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19ème CAHIER (Juillet 1904 – 31.12.1905)

1 Notes quotidiennes

J'ai terminé mon voyage à Paris à Notre-Dame-des-Victoires.

A St-Quentin je suis plus souffrant de l'estomac depuis quelques jours. J'ai de bien mauvaises nuits. Je ne suis d'ailleurs jamais sans souf­frir un peu, et c'est une grande grâce, j'ai tant à expier!

Notre projet de fondation d'école flamande se détermine, nous avons renoué des négociations avec la Comtesse de Stolberg-Robiano pour l'école de Tervuren. Tout s'arrange. J'ai écrit à S. E. le Cardinal de Malines, il me répond le 17 juillet qu'il nous autorise volontiers. Cette école assurera notre recrutement pour le Congo. J'ai vu moi-même les locaux à Tervuren, ils suffiront pour 2 un début. Le parc royal et celui des Stolberg fourniront des récréations délicieuses. La forêt de Soigne n'est pas loin pour les grandes promenades.

A la fin du mois, j'accompagne à Paris mon petit secrétaire, A. Guillaume1) qui va passer son examen de droit. Il est reçu, je le récom­pense en le conduisant au Mont-St-Michel et à jersey.

Je goûte mieux encore le Mont-St-Michel, en le revoyant tout à mon aise. Quels artistes que les anciens moines! Leurs XIIe XIIIe et XIVe siècles valent celui de Périclès. Quelle harmonie dans l'ensemble de leurs monuments. Quelle délicatesse dans leurs manuscrits et leurs miniatu­res! Quelle profondeur dans leurs spéculations philosophiques et théolo­giques!

Notre siècle, si orgueilleux de 3 ses progrès est bien inférieur aux grands siècles chrétiens. Qu'a-t-il à opposer aux grandes cathédrales, aux majestueux monastères. Il cite le grand Opéra de Paris, c'est peut­-être son chef-d'œuvre. Il rappelle par sa richesse et son emploi, les ther­mes bâtis par les empereurs sensuels de Rome.

Le parlement de Londres: c'est une grande machine gothique, impo­sante et solennelle, mais qui a moins d'harmonie et de noblesse de for­mes que cent églises diverses du XIIIe siècle.

Le palais de justice de Bruxelles: c'est de l'éclectisme, sans unité, sans style précis, avec une petite tête (la coupole) sur un corps énorme. J'aime mieux la merveille du Mont-St-Michel avec ses salles merveil­leuses, son cloître et toute sa floraison de pierres qui couronne si 4 harmonieusement son rocher.

Je désirais depuis longtemps visiter jersey. J'y cours en bateau de Granville pour revenir après deux jours. C'est un coin de l'ancienne Normandie française! Il y a là un air d'aisance générale. Les grandes fermes ont conservé l'ancien aspect et le mobilier traditionnel: les ba­huts, les dressoirs, les faïences. Les bourgades sont propres, les champs fertiles, les pâturages clos de haies bien taillées et peuplés de bonnes lai­tières. Ces braves gens ont peu d'impôts, pas de service militaire, un ré­gime communal fort libéral. L'autorité anglaise se laisse à peine sentir. Les côtes de l'île ont de beaux sites, ses petits ports gracieux et 5 quelques falaises imposantes.

Malheureusement le protestantisme a divisé les âmes. Pour 75.000 âmes, il y a 78 religions diverses. Chaque village est partagé entre trois ou quatre sectes. La nécessité de l'unité catholique devrait sauter aux yeux des catholiques. Le Christ n'a pas pu fonder cette Babel.

Au retour, je revois Caen, ses vieilles abbayes imposantes et le donjon du Conquérant. C'est une de nos plus intéressantes villes de province, mais l'incrédulité fait là bien des ravages, et l'alcoolisme empourpre bien des visages.

Nous attendions avec anxiété des nouvelles de la demande que nous avions faite à la Propagande pour l'érection d'une préfecture apostoli­que aux Falls. 6 Le 1er août nous apprenons officieusement qu'elle est accordée. Les décrets nous arrivent peu de jours après. La préfecture a été érigée le 3, le P. Gabriel2) a été nommé le 8. C'est un honneur et une grande faveur de la Providence pour notre Institut.

Je retourne à Bruxelles pour l'Assomption. J'y reçois la visite de Mmes Houry et Georges Malézieux et je les promène à Bruxelles, à An­vers et à Bruges. Quel contraste entre l'art épanoui et sensuel de Rubens à Anvers et l'art modeste, suave et mystique de Memling et des Van Eyck à Bruges!

Le XVIe siècle est encore religieux, plutôt par habitude que par con­viction, mais il n'est plus ascétique. Rubens explique Luther. Le sensua­lisme de la renaissance a été le prétexte de la Réforme. 7

Un mot en passant du délicieux musée de dentelles de Bruges. Il y a là des merveilles, des œuvres d'art et de patience, surtout en points de Ma­lines.

Les châtelaines et les riches bourgeoises des siècles passés consacraient des années à de beaux ouvrages de dentelle qu'elles offraient en homma­ge aux églises. C'étaient des femmes de foi robuste: «Manum suam mi­sit ad fortia et digiti ejus apprehenderunt fusum» (Pro 31,19).

Le 25, je me retrouve à Anvers. C'est le départ de deux jeunes mission­naires, les Pères Gauthier3) et Lambert4). C'est toujours impressionnant ces départs de jeunes prêtres qui vont exposer leur vie sous le ciel des tro­piques pour gagner des âmes à l'Eglise! Nous sommes nombreux pour as­sister à leur départ. Les bonnes Soeurs Missionnaires de Marie m'ont of­fert l'hospitalité. Quel admirable 8 institut! Toutes ces jeunes filles gril­lent d'aller aux missions et d'y donner leur vie pour Jésus-Christ.

Le 27, excursion à Waterloo. Comme ce lieu historique est resté rem­pli des souvenirs de Napoléon! C'est son portrait qui orne les hôtels et qui est reproduit par les cartes postales sous toutes les formes. On parle à peine de Wellington, on ne pense guère aux vainqueurs. C'est Napoléon qui est tout à Waterloo. Sa gloire y éclipse celle de ses vainqueurs.

L'Aigle du sculpteur Jérôme est un joli monument mal placé. Il a de l'expression et de la crânerie.

Du 3 au 9, retraite à Louvain. C'est le P. Thomas, dominicain de Lu­xembourg qui la prêche. Il nous donne de bonnes et longues causeries. Il n'exploite pas les grandes vérités. Quelques thèses de 9 s. Thomas sur la vie religieuse et sur la perfection plaisent à tout le monde. Il y a dans s. Thomas une force de logique qui entraîne la conviction.

Je résume en peu de mots les instructions.

1. Benedicat tibi Dominus ex Sion, et videas bona Jerusalem omnibus diebus vitae tuae (Ps 127,5). - Eléments de la retraite: le prédicateur, sa mission: «Euntes docete, qui vos audit me audit [Mt 28,19; Lc 10,16] - le retraitant, ses dispositions: humilité, confusion, docilité… - L'Esprit-Saint: son action, sa grâce: «Sine me nihil potestis facere… ille docebit vos omnia… [Jo 15,5; 14,26].

II. «Respexit humilitatem…» [Lc 1,48] humilité devant Dieu: dans la prière attentive, recueillie, suppliante: «Cor contritum et humiliatum, Deus, non despiciet… [Ps 50,19] dans l'obéissance au règlement tradi­tionnel, dicté par l'expérience des siècles… - 10 devant sa conscience: dans l'examen loyal et l'aveu sans détour… devant le confesseur et direc­teur: dans la confiance, l'ouverture, la docilité…

III. Encore l'humilité… Devant Dieu, je ne suis rien: création gratuite… Je ne puis rien: mes facultés viennent de Dieu, mes grâces aussi, notamment la grâce de la persévérance finale… - je ne vaux rien: mes mérites sont des dons de Dieu…

IV. L'humilité s'éprouve et s'affermit dans l'humiliation… De tor­rente in via bibet… [Ps 109,7] c'est la source de grâces, elle abonde dans les fondations, dans les œuvres, dans l'apostolat - On ne doit pas la chercher sans une grâce spéciale, mais on doit l'accepter, l'offrir à N.-S. - «Fiat 11 voluntas tua! Cum gaudio sustinuit crucem… [Mt 26,42; cf. Heb 12,2].

V. Humilité devant les hommes. - devant les supérieurs, elle entraîne le respect, l'obéissance… devant les égaux, elle écarte les jugements, les querelles, les obstinations, les manques de charité…

VI. La vocation. - Elle vient de Dieu: veni, sequere me… ses épreuves: les pharisiens disent aux apôtres: votre maître mange avec les pécheurs… ses doutes: Nathanaël se demande s'il peut venir quelque chose de bon de Naza­reth. - Vocation manquée: le jeune homme riche… - Vocation perdue: Judas: qui traditurus erat… qui tradidit [cf. Jo 12,4; Mt 26,25].

VII. La vie religieuse. - Jésus est le premier religieux et le seul prê­tre: les autres sont prêtres par participation. Marie est la première reli­gieuse. - Les religieux 12 «praestent reverentiam et obsequium Deo» (S. Th.). Le religieux est à Dieu tout entier. Il est donné, consa­cré. Il doit être toujours et partout religieux…

VIII. Le religieux doit tendre à la perfection suivant sa règle ' Juxta ex quae professus est» (s. Th.). Pas de singularités, pas de privautés… chaque règle est voulue par Dieu et adaptée au but et à la mission de l'Institut.

IX. La tiedeur. - «Incipio evomere te» [cf. Ap 3,16]. Caritatem tuam primam reliquisti. - Diagnostic: Pour le religieux, le principal diagnostic, c'est l'affaiblissement de la charité, l'amour de Jésus diminué, paralysé. - Effets et conséquences: boire le péché comme de l'eau, vivre inconsciem­ment dans un grand péril pour son salut. - Remèdes: revenir à la charité. «Suadeo tibi emere a me aurum ignitum…» [Ap 3,18] 13

X. La pénitence. Nécessité: Expiation, justice envers Dieu, préserva­tion du purgatoire, remède contre la concupiscence. - Moyens: la règle surtout, qui est une pénitence continuelle…

XI. Le péché mortel. Devant Dieu, c'est une apostasie; pour l'âme: c'est une mort; pour Jésus. c'est une nouvelle passion: «rursum crucifigentes» [Heb 6,6].

XII. Charité. Bienvoyance: voir tout en bien, interpréter en bien, sup­poser de bonnes intentions: - Bienveillance: vouloir du bien à tous, sur­tout aux confrères. - Bienfaisance: aider le prochain: prière, correction fraternelle.

XIII. Méditation sur la Passion. «O vos qui transitis, videte si est do­lor sicut dolor meus» [Lm 1,12]. 14 - Colloque de Jésus avec son Pè­re à Gethsémani.

XIV. L'oraison. - Examen: quelle estime ai-je eu de l'oraison? Que fais-je comme oraison? Quels fruits en ai-je tirés? - Méthode: La meil­leure est celle qui nous réussit. Elles diffèrent par l'importance qu'on donne à l'usage de nos facultés: intelligence, raisonnement, imagina­tion, sentiment, volonté… - L'oraison se fait à deux: Jésus (par l'Esprit-Saint) et nous. Ne nous contentons pas d'exercer nos facultés naturelles, coopérons à la grâce, à l'action divine…

XV. La vie religieuse. Son mérite est dans les voeux. C'est une prati­que incessante de la vertu de religion. - S. Thomas (2a 2ae): «An ali­quis possit 15 exhortare alios ad ingrediendam religionem». - «An vocatus debeat uti consilio multorum ut se determinet……

XVI. L'étude. C'est le devoir du prêtre: Ecriture Sainte, théologie. Donner une année à chaque Évangile; une à l'épître aux Romains; une à l'épître aux Hébreux…

XVII. La pauvreté. Considérations pratiques. La vie religieuse exige l'entière dépendance dans l'usage des créatures. Ne pas accepter de ca­deaux personnels et surtout n'en pas demander.

XVIII. La présence de Dieu. Il est en nous, présent et agissant. Il est présent: le péché véniel le met à l'étroit dans notre âme; le péché mortel le chasse. - Il est agissant par sa grâce, mais 16 nous ne le laissons pas agir. Il ne se rebute pas. Commençons.

XIX. Le Crucifix. «Christo confixus sum cruci». (Gal 2,19) La croix est notre gloire: «Absit gloriari nisi in cruce…» [Gal 6,14]. - C'est notre force: «Reconciliet ambos in uno corpore per crucem» (Eph 2,16). - «Si commortui sumus et nos vivemus» (2 Tim 2,11). C'est no­tre consolation: «Ipse est pax nostra» (Eph 2,14)… C'est notre salut: «Non evacuetur crux Christi» (I Cor 1,17). - «Inimicos crucis Chri­sti» (Philipp. 3,18).

XX. L'obéissance. C'est le fond de la vie religieuse. Les anciens or­dres se contentaient de ce voeu. Le supérieur est le porte-parole du Christ. S'il est rigoureux, il y aura plus de mérite… 17

XXI. Le Sacré-Cœur. Le cœur est uni à toutes les impressions. Jésus connaissait de science divine et de science infuse: il connaissait les choses de science expérimentale. Son cœur a battu pour nous d'amour - de compassion - de tristesse - de prière.

XXII. Marie et le prêtre. Marie a été unie au sacerdoce de Jésus et à sa profession religieuse. Ingrediens mundum dixit: Ecce venio [Heb 10,5.7]. C'est là sa profession et son premier offertoire. - Il renouvelle son oblation solennellement au Temple, et plus simplement tous les jours de sa vie mor­telle, toujours avec Marie. Elle est aussi au Calvaire. - Comment ne serait-elle pas avec le prêtre qui continue le sacerdoce de Jésus? -. 18

A la fin de ma retraite je renouvelle une résolution souvent prise de me tenir habituellement dans la dépendance de Dieu: Domine, quid me vis facere? [Ac 9,6] C'est la devise qui me sert le plus. Seigneur Jésus, que voulez-vous que je fasse au moment présent? Que voulez-vous que je pense ou que je dise? «Servir N.-S. c'est l'aimer». «Qui diligit me ser­vat mandata» [cf. Jo 14,21].

Le 10, je rentre à Bruxelles où je reçois bientôt la visite de Gaston De­creton, un miraculé de Lourdes. Il passe la semaine avec moi. Je le pro­mène à Bruxelles, à Tervuren, à Waterloo. Il se décide à se préparer au sacerdoce et à se donner au S.-Cœur. Puisse la ste Vierge affermir sa guérison! Je le conduis à Sittard où je donne l'habit le 21 à tous nos 19 jeunes novices. Ils sont 26 cette année et on en attend encore deux ou trois. je comptais passer trois jours à Sittard, y recevoir les voeux des retraitants le 23 au matin et recevoir ceux des scolastiques à Louvain le même jour au soir, mais une dépêche m'annonçant la mort du P. Tharcis5) me rappela le jeudi à St-Quentin.

Ce jeune Père était mort le mercredi, dans la paix et la prière, après une année de maladie supportée patiemment et pieusement. La phtysie l'avait rongé peu à peu. Il est venu mourir à Fayet. Nous avons fait ses funérailles le samedi 24, et j'ai pu le faire déposer dans mon caveau à St-Quentin auprès du bon P. Modeste6). Ils seront ensemble aussi au ciel pour 20 protéger l'œuvre.

Le même jour, samedi 24, nous avions quelques ordinands à Malines: quatre sous-diacres et un diacre.

C'est le moment des rentrées, j'envoie mes étudiants à Rome et à St­Sulpice, j'en garde deux avec moi à St-Quentin.

Presque toutes nos maisons sont en bonne voie pour le temporel. Ce­pendant celle de Clairefontaine a de gros retards. Nous allons porter nos efforts de ce côté-là, pour affermir la maison et pour faire taire les criti­ques. Là, comme à Lille, on ne s'est pas donné assez de peine pour cher­cher des ressources et on n'a pas bien observé la pauvreté. Notre-Seigneur nous pardonnera et nous permettra de rattrapper le retard. 21

Le 22 octobre, mon Juge d'instruction rend une ordonnance de non­lieu, qui m'est signifiée le 24. C'est un coup de théâtre, personne ne s'y attendait. Pendant vingt mois deux juges d'instruction, M. Jourdan et M. Dorigny ont cherché le corps du délit, une congrégation organisée et vivant sur des biens communs. Ils ne l'ont pas trouvé. Mais ce qu'il y a de plus étrange, c'est que le liquidateur Lecouturier prétend poursuivre l'affaire au civil. Il veut liquider quand même la congrégation qui n'exi­ste pas. Attendons, l'affaire se plaidera à St-Quentin et le tribunal ne voudra sans doute pas déjuger son parquet. Le Procureur sera embar­rassé pour conclure à la liquidation après avoir accepté les conclusions de l'instruction. Nous verrons bien. 22

Les décès et les retours ont fait des vides dans nos missions. Il faut combler ces vides et il faudrait multiplier les travailleurs.

Le P. Hoffmann7) est destiné à Goyanna [Goiana]. Il prend le 15 à An­vers un bateau parti de Brême pour Pernambuco. Les PP. Pergent8) et Bousquet9) vont à Vârzea, ils passent à St-Quentin et je les conduis jus­qu'à Paris. Ils prennent le 25 à Bordeaux le bateau «Atlantique», qui va aussi à Pernambuco.

Trois autres, les PP. Schüler10), Lindgens11) et Wollmeiner12) vont au Brésil du sud, ils s'embarquent le 30 à Hambourg.

Le P. Gabriel13) prépare son départ pour le 8 décembre. Le titre de Préfet apostolique ne lui donne droit à aucun insigne. Je le 23 regrettais pour le prestige qu'il doit avoir là-bas auprès des blancs et des noirs. Pour y suppléer, j'ai demandé pour lui aux Evêques de Verdun et de Cahors [Mgr Dubois et Mgr Enard] un titre de chanoine honoraire, ils le lui ont accordé avec beaucoup de gracieuseté.

Je veux faire de cet hiver une sorte de retraite, je lis et relis les princi­paux auteurs ascétiques: s. Thomas: Méditations. - Bossuet: Lettres de piété et de direction. - St Pierre Fourier: Trois chemins du ciel. - Saint­-Jure: L'homme spirituel. - P. Nouet: L'homme d'oraison. - P. Tissot: La vie intérieure…

Les Méditations de s. Thomas ont été éditées à la Bonne Presse. Elles nous guident pour les trois vies purgative, illuminative et unitive. S. Thomas nous montre qu'il faut commencer à se purifier par 24 l'hor­reur du péché mortel - qu'il faut se purifier de toute affection au péché véniel - qu'il faut mourir à ses mauvaises habitudes - qu'il faut fuir les occasions du péché.

Il nous montre la part de Dieu dans notre sanctification: les vertus in­fuses et les dons du Saint-Esprit. Il expose les dix degrés de l'amour comme st Bernard. J'aime sa conclusion et je voudrais la retenir et la mettre en pratique.

«La science séparée de l'action reste inutile, et toutes vos méditations précédentes, toutes vos résolutions tant de fois réitérées, ne serviraient, si elles n'étaient suivies d'un réel changement, qu'à vous faire condam­ner un jour. Or, pour ne prendre que le plus important et le plus néces­saire des trois vies que vous avez considérées 25 n'oublier pas de vous examiner chaque jour sur les trois pratiques suivantes: d'elles dépendent le commencement, le progrès et la perfection de votre sainteté.

  • Pour vous purifier, faites une guerre sans trêve à vos passions.
  • Pour avancer, recueillez-vous sans cesse en vous-mêmes.

III. Pour vous perfectionner, n'agissez que sous la direction et dans l'exercice du divin amour».

- Les Lettres de direction de Bossuet ne sont pas un traité didactique. Il y parle occasionnellement de toutes les circonstances et de toutes les con­ditions de la vie intérieure et de la vie religieuse. Que de lumières on en peut tirer! Que de conseils sages et prudents!

J'admire comme Bossuet possède les psaumes. Il y trouve une forme de prière pour toutes les dispositions 26 de l'âme.

Voici, par exemple, comment il enseigne à la Soeur Cornuau à célé­brer l'octave de son délivrance du monde et de son entrée au couvent: «Le jour que vous partirez pour Jouarre, dites le psaume 121, et rejouissez-vous d'aller dans la maison du Seigneur. Le jour que vous y serez arrivée, le psaume 33; le lendemain le psaume 84, appuyez sur le verset 9; le troisième jour, le psaume 86; admirez les fondements de

Sion, qui sont l'humilité et la confiance; le quatrième jour, pour rendre grâces à Dieu de votre liberté, les psaumes 114 et 115, qui n'en font qu'un dans l'original et qui sont de même dessein; le cinquième jour, avec le même sentiment, le psaume 125; le sixième jour, dans le même dessein encore, 27 mais avec une plus intime joie de votre sortie du monde, le psaume 113; le septième jour adorez l'Epoux céleste dans le sein de la droite de son Père (sic), au sortir des temps de son enfance, par le psaume 109; le huitième et dernier jour de l'octave dites en action de grâces le psaume 117; ainsi, ma fille, se célébrera l'octave de votre déli­vrance. Consacrez-vous à Dieu de tout votre cœur, comme une victime qu'on mène à l'autel, qui est le sens du verset 27 de ce dernier psaume… Durant cette octave, lisez le chap. 52 d'Isaïe et le huitième de l'Evangile saint Jean. Demandez à Dieu la liberté véritable, qui est celle que Jésus­Christ donne par la vérité. (Isaïe chante la libération du peuple de Dieu sortant de l'Egypte et Jésus dans s. Jean loue la 28 liberté que donne la vérité chrétienne). Accoutumez-vous à craindre à la vérité, mais à espérer encore davantage, pour la grande bonté de Dieu, dont vous lirez les merveilles dans le chap. V de l'épître aux Romains».

Bossuet possède admirablement l'Ecriture, c'est son eucologe. Avec quel pinceau de maître il trace en quelques lignes tout l'esprit du noviciat. «Préparez-vous de bonne heure aux humiliations du noviciat, où il ne faut point d'excuse et de réplique, ni bonne ni mauvaise, mais se réjouir d'être reprise bien ou mal. L'Epoux, pour qui vous ferez tout, sera votre consolateur, votre guide et votre soutien… Souvenez-vous de l'état de postulante et de 29 novice, vous ne sauriez y être trop petite. Faites-le par amour de la petitesse volontaire de votre Epoux, soumis à tout du­rant trente ans. Eprouvez maintenant la différence qu'il y a entre le désir de la religion et la pratique: venez à l'effet et au réel; assurez-vous que cela vaut mieux que l'oraison, et même que la communion fréquente. C'est donc ici la grande épreuve… Croyez qu'on a toujours plus de raison que vous, et agissez comme le croyant. Le diable ne peut rien contre les âmes ainsi petites, à l'exemple de Jésus-Christ leur modèle, et les vents des tentations et des contradictions passent par dessus ces âmes sans les ébranler…».

Il fait craindre l'illusion dans les désirs d'une règle plus austère: «Laissez là toutes ces pensées d'une règle plus étroite: ce n'est qu'amu­sement d'esprit. 30

Accomplissez vos devoirs selon l'état où vous êtes, et abandonnez tout le reste à la divine miséricorde!».

Il montre le prix de la vocation religieuse. On tirerait tout un directoi­re des lettres de Bossuet.

- J'aime beaucoup la spiritualité de Saint-Jure14). J'en ferais bien mon auteur classique.

Il pose une base solide, c'est que le chrétien est une nouvelle créature et un nouvel homme. St. Paul répète cela partout. Aux Corinthiens (2. Cor. 5,17).

Jésus-Christ a fait une nouvelle créature, il a tout renouvelé. Aux Ga­lates: «Ni les juifs ni les gentils ne sont dans la voie du salut, mais ceux qui deviennent une nouvelle 31 créature en Jésus-Christ [cf. Ga 6,15]. - Tous ceux qui sont baptisés ont dépouillé le vieil homme pour revêtir le nouveau qui est Jésus-Christ…» [cf. Col 3,10]. Il parle de même aux Ephésiens, aux Romains et à Tite. L'âme de ce nouvel homme, c'est le Christ par son Esprit. Les impulsions de cette âme nouvelle sont la grâ­ce, les vertus infuses et les dons.

Pour la pratique de cette vie nouvelle il faut d'abord une grande mo­dération et une constante tranquillité dans nos actions, dans nos paroles, dans nos mouvements, dans notre intérieur et notre extérieur afin que l'esprit de Jésus-Christ, qui est un esprit paisible, puisse agir sur nous, se faire sentir, nous exciter et nous conduire». («Non in commotione Dominus, sed in sibilo aurae tenuis»: 3Reg 19,11-12).

«Il faut encore une attention intérieure 32 et une grande applica­tion d'esprit aux inspirations et aux mouvements de Notre-Seigneur, pour faire ce qu'il demande de nous. Notre-Seigneur, qui est physique­ment en nous, n'y est pas oisif et sans rien faire: il y est éclairant nos esprits de ses lumières, excitant et poussant nos volontés au bien, et com­me le chef dans ses membres et la cause principale dans ses instruments, pour les mouvoir et pour s'en servir selon ses desseins…».

«Il faut enfin demander continuellement et avec instance à Notre­Seigneur, qu'il nous conduise en tout…».

Et quelles sont les actions de cette vie que le S.-Esprit communique? «C'est, dit Saint Jure après st Paul, la charité, la paix et le calme de la conscience, 33 la patience, la douceur d'esprit, la facilité d'humeur à s'accommoder à tous, la bonté cordiale toujours prête à aider le pro­chain, la mansuétude au milieu des injures, la foi, la modestie, la tempé­rance et la chasteté…».

Saint Jure indique et développe plusieurs principes généraux de la vie intérieure. L'attention ne peut pas se porter sur tous ces principes à la fois. Tel s'appliquera à la pensée des fins dernières, tel autre à la pureté d'intention, tel autre à l'exercice de la foi en toutes choses, tel autre en­core à la prière continuelle ou à la paix de l'âme. Mais Saint Jure mar­que sa préférence pour le principe de l'Union avec Jésus-Christ.

«Le principe que je regarde comme le principal et le plus important, dit-il, est l'union intime et inséparable 34 que nous devons avoir avec N.-S. Jésus-Christ. - Jésus-Christ n'est-il pas le vrai et unique répara­teur de la gloire de Dieu? Il est venu au monde pour nous apprendre par ses instructions et par ses exemples et pour nous donner par ses secours le moyen d'honorer, d'aimer et de servir Dieu… Comment se fait notre union avec lui? par la grâce sanctifiante et par les actes intérieurs de tou­tes les vertus, par les sacrements et par la prière mentale ou verbale… «Ou doit-on faire cette union? C'est dans le Cœur de N.-S. que nous devons très particulièrement nous unir à lui. Nous sommes tous dans ce divin Cœur parce qu'il nous aime. De plus, nous pouvons nous y placer par nos pensées. C'est là que nous devons établir notre demeure, nous ne pouvons en avoir de meilleure, de plus riche, de 35 plus magnifi­que, de plus agréable, de plus sainte et de plus divine. C'est pour cela que s. Bernard dit: «O mon Sauveur, vous avez voulu que votre côté fût ouvert, afin de nous ouvrir une porte pour entrer chez vous. Vous avez fait que l'amour plus que la lance, a percé votre cœur, afin que nous puissions y demeurer et y être à couvert de tous les embarras extérieurs. Allons donc avec joie nous loger dans ce cœur, pour n'en sortir jamais. Oh! qu'il est bon et qu'il y a de plaisir de demeurer et d'opérer dans son Cœur!» (Tract. de pass. c. 3).

«Oui, c'est dans ce Cœur que nous devons opérer, et y exercer toutes les fonctions de la vie purgative, de la vie illuminative et de la vie uni­tive.

«Et d'abord pour la vie purgative. Considérez, examinez, pleurez-y vos péchés; 36 demandez-en pardon à Dieu dans ce cœur qui autrefois en a conçu un regret inexplicable, et qui en a été percé de douleur…

«Secondement pour la vie illuminative. Exercez les vertus et les bon­nes œuvres dans le Cœur de Jésus… Dans ce cœur si humble, si pa­tient, si débonnaire, si obéissant, si chaste, et si doué de toutes les vertus au souverain degré, produisez vos actions d'humilité, de patience, de mansuétude, d'obéissance, de chasteté et des autres vertus. Faites-y vos oraisons mentales et vocales, votre action de grâces après la communion; vous ne pouvez choisir un oratoire plus recueilli…

«Enfin, pour la vie unitive, ce cœur divin, qui a été continuellement uni à Dieu, en est le vrai sanctuaire et le propre domicile. C'est là que nous devons produire les actes de l'amour de choix, 37 de complaisan­ce, de bienveillance, de préférence, d'aspiration; c'est là qu'il faut exer­cer les adorations très pures, les remerciements, les offres, les homma­ges, les abandonnements de soi-même, les abaissements et les anéantis­sements, les dégagements de toute affection aux créatures, et les éléva­tions par-dessus toutes les choses du monde; c'est là enfin qu'il faut pos­séder, goûter la joie et le repos en Dieu comme en notre centre…».

J'aime surtout la conclusion de ce chapitre de Saint Jure, elle justifie tout notre directoire.

«J'ajoute, dit-il, pour conclusion, que nous devons prendre l'exercice de l'union avec Notre-Seigneur de préférence à tous les autres, et en fai­re le capital de nos dévotions. Il arrive trop souvent en la vie spirituelle que plusieurs partagent leur esprit en beaucoup de 38 petites prati­ques. Ce procédé n'est pas bon: il est plutôt embarrassant… Il faut au­tant qu'on le peut se réduire à l'unité, et s'arrêter à peu de choses, mais choses grandes et solides, qui en embrassent et en enchaînent plusieurs autres. L'exercice qui entraîne ces avantages est celui de l'union avec N.-S. Jésus-Christ. Il faut donc cultiver et perfectionner cette union par tout les moyens; car après tout, N.-S. est la cause unique de notre pré­destination, de notre salut et de notre bien. Et ce conseil est encore plus précieux pour ceux qui travaillent au salut des âmes, parce que les âmes appartiennent à N.-S. et que c'est de lui qu'ils doivent recevoir la grâce et la force de les aider.

- Le volume sur la Vie intérieure simplifiée, par le P. Tissot15) a mil­le 39 choses lumineuses et utiles. J'en voudrais reproduire cent pages, notamment sur la coopération de l'action humaine et de l'action divine - sur la piété religieuse qui se forme dans la règle - sur la paix de l'âme com­me condition de l'action divine. Il y a là des sujets infinis de méditation. J'aime surtout à le voir insister sur l'unité de disposition, sur la résolution fondamentale.

«La grande cause des faiblesses intérieures, c'est l'agitation et la divi­sion. L'âme éparpillée en mille préoccupations, consume ses forces et les perd. Mais quand ses puissances sont concentrées en Dieu, quelle force! Cherchez Dieu, et vous aurez la force et vous aurez la vie. Quaerite Domi­num et confortamini. Quaerite Deum et vivet anima vestra (Ps. 104,4 - Ps. 68,33). Nulle puissance n'est comparable à 40 celle d'une âme unifiée dans la vie, l'amour et la recherche de Dieu…

«Puisque je cherche obstinément l'unité, il faut avant tout que je prenne et que je maintienne la résolution une, mère et maîtresse, de laquel­le doivent naître successivement, à leur temps, et sur laquelle doivent s'appuyer toujours les résolutions de détail, qui deviennent nécessaires suivant la marche de la vie intérieure. - La résolution une, qui donne et maintient la vie, appartient à la piété passive; elle en est l'expression pratique.

Les résolutions variables, qui naissent et se soutiennent par l'influence de la résolution fondamentale appartiennent à la piété active, elles en sont l'application actuelle 'et concrète. Leur union mutuelle réalise la marche vivante de la piété complète.

- La résolution une et vivifiante 41 c'est celle de me tenir, par la confiance pratique, en correspondance (en union) avec Dieu, de veiller à me maintenir, par l'acceptation, ouvert à son action et dans ma coopéra­tion, de m'appliquer à garder mon appui en lui…».

- Le P. Dunoyer, rédemptoriste, dans ses Exercices spirituels, donne les mêmes lumières sur la Règle comme forme de la sainteté religieuse et sur l'unité de résolution.

«Ma règle est tout pour moi, dit-il, avec s. Alphonse, avec s. Fran­çois de Sales, avec tous les Saints. Ma règle est mon unique voie pour parvenir à la perfection. - Ma règle est mon salut. - Ma règle est le bien de mon Institut…».

«En la résolution unique, l'âme se donne à Dieu tout entière et tout d'un coup. Voilà la résolution telle que l'entendent les Saints, et ils ajoutent que pour 42 se sanctifier, l'âme religieuse doit renouveler chaque jour cette donation d'elle-même à Jésus-Christ. Reno va mini spiritu mentis vestrae (Eph. 4,23). Pratiquement cet acte intérieur revient au fait de se prendre chaque matin là où l'on est et tel que l'on est, pécheur ou juste, tiède ou fervent, pour se porter d'un trait là où on devrait être, au vrai amour de Jésus-Christ… à l'union avec Jésus…».

- Le P. Nouet16) développe les Exercices de s. Ignace en les montrant sous une forme plus didactique et théologique. Il montre bien l'action de Dieu parallèle au travail humain, surtout au sujet de la contemplation.

J'aime à voir comment ses développements sur l'oraison affective cor­respondent à notre directoire. Il traite successivement: «De l'attrait divin et de la liaison que 43 quelques âmes ont aux mystères de la crèche et de l'enfance de Jésus-Christ. - De l'attrait et de l'application que quelques âmes ont à la croix et à la Passion de N.-S. - De l'attrait et de l'application que quelques âmes ont au très Saint-Sacrement de l'autel…».

En somme, son livre de L'homme d'oraison est un des plus parfaits sur la matière.

Nous perdons M. Lecot17), avec lequel j'ai eu longtemps des rapports bien intimes. C'était un ami, un agrégé. Il a acheté pour nous et m'a vendu le jardin du S.-Cœur. C'était un ami de Lourdes, un homme de foi. Une démonstration considérable prouve qu'il avait l'estime de toute la ville. Il m'a moins aidé qu'il n'avait promis d'abord. Dieu l'a permis et mes fautes ont souvent éloigné les bienfaits de Dieu. 44

Beau départ à Anvers le 8: les PP. Gabriel, Luc et Bittkau, les ff. Joseph et Placide18).

P. Gabriel a reçu des Soeurs Missionnaires une belle croix pectorale. Je regrette de lui voir les traits fatigués. Il emporte le zinc tant désiré pour la toiture de sa chapelle…

Ces départs ont malgré la musique quelque chose de funèbre. La plu­part des colons et missionnaires vont à une mort prochaine.

En allant vers Bruxelles et Anvers le 6, j'avais conduit à Namur une pieuse postulante pour les Soeurs Victimes, c'était la soeur d'un de nos jeunes novices, Adrien Guillaume19). Les bonnes Soeurs m'ont demandé une instruction, je leur ai commenté notre prière de neuf heures «Reportons-nous à Nazareth». Elles sont si 45 touchantes ces prières qui nous servent de points de repères pour la vie intérieure plusieurs fois le jour!

Je rentrai le 10 à St-Quentin.

En décembre se présentent plusieurs anniversaires de mes ordina­tions: la tonsure, le 22; les ordres mineurs, le 23 et le 26; le sous­diaconat, le 21; la prêtrise, le 19. Il n'y manque que le diaconat qui est du mois de juin. Au jour de Noël se rattache aussi ma première pensée de vocation, en 1855.

Tous ces souvenirs me remuent profondément, et chaque année je trouve là une source abondante de grâces même sensibles. Ces grâces devraient me ranimer pour l'année entière.

Le souvenir de mes premières messes m'est toujours sensible aussi. Je me revois à Rome, à Naples, 46 en 1868, priant de tout mon cœur. Le lundi 19, un de mes petits jeunes gens du Patronage, Louis Graux, s'est cassé le bras en allant à bicyclette dans le jardin. Par ces accidents, Dieu purifie sans doute de jeunes âmes, auxquelles il veut pardonner quelque faiblesse.

Ce sont de belles fêtes. Les bons souhaits me viennent de partout. Il y a des jours où ma correspondance monte à 50 et 60 lettres.

A Noël, messe de minuit pour le patronage, 30 communions. Veillée avec projections. Quand notre pauvre peuple se rapprochera-t-il de ses vrais amis? Mais il faut aussi que le prêtre aille sérieusement au peuple.

A la St Jean, je réunis quelques confrères. Ces petites fêtes cachées rappellent 47 les catacombes,

Le 29, je repars pour Bruxelles. Je m'arrête à Namur. Les Victimes fêtaient les saints Innocents comme dans le vieux temps. Ma postulante était sous-prieure pour ce jour-là.

Le 30, je suis appelé à Quévy. P. Pau120) était en danger de mort. Il avait une fluxion de poitrine, je l'invitai à demander à la sainte Vierge encore vingt ans de vie. Le lendemain il allait mieux.

J'écris des lettres à l'infini en ces jours de fête et de fin d'année.

48 1905

Que sera cette année? L'ennemi du Christ est presque à l'apogée de la puissance partout. Le juif est habile, il s'est emparé de toutes les forces vives des nations: les finances, la presse, les sociétés secrètes. Il gouverne la France, la Hongrie, le Portugal. Il est à l'assaut du pouvoir en Autri­che, en Italie, en Espagne…

L'Orient bouddhiste et confucianiste menace aussi l'Europe et l'Egli­se. Faut-il voir là ces anges de l'Apocalypse qui avaient été bien au-delà de l'Euphrate (chap. IX, 14)21) et qui viennent avec une armée innom­brable? …

Le Saint Père22) est ordinairement triste, il ne voit pas poindre l'aurore d'un temps meilleur pour l'Eglise. 49

Je passe le premier jour de l'année à Bruxelles. je m'aide d'une inge­meuse petite feuille qui commente le Pater et l'Ave en forme de voeux de nouvel an à Dieu et à la ste Vierge.

Le 2, visite à la petite œuvre de Tervuren qui est bien commencée. Il y a là quatre bons petits enfants qui formeront le noyau de l'œuvre. Le 3, réunion internationale. La réunion est cordiale, elle s'occupe surtout de l'avenir de la maison de Luxembourg.

Le 4, je passe à Louvain, où règne la paix des âmes et je vais coucher à Bergen op Zoom. Je suis reçu très cordialement, j'y trouve une belle éco­le de 40 élèves, simples et pieux, et un bon petit groupe de frères. 50

Je passe le jour de l'Epiphanie à Sittard. Le noviciat est en bonne voie. La ferveur et le bon esprit y règnent. Plusieurs jeunes gens com­prennent l'esprit de victime et le goûtent.

Je n'ai pas de bonnes nouvelles de la maison de Rome. Il y a là une crise de mauvais esprit. Les Pères H. et O. sont les meneurs. Le Père Recteur n'a pas la confiance des jeunes gens. La visite canonique qui est prochaine nous apportera des humiliations. J'ai envoyé là le P. Assis­tant, il y rencontre une tâche très pénible23).

Enfin notre procès est appelé au tribunal civil. M. Vitry préside, as­sisté de MM. Jourdan et Binet-Gallot. Me Maréchal24) présente bien no­tre cause. Il établit que nous n'étions 51 qu'une congrégation en for­mation. Nous n'avions pas encore obtenu du St-Siège une érection défi­nitive; notre demande à l'Etat tendait à la formation d'une congrégation et non à la reconnaissance d'une cong. déjà fondée. Si parfois nous nous étions présentés comme cong. c'est que nous devancions les événements emportés par nos espérances et nos pieux désirs.

Me Bouré défend la cause de M. Dupland. Il montre son client vivant à part et ne figurant même pas sur la liste des personnes citées dans notre demande.

L'avocat du liquidateur, Me Paul Faure, de Paris, possède assez mal son dossier. Il présente la thèse générale de la franc-maçonnerie: «L'Etat avait dispersé les religieux en 1880, mais ils sont rentrés par la fenêtre, cette fois on veut 52 disperser leurs immeubles… la France ne connaît qu'un clergé, celui des paroisses, etc….».

Il fait valoir toutes les circonstances où on nous a appelés religieux: le traité avec l'Evêque de Valence [Mgr Cotton], l'ordo de Valence, l'an­nuaire ecclésiastique, etc.

Le 18, le procureur Lassus prononce son réquisitoire. C'est la même thèse. Il rappelle toutes les circonstances où nous nous sommes appelés religieux, il signale notre organisation, nos missions.

L'affaire est mise en délibéré. Dans l'intervalle, j'envoie au président ce petit plaidoyer:

«Monsieur le Président,

Aucune loi, aucune convenance ne défend, je crois, à un accusé d'adres­ser une supplique à ses juges. Ceux-ci doivent accueillir volontiers tout ce qui 53 peut éclairer leur conscience.

J'ai dit avec raison un accusé, parce qu'ici, sous l'apparence d'une cause civile, il y a réellement une cause criminelle. Ce qu'on appelle li­quidation est bel et bien une confiscation, pour la plus grande partie des biens. L'histoire ne sera pas dupe de la piperie des mots. D'ailleurs ce que le législateur a par… restriction mentale appelé liquidation, le Co­mité occulte qui dirige le Parlement, lui avait donné son vrai nom. Le convent maçonnique de 1899, qui a préparé la loi avait déclaré «qu'il voulait la suppression des cong. autorisées ou non (compte-rendu p. 263), ainsi que la confiscation des biens de main-morte (Ibid.) ».

C'est donc bien la confiscation qu'on vous demande de prononcer». I. Avant d'aller plus loin, disons un mot 54 de cette loi de 190125). Un avocat ne peut pas discuter une loi à la barre. Une victime peut dire sa pensée intime à un juge courtois. - Cette loi n'est pas une loi. C'est l'ukase d'une Convention mue par un comité secret. - Ce n'est pas une loi parce qu'elle ne répond pas à la définition d'une loi, qui est une ordon­nance faite par l'autorité sociale en vue du bien commun. Il s'agit ici de toute autre chose que du bien commun, il s'agit de satisfaire la haine antireligieuse d'une société secrète. A peine la prétendue loi a-t-elle paru que la con­science publique se révolte. L'Eglise, juge des consciences, proteste. Léon XIII avait élevé la voix dans sa lettre de déc. 1900 à l'Archevêque de Paris [Card. Richard], alors que la loi était seulement en préparation. Il a dé­claré alors et répété ensuite 55 que cette prétendue loi est contraire au droit naturel, qu'elle dispose de la propriété du prochain et qu'elle viole les droits sacrés de l'Eglise. Pie X répète les mêmes protestations devant le Sacré Collège le 18 mars 1904. Quatre-vingts évêques de France ont joint leurs déclarations à celle du Saint-Siège par un acte du 15 octobre 1902. - Ce n'est pas une loi, ceux qui l'ont faite ont violé le droit naturel et en­couru les censures de l'Eglise. Ceux qui l'appliquent sont dans le même cas. - Eussiez-vous appliqué, Monsieur le Président, en 1793, les lois de la Convention qui décrétait l'assassinat, l'exil des honnêtes gens, la confi­scation des propriétés légitimes? - C'est l'honneur de beaucoup de magi­strats de 1880 d'avoir été jusqu'à démissionner pour ne pas appliquer les décrets de dissolution des congrégations. 56 J'étais fier quand on rappe­lait cela dernièrement aux funérailles d'un de mes parents, M. Vandelet, ancien conseiller à la cour de Douai démissionnaire en 1880. Depuis 1901, que de démissions honorables aussi, d'officiers, de magistrats, de juges de paix, qui ne voulaient pas concourir aux expulsions ou aux confi­scations. Et à côté de ces démissions aussi, quelle belle indépendance de certains tribunaux. Et parmi ces honnêtes gens, il n'y avait pas que des cléricaux, on a compté même des protestants. - Chez nous même, le pre­mier liquidateur nommé a démissionné, et le second n'a trouvé à m'en­voyer pour le représenter qu'un Betzer, sortant des prisons de Besançon. Décidément, cette liquidation sent mauvais.

II. Mais arrivons à notre affaire. En 1900, M. Waldeck-Rousseau a fait faire la statistique de toutes les Cong. 57 de France. Elle a été publiée en un volume joint au journal officiel. Eh bien! nous n'y figu­rons pas. Le fisc aussi a toujours respecté nos propriétés qu'il a tenues pour privées. - C'est donc bien notre demande de fondation en 1901, qui serait l'occasion de la confiscation. La loi et l'arrêté de Waldeck­-Rousseau, qui indiquaient aux nouvelles cong. le moyen de se fonder, auraient donc été pour nous un piège, un traquenard. - Nous présen­tons, dit-on, des œuvres commencées, des noms, des établissements, des statuts, une organisation. Mais c'est justement cela que la loi et son commentateur Waldeck-Rousseau veulent qu'on présente. Ils nous de­mandent deux exemplaires des statuts, les noms de membres, même étrangers (ce qui suppose qu'il peut y en avoir), la liste des établisse­ments et 58 leur distinction en maison principale et maisons d'œuvres. Nous défions qu'on prouve que nous avions fait autre chose jusqu'à présent que ces préparations. On s'est appelé congrégation sous divers noms, cela prouve précisément les tâtonnements d'une prépara­tion. - Des annuaires et almanachs nous appellent congréganistes, soit! mais pas la statistique officielle de 1900; pas l'ordo officiel de Soissons qui, depuis 1895 (6 ans avant la loi), nous a mis à notre place en nous dé­clarant chaque année simples prêtres diocésains. - Le Pape en 1888 nous a fait simple confrérie. Tout cela, au dire de M. Le Procureur, se­rait des… habiletés. Il aurait pu être plus courtois et plus juste. En 1888, en 1896, on ne faisait pas d'habiletés pour tourner la loi de 1901.

III. Le Parquet veut bien nous dire 59 que l'ordonnance de non­-lieu ne signifie rien, et que l'instruction nous a fait connaître comme congréganistes. Qui trompe-t-on ici? Si nous étions congréganistes, on devait nous expulser. On dit qu'il n'y avait pas délit parce que nous étions dispersés. Le Parquet ne connaît donc pas sa loi? La permanence d'un seul membre (art. 18) est un délit. On dit que ceux qui restaient ne continuaient pas les œuvres. Quelles œuvres? Après, comme avant, je prêche à l'occasion. D'ailleurs les sommations que j'ai reçues du Par­quet ne m'enjoignaient pas seulement de disperser mes confrères, mais de délaisser l'immeuble dans les trois jours. Je ne l'ai pas délaissé et ne le délaisserai pas, on devait m'expulser. - A Fourdrain, M. Falleur était seul avant comme après, on l'a aussi sommé en vain de dé­laisser 60 l'établissement. A Marsanne, c'est plus fort. M. Dupland n'a pas changé un iota à ses œuvres. Avant 1901, il dessert le pèlerinage de Fresnaud, il prêche chaque dimanche, il confesse. Après 1901, il fait identiquement la même chose, et vous dites qu'il ne continue pas l'éta­blissement? Le fin mot, le voici, M. le Président. L'expulsion manu mili­tari gênait le Parquet, et il s'en est lavé les mains en donnant un non-­lieu, mais il vous invite à salir les vôtres par une sentence de confisca­tion. Vous pourriez lui dire: «Commencez».

IV. Envisageons les conséquences de la confiscation. Si ce sont des biens privés, c'est un vol; si ce sont des biens d'église, le vol est sacrilège et entraîne l'excommunication portée par le concile de Trente (session 22) contre tous les coopérateurs: 61 législateurs, magistrats, liquida­teurs. Personne d'ailleurs n'ignore que la spoliation injuste oblige à restitution. A l'heure de la mort, aucun prêtre ne pourra absoudre vali­dement les coopérateurs qui n'auront pas pourvu à la restitution, dans la mesure où ils pourront. Je regrette d'avoir à vous dire cela.

Et les malédictions des victimes, en fera-t-on peu de cas? Je sais, par exemple, que M. Dupland destine à ses nièces et à son petit neveu sa maison de Marsanne où il a mis le plus clair de ses deniers. Voilà des gens qui maudiront toute leur vie les spoliateurs, et si leurs sentiments chrétiens les inclinent au pardon, Dieu est là qui venge les opprimés.

V. Il faut des attendus pour formuler un jugement, sont-ils difficiles à trouver? 62

Attendu que la liste officielle des cong. dressée en 1900 ne contient pas les œuvres de St-Quentin.

Attendu que tout ce qu'on a apporté à la barre pour prouver qu'il y avait cong. peut très bien s'entendre seulement d'œuvres préparatoires, et que ce serait abuser de la loyauté de ceux qui présentent ces œuvres préparatoires au législateur que de les déclarer congrégation, faite et de les frapper de confiscation.

Attendu qu'on n'a pas pu trouver à ces préparatifs même un nom dé­finitif; qu'il n'y avait ni statuts arrêtés, ni costume; que le nom de Rév. Père n'a pas de portée, étant donné qu'on préparait une congrég. et que ce titre est donné souvent dans les diocèses aux simples prêtres qui mis­sionnent.

Attendu qu'il n'y avait pas même 63 la vie commune qui est le ca­ractère principal des congrégations. En effet, sur une liste de 60 mem­bres présentés comme devant former la congrég. il n'y en avait qu'une douzaine qui vivaient ensemble; que les autres étaient des gens du mon­de qui avaient seulement exprimé leur projet de s'unir à l'œuvre si elle s'organisait. A Foudrain, M. Falleur était seul; à Marsanne, M. Du­pland était seul; à Lille, deux prêtres s'occupaient de quelques étu­diants. A St-Quentin seulement des prêtres missionnaires vivaient sous le même toit comme peuvent faire des vicaires…

Que s'il y avait des étrangers, ils avaient été ordonnés prêtres à Sois­sons.

Attendu qu'on ne peut pas dire que les déclarations du St-Siège en 1888 et celles de l'Ordo de Soissons les dernières 64 années aient été faites pour le besoin de la cause…

En ce qui concerne M. Dupland, attendu qu'il n'est même pas dans la liste des aspirants à fonder la congr.; qu'il n'a pas cessé officiellement d'appartenir au diocèse de Limoges; qu'il n'a eu qu'un Exeat provisoire l'autorisant à essayer de la Congrégation de la Mission, ce qui est le nom classique des Lazaristes, et ce qui n'a aucun rapport avec les missionnai­res de St-Quentin; que la propriété de Marsanne n'est pas même présen­tée comme devant entrer dans les œuvres de la congr.; que si M. Dehon a pu présenter la propriété de Fourdrain, c'est qu'elle était louée depuis 10 ans par M. Dupland à M. Falleur, un des aspirants à la fondation de la cong.; que cette location qui n'a pas été faite pour les besoins de la cause 65 exclut d'ailleurs toute communauté de biens et tout lien reli­gieux entre M. Dupland et M. Falleur…

etc. etc. etc.

Telle est, M. le Président, mon humble requête, et comme je suis un disciple du Christ, j'ajoute que ni les persécutions ni la confiscation ne me font peur. Comme les apôtres, je m'en irais joyeux d'avoir à souffrir pour le Christ.

Mais à d'autres points de vue, je désire épargner à la France et au tri­bunal de St-Quentin le stigmate et les conséquences d'une persécution de plus, et le veux défendre jusqu'au bout le droit de propriété, pour donner à mes concitoyens l'exemple du devoir civique.

Je vous prie d'agréer, M. le Président, etc.». 66

Le président Vitry est-il franc-maçon? C'était la principale question dans ce procès. Il l'est probablement. Il a été député radical et il a été ca­sé dans la magistrature par un des derniers ministères. S'il ne l'est pas, il est sous l'influence ambiante des Loges.

Il a dit à un de nos amis, Mr. F., qu'il aurait désiré nous donner gain de cause, mais «qu'aurait-on dit» a-t-il ajouté, «et l'opinion». Vitry-Pilate est au terme de sa carrière, il touche à sa retraite, mais il n'est pas encore libre, il est sous l'influence de l'opinion dominante. On aurait pu dire qu'il n'était pas l'ami de la république. - «Non es ami­cus Caesaris» [Jo 19,12]. C'est l'argument qui a touché Pilate. -

M. Vitry nous a donc livrés au liquidateur Lecouturier, l'ami de Betzer. Attendons maintenant le procès en revendication. 67

immagini1

J'avais depuis un an l'oeil droit larmoyant, par suite d'un rétrécisse­ment ou de l'obstruction du canal lacrymal. C'était gênant, il me fallait toujours avoir le mouchoir à la main, même pendant la messe. J'avais en vain essayé des collyres. Je me décidai à aller à Namur subir l'opération du sondage du canal lacrymal. Je pensai que ces épines m'uniraient tant soit peu à celles de N.-S.

J'allai à Namur le lundi 30 au Nouvel institut ophtalmique. Le Dr Bribosia après avoir atténué la sensibilité de mon oeil par la cocaïne, me fit un premier sondage et des injections le mardi matin, puis il introdui­sit la sonde pour deux jours. Cela faisait mal et c'était mal commode. Je dormis grâce 68 à des cachets de sulfanol.

Cela faisait beaucoup d'épines à la fois, avec le procès et la confisca­tion, avec les divisions et les intrigues de la maison de Rome et celles de la maison de Sittard26). Fiat semper voluntas Dei amantissima!

A Rome, le P. Assistant a engagé le P. Bartélemy à démissionner et il a mis à sa place le P. Philippe27). C'était l'avis des PP. Billot et Buc­ceroni28). Ces bons Pères ont entendu le P. Heinrich qui est un habile so­phiste et un entêté de premier ordre. Il leur a fait croire que tous les torts étaient du côté du P. Recteur. Ce n'est pas exact. Celui-ci a des défauts de caractère très regrettables, mais Heinrichs est orgueilleux, bizarre et intriguant. Il y a un moment d'apaisement. Deo granas! 69

Mais les épines ne vont pas sans consolations. Ce qui fait ma joie, c'est de voir dans l'œuvre quelques âmes qui ont bien l'esprit de victi­me, même au noviciat, parmi nos jeunes gens.

Les écrits pieux que fait éditer le P. André29) aideront à répandre cet esprit de victime, c'est une grâce pour l'œuvre.

Je revois les méditations que j'ai écrites sur la Triple Couronne»,30) je les complète. C'est une grâce pour moi. Je me remets dans la disposition d'un amour ardent envers le S.-Cœur. C'est pour moi le seul chemin où je puisse marcher un peu solidement. Les autres directions peuvent me convaincre l'esprit, mais elles ne me saisissent pas assez fortement. C'est ma voie, c'est ma vocation. Jésus veut de moi un tendre amour ou rien. L'amour me suffit à tout; il m'aide à m'humilier 70, à me repentir, à suivre les conseils de perfection, à me tenir uni à N.-S. C'est mon salut et c'est ma sanctification.

Le 15 février une dépêche m'annonce la mort du jeune Père Joseph­Marie Pergent à Vârzea31).

N.-S. moissone chez nous. Il veut donc nous purifier, nous convertir, nous donner ses grâces. Nous avions sûrement de grosses dettes envers lui. Il prend des jeunes prêtres qui sont encore dans la ferveur de l'ordi­nation. Ce sont des agneaux-victimes pour le règne du S.-Cœur.

C'est le mois de la Passion, dans la dévotion au S.-Cœur. La b. Mar­guerite-Marie l'appelle ainsi. N.-S. va nous unir à son chemin de croix. Les croix vont se succéder lourdes et foudroyantes!

Le ler mars, c'est une de mes 71 plus grosses sources de revenus qui m'échappe. Pendant tout le mois ce sont des malaises divers qui se suc­cèdent.

Le 15 des lettres du Congo m'annoncent la mort du P. Bittkau et du f. Justen32).

Le 17, on plaide ma revendication de la propriété du S.-Cœur.

Le 25, comme j'étais au Val pour l'enterrement de M. Albert Har­mel, j'apprends un fait grave qui peut provoquer un grand scandale et nous nuire extrêmement.

Le 31, le Procureur33) donne ses conclusions, qui font prévoir une mauvaise issue du procès.

Pendant tout ce mois nous avons préparé les pièces pour notre deman­de d'approbation à Rome. J'ai écrit aux évêques dans les diocèses desquels nous avons des maisons, et les testimoniales sont venues. 72

Le 4, nous tenons conseil à Bruxelles. Nous élisons le P. Hermann34) conseiller à la place du P. Jacques35) démissionnaire, et le P. Kusters36) est élu secrétaire du Conseil. De cette manière notre conseil régulier sera in­ternational et nous n'aurons plus besoin d'avoir un conseil consultatif à côté de l'autre. Nous nous réunirons le premier mardi de chaque mois.

Nous signons au Conseil les pièces relatives à la demande d'approba­tion.

Le 7, premier vendredi du mois, le tribunal rend son jugement. Il me laisse seulement le jardin et il adjuge au liquidateur la maison du S.-Cœur et S.-Clément, ces deux maisons auxquelles se rattachent tant de souvenirs37).

Nous en appellerons pour le S.-Cœur, mais probablement sans suc­cès. On pourra peut-être racheter… 73

En attendant je vais m'installer pauvrement dans les bâtiments de la cour. Ce sera Nazareth.

Le 9, nouveau deuil. Une dépêche m'annonce la mort du P. Hoffmann38) à Goyanna [Goiana]. C'est le quatrième que nous donnons à Dieu en 1905. Ces morts se succèdent d'une manière effrayante. N.-S. nous aime puisqu'il veut nous purifier, nous faire solder nos dettes spiri­tuelles, nous préparer des grâces. Tous ces jeunes prêtres qui s'en vont sont encore dans la première fraîcheur du sacerdoce. Ce sont des agneaux-victimes pour l'œuvre.

Le f. Placide Justen39) est mort d'une façon bien surnaturelle. Il voyait la ste Vierge lui ouvrir le ciel. Elle lui disait qu'il ne serait pas longtemps à y aller parce qu'il 74 avait tout quitté et tout donné pour Jésus­-Christ. Il a laissé son petit avoir au noviciat et il a donné sa vie pour les missions. Il disait à son frère40) : «Toi, tu resteras quelques années à la mission et puis tu viendras me rejoindre».

Des sacrifices faits si généreusement doivent être agréables à N.-S.

Au Brésil, quelques dissensions et nouvelle maladie du P. Pierre41). Au Congo, le P. Philippe Kohl42) revient souffrant. A Bruxelles, le pauvre J… est condamné à 6 mois sans sursis. Quel affreux cauchemar! Le se­cret n'est pas gardé dans la presse belge, le sera-t-il dans la presse fran­çaise? C'est le mercredi saint, le 19, que cette croix 75 nous arrive.

Je suis toujours souffrant. Fiat!

Le 25, le jugement nous est signifié. Dès lors nous attendons l'expul­sion de jour en jour. je me hâte de faire disposer les modestes bâtiments du jardin pour y habiter.

Une sorte d'érysipèle me fait enfler la tête, puis tout cela se résout en boutons et dartres. J'en ai pour trois semaines. C'est bon d'expier un peu par tous les organes.

Le 2, c'est le Conseil à Bruxelles, avec sa nouvelle composition inter­nationale. Tout se passe avec sagesse et modération, comme cela devrait être toujours.

Je presse mes aménagements. Le 12, je vais habiter le 76 pavillon du jardinier. L'expulsion nous est annoncée pour le 13, puis pour le 17. Elle est toujours remise. L'état du P. Blancal43) embarrasse les proscrip­teurs. Il n'est guère transportable. Il ne dit plus la sainte messe depuis le mardi de Pâques. Il a reçu de nouveau l'extrême-onction. A certains jours, on attend sa mort, puis il se remonte un peu. Le cauchemar de l'expulsion le poursuit. Il croit toujours que le moment est venu de partir et que la voiture l'attend.

Le 22, je crache le sang assez fort. Serait-ce une nouvelle poussée de phtysie? Est-ce amené par l'humidité de mon refuge?

Le 23 nous avons reçu les 77 sommations et commandements d'usage, tout paraît bien fixé pour le lendemain: expulsion et prise de possession de la maison par l'huissier au nom du liquidateur. J'exprime naïvement mon étonnement à N.-D.-Auxiliatrice, qui permet cela au jour de sa fête.

Le 24, N.-D.-Auxiliatrice n'a pas voulu attacher ce triste souvenir à sa fête. Le médecin légiste est venu, il a déclaré qu'il y avait lieu d'accor­der un sursis d'un mois pour voir si le P. Blancal irait mieux ou plus mal. Le délégué du liquidateur a accepté ces conclusions. La maison re­stera ouverte jusqu'au 26 juin.

Le 2, un jugement est rendu contre Fourdrain et Marsanne. Fiat. Le 6, Conseil à Bruxelles. J'envoie 78 ensuite une circulaire aux di­vers recteurs pour faire connaître les principales décisions du Conseil. Le 17, nous avons trois nouveaux prêtres à Malines. Nous avons nommé le P. Kusters recteur à Louvain et le P. Hermans44) à Bergen op Zoom.

Le 26 est un jour historique. Le délégué du liquidateur se présente le matin et me reproche de n'avoir pas emmené le P. Blancal. Je le reçois as­sez vivement et lui déclare que M. Blancal ne sortira que s'il est expulsé.

Je l'emmènerai si on me donne un écrit attestant qu'on est décidé à l'expulser et à l'emmener à l'hôpital. L'huissier délégué hésite à me don­ner un écrit. Je lui déclare que j'exige cet écrit ou que 79 je laisserai porter le malade à l'hôpital. Il va consulter son avoué et me rapporte un écrit. Je fais alors conduire le pauvre vieillard à Fayet. L'huissier prend possession de la maison et des meubles. Le Journal de St-Quentin publie la sommation de l'huissier, la protestation de M. Lobbé45) et la mienne. La Croix et l'Univers en font mention. Des lettres de sympathie m'arrivent de bien des points.

Le 29, les appels de MM. Lobbé et Dupland sont plaidés à Amiens. Le 30, fête du S.-Cœur, j'invite quelques uns de nos isolés, pour que la fête ait un peu de pieuse joie. La liturgie nous invite à l'allégresse: Gaudeamus 80 omnes in Domino, venerationem celebrantes SS. Cordis Jesu.

Le 24 du mois, j'ai assisté à la prise de voile de la Soeur Alice Guillau­me à Namur chez nos chères Victimes du Cœur de Jésus46). Le petit Jean47) y assistait. Mgr de Namur présidait. Ces douces et saintes fêtes reposent du marasme contemporain. Je pris occasion de ce voyage pour faire une courte visite à Luxembourg, à Fünfbrunnen, à Clairefontaine. Malgré quelques lacunes, je trouve là des communautés vivantes et qui se développent.

Mgr de Luxembourg voudrait voir les étudiants plus recueillis, plus religieux. 81

Le 4, conseil à Bruxelles.

Le 8, je crache encore le sang. Fiat!

Mme Malézieux se rend à Cauterets, elle désire me procurer quelques jours de repos et d'air pur, je me laisse convaincre.

Le 11, départ pour Paris

Le 12, messe à Montmartre, visite aux nouvelles salles du musée assy­rien. Il y a là les traces d'une belle civilisation, plus ancienne que le temps d'Abraham, mais qui était déjà enlisée dans le paganisme, tandis que la famille d'Abraham gardait la foi primitive, ce qui lui valut la pré­férence et les promesses du Créateur.

Le 13, Paris, Bordeaux, Bayonne. On fait en sept heures la route 82 de Paris à Bordeaux, et ce n'est pas le dernier mot de notre civilisa­tion!

Le 14 et le 15, nous logeons à Bayonne à l'hôtel S.-Etienne. Les deux jours je vais passer quelques heures à Biarritz. Bayonne a très bon air. Sa population mêlée de Basques et d'Espagnols, est soignée et alerte. La cathédrale, élevée du XIIIe au XVIe siècle est, dans le midi, celle qui rappelle le plus nos grandes églises du nord. Elle a deux belles flèches fort élancées. J'aimais à y vénérer les reliques de s. Léon, Evêque et fon­dateur de Bayonne.

Biarritz est une plage toute faite pour l'agrément. Ses rochers décou­pés et plantés de 83 tamarins ont été utilisés pour donner de la variété au paysage. Le rocher le plus avancé porte la statue de la ste Vierge.

J'ai vu à Bayonne une belle ordination. Les vocations sont encore nombreuses dans cette région, et les prêtres y ont l'esprit apostolique. C'est la race des Basques qui nous a donné s. Ignace et s. François Xa­vier. Ce sont les Basques qui rendent si vivante la congrégation de Bé­tharram. Je voudrais trouver quelque source de recrutement par là.

Le 16, nous allons à S.-Jean-Pied-de-Port, pour préparer une excur­sion à Roncevaux.

S.-Jean-Pied-de-Port, avec sa rivière, ses vieux murs, sa citadelle, a 84 un aspect pittoresque. Les moeurs y sont patriarcales. C'est la race agile des Basques, avec une étonnante unité de type. Tous les gens de S.-Jean-Pied-de-Port se ressemblent. Ils ont le nez rectiligne des Grecs, sans en avoir la beauté. Ils ont l'attitude fière et digne et la démarche aisée.

Le soir après vêpres, le dimanche, toute la population assiste au jeu de pelote. C'est la balle au mur. Chaque village a son grand mur préparé pour le jeu. C'est parfois le pignon de l'église. La balle lancée au mur est adroitement rattrapée dans des raquettes creusées en forme de paniers.

Le jeu se passe gravement, sans cris et sans querelles, avec 85 quelques applaudissements pour le camp vainqueur.

Le 17, c'est l'excursion de Roncevaux. Il faut une longue journée de voiture.

Roncevaux! Quels émouvants souvenirs! Quelles belles pages dans le roman du Moyen Age et dans le drame d'Henri de Bornier!

Quand je prêchais la Passion, je citais le beau récit de la mort de Ro­land, et je montrais qu'elle n'était qu'un reflet de la grande mort de Jésus au Calvaire.

Où se passa le drame de Roncevaux? Sans doute à la descente d'Espa­gne, à Valcarlos, là où la route chemine entre de hauts rochers à pic. Roncevaux est un col nu 86 à mille mètres d'altitude. Un peu plus bas que le col vers l'Espagne, dans une belle hêtraie se trouve la grande ab­baye commémorative.

La prière a commencé là au IXe siècle. Une belle statue de la ste Vier­ge assise y a été trouvée et elle y est toujours en grande vénération. Au pèlerinage annuel du mois d'août, les confréries de pénitents de la Na­varre espagnole y portent de grandes croix de bois, comme une forêt mouvante.

L'église actuelle a été reconstruite au XIIIe siècle sous le roi Sanche de Navarre. Une tour carrée ogivale contient les tombeaux du roi et de la reine. On la restaure. Mais pourquoi laisse-t-on dans l'abandon la cha­pelle du 87 St-Esprit où reposent, dit-on, les ossements de Roland et des paladins de Charlemagne.

Ce sont les Chanoines de St-Augustin qui occupent l'abbaye. Ils sont une douzaine, avec autant de chapelains.

Une magnifique avenue de hêtres séculaires conduit de l'abbaye au village de Burguate, à 2 kilomètres, gracieux village, tout propret: mai­sons presque uniformes, toutes séparées par un passage et orientées vers le midi. Les étables bien remplies sont au rez-de-chaussée. Le pignon de l'église sert au jeu de pelote. L'église n'a pas de chaises. Deux ou trois petits cierges marquent chaque place et éclairent les pieux fidèles qui prient le matin et le soir. 88

L'abbaye est riche en reliques. Notre st Louis de France lui a donné un morceau de la vraie Croix et quelques épines. Il y a aussi une belle collec­tion de vieux ornements brodés des XVIe et XVIIe siècles; un soulier épi­scopal du Moyen Age, qu'on attribue naturellement à l'évêque Turpin et une masse d'armes que le sacristain en souriant attribue à Roland.

C'est le souvenir de ce Roncevaux qui pendant des siècles a porté si haut dans le cœur des Francs le courage et le patriotisme chrétien.

Les 18 et 19 repos et prière à Lourdes. Il y a deux beaux pèlerinages de La Rochelle et de Viviers. Le soir, c'est toujours l'indicible proces­sion aux flambeaux. La sainte Vierge 89 a demandé des processions populaires, elles lui sont vraiment données. Ces pèlerinages ont leurs malades, on ne parle pas de guérisons. Il y en a eu deux beaux au mois de mai. Des corsets de fer appendus à la grotte en témoignent.

On dit facilement de nombreux chapelets à la Grotte, on a tant de cho­ses à recommander à Notre-Dame de Lourdes.

je trouve insignifiante une promenade au lac de Lourdes. C'est un joli site, mais les émotions religieuses sont les seules qu'on puisse goûter à Lourdes.

Il faudrait pouvoir lire dans toutes les âmes qui sont là! Je fais causer un jeune homme. Il est de Tunis. Il avait peu de foi. Il a fait une fièvre 90 typhoïde. Sa soeur lui a fait faire le voeu de venir à Lourdes. Il a été guéri et il vient avec émotion accomplir son voeu.

Grâces reçues, grâces à demander, c'est la pensée poignante qui occu­pe toutes ces âmes.

Le 20, c'est Cauterets pour deux semaines. Je suis déjà le 129e prêtre de la maison, il en passera quatre cents. L'Archevêque de Besançon [Mgr Petit], les Evêques d'Arras et d'Amiens [Mgr Williez et Mgr Di­zien] viennent aussi se soigner ou se reposer.

J'ai l'autel du S.-Cœur pour ma maison.

Les journées sont reposantes. Le matin, on va boire et gargariser à la Raillère et au Marhourat. Après-midi, il y a musique à l'esplanade. Puis on a une 91 douche ou un bain, le thé, un autre gargarisme à la source de César. Il reste le temps de faire sa correspondance et de dire son bré­viaire.

Le site est si beau. Ces hautes montagnes toutes vertes avec quelques plaques de neige dans le lointain encadrent si bien Cauterets!

Le Dr Sénac est un bon papa, qui ordonne à peu près ce qu'on veut. Pour moi, j'apprécie surtout l'air pur de Cauterets. Ses eaux sulfureu­ses ne conviennent guère à mon estomac.

Fort sages, nous ne faisons guère d'excursions. Un jour seulement, je grimpe à la grange de la reine Hortense, d'où l'on embrasse tout le pa­norama des 92 vallées de Cauterets, de Pierrefitte et d'Argelès, jusqu'à Lourdes. Une autre fois nous allons en voiture à St-Savin.

La vieille abbaye qui avait autrefois juridiction sur ces vallées est ac­crochée au flanc nord de la vallée d'Argelès.

Pour y aller on descend d'abord toute la gorge austère et alpestre de Cauterets.

A Pierrefitte la vallée s'élargit, le climat est plus doux. Tout le coteau du midi a des champs de froment et d'autres céréales.

Argelès a une température plus moite. On y séjourne l'hiver. Son parc a une végétation superbe. Ses jardins ont de beaux magnolias et 93 de splendides mimosas en fleurs.

La vieille abbaye de St-Savin n'est plus qu'une paroisse. Sa grande église du XIe siècle a des absides en demi-cercle comme St-Cernin et une coupole normande. Le XVIe siècle a mis là-dedans ses grimaces païennes comme à la cathédrale de St-Bertrand de Comminges. C'est au buffet d'orgues où l'on voit des cariatides et en forme des mascarades des figures de chantres, dont on peut faire jouer la langue et les lèvres avec des ficelles.

St-Savin et les communes de la vallée qui ressortissaient de l'abbaye forment un syndicat pour l'exploitation des eaux de Cauterets.

Une dépêche m'apporte à Cauterets la nouvelle de la perte de nos ap­pels à Amiens. Un léger tremblement de terre 94 mit en émoi toute la population.

Le 2, c'est le retour. Bonne journée à Lourdes le 3. Il y a des pèlerina­ges de Bayonne et du Gard. Repos et prière. Le 4, voyage direct de Lourdes à Paris.

Le 8, c'est le Conseil à Bruxelles, conseil de placement, jeu d'échec fort compliqué!

Le 9, promenade à l'exposition de Liège. Les Liégeois ont bien tiré parti du confluent de la Meuse et de l'Ourthe si négligé avant cette expo­sition et qui deviendra un des beaux quartiers de la ville.

La note dominante de cette exposition, c'est la place importante qu'y tiennent les jaunes. Il y a le village chinois, les galeries japonaises, des cabarets et restaurants 95 japonais. L'art japonais est séduisant. Leurs soieries, broderies, porcelaines et laques n'ont pas de rivales. Des boutiquiers japonais sont là. Ils sont franchement laids, mais intelligents et habiles commerçants.

Le palais de l'art ancien a des merveilles de l'art chrétien de la Belgi­que. A noter la grande châsse de s. Remacle du XIIIe siècle, de Stavelot; celle de st Hadelin, de Visé, XIe siècle; celle de s. Georges, de Amay, XIIIe siècle; celle de s. Marc, de Huy, XIIe siècle avec des émaux byzan­tins; celle de s. Simétrius de Lierneu; les bustes de st Lambert de Liège, XVe s.; de st Papon, de Stavelot, XVe s.; de st Perpète, de Dinant, XVIle s.; de st Hadelin, de Visé, XIe siècle; celui de ste Pinose, de Ton­gres. Et l'ostensoir de Veurayt, du XVIe s. 96 L'autel de l'église St-­Denis de Liège qui paraît être du XVe siècle, beau modèle de ces autels à retables en métal doré qui sont assez nombreux en Belgique.

Un petit bijou, ce sont les statuettes d'or de Charles le Téméraire et de st Georges, ex-voto d'une des églises de Liège.

Les japonais de l'exposition ont le costume européen, mais quelques japonaises ont leurs robes étroites à ramages sans ceinture et des chry­santhèmes dans les cheveux.

Rentré à St-Quentin, j'annonce les placements aux diverses maisons, mais les difficultés surgissent. Amour-propre froissé, intérêts, chauvi­nisme, tout conspire à brouiller les cartes. On parla 97 de plaintes à Rome, de divisions, de schisme. Le démon exploite tout ce qu'il peut pour nous détruire. L'orage se calmera. N.-D. demandera à quelques­-uns de nous des souffrances réparatrices.

J'ai autant de peine à concilier tout ce monde que Roosevelt en a à fai­re la paix entre les Russes et les japonais.

Le 24 on vend le couvent de la Croix. Dans un mois ce sera notre tour. Le secrétaire de Lecouturier est venu faire le plan de l'immeuble du S.-Cœur. Ce personnage est poli, il sourit, même quand je lui dis que son œuvre est un vol. Il est de la race des francs-maçons qui font avec sang-froid la guerre à Dieu et à l'Eglise. Il estime 98 que l'œuvre de liquidation durera encore dix ans. Il oublie d'ajouter: «Si Dieu nous laisse faire».

Il veut faire de la maison plusieurs lots, vendre le jardin comme ter­rain à bâtir, couper la maison en deux. Il a les mêmes vues pour S.-Clément. C'est stupide, mais peu lui importe, il reçoit des honoraires pour préparer le lotissement…

Le 27, l'ex-Père Mathieu Wercoin48) passe à St-Quentin. Il est atteint d'aliénation mentale. Il fait des extravagances à la basilique et en ville. Ce pauvre garçon est un des trois malheureux prêtres qui ont agi contre nous et nous 99 ont calomniés par leurs lettres à la préfecture. Le re­mords lui fait perdre la tête.

Le placement s'achève au Conseil du 9 septembre, sous les auspices de Marie. Le soir, la retraite commence.

I. La retraite, c'est Jésus qui passe en faisant le bien. - Les disciples de Jean-Bpte demandent à Jésus: «Etes-vous celui qui doit venir? - Jé­sus leur répond: dites à celui qui vous envoie ce que vous avez vu: «Coe­ci vident, etc. Les aveugles voient: la retraite c'est la lumière; les boiteux marchent: la retraite donne la force d'agir; les sourds entendent: en re­traite, on devient docile à la grâce. Les lépreux sont guéris, les morts res­suscitent…» [Mt 11,3-5] 100

II. Fondement. «Creatus est homo ad hunc finem, ut Dominum Deum suum laudet ac revereatur, eique serviens tandem salvus fiat». Toute créa­ture a sa fin. V. g. (Verbi gratia) une montre est faite pour marquer l'heu­re. Fut-elle d'or et de diamant, si elle ne marque pas bien l'heure, elle n'est pas une bonne montre… - Laudet: hommage, prière; les quatre fins de la prière: adoration, amour, réparation, demande… applications au bréviaire et à la messe. - Revereatur: respect habituel, présence de Dieu, respect spé­cial, piété dans les exercices du culte. - Eique serviet: obéissance au décalo­gue et à toutes les volontés divines… 101

III. Les créatures sont pour aider l'homme. Ainsi l'agriculteur fait tout pour faire produire à sa vigne de bons raisins. Il y emploie des vi­gnerons. On la taille et la dresse. Dieu est le grand agriculteur. Nous sommes sa vigne. Il taille, il coupe, il redresse. Les croix sont bonnes, el­les purifient, elles humilient. Malheur aux pécheurs qui réussissent en tout, rien ne les avertit, rien ne les ramène à Dieu (Ps. 14).

Cette méditation vient bien à point pour m'encourager: le courrier d'au­jourd'hui m'annonce la désertion d'un de nos prêtres et m'apporte le mé­moire de nos frais de procès à St-Quentin 102 et à Amiens. Ces frais s'élèvent à plus de 4.000 f. Ce n'est pas tout que nos maisons soient volées, il faut encore enrichir avoués, avocats, huissiers, liquidateurs et le reste. - Beati qui persecutionem patiantur [Mt 5,10] - l'expiation est bonne pour qui a beaucoup péché, c'est une marque de la miséricorde divine.

IV. L'usage des créatures. «Utendum illis vel abstinendum eatenus quatenus ad prosecutionem finis vel conferunt, vel obsunt». - Je me servirai des créatures autant qu'elles m'aideront à ma fin, à mon salut, à mon ministère. N'en est-il pas ainsi pour la santé? Le médecin prescrit des remèdes suivant leur utilité, et non suivant qu'ils 103 sont doux ou agréables. Je dirai avec s. Louis de Gonzague: «Quid hoc ad aeterni­tatem? ad salutem meam, ad consolationem Cordis Jesu, ad salutem animarum?».

V. Conclusion: je dois me faire indifférent envers les créatures, pour être prêt à faire en tout la volonté de Dieu. Je m'exercerai à cette indiffé­rence en pensant à ces quatre objets principaux:

1° la santé ou la maladie;

2° la richesse ou la pauvreté;

3° l'honneur ou le mépris;

4° une vie longue ou courte.

VI. Jour de contrition. Méditation de s. Ignace sur le triple péché des Anges, d'Adam et des damnés. Le but de cette méditation est de nous faire comprendre la gravité du péché que nous prenons trop à la légère. 104 Même quand nous faisons la retraite et quand nous nous confessons, nous n'avons pas une confession vraie, profonde, efficace.

La retraite de s. Ignace nous conduit à cette contrition par la crainte salutaire des jugements de Dieu. Jésus attend de nous, les disciples de son Cœur, que nous y arrivions aussi par l'amour, par le regret profond et douloureux d'avoir offensé, blessé et crucifié celui qui nous a tant ai­més jusqu'à mourir pour nous.

VII. Examen de nos propres péchés, surtout pour nous exciter à la contrition. J'examinerai surtout mes défauts, d'après mes chutes fré­quentes et mes pensées quotidiennes… Comment fais-je mes exerci­ces 105 religieux? avec quelles imperfections? Que de grâces j'ai ga­spillées! Combien j'ai malédifié les autres, au lieu de les édifier! Quelle ingratitude est la mienne! Combien il est urgent de me convertir pour réparer tant d'années de péché et de tiédeur!

VIII. Pénitence! Pénitence! C'est le fond de la vie chrétienne. N.-S. est le grand pénitent. St Jean-Bpte a préparé la rédemption en prêchant la pé­nitence. Les chrétiens ne la font plus. Les anciennes pénitences canoni­ques sont tombées en désuétude. Elles n'étaient pas seulement satisfactoi­res, mais aussi médicinales. Ne faisant plus pénitence on ne se guérit plus. Il est bon de relire les anciens canons pénitenciaux, 106 v. g. pour une fau­te solitaire contre la pureté en donnait un mois de jeûne. «Hoc genus non ejicitur nisi oratione et jejunio» [Mt 17,20]. Si nous ne pouvons pas jeûner, suppléons par autre chose. Il y a les travaux quotidiens, les psaumes de la pénitence, les pratiques de modestie extérieure, etc. C'est l'esprit de péni­tence qui doit animer notre vie, après toutes les fautes que nous avons com­mises. Je m'applique ces vérités, j'ai tant offensé Dieu!

IX. L'enfer. Il est bon de le méditer. Son existence est certaine. N.-S. lui-même l'a tant de fois prêché dans l'Evangile. - Le sarment stérile sera brûlé, les méchants iront au feu éternel, etc.

Il faut bien que Dieu soit vengé. Il a donné sa loi à Adam, au 107 Sinaï, dans l'Evangile. Celui qui se met en dehors de la loi ne peut pas aller jouir dans le sein de Dieu.

La crainte de l'enfer nous tient dans l'obéissance et nous sauve. C'est une crainte salutaire. C'est pour notre bien que N.-S. l'a si souvent prê­ché. St Pierre et Paul, tous les saints s'aidaient de la crainte de l'enfer.

Je ne crains pas assez l'enfer. J'y suis exposé d'autant plus que je le crains moins. «Miserere mei Deus!». «Ne projicias me a facie tua!» [Ps 50,13].

X. La parabole de Lazare et du mauvais riche. - Les pauvres sont les membres de Jésus-Christ; leurs souffrances, improperium Christi. Ce La­zare, pauvre, nu, qui a 108 faim et soif à la porte du riche, c'est Jésus, dans nos tabernacles, nu, pauvre, méprisé, qui ne reçoit pas l'aliment de l'amour dont il a faim… Le mauvais riche, c'est le prêtre, c'est le reli­gieux, riche de grâces, de ferveurs, de dignités, qui ne donne rien à Jésus-eucharistie, rien à Jésus-souffrant dans les malheureux, pas d'amour, pas de zèle… pas de visites, pas de soins, pas d'attention. Il oublie Jésus pour ne penser qu'à ses aises, peut-être à ses passions…

XI. La mort nous surprendra. Ne comptons pas sur une conversion tardive. Telle vie, telle mort. Une vie coupable ou tiède finit ordinairement 109 dans les mêmes dispositions. On ne se moque pas de Dieu impunément. N.-S. a souvent prêché l'incertitude et la soudai­neté de la mort, spécialement dans les paraboles et traits des derniers chapitres de s. Mathieu:

Au temps du déluge, les gens mangeaient, buvaient et vivaient dans l'indifférence, les préparatifs de Noé ne les émurent pas, le déluge les je­ta dans l'éternité. A Sodome et à Gomorrhe, le feu surprit les coupables… C'est ainsi que Notre-Seigneur vient à l'improviste pour ju­ger les hommes, soit au jugement particulier, soit au jugement dernier. - Le bon serviteur est toujours prêt, le mauvais ne l'est jamais. 110

XII. Les tentations. Qui s'expose au péril, périra. Prudence dans les regards, dans les pensées, dans les relations avec les personnes d'un au­tre sexe, avec les jeunes gens, dans les lectures. Le monde est très sen­suel, très corrompu. Quelle était la prudence d'un Louis de Gonzague, qui n'osait pas lever les yeux! J'ai là une résolution énergique à prendre.

XIII. La parabole de l'enfant prodigue. Elle indique les progrès de la chute et les conditions d'une bonne pénitence. Le pauvre prodigue com­mence à céder à la luxure, puis il descend au degré le plus bas, il désirait manger avec ses pourceaux.

Mais quand il revient, sa pénitence est parfaite: Surgam, ibo ad 111 patrem; fiam sicut unus de mercenariis tuis… [cf. Lc 15,18.19]. Aussi il est reçu avec une miséricorde sans limites.

Ah! si je revenais pleinement avec une vraie pénitence, le bon maître m'aimerait encore!

XIV. Jusqu'ici nous nous sommes excités à la pénitence, ce n'est que la préparation de la sanctification. C'est l'œuvre de Jean-Baptiste. Mainte­nant, nous allons écouter et suivre Jésus, le vrai Moïse qui doit nous con­duire à la terre promise de la sanctification et du salut. C'est la seconde partie de la retraite, elle commence par la méditation du Règne de J.-C.

J.-C. est vraiment notre roi, notre chef. Il faut le suivre dans la guerre contre ses ennemis, 112 qui sont les démons et les trois concupiscen­ces. Il ne suffit pas pour être chrétien de faire quelques prières et même quelques communions tout en menant une vie molle, mondaine et sen­suelle.

J.-C. hait le monde, il aime la pénitence, la réparation, le sacrifice. Il faut que nous ressemblions à notre chef.

J'ai trop souvent faibli dans ce combat, j'en demande pardon à mon bon maître.

XV. Sur l'imitation de J.-C. - Jésus a voulu vivre parmi nous pen­dant 33 ans pour nous donner l'exemple. Ce n'est pas pour rien qu'il a pris cette peine. Il a voulu nous montrer l'exemple de l'obéissance, de la pauvreté, du jeûne, du sacrifice, ce n'est pas pour 113 nous laisser vi­vre comme des païens ou à peu près. Nous prenons trop légèrement ses exemples, nous n'en profitons pas. Au jugement, il ne nous reconnaîtra pas pour ses disciples.

Nous allons méditer ses mystères, il faut aller jusqu'à son cœur, étu­dier et imiter ses dispositions, ses sentiments.

XVI. Bethléem. Exinanivit semetipsum [Ph 2,7]. - Verbum caro factum est [Jo 1,14] . - Le Verbe, le Fils de Dieu, la Sagesse infinie s'est fait homme. Quel anéantissement! du ciel à la terre; de l'infini au fini! Le Verbe a choisi sa condition. Il n'est pas riche, il n'est pas même d'une pauvreté moyenne, il est de la classe des mendiants, il n'a ni feu ni lieu. 114 Il naît à l'étable, il vivra mendiant en Egypte et fils de char­ron de village à Nazareth. Il appelle ses amis, les bergers. Ce sont des gens humbles, simples, comme seront les apôtres. Jésus nous montre là ses préférences. Il faut être humble et petit pour lui ressembler.

XVII. Sur l'obéissance. Erat subditus illis [Lc 2,51], c'est toute la vie de Jésus: trente ans d'obéissance à ses créatures! Tout péché est une dé­sobéissance. Toute obéissance est une réparation. Obéissons pour l'amour de Dieu, pour l'amour du S.-Cœur! c'est pour nous le moyen le plus facile de pratiquer la pénitence et la réparation.

XVIII. Les deux étendards. Il s'agit de nous déterminer fortement à la 115 conversion. Deux chefs nous sollicitent, Jésus et Satan. Le pre­mier porte sur son étendard ces mots «Pauvreté, humilité»; l'autre ces mots: «richesses, orgueil». Ils agissent auprès de nous, ils procèdent par voie d'inspiration et de suggestion. Les inspirations de Jésus se font par le St-Esprit, elles sont douces, calmes, pures; celles de Satan et des dé­mons sont troublantes, agitées, dissimulées, brûlantes.

Je reconnais là les deux esprits qui me sollicitent sans cesse. Domine, adjuva me! [Mt 15,25].

XIX. Les trois degrés d'humilité. Le premier exclut le péché mortel, le second le péché véniel; le troisième est exactement notre profession d'immolation: il va jusqu'à préférer la santé 116 à la maladie49), la pauvreté à la richesse, l'humiliation à l'honneur…

XX. Nazareth, vie de règle et de travail. Toute vie est réglée, sauf cel­le des oisifs du monde. Le travail est une loi divine. Etudions les Pères, s. Chrysostome (éd. Charruey) s. Augustin, Bourdaloue, la Vie de Jésus par Ludolphe le Chartreux.

XXI. Affermissons-nous dans nos résolutions en méditant la Passion de Jésus. Comme il prie à Gethsémani! Quelle force il trouve dans la prière! L'ange vient le fortifier; comme il est ensuite généreusement obéissant et immolé!

XXII. Conclusion: Erant omnes perseverantes unanimiter in 117 oratione cum Maria. Moyens de persévérance: la prière, le se­cours de Marie, l'union entre nous…

Le bon P. Bocquet nous a fait beaucoup de bien. Il est austère, sévère dans sa doctrine. N'a-t-il pas raison de réagir contre la mollesse générale. La fidélité à mes exercices et l'union avec Jésus, telles sont mes résolu­tions. J'y trouverai la force, la vie de l'intelligence et du cœur.

La retraite finit le 16 et je rentre à St-Quentin.

Je repars bientôt pour Sittard. Je donne l'habit aux novices le 21 et je reçois les voeux le 22. 118 Les dispositions des nouveaux profès sont bien consolantes, le noviciat a été fervent.

Le 23, je vais en pèlerinage à Oostakers. Il y a là une pauvre petite grotte bien laide, un vulgaire aquarium, mais la ste Vierge s'est plu à y faire quel­ques miracles. Les jésuites y ont élevé une belle église en gothique moderne.

Le 24, j'assiste à la première messe du P. Cambron50) à Louvain. Là aussi les dispositions sont consolantes. Les difficultés des placements se continuent…

Le 27, je vais à Paris pour préparer le placement du f. Jean Guil­laume51) aux 119 Carmes.

Je déjeune à Montmartre chez M. Dumoulin. Il s'intéresse aux prédi­cations et prophéties. Un voyant des environs de Paris annonce que Pa­ris sera brûlé par le feu du ciel. C'est possible. N.-D.-de-la-Salette, le P. Necton et d'autres ont annoncé des choses comme cela.

Nous faisons le mois du Rosaire. J'orne de fleurs le sanctuaire que les liquidateurs m'ont laissé.

Ces gens préparent la vente de la maison. Ils entourent la cour d'un gros mur, ces briques me pèsent sur le cœur. Les pauvres ouvriers sont tout honteux de ce qu'ils font. Ils n'en 120 sont pas -responsables. je me décide à surélever le mur par une palissade où je fais peindre cet avertissement: «Bien d'autrui tu ne prendras». Il faut réveiller la con­science des voleurs et éloigner les receleurs.

17 oct. Fête de la b. Marguerite-Marie. Des lettres de Sittard m'ap­portent de mauvaises nouvelles. Il y a du mauvais esprit, des intrigues, des plaintes portées à Rome52). Le courrier des jours de fête m'apporte ordinairement des croix.

Le 23 et le 25 sont les grands jours de fête du pèlerinage de St­-Quentin. On me tient à l'écart des réceptions depuis quelques années. Je 121 l'accepte humblement en esprit de réparation. Je sais bien que je ne mérite que le mépris et la confusion. Je m'absente du 21 au 23 et du 24 au 30.

Je vais à Sittard pour calmer les esprits et refaire la paix. Je passe aussi à Louvain où je trouve nos j. gens bien disposés.

Le 30, mauvaises nouvelles du Brésil du Nord. Il y a là aussi des esprits difficiles53).

Notre cher P. Rasset a subi le 30 oct. la plus cruelle des opérations à l'estomac. Il est mort le 4, il a été mis au tombeau le 8. C'est la mort d'un saint prêtre, et une mort héroïque. Travailler pour les âmes, c'était son idéal. Il a voulu risquer cette 122 opération de boucherie dans l'espoir de pouvoir travailler encore dix ans. Il a dit au Dr Duret qu'il of­frait sa vie pour son œuvre. L'opération a duré deux heures et demie. On lui a fait 300 points de couture. Après l'opération il a eu cinq jours d'atroces souffrances, qu'il dissimulait. On lui demandait s'il souffrait beaucoup, il répondait non. Ce furent cinq jours de prières, d'oblation de lui-même et d'immolation. Quand les élèves de médecine, les Soeurs, les garçons venaient le soigner, il leur faisait d'abord réciter auprès de lui le Pater et l'Ave. Il s'excusait charitablement de les déranger.

J'ai passé auprès de lui sa dernière journée. Il a montré une sérénité constante et une force 123 héroïque, quand le médecin lui a rouvert l'estomac. Il m'a demandé plusieurs fois l'absolution. Je lui ai donné l'extrême-onction la nuit à deux heures. Il est mort à une heure de l'après-midi le 1er samedi du mois. Il avait écrit dans ses notes en 1878 qu'il mourrait un samedi. La Sainte Vierge l'aimait maternellement.

Je l'ai ramené à St-Quentin, il repose dans notre caveau avec deux saints prêtres, le P. Roth et le P. Tharcis54). Les journaux de St-Quentin et de Laon ont dit son éloge. La Semaine religieuse donnera une notice55). La Croix de Thiérache a raconté les funérailles qui ont été très honora­bles. Il y avait plus de 80 prêtres. M. l'Archiprêtre officiait56).

124 Le P. Rasset a été mon premier compagnon, mon assistant, un de mes meilleurs conseillers.

Il était présent à mes premiers voeux, le 28 juin 1878 et il devint postulant ce jour-là.

En 1879, il fit le serment de persévérer dans l'œuvre, et il resta fidèle. Il avait fait le voeu de victime. Il a partagé toutes mes souffrances, et il a eu les siennes propres. Ses dernières années l'ont bien mûri pour le ciel. Les croix abondaient: persécution politique, souffrances de la maladie, peines de famille, ministère ingrat à Marchais. Il nous laisse des notes et des lettres échangées avec sa soeur qui nous révèlent un saint prêtre et une vraie victime du S.-Cœur57). 125

Le 11 nov. je vais à Paris où je vois nos bons petits étudiants des Car­mes et de St-Sulpice. Je rencontre aussi quelques anciens, des déserteurs de l'œuvre, des employés, des soldats, un agent de police. Pauvres jeu­nes gens. Combien peu ils feront maintenant pour le bon Dieu! Resteront-ils chrétiens?

La vente qui devait avoir lieu le 23 nov. est retardée jusqu'en décem­bre.

Le 27, conseil à Bruxelles. Nous élisons un conseiller58).

Le 30, départ à Anvers des Pères Wulfers et Fraesle59). Il fait le brouil­lard et le bateau va se heurter en mer sur un bâtiment anglais. Le diable essaie d'entraver les 126 missions.

Je vois à Bruxelles Mlle Fontaine qui va aider l'œuvre de Tervuren. Je visite les maisons de Tervueren et de Bergen op Zoom. Des deux côtés il y a de la vie et de bonnes espérances, surtout à Bergen op Zoom.

J'ai conduit à sa dernière demeure mon parent Edmond Legrand de Fourmies. Ce sont des avertissements répétés.

Je rentre à St-Quentin le 2. Le bon P. Blancal était mort le ler. Il s'est éteint doucement sans agonie. Et c'était le 1er vendredi du mois. C'est une gracieuseté de la Providence. Je prépare tout pour ses funérailles qui se font dignement à Fayet le 4. 127 Il repose dans notre caveau avec le P. Alphonse 60) et le P. Modeste61). Ce sont de bons fondements. Ces trois prêtres ont été des apôtres zélés et pieux estimés et aimés au diocèse de Soissons.

Mgr 62) m'écrit une lettre touchante à l'occasion de la mort du P. Blan­cal.

La Semaine religieuse a donné une courte notice sur le P. Rasset. On fe­rait un livre intéressant sur sa vie religieuse63).

Le liquidateur64) affiche la vente de nos maisons pour le 22. Je réponds par une affiche de protestation assez ferme. Il faut éclairer les popula­tions sur le régime que la franc-maçonnerie leur impose. 128

PROTESTATION

La protestation suivante a été affichée sur les murs de la ville de Saint­Quentin:

PROTESTATION

A la veille de la vente annoncée par affiches, des biens qui leur ont été ravis par une injuste violence, MM. Lobbé, Dehon et Legrand65) pro­testent contre cet acte de spoliation.

M. Lobbé a acheté sa maison de la rue des Frères-Dessains par acte no­tarié et l'a payée régulièrement. Cette maison est encore garnie avec les meubles de M. Dehon, qui sont également confisqués, quoiqu'ils lui soient absolument personnels et qu'ils proviennent en grande partie de sa famille.

M. Legrand a acheté la maison de Fayet et l'a agrandie, soit avec des ressources provenant de sa famille, soit par le fruit de son industrie. Ces Messieurs ont protesté déjà à chaque étape de la procédure qui a abouti à cette injuste déposssession. Ils renouvellent aujourd'hui publi­quement cette protestation.

Ils sont blessés dans leur patriotisme autant que dans leurs droits per­sonnels. Il y a des œuvres catholiques en Turquie et en Afrique. Turcs et Nègres les respectent. Et c'est en France qu'on foule aux pieds le droit de propriété et la liberté de conscience! 129

On abuse de la patience et de la douceur des prêtres pour les spolier. Un ouvrier, conscient de son droit, disait «On vous prend votre maison; moi, je n'ai que ma truelle, mais qu'ils y viennent!».

Souffrir ces violences sans formuler au moins une protestation serait manquer au devoir, à l'honneur, au patriotisme.

Saint-Quentin, le 11 décembre 1905

LOBBÉ, DEHON, LEGRAND.

Nous rappelons que la vente des immeubles volés aura lieu le 22 dé­cembre à une heure de relevée-, en l'audience des criées du tribunal civil de Saint-Quentin.

Le vendredi 22, c'est la vente. C'est la station du dépouillement sur le chemin de la croix.

Notre affiche a été goûtée et respectée par le peuple. Plusieurs jour­naux l'ont reproduite. Des amis m'écrivent qu'ils l'ont lue avec les lar­mes aux yeux.

La vente vient d'avoir lieu. Le S.-Cœur et S.-Clément n'ont pas trou­vé d'amateurs. C'était 130 l'heure des vêpres. Les psaumes du jour sont superbes. - Si ambulavero in medio tribulationis, vivificabis me, et super iram inimicorum meorum extendisti manum tuam et salvum me fecit dextera tua [Ps 137,7]. - Ne tradas me, Domine a desiderio meo peccatori. cogitaverunt contra me, ne derelinquas me, ne forte exaltentur [Ps 139,9]. - Custodi me a laqueo quem statuerunt mihi… [Ps 140,9].

M. Falleur66) a racheté Fourdrain 25.000 f. pour le revendre. C'est trop cher. Nous aurions dû le laisser aller et en finir. Nous serons heu­reux si nous y retrouvons notre argent. Les juifs étaient là comme ama­teurs et puis un ancien élève de nos collèges! 131

Tous ces jours-ci sont pour moi de grands anniversaires. Le 19, ordination au sacerdoce;

Le 20, première messe;

Le 21, sous-diaconat;

Le 22, tonsure;

Le 23, ordres mineurs;

Le 25, premières impressions de vocation en 1855 aux Capucins d' Hazebrouck.

Le 26, les derniers ordres mineurs.

Le 25, encore, première messe à la chapelle de l'Institution S. Jean en 77.

N.-S. a voulu manifestement mettre ma vie sous la protection du mystère de Noël.

Malheureusement j'ai abusé de tout et tout gâté. 132

Nous tenons conseil à Bruxelles le 29. Il y a quelques difficultés à Lou­vain à cause de f. G.67) qui est cependant bien un enfant de Dieu, mais conduit par des voies un peu exceptionnelles. Je le mets à St-Sulpice.

Il y a surenchère à Fourdrain. L'année finit par cette spoliation. 133-134

135

Juillet 1904 1Février: morts 69
Normandie 2Mars: épreuves 70
Août: la Préfecture 5Avril: jugement 72
Anvers: départ 7Toujours la croix 74
Septembre: la Retraite 8Mai: attente 75
Gaston D. 18
P. Tharcis 19 Juin: expulsion 77
Octobre: temporel 20 Juillet: voyage 81
Non-lieu 21 Roncevaux 83
Novembre: départs 22 Lourdes 88
Lectures 23 Cauterets 90
Décembre: Anvers 43 St-Savin 92
Anniversaires 45 Août: exposition liégeoise 94
Noël et S. Jean 46 Difficultés 96
Sept.: Retraite 99
Sittard - Louvain 117
1905 48 Octobre 119
Nov. Père Rasset 121
Janvier 49 Déc. P. Blancal 126
Le procès 50 La vente 127
Le jugement 66 Anniversaires 131
Les épines 67 Fin d'année 132

1)
Guillaume (Adrien-Jean) dehonien, né le 18.4.1886 à Pompey (Meurthe-et­Moselle); profès le 22.9.1905 à Sittard; prêtre le 8.12.1908 à Louvain; Supérieur à Mons (1909-1911), à Louvain (1911-1915); Conseiller provincial de la Prov. fran­co-belge (1913-1915); décédé le 28.7.1915 à Louvain.
2)
Le P. Gabriel Grison, cf. NQ, vol. 1, note 55, p. 502.
3)
Gauthier (Dominique-Hyacinthe), né le 4.8.1878 à Saaraltdorf; profès le 24.9.1900 à Sittard; prêtre le 24.7.1934 à Louvain; missionnaire au Zaïre (1904­1920); quitte la Congrégation en 1931 pour devenir cistercien.
4)
Lambert (Théodore-Michel) dehonien, né le 23.11.1867 à Audenarde (Belgique); profès le 25.9.1901 à Sittard; prêtre le 28.5.1904 à Malines; mission­naire au Zaïre (1904-1905, 1909-1910, 1913-1917); Conseiller provincial de la Prov. franco-belge (1919-1923); Secrétaire provincial (1919-1923); Procureur des missions à Bruxelles (1922-1937); Econome provincial de la Prov. de Belgique­-Luxembourg (1932-1937); décédé le 24.5.1953 à Bruxelles.
5)
Lambert (Tarcis-Frédéric) dehonien, né le 26.8.1874 à Besançon (Doubs); profès le 15.12.1895 à Sittard; prêtre le 6.6.1903 à Rome; décédé le 21.9.1904 à Fayet.
6)
Roth Sébastien-Modeste, cf. NQ, vol. 1, note 48, p. 501.
7)
Hoffmann (Jean-Ambroise) dehonien, né le 13.12.1877 à Hupperdange (Luxembourg); profès le 25.12.1898 à Sittard; prêtre le 10.8.1904 à Luxembourg; au Brésil du Nord (1904-1905); décédé le 8.4.1905 à Goiana (Brésil).
8)
Pergent (Alfred-Marie­-Joseph), né le 31.1.1878 à Mangiennes (Meuse); profès le 24.9.1900 à Sittard; prêtre le 28.5.1904 à Malines; au Brésil du Nord (1904­1905); décédé le 15.2.1905 à Vàrzea (Brésil).
9)
Bousquet (Emile), né le 22.8.1877 à Conques (Aveyron); profès le 25.12.1898 à Sittard; prêtre le 19.7.1903 à Louvain; au Brésil du Nord (1904­1912); quitte la Congrégation en 1912 : prêtre dans le diocèse de Olinda (Brésil).
10)
Schüler (François-Damascène) dehonien, né le 3.12.1877 à Freiburg i. Breisgau; profès le 8.9.1900 à Sittard; prêtre le 28.5.1904 à Malines; au Brésil du Sud (1904-1914 et 1919-1926); décédé le 3.10.1926 à Brusque (Brésil).
11)
Lindgens (Henri-Canisius) dehonien, né le 5.12.1877 à Aachen-Burtscheid (Allemagne); profès le 25.9.1901 à Sittard; prêtre le 10.8.1904 à Luxembourg; au Brésil du Sud (19041921); Supérieur Régional du Brésil du Sud (19141920); en Amérique du Nord (1921-1924); Supérieur de la maison de Sittard (1928-1930); décédé le 16.6.1946 à Lôvenich-Erkelenz (Allemagne).
12)
Wollmeiner (Antoine-Amandus) dehonien, né le 10.6.1878 à Werntrop (Allemagne); profès le 24.9.1899 à Sittard; prêtre le 10.8.1904 à Luxembourg; au Brésil du Sud (1904-1913 et 1920-1964) ; Supérieur Régional du Brésil du Sud (1911-1913); Supérieur de la maison de Fünfbrunnen (1919-1920); Maître des novices à Brusque (1935-1936); décédé le 20.12.1964 à Taubaté (Brésil).
13)
Le P. Gabriel Grison, dehonien, cf. NQ, vol. 1, note 55, p. 502.
14)
Saint-Jure (Jean-Baptiste), jésuite, 1588-1657. – Né à Metz, le 19 février 1588, Jean-Baptiste Saint-jure (corruption probable de Sancti Georgii, ancienne villa à 20 km. de la ville) rencontre la Compagnie de Jésus à Pont-à-Mousson en 1601. Influencé par le prestige humain et spirituel de Léonard Perrin, professeur d’Ecriture sainte puis de rhétorique, et par Lancelot Marin, directeur de la Congrégation mariale, fondateur en 1610 du noviciat de Paris, il entre au noviciat de Nancy (1604), où il fait les Exercices accompagné par le P. Jean Guéret (1559­1630), le maître des novices, l’année suivante, de Louis Lallemant (1588-1635; DS, t. 9, col. 125-35). Telle est sa culture littéraire et générale que, novice encore, il est envoyé à Bourges (1605) pour étudier la rhétorique sous la direction du P. Léonard Magnet. Et c’est à Bourges aussi qu’après ses années de philosophie à La Flèche, marquée à l’époque de l’empreinte du P. Etienne Charlet, il enseigne la quatrième, puis la troisième, enfin la seconde. A La Flèche où il accomplit ses étu­des de théologie, alors strictement thomiste, il est ordonné prêtre (1617). Il fait ensuite son Troisième An à Paris, sous la direction de Jean de Bretesche, tout comme Louis Lallemant trois ans plus tôt. Les convergences chronologiques avec Louis Lallemant, d’autres, apostoliques, avec J.J. Surin, situent bien Saint-Jure dans la Compagnie française du temps, laquelle, marquée par des maîtres émi­nents, malgré que certains n’aient laissé à la postérité qu’un nom, connaît des nuances qui tournent parfois à la différence: Saint jure n’est comparable ni à Lallemant, ni à Surin, ni à Coton, ni à Hayfneuve, ses contemporains. Professeur de philosophie à Rennes (1618), puis prédicateur à la maison pro­fesse de Paris (1619), Saint Jure fait sa profession solennelle à La Flèche le 16 juil­let 1623. De 1623 à 1649, il cumule les charges de gouvernement et les préoccupa­tions d’écrivain. Envoyé à Alençon pour y fonder un collège dans un climat d’hostilité et de déboires, causés tant par l’Evêque que par les Protestants, il en devient le premier recteur (1623-25). Après une année de prédication à Caen puis à Amiens, il est recteur à Amiens (1627-33), à Orléans (163438), recteur et maître des novices à Paris (1643-44), à nouveau à Amiens (1646-49). Nonobstant la con­fiance et les éloges, le gouvernement ne semble guère lui convenir : à partir de 1630, des plaintes se font entendre. Saint-Jure préfère ses occupations d’écrivain et la direction spirituelle : lors de son dernier mandat à Amiens, voulu expressément par Et. Charlet, jadis son professeur de philosophie, alors provincial de 76 ans, «l’Association des Amis de Jésus-Christ» le préoccupe bien plus que le souci de sa communauté. Enfin libéré (1649), il retourne à Paris et à ses goûts. Malade sans qu’on s’en soit aperçu, une langueur implacable d’insomnie et d’inanition l’assail­le en février 1657, dont il meurt le 30 avril. Ouvrages: – 1. De la connaissance et de l’amour du Fils de Dieu (1633). – 2. Méditations sur les plus grandes et plus importantes vérités de la Foy (1667). – 3. La Vie du R. P. Maistre Jean Avila, prestre seculier (1641) . – 4. Le livre des Elus, Jésus-Christ en. Croix (1643). – 5. Les trois filles de job (1646). – 6. L’homme spirituel, 1ère partie (1646). L’homme spirituel, 2e partie : Les principes généraux de la vie spirituelle (1652). – 7. Le Maistre Jésus-Christ (1649). – 8. La Vie de Monsieur de Renty (1651) . – 9. Directoire pour les principales actions de la, vie chrétienne (1652). – 10. L’union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ dans ses principaux mystères, 2 vol. (1653). – 11. L’homme religieux, vol. 1, Des règles et des voeux de la Religion (1657); vol. 2, Des qualités nécessaires pour bien vivre dans une communauté (posthume, 1658). Comme écrivain, Saint jure n’a rien d’un novateur; son art premier est d’enchaîner les citations selon les catégories traditionnelles et la rhétorique classi­que. «La composition est d’une simplicité qui confine parfois à la pauvreté, mais la richesse et le développement font le charme de ses plus belles pages» (G. Bottereau). «Il préfère `les gens ordinaires’ et la `via regia’ du discours et de la contemplation méditative». Jésus Christ est le thème récurrent : indéfiniment repris, sous formes répétitives, mais sans cesse affinées. Le Christ en croix et l’in­sistance sur l’esprit du Christ, source et aboutissement de la connaissance et de l’amour, introduisent naturellement le second thème majeur, l’Esprit-Saint (cf. DS, XIV, pp. 154-163).
15)
Tissot (Joseph), auteur ascétique, né le 1.9.1840 à Annecy, décédé le 2.8.1894. Entré dans l’Institut des Missionnaires de S.-François-de-Sales, à Annecy, il en devient le Supérieur général. Il fut un bon prédicateur et auteur de plusieurs ouvrages visant la reprise de la spiritualité salésienne : La Flore mystique de st François de Sales, Paris 1873; Les Abeilles Mystiques, Paris 1880; La journée de Philothée; Petit Trésor Salésien de la Supérieure, Paris 1893. Plus connu fut l’ouvrage publié par lui mais dont l’auteur fut le chartreux François de Sales Pollien (décédé en 1936) : La Vie intérieure simplifiée, (une édi­tion italienne récente a paru sous le nom de ce dernier). L’objectif de l’ouvrage était de réagir contre le sentimentalisme dans la dévotion en la ramenant à ses principes essentiels : la fin de l’homme, la gloire de Dieu et, en deuxième lieu, le propre bonheur, la voie qui y mène : la volonté de Dieu, telle quelle apparaît dans ses commandements on dans les événements acceptés de sa Providence; les moyens, de la part de Dieu, sont la Grâce et, de notre part, les exercices de dévo­tion où l’esprit intérieur est plus important qu’une «fidélité mécanique à des pra­tiques extérieures», l’auteur culmine en citant le Christ, notre vie et Chef du Corps Mystique (EC).
16)
Nouet (Jacques), jésuite (1605-1680). Il entra dans la Compagnie de Jésus le ler septembre 1623. En mars 1632, peu avant la fête de saint Joseph, Louis Lallemant, directeur spirituel des jésuites encore en formation, appelle Jacques Nouet et Paul Ragueneau et leur propose de demander ensemble à saint Joseph la grâce qu’ils désirent. Nouet demande de pouvoir parler et écrire de Notre ­Seigneur de façon digne. Pierre Champion qui rapporte le fait ajoute avec raison «Cette grâce a paru avec éclat tout au long de sa vie. Des preuves en ont été ses prédications et ses livres, et surtout son grand ouvrage sur Jésus-Christ, l’ouvrage qui lui a coûté plusieurs années de travail et qu’il n’a achevé que peu avant sa mort» à Paris, le 21 mai 1680. Œuvres: 1. Bouquet de myrrhe, ou considérations diverses sur les plaies de N. S. J. C. (1653). 2. Responses aux Lettres provinciales… (1657). 3. De la dévotion à l’ange gardien (1661). 4. La présence de Jésus-Christ dans le très saint-Sacrement… (1667). Collection complète de ses œuvres : 26 volumes, suivies de Tables générales auxquelles s’ajoutera un 27e volume sous le titre : Méditations spirituelles, à l’usage des personnes qui veulent avancer dans la perfection. Le thème général du grand ouvrage publié durant les six dernières années de sa vie et l’année qui suivit (1674-1681) est : L’homme d’oraison; sa conduite dans les voies de Dieu, contenant toute l’économie de la méditation, de l’oraison affective et de la contemplation; ses retraites; ses méditations et ses entretiens pour tous les jours de l’année; ses lectures spirituelles. a. La conduite de l’homme d’oraison dans les voies de Dieu est un directoire général de l’oraison mentale. b. Les retraites. c. Les méditations et entretiens (18 volumes). d. Les lectures spirituelles. Il conclut tout l’ouvrage par un entretien qui exprime sa dévotion personnelle la plus notable : De la parfaite union avec Dieu dans le très saint-Sacrement (cf. DS XI, 450-456).
17)
Cf. NHV. Index onomastique, vol. 8, p. 249.
18)
Le P. Gabriel Grison, dehonien, cf. NQ, vol. 1, note 55, p. 502. Barth (Joseph-Luc) dehonien, né le 6.10.1871 à Walk (Alsace); profès le 14.9.1893 à Fourdrain; prêtre le 22.9.1900 à Paris; missionnaire au Zaïre (1904­1907); décédé le 22.8.1907 à Banalia (Zaïre). Bittkau (Guillaume-Anastase) dehonien, né le 12.9.1875 à Essen (Allemagne); profès le 24.9.1900 à Sittard; prêtre le 24.7.1904 à Louvain; au Brésil du Nord (1904) et au Zaïre (1904-1905); décédé le 19.1.1905 à Monsembe (Zaïre). Justen (Joseph) dehonien, né le 20.9.1872 à Altstrimmig/Bullay (Allemagne); profès le 19.3.1901 à Clairefontaine; missionnaire au Zaïre (1901-1912); décédé le 2.12.1935 à Bruxelles. Justen (Pierre-Placide) dehonien, né le 1.7.1876 à Altstrimmig/Bullay (Allemagne); profès le 10.10.1903 à Fünfbrunnen (Luxembourg); missionnaire au Zaïre (1904-1905); décédé le 21.1.1905 à Bangala (Zaïre).
19)
Le Père Guillaume Adrien-Jean du Cénacles dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 1, p. 463. Le nom religieux de la soeur du P. Guillaume est Soeur Marie Jean du Cénacle (cf. Sint Unum, Louvain 1946, juin, n. 18 : «Relations épistolaires du Père Dehon avec les Religieuses Victimes», p. 6, p. J. Jacques, scj). Dans une lettre de Soeur Marie-Agathe nous lisons: «Sr Marie du Cénacle avait un véritable culte pour son frère. Leur union en Dieu était très étroite et très inti­me et la mort du Père Jean n’avait fait que rendre cette union d’âmes plus étroite encore. Notre Soeur Marie du Cénacle était elle-même une bonne religieuse, très pieu­se et très énergique, mais je vous dirai très confidentiellement, mon Révérend Père, que son tempérament maladif influait grandement sur son caractère entier, difficile et, si je peux employer cette expression, «anguleux». Son amour très sincère pour Dieu et la haute idée qu’elle avait des saintes exigences de la voca­tion… de Victime la poussaient toujours à lutter contre ces tendances naturelles et sa mort, après de longues années de souffrances physiques supportées avec une généreuse endurance fut des plus édifiantes et des plus belles» (lettre de Sr Marie­-Agathe, Maison-Mère des Religieuses-Victimes du Sacré-Cœur, Draveil, 23 mars 1952).
20)
Delgoffe Arthur-Paul de la Croix, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 12, p. 457.
21)
Ap 9, 14-21.
22)
Pie X.
23)
Cette situation est présentée de façon très claire dans les «Souvenirs» de Mgr Philippe. A l’époque le Supérieur de la maison de Rome était le P. Barthélemy Dessous (cf. NQ, vol. 1, note 95, p. 524). Le P. Dessons était aussi Procureur général auprès du Saint-Siège. Hélas, il avait un tempérament très instable. Il lui arrivait de rester pendant des semaines dans une attitude d’un nihi­lisme absolu, ce qui naturellement provoquait au sein de la communauté un malaise. Joseph Laurent Philippe, étant le scolastique le plus âgé était aussi le con­seiller du Supérieur. Peut-être fatigué aussi par un long voyage, il eut un jour le courage de répondre aux doléances du Supérieur: «N’oubliez pas, cher Père, que s’il y a des problèmes dans une communauté ce n’est pas forcément la faute des sujets». La communauté était composée de dix étudiants dont quatre étaient prêtres (3 Français, 3 Allemands, 2 Italiens, 2 Luxembourgeois). L’année s’écoulait normalement. Toutefois, le P. Dehon était inquiet au sujet de la situation à Rome et voulait, peut-être, s’y rendre personnellement afin de l’arranger: «On me tire 3/4 à Rome dans le dos» (sic!), c’est ainsi qu’il écrivait à un scolastique en décembre 1904. Quelques semaines plus tard, le P. Louis Heinrichs reçoit une lettre lui ordonnant de laisser Rome immédiatement et de se rendre à Sittard. Déjà la première missive avait suscité une certaine effervescence. La présente lettre a provoqué un choc au sein de la Communauté. Le P. Heinrichs se rendit chez le Cardinal Vicaire et obtint un document qui lui ordonnait de rester à Rome. En voilà la raison : Pie X avait programmé la visite pastorale du diocèse de Rome. Il pensait l’effectuer par l’intermédiaire des ecclé­siastiques de confiance. Il l’avait annoncée en janvier 1904 et elle était com­mencée en octobre 1904. Devant l’ordre du Cardinal Vicaire, le P. Dessons décida de lui rendre visité. Mais le Cardinal Vicaire confirma que le P. Heinrichs devait rester à Rome en attendant la visite pastorale du représentant du Pape. Louis Heinrichs, né le 14.5.1876 à Witten (à Deuzen, selon le Registre du per­sonnel du P. Dehon, à la p. 44), profès le 1.10.1897, prêtre en août 1901, était un jeune prêtre très doué et très porté à la recherche abstraite. Il était très attaché au grand théologien de l’époque, le jésuite le P. Billot et apprenait sans difficulté son enseignement. C’est pour cela seulement qu’il restait volontiers à Rome. Aussi dans les années passées, le P. Rattaire, le préfet des études à Sittard, avait recom­mandé au P. Prévot et au P. Dehon cet élève exceptionnel qui à sa première profes­sion avait choisi le même nom que celui du Fondateur: Jean du Cœur de Jésus. Le P. Dehon l’avait favorisé de toutes les manières possibles et lui avait aussi permis d’effectuer des voyages en France. Et voilà cette opposition imprévue vis-à-vis du P. Fondateur. Le P. Heinrichs était affecté d’un certain «chauvinisme». Rester à Rome et en Italie lui plaisait parce qu’il faisait partie de la Triple Alliance. Par contre, le Vatican, les cérémonies religieuses, les basiliques le laissaient indifférent. Il a séjourné à Rome pendant longtemps et il n’a jamais mis le pied dans la basilique St-Pierre. Le P. Dehon dut envoyer son assistant, le P. Barnabé Charcosset (cf. NQ, vol., 1, note 98, p. 509), un homme très cultivé, plein d’expérience et de bon juge­ment. Il obtint en «haut lieu» l’autorisation d’effectuer une visite canonique, en renvoyant momentanément la visite canonique pontificale. Il obtint également de la Curie romaine l’accord pour que le P. Heinrichs quitte Rome immédiatement et n’y retourne qu’à la fin de l’année académique pour l’examen de doctorat à l’Université Grégorienne. Le P. Desson dut également démissionner en tant que Supérieur de la communauté tout en restant Procureur de la Congrégation auprès du Saint-Siège. Comme responsable temporaire de la communauté c’est le P. Joseph Laurent Philippe qui fut choisi, bien qu’il fût encore étudiant. En réalité, le P. Heinrichs, au lieu de se rendre à Sittard, conformément à l’ordre du P. Dehon, alla chez le P. J.-B. Rattaire, son ancien préfet des études à Sittard qui était à l’épo­que aumônier et précepteur dans un château en Bavière. La châtelaine l’accueillit très aimablement. Mais le P. Dehon ne put accepter une pareille solution, contrai­re à toute obéissance et interdit que le P. Heinrichs fût accepté à la maison de Rome. Ainsi, on a dû lui trouver une place au collège de S. Maria dell’Anima. Après l’examen de doctorat, on rendit hommage au nouveau docteur par un repas amical à la maison de Rome. Ce Heinrichs va finir comme professeur au lycée de Bielefeld en Westphalie, après avoir obtenu le premier prix de philosophie de Kant, à Kônigsberg (cf. Souvenirs de son Exc. Mgr Philippe, pp. 136-143).
24)
Cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, o.c., p. 414. Maître (Me) est un titre accordé aux avocats et aux notaires.
25)
Cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, o.c., p. 408 ss.
26)
Le Supérieur de la maison de Sittard était le P. André Prévot. La plupart des vocations venaient de l’Allemagne. Au sein d’un groupe de jeunes Allemands naît donc le désir que la direction de la maison soit confiée à un Père allemand. C’est un désir bien compréhensible et partagé par le P. Prévot. Mais cette deman­de arrive à Rome directement à la Congrégation des Evêques et des Religieux. Le Procureur général, le P. B. Dessons, l’apprend par un petit mot affiché au tableau de la Congrégation: «Casus Patris X, Sittard». Rome le fit savoir à l’évêque de Roermond dont dépendait Sittard. Ce dernier convoqua le P. A. Prévot qui appre­nait ainsi la vérité. Rome répondit que, pour le moment, rien ne devait changer. Seulement, un religieux allemand, (un jésuite) tiendrait une conférence par mois, en allemand, et il écouterait les religieux qui voudraient lui parler (Souvenirs de son Exc. Mgr Philippe, pp. 143-144).
27)
Philippe (Joseph-Laurent) dehonien, né le 3.4.1877 à Rallingergrund (Luxembourg); profès le 18.9.1897 à Fayet; prêtre le 28.5.1904 à Rome; Secrétaire général (1911-1919); Conseiller général (1918-1926); Supérieur local de la maison de Bruxelles (1919-1926); deuxième Supérieur Général (1926-1935); Evêque de Luxembourg (1935-1956); décédé le 21.10.1956.
28)
Les PP. Billot et Bucceroni, jésuites : cf. NQ, vol. 1, notes 58 et 56, p. 533.
29)
Le P. Prévot Léon-André, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 96, p. 524
30)
Couronnes d’amour au Sacré-Cœur (3 vol.). Méditations sur la vie d’amour envers le Sacré-Cœur de Jésus en union avec ses mystères, par le T.R.P. Dehon. Première couronne: «Incarnation, vie cachée et vie apostolique». Deuxième couron­ne: «La Passion». Troisième couronne: «L’Eucharistie», Castermann, Tournai 1905.
31)
Pergent Alfred-Joseph-Marie, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 9, p. 463.
32)
Pour le P. Bittkau, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 19, p. 466. Pour le f. Justen, dehonien: cf. NQ vol. 3, note 40, p. 466.
33)
Le Procureur Vitry, cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio o.c., p. 414.
34)
Schmitz Joseph-Hermann, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 3, p. 454.
35)
Herr Jacques-Marie-Ernest, cf. NQ, vol. 1, note 98, p. 524.
36)
Kusters (Mathieu-Gerlach) dehonien, né le 5.8.1866 à Spanbeek (Pays-Bas); profès le 29.9.1895 à Sittard; prêtre le 10.8.1898 à Luxembourg; Supérieur local de la maison de Bergen op Zoom (1900-1903); Conseiller général (1905-1911 et 1919-1935); Supérieur local de la maison de Louvain (1905-1911), de Heer (1911­1917), de Lanaken (1921-1926), il était en Angleterre (1936-1944), Supérieur local de la maison de Redbourn (1936-1944) ; Supérieur Régional d’Angleterre (1940-1944); Maître des novices dans la maison de Redbourn (1940-1944); décédé le 24.10.1944 à Hemel Hempstead-Hertfordshire – (Angleterre).
37)
Cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio o.c., pp. 414-415.
38)
Cf. NQ, vol. 3, note 8, p. 463.
39)
Cf. NQ, vol. 3, note 19, p. 466.
40)
Justen Joseph, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 19, p. 466.
41)
Graaff Jean-Pierre, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 43, p. 461.
42)
Kohl Hermann Philippe, cf. NQ, vol. 2, note 62, p. 670.
43)
Blancal Bernard-Germain du St Sacrement, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 37, p. 514.
44)
Hermans (Charles-Albert) dehonien: né le 16.4.1875 à Jabeek (Pays-Bas); profès le 4.10.1896 à Sittard; prêtre le 9.6.1900 à Lille; Supérieur local de la mai­son de Bergen op Zoom (1905-1911); Conseiller prov. de la Province Occidentale (1909-1911); Conseiller prov. de la Province Néerlandaise (1911 et 1921-1941); Conseiller général (1911-1919); Supérieur local de la maison de Heer (1917-­1923); décédé le 21.2.1964 à Asten (Pays-Bas).
45)
Lobbé Albert, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 99, p. 524.
46)
Cf. NQ, vol. 3, note 20, p. 467.
47)
C’est le P. Guillaume Adrien-Jean du Cénacle, dehonien: Cf. NQ, vol. 3, note 1, p. 463.
48)
Selon le Registre du Personnel ou R.P., du P. Dehon, il semble qu’il s’agit du P. Edouard Warcoing, Mathieu (nom de religion), né le 28.1.1861 à Seraucourt le Gd; profès le 2.11.1891; prêtre en décembre 1894; sorti de la Congrégation en octobre 1896.
49)
«Préférer la maladie à la santé».
50)
Cambron (Léon-Adolphe) dehonien, né le 20.11.1882 à Bruxelles; profès le 25.9.1901 à Sittard; prêtre le 23.9.1905 à Malines; missionnaire au Zaïre (1906­1943); décédé le 30.9.1943 à Ibambi (Zaïre).
51)
Cf. NQ, vol. 3, note 1, p. 463.
52)
Cf. NQ, vol. 3, note 24, p. 467.
53)
Pour avoir une idée de la situation au Brésil du Nord, cf. G. Manzoni sci, Tre fiamme, una luce, St. Deh. 24, Roma 1990, pp. 91-93. Pour l’histoire de la Province du Brésil du Nord, cf. J. Polmann scj, Missào de esperanca.
54)
Le P. Roth Sébastien-Modeste, dehonien: cf. NQ, vol. l, note 48, p. 501; le fr. nov. Martin-Louis Tharcis, cf. NQ, vol. 1, note 8, p. 526.
55)
Cf. G. Manzoni scj, Tre fiamme, una luce, o.c., p. 70.
56)
Mgr j.-A. Pignon, cf. NQ, vol. 3, note 9, p. 439.
57)
Cf. G. Manzoni scj, Tre flamme, una luce, o.c.”Adrien-Alphonse Rasse”, pp. 5-73. La correspondance avec sa soeur, Sr Dominique du S. Rosaire, mission­naire à Haïti, est en bonne partie reproduite dans l’ouvrage : «Un Prêtre du Sacré-­Cœur. Vie édifiante du R.P. Alphonse-Marie Rasset… d’après ses lettres et ses notes, mises en ordre par le Rév. Père Dehon», Lille 1920, 380 p., cf. OSp., vol. 6, 151-385.
58)
Le P. Kusters Mathieu-Gerlach, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 37, p. 469.
59)
Wulfers Jean-Laurent, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 40, p. ??? Frassle (Joseph-Clément-Marie) dehonien, né le 26.1.1878 à Freiburg (Allemagne); profès le 8.9.1900 à Sittard; prêtre le 1.10.1905 à Louvain; missionnaire au Zaïre (1905-1920); décédé le 13.1.1929 à Freiburg (Allemagne).
60)
P. A. Alphonse Rasset, dehonien.
61)
P. Modeste Roth, dehonien.
62)
Mgr Deramecourt Augustin-Victor, évêque de Soissons (1898-1906); cf. NQ, vol. 2, note 88, p. 647.
63)
Un Prêtre du Sacré-Cœur. Vie édifiante du R.P. Alphonse-Marie Basset…, par le Rév. Père Dehon, cf. OSp., 6, pp. 151-385..
64)
Lecouturier, cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon. e il suo messaggio, o.c., pp. 414­415.
65)
Lobbé Claude-Albert, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 99, p. 524. Legrand Orphilas-Mathias, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 63, p. 453.
66)
Falleur (Théodore-Stanislas) dehonien, né le 17.6.1857 à Elfry (Aisne); profès le 21.11.1881 à St-Quentin; prêtre le 23.9.1882 à Soissons; Econome géné­ral (1888-1934); Supérieur local de la maison de St-Quentin (1908-1913 et 1924-­1929), cf. G. Manzoni scj, Tre fiamme, una luce, o.c., «Teodoro Stanislao Falleur», pp. 125-219.
67)
Glod Sebastien, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 38, p. 460.
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