saint.

Ce Saint est le bienheureux Laurent 71 l'encuirassé. Son corps re­pose au Sacro Speco dans la chapelle des Madonnes.

Le Saint pratiquait une austérité semblable à celle des anachorètes du désert. Il s'était fait cercler de fer, comme saint Sérapion, dont le tom­beau vient de révéler à notre monde corrompu les effrayantes austerités manifestées par tant de cercles et de chaînes de fer.

Il reste aux parvis du rocher à mille pas plus haut que Subiaco quel­ques débris de ce monastère de Notre-Dame sanctifié par le b. Lorenzo. Plus haut encore était le monastère de Saint Jean.

De notre temps un Saint français voulut passer là quelques mois de péni­tence et de recueillement. C'est le vénérable Père Muard27), qui voulait re­lever en France une branche de l'ordre bénédictin. Il 72 séjourna là-haut en 1848, avec deux compagnons, et il y reçut une parte de l'esprit de s. Benoît, comme Elisée reçut l'esprit d'Elfe.

O saint Benoît, en ce moment pénible, où le monde, oubliant son Dieu et vos bienfaits, persécute toutes les familles monastiques, venez à notre secours! Aidez tous les religieux à supporter la persécution et à vi­vre saintement sur la croix.

Ayez compassion des persécuteurs eux-mêmes et demandez à Dieu leur conversion!

Quand on a goûté et savouré les deux grands monastères du Sacro Speco et de Sainte-Scolastique, il en reste à étudier et à visiter le cadre: les beaux sites de la région, les sanctuaires, les souvenirs, les moeurs.

Subiaco est au fond et au nord d'une région de montagnes. Cette ré­gion, 73 toute coupée de monts et de vallées, de collines et de torrents, est entourée d'un grand cadre de montagnes plus hautes, qui s'élèvent à 1000, 1200 et jusqu'à 1800 mètres. Au sud, c'est la chaîne des Monts de Préneste, qui varient de 1000 à 1200 mètres; à l'ouest, c'est la Costa del Sole ou les Mammelles d'Italie qui ont aussi 1200 mètres. A l'est et au nord-est, derrière Subiaco, c'est au premier plan le Talèo qui a 1100 mètres, au se­cond plan le Monte Autore, qui en a 1850.

Cette vaste région a une soixantaine de bourgades, toutes perchées sur les sommets ou accrochées aux rochers, pour cause d'hygiène sans dou­te, par amour du soleil, pour laisser les plaines à la culture et aussi pour motif de sécurité, parce que ces pays de montagnards ont toujours eu à se garer soit des querelles réciproques, soit des surprises du brigan­dage. 74

La piété aime le désert et les montagnes; on trouve là le silence et la paix, on y est plus près de Dieu, Subiaco c'est le désert; en face et en vue de Subiaco, bien loin, au sommet des Monts Prénestins, le sanctuaire de Mentorella est sur la montagne. Ces deux maisons de Dieu, Subiaco et Mentorella, se regardent. Elles ont toutes deux un grand charme. Je re­parlerai de Mentorella. Je veux aujourd'hui décrire les environs plus im­médiats de Subiaco.

Toute la région est pleine des souvenirs de saint Benoît. Benoît était ombrien de naissance, quoique romain de race par sa famille paternelle. J'aime à penser que ces tant aimables fils de la douce Ombrie, Benoît, François d'Assise, Raphaël, les trois hommes peut-être qui ont eu au monde le plus d'amis, le plus d'admirateurs et aussi le plus d'influence pour le beau et pour le bien, avaient un peu du sang celtique 75 dans les veines.

L'Ombrie a été occupée par les Celtes, concurremment avec les Tos­cans. Umbro est un mot celtique qui signifie homme fort. C'étaient bien des hommes forts, François d'Assise et Benoît.

Le doux et fort ombrien Benoît vint donc sanctifier toute la vallée de l'Avio. Avant qu'il s'arrêtât à Subiaco, nous le trouvons à Affile, à Royate [Roiate], à Mentorella.

C'était un adolescent, il avait quatorze ans. Il venait chercher une so­litude, pour y mener la vie des anachorètes. Sa vieille nourrice, inquiète pour sa santé et sa vie, l'a suivi tant qu'elle a pu, jusqu'à ce qu'il ait dé­pisté sa vigilance.

Ils sont venus tous deux d'abord au village d'Affile à deux heures de Subiaco. Ils y ont reçu l'hospitalité. La bonne Cyrilla, toute émue et tremblante, y laissa tomber et brisa un petit crible 76 pour le grain, un vaglio qu'on lui prêta. Confus, le jeune Benoît fit un signe de croix sur le vaglio et pria Dieu, et le crible se raccommoda. Un petit sanctuaire mar­que le souvenir de ce miracle.

Benoît monta plus loin et plus haut, à la bourgade de Royate [Roiate]. Les montagnards défiants ne voulurent pas loger ce jeune patricien de pauvre apparence. Il coucha sur la pierre sous un ormeau, hors du pays, et voilà que la pierre s'amollit comme un coussin, et Benoît y laissa l'em­preinte de son corps. Elle est encore là, cette empreinte miraculeuse, abritée dans un petit sanctuaire. Je l'ai vue et vénérée. Elle est devenue elle-même une source de miracles, car plusieurs fois dans l'année elle donne une sueur humaine, constatée par une analyse chimique, et qui guérit les malades. 77

Benoît s'échappa de Royate [Roiate], pour fuir les démonstrations que le miracle suscitait. Il quitta la bonne Cyrilla et alla essayer de la so­litude de Mentorella. C'était un lieu sanctifié déjà par de grands souve­nirs. Quelques chrétiens des premiers siècles s'y étaient réfugiés, comme d'autres étaient allés se fixer au mont Soracte [Soratte] ou en d'autres lieux déserts, pendant que la plupart se cachaient dans les catacombes. Ils avaient établi là-haut, à Mentorella, le culte de la sainte Vierge. C'est là aussi que l'officier Placide, allant à la chasse dans les propriétés de sa famille, la Gens Anicia, avait eu la vision du crucifix entre les bois d'un cerf, ce qui avait amené sa conversion et lui avait fait demander le baptê­me sous le nom d'Eustache, sous lequel il est honoré dans l'Eglise.

Constantin avait fait élever là une petite basilique, qui fut 78 consacrée par saint Sylvestre. Il y a là, sous le rocher où le cerf avait ap­paru, une petite grotte où Benoît séjourna provisoirement. Il n'y trouva pas sans doute le calme qu'il cherchait, et il alla définitivement se fixer au Sacro Speco, que j'ai décrit plus haut longuement et amoureusement. Mais le Sacro Speco ressemble à ces astres puissants qui ont tout un monde de satellites. Autour de Subiaco se groupèrent maints couvents.

Il y avait d'abord le monastère voisin d'où saint Romain envoyait à Benoît le pain et l'Eucharistie. Saint Romain vivait là avec quelques moines, plus tard il vint en France et mourut à Auxerre où son souvenir est honoré. Le monastère s'étendait sur les rochers qui dominent le Sacro Speco. Il y reste encore une chapelle, mais le reste du monastère a été confisqué suivant l'usage moderne, 79 et un ministre libéral l'ayant habilement racheté au fisc à bon compte, en a fait une maison de campa­gne pour l'été.

Un autre des douze monastères occupait une partie des ruines du pa­lais de Néron sur le bord de l'Avio. Deux souvenirs gracieux s'y ratta­chent. Saint Benoît y descendait souvent. Les moines employaient à la culture, autant par charité que par besoin, de pauvres Goths qui avaient suivi les envahisseurs. Un de ces Goths avait laissé tomber sa serpe dans le lac des jardins de Néron. Saint Benoît toucha l'eau de son bâton, et la serpe vint nager à la surface et se mettre à la portée des mains.

Saint-Clément, ce monastère des bords de l'Avio, était le noviciat des jeunes disciples de saint Benoît, Deux de ces jeunes gens étaient par­ticulièrement chers au grand Saint. C'étaient saint Maur et saint Placi­de. 80

Le bon petit Placide avait huit ans lorsqu'il se donna à Dieu et Maur en avait quatorze. Or il arriva qu'un jour le petit Placide fut envoyé pour chercher de l'eau au bord du lac. L'amphore était lourde; quand elle fut pleine, son poids entraîna le petit Placide avec elle dans le lac. Saint Benoît était là, il ordonna à Maur d'aller chercher Placide; Maur obéit et sa simplicité obtint de Dieu le miracle de marcher sur les eaux comme saint Pierre. Il ramena Placide. Un petit sanctuaire rappelle cet événement, et le vieux pont voisin sur l'Anio porte toujours le nom de Ponte san Mauro.

J'ai parlé plus haut des monastères de Notre-Dame et de Saint Jean… Le bon peuple de Subiaco unit au culte de saint Benoît celui de sainte Célidoine, qui est la patronne secondaire de la ville. Célidoine vécut aus­si en anachorète. 81 Elle était née dans les Abruzes [Abruzzes], à Ci­coli. Jeune encore, elle vint demander le voile des vierges à l'abbé de Su­biaco, puis elle se retira à quatre milles plus haut dans les rochers de la montagne où elle reçut de Dieu maintes faveurs miraculeuses.

Les malades affluaient vers elle et obtenaient leur guérison par ses prières. La tradition rapporte que des corbeaux lui apportaient le pain quotidien, comme cela avait eu lieu pour saint Benoît. Elle vécut là jusqu'à l'âge de soixante ans dans les exercices de la plus austère péni­tence. Elle mourut en 1152, et son corps fut transporté plus tard au mo­nastère de Sainte-Scolastique. Une chapelle sur la montagne marque le lieu où elle a vécu.

Le sanctuaire de Sainte-Scolastique possède aussi les corps de deux saints martyrs des premiers siècles, originaires de la marche d'Ancone, sainte Anatolie 82 et saint Audax son frère.

Un sanctuaire élevé en leur honneur à Gerano, non loin de Subiaco, attire chaque année d'innombrables pèlerins. J'y passai en allant à Mentorella et j'ai pu constater la dévotion des gens de la campagne envers ces Saints mar­tyrs. Mon cocher lui-même, qui se découvrait au nom d'Anatolie, alla prier dans le sanctuaire de la sainte avec une ferveur très expressive.

Saint François d'Assise et un de ses premiers disciples, le bienheureux Egidius, ont passé aussi à Subiaco. Saint François y à changé en rosiers les épines où saint Benoît s'était roulé pour chasser les tentations, et il a fondé à Subiaco même un de ses premiers monastères, qui subsiste enco­re. C'est le couvent de San Francesco près de la gare.

J'ai remarqué aussi dans la région 83 quelques Madones archaï­ques, statues de bois, noircies ou peintes, comme nous en avons plu­sieurs en France et qui nous montrent la Vierge assise et portant sur ses bras l'Enfant-Jésus. C'est le type primitif des Madones d'Occident, et il rappelle les statues d'Isis qui étaient chez les anciens une contrefaçon ou un culte anticipé de la Vierge rédemptrice. La statue de la Mentorella est dans ce genre, et aussi celle du sanctuaire de l'Immacolata à Subiaco.

Aux portes de la ville, un petit sanctuaire abrite une dévotion bien ca­ractéristique, la dévotion à Notre-Dame-de-la-fièvre. C'est qu'elle éprouve passablement la population de Subiaco, surtout les ouvriers des quartiers les plus pauvres, cette vilaine fièvre de la malaria. On y voit des enfants au teint jaunâtre et à l'air languissant, et les mères de famille vont prier Notre-Dame-de-la-fièvre. 84 Elles mettent auprès de son image un sachet contenant quelque chose qui ait appartenu à l'enfant malade, de ses cheveux, de ses vêtements. C'est une coutume orientale.

Il faudrait enfin pour compléter le cadre de la grande abbaye dire enco­re quelque chose des moeurs de la région. Les vieilles coutumes sont bien mieux conservées là qu'à Rome. Les femmes du peuple ont encore l'ancien costume: le corset extérieur est souvent rouge, la jupe courte, les socques, le voile ou la guimpe élégamment pliée sur la tête, à peu près comme la cornette des Filles de Saint-Vincent. Elles portent sur la tête tous les fardeaux: l'amphore, de vastes corbeilles remplies de fruits, de légumes ou de linge, ou même de lourds baquets pour porter des ali­ments au quartier des animaux qu'on ne nomme pas. 85

Les femmes âgées filent encore le lin et la laine à la quenouille et au rouet, et quelques familles ont des métiers à tisser qui ne sont guère plus perfectionnés que ceux des tribus africaines.

Les bergers ont encore les vêtements faits de peau d'agneau et ils vien­nent dans les soirées du temps de l'Avent jouer pieusement leurs séréna­des auprès des Madones des rues avec le biniou et la clarinette. Ce sont les anciens Pifferari que la Rome moderne gouvernée par les juifs et les sages ne tolère plus.

Ce peuple souffre de la faim. Je ne sortais pas une fois sans être sollici­té par vingt ou trente mendiants. C'est que les vignes sont malades du mildiou et les oliviers ont eu quelques mauvaises années. Pendant mon séjour, c'était en décembre, on commençait la récolte des olives, elle était fort maigre.

Que saint Benoît secoure ce bon peuple encore peu entamé par les idées modernes!28) 86

C'est le 1er décembre que je fis cette belle et rude excursion, ce bon et impressionnant pèlerinage, au sommet des monts Prénestins. Comme je l'ai dit plus haut, il y a là les souvenirs de s. Eustache et de s. Sylvestre. Les bons Pères résurrectionistes y sont fort hospitaliers.

Près du sanctuaire, un peu plus haut, s'élève le monument de Guada­gnolo, la statue colossale du Rédempteur, élevée là en souvenir de la consécration du nouveau siècle au S.-Cœur de Jésus.

Nous étions là à quelques kilomètres à peine de Castel San Pietro où vécut la bse Marguerite Colonna, une grande zélatrice de la dévotion à Notre-Dame de Mentorella.

Le site de Guadagnolo a été admirablement choisi pour le monument commémoratif. 87 Au nord, il domine toute la Sabine. Au sud, il est visible de tout le Latium, jusqu'à Rome. Le chemin de fer de Naples passe à ses pieds.

Je décrirai plus longuement Mentorella dans la Revue29).

Le 5, je quittai ce séjour si intéressant de Subiaco et je rentrai à Ro­me. Je reprenais ma vie de bureau, mes études, mes correspondances. Le 8, fête de l'Immaculée Conception, dîner et séance académique à Santa Chiara. C'est toujours avec bonheur que je revois cette sainte maison où j'ai passé quelques années de paradis. La piété y règne tou­jours, mais je suis peiné d'y voir une partie des élèves attachés aux idées réfractaires. Cela tient à l'origine de ces élèves qui sont du midi de la France 88 et qui appartiennent à des familles où règne cet esprit.

Le 19 et les jours qui suivent me reportent à mes ordinations que j'ai toutes reçues à cette époque, sauf le diaconat. Tout ce qui me rappelle le passé m'invite au repentir et à l'humilité, j'ai abusé de tant de grâces!

Mgr Mignot était à Rome. Il voulut bien nous conduire, le P. Barthé­lemy et moi à l'audience avec lui, le 25. Cela me fit une belle fête de Noël. Le St Père m'encouragea encore à propager ses encycliques. C'est ce qu'il me dit depuis vingt ans. Il me parla des documents qu'il prépa­rait pour l'organisation de la démocratie chrétienne en Italie. Il bénit bien toutes nos œuvres.

Le 28, Mgr Mignot30) eut l'amabilité 89 de venir dîner avec nous. Nous avions aussi Mgr Passerini et quelques amis.

J'appris ce jour-là la mort d'une de nos pieuses agrégées, Mlle de Clisson, la dernière héritière d'un nom illustre. Elle mourait à Paris, chez les Salésiens, en vraie victime du S.-Cœur avec notre croix de pro­fession sur la poitrine.

Pendant les derniers jours de l'année et une partie du mois de janvier, j'ai de nombreuses lettres à écrire. C'est une servitude imposée par la coutume, mais on y peut faire quelque bien.

Le 31, je fais avec quelques-uns de mes jeunes gens une grande promenade. Nous suivons le Voie Appienne jusqu'à Castel Gandolfo et Albano. C'est une course de 25 kilomètres. Je note ici mes impres­sions. 90

Les vieux Romains l'appelaient la Grande Voie, la Voie Royale, Regi­na Viarum. Elle avait été le théâtre de leurs premières luttes avec les Al­bains, le chemin de leurs premières conquêtes vers le Latium et les pays Samnites. Elle avait un caractère sacré, on la suivait pour aller chaque année aux grandes Féries latines célébrées sur le Mont Albain où se trouvait le vieux sanctuaire de la confédération latine, le temple de Jupi­ter Latialis.

Primitivement c'était un chemin rural tracé par les pas des chevaux; mais le consul Appius Claudius le fit redresser et daller vers l'an 300 avant Jésus-Christ et il lui donna son nom.

La voie partait de la porte Capène à l'est de Rome. Elle passait à Ca­poue et allait finir à Brindes, 91 à six cents kilomètres de distance. Que d'armées romaines passèrent par cette voie, pour aller combattre les Samnites, les Volsques, les Campaniens, les Carthaginois, pour aller s'embarquer à Brindes et combattre en Orient les Grecs, les Parthes, les Egyptiens, les juifs!

A six milles de Rome, à mi-chemin d'Albano, ces armées rencontraient un glorieux souvenir de la Rome primitive, le champ de bataille des Hora­ces et des Curiaces. C'était de bon augure et cela devait leur donner coura­ge. Le camp est toujours marqué par une grossière muraille de peperin, que les Romains du temps des rois ont élevée pour perpétuer la mémoire de cet événement qui a décidé du sort de Rome. Des tumuli de terre semblables aux anciens tombeaux des étrusques, 92 marquent les tombes des deux Horaces et des trois Curiaces tombés sur le champ de bataille.

Les Romains étaient vaniteux comme les Grecs. Ceux qui avaient de la fortune se faisaient élever aux portes de la ville et sur le bord des rou­tes de beaux monuments funéraires, afin de perpétuer leur nom à tra­vers les générations qui suivaient. Aussi la belle Voie Appienne devint comme le cimetière d'honneur de la population romaine. Et comme beaucoup de ces monuments ont survécu dans une demi-ruine et ont conservé quelque reste d'inscriptions, c'est tout Rome qu'on retrouve là avec toutes les générations qui s'y sont succédées.

Pour se représenter la vieille Rome, ses gloires, ses traditions, ses va­nités, rien n'est favorable comme 93 une promenade solitaire le long de cette cité ou plutôt de cette rue des tombeaux.

Au sortir de la porte Capène, voici d'abord l'emplacement du temple de l'Honneur et de la Vertu c'est une noble pensée d'avoir indiqué aux vi­vants l'héritage qu'ils devaient s'efforcer de laisser à leurs descendants.

Le long des premiers milles, nous trouvons d'abord les tombeaux des grandes familles sénatoriales, qui ont illustré l'histoire de Rome par tant de faits glorieux et souvent aussi par tant d'héroïques vertus.

Tout près de la porte Capène, voici à gauche les tombeaux des Sci-pions. Cette famille résumait en elle par l'adoption la Gens Cornelia et la Gens Aemilia: les Cornelius, les Paul Emile, les Scipions, 94 ces noms rappellent les guerres puniques, les campagnes de Sicile, d'Espagne, de Numidie.

A droite, là où se trouve la basilique des saints Nérée et Achillée, c'était la propriété des Fabius; ce nom nous redit encore la grande lutte contre Annibal.

Près de la porte Appia était la propriété des Claudius. L'un d'eux, Ap­pius Claudius, a été le fondateur de la voie elle-même. Un autre, Clau­dius Drusus, a là un bel arc de triomphe, qui lui a été élevé après ses vic­toires sur les Germains.

Hors de la porte, le grand mausolée de Coecilia Metella redit la gloire de la grande famille des Coecilius Metellus, à laquelle était unie par adop­tion la famille des Caton.

Plus loin, nous trouvons une tombe des Furius, la famille du 95 grand dictateur Camille, le vainqueur de Véies et des Gaulois. - Puis les tombes des Quinctius: l'un d'eux, Manlius, prit Antium et sauva le Capitole assiégé par les Gaulois; un autre, Cincinnatus, deux fois dicta­teur et toujours souverainement désintéressé, défendit Rome contre les Eques et les Volsques et contre les insurrections de la plèbe.

Plus loin encore sont les tombeaux des Valérius: l'un d'eux, Publicola, fut un des fondateurs de la République.

Puis les tombeaux des Junius, la famille des Brutus.

Quelques belles familles de chevaliers sont mêlées à celles des séna­teurs, comme celle des Pomponius, des Petronius, des Pompée, des Gallus. Au commencement de l'empire, des familles sénatoriales d'origine moins ancienne s'élèvent, les Jules, les 96 Octavius, les Livius, les Clau­de. Les descendants des Cornelius, des Junius, des Sergius, des Coeci­lius, Sylla, Crassus, Cinna, Catilina luttent contre le césarisme, mais n'arrivent pas à lui barrer le chemin.

Des plébéiens enrichis, les Flavius et les Domitius arrivent bientôt au pouvoir. Leurs noms se retrouvent aussi sur la Voie Appienne.

La décadence des moeurs amène bientôt un étrange phénomène: des parvenus, enrichis par les carrières les plus vulgaires, se font élever de ri­ches monuments auprès de ceux des grands généraux de la République.

Voici un Sergius Demetrius qui se donne comme marchand de vins au Véla­bre. Que nous sommes loin des Fabius Maximus et des Cincinnatus! 97 Voici un Cassius, commissionnaire en marbres (redemptor marmoris).

Lollius Dionisius était banquier (argentarius) dans la région esquiline. Son monument a quatre bustes en relief, deux d'hommes et deux de femmes. Une des femmes tient un petit chien dans les bras, l'autre porte un écureuil sur l'épaule. Comme tout cela est décadence.

Attilius Evodus était bijoutier sur la voie Sacrée (margaritarius de Via Sacra). Comme nos bourgeois modernes, il était bon père, bon époux, etc. Son inscription dit: Ossa hominis boni, misericordis.

Julius Evodus était majordome de la maison de Titus: dispensator Titi Claudi Caesaris.

Voici un Decumius Philomusus qui joue sur son nom. Il a hérité 98 du nom d'un ancêtre qui aimait les muses, Philomusus; mais lui, aime les rats et les souris, mus; et sa pierre tombale représente à côté de son por­trait en relief des rats qui mangent des fromages. - O Rome! où sont la fierté et la dignité de tes vieux patriciens!

Les monuments et les souvenirs de la période impériale font aussi pas­ser devant nos yeux sur la Voie Appienne quelques écrivains, philoso­phes, poètes, juristes. Ils n'ont pas arrêté la société romaine sur la pente de la décadence où elle s'effondrait.

C'est par la voie Appienne qu'Horace fit ce voyage à Brindes, dont il a donné la description facétieuse dans ses satires. Horace vieilli, fatigué par la goutte et par une maladie de l'estomac écrivait bien à Mécène qu'il allait 99 s'adonner à la philosophie et à la vertu:

Nunc itaque et versus et cetera ludicra pono;

Quid verm, atque decens, curo et rogo et omnis in hoc sum (Ep. 1). Horace s'y prend trop tard, il n'a plus qu'une voix épuisée pour prê­cher la vertu.

Sénèque a son tombeau et sa villa sur la Voie Appienne. Il a écrit de bel­les pages sur la sagesse, mais il n'a pas su les mettre en pratique ni les faire pratiquer par son élève Néron; et celui-ci fatigué des conseils du maître, lui enjoignit de s'ouvrir les veines sous les riches portiques de cette gracieuse villa.

Le vieil Ennius, le précurseur de Virgile avait là aussi son tombeau près de celui des Scipions.

Virgile lui-même passait là 100 souvent pour aller de Rome à Na­ples et pour aller faire son voyage d'études en Grèce.

C'est là que Cicéron étudia son plaidoyer en faveur de Milon qui avait fait assassiner Clodius sur la Voie Appienne.

Perse a là son tombeau aussi. Poète et philosophe, il a célébré la vertu et la simplicité antique, mais il n'a pas changé l'âme de ses contempo­rains.

Pomponius Atticus et Corvinus Messala, deux orateurs, amis de Cicéron, reposent là aussi.

Pour changer Rome, il fallait plus que l'éloquence et la poésie, il fal­lait le sacrifice et la grâce du Christ.

La Voie Appienne est encore le lieu le plus propice pour méditer sur les causes et les débuts 101 de cette transformation.

C'est par là qu'arriva saint Pierre, après avoir semé la foi à Pouzzoles et à Naples. C'est par là aussi qu'arriva saint Paul, avec quelques disci­ples de Pierre qui étaient allés au devant de lui jusqu'au Forum d'Ap­pius.

C'est là, suivant la tradition, que saint Pierre, effrayé par les violences de Néron, voulait s'en retourner vers l'Orient quand il rencontra son di­vin Maître qui lui fit comprendre qu'il fallait demeurer et mourir pour la foi.

Le sang des apôtres a fécondé leur enseignement, et nous voyons, en parcourant la Voie Appienne, surgir, sous les ruines de la vieille société, toute une floraison de belles âmes chrétiennes.

Les Paul-Emile ont offert au Christ une femme supérieure, sainte Pau­le, 102 qui a élevé encore par les vertus chrétiennes sa distinction na­turelle.

La famille des Coecilius a donné à l'Eglise une fleur exquise, sainte Cé­cile, dont le nom cent fois plus populaire et plus aimé que celui des muses antiques personnifia l'art Chrétien.

Les Fabius nous ont laissé Fabiola, dont la légende a fourni le thème d'un des plus délicieux romans chrétiens.

Les Pomponius sont là avec la pieuse Lucine qu'on croit être Pompo­nia Groecina et qui donna sa villa pour en faire un cimetière chrétien.

Les Domitius sont représentés par les deux Domitille et par leurs af­franchis, Nérée et Achillée.

La villa des Quintilii, dont les propriétaires eux-mêmes ont scellé leur foi par le martyre, est devenue un cimetière chrétien. Il en est de 103 même de cette autre villa où l'on a découvert récemment un sanctuaire dédié à saint Urbain et de nombreux tombeaux chrétiens.

La chevalerie des provinces est là représentée aussi par le noble offi­cier Sebastien qui était originaire de Narbonne.

O Rome, tu es redevenue la cité de l'héroïsme et de toutes les vertus; mais ce n'est plus la philosophie antique qui t'inspire les seules vertus naturelles, c'est la grâce chrétienne qui fait germer dans le cœur de tes fils et de tes filles des vertus plus élevées et plus pures31).

104/1051 1902

Je commence l'année avec beaucoup de peines intimes. Tout cet hiver a été du reste une saison de tortures morales. Je les offre à N.-S. - Les souffrances endurées depuis vingt-quatre ans ne sont-elles pas pour moi la meilleure preuve que mon sacrifice a été agréé par N.-S.?

J'avais beaucoup de vieilles notes à mettre au courant, N.-S. m'a lais­sé tout cet hiver une santé passable pour que je puisse y suffire.

Je reviens sur les premières années de l'œuvre et ses épreuves. Ma foi dans les desseins de Dieu s'affermit. Tout ce qui nous soutenait dans nos premières années n'était pas de Dieu. N.-S. ne nous a jamais abandonnés malgré nos infidélités. Il veut que nous le servions maintenant avec les se­cours ordinaires 1061 de sa grâce. Je demeure plein de confiance.

Je vais du 13 au 23 chercher un peu de repos de l'âme auprès du sanctuai­re de Valle di Pompei. Je passe là quelques bonnes journées. J'y vois sou­vent le P. Foy, dominicain, qui a missionné avec nos Pères à l'Equateur.

J'ai vu don Bartolo et la Comtesse32). Ils ont une grande foi, la foi na­politaine et un vrai talent d'organisation.

Don Bartolo utilise quinze secrétaires pour son immense correspon­dance avec les deux mondes, au sujet de prières, d'actions de grâces et des publications pieuses propagées par lui. Il a un grand orphelinat de filles tenu par des Soeurs tertiaires de S.-Dominique, fondées par lui et un pensionnat de «fils de prisonniers», élevés par les Frères 1052 de S.-Joseph-de-Calasant.

Quelques orphelines sont adoptées par des familles sans enfants. Les garçons apprennent des métiers, notamment l'imprimerie.

Don Bartolo est tout à Valle. Il a fondé la bourgade qui a maintenant 3.000 habitants. C'était avant lui une campagne à demi sauvage, hantée par les brigands de grand chemin. C'est là que florissait fra Diavolo.

Les pèlerinages ne cessent pas. C'est le Lourdes de l'Italie. Les res­sources viennent en abondance. Le courrier apporte en moyenne un mil­lier de francs par jour.

Il y a eu de beaux miracles, opérés par l'intercession de la sainte Vier­ge. Deux guérisons ont été obtenues à l'autel de la bse Marguerite­Marie. Elles serviront à sa canonisation. 1062 J'en donnerai le récit dans la Revue33).

La chère Madone du Rosaire a une grande action en Italie. Il y a beaucoup d'âmes qui recourent à elle constamment. Elle a maintenant son image dans la plupart des églises d'Italie et au foyer des familles chrétiennes.

J'ai revu Pompéi. J'ai tiré parti de ses inscriptions-affiches pour un article dans la Chronique du Sud-Est34). Cette ville m'a de nouveau apparu dans toute sa sensualité et son immoralité. Ses peintures sont emprun­tées généralement au cycle de l'Iliade. On y voit aussi beaucoup de nudi­tés et même des scènes infectes.

Plusieurs maisons ont au-dessus de leur porte extérieure le phallus comme symbole de fécondité. C'était une ville toute adonnée au plaisir et aux moeurs sensuelles. 107 Son art date du 1er siècle, car elle avait été détruite par un tremblement de terre trente ans avant son ensevelis­sement. On y trouve la préparation de l'art des catacombes. Dans la maison dite des Savants, par exemple, une jolie fontaine en mosaïque au fond bleu a des colombes semblables à celles des catacombes et un dau­phin représenté deux fois, percé par le trident et par la lance, tout sem­blable à celui qui représente dans les Catacombes de S. Calixte, le pois­son mystique, le Christ crucifié sur le trident.

C'est à croire ou que les chrétiens ont adapté à leur foi des symboles païens ou qu'un artiste chrétien a décoré cette fontaine à Pompéi, ce qui n'est pas impossible, car l'ensevelissement de Pompéi est postérieur de vingt ans aux prédications 108 de s. Pierre et de s. Paul à Pouzzoles et à Naples.

Le grand forum, tout entouré de temples et de portiques était merveil­leux, mais un point de la ville qui m'a charmé davantage, c'est sa petite acropole, le forum triangulaire avec son beau temple dorique grec. C'était le point le plus élevé et il avait une vue splendide sur la mer, le golfe et les montagnes de Castellamare et de Sorrento.

Je n'avais jamais visité Herculanum, l'antique Héraclée ou cité d'Hercule, ensevelie en même temps que Pompéi. Les fouilles y sont bien plus restreintes et bien plus difficiles qu'à Pompéi, parce qu'elle n'a pas été ensevelie comme Pompéi sous une pluie de cendres, mais sous une coulée de laves.

C'est en 1713 qu'on en retrouva 109 les traces. Son emplacement est recouvert par les maisons de Resina et de Portici, ce qui en rend les fouilles presque impossibles. Quelques maisons seulement ont été mises à découvert au bord de la mer. Elles ont un cachet plus archaïque que celles de Portici. Les peintures y sont plus artistiques. De ce point là, des galeries ont été ouvertes dans le sol sous les maisons actuelles et on a trouvé là au XVIIIe siècle bien des œuvres d'art qui sont aujourd'hui au musée de Naples.

Le théâtre a pu être fouillé en galeries souterraines sans détruire les maisons qui le surmontent. On visite ces galeries avec des torches et c'est d'un médiocre intérêt.

Herculanum et Pompéi ont sûrement encore des réserves d'œuvres d'art à l'infini pour les Mécènes qui feront des fouilles dans l'avenir. 110 Dans cette course de Pompeï à Herculanum, je reconnus une fois de plus que la mer réunit les peuples autant qu'elle les sépare. Il semble que toute cette région touche à l'Orient par ses coutumes.

Toutes ces campagnes ont les mêmes puits d'arrosage que l'Egypte: les chadouf35), les perches qui font levier pour élever l'eau, les roues à au­ges mues par un manège. Les maisons ont souvent aussi la terrasse bom­bée en ciment. Les paysans portent pour coiffures des toques et des fou­lards qui rappellent la chéchia36) et la kouffieh d'Orient. On se sert des mêmes couffins pour transporter la terre ou d'autres objets. Les bouti­ques rappellent aussi l'Asie. Elles sont souvent revêtues à l'intérieur de carreaux de faïence. Les aliments sont aussi à peu près les mêmes, et comme douceurs, on mange les pâtes sucrées qui rappellent 111 le ratlukum des bazars de Constantinople et de Damas.

J'étais venu plusieurs fois dans cette région sans voir Cava. Je tenais à ce pèlerinage. Cava a dans l'histoire une importance égale à celle des grands centres bénédictins, Cluny, Subiaco, le Mont-Cassin. C'est au XIe siècle que s. Alfieri fonda le monastère de Cava. Page de la cour de Salerno, Al­fieri avait été chargé d'une mission diplomatique à la cour de France. Edifié par la ferveur des Bénédictins de France, il alla se former à la vie religieuse auprès de st Odilon de Cluny. De retour dans sa patrie, il se retira dans les grottes de Cava et renouvela les austérités de st Benoît. Des disciples s'attachèrent à lui. S. Léon lui succéda comme abbé, puis st Pierre, dont les grandes vertus attirèrent jusqu'à 3.000 disciples 112 et Cava devint le centre d'une grande congrégation bé­nédictine, qui compta jusqu'à 120 monastères et de nombreuses parois­ses.

Comme site, Cava offre un grand charme. C'est comme à Subiaco une retraite austère dans une gorge de montagne. Des hauteurs voisines, ou jouit d'échappées de vues sur la mer. Comme à Subiaco encore on re­trouve la grotte primitive du fondateur, puis un cloître et des chapelles du XIe siècle, et par-dessus un grand monastère du XVIIe siècle.

Les saints Alfieri, Léon et Pierre reposent là. Des peintures des XIe et XIIe siècle offrent un intérêt pour l'histoire de l'art.

La bibliothèque a une collection unique de diplômes et de minia­tures37).

Je refis de là le pèlerinage de 113 Salerne, mais le vent et le froid me firent payer l'intérêt que j'y trouvais.

Il y a toujours à voir et à revoir Naples. J'y passai une journée. Je re­vis la Chartreuse, toujours étonné de la richesse que les bons chartreux prodiguaient dans tous leurs couvents, à Naples, à Pavie, à Florence, etc. au XVIe et au XVIIe siècle. D'où tenaient-ils cette richesse? Sans doute de quelques vocations princières, car ils n'avaient pas encore in­venté leur excellente liqueur. Dieu n'a pas agréé ces exagérations, car il leur a retiré ces couvents, comme il a fait pour d'autres maisons où des religieux avaient poussé la dépense à l'extrême, même aux dépens du bon goût.

Je fis le tour du Pausilippe (la colline du sans-souci), par une belle après-midi. C'est un des plus beaux 114 observatoires du monde, et j'allai voir ce qu'on appelle le tombeau de Virgile. C'est un petit colom­baire dont personne sans doute ne prend au sérieux l'attribution à Virgi­le, car il est mal tenu. Le souvenir du gracieux poète et de l'aimable compagnon du Dante ne me laisse pas indifférent.

Promenade à Castellamare le 17. Est-il possible que Stabies ait été là et que les cendres du Vésuve soient venues l'atteindre si loin?

J'avais visité Castellamare avec mon père et ma mère et ils en avaient gardé un doux souvenir. Cette fois je monte sur le flanc de la montagne à l'ancienne villa royale de Quisisana (ici on guérit). Site ravissant pour sa vue. On trouve là des ombrages qui conservent la fraîcheur en été et des vallons 115 abrités où fleurissent les roses en plein mois de janvier.

Grande excursion au Vésuve avec le P. Foy, le P. Janvier et le jeune Tommaso Gasparri. Nous allons à cheval depuis Bosco tre case jusqu'aux cendres du sommet par la route en lacets. L'ascension du cô­ne à travers les cendres est très dure. Nous allons jusqu'au bord du cra­tère. C'est ma troisième ascension. Je vais pour la première fois jusqu'au bord même du cratère et au retour je suis un peu effrayé de ma hardiesse. Un des principaux intérêts de cette excursion, ce sont les vues merveilleuses qui se succèdent sur le golfe de Naples et sur toute la ré­gion.

Nous rentrons le soir bien fatigués. Je suis charmé de la connaissance que j'ai faite du P. Janvier 38) qui est 116 désigné peu de temps après pour prêcher les carêmes de Notre-Dame.

C'est une personnalité saillante de ce siècle que Bartolo Longo. Jeune avocat, il y a trente ans, il vivait fort librement et perdait la foi. Converti par un saint religieux fondateur d'œuvres hospitalières à Naples, il s'imposa pour pénitence de venir catéchiser les pâtres des campagnes, peu habitées où le brigandage régnait en permanence. C'était le champ d'action de fra Diavolo39).

La comtesse Fusco avait là des propriétés qui ne se louaient plus à cau­se du peu de sécurité dont on y jouissait. Une petite chapelle dépendant de la propriété des Fusco était abandonnée, et à demi-ruinée. Don Bar­tolo la fit un peu rétablir et y réunit les pâtres pour y apprendre la doctri­ne chrétienne. Il fallait les faire 117 prier, le chapelet était la forme la plus commode, il leur fit réciter le chapelet. Une personne de Naples lui donna pour sa chapelle un vieux tableau en oléographie représentant la Madone du Rosaire. La foi traditionnelle se réveilla chez ces pâtres. Ils prièrent avec simplicité. Ils s'attachèrent à la Madone. Elle accorda une grâce de guérison. Le bruit s'en répandit à Naples. Le pèlerinage était fondé. On vint, on donna des ressources. Don Bartolo a depuis érigé une basilique, il a fondé une ville avec des écoles, des orphelinats, des cou­vents, une station de chemin de fer, la poste, etc. Il a quinze secrétaires pour correspondre avec les dévots de N.-D.-du-Rosaire dans les quatre parties du monde. C'est un homme. Il a une grande foi, une grande acti­vité. Il s'entoure 118 de conseillers éclairés pour organiser ses œuvres et pour écrire ses opuscules de propagande. C'est un organisateur. Il m'a fait les honneurs de ses œuvres avec beaucoup d'amabilité. Son lan­gage est toujours surnaturel. Il est aimé et vénéré par tout son monde. Les épreuves et les contradictions ne lui ont pas manqué. C'est le signe de l'action divine. J'ai vu aussi la Comtesse. Elle s'occupe également des œuvres malgré ses infirmités.

Ils ont fait don au Pape du sanctuaire, mais ils en sont nommés admi­nistrateurs pour toute leur vie.

Le 30, j'allai en pèlerinage à Pagani, au tombeau de St-Alphonse, avec les Pères Foy et janvier.

Nocera a un véritable monastère de dominicaines qui date du temps de s. Dominique lui-même. 119 Quelques parties de la chapelle ont encore leurs peintures du XIVe siècle. Le couvent est adossé à la colline. Il a de beaux jardins et une vue étendue. Il y reste quelques bonnes soeurs fort édifiantes, qui ne se recrutent pas.

A Pagani, les rédemptoristes nous reçurent avec amabilité et nous donnèrent des souvenirs de s. Liguori. Le Père qui nous fit visiter con­naissait mes petits volumes sociaux.

Je passe la journée du 22 à Naples. J'y visite l'Aquarium, il est mer­veilleux. Il ressemble à celui de Berlin, qu'Huysmans40) a décrit avec sa verve enfiévrée. «Le spectacle s'étend tout le long d'une galerie dont les cloisons sont des murs d'eau, maintenus par des cadres de verre; et un jour de clarté sous-marine baigne l'intérieur des hublots, éclaire de ses lueurs verdâtres des falaises 120 pour myrmidons et des forêts pour pygmées; et nulle végétation terrestre n'égale la finesse de ces arbricules, la ténuité de ces branches. La flore des mers pousse dans ces petits ro­chers et ce sont des corbeilles de fleurs en dentelles et de plantes en gué­pure… Et des poissons filent au-dessus, farouches, les uns renflés com­me des outres, les autres amincis comme des lames… ils s'élancent, vi­rent d'un coup de queue, piquent une tête en bas, se glissent entre des buissons de coraux rouges, rasent les taillis de madreporcs, bousculent en passant cette éponge bizarre appelée gant de Neptune… La gloire de l'aquarium s'atteste mieux encore dans les cases voisines où se dévelop­pent des êtres qui sont à la fois des bêtes et des fleurs, êtres hybrides, qui suscitent les analogies les plus étranges… Il n'est 121 point sur la ter­re de papillons ou d'oiseaux dont l'éclat se puisse comparer au leur. C'est le jardin des Sirènes et la ménagerie des Ondines. - Dans un site hérissé de rocs l'on aperçoit, au travers de la brume verte des eaux, des bryozoaires, des animaux-mousse, les uns bombés tels que des pelotes de velours bleu-paon, les autres s'écardant comme des paquets d'ouates fauves… et ces mousses qui remuent des cils vibratiles sont nanties d'une bouche et d'un estomac; elles happent des animalcules, dégustent des infusoires, se repaissent sans arrêt d'imperceptibles prorès, aiment peut-être et, dans tous les cas, se reproduisent. Puis, vivant en bonne in­telligence avec elles, la merveille des mers, l'anémone aux tons invrai­semblables… Dieu semble avoir réservé ses bêtes 122 les plus étran­ges pour les antres mystérieux de ses gouffres. Il a fondu en un inexplica­ble amalgame la flore de la terre et sa faune et cultivé des jardins qui marchent et des ménageries qui fleurissent; puis, afin de parfaire son œuvre, il a utilisé l'éclat du règne minéral, animé les pierreries et transporté dans la parure de ses bestioles les feux des gemmes…». Vrai­ment la vue d'un aquarium comme celui de Naples aide l'âme à louer le Créateur.

Je reprends le 23 la vie de communauté à Rome. Nous lisons au réfec­toire la vie de s. Philippe de Néri. Je lisais en particulier une étude sur l'Humanisme et la Renaissance. Quel contraste! S. Philippe est né sous Léon X en 1515. Son esprit est tout à l'opposé de cette Renaissance fri­vole, sensuelle 123 et sceptique qui est sortie de l'Humanisme. Philip­pe de Néri et les âmes d'élite qu'il dirige pratiquent l'humilité, le sacrifi­ce, la mortification. La Renaissance a toutes les tendances païennes et cependant elle a eu sur les souverains pontifes une influence puissante pendant deux siècles, et même elle a plus ou moins empoisonné toute la vie de l'Eglise depuis le XVe siècle jusqu'à aujourd'hui.

Quelle engeance païenne que les Pogge, les Ficin, Politien, Guichar­din, voire même Sadolet et Bembo. Florence avec les Médicis, embrasse la corruption byzantine et l'infuse à la papauté par son influence, à la France par ses mariages. Le licencieux Pogge, l'auteur des Facéties, est secrétaire apostolique de Boniface IX et des sept Papes suivants. Son fils François est 124 secrétaire de Léon X. Marsile Ficin, comblé des bontés des Médicis, fonde l'académie platonicienne, qui rend un culte presque idolâtrique à Platon. Guichardin a la confiance de Léon X et de Clément VII. Il est gouverneur des provinces pontificales. Le poète Ac­colti vit à la cour de Léon X. Berni, chanoine de Florence et ami de la cour écrit des poésies licencieuses. Bembo et Sadolet, secrétaires de Léon X, sont nommés cardinaux malgré le caractère de leurs écrits plus païens que chrétiens.

Nous souffrons encore de l'Humanisme, qui a été pour les peuples latins presque aussi désastreux que le protestantisme pour les peuples germains.

J'ai vu le Pape plusieurs fois cet hiver, je cède mon tour pour l'offran­de du cierge.

Le 6 je vais avec nos jeunes gens 125 visiter les tombeaux de la Voie Latine. Comme à la Voie Appienne, on peut ici imaginer et re­constituer la vieille société romaine et la voir passer par ses phases suc­cessives: les moeurs austères et simples de la république, le faste et la corruption du temps de l'empire, puis la formation lente de la société chrétienne à travers les persécutions. C'est dans ces champs de la mort qu'on peut le mieux faire revivre la vieille Rome.

Le 7, souvenir de la mort de Pie IX. J'éprouve un besoin pressant d'expiation, de réparation, de contrition pour toutes les années de mon sacerdoce.

Le 20, Te Deum à St-Pierre pour le 25e anniversaire de l'élection de Léon XIII. Belle manifestation. Une foule immense prie avec 126 émotion pour le glorieux pontife régnant et pour l'Eglise.

Pendant le carême, je fais la visite des stations. C'est encore quelque chose de la vieille Rome, que le régime nouveau n'a pas éteint. Il n'y a plus les solennités de la Sixtine et de S.-Pierre, mais il reste l'humble prière aux stations, avec toute les reliques exposées. On glorifie là tous les martyrs des premiers siècles. C'est ainsi que les opprimés d'aujourd'hui triompheront et les nouveaux persécuteurs iront rejoindre dans le mépris général les Néron et les Dioclétien.

Nos Pères de St-Quentin ont la visite des publicains. «Vous êtes religieux, disent ceux-ci, payez vos retards de l'impôt d'abonnement. C'est 10.500 f. net». Grand émoi, chez nous. 127 On m'envoie les papiers du fisc. Nous opposons la force d'inertie, et tout reste en l'état… Provisoirement.

Le 3 mars, belle solennité à S.-Pierre. Le Pape assiste à la messe dite pour son jubilé pontifical. J'ai une place de tribune. L'église est comble. Le Pape est acclamé. Cela rappelle les beaux jours d'antan.

M. Harmel41) vient passer quelques jours chez nous du 5 au 17. Je l'accompagne dans ses visites chez les cardinaux et chez les évêques pré­sents à Rome. Il a été calomnié dans une brochure de l'Evêque de Nancy42). Tous les prélats que nous voyons déplorent cette brochure et témoignent à M. Harmel leurs plus vives sympathies.

Mgr Turinaz s'est laissé entraîner par ses tendances réfractaires. 128 Il agit après entente avec l'abbé Maignen, le chanoine Delassus43) et la Direction de la Vérité. C'est tout le groupe des réfractaires mili­tants. Ces gens ont une demi-bonne foi, ils croient que le Pape se trom­pe. Ils font un grand mal en France en favorisant la persécution contre les catholiques, suspects de réaction politique.

Nous visitons une douzaine de cardinaux, ils sont unanimes. Il en est de même des évêques français présents à Rome: les Archevêques de Reims et de Lyon, les Evêques de Grenoble, Séez, Perpignan, Châlons44), etc. Ils ne ménagent pas leurs expressions au sujet de la brochure de Nancy.

M. Fonsegrive45) a aussi été critiqué sans mesure et sans justice dans la même brochure. On le regrette à Rome. Il m'écrit à cette occasion, ainsi 129 que M. Sifflet, qui a écrit un cours de religion fort intéres­sant, mais avec des pages trop hardies et imprudentes.

J'entre dans ma soixantième année, c'est le prélude de la vieillesse. J'en suis très impressionné. Ma vie qui s'achève est tout émaillée de fau­tes et de faiblesses! Mes œuvres sont si imparfaites et si peu affermies! La confusion, le repentir, le regret m'écrasent de tout leur poids. Je crie miséricorde vers Notre-Seigneur. J'offre toutes les réparations que je puis offrir, l'agonie et la Passion de N.-S., les mérites de la ste Vierge et des Saints. «Parce, Domine! Miserere mei, Deus!».

Mgr Bégin46), archevêque de Québec vient dîner avec nous. C'est un bon et saint prélat. Il nous raconte ses tournées pastorales. Son peuple 130 court à lui comme le peuple de Palestine courait à N.-S. - On lui conduit les malades, on se confesse à lui, on lui soumet les dif­férends. Il est vraiment le pasteur et le père de tous. Il nous raconte son intervention efficace dans une grève d'ateliers de cordonnerie.

Je m'occupe de l'impression de la Vie de Soeur Marie-Véronique47), fondatrice des Religieuses-Victimes du S.-Cœur. C'est une Sainte du Moyen Age, dans notre XIXe siècle. Sa vie est toute remplie de l'action divine. Je suis heureux de contribuer à faire connaître sa vie et ses ver­tus. C'est une âme réparatrice admirable. Elle désirait l'œuvre des Prêtres-Victimes. Elle a connu notre fondation en 1878, et elle nous a envoyé le P. André48), le P. Charcosset49), le P. Galley50), qui sont venus en 1884 vers le temps où la bonne Mère s'en 131 allait au ciel.

J'ai fait imprimer aussi à Rome nos Constitutions et notre Thésaurus. Nous avons tenu compte des Règles données par la Cong. des Evêques et Réguliers pour les Congrégations nouvelles. Puissions-nous observer pleinement ces Constitutions, elles nous sanctifieraient.

Je partis le 16 pour Ancône. Quelle pauvreté de monuments dans cet­te ville en comparaison de Venise et de Ravenne! La vieille cathédrale, sur l'acropole, a un cachet byzantin. C'est décidément le style méditer­ranéen. Sainte-Sophie s'est multipliée à Venise, au Caire, à Palerme, à Padoue, à Ancône, et dans ces dernières années à Carthage, à Hippone, à Alger, à Marseille. La coupole règne sur tous ces rivages.

Je passai une bonne journée à 132 Lorette. On prie bien là, malgré les doutes élevés par la critique sur l'authenticité du sanctuaire.

J'ai visité la collection de vases du palais pontifical. Beaucoup ont été dessinés par Raphaël. Je ne connais pas de collection de faïences qui ait plus de valeur. Il y a trop de sujets païens.

Je m'arrêtai à Parme à cause du culte de st Quentin. L'église de Saint-Quentin est une paroisse, elle a un curé qui a la charge de deux mille âmes. C'est une église du XVIIe siècle, décorée de pilastres ioni­ques. Elle a une seule nef et quatre chapelles saillantes en absides. L'ur­ne funéraire au maître-autel contient quelques reliques de st Quentin. Seize stalles en marquetterie entourent l'autel. C'est l'emplacement d'un monastère du haut Moyen Age. Au IXe siècle, 133 les bénédic­tins de St-Quentin envoyèrent là des reliques du grand martyr pour une fondation de religieuses bénédictines. Le monastère paraît avoir subsisté sans interruption jusqu'au XVIIIe siècle.

Trois dévotions se partagent la piété des fidèles dans ce sanctuaire: N.-D.-du-Secours, st Quentin et la bse Ursuline. Je donnerai dans la Revue des notices sur N.-D.-du-Secours et sur la bse Ursuline51).

St Quentin est fêté là le 31 octobre, comme chez nous. Le recteur de la paroisse me demanda notre office et notre messe.

Je revis le musée de Parme avec ses merveilleux Corrège et en particu­lier sa Vierge à la coquille où la Sainte Famille est représentée d'une ma­nière si gracieuse. Le Corrège est bien mis en valeur par la collection de 134 copies finement exécutées que possède le musée.

Le Corrège, imitateur de Raphaël, n'est plus chrétien, il est gracieux, mais sensuel. Le temps de la peinture chrétienne était passé. Le Correge préludait aux mièvreries du XVIIIe siècle. Il était séduit par le paga­nisme; et pour le salon qu'une noblesse le pria de décorer, il choisit des sujets païens, des Diane, des Vénus et ces deux frères orgiens, Cléobis et Biton, fils de Cydippe, prêtresse de Junon, que la déesse récompensa en les laissant dormir pour toujours dans les bras l'un de l'autre.

Le musée de Parme aide à comprendre la transition du style hiérati­que grâce au style des primitifs italiens. Andrea Riccio de Candie est un des peintres qui 135 apportèrent d'Orient les coutumes de la peinture byzantine.

Je m'arrêtai encore au retour à Bellinzona et à Belfort.

Le Lion de Belfort a été inspiré par celui de Lucerne. Mais celui de Lu­cerne est artistique, c'est un chef-d'œuvre de Thorvaldsen. Celui de Belfort est moins une œuvre de sculpture que de construction. C'est une masse rocheuse appliquée sur le flanc de l'Acropole. L'effet en est maje­stueux et l'expression n'y manque pas. Celui de Lucerne exprime la fi­délité inébranlable, celui de Belfort la vigilance puissante et confiante.

La période électorale était commencée à Belfort et les catholiques allaient y perdre la prépondérance. Je suis honteux d'avouer que le 136 catho­licisme est plus maltraité dans cette petite Alsace restée française que dans la grande Alsace soumise à un gouvernement protestant.

Je m'arrêtai deux jours à Paris. Avec l'abbé Billet, je visitai le Carmel de la rue Denfert, le vieux Carmel de M. de Bérulle52) abandonné par les religieuses à la suite de la loi Waldeck. C'est un des lieux les plus vénéra­bles de Paris, qui va être sans doute saisi et profané par nos horribles ja­cobins. La tradition y place le premier séjour de s. Denys à Paris. La crypte conserve l'autel où le Sacrifice aurait été offert pour la première fois à Lutèce. Plus tard les bénédictins occupèrent ce sanctuaire, puis les dominicains. Le b. Réginald53) y a été enseveli. M. de Bérulle avec l'aide de la cour l'avait accommodé 137 pour le Carmel. On lui a érigé un beau monument avec une statue agenouillée. Mme de la Vallière54) a vé­cu là. Qu'importent tous ces souvenirs à ces gueux ensatanés! Il n'y a rien de sacré pour eux, ni la religion, ni la vertu, ni la patrie. Le Duc des Cars a racheté l'immeuble pour essayer de le sauver, mais cette tourbe ne connaît plus ni la propriété ni la liberté.

J'ai visité le salon. Il a beaucoup de choses gracieuses, mais mondai­nes et sensuelles dont je ne parle pas.

Pour la peinture religieuse, que nous sommes pauvres! L'Angleterre et l'Allemagne remontent aux primitifs, aux quatrocentistes, nous nous enfonçons de plus en plus vers le naturalisme. S. Bernard se plaignait déjà de 138 l'invasion du paganisme dans l'art. Dès la fin du XIIIe siècle, l'iconographie sacrée, fille de la liturgie, avait rompu tous les liens de l'ancienne discipline. La personnalité et l'imagination des imagiers se donnaient libre cours; la signification théologique et la fonction éducatri­ce des images s'atténuaient. Les protestations de Savonarole, les décrets des conciles de Trente et de Milan furent impuissants à enrayer l'évolu­tion de l'art vers le naturalisme.

Jean Nicolanus publiait sans succès au XVIe siècle un volume «De historia sanctarum imaginum, et picturarum, pro vero earum usu con­tra abusus».

Au XVIIIe siècle le sens de l'art chrétien était complètement atrophié, et ce fut un cri dans le désert que le volume paru en 1771 sous le titre: «Observations historiques et 139 critiques sur les erreurs des pein­tres, sculpteurs et dessinateurs dans la représentation des sujets tirés de l'Histoire Sainte» (Deux volumes, chez Debare, quai des Augustins).

Si encore l'invention de l'artiste gardait la vraisemblance et la piété! Fra Angelico imagina bien de détacher un des rois mages du groupe tra­ditionel pour le conduire saluer s. Joseph et lui serrer les mains, mais il le fit avec une si suave dévotion.

Les trois grands mystères du Christ, sa naissance, sa prédication et sa passion ont quelques représentations au palais des champs élysées. On y compterait même une cinquantaine de sujets religieux entre les peintures et les sculptures. Mais combien peu méritent d'être signalées! J'avoue que deux seulement me laissent un souvenir un peu vivant: l'Enfant Jésus de Dagnan-Bouveret, 140 et la «prière sacerdotale» de Burnand.

Le Christ-Enfant est vêtu de rouge, il a la main levée et le regard ar­dent. Il a été fait avec amour. La «prière sacerdotale» ou le «discours après la Cène» de Burnand est en soi une belle œuvre. Les apôtres sont vivants, mais empruntés au monde moderne. Ils n'ont plus rien de ce sens théologique que Léonard de Vinci a si merveilleusement rendu. Et malheureusement, le Christ n'est pas beau. Nous assistons à un essai de Christ laid et réaliste semblable à un juif d'Amsterdam. Il y en a plu­sieurs au salon. Cela répond à une série d'écrits dans le même sens qui doivent subir l'influence des Loges et du judaïsme. On veut nous enlai­dir le Christ pour lui enlever notre amour tendre 141 et enthousiaste. J'avoue que cette école me fait horreur. Et si je doute de l'authenticité du Suaire de Turin, c'est qu'entre les arguments historiques publiés par l'abbé Chevalier, je trouve que le Christ n'y est pas beau. Pour moi, le Christ sera toujours «Speciosus forma prae filiis hominum».

J'arrivai le 25 à St-Quentin. Les élections générales étaient fixées au 27 et je voulais remplir mon devoir de citoyen.

Les catholiques n'étaient pas prêts. Nous n'avions à St-Questin à op­poser aux radicaux et socialistes qu'un jeune candidat nationaliste peu sérieux et pas même éligible.

Nous se sommes pas encore tombés assez bas pour qu'on sente le be­soin de former un grand parti 142 conservateur et catholique. D'ail­leurs pour réussir, ce parti doit avoir un programme de réformes démo­cratiques, comme le Pape nous l'a dit, et notre bourgeoisie ne le com­prend pas encore. L'avenir m'apparaît bien sombre. Il est bien caracté­risé par les devises pontificales de la prophétie de Malachie55): Ignis ardens (le feu de la persécution et de la dynamite), Religio depopulata (les cou­vents vides et la vie publique chrétienne entravée).

Le 3, je dîne au couvent de la Croix, où j'ai l'occasion de saluer mon Evêque56).

Plusieurs des nôtres font défection, il y en a qui nous débarrassent, d'autres que je regrette. L'administration diocésaine les accueille très fa­cilement, trop facilement peut-être, je laisse cela au jugement du Bon Dieu. 143

Nous apprenons la mort d'un de nos bons petits missionnaires du Congo, le P. Johannes Keyser57). C'est le 14 mars, au jour anniversaire de ma naissance qu'il est allé pieusement au ciel. J'ai la confiance que ces missionnaires qui vont là-bas avec la certitude morale de donner leur vie en peu de temps, auront la palme du martyre au ciel. Ils sont martyrs de leur zèle apostolique.

Du 11 au 16, je vais visiter nos maisons de Bruxelles, Bergen et Lou­vain. Mon but est de décider à Bergen la construction d'une maison. Je salue à Mons les pieuses Clarisses de Talence, et à Bergen les Car­mélites d'Angers. Ce sont des exilées, des victimes de la franc­maçonnerie qui nous gouverne. Elles offrent 144 leurs sacrifices pour la pauvre France.

Nos maisons de l'étranger sont prospères, mais en France, hélas! le découragement domine plusieurs des nôtres.

Le 25, je prêche à La Fère la St-Montain58). Je montre en ce pieux er­mite, un précurseur de st Remy, le fondateur de la France chrétienne. Je trouve là un prêtre artiste, lettré, distingué et réservé sans doute à de hautes fonctions. J'aime mieux ma vie de sacrifice religieux.

Avant cet apostolat à La Fère, j'avais passé quelques jours à Four­drain et après je suis allé à La Capelle.

Fourdrain est bien beau. On s'étonne que les religieux aiment ces bel­les propriétés, mais eux, qui ne peuvent pas comme les séculiers se pro­mener sur les rues et les places 145 et dans les jardins des villes, ont besoin de ces campagnes pour leurs heures de repos, de vacances et de convalescence.

Je passe les premiers jours de juin à Sittard. Il y a assez de ferveur au noviciat, mais un peu de gêne à cause des nationalités.

Du 14 au 20, je prêche la retraite et la 1ère communion à La Fère. C'est un petit ministère consolant. Je trouve à La Fère une bonne conférence de S.-Vincent-de-Paul, où dominent les officiers. Je leur parle de Rome et du Pape. La Fère a encore un noyau de bonnes âmes, mais le peuple ouvrier ne connaît pas l'Eglise. Il faut au peuple des corporations et des confré­ries. Il faut surtout que le prêtre s'occupe de ce peuple, aille à lui et lui procure 146 des places favorables à l'église ou dans quelque chapelle.

Le 27 juin, le ministre Combes59) lance des arrêtés d'expulsion contre les Soeurs de 3.000 écoles, qui se croyaient en règle avec la loi parce que leurs maisons-mères étaient autorisées. C'est un épisode brutal de la persécution qui sévit. Les loges ont déclaré une guerre sans trêve à l'en­seignement chrétien.

La situation me paraît bien grave en France. Le Pape a compris le pé­ril mieux que personne. La masse populaire veut la république et croit que l'Eglise n'en veut pas. De là cette lutte sans merci dont profitent les Loges. Que faire, sinon changer cette opinion du peuple par un rallie­ment sincère et sans cesse affirmé?

Les réfractaires empêchent cette 147 évolution. Leur obstination prépare les pires conséquences: persécution sans trêve, suppression du budget des cultes et progrès éclatants du protestantisme.

Visite à Clairefontaine et à Luxembourg. Les maisons me paraissent en progrès. Il y a une bonne communauté de Frères à Clairefontaine. Je m'arrête aussi à Chazelles où nos Soeurs vont bâtir une belle cha­pelle réparatrice. Les Soeurs anciennes gardent un pieux souvenir des premières années de l'œuvre à St-Quentin.

Le vieux sanctuaire de St-Quentin est là abandonné aux rats, je ne comprends pas qu'un prêtre puisse souffrir cela. J'y retrouve un missel du vieux rite messin avec une belle messe réparatrice pour les injures fai­tes au St-Sacrement. 148

La persécution sévit, le ministre Combes fait la chasse aux religieuses. Chez nous les tristesses ne manquent pas non plus. Un de nos déser­teurs donne le scandale à Prisces. Le P. Irénée60) s'en va. Je plains ces pauvres âmes qui perdent leur belle vocation. Je demande pardon à Dieu pour la part de responsabilité que je puis y avoir.

Les Soeurs vont quitter nos maisons. Le S.-Siège leur a dit que ces services matériels ne cadraient pas avec leur but de contemplation et d'adoration. C'est une collaboration de vingt-cinq ans qui finit.

Tous les sacrifices me sont demandés l'un après l'autre, flat! J'accepte tout en esprit de réparation et d'expiation. Je prie N.-S. de me pardon­ner et de me fortifier. 149

Nous sommes inquiets pour la maison de Fayet. On nous parle d'une maison disponible à Brugelette. Je vais avec le P. Mathias61) voir Mgr l'Evêque de Tournai. Il nous reçoit avec beaucoup de bonté. Il nous ac­cueillerait à Brugelette, nous allons voir ce que les événements amène­ront.

Le 25, nous avons une belle ordination à Bruxelles, dans notre nou­velle chapelle. Mgr di Belmonte, nonce apostolique, donne les ordres à une trentaine de nos jeunes gens, presque tous de la maison de Louvain. C'est une belle fête de famille.

Le 26, première messe du P. Maley62) à Louvain; le 27, première mes­se du P. Farinelle63) à Bruxelles. Je les assiste et je prends la parole. Je prends quelques heures sur ce voyage pour visiter l'exposi­tion 150 d'art primitif à Bruges.

Huysmans à propos du livre de Rodenbach a bien parlé de Bruges-la­morte.

«En quittant Bruxelles elle se révèle délicieuse et ayant, seule, conser­vé l'âme catholique des Flandres… Bruxelles avec ses boulevards Anspach, ses fontaines phénoménales, ses illuminations furieuses le soir, serait à fuir si elle n'avait encore sauvé quelques-uns de ses vieux coins, sa grand place, son musée, Sainte-Gudule, bien inférieure pourtant aux cathédrales de France et qui appartient, du reste, beaucoup moins à Dieu qu'aux horribles sacristes qui l'exploitent…? Ce qui domine à Bru­ges, c'est la note mystique. Elle est mystique par sa réelle piété, par ses musées uniques au point de vue de l'art chrétien, par ses nombreux cou­vents et par son béguinage…».

A l'Exposition des primitifs, c'est Memling 151 qui triomphe. Il surpasse les Van Heyck [Eyck], David, Van der Weyden et Metzys [Metzys]. On ne saurait dire tout ce que ses Madones ont de charme. Il est le Raphaël du Nord.

A propos des Memling de Bruges Huysmans disait: «Comme tou­jours le succès va aux œuvres faibles et c'est autour de la chasse de sainte Ursule, peinte à petites lèches, que les Anglais armés de loupes se démè­nent; c'est fort heureux, car ils laissent l'approche des autres œuvres de l'artiste, libre. La merveille que cette collection! Ici, le mariage mysti­que de sainte Catherine, d'une chasteté réellement extraordinaire; là, l'adoration des Mages; le saint Joseph tenant un petit cierge, puis une Vierge offrant de ses longs doigts fuselés une pomme à l'enfant, nu sur ses genoux. C'est peut-être la plus 152 belle Madone que Memling ait jamais peinte. Elle est d'une ingénuité, d'une candeur, d'une distinc­tion et d'une beauté qui ne sont plus terrestres…».

Je remarque à l'Exposition un beau Christ triomphant avec sa cou­ronne de roi.

Puis un curieux jugement dernier peint par Jean Prevost de Mons en 1525. Marie y montre au Sauveur la mamelle qui l'a nourri; le Christ ré­pond en montrant son cœur qui nous a sauvés. Le sang du Christ et le lait de Marie étaient souvent unis dans la tradition.

Il manque à l'Exposition la merveille des Van Eyck, que la ville de Gand n'a pas voulu prêter; le Règne de l'Agneau. Avec les deux ta­bleaux précédents cela complèterait tout le symbolisme de la royauté du Christ. 153

Mon estomac est toujours fort détraqué et toute la santé s'en ressent. On m'offre un voyage de quelques jours en Suisse, pour y respirer l'air pur des montagnes, j'accepte.

Le 4, je vais de Paris à Lausanne. Je revois la fraîche vallée de la Sei­ne, les vignes de la Bourgogne et les profondes ondulations du jura. Le mont Blanc nous fait les honneurs de la région alpestre. Il apparaît au loin sous son grand voile de neige un peu teinté de rose par le crépuscule.

Le 5, messe à Lausanne. Le sixième de la population est déjà catholi­que et l'intolérance recule.

Montreux est devenu un coin de ce Cosmopolis qui a son centre à Pa­ris et ses faubourgs à Cannes, à Vichy, à Bade, à Aix-les-Bains, à Rome, (place d'Espagne), à Naples, à Monaco. Avec de 154 bonnes familles qui prennent l'air et se reposent de leurs affaires, il y a là quelque chose de ce monde décrit par Huysmans: «Je regarde par la fenêtre cette série de wagons noirs et sinistres, rejoints entre eux par des soufflets de cuir; c'est une morgue ambulante et un train de deuil; des êtres affreux appa­raissent dans les couloirs des voitures, descendent, envahissent la chaus­sées, pénètrent dans le restaurant; ce sont les rastas débarqués en Fran­ce, des bellâtres passés au jus de chique, chargés de breloques et de ba­gues, et plus ils sont basanés, plus ils sont vêtus d'habits voyants et de cravates claires».

Visite à St-Maurice. Je salue les vaillants martyrs de la légion thébai­ne. Nous montons à Zermatt par la vallée sauvage de la Viège. Le tor­rent aux eaux laiteuses est dans son plein.

6 - 7 - 8. J'aime peu Zermatt, qui est une belle prison. Je vais voir les 155 gorges du Gorner et je grimpe à Riffelberg; mais le charme de ces journées, c'est Gornergrat, avec son cirque de glaciers à 3000 mètres d'altitude, avec son lever de soleil radieux et le jeu des effets de lumière à l'aurore.

8 - 10. De Brigue à Interlaken. La vallée du haut Rhône et sa grotte azurée et ses beaux villages suisses, le glacier du Rhône, la descente du Grimsel dans ses défilés de granit, ce sont des journées d'extase devant les grandes œuvres de Dieu.

11 - 13. Interlaken est trop cosmopolite. Mürren, Wengernalp et le glacier de l'Eigger [Eiger], la création n'a rien de plus grandiose. La Jungfrau, la Vierge au Voile blanc domine ces merveilles. L'Eigger [Ei­ger] et le Monch [Monch] sont ses acolythes. Dieu a semé là les glaciers et les névés comme ailleurs les prairies 156 et les bois.

14 - 16. Einsiedeln. Tout ce peuple prie bien et beaucoup, il aime la prière. Tout le commerce est suspendu pendant la grand'messe. J'ai la grâce de célébrer dans la sainte chapelle.

18 - 20. Les lacs de Lugano et Majeur. Là poussent et fleurissent les allées de bégonias, les araucarias, les cèdres du Liban et de l'Himalaya, les palmiers, des dracenas, les cocotiers du Brésil, les forêts de lauriers et d'orangers, l'eucalyptus, le thé, le cotonnier, l'arbre à pain, le manioc ou tapioca, l'indigo. Là, les azalées et les fougères sont des arbres.

Turin a une gracieuse exposition d'art moderne, une adaptation de l'art japonais.

22 - 24. Retour par le Simplon, la gorge de Gondo. Panorama du Gletschorn et du Monte Leone.

157

Juillet. Loi sur les associations 1
Chez nous… 3
Fourdrain:8-15 4
Projets de nos confrères allemands 5
Août: 1-2. La Capelle 7
M. de Menezes 8
Le Val: 10-25 9
Septembre: 4. Boulogne 11
Retraite 12
Angoisses 13
En famille 14
Octobre. Paris - Aix 15
Turin 16
Milan 19
Les lacs 22
Venise: Exposition 26
Bologne - Florence 36
Rome 38
Novembre 39
Subiaco 42
Autour de Subiaco 72
Mentorella 86
Retour 87
Audience 88
La Voie Appienne 89
1902
Janvier 105
Valle di Pompei 104
Pompéi 106
Herculanum 108
Cava 111
Naples 113
Castellamare 114
Vesuve 115
Bartolo Longo 116
Nocera Pagani 118
Naples 119
Lectures 122
Février 124
Epreuves â St-Q. 126
Mars 127
14 mars 129
158 Avril 130
Retour 131
Parme 132
Belfort 135
Paris: Salon 136
St-Quentin: élections 141
Mai 142
Belgique 143
La Fère 144
Juin 145
Les décrets 146
Juillet 147
Tristesses 146
Bruges, Bruxelles 149
Août: la Suisse 153

1)
Mun (Albert comte de), cf. NQ, vol. 2, note 5, pp. 606-607.
2)
Gayraud (Hippolyte), cf. NQ, vol. 2, note 41, p. 637-638.
3)
Lemire (Jules), cf. NQ, vol. 2, note 8, p. 615.
4)
Ribot (Alexandre), homme politique français, un des chefs du parti républi­cain modéré, né à Saint-Omer (1842-1923).
5)
Viviani (René), homme politique français (Sidi-bel-Abbès 1863 – Le Plessis­Robinson 1925). Avocat des cheminots, rédacteur en chef de la Petite République puis de la Lanterne, député socialiste (1893-1902), il participa avec Jaurès à la fon­dation de l’Humanité (1904) et fut député socialiste indépendant (1906-1922). Premier titulaire du ministère du Travail (oct. 1906 – nov. 1910), il créa ensuite le parti républicain socialiste. Ministre de l’Instruction publique (déc. 1913 -juin 1914), il fut appelé à la présidence du Conseil (juin 1914 -oct. 1915). Il fut mi­nistre de la Justice d’octobre 1915 à septembre 1917 et sénateur en 1922 (GL).
6)
Waldeck-Rousseau, (René), homme d’Etat français, né à Nantes (1846-1904).
7)
P. Paulin Delloue, cf. NQ, vol. 2, note 50, p. 669
8)
Le chanoine Jules-Albéric Pignon (+1906
9)
Cf. NQ, vol. 2, note 10, p. 608.
10)
Cf. NQ, vol. 2, note 31, p. 656.
11)
Sangnier (Marc), journaliste et homme politique français (Paris 1873 – id. 1950). Au collège Stanislas, où il avait fait de brillantes études, il organise des cer­cles d’études, dits «de la crypte», où il développe les thèmes de l’encyclique Rerum novarum sur la condition des ouvriers. Polytechnicien (1895), il quitte l’armée en 1898 pour se consacrer à l’organisation d’un christianisme démocratique et social. Le mouvement de formation religieuse et sociale s’appellera le Sillon, qui tire son nom de la petite revue créée en 1894. Le succès du Sillon est rapide; en 1901-1904, Sangnier lance l’hebdomadaire l’Éveil démocratique, tandis que se multiplient cer­cles, tracts, meetings, etc., qui fournissent à la démocratie chrétienne une doctri­ne et des cadres («la Jeune Garde», dont les membres portent chemise blanche et cravate noire). Accusé de politisation et de «modernisme social», le Sillon est condamné par Pie X (août 1910). Marc Sangnier se soumet sans réserves. En 1912, il fonde la Jeune République et fait campagne pour la Démocratie, titre du quotidien qu’il dirige. Député (1919-1924), il crée ensuite l’Éveil des peuples, qui doit être l’organe de l’internationale démocratique»; il multiplie les réunions pacifistes et contre le racisme; en 1926, il réunit même un «congrès de la paix». Epris de fraternité uni­verselle, il introduit en France les Auberges de la jeunesse (1929). Arrêté par les Allemands en 1944, Marc Sangnier est élu député en 1946, tandis que la jeune République se groupe avec le M.R.P., dont il devient président d’honneur, la génération montante le considérant comme le fondateur de la démocratie chré­tienne en France (GL).
12)
Les Soeurs Seivantes du Cœur de Jésus.
13)
Mère Marie du Cœur de Jésus, cf. NQ, vol. 1, note 84, p. 507.
14)
Mgr Augustin-VictorDeramecourt, cf. vol. 2, note 88, p. 647.
15)
Déal (Joseph-Ange) dehonien, cf. vol. 1, note 66, p. 534.
16)
Van Heugten (Théodore-Longin) dehonien, né le 19.2.1879 à Nederweert, entré dans la Congrégation en septembre 1893, profès le 30.9.1899, ordonné prê­tre en mars 1901 (cf. RP, 37).
17)
«Spleen» – mélancolie, tristesse.
18)
Guarini (Guarino) architecte (Modène 1624 – Milan 1683). Religieux de l’ordre des théatins, il travaillait principalement à Turin comme architecte officiel de Charles-Emmanuel II. Prenant comme point de départ l’architecture de Borromini, il sut réaliser dans ses œuvres une fusion parfaite de l’imagination et du jugement, avec une stupéfiante virtuosité de technique et de style et avec les effets décorateurs et de perspective les plus surprenants, comme dans les coupoles de San Lorenzo et de la chapelle du Saint Suaire à Turin.
19)
Antonelli (Alessandro), ingénieur italien (1798-1888). Auteur de la coupo­le de San Gaudenzio à Novare et de la Mole Antonelliana (Turin), où il réalise un étonnant effet de verticalité en appuyant sur une structure métallique une autre coupole à quatre faces incurvées de 84 m, dont la flèche télescopique atteint 168 m.
20)
Pellico (Silvio), écrivain italien (Saluces 1789 – Turin 1854). De tempéra­ment débile, de caractère doux, il fut élevé dans des sentiments de piété un peu étroite; mais un séjour à Lyon (1807) l’oriente vers les idées rationalistes et libéra­les. Précepteur dans une riche famille, il connut Mme de Staël, Schlegel, Thorvaldsen, Byron (qui traduisit Francesca da Rimini). Il publie alors quelques articles sur le romantisme dans le journal milanais Il Conciliatore. Ayant commis l’imprudence de confier à la poste une lettre où il demandait quelles obligations il aurait dû remplir pour devenir «carbonaro», il est arrêté, condamné à mort (1820); mais sa peine est commuée en 1822 en quinze ans de carcere duro, que Pellico purge à Brno, au Spielberg; gracié en 1830, il s’installe à Turin, où il publie son volume de Mémoires Mes Prisons (Le Mie Prigioni) [1832]. Tout en por­tant témoignage sur ses souffrances, l’ouvrage démontrait aussi que Pellico était revenu aux croyances chrétiennes de sa jeunesse; dès lors, il ne se mêle plus au mouvement libéral et patriotique. Dans les derniers temps de sa vie, il mène une existence très retirée à Turin, chez le marquis Barolo, qui l’avait pris comme bibliothécaire (GL). Gioberti (Vincenzo), philosophe et homme politique italien (Turin 1801 – Paris 1852). Entré dans les ordres en 1825, il devint, avec C. Balbo et d’Azeglio, un des chefs du «Risorgimento romantique» qui aboutit au mouvement de 1848. Acquis, dès 1830, au libéralisme patriotique, il s’intéressa, sans jamais y appartenir, à la `jeune Italie», au point d’être suspect et condamné à l’exil (1833). Il se retira à Paris, puis à Bruxelles, où il publia ses principaux ouvrages: Teorica del sovrannatu­rale (1838), Introduzione allo studio della filosofia (1839-1840), Lettres sur les doctrines philosophiques et politiques de M. Lamennais (1840), Sul bello (1841), Del buono (1843). Il atteignit la célébrité par son ouvrage capital, Primato morale e civile degl’Italiani (1843), dans lequel il prétendait établir la supériorité scientifique, philosophique, littéraire, artistique, voire morale, des Italiens, s’indignant de la primauté accordée à la France, dont la domination n’avait été, d’après lui, qu’une œuvre de corruption; il demandait des réformes et la constitution d’une fédération d’Etats italiens sous la présidence du pape. Les Prolegomeni del Primato (1845) complétèrent cette conception. Il Primato eut, pour les Italiens, la valeur d’une prophétie à l’avènement de Pie IX, suivi de la formation d’un parti néo­guelfe, s’appuyant sur la papauté. Elu président de la Chambre piémontaise, ministre de l’Instruction publique, il devint bientôt (16 déc.) président du Conseil. Ministre plénipotentiaire du Piémont à Paris, il démissionna pour écrire son Rinnovamento civile d’Italia (publié en 1851), dans lequel il renonçait au systè­me fédératif, pour incliner vers un Etat libéral et unitaire sous la direction du Piémont (GL).
21)
Pour l’évêque de Bitonto, Mgr Berardi, cf. OS, 1, p. 546-547. Le titre du journal est La Democrazia cristiana, cf. OS, 1, p. 568.
22)
Vercesi (Ernesto), prêtre, auteur, entre autres, des bons ouvrages d’histoire, p. ex. Pio VII, SEI 1933.
23)
La Retraite sacerdotale (cahier de moleskine noire, format de 21 x 16,5 cm.) couvre les 77 premières pages. Le reste est blanc. Les notes de cette retraite – telles quelles sont publiées en ces pages – sont la transcription dans le cahier susdit du texte ayant servi au P. Dehon lors de sa prédication au Séminaire Canadien de Rome, en 1901. Son Journal signale, en effet, en septembre 1919, p. 14: «Retraite à Tervuren prêchée par le P. Dutillerel qui nous édifie et nous intéresse. Je refais sur un autre cahier mes notes de ma Retraite sacerdotale de 1901» (cf. Extraits du journal du Père Dehon, pp. 219-250). Après, en méditation préparatoire: 1. «Nature et but de la retraite»; 2. «Le prê­tre – le sacerdoce»; 3. «Les pouvoirs du prêtre»; 4. «La fin du prêtre»; 5. «Les obli­gations du prêtre»; 6. «Le péché des prêtres»; 7. «La tiédeur»; 8. «La mort»; 9. «Le péché de saint Pierre»; 10. «Les dangers du sacerdoce»; 11. «Les soutiens du prê­tre»; 12. «Autres soutiens et moyens de perfection»; 13. «L’emploi du temps»; 14. «L’ami du prêtre»; 15. «Les récompenses du bon prêtre».
24)
Cf. NQ, vol. 2, note 4, p. 614; NQ, vol. 1, note 55, p. 532; NQ, vol. 2, note 14, pp. 631-632; NQ, vol. 2, note 10, pp. 630-631; NQ, vol. 2, note 9, pp. 615-616. Pour le P. Lepidi, dominicain, cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, Bologna 1989, pp. 424. 472.
25)
Loisy (Alfred), exégète français (Ambrières Marne, 1857 – Ceffonds, Haute­Marne, 1940). Prêtre (1879), professeur d’hébreu (1881), puis d’Ecriture Sainte (1889) à l’Institut catholique de Paris, il mit hardiment en œuvre les méthodes de la philologie moderne dans son enseignement et ses publications (qui parurent d’abord dans sa revue l’Enseignement biblique) Histoire du canon de l’Ancien Testament (1890), du Nouveau Testament (1891); Histoire critique du texte et des versions de l’Ancien Testament (1892). Il se rendit suspect par l’audace de ses idées; historien, il professait l’indépendance absolue de la critique biblique et de l’histoire ecclé­siastique par rapport à la Révélation et aux dogmes, concevant ainsi un Christ historique distinct du Christ de la foi; philosophe, il prétendait que les idées dans l’ordre religieux ne sont que des métaphores et des symboles. Privé de sa chaire (1893), il poursuivit ses travaux sur les Evangiles (1895-1900). En 1902, sous pré­texte de réfuter l’Essence du christianisme de l’exégète protestant A. Harnack, il publia l’Evangile et l’Eglise, qui fut blâmé par l’archevêque de Paris (1903): l’auteur en écrivit une apologie (Autour d’un petit livre), qui, avec quatre de ses autres ouvrages, fut condamnée par le Saint-Office (1903). Quand parurent le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi (1907) contre le modernisme, Loisy répliqua par des Réflexions qui le firent excommunier (1908). Rompant avec l’Eglise, il devint professeur d’histoire des religions au Collège de France (1909-1927), pour­suivant ses publications, dont Les Mystères païens et le mystère chrétien (1919) et la Morale humaine (1923). Il a laissé des souvenirs sur ses années difficiles (Choses pas­sées, 1913 (GL). Pour comprendre mieux la complexité de A. Loisy en tant que personnage et savant, cf. l’excellente étude de M. Bécamel, Loisy Alfred, in CHAD, vol. VII, coll. 1044-1053.
26)
Pie VI (Giannangelo Braschi) [Cesena 1717 – Valence, France, 1799], pape (1775-1799). Prêtre (1758) après avoir rempli différentes charges à la Cour ponti­ficale, cardinal (1773), il succéda à son protecteur Clément XIV. Bel homme, il pratiqua le népotisme et une politique conciliatrice à l’égard des puissances; il se heurta au despotisme éclairé des souverains, et notamment au fébronianisme et au joséphisme: son voyage à Vienne (1782) fut un échec, et la Punctation d’Ems (1786) manifesta l’esprit d’indépendance des grands prélats allemands. La bulle Auctorem fidei (1794) dénonça une fois encore le jansénisme. La Révolution française apporta au pape des soucis plus graves; son attitude hésitante, avant le bref du 10 mars 1791, à l’égard de la Constitution civile du clergé contribua au désarroi des prêtres français; beaucoup de ces derniers, proscrits, furent accueillis par Pie VI, qui ne put rien contre l’annexion par la France d’Avignon et du com­tat Venaissin (1791). La propagande révolutionnaire en Italie fut renforcée par les succès des armées françaises: en juin 1796, Bonaparte est à Bologne, où il impose au pape un dur armistice; la bulle Pastoralis sollicitudo (5 juill.) reconnaît la République française. Puis Pie VI cherche à défendre ses Etats, mais ses troupes sont écrasées à Faenza et il doit signer le traité de Tolentino (19 févr. 1797). Joseph Bonaparte est ministre à Rome: un officier de son entourage, Duphot, ayant été tué, le Directoire fait proclamer la République romaine (15 févr. 1798); le pape est fait prisonnier, amené à Sienne (20 févr.), à Florence (juin), à Parme (mars 1799), à Turin, et, dans un grand état de faiblesse traverse les Alpes. Le 13 juillet, il est écroué à la citadelle de Valence, où il meurt six semaines plus tard. Son corps sera ramené à Rome en 1801. Pour la complexité des vicissitudes dans lesquelles Pie VI fut impliqué, cf. l’Enciclopedia cattolica, vol. IX, coll. 1500-1504.
27)
Muard (Jean-Baptiste), c£ NQ, vol. 1, note 73, p. 505.
28)
Les impressions du P. Dehon concernant Subiaco et sa région (pp. 42-85) ont été publiées, avec plusieurs additions, dans la revue «Le Règne» (1902), pp. 94-102; 153-155; 187-195. D’après le bénédictin D.M. Abbatecola, le contenu des trois articles du P. Dehon sur Subiaco serait extrait du guide: Il Sacro Speco e Santa Montagna, du Dom Oderisio Bonamore O.S.B.
29)
Cf. Le Règne… 1902, pp. 238-246: «Le Sanctuaire de Mentorella». «Un des lieux les plus vénérés, par les peuples du Latium, de la Sabine et des Marses, est cer­tainement le vieux sanctuaire de Mentorella dédié à la très sainte Vierge. Il s’élève sur la pente escarpée et près du sommet des monts Prénestins. Le monastère annexé au sanctuaire fut autrefois une abbaye bénédictine; et il n’est pas téméraire de supposer que les moines de Subiaco construisirent eux-mêmes un couvent dans cette solitude sauvage, en mémoire du séjour qu’y aurait fait leur saint Fondateur. Le sanctuaire vénéré se trouve sur une crête de rochers, un peu au-dessous de la cime du Guadagnolo qui atteint 1218 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le petit village de Guadagnolo qui compte environ 500 habitants, est situé sur le sommet de la montagne, c’est le lieu le plus élevé de la province romaine qui soit habité. De là-haut on découvre un horizon splendide, plus de 60 villes et villa­ges s’offrent à votre regard. Au fond, se trouve Subiaco dont on voit les tours, les monastères, le bois de saint Benoît et le Sacro Speco. Ce petit village a probablement été bâti à cause de la célébrité du sanctuaire et de l’affluence des pèlerins, qui achetaient là les vivres nécessaires pour refaire leurs forces, et même qui y logeaient. Autour des monastères et des abbayes célè­bres il se formait toujours des centres d’habitations. Du pied de la montagne, le sanctuaire apparaît comme une forteresse de sûreté, élevée sur un rocher escarpé, symbole de cette sûreté religieuse et morale que trouvèrent pendant plusieurs siècles les peuples oppressés des contrées voisi­nes. C’est là-haut en effet que l’étoile du matin se montrait toujours sereine, que la vierge Marie encourageait ses enfants, elle en qui se trouve réuni tout ce qu’on peut trouver de bonté dans les créatures. Déjà avant que le sanctuaire voisin de Notre-Dame-du-Bon-Conseil à Ge­nazzano fut célèbre, c’est-à-dire avant le XVe siècle, la Vierge de Mentorella était très vénérée dans tous les environs et même dans les régions plus éloignées, son sanctuaire était le but de nombreux et fréquents pèlerinages. D’après une antique tradition, l’église de Mentorella est située à l’endroit même où saint Eustache eut l’apparition miraculeuse de Notre-Seigneur. Ce saint était, paraît-il, un des chefs de l’armée de Trajan, il se nommait avant son baptê­me Placide. Etant à la chasse dans les montagnes, il arriva avec ses compagnons à un endroit où ils rencontrèrent un troupeau de cerfs. Eustache se mit à poursui­vre un de ces animaux, et malgré ses efforts et son habileté, il ne pouvait l’attein­dre. Ses compagnons s’étaient dispersés chacun à la poursuite du gibier, et lui continuait sa course à la suite du cerf qui fuyait et évitait les flèches du chasseur. Arrivé au haut d’un rocher l’animal se tourna enfin vers celui qui le poursuivait. Eustache, heureux, se croyait près d’atteindre sa proie. Mais tandis qu’il appro­chait du rocher, il vit un signe briller entre les cornes du cerf: une croix lumineu­se lui apparut, et au milieu l’image du Sauveur. Une voix se fit entendre: `Placide, pourquoi me persécutes-tu? Je suis le Christ que tu honores sans le savoir, en don­nant l’aumône aux pauvres. Ces aumônes ont obtenu ma grâce, et je me suis mon­tré à toi pour te prendre dans mes filets et te délivrer de l’esclavage de l’idolâtrie’. C’est ainsi que Placide fut converti, et plus tard il scella de son sang la foi qu’il avait reçue miraculeusement de Notre-Seigneur. Sous le rocher où le cerf s’était arrêté, s’ouvre une caverne dans laquelle on voit encore la maçonnerie d’un ancien autel. C’est là que saint Benoît serait venu habiter pendant quelque temps, avant de passer à Subiaco. D’après les anciens documents, la petite ville de Poli située dans les Appennins et de laquelle dépend Guadagnolo dont Mentorella forme une annexe, apparte­nait à la famille des Anici, très célèbre non seulement chez les écrivains chrétiens mais aussi chez les païens, et d’où sont issus saint Benoît et saint Grégoire le Grand. Dans une ancienne charte de donation du monastère de Subiaco, on voit que saint Grégoire le Grand et sainte Sylvie, sa mère, ont concédé au monastère la montagne de Mentorella appelée Mons Vultuilla de S. Maria. Anciennement on appelait, en effet, le mont de la Mentorella, Vultuilla, Bulturelle et Vulturella, noms dérivés probablement des vautours qui habitaient les rochers élevés de cet endroit. On pense que l’église de la Mentorella a été fondée par l’empereur Constantin, et consacrée par le pape saint Sylvestre. Le souvenir de la consécra­tion est rappelé par une ancienne table de bois, sculptée en relief, qu’on voit der­rière l’autel. Sous deux arcs en plein-cintre supportés par de doubles colonnettes on voit saint Sylvestre consacrant un autel carré surmonté d’une petite croix sans Christ. Parmi les choses remarquables que possède le sanctuaire, il faut citer un magnifi­que crucifix en cuivre repoussé. Il est couvert d’ornements, et rappelle par sa forme les anciennes croix grecques. Puis un candélabre à sept branches, tout de bronze, semblable à celui de Jérusalem représenté sur un côté de l’arc de Titus au Forum romain. L’antique statue de la Vierge avec l’Enfant-Jésus sur ses genoux se trouve sur l’autel. Elle est en bois sculpté et peint. Elle doit remonter à une haute antiquité et probablement à l’époque byzantine, à en juger par l’ensemble de la sculpture et l’expression si grave et si pleine de piété de son visage. Actuellement elle repose sur un siège magnifique et artistement travaillé. Il a été exécuté d’après les ordres des Pères résurrectionnistes qui possèdent le sanc­tuaire depuis 1858. Ceux-ci ont aussi très convenablement décoré l’église, en l’ornant d’une coupole, de différents ouvrages de marbre, d’un orgue, et de tou­tes les choses nécessaires au culte. Ils agrandirent aussi ou plutôt ils rebâtirent le couvent dont il ne restait que des ruines. Les moines bénédictins, en effet, ne restèrent pas toujours dans ce lieu vénéré, et après leur départ, le sanctuaire tomba dans le plus grand abandon; il ne rede­vint célèbre qu’en 1661, lorsque le savant jésuite Kircher le découvrit dans une de ses pérégrinations scientifiques. Les paysans des environs avaient encore un vague souvenir de la présence des moines dans le petit monastère contigu alors tout délabré. Le pieux jésuite ne voulut pas qu’une église si vénérable tombât en rui­nes. Il fit restaurer d’abord la statue de la Vierge puis tout le sanctuaire. Mais il ne se contenta pas de la restauration matérielle, il se voua spécialement au culte de la sainte Vierge et s’efforça de faire revivre les grands pèlerinages d’autrefois. En 1664, vers la fête de saint Michel il fit prêcher une mission par quelques pères de la Compagnie de Jésus. Le pape Alexandre VII lui avait accordé plusieurs indul­gences et faveurs pour le sanctuaire et le P. Kircher les fit publier à cette occasion. L’affluence fut très grande, 15.000 pèlerins assistèrent aux exercices et reçurent les sacrements. Cette mission se renouvelle encore chaque année pour la fête de saint Michel. Les pèlerins viennent de toutes les parties des Abruzzes et de la Sabine, ils écou­tent la parole de Dieu qui leur est annoncée par des prélats et des évêques. L’égli­se reste ouverte toute la nuit et les fidèles y font avec édification la veillée, ils prient et ils chantent en l’honneur de la Madone, les cantiques italiens populai­res. Jeunes et vieux viennent offrir leurs hommages à la Vierge de Mentorella, avec une dévotion et une piété touchantes. Ils aiment leur Madone et son sanc­tuaire, c’est là qu’ils épanchent leur cœur et oublient leur pauvreté. Le spectacle qui se présente aux regards en cette circonstance est magnifique. L’affluence des pèlerins commence dès la veille de la solennité, et elle est toujours très nombreuse surtout quand le temps est beau. A l’approche de la nuit, des hauteurs de Mentorella, on aperçoit une myriade de petites lumières dans la plaine, le long des routes qui conduisent au sanctuaire et sur le flanc de la monta­gne, ce sont les flambeaux des pèlerins. De doux chants se font entendre dans le silence de la nuit, des milliers de voix répètent les louanges de Marie. Tous gravis­sent courageusement et allégrement le sentier escarpé et rocailleux qui mène à l’église. Mais déjà celle-ci et la place qui la précède se remplissent de monde. Les pèlerins viennent ordinairement par groupes, et, à peine arrivés devant le sanc­tuaire, oubliant les fatigues d’un long et pénible chemin, ils témoignent leur joie et leur bonheur par des vivats répétés à Marie; ils se prosternent sur le seuil, le bai­sent avec respect, et beaucoup s’avancent à genoux jusqu’à l’autel de la Vierge où ils prient avec une foi et une dévotion étonnantes. Puis ils se purifient de leurs fautes par le sacrement de la pénitence et s’approchent de la table sainte. Les nombreuses communions commencent un peu après minuit et se continuent tout le jour suivant. Sa Sainteté Léon XIII, comme Pie IX, voulut enrichir de plusieurs indulgences particulières ce sanctuaire qu’il connaît depuis son enfance. Comme preuve de la grande vénération qu’on avait pour Notre-Dame de Mentorella dans les siècles passés, nous rapporterons le fait suivant qui ne laissera pas d’intéresser les dévots de Marie. Au XIIe siècle la bienheureuse Marguerite Colonna née d’une famille noble et puissante, vivant au milieu de la splendeur et de l’opulence de sa maison, se décida, toute jeune encore, à quitter le monde pour se retirer sur la montagne de Préneste. Là, dans la solitude, elle partagea son temps entre la prière et les bonnes œuvres avec d’autres jeunes filles qui s’étaient jointes à elle. La grande renommée du sanctuaire voisin de la Mentorella ne resta pas inconnue à Marguerite; et souvent elle se rendait à pieds avec ses compagnes à l’église de la Vierge. Bientôt sa dévotion envers Notre-Dame grandit tellement et les grâces qu’elle en reçut furent si grandes qu’elle résolut de demeurer auprès de son image vénérée et d’y fonder un monastère. Mais elle ne put exécuter son des­sin malgré l’ardent désir qu’elle en avait, car les difficultés qu’on lui suscita l’obligèrent à s’en retourner sur la montagne de Préneste où elle mourut en odeur de sainteté. Lorsque le bienheureux Egidius, compagnon de saint François d’Assise, apprit la pieuse intention de la bienheureuse Marguerite et les contradictions qui s’oppo­saient à son établissement à la Mentorella, il gravit lui aussi la montagne pour vénérer le sanctuaire. Là il se prosterna la face contre terre et pria instamment la très sainte Vierge de consoler sa servante et de dissiper les difficultés qui surgis­saient. Mais Dieu en avait disposé autrement, et le bienheureux Egidius, voyant que les persécutions continuaient, conseilla à la bienheureuse Marguerite d’aban­donner ce lieu où elle avait reçu tant de consolations. Parmi les personnages célèbres qui eurent une dévotion toute particulière à Notre-Dame de Mentorella, il faut citer d’abord le P. Kircher qui fit restaurer le sanctuaire et suscita les pèlerinages dont nous avons parlé; un autre jésuite, Joseph Mazzolari, qui laissa une rente pour qu’après sa mort une lampe brûlât continuel­lement devant la statue de Marie; Innocent XIII, qui voulut, comme les deux jésui­tes déjà nommés, que son cœur fut transporté à la Mentorella et placé près de l’antique statue de la sainte Vierge. Plusieurs autres grands personnages de la famille des Conti témoignèrent aussi à la Madone une affection toute spéciale. Les grâces nombreuses et signalées, tant spirituelles que corporelles qui ont été obtenues par son intercession, sont bien propres à redoubler notre confiance et à nous faire invoquer fréquemment une si bonne Mère. Nous avons parlé déjà dans la revue du beau monument qu’on achève de bâtir sur le mont Guadagnolo, en souvenir de la consécration du nouveau siècle au Sacré-Cœur. Ce monument, qui est tout proche de la Mentorella attirera encore des pèlerins au sanctuaire de Marie. Note sur la Bienheureuse Marguerite Colonna La noble famille des Colonna donna à l’Eglise et à l’Ordre des Frères-Mineurs cette illustre vierge, qui naquit à Rome vers le milieu du XIIIe siècle. Elle perdit ses parents de très bonne heure, et le soin de son éducation fut confié à ses frères, qui la firent élever chrétiennement, mais sans avoir de but plus noble que celui de la voir soutenir avantageusement son rang dans le monde. Marguerite ne se sen­tait aucun attrait pour le mariage. Un de ses frères, plus éclairé que les autres sur les desseins de Dieu par rapport à sa soeur, s’efforça de développer en elle les inclinations pieuses qu’il y remarquait, et de diriger son cœur vers l’unique Epoux des âmes fidèles. Il n’eut point de difficulté à y parvenir, car la jeune fille avait déjà conçu la pensée de se donner au Seigneur, et de garder intact le pré­cieux trésor de la chasteté. Après que sa détermination fut bien arrêtée, pour la récompenser de son sacrifice, la sainte Vierge lui apparut, l’encouragea à persévé­rer dans la voie où elle était entrée et lui promit de l’aider et de la soutenir. Notre Sainte demeura encore quelque temps dans la maison de ses frères, se livrant avec ardeur aux pratiques de la piété. Mais elle ne tarda pas à sentir le besoin d’une vie plus retirée et plus solitaire. Elle quitta donc secrètement la mai­son et se retira sur la montagne de Préneste, où elle garda une solitude absolue. Poussée de plus en plus par la grâce, elle sentait le désir d’embrasser la règle de sainte Claire et de se vouer ainsi sans retour à une vie de pauvreté et de péniten­ce. A cet effet, elle se procura un habit de clarisse, et s’en revêtit. Sa chevelure était magnifique, elle l’avait toujours soignée avec une grande sollicitude; mais elle comprit qu’il fallait maintenant en faire le sacrifice. Cette réflexion faite, elle prit elle-même des ciseaux, et retrancha sans hésitation le seul ornement terrestre dans lequel elle s’était toujours complu. Fortifiée par cet acte de courage, qui exi­geait plus d’héroïsme qu’on ne serait tenté de le supposer, Marguerite se livra désormais aux pratiques de la plus austère pénitence, accomplissant dans toute sa rigueur la règle séraphique, mais sans être attachée à aucun couvent; car, n’étant pas encore majeure, elle n’avait point la libre disposition de sa personne. Elle utilisait pour le service des pauvres les loisirs de sa solitude. Elle visitait les malades et les soignait avec amour. Lorsqu’elle eut atteint sa majorité, elle entra en possession de sa fortune, et en même temps de sa liberté. Elle commença par distribuer son patrimoine aux pau­vres; puis elle alla au couvent de sainte Claire, à Assise, et demanda à être reçue comme postulante. On l’accepta avec empressement, mais elle ne put exécuter ce projet, à cause d’une violente maladie qui la saisit, et qui ébranla tellement sa santé, que les supérieures du monastère ne jugèrent plus à propos de l’admettre. Marguerite, résignée à la sainte volonté de Dieu, qui s’était manifestée d’une façon si sensible, retourna à sa solitude de Préneste, et reprit la vie de charité et de pénitence qu’elle y avait déjà menée. Ayant distribué toute sa fortune aux indigents, la fille des Colonna allait tendre une main suppliante aux riches qu’elle rencontrait sur son chemin, afin de pou­voir subvenir aux besoins des pauvres de Jésus-Christ. Son divin Epoux voulut la marquer d’une manière particulière du sceau sacré de la souffrance. C’est pourquoi il lui envoya, pendant les sept dernières années de sa vie, un ulcère affreux, qui lui faisait endurer d’horribles tortures. Marguerite supporta son mal avec une héroïque patience, et ne laissa échapper de ses lèvres aucun murmure. Lorsqu’elle se vit près de mourir, elle demanda les derniers sacre­ments, qu’elle reçut avec une admirable ferveur, puis elle s’en alla recevoir au ciel la récompense des vertus qu’elle avait pratiquées dans un degré si sublime pen­dant qu’elle vivait sur la terre. (17 décembre 1284). Son corps est vénéré à Rome, à l’église de Saint-Laurent in Panisperna».
30)
Cf. NQ, vol. 1, note 5, p. 526.
31)
Ce texte est reproduit dans «Le Règne…» (1902), pp. 300-305, sous le titre: La Voie Appienne.
32)
Longo (Bartolo), avocat, fondateur du sanctuaire de Pompéi, né à Latiano (Brindisi) le 10 février 1841, mort à Pompéi le 5 octobre 1926. Ayant subi une crise de la foi à laquelle il fut ramené par ses chers amis, il quitta l’activité du bar­reau et se dédia aux œuvres religieuses et de charité. Il épousa la comtesse Marianna de Fusco, veuve, en 1885 à l’époque où, depuis 1872, à Pompéi, une localité presque abandonnée, il avait commencé à enseigner le catéchisme et à promouvoir la dévotion au Saint Rosaire en y érigeant une con­fraternité en 1876. Le 8 mai de la même année, avec l’argent offert par les fidèles, il commença la construction du temple de la Sainte Vierge, avec plusieurs œuvres de charité annexes. Il fonda aussi la congrégation des «Filles du Très-Saint-Rosaire de Pompéi». Il écrivit de nombreux ouvrages de caractère pédagogique (cf. NQ, XVII, pp. 116-118).
33)
Cf. Pompéi. Les œuvres sociales à la nouvelle Pompéi: «Le Règne…» (1902), pp. 291-299. Le Très Saint Rosaire et le Sacré-Cœur de Jésus à Valle di Pompei. Rapport présenté par le R. P. Foy au Congrès Marial de Fribourg, cf. «Le Règne…» (1903), pp. 553-559.
34)
Cf. «Œuvres sociales», vol. 1, Les élections vues de Pompéi, pp. 570-573.
35)
Chadouf: appareil à bascule, employé en Egypte pour tirer l’eau des puits, des canaux d’irrigation ou du fleuve.
36)
Chéchia : coiffure en drap rouge, cylindrique ou tronconique, portée cou­ramment par de nombreux peuples africains et adoptée par certains corps des troupes d’Afrique (Zouaves, etc.).
37)
Cf. L’abbaye de Cava in «Le Règne…» (1903), pp. 81-87; 128-135.
38)
Janvier (Emile-Marie-Méen, en religion Marie-Albert). – Né à S.-Méen (dioc. de Rennes), le 19 déc. 1860. Il prit l’habit dans l’ordre des Frères Prêcheurs, au couvent d’Amiens, le 4 oct. 1879. Profession en 1880. Ses solides études lui permi­rent de donner un enseignement dont la valeur fut sanctionnée plus tard par le titre de maître en sacrée théologie. De 1895 à 1901, il remplit la charge de prieur du couvent de Flavigny; il fut de même, de 1922 à 1925, prieur du couvent du S.­Sacrement, au faubourg S.-Honoré, à Paris. En 1903, il fut appelé à la chaire de N.-D. de Paris. Pendant 22 carêmes, il y exposa la morale catholique, selon le plan de s. Thomas dans la Somme Théologique (les huit premières années, il traita de la morale générale; pendant les quatorze années suivantes, il étudia la morale spéciale). Aucun prédicateur n’a tenu la célèbre chaire aussi longtemps. Une voix magnifique au service d’une con­viction profonde emportait l’assentiment, moins par l’éclat des images que par la démonstration où s’accumulaient et convergeaient faits et raisons présentés en une langue limpide. Dans le même temps, il fut l’orateur des grandes solennités religieuses et natio­nales (notamment le 16 oct. 1919, lors de la consécration de la basilique du Sacré­Cœur à Paris). Il eut aussi une grande activité patriotique, durant la guerre de 1914-1918. En 1924, l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France le choisit pour la représenter auprès de la Fédération Nationale Catholique, que venait de fonder le général de Castelnau. A la même époque, les cardinaux et archevêques l’adjoigni­rent à Mgr Chollet, archevêque de Cambrai, secrétaire de leur commission perma­nente. Pour quelque temps, il devint le conseiller théologique de l’épiscopat français. C’est lui qui rédigea la célèbre Déclaration sur les lois dites de laïcité et sur les mesures à prendre pour les combattre. Aumônier de l’Association catholique des Beaux-Arts et de l Association des étudiants catholiques, il s’attacha surtout aux Publicistes chrétiens, à qui il resta fidèle jusqu’à la mort. Ses dernières années furent assombries par la condamnation de l’Action Française, pour laquelle, par éducation et tempérament, il avait de réelles sym­pathies. Sa soumission aux directives pontificales fut immédiate et entière. On peut regretter que ce théologien n’ait pas mieux pressenti en temps opportun les déviations auxquelles la position maurrassienne pouvait conduire des esprits moins avertis que le sien. Après coup, l’âge et la fatigue ne lui permirent pas d’avoir sur ses amis une action assez efficace pour leur faire saisir le sens de la crise dont ils souffraient. Après une longue agonie, durant laquelle il donna des signes admirables d’une grande union à Dieu, il mourut le 28 avr. 1939 (CHAD).
39)
Fra Diavolo. – Surnom du célèbre guerrier Michel Pezza. Né à Itri le 7 avril 1771, il fut admis en 1798 dans l’armée bourbonienne en commutation de la peine infligée pour deux homicides lors d’une rixe. En 1799, il se montra comme un meneur de foules audacieux, faisant d’abord obstacle à l’avancée de Championnet, contribuant ensuite à organiser la réaction et entrant dans Naples avec les troupes du Cardinal Ruffo. Chargé de poursuivre les Français, il prit Velletri et, après avoir saccagé Albano, fut mis aux arrêts, mais le roi Ferdinand lui accorda son pardon et le nomma colonel et commandant du département d’Itri. Pendant la guerre de 1806, il refusa de trahir son roi pour de l’argent promis par les Français; par une guérilla acharnée il fit obstacle à l’avancée de Masséna, prit part à la défense de Gaète, souleva les Calabres et débarqua à Sperlonga avec 700 hommes. Battu et assiégé à Sora il se fraya le passage à travers les troupes enne­mies et, par une manœuvre fulminante, se réfugia dans les Abruzzes. Poursuivi avec fougue par le général Hugo, il fut battu à Boiano sur Biferno et fait prison­nier à Baronissi (Avellino). Il fut pendu à Naples le 11 novembre 1806.
40)
Cf. NQ, vol. 2, note 27, pp. 652-653.
41)
Cf. NQ, vol. 1, note 93, p. 508.
42)
Cf. NQ, vol. 1, note 61, p. 516.
43)
Le chanoine Delassus est le chef des catholiques intransigeants de l’archidiocèse de Cambrai. Il deviendra collaborateur du célèbre Mgr Benigni, chef de la délatrice Sapinière. Dès 1875, Mgr Delassus est propriétaire de la Semaine Religieuse de Cambrai. La revue est indépendante de l’archevêché. Delassus met tout dans le même sac: les chrétiens démocrates, les maçons, les juifs: ils sont tous des manifestations nuisibles de l’esprit de la Révolution. Contraire à la politique du ralliement à la République, demandée par Léon XIII, champion du paternalisme dans le domaine social soutenu par les patrons dans le Nord, son influence dépassa largement les limites de l’archidiocèse de Cambrai. Il combattit violemment la revue: La Démocratie chrétienne de l’abbé Six à laquelle collabora aussi le Père Dehon. Par l’intermédiaire du P. Wyart et de l’Archevêque même de Cambrai, Mgr Sonnois, Léon XIII désapprouva à plu­sieurs reprises l’intransigeance réfractaire et les polémiques continues du vio­lent Delassus. Le Cardinal Rampolla fit de même. Sous Pie X, les thèses intransi­geantes de Mgr Delassus triomphèrent. Pour lui et pour d’autres instransi­geants, la démocratie était une forme de modernisme social et politique provo­qué par le modernisme religieux. Par contre, la Semaine Religieuse de Cambrai et ses amis incarnaient la fidélité à l’égard de la contre-révolution. C’étaient des alliés de ce patronat catholique qui n’acceptait pas la démocratie sociale. Opposant acharné des abbés démocrates et en particulier du député l’abbé G. Lemire, Mgr Delassus s’adresse à l’Archevêque de Cambrai en personne, Mgr Delamaire, qui l’a critiqué pour ses polémiques renouvelées: «Depuis trop longtemps les fidèles sont scandalisés de voir un mau­vais prêtre (l’abbé Lemire) gravir l’autel». Delassus triomphe quand le 8 février le tribunal (l’officialité) de l’archevêché de Cambrai condamne l’abbé Lemire. En réalité, ce sont les idées sociales et politiques de Lemire que l’on condamne et on fête le triomphe du catholicisme intransigeant. Un second triomphe, quand Lemire est suspendu à divinis, le 17 janvier 1914, pour s’être présenté aux élec­tions d’avril 1914 sans autorisation du nouvel Evêque de Lille, Mgr Charost. Lemire accepte la suspension, mais est triomphalement élu par les Flamands français. La sanction, en elle-même conforme à la loi mais bien peu équitable, sera levée par Benoît XV, en 1916.
44)
En ordre: le Card. Langénieux, le Card. Coullié, Mgr Henry, Mgr Bardel, Mgr Carsalade, Mgr Latty.
45)
Cf. NQ, vol. 2, note 31, pp. 656.
46)
Bégin (Louis-Nazaire), né à Levis (Canada), fut ordonné prêtre à Rome en 1865, après avoir étudié à l’Université Grégorienne (ou Collège Romain). Le P. Dehon le connut parce que Bégin résida au Séminaire français jusqu’en 1868. Rentré au Canada il fut professeur de théologie et d’histoire ecclésiastique. Consacré évêque de Chicoutimi (Canada) en 1888, il devint coadjuteur de l’Archevêque de Québec, le Cardinal Tascherau, en 1891 et lui succéda en 1898. Il fut créé cardinal par Pie X en 1914. Il fut archevêque de Québec et non pas de Grenoble comme dit Dorresteijn. Il mourut à Québec le 18 juillet 1925.
47)
Cf. NQ, vol. 1, note 51, p. 501.
48)
Prévot (André-Léon) dehonien, cf. NQ, vol. 1, note 96, p. 524.
49)
Charcosset (Claude-Barnabé) dehonien, cf. NQ, vol. 1, note 98, p. 509.
50)
Galley (Marins), cf. NQ, vol. 1, note 50, p. 501.
51)
Cf. Une Jeanne d Arc italienne, inspirée par saint Quentin, «Le Règne… (1902), pp. 455-460; 487-496.
52)
Bérulle (Pierre de), cardinal français (château de Sérilly, Champagne, 1575 – Paris 1626). Il appartenait à une famille de parlementaires et, dès sa jeu­nesse, se trouva en relations étroites avec les jésuites, les capucins et tout l’état-­major spirituel de son temps. Prêtre en 1599, il fut élevé au cardinalat en 1627. Son influence politique fut considérable. Comme les parlementaires de son milieu, il estimait dangereux l’accord avec les princes protestants, et il se trouva souvent en opposition avec Richelieu. Il négocia la réconciliation de Marie de Médicis avec Louis XIII et le mariage d’Henriette de France avec Charles ler, l’accord franco-espagnol de 1627. Sur le plan religieux, on notera son activité de controversiste (contre les protestants), l’installation – très difficile – des pre­miers Carmels en France, la fondation de la congrégation de prêtres séculiers qui prit le nom d’Oratoire (1611-1613), son intervention dans la réforme des Feuillants, des Prêcheurs, des Bénédictins de Marmoutier, de Saint-Maur, des Prémontrés, des Franciscains, des Grand Augustins. Il publia des ouvrages de théologie qui ont élaboré la doctrine théocentrique dite «de l’Ecole française». Bérulle définissait l’esprit de son Oratoire en disant: «…Le soin particulier d’aimer et d’honorer intimement et singulièrement Jésus-Christ Notre-Seigneur […] doit être le point auquel cette petite congrégation se doit rendre éminen­te». Il a plus que personne, par ses écrits et son action directe, contribué à restaurer la dignité du clergé séculier, qui est la marque des grands animateurs de la réforme catholique en France au XVIIe s. (Saint-Sulpice, la Mission, les Eudistes, les Filles spirituelles de l’Oratoire). A la mort de Bérulle, l’Oratoire avait déjà dix-sept collèges.
53)
Réginald d’Orléans, bienheureux, professeur du Droit à l’université de Paris et doyen de la collégiale de St-Oignan. A Rome, il connut st Dominique et, après une guérison miraculeuse alors qu’il était moribond, il devint dominicain. En 1218, Dominique l’envoie à Bologne en tant que son vicaire et ensuite, en 1219, à St Jacques de Paris pour redonner de la vigueur à cette communauté. Il y meurt le ler février 1220. Pour son ardeur apostolique, il fut comparé à un second Elie.
54)
La Valliére (Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de), favorite de Louis XIV (Tours 1644 – Paris 1710). Demoiselle d’honneur de Madame, belle-soeur de Louis XIV, elle séduisit le roi, dont elle devint la maîtresse (1661). Fort aimable et très jolie, quoique légèrement boiteuse, elle aima le roi avec désintéressement. Elle eut de lui quatre enfants, dont deux seulement vécurent: Marie-Anne de Bourbon (Mlle de Blois, future princesse de Conti), et le comte de Vermandois. Elle fut créée duchesse de Saint-Christophe et de Vaujours en 1667. Quand le roi s’attacha à Mme de Montespan (1667), il voulut conserver Mlle de La Vallière pour cacher le scandale d’une nouvelle liaison; elle se réfugia au couvent de Sainte-Marie de Chaillot (1671), puis, après un rappel à la Cour, se retira défini­tivement chez les carmélites du faubourg Saint Jacques, à Paris (1674), où elle mena une vie d’austérité et de pénitence.
55)
Malachie, archevêque d’Armagh, saint. Né en 1094, il vécut une vie ecclé­siastique intense (cf. BS VIII, coll. 576-582). Il fut un grand ami de st Bernard dans les bras duquel il mourut en 1148 lors d’un voyage à Rome. Outre un panégyrique, st Bernard écrivit aussi la Vie de st Malachie, où il affirme que le Saint possédait le don de prophétie. Plusieurs siècles plus tard, un auteur inconnu compila une liste de Prophetiae Malachiae, devenue célèbre. Les prophéties con­sistent en 112 brefs portraits des papes, de Célestin II à Pierre II. Pendant le ponti­ficat de ce dernier il y aurait la fin du monde. Les prophéties ne sont qu’un faux, mais elles ont toujours présenté un certain attrait, en particulier avant l’élection d’un nouveau pape.
56)
Mgr Deramecourt.
57)
Kayser (Pierre-Johannet) dehonien, né le 30.11.1870 à Schengen (Luxembourg); profès le 29.9.1895 à Sittard, prêtre le 10.8.1899 à Luxembourg; décédé le 14.3.1902 à St-Gabriel (Zaïre).
58)
Montain, saint, moine ermite. Il vécut à La Fère (Aisne), probablement au Ve siècle. Selon la plus ancienne Vie de st Rémi (VII-Mlle s.) il prédit à Céline la naissance de son fils Rémi, futur évêque de Reims. Même le jeune Rémi aurait rendu la vue au saint anachorète. Il mourut à La Fère et sa tombe, appelée la «fosse de St-Montane» devint un lieu de pèlerinages.
59)
Combes (Émile), né à Roquecourbe (Tarn) en 1835, dans une famille modeste, il fit ses études au séminaire. Il obtint le doctorat en théologie en écri­vant une thèse sur st Thomas d’Aquin (1860). A la suite d’une crise de conscien­ce, il rompit avec le catholicisme et, ayant dépassé la trentaine, il entreprit à Paris des études de médecine. Elu, en 1875, maire de Pons où il était domicilié, il devint sénateur radical en 1885 et vice-président du Sénat (1894-1895); fut mi­nistre de l’Instruction publique dans le cabinet de Léon Bourgeois (nov. 1895 – avr. 1896). Après les élections de 1902 où les radicaux devinrent le groupe le plus important au sein du groupe républicain, E. Combes fut choisi comme président du Conseil, à l’âge de 70 ans (mai 1902). Peu connu par le public, sa dure politi­que anticléricale le rendit célèbre, exalté par les uns et exécré par les autres. Il appliqua de façon sectaire la loi de juillet 1901 sur les Congrégations. II rejeta en bloc toutes les demandes d’autorisation. On arriva ainsi à l’expulsion de toutes les congrégations religieuses non autorisées et à la confiscation de leurs biens. Le P. Dehon devra combattre de 1901 à 1906, en ne parvenant qu’à racheter la Maison du Sacré-Cœur et la Maison de Fayet. Le collège Saint-Jean réussit tout de même à se sauver puisqu’il fut considéré comme une œuvre du diocèse. E. Combes poursuivit sa lutte anti-catholique. Pour lui il n’existait que des problèmes de poli­tique religieuse. On arriva ainsi à la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège (le 30 juillet 1904), ce qui aboutit, une année plus tard, à la loi de séparation de l’Église et de l’État et à la dénonciation du Concordat (9 décembre 1905). Entre-temps, le 2 janvier 1905, E. Combes démissionna. Dans son anticléri­calisme militant, E. Combes s’appuya sur une philosophie spiritualiste qui voulait remplacer le christianisme par une religion laïque de l’État. Il mourut à Pons (Charente-Maritime) en 1921. Cf. G. Manzoni, Leone Dehon et il suo messaggio, Bologna 1989, pp. 410 ss.
60)
P. Blanc (Auguste-Irénee), cf. NQ, vol. 1, note 63, p. 504.
61)
Legrand (Orfilas-Joseph-Matthias) dehonien, né le 9.7.1848 à Caumont (Aisne); profès le 21.11.1881 à St-Quentin; prêtre le 29.6.1884 à Soissons; Supérieur à Fayet (1884-1903), Conseiller général (1888-1919); décédé le 13.8.1925 à Blaugies (Belgique).
62)
Maley (Marius-Marcellus), né le 16.10.1868, à St julien (Ardèche), profès le 8.9.1898; ordonné prêtre à Bruxelles le 25.7.1902; il quitta la Congrégation en 1903.
63)
Farinelle (Jules-Léon) dehonien, né le 1.2.1874 à Les Bulles (Belgique), profès le 1.10.1897 à Sittard; prêtre le 25.7.1902 à Bruxelles; missionnaire au Congo belge (Zaïre) (1902-1909); décédé le 9.8.1909 à Banalia (Zaïre).
  • nqtnqt-0003-0017.txt
  • ostatnio zmienione: 2022/06/23 21:40
  • przez 127.0.0.1