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23ème CAHIER (22.12.1906 – 9.9.1907)

1 Notes quotidiennes

Le régime fédéral a l'avantage de décentraliser l'administration et de créer des centres autonomes propres à développer la vie provinciale, mais il a l'inconvénient de porter partout l'agitation et les intrigues élec­torales.

Chacune des provinces a les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judi­ciaire: un gouverneur élu, une chambre, un sénat, des ministres, des tri­bunaux. Et cependant il y a des états qui n'ont que de 50.000 à 80.000 habitants.

Ces provinces peu fortunées, dont les revenus sont insignifiants et 2 dont la population ne paraît pas devoir s'accroître grandement, paient cher cet honneur d'avoir un gouvernement complet.

Ne pouvant se suffire à elles-mêmes, elles recourent au gouvernement central, qui les aide pour ne pas s'aliéner au Congrès le concours des re­présentants de ces provinces.

Ces provinces empruntent sans discernement, fondent des banques pour faciliter le commerce… ou la spéculation.

Neuf sur quatorze n'ont pas pu répondre à leurs engagements, et l'état fédéral a dû engager son propre crédit pour régler des dettes faites en dehors de lui et sans contrôle sérieux: (Martinez: L'Argentine au XXe siècle).

Les Argentins ont manifesté aussi dans le développement des chemins de fer leur esprit progressif. C'est 3 par là qu'ils ont mis en valeur les pampas, en offrant aux produits de la culture des débouchés vers la mer.

Le réseau argentin s'est développé avec une grande rapidité. Il atteint en 1905 20.000 kilomètres.

Les lignes argentines sont confortables. Elles ont des wagons-lits et des restaurants.

Le transandin a déjà atteint la frontière du Chili à 3.158 m. d'altitu­de. On estime qu'en 1909 le raccordement sera terminé. Le trajet entre Valparaiso et Buenos-Aires se fera en moins de 40 heures, alors que le voyage par mer demandait 15 jours.

Le chemin de fer du Sud va jusqu'à Neuquén. On parle de le prolonger aussi jusqu'au Chili. Le Chili a besoin des céréales de 4 l'Argentine.

La superficie des terres cultivés en Argentine était évaluée à 3 millions d'hectares en 1891 - elle est de 19 millions d'hectares en 1905.

Les céréales, froment et maïs, sont les principales cultures.

Le lin et la luzerne se développent grandement. On fait de la canne à su­cre à Tucuman; de la vigne dans les provinces de Mendoza et San Juan. L'élevage se fait surtout dans les provinces de Buenos-Aires, Santa Fé, Entre Rios et Córdoba.

Le pâturage et le labourage se partagent à peu près également les 10 millions d'hectares cultivés.

L'Argentine est encore, au point de vue de la constitution de la pro­priété 5 rurale, dans un état presque féodal, en raison de l'énorme étendue de terres qui est accaparée par un petit nombre de possesseurs.

Les estancias, ou grandes propriétés, occupent des superficies qui va­rient entre 5.000 et 75.000 hectares. Quelques-unes même arrivent jusqu'à 175.000 - tandis qu'en France la moyenne des propriétés est de 8 hectares, aux Etats-Unis de 58 hectares.

L'Etat a donné ou vendu à bas prix ces grandes régions sans aucune prévoyance.

C'est un odieux système de latifundia. Il existe 1 million d'hectares en propriétés de 10.000 à 40.000 hectares, trois millions en propriétés de 40.000 à 80.000 hectares; trois millions au-dessus 6 de 80.000. C'est­-à-dire qu'il y a bien sept millions d'hectares exploitables et cultivables qui, aux mains de capitalistes indolents, restent inutilisés pour l'accrois­sement de la population et de la production.

Il y a cependant une tendance dans le sens du morcellement des pro­priétés, venant tant des pouvoirs publics que des propriétaires et des en­treprises commerciales.

La loi de 1903 sur les propriétés ne permet plus l'acquisition au profit d'une seule personne, de plus de 2500 hectares sur le domaine de l'Etat. L'Etat dispose encore de 86 millions d'hectares cultivables. Diverses sociétés vendent leurs propriétés en détail. Par ex. la Banque commerciale et agricole du Rio della Plata a formé huit 7 centres de population dans la province de Córdoba.

Les journaux sont remplis et les murs sont couverts d'annonces pour la vente aux enchères de terrains de culture.

Malheureusement le système d'exploitation qui domine est encore le fermage ou le métayage, ce qui n'attire pas les colons.

En 1878, la production agricole n'excédait guère les besoins du pays, aujourd'hui l'exportation est énorme. Dans les onze dernières années, on est arrivé à exporter des quantités étonnantes.

Blé1888 =815.000 hectolitres
«1895 =2.000.000
1902 =3.600.000
1905 =5.000.000 8
Maïs1888 =800.000
1895 =1.200.000
1902 =1.800.000
1905 =2.300.000
Luzerne1888 =400.000
1895 =700.000
1902 =1.700.000
1905 =2.000.000
Lin1888120.000
1895390.000
19021.300.000
19051.082.000

La luzerne sert à deux fins: l'exportation sous la forme de foin-luzerne et l'alimentation du bétail.

60 millions d'hectares non cultivés sont affectés à l'élevage des mou­tons (120 millions de têtes), des bêtes à cornes (30 millions de têtes) des chevaux et des mules 9 (cinq millions).

En vingt ans, la pampa a acquis 60.000 habitants, 20 centres de popu­lation, 300.000 hectares en culture….

On y emploie les instruments de culture perfectionnés, importés des Etats-Unis.

L'estancia traditionnelle où les animaux broutaient l'herbe exposés à toutes les intempéries dans des vastes champs clôturés de fils de fer, se transforme peu à peu en fermes bien soignées où l'on fait des luzernières de 5.000, 10.000, 20.000 hectares.

L'élevage scientifique des troupeaux de race fine et la culture de la ter­re soigneusement clôturée ont créé la véritable industrie pastorale. Des écuries et des étables remplacent 10 l'antique corral. De la gare du che­min de fer, le propriétaire enrichi arrive à son estancia en voiture. La vieille habitation rustique s'est convertie en une véritable maison de campagne, parfois en un château avec parc et jardin.

Il y a des estancias à cent lieues de Buenos-Aires où maintenant les voitures attelées à l'anglaise parcourent la plaine et où l'on dîne en tenue de soirée dans de somptueuses demeures. Les éleveurs européens ont fait reculer le gaucho jusqu'aux confins du désert.

Les grands établissements d'élevage remarquables par l'étendue de leurs champs, le nombre et la sélection des animaux et les magnifiques résidences des maîtres, se comptent par centaines et même par mil­liers. 11

Martinez en cite quelques-uns.

- L'estancia San Juan à 40 kil. de Buenos-Aires, fondée par M. Perey­ra, a 100 kil. carrés de champs en plein rendement.

- L'estancia San Jacinto, à M. Angel de Alvear, une des plus belles, a 625 kil. carrés, presque un arrondissement de France, avec 100.000 bê­tes à corne de la race Durham, 100.000 moutons Lincoln et 10.000 che­vaux.

- L'estancia Huetel à M. Casarès, à 280 kil. de Buenos-Aires, a 625 kil. carrés (62.500 hectares) tout clôturés par des fils de fer et divisés en 42 établissements d'élevage, avec 57 maisons de bergers et 5 maisons de maîtres…

Le parc de cette estancia a une étendue de 208 hectares, contenant en­viron 520.000 plantes forestières, 870.000 arbustes et 35.000 petits ar­bres… 12

- L'estancia et Condor, en Patagonie, avec 175.000 hectares, 160.000 moutons, 40 tondeuses à vapeur, presses hydrauliques, bains pour les moutons chauffés par des chaudières à vapeur…

Des fermes de cette région sont reliées par le téléphone à 100 lieues de distance avec Puerto Gallegos ou Punta Arenas…

L'espace dont l'élevage peut encore disposer pour se développer dans l'Argentine est presque illimité.

Le recensement de 1895 a donné 75 millions de moutons et 20 millions de bêtes à cornes. Ces chiffres pourraient être facilement plus que dou­blés. 13

Les principales industries du pays se rattachent à son agriculture et à son élevage, qui lui fournissent les matières premières pour la fabrica­tion de divers produits alimentaires.

Sucreries. Cette industrie remonte aux jésuites. Il y a aujourd'hui tren­te grandes sucreries dans les régions de Tucuman et de Rosario. Elles produisent 130.000 tonnes par an, et le pays en consomme 115.000.

Minoterie. Cette industrie aussi date du XVIe siècle, mais elle ne s'est organisée et développée que depuis vingt cinq ans. On compte 700 mou­lins et ils exportent 100.000 tonnes de farine.

Frigorifiques. Parmi toutes les industries de l'Argentine, celle des frigo­rifiques pour la conservation des viandes par la congélation occupe le premier rang. 14

Elle tend à remplacer les saladeros préparant des viandes salées. Six ou sept grandes compagnies exploitent les frigorifiques.

La société Smithfield a des installations qui lui permettent d'abattre 150 boeufs et 600 moutons par jour.

La société Kemmerich pour la fabrication de l'extrait de viande a un capital de 12 millions de francs et son siège à Santa Elena dans la provin­ce d'Entre Rios. Elle possède sept mille kil. carrés de terres, 340.000 bê­tes à cornes, 20.000 chevaux et 50.000 moutons.

Les établissements frigorifiques ont exporté dans les 10 premiers mois de 1905: trois millions de moutons entiers et un million et demi de quar­tiers de boeufs. 15

Industrie laitière. L'Argentine ayant importé sur son sol d'excellentes va­ches du type Durham ou hollandais, obtient des produits de première qua­lité. Elle exporte du beurre en Angleterre, au Brésil et dans l'Afrique du sud. Cette exportation est montée (de 1895 à 1905) de 500 tonnes à 7.500.

Brasseries. Bien que ne produisant ni le houblon ni l'orge, l'Argentine a des brasseries prospères.

La brasserie française de Quilmés, la plus considérable, fabrique 180.000 hectolitres, sur les 380.000 que consomme le pays.

Alcools. La production de l'alcool est heureusement en décroissance, son chiffre actuel étant de 155.000 hectolitres, alors qu'en 1897 il était de 300.000. Il faut dire que l'impôt, qui était primitivement de 7 centavos 16 par litre a été porté à 1 piastre, soit cinq fois le prix coû­tant de l'alcool.

La spéculation sévit encore en Argentine. Elle a eu son maximum de crise en 1890. Le capital nominal des sociétés anonymes s'élevait en 1882 à 10 millions de piastres. Mais comme la fièvre de la spéculation et des affaires croissait toujours davantage, et comme les titres que l'on je­tait sur la place étaient absorbés de suite avec de beaux bénéfices pour les émetteurs, la fondation des sociétés anonymes suivit une marche ascen­dante qui ne correspondait pas à un véritable progrès des affaires.

Ainsi l'on vit avec surprise que de 13 millions en 1885 le capital des sociétés monta à 34 millions en 1886, à 95 millions en 1887, à 198 mil­lions en 1888, à 378 millions en 1889. 17

En 1890, la crise financière, longtemps ajournée par des moyens artifi­ciels, éclata d'une façon terrible, en même temps qu'une révolution se déchaînait. Les établissements de banques s'écroulèrent. La monnaie fidu­ciaire fut dépréciée. Le capital des sociétés anonymes tombait à 190 mil­lions en 1890, pour descendre en 1891 au modeste chiffre de 13 millions.

Les émissions ont repris dans ces dernières années; puissent-elles être sérieuses! Les sociétés anonymes fondées de 1902 à 1904, représentent un capital nominal de 800 millions de piastres!!!

Le budget grossit chaque année, surtout depuis 1891. L'accroisse­ment de la population explique en partie cette progression; mais il faut aussi la mettre à la charge de la mauvaise 18 administration.

La dette publique, commencée en 1822 par un emprunt d'un million de livres sterling est arrivée en 1905 à 366 millions de piastres or (une piastre = environ 5 francs) et 80 millions de piastres papier (demi-piastres or).

L'Etat est mal administré.

«Chez nos gouvernants, dit M. Terry, professeur de finances à l'uni­versité de Buenos-Aires, c'est la mauvaise éducation, les habitudes con­tractées, le manque de sérieux et le mensonge comme dérivé, qui for­ment le défaut national, et font de nous de mauvais administrateurs et de plus mauvais hommes d'Etat encore. On fait passer l'intérêt de la patrie après l'intérêt individuel, et on sert non le pays mais soi-même, ses pro­pres ambitions et celles du cercle auquel on appartient…… 19

Le même professeur prévoit ou redoute une banqueroute, qui serait la troisième en un siècle.

Chacun des 5 millions d'habitants de l'Argentine doit contribuer an­nuellement, pour 25 piastres or au soutien des administrations publiques (Etat, province, commune).

Le personnel de l'administration est excessif. Il dépasse même ceux de France et d'Italie où règne la plaie du fonctionnarisme.

De 1898 à 1904, le budget a été chaque année en déficit.

D'après l'annuaire statistique, dans le cours de l'année 1903, il s'est joué à Buenos-Aires, en courses et loteries, pour 116 millions de francs. C'est là un fléau qui peut arriver à constituer une calamité nationale, s'il n'est pas combattu avec énergie. 20

Le gouvernement a manifesté l'intention de présenter au congrès un projet supprimant les loteries.

La République a deux sortes de monnaie, la piastre or et la piastre pa­pier, dont les relations subissent des fluctuations, selon le change.

Le dernier président Quintana projetait de belles réformes: adoption de la monnaie d'or sur la base du franc, réduction progressive des im­pôts, épargne des deniers publics, réforme des excès du protectionisme en matière de douanes.

Le franc est déjà l'unité monétaire de onze pays du monde et les prin­cipales nations de l'Amérique du Sud pensent à l'admettre, mais il y a souvent loin des projets à l'action. 21

Les républiques de l'Amérique latine aiment à se comparer l'une à l'autre.

Voici des notes données par M. Valdès Vergara, surintendant des douanes du Chili en 1902.

«La vie nationale du Chili, dit-il, est fondée sur des assises précaires, qui s'affaiblissent avec les années et qui doivent s'épuiser assez rapide­ment, à mesure qu'augmentent la quantité de salpêtre exporté et l'impôt que les consommateurs étrangers paient au trésor chilien. D'autres peu­ples américains ont réussi à fonder leur existence sur une base définitive en utilisant des sources inépuisables de richesses qui ouvrent des hori­zons illimités à leur progrès.

La République Argentine obtient de ses terres de culture et de ses champs de pâturage des produits d'exportation 22 qui en 1903 valent cinq fois plus que le salpêtre exporté par le Chili.

L'Argentine paie plus d'impôts et parvient encore à acheter plus d'ob­jets importés. Elle est donc plus riche que le Chili.

Le Mexique a couvert de chemins de fer son vaste territoire, a compen­sé par l'exportation de cuivre, de l'or et des textiles, la perte que la baisse de l'argent lui a fait subir, et a établi avec succès, entre autres industries, celle du fer, qui fournit des rails pour tous les chemins de fer mexicains, et celle des tissus de coton, qui produit suffisamment pour la consomma­tion nationale et pour l'exportation. Il a 125 fabriques de tissus, qui con­somment annuellement 30.000 tonnes de coton et fournissent du travail à 30.000 ouvriers. 23

Le Brésil possède d'immenses richesses grâce à ses produits de la zone tropicale. Les exportations de café, de caoutchouc, de sucre, de tabac, de maté, de cacao et de coton atteignirent, en 1901, 500 millions de pias­tres d'or de 5 francs.

Le tarif brésilien des droits d'importation est très élevé. En 1901 les marchandises importées, pour une valeur de 20 millions de livres ster­ling, ont payé 10 millions et demi de livres sterling, soit 53%.

Le Chili exporte pour 12 millions de livres sterling, l'Argentine 33 mil­lions, le Mexique 14 millions, le Brésil 40 millions.

La population du Brésil est formée, pour plus de moitié, de gens de la classe pauvre, 24 qui ne consomment que peu d'articles de fabrication européenne.

L'Argentine et le Brésil ont un bel avenir économique si ces deux ré­publiques se développent sagement.

L'élevage donnera de très beaux résultats, s'il n'est pas contrarié par les épidémies et la sécheresse.

Une bête maigre coûte en Argentine 30 francs, la bête grasse 60. Le rendement net de tous frais est de 30%.

Très souffrant d'une fluxion je médite cette belle pensée de David pé­nitant à Ps. 37: «Ego in flagella paratus sum et dolor meus in conspectu meo semper, quoniam iniquitatem meam adnuntiabo et cogitabo pro peccato meo [vv. 18,19]. Je complète et j'écris ma retraite sur la mer.

Je lis dans la Quinzaine Coloniale un décret du 24 juillet, qui organise la propriété foncière dans toutes nos colonies de l'Ouest africain, comme étant de nature à favoriser le développement moral des populations; en attachant l'homme à la terre… (Leygues). Très bien, mais la théorie so­cialiste? Elle n'est donc pas bonne pour les nègres? Mais la spoliation des églises et des religieux, comment l'expliquerez-vous aux nègres? On concède aux soudaniens la propriété, l'usufruit, 26 l'emphytéose, l'hypothéque et l'antichrèse. Si on nous accordait la moitié de ce qu'on accorde aux nègres nous nous en contenterions.

Le 24, journée de mer. Où sont mes nombreuses confessions des soi­rées de Noël? Préparation: «Sanctificamini die crastina descendet Dominus et auferet a vobis omnem languorem, delebitur iniquitas terrae».

Noël à Santos. Je dis la messe au Carmo. Il y a là des Carmes hollan­dais nouvellement installés. Ils n'ont qu'une paire de burettes pour deux autels. Ils n'ont pu me laisser dire qu'une messe, faute de pains d'autel. Le travail chôme, mais les cabarets sont animés.

C'est mon troisième passage à Santos. Ce beau port est dû à 27 l'esprit d'initiative des Paulistes. Je salue Notre-Dame de Mont­serrat. Toutes les dévotions de l'Espagne et du Portugal sont venues dans l'Amérique du Sud.

Fête de st Etienne, souvenir de ma mère. Séjour dans la rade de Rio. Je ne vais pas à terre, j'ai à négocier avec les employés de l'agence pour avoir ma valise, qui est arrivée de Recife. La valise arrive à bord, passa­blement mouillée par une pluie d'orage. J'aurais maintenant un autel mais il ne me servira pas, les Pères ayant oublié de mettre des pains d'autel dans la valise.

Quelques heures passées dans cette belle rade sont une jouissance. Un violent orage sur les montagnes ajoute aux impressions. 28

Fête de St Jean, en mer, sans messe et sans amis. Maints souvenirs se pressent: les fêtes de S. Jean à l'Institution, à S.-Clément…

J'ai trouvé un paquet de lettres à Rio, je les lis, cela me donne un peu de vie de famille.

Je lis la Revue bleue du 3 nov. L'universitaire, Gustave Lanson, avoue que l'enseignement donné par l'Etat ne forme ni la raison, ni la réflexion, ni le jugement! Et alors? que ces messieurs démissionnent! Former des perroquets peut avoir quelque charme, mais former un peuple sans raison, sans réflexion, sans jugement, quelle responsabilité! Et ces messieurs se préparent froidement à prendre le monopole, avoué ou déguisé, de l'enseignement! 29

Le 28, un peu de fraîcheur: vents alizés du nord-est.

Revue bleue. Lanson avoue que l'intellectualisme et le rationalisme sont devenus des termes injurieux ou à peu près. Le sentiment seul est goûté. L'université nous a donc jetés en plein Kantisme. Voilà toute une nation qui méprise la raison, qui s'insurge contre le bon sens, le sens commun et s'abandonne aux absurdités du scepticisme. Nous reprenons Kant au moment où l'Allemagne l'abandonne. Notre jeune clergé même est at­teint par les études de préparation à la licence. C'est la crise de la certitu­de. Il faut rétablir en philosophie les bases de la connaissance et de la croyance et remettre en honneur Aristote et st Thomas. 30

Même revue: étude sur les flottes de guerre. En 1919, nous aurons 17 grands cuirassés, quand l'Allemagne en aura 28. Nous serons au 4e rang, après l'Angleterre, l'Allemagne, les Etats-Unis.

Le 29, quelle belle mer blanche! Sous les courants équatoriaux, la mer est plus claire et plus belle.

Dimanche. Il y a eu un décès à bord dans la nuit. Un pauvre Portu­gais phtisique est mort d'une hémorragie. On l'a sans doute vu trop tard et on ne m'a pas appelé. On fait les funérailles le soir, à l'heure du dîner des premières. Le cadavre est dans un cercueil à jour avec des pierres pour qu'il s'enfonce vite. On le dépose au pont de troisième, il est cou­vert du pavillon des Messageries. Je lis 31 l'absoute, puis on fait glis­ser le cercueil sur une planche. Il oscille à droite et à gauche, puis il plon­ge dans l'océan. Trois coups de sifflet du commissaire remplacent les cloches.

Si au moins cet homme s'est préparé chrétiennement, qu'importe le sort de son cadavre!

Il faut peu de choses pour distraire les passagers: quelques marsouins, des poissons volants, le coucher du soleil et ses rayons verts. Les derniers rayons du soleil paraissent verts en effet quand son or se mêle au reflet bleu des courants équatoriaux.

Je m'unis aux dispositions chrétiennes qui animent partout les fidèles à pareil jour: repentir pour les fautes de l'année, action de grâce pour les bienfaits de la Providence.

32 1907

Pas de messe! Pas de souhaits! Pas d'amis! J'offre mon année au Sacré-Cœur de Jésus. La vieillesse vient vite, il faut nous faire saints.

6e jour de pleine mer. Nous avons passé la Ligne. C'est fête au ba­teau, mais sans grand mouvement. On fait une souscription pour les or­phelins de la marine.

Nous avons ce qu'on appelle le temps noir, le trou noir de la ligne, la mer d'encre. Il pleut toujours vers la ligne, parce qu'il y a la rencontre des vents alizés du nord et du sud, qui apportent chacun leurs nuées et les heurtent l'une à l'autre.

La mer semble noire, elle a cependant sous les bouillonnement 33 des hélices quelques reflets d'azur.

Nous rencontrons un beau trois-mâts italien avec 19 voiles tendues. C'est d'un bel effet. Comme il y a plusieurs jours qu'on n'a vu âme qui vive, on se salue chaleureusement.

Le soir, phosphorescences. La mer s'allume partout. Eclairs de cha­leur.

Je lis une étude sur l'industrie agricole à l'Argentine. La province de Buenos-Aires a 13 millions de bêtes à cornes. La viande s'exporte sous trois formes: extrait de viande, viande salée (carne secca), viande gelée.

L'établissement de viande gelée - la nigra, de Barracas, exporte un million de moutons par an. Cent bêtes sont tuées à la fois. Les tripes vont en Allemagne pour 34 faire des cordes de violon. La graisse de­vient margarine et stéarine. Les chambres réfrigérantes sont à 12° sous zéro. La viande y passe 3 à 4 jours. Il faut l'exposer deux jours à l'air li­bre pour la dégeler et la manger.

A Santa Fé, una laiterie utilise 10.000 litres de lait par jour et produit 12 tonnes de fromage par an.

Un saladero belge à Saint janvier emploie 2.000 ouvriers.

Le 3, vent et tangage. Nous avons des malades. Quelques-uns vivent sur le pont.

Les Argentins s'occupent au jeu de palet.

Vent frais du nord. Journée passée devant Dakar. On ne nous laisse pas descendre parce que nous venons 35 du Brésil. Je fais demander des pains d'autel aux Pères du St-Esprit, ils m'en envoient.

Dans la rade est la frégate le Kléber. Les travaux de port avancent. La jetée s'allonge et les dragues travaillent.

Les gamins du port viennent plonger pour chercher la monnaie qu'on leur jette. Des marchands de type juif nous offrent des dentelles de Téné­rife et des cartes postales d'un goût peu délicat.

Nous recrutons une dizaine de voyageurs, des employés et officiers de la colonie, et un explorateur anglais, M. Landor, qui est fort aimable et intéressant. Il est venu par l'Abyssinie, le Soudan, le Tchad et Tom­bouctou.

Le 5 et 6, j'ai pu dire la sainte 36 messe. J'ai un abonnement à la bibliothèque du bateau. Il y a beaucoup de romans malpropres, mais il y a aussi quelques volumes à lire.

J'ai commencé par L'étape de Bourget1)). Roman conservateur et livre d'apologétique bon à faire lire à des jeunes gens! Il malmène assez la dé­mocratie même chrétienne, les abbés démocrates, les réunions genre Sillon2). Bourget écrit pour le faubourg St-Germain et il en flatte un peu les idées réactionnaires.

Il abîme la pauvre université: «Le lycéen, voyou en tunique, singe mal éduqué à la tenue ignoble et à la flétrissure précoce».

Le parlement est appelé une majorité de charlatans, issue d'une majorité d'ignorants; la démocratie une dégénérescence et une régression mentale. 37

Le 6, nous passons le long des Canaries, c'est une diversion. Beau temps. Ces îles ont un climat idéal. Lu Doumer3): Le Livre de mes fils. Li­vre utile, quoique l'idée de Dieu y soit seulement effleurée.

Pensées de l'auteur:

«Garder sa foi et respecter celle des autres. - Faire son devoir et se fier à Dieu.

- Quand la volonté, guidée par la raison, s'exerce d'une façon conti­nue, qu'elle est activée, développée entièrement dans l'homme, elle de­vient le caractère.

- L'homme de caractère doit faire l'examen quotidien de sa con­science et de ses actes. Il doit réfléchir, méditer et puiser dans sa médita­tion une nouvelle vigueur de caractère, de nouvelles forces pour les com­bats de la vie.

- Ne pas négliger l'exercice physique 38 quotidien, se secouer. - Il faut obéir au devoir, malgré l'intérêt, le sentiment, la passion, la paresse».

- Belles pages sur la famille. Rien des utopies modernes, (divorce, union libre, collectivisme).

- Çà et là quelques sentiments religieux.

- Mots sanglants de Roosevelt pour les nations où les familles n'ont pas d'enfants: «Elles sont pourries jusqu'au fond du cœur».

- Liberté d'enseignement.

- Page sévère contre les partis qui veulent exercer une surveillance, une tyrannie odieuse et imposer un joug à la masse des électeurs… con­tre la coterie jacobine et maçonnique, la dénonciation et l'espionnage.

Le 7, crachement de sang. Fatigue. Relu jules Lemaître4): les Rois. 39 Roman politique, écrit en 1894. Style facile, sans relief. Pas de division, pas de titres.

Lemaître décrit l'étiolement physique et moral des familles régnantes: des princes vicieux, d'autres philosophes et cédant aux idées nouvelles, gagnés par leur séjour à Paris, par la vie incognito dans un monde inter­lope d'autres névropathes et dégénérés.

Lemaître veut arracher sa pierre comme tant d'autres, au vieil édifice monarchiste. Est-ce un bon livre? Le scandale peut-il être bon? Caractè­re attrayant d'une jeune russe, Frida, qui finit mal, dans la séduction et le suicide.

Le 8, beau temps. Lu Rudyard Kipling5): Capitaines courageux. Roman réaliste, sans amour. La pêche à Terre-Neuve décrite avec 40 minu­tie. Il s'y mêle une livre d'éducation. Le fils d'un milliardaire, Harvey, enfant gâté, fantasque et névrosé, est tombé d'un paquebot. Une barque de pêche l'a recueilli. On l'y fit mousse pour quatre mois. Cela en fit un homme. Il devint laborieux, discipliné, robuste. Il accepta ensuite de fai­re quatre ans d'études. Son père récompensa l'équipage. C'est moral.

Le 9, Lisbonne. La ville éclairée d'un soleil pâle. Vols d'alcyons blancs. Causerie avec M. de Zeltuer, explorateur de l'Abyssinie pour le gouvernement français.

Lu Serge Panine de G. Ohnet6), roman couronné par l'Académie fran­çaise. Un prince russe décavé épouse la fille millionnaire d'une minotiè­re. Il la ruine, la 41 trompe. Sa belle mère l'engage à se suicider et l'y aide. Voilà ce que couronne l'académie! Bonnes descriptions des affaires louches de la banque juive et de la vie décadente de la société parisienne.

Le 10 janvier, les côtes d'Espagne, temps frais.

Lu Sardou7): La Sorcière. Comédie en 5 actes. C'est l'Inquisition d'Espagne en théâtre, où le cardinal Ximénès et les moines jouent un vi­lain rôle. Sardou pouvait mieux faire dans sa vieillesse. Le peuple se scandalise et juge l'Eglise par l'inquisition espagnole.

- Lu aussi Mathilde Serao8): Au pays de Jésus. Livre gracieux, plein de foi. Récit de voyage en Orient. Quelques inexactitudes, quelques naïve­tés. V. g. (par exemple), à 42 Nazareth, elle voit un bel enfant «Peut­être, dit-elle, descendait-il du pieux Joseph?».

Le 11, nous arrivons. Devant St-Estèphe nous déchargeons une partie de nos colis sur un petit vapeur, pour pouvoir aborder à quai.

Je quitte le Magellan. C'est en somme un bon bateau. 145 mètres de long, 17 de large. Le tillac a 100 mètres pour la promenade des premiè­res.

Je remercie le commissaire, M. Massenet, de sa bienveillance.

Je descends à l'hôtel commercial, on me dit qu'un prêtre me cherche au port, c'est le P. Falleur qui a eu la gentillesse de venir au-devant de moi. Nous dînons le soir avec l'abbé Puech.

J'arrive à St-Quentin le 13. J'ai visité à Paris notre bon Evêque, Mgr Gonindard9). - La maison est bien organisée, bien chauffée à St-Quentin. Le temps est doux. Les premières fleurs s'épanouissent et le printemps fait une fausse entrée.

Nous donnons l'hospitalité au S.-Cœur à quelques professeurs du pe­tit Séminaire.

Les conseillers viennent le 16. J'ai un gros stoc de correspondances à liquider et je fais vite.

Le 23, je vais à Paris pour deux jours. J'ai à régler une affaire de prêt avec l'abbé Billet

M. Delloue10) n'utilise plus la maison Michel, je la fais restaurer pour la louer au Receveur d'enregistrement. 44

Une dépêche m'annonce la mort du bon P. Angelus11) à Goyanna (Goiana). Il va au ciel le premier vendredi du mois. C'est un signe que N.-S. nous donne. Je l'avais laissé bien portant là-bas. Il m'avait écrit en­core le 27 déc. Il priera pour nous.

Je fais un rapide voyage à Quévy, à Louvain, à Bruxelles, j'y prends un rhume. Nous avons eu ces jours-ci quinze degrés sous zéro, quel con­traste avec le Brésil. C'est 45 degrés de moins.

Nous faisons le conseil à Bruxelles. Une lettre de l'abbé Wilfrid Von Christierson12) d'Helsingfors me demande des missionnaires pour la Finlan­de. Cela réussira-t-il? Je lui écris pour avoir des renseignements pratiques.

Le P. Barthélemy13) m'écrit que les 45 Supérieurs généraux ont dé­sormais droit au bougeoir. C'est un symbole et une leçon: luceat lux vestra coram hominibus [Mt 5,16].

Mon rhume a retardé mon départ. Je me mets en route le 25. Le 27, j'arrive à Cannes pour y passer quatre jours avec mon frère, à l'hôtel des Iles Britanniques.

Les Soeurs de Marie Réparatrice ont leur chapelle près de l'hôtel. C'est commode et édifiant.

Le 28, c'est justement la bataille des fleurs à Cannes. Il y a des chars ornés, surtout ceux des officiers, on jette des monceaux de fleurs. Quel climat délicieux. Je ne fais pas de feu à Cannes. Je retrouverai à Rome le froid, la pluie et le feu. 46

Promenade aux îles de Lérins, de Ste-Marguerite et de St-Honorat. Le château de Ste-Marguerite, prison du masque de fer m'intéresse peu. J'aime l'île de St-Honorat, ses souvenirs, son abbaye, son beau bois de chênes verts. Là ont vécu tant de saints moines! Il y a un puits d'eau douce qu'on attribue à la bénédiction de St-Honorat.

Les Cisterciens sont assez nombreux. Ils se recrutent surtout de prê­tres âgés et fatigués du ministère. Ils ont un orphelinat. On les tolère jusqu'à présent.

Promenade aussi à Vallauris, où se fabriquent des poteries ornées. On passe le long des villas enchanteresses de Cannes, jardins fleuris de mi­mosas, de roses, de géraniums, d'oeillets, arbres chargés de citrons et d'oranges. C'est un paradis terrestre. 47

Je quitte Cannes le 2 et je vais à Rome par étapes en m'arrêtant la nuit à Gênes et à Florence.

Le 4, j'arrive à Rome, j'y reprends ma vie régulière. J'écris le matin, je fais une promenade l'après-midi. Je vais revoir les grandes basiliques et quelques stations de Carême.

Je m'intéresse aux travaux de Rome, ils ont avancé. Le monument de Victor-Emmanuel sera beau. Rome se nettoie et se développe.

Je trouve à Rome un esprit nouveau. Il y a une tendance générale à la conciliation avec le Quirinal. On s'achemine vers un modus vivendi. Beaucoup de catholiques acceptent ouvertement l'italianité de Rome. Le 48 journal Corriere d'Italia est leur organe. Il compte parmi ses ad­ministrateurs le comte Soderini14). - L'Osservatore Romano n'en est pas encore là, mais il a bien changé de ton. Il fait silence sur la question.

Le 12 je suis invité à Santa Chiara. Je vais toujours bien volontiers dans cette chère maison où j'ai reçu tant de grâces. Mgr Lobbedey15) est là, très affable et plein de santé et de bonne volonté. Il fera le bien à Moulins. Mgr Battandier16) est là aussi, il paraît souffreteux. M. Henri Brémond17) est aussi au nombre des invités. Il est soucieux, il sait que son Newmanisme est suspect à Rome. Il a eu le tort d'interpréter Newman dans le sens du subjectivisme et du fidéisme. Toute cette école nouvelle va contre le bon sens. 49

On me donne à travailler pour l'Index. J'analyse un volume. Nous avons réunion le 26. Nous ne condamnons cette fois que de petits volu­mes de faux mysticisme: le secret de La Salette, etc. La revue moder­niste, le Rinnovamento sera condamnée, mais sous une autre forme. Le Pa­pe parlera. Les volumes de l'école critique affluent. C'est un vrai danger pour la foi. En philosophie, le néo-kantisme sous toutes ses formes, sub­jectivisme, pragmatisme, newmanisme, etc., détruit les bases de la con­naissance et de la certitude. En exégèse, c'est la critique interne et ses fantaisies. En théologie, c'est l'évolution des dogmes et la vérité relative. Le St-Siège devra donner un nouveau syllabus des erreurs 50 contem­poraines.

Visite au P. Jouet le 21. Il a maintenant un vrai musée du Purgatoire. Il a les traces de plusieurs miracles: vêtements, livres, tables, où des âmes du Purgatoire ont marqué par des brûlures la trace de leurs mains. Le P. Jouet a obtenu cela de divers pays, soit en naturel, soit en photo­graphie. Tout cela est bien disposé et la vue en est convainquante. Cela s'augmentera encore. Le Père a d'autres promesses. Il a été admis à montrer le tout au Pape. C'est très impressionnant. Une visite à ce petit musée veut une retraite. J'en ai rapporté une plus grande dévotion aux âmes du Purgatoire. Je commence par leur promettre trois mes­ses 51 pour la réussite du projet de fondation de Mons.

C'est le 27. Accueil bienveillant, paternel. Je remercie le Saint Père de notre approbation qu'il a aidée par son intervention personnelle. Je lui expose nos œuvres: nos sources en Belgique, notre action limitée en France. Un peu de ministère en Bohême, les missions du Brésil et du Congo, la fondation d'Albino.

Il nous engage à continuer en France ce qui est possible. Il s'intéresse à toutes les œuvres. Il sait que les diocèses de Cologne et de Münster sont excellents et peuvent nous aider. Le Brésil l'intéresse. Il est content d'apprendre que le roi Léopold nous aide un peu au Congo.

Je lui parle des Préfets apostoliques, qui devraient avoir 52 une pré­lature. C'est vrai, dit-il, ils sont les vicaires du Pape. Il en parlera au Cardinal Gotti. Il connaît notre maison d'Albino, il y a logé.

Il nous comble de bénédictions: maisons, œuvres, amis, parents. C'est une demi-heure délicieuse passée auprès du meilleur des pères. Le dernier jour du mois, je reçois de Mgr Bougouin18) une nomination de chanoine de Périgueux et Sarlat. C'est une gracieuseté que je n'ai pas méritée, n'ayant rendu aucun service au diocèse de Périgueux. J'ai bien recommandé le cher Evêque à la bienveillance du St-Siège, mais ses qua­lités le recommandaient par elles-mêmes et il n'avait pas besoin de ma maigre influence. Nous attendons ici sa visite prochaine. 53

Le 2, je dîne chez Mgr Tiberghien19) avec Ollé-Laprune fils, attaché d'ambassade et M. Zeéler son beau-frère, professeur à Fribourg. Tous deux sont des catholiques complets. Je relis à cette occasion quelques chapitres d'Ollé-Laprune20): le Prix de la vie, la Philosophie et le Temps pré­sent. Il n'a pas donné dans le modernisme, lui. Il n'est pas kantiste. Il ex­pose sous une forme neuve et avenante les vraies doctrines de la grande philosophie classique.

Je reçois la visite de M. et Mme Desjardins, et je dîne avec eux et avec Mme Guérard à l'hôtel de l'Europe. Nous leur avons procuré l'audience et le billet pour la visite des jardins. M. Desjardins voudrait voir les œuvres très vivantes à Saint-Quentin. 54

Le 3, promenade à Anzio avec nos jeunes gens: partie de barque dans le port. La mer est un peu agitée et les estomacs aussi. Nous rencontrons à la gare le Cardinal Mathieu21), toujours aimable et simple.

Anzio et Nettuno se transforment, de gracieuses villas se bâtissent tout le long de la côte. Le vieux Latium se modernise.

Je fais à Rome une culbute sur le bord d'un trottoir, ce n'est rien, peut-être un petit avertissement providentiel.

Je fais visite à quelques cardinaux qui se sont toujours montrés bien­veillants pour moi et pour notre œuvre.

Chez le Card. Vivès22), nous causons de la Colombie où les Capucins ont missionné. Il ne nous presse pas d'y aller, il comprend qu'ayant déjà deux missions 55 difficiles, le Congo et le Brésil, notre petite Congré­gation doit ménager ses forces.

Pour plus de renseignements sur la Colombie, je vois le R. P. Angelo de Villava, définiteur des Capucins. Il a été là-bas et il me remet des ar­ticles de leur revue sur cette mission. Il voudrait nous y voir. Les Capu­cins y ont souffert, dit-il, mais aucun d'eux n'y est mort, et ils faisaient beaucoup de bien. - je m'en tiendrai plutôt au conseil du tard. Vivès.

Visite au Card. Vincent Vannutelli23) qui prend intérêt à mon voyage du Brésil. Avec le Card. Agliardi24), nous causons de Bergame, c'est son pays. Il a confiance que nous trouverons là de bonnes vocations.

Le Card. Mathieu est toujours très bienveillant. Je rencontre chez lui 56 M. Baudrillart25). je le trouve un peu féru des idées françaises et peu persuadé de l'importance de l'Index.

Le Card. Gotti26) aime bien notre mission. Il nous remet 10.000 f. pour elle. je lui parle de l'érection du vicariat apostolique, il nous dit de faire la demande. C'est de bon augure.

Le Card. Ferrata27) nous demande de bien observer tout ce qui a été prescrit pour l'approbation.

Visite de félicitations au Card. Mercier28), qui nous remercie du bien fait à Bruxelles (le 16); à Mgr de Namur. Il s'intéresse aux chères Soeurs-Victimes. Il nous rend la visite et nous apporte les documents pour la demande d'approbation des Victimes.

Aux rév. Pères de l'Assomption. Le 57 P. Emmanuel [Bailly]29) vient me voir à son tour. Il désire notre maison de Louvain. Ces Pères ont, je crois, six écoles apostoliques, dont une chez les Basques espagnols qui leur donnera de bonnes vocations. Ils ont de belles œuvres au Chili.

Aux Soeurs Ursulines. La Soeur Stanislas, une des conseillères a con­nu le P. André à Aix en Provence.

A la secrétairerie d'Etat, nous trouvons Mgr Gasparri30) très occupé, mais nous avons une bonne conversation avec Mgr Della Chiesa31) et avec Mgr Benigni. Nous causons du Brésil, de ses besoins, du bien qu'on peut y faire.

Le P. Lepidi pense comme moi sur les costumes trop voyants des reli­gieux qui ne sont plus de notre temps. Il connaît M. Von Christierson, il nous verrait volontiers l'aider en Finlande. Il a eu une curieuse 58 visite d'un diplomate japonais, qui voulait s'instruire de la religion ca­tholique et qui pleurait au récit de la rédemption.

Le P. Pie de Langogne est toujours intéressant. Il nous parle de nos revues parisiennes de philosophie et théologie, qui sont presque toutes atteintes de modernisme.

Mgr Bougouin est arrivé le 12. Nous avons été heureux de nous revoir et de passer quelques moments ensemble. Il est venu dîner avec nous le 21 et nous avons ravivé nos souvenirs du Concile.

Il a eu une bonne audience du St Père, qui l'a fort encouragé à favori­ser les œuvres sociales et à imiter ce qui se fait à Bergame. Il enverra à Bergame un de ses prêtres pour étudier l'organisation des œuvres. 59

Le 22, nous recevons une réponse favorable pour la maison de Mons. J'avais promis trois messes aux âmes du Purgatoire pour le succès de ce projet.

Le P. Luiz Wolff32) est arrivé du Brésil le 17, par Lisbonne, Barcelone et Gênes. Il passera 15 jours avec nous. Il retournera dans quelques mois au Brésil qu'il aime beaucoup, parce qu'il y a beaucoup de bien à faire.

J'ai quelques loisirs pour étudier, je me mets un peu au courant des controverses contemporaines. Les novateurs essaient de détruire toutes les doctrines traditionnelles.

En philosophie, c'est le Néo-Kantisme dont les chefs sont Renouvier et Fouillie33); et le écoles qui en dérivent: 60

Philosophie de l'action ou pragmatisme, avec Blondel, l'abbé Denis, Laberthonnière, Loisy34). - Newmanisme, avec H. Brémond. Tous ces systèmes détruisent les bases de la connaissance et de la croyance. Ils ex­priment la prééminence de la volonté libre sur l'intelligence, désormais incapable de découvrir et de comprendre le vrai.

Léon XIII et Pie X nous ont avertis. Il faut revenir à la philosophie du bon sens, à celle d'Aristote et de st Thomas.

L'abbé Delfour35) a bien réfuté les néo-kantistes, dans son livre sur les Fondements de la connaissance. L'abbé Forges est plus au courant et plus complet dans son livre: La crise de la certitude.

En théologie, l'erreur du jour est l'évolution du dogme. Les formules dogmatiques seraient adaptées à leur temps. Le progrès du dogme ne 61 consisterait pas seulement à mieux comprendre, mais il pour­rait aller jusqu'à comprendre autrement en changeant suivant les temps les données de la foi. Avec cette facilité, on se débarrasse des mystères et des miracles. Voir Loisy, Houtin, Le Morin… et parmi les catholi­ques illusionnés: Leroy (dans la Quinzaine), et même Batiffol36), sur l'Eucharistie… Ces messieurs donnent une explication mystique ou symbolique de la résurrection et même de la divinité du Christ et de la présence eucharistique.

La Revue d'apologétique contemporaine réfute bien Leroy. Le P. Billot37) (De inspiratione) a réfuté Loisy et Batiffol.

En exégèse, il y a deux grosses questions: l'inspiration et la critique historique. Une fois atténué le 62 dogme de l'inspiration, la critique se met au large et détruit tout. Avec Loisy, Houtin, Le Morin, il ne resterait plus rien de la tradition.

Lagrange, Humelauer [Hummelauer],38) Zanecchia, sont trop accom­modants pour la méthode historique. Ce qu'ils concèdent sur le caractè­re légendaire ou mythique de certaines parties de l'Ecriture et sur la vé­rité relative de certains textes conduit au scepticisme.

Le P. Billot défend la vraie doctrine avec un peu de nervosité. Pelt est correct dans son Histoire de l'Ancien Testament.

Plusieurs revues françaises et italiennes sont atteintes par le moder­nisme, la Revue d'histoire et de philosophie; les Annales de philosophie chrétienne; la Revue du clergé (où écrit Mgr Mignot39)); et même la Revue biblique.63

Tout en étudiant, j'ai souffert violemment de névralgie pendant quel­ques jours. Le dentiste y a remédié.

Je n'avais jamais assisté au miracle de s. Janvier et cependant, voilà, 42 ans que je fréquente Rome et l'Italie. Il a lieu le Ier samedi de mai et le 19 septembre, mais c'est en mai qu'il offre le plus d'intérêt, parce qu'il se fait alors à l'église Santa Chiara où les reliques du saint martyr sont portées en procession. C'est l'occasion d'une belle démonstration de foi dans la ville.

J'arrivai à Naples le vendredi 3. Je célébrai la messe à l'église de l'Ospedaletto, où j'ai dit quelques-unes de mes premières messes en 1868.

La première procession partit à midi de S. Janvier pour porter le buste du Saint à Santa Chiara. 64 Tout se fait avec une grande solen­nité. C'est vraiment une fête urbaine.

A onze heures et demie, la députation du trésor de S. Janvier, dont font partie le maire, le prince de Sirignano, le marquis Imperiali et le marquis Sanfelice, précédée des huissiers et d'un peleton de pompiers, se rend au palais archiépiscopal pour inviter le Cardinal à présider la cé­rémonie.

Le Cardinal et le chapitre suivent la députation à la chapelle de S. Janvier. Là, on procède à la toilette de gala du buste du martyr. On le revêt d'une chape couverte de joyaux et d'une mitre riche, puis la pro­cession se met en marche. En tête, un peloton de gardes municipaux, puis la musique de la ville, une association dite des Cent prêtres, les gen­tilshommes inscrits au Livre d'or, 65 avec leur bannière, les deux sé­minaires et le chapitre. La statue du Saint s'avance sous un dais dont les cordons sont portés par des membres de la députation du trésor. Les au­tres membres ferment la marche avec le Maire.

La procession suit la rue des Tribunaux puis celle de Saint-Sébastien. J'ai vu de pieuses femmes pleurer au passage des reliques. Le buste est déposé sur l'autel de Santa Chiara. L'église est décorée de riches tentu­res de velours brochées d'or, fournies, selon la coutume, par la famille royale. Tout est frais, les Princes d'Aoste qui sont pieux et qui habitent Naples depuis quelques mois ont été généreux.

A cinq heures a lieu la 66 seconde procession, la grande procession di­te des cent statues d'argent. Ce sont les ampoules du sang miraculeux qui viennent rejoindre le buste du Martyr. Mais le reliquaire des ampoules est précédé par une soixantaine de statues et bustes d'argent de grandeur natu­relle, de tous les saints vénérés à la cathédrale. Ces statues sont portées par des prêtres ou par des confréries. Le cortège est plus nombreux encore que le matin. Il y a tout le clergé des paroisses et le chapitre de la ville.

La procession traverse les rues populaires et le Corso. Le peuple est respectueux. Les rues ne sont pas ornées mais on jette des confetti en guise de fleurs.

A mesure qu'on arrive à Santa 67 Chiara, vers six heures, les bus­tes s'approchent de l'autel, sont encensés par l'Evêque auxiliaire et sor­tent par la porte latérale pour retourner à la cathédrale. Les ampoules seules sont déposées sur l'autel par le Cardinal. L'église est comble et bien illuminée. Quelques étrangers sont admis dans le choeur, je suis du nombre. Il y a un choeur à la tribune, on prie, on chante les litanies, quelques bonnes femmes qui se disent parentes de s. Janvier lancent des oraisons jaculatoires peu variées, surtout des Gloria Pain.

Le Cardinal présente les ampoules où le sang est noir et desséché. Il les retourne, le sang reste immobile. 68

A 6 h. 45, le sang bouillonne, il devient liquide et vermeil. On applau­dit, on chante le Te Deum. Le Cardinal fait baiser le reliquaire aux person­nes qui sont dans le choeur. J'ai pu l'embrasser et le voir de près. Un Evê­que, un des quatre auxiliaires du Cardinal porte ensuite le reliquaire à baiser aux religieuses des quatre congrégations que le gouvernement a réunies à Santa Chiara. Puis la procession se réorganise et retourne à la cathédrale avec le buste du saint et les ampoules. Les habitants ont illu­miné leurs fenêtres.

Le curé de N.-D.-des-sept-douleurs m'a bien aidé à pénétrer dans le choeur.

Un accident de voiture m'a paru un avertissement providentiel. Une roue de ma voiture s'est détachée. La voiture roulait inclinée. Je suis tombé sur la rue, remportant 69 une petite foulure au pouce. Un capi­taine de bersaglieri a arrêté le cheval.

Le dimanche matin à 9 h. j'ai assisté encore au miracle dans la chapel­le de S. Janvier. Il se renouvelle là pendant huit jours. Il y a peu de monde. Les parentes de s. Janvier prient. Les chanoines revêtent le buste de vêtements de demi-gala. Un Evêque présente le sang durci, puis a lieu la liquéfaction. Chants, baisements du reliquaire…

J'avais dit la messe à S. Janvier à la chapelle des reliques. Il y a là de grandes richesses: vraie croix, bâton de s. Pierre, crosse de s. Janvier, etc, etc.

Retour le soir à Rome. 70

C'est le 11 mai que nous prenons possession de la maison d'Albino. Le P. Barthélemy40) est allé là-bas pour installer le P. Duborgel41) et le présenter à Mgr l'Evêque42) et au curé. Il y aura de grands travaux pour faire un pensionnat avec des maisons d'habitation43).

Le petite chapelle de N.-D.-de-Guadalupe est jolie, mais pauvre d'or­nements. Au retour du P. Barthélemy nous allons visiter plusieurs com­munautés qui nous promettent leur concours: les Dames du S.-Cœur au Pincio, les Dames de Marie-Réparatrice à la via dei Lucchesi, les Dames de la via Torino 38 (Mlle Oger). En écrivant encore à quelques commu­nautés, nous aurons le nécessaire. 71

Marc Sangnier est venu chercher la bénédiction du Pape, il a bien fait. Il vient me voir. Il donne une conférence le 16, je le présente. «Je ne vous ferai pas une longue présentation de M. Marc Sangnier, ce serait retarder les délicates jouissances que vous attendez de cette con­férence. Vous êtes venus l'entendre parce que vous le savez éloquent. La renommée de sa belle parole a depuis longtemps franchi les Alpes. Vous êtes venus l'entendre parce que vous le savez orthodoxe (applaudisse­ments et sourires). Dans le déluge de papiers indiscrets qui ont rempli les journaux, n'avons-nous pas lu sur M. Marc Sangnier un témoignage de celui qui a mission pour le juger, son Evêque, le Cardinal Richard44) qui nous a dit que M. Marc Sangnier était un de ses meilleurs en­fants. 72 Vous êtes venus l'entendre pour réchauffer vos cœurs auprès du sien parce que vous savez qu'il a au cœur deux nobles amours, celui du Christ et celui du peuple et qu'il sait les communiquer par sa chaude parole à ceux qui l'entendent. - Vous êtes venus enfin pour l'encoura­ger parce que vous savez qu'il a subi des critiques et des contradictions. Mais s'il a une mission, ne faut-il pas qu'il y soit préparé par des épreu­ves? Nous assistons maintenant au succès d'un grand catholique autri­chien, Lueger45), mais combien n'a-t-il pas été contredit. Nous espérons que M. Marc Sangnier sera aussi un des chefs influents qui ramèneront au Christ dans la vie politique la nation qui a toujours été appelée la «fil­le aînée de l' Eglise» . » 73

Sangnier nous a parlé de l'influence sociale de l'Eglise. «Ce n'est point par des décrets ni par une intervention directe que l'Eglise agit sur la vie sociale. Elle pose des principes qui informent peu à peu la conscience sociale. C'est ainsi que son enseignement sur la fraternité hu­maine et sur l'égalité a amené la fin de l'esclavage. Les enseignements de Léon XIII sur la condition sociale des ouvriers ne doivent pas non plus rester lettre morte. Ils doivent être étudiés, médités, et il est permis aux jeunes gens qui arrivent à la vie sociale de donner leur préférence à la république démocratique et de préférer au prolétariat la coopération et la participation aux bénéfices…».

Il a été fréquemment applaudi. Il a terminé en nous demandant d'ai­mer un peu le Sillon46). 74 Je l'ai remercié en ajoutant qu'il est facile d'aimer le vrai Sillon, celui de Marc Sangnier, qui a pour idéal de ré­pandre dans la société un peu plus de justice et de fraternité.

Le 19, jour de la Pentecôte, je dîne à Sta Chiara. C'est la fête du St­Esprit. Il y a là le P. Billot, le P. Meschineau et d'autres invités. On féli­cite le P. Eschbach de ses travaux sur Lorette. «Vous aurez la victoire», lui dit le P. Billot. Mais pourquoi les Bollandistes de Bruxelles ont-ils pris parti si vite pour l'abbé Chevalier47)?

Les Romains vont en excursion le lundi de Pentecôte à la Madone du divin Amour. Les véhicules sont fleuris. Il y a des prix pour les plus gra­cieux. J'admire au retour quelques voitures des Madonnari: chars, lan­daux à 4 et à 2 chevaux, 75 automobiles, bicyclettes…

Le 23, dîner chez Mgr Glorieux48) avec le P. Rütten, le dominicain belge qui s'occupe des syndicats ouvriers. Il est bien sympathique et en­core très jeune. Son centre est à Gand. Ses syndicats groupent déjà 25.000 ouvriers (les socialistes en ont 75.000). Il a une élite, quelques zé­lateurs, qui vont faire la propagande dans les milieux ouvriers.

C'est l'œuvre de salut. Les ouvriers sont gagnés à la démocratie. Ils veulent faire leurs affaires eux-mêmes, sans le patronage du chef d'usine. - Démocratie chrétienne ou socialisme, c'est le dilemme qui s'impose.

Visite à l'église S.-Joachim. Les chapelles s'achèvent. L'idée est très belle, toutes les nations 76 sont là représentées avec leurs saints. Ces peintures modernes sont généralement gracieuses. Il y a donc un art chrétien actuel à Rome, il a la perfection du dessin moderne, et il em­prunte à la première renaissance, la grâce, les couleurs fraîches et les ors.

Belle cérémonie le 25 mai à St-Anselme. 28 ordinands, trois des nô­tres: les ff. Gasparri, Guillaume et Pointeaux49). Mgr Van Calaen officie. Il y a là le rév. Von Hemptine, dom Pottier50), le P. Janssens. Chant gré­gorien.

Le 26, première messe d'Ottavio (Gasparri). Je l'assiste. Le P. Kiefer (confesseur), le médecin et Tommaso Gasparri viennent dîner avec nous. J'ai toujours un profit spirituel à raviver les souvenirs de mes premiè­res messes.

Préparatifs de départ. 77

Départ le 27 pour la Calabre. A Frosinone, il y a marché, la gare est remplie de chauchars en costume. Les femmes surtout ont conservé les vieilles habitudes: voile blanc, corset extérieur vert ou rouge, jupe courte.

Dîner chez le comte Berni, oncle du P. Gasparri. Belle réception. Fa­mille nombreuse: les trois frères ont ensemble une vingtaine d'enfants, bien élevés et très disciplinés.

Promenade en voiture au parc. Le château est un Versailles modeste. La plus belle pièce est l'escalier. Le parc rappelle St-Cloud. Une cascade abondante descend de la montagne. Il y a de beaux fourrés, des arbres du nord, un jardin anglais. Les Bourbons de Naples imitaient leurs cou­sins de Paris. 78

Nous couchons le soir à Valle. Le 28, nous y célébrons la messe tous les deux. On prie bien là. Le sanctuaire est beau. Les décorations sont variées et de bon goût. Quelques statues sont artistiques, comme celles de la Foi et de la Prière, aux côtés de l'image miraculeuse.

Je revois Pompéi avec mes deux compagnons de voyage. Quelques maisons ont été rajeunies. On y a remis des toits, on a planté de fleurs le péristyle. Cela donne mieux l'idée de la vie romaine.

La plus belle maison reste toujours celle des Vetti. Cette famille alors si sensuelle a dû avoir des convertis, car il y eut un Vettino parmi les mar­tyrs de Lyon. Une maison voisine, celle des Amorini a des panneaux de peintures bien conservées 79 représentant des scènes de la mytholo­gie. C'était là le quartier riche.

Pompéi avait ses temples nombreux. L'athéisme est une dégéné­rescence.

Nous couchons à Salerne. Je revois la cathédrale où reposent, avec beaucoup d'évêques, l'apôtre saint Mathieu et le grand pape Grégoi­re VII.

La vieille basilique a gardé ses ambons et sa chaire en style byzantin. Dans la crypte, la statue de saint Mathieu en bronze et celles des saints évêques en marbre sont de belles œuvres du XVIIe siècle.

Salerne a un beau site, trop orienté au midi. Sa population a un mau­vais genre, les rues sont sales. L'action du clergé doit être insuffisante. Le 29, longue journée de chemin de fer. J'aperçois les beaux temples de Paestum. 80 Il y a encore des costumes dans cette région, surtout pour les femmes. Elles portent élégamment sur la tête une sorte de nappe brodée et bien pliée qui descend sur le dos comme un voile. La coiffe est généralement blanche, elle est noire pour les personnes en deuil.

Nous arrivions le soir au port de Santa Venere et une voiture nous his­sait à Monteleone à 600 mètres d'altitude.

La ville a un assez bon genre, quoiqu'elle paraisse un peu déchue. C'est une sous-préfecture. Il y a quelques familles riches et beaucoup de peuple.

Les trois églises paroissiales ont été abîmées par les tremblements de terre. Des chapelles de confréries les remplacent en attendant leur restauration. Ces chapelles ont mieux résisté parce qu'elles 81 étaient moins hautes.

Le P. Ottavio dit sa première messe. Je l'assiste. L'église est comble et après la messe toute l'assistance va avec émotion au baisement des mains.

La famille Gasparri a les sympathies du pays. La mère est si bonne et elle a tant souffert! Elle a perdu cinq grands enfants. Le père était un di­gne ingénieur et il a présidé à tous les grands travaux du pays.

Le clergé du pays est assez critiqué, les bonnes familles ne donnent plus de vocations.

L'église principale est dédiée à s. Leoluca, Evêque du pays, grand thaumaturge. Il y a là de belles statues de marbre de la Renaissance, de l'Ecole de Palerme. Trois d'entre elles, représentant la ste Vierge, s. Jean et ste Madeleine sont attribuées 82 à Gagini. - Monteleone a plusieurs tableaux de Paparo, un peintre local de l'Ecole de Naples. A l'église du lycée, belle tombe d'un officier angevin, style Henri II. Au jardin public, panorama splendide. On distingue au loin l'Etna d'un côté et le Stromboli fumeux de l'autre.

Le marché est curieux pour les costumes. Les femmes portent tout sur la tête, même les barils d'eau qu'elles vont chercher à la fontaine.

Le 31, excursion à Reggio avec Tommaso Gasparri. Le chemin de fer longe la côte. Quels beaux sites sur le chemin! Les villes de Palmi, Tro­pea, Pizzo, sont campées sur leurs rochers comme pour défier les pira­tes. San Giovanni a des filatures de soie et gagne du terrain sur Reggio. Le passage pour Messine est plus 83 court à San Giovanni.

Reggio a bon air. Le Corso traverse toute la ville. En haut de la colli­ne, vues merveilleuses sur Messine et le détroit. La cathédrale porte à sa frise le texte des Actes des Apôtres relatif à Reggio: Circumlegentes venimus Reghium [cf. 28,13]. J'assiste à la procession que préside le Cardinal Por­tanova. Il paraît assez jeune et il a l'estime générale dans le pays.

Reggio est une ville cosmopolite. On y trouve des noms grecs: le mar­quis de Panaya, etc. - Commerce d'agrumi (fruits), de vin, de soie. Sur les côtes, pêche du thon et de l'espadon. Le thon est une grosse pièce qui rappelle le requin. La pêche à l'espadon est originale. Un veilleur se tient en haut du mas et signale l'approche du poisson, que, 84 l'on tue avec une longue pique.

Il y a eu le ler un léger tremblement de terre. Il fallait cela pour que j'aie vu la Calabre sous tous ses aspects. Tous les villages de la région sont restés dans l'état où les ont mis les bouleversements d'il y a deux ans. J'en ai visité quelques-uns: Zammaro, San Gregorio, Piscopio, Mezzo Casale.

On ne voit que murailles pantelantes, églises effondrées. Certains vil­lages n'ont plus une maison debout.

Le peuple loge dans des barraquements [baraquements] militaires. Des barraques [baraques] servent d'églises, de mairies, d'écoles.

Les secours de l'Etat sont restés en route. On rebâtit quelques mai­sons de briques à Zammaro. Un village a eu, dit-on, 200 morts.

Ces pays ont encore des moeurs primitives: 85 des forges comme au Congo avec une outre pour le soufflet, des cornemuses, de vieux métiers à tisser. Les femmes filent encore le lin. Pour le deuil on met au-dessus de la porte de la maison une tenture grise qui y reste toute une année.

Il y a un Christ miraculeux à l'église des Saints-Anges. On le dit venu d'Orient, comme celui de Lucques. Il serait en cuir ou en bois recouvert de cuir. Il a l'air extrêmement douloureux. Il est couvert de plaies. On vient de toute la région le vénérer les mardis de mars.

Monteleone a eu de nombreux couvents. Il reste seulement trois ou quatre capucins qui n'ont pas le choeur. Dans ces régions-là les Fran­ciscains et Capucins donnent l'habit de postulants à des jeunes gens, à des domestiques, 86 voire à des enfants de 13 ou 14 ans. Cela n'aide pas à la réputation des moines.

L'ancien grand couvent des jésuites est une caserne.

Les marquis Gagliardi ont près du collège une villa princière. Le mer­veilleux jardin est à l'abandon, les fils du marquis ont mangé la fortune.

Le 3, départ pour la chartreuse de St-Etienne. Nous allons en voiture, par monts et par vaux, jusqu'à 800 mètres d'altitude. C'est la vraie Ca­labre. La route est belle et sûre. Nous n'y rencontrons pas de voitures. Le peuple se sert des ânes et suit les raccourcis.

Nous passons à Soriano. Il y a là de grandes ruines et de grands souve­nirs. Les dominicains avaient là un monastère grandiose et une image 87 miraculeuse de s. Dominique que les gens du pays disent tombée du ciel. C'est une peinture genre XVe siècle.

L'ancien monastère du XVIe siècle a été ruiné par les tremblements de terre. Ce qui reste de l'église atteste qu'il y avait là un monument considérable. Le couvent rebâti au XVIIIe siècle subsiste, mais en mau­vais état. Il sert de mairie, école, justice de paix, etc. De bonnes Soeurs de charité y font la classe à cent moutards. Pour nous honorer elles leur ont fait faire des exercices si bruyants que le juge de paix croyait à un tremblement de terre.

Un jeune curé fort aimable nous a pilotés. L'église du XVIIIe siècle est conservée comme église de confrérie, elle possède l'image merveilleu­se, 88 mais elle est bien mal tenue.

A Sorianello, un vieil olivier est vénéré comme contemporain de Saint Bruno. Ces bourgades sont perchées sur des coteaux et jouissent d'un splendide panorama. On voit au loin le castel de Monteleone.

Nous arrivions dans l'après-midi (3-6-1907) sur le plateau à Serra S.-Bruno. C'est une bourgade qui passe pour assez sanguinaire. Elle en­voie trois ou quatre assassins chaque année aux assises.

Comme à Soriano, l'ancien monastère a été ruiné, il en reste une façade d'église de la Renaissance. Le nouveau est tout moderne, commode et sim­ple, dans le style byzantin. Quarante chartreux y vivent, presque tous fran­çais. Nos expulsés ont trouvé là le calme et la liberté. 89

Le corps de S. Bruno est sous l'autel, sa tête est dans un vieux reli­quaire d'argent. Il a vécu là. Il y est mort. Une modeste église de Sainte ­Marie indique l'emplacement du monastère primitif. Dans la grotte où vivait le Saint on a mis une assez belle statue de marbre blanc. Une sta­tue agenouillée dans un étang marque l'endroit où il se baignait l'hiver pour se mortifier. Le site est superbe. Il y a là un coin de bois très sauva­ge et des arbres séculaires énormes.

J'ai eu là une petite aventure. J'ai demandé le Procureur. J'espérais recevoir l'hospitalité et passer la nuit au monastère. Le saint homme, très occupé, m'a reçu froidement, dans le corridor. Pas une chaise, pas un verre d'eau. - Le Prieur le sut 90 après et m'écrivit une lettre d'excuses bien senties. Il m'envoya des images et des médailles.

Déconcerté par la réception, j'étais descendu coucher à Soriano, et j'y ai célébré la messe le lendemain à l'autel de s. Dominique.

Le 4, retour à Monteleone.

Réception de visites nombreuses. Adieu à la famille. Départ le soir pour Naples par le train de nuit.

Messe à Santa Maria la Nova. Couvent de Franciscains qui paraît vieilli et peu vivant. L'église, a de belles peintures de l'Ecole napolitaine. L'image de la Madone est ornée de pierreries.

Promenade à la Villa Nationale. C'est le beau quartier de Naples. Le soir, au crépuscule on voit de là les teintes successives du rouge au mauve 91 qui font passer la ville comme dans un kaléidoscope.

Naples se modernise un peu, mais elle est toujours sale. Elle ne gagne pas en moralité. Le Cardinal a mauvaise santé. Il faudrait là une main vigoureuse pour diriger le clergé et le peuple.

Nous revenons par Caserte. Ottavio baptise une petite cousine, Giulia Berni. On me demande d'être parrain. Le baptême se fait à la maison, c'est l'usage là-bas pour les bonnes familles. Toute la famille est là. C'est la femme du Président de la Cour d'appel de Naples qui est marraine. La cérémonie est suivie d'un fin rinfresco.

Le 7, belle fête chez nous à Rome. Nous avons des invités: Mgr Passe­rini, 92 Mgr Tiberghien, Mgr Glorieux et ses hôtes. Je fais mes prépa­ratifs de départ pour le lendemain.

Arrêt de quelques heures le 8 à Florence chez les Salerni, bonne famil­le où nous avons deux petits aspirants pour l'école apostolique. - Le bon M. Salerni nous fait revoir rapidement Florence. J'y trouve tou­jours un grand charme. La cathédrale est austère comme la vieille répu­blique. Sainte-Croix est un panthéon, qui n'a pas comme celui de Paris éloigné le Christ.

Les magasins d'objets d'art sur le quai sont un vrai musée. Florence mérite encore le nom d'Athènes moderne.

je visite les Pères d'Issoudun. Le P. Gallina a là une belle œuvre de per­sévérance sous le titre de Schola cantorum. C'est un 93 homme aimable et de vues larges. Une œuvre de ce genre peut donner des vocations.

Le soir, départ au train de nuit pour Milan.

Séjour à Albino le 9 et le 10 juin. La maison s'organise. Elle sera com­mode pour une belle école. Le petit sanctuaire est pieux. Le peuple aime N.-D.-de-Guadalupe et la prie avec une foi. L'image sainte est ornée de pierreries; elle a sauvé du naufrage le vaisseau qui ramenait du Mexique don Federico Gambarelli51). De braves gens s'approchent de l'image en marchant sur les genoux. Le pays est excellent. Il reste bon malgré les établissements industriels qui remplissent la vallée.

L'après-midi, visite à Mgr52) à Gandino. Il y a là grande fête: 94 arcs de triomphe et procession. Tout le monde est en mouvement, les hommes portent les bannières et les reliquaires. L'église est digne d'une grande ville. Les autels sont en marbre précieux.

Quel beau pays! Ce ne sont pas encore les grandes Alpes aux cimes neigeuses. Ce sont les prealpi, les premières alpes aux cimes boisées, aux vallons richement cultivés.

Le soir du 10, j'allai coucher à Chiasso.

Le 11, j'arrive à Paris. Je visite ma famille, j'achète des images pour mon petit volume sur le Cœur sacerdotal de Jésus.

je passe à St-Sulpice, où tant de vieux souvenirs me procurent tou­jours une impression bienfaisante. Le séminaire est fermé, c'est écœurant.

Le 12, j'étais à St-Quentin. 95

J'ai hâté mon retour pour assister à la 1ère communion d'une petite parente, Marielle Née53).

Je trouve ma maison en bon état et le jardin gracieux, mais c'est une cage sans oiseaux. Plus de missionnaires! Et le tribunal s'inquiète, dit­on, de me voir encore là… La France est en délire.

C'est la 1ère communion à la basilique le 13. Il n'y a que 80 garçons, beaucoup restent en dehors de la vie chrétienne.

Levisse est là pour la 1ère communion de sa belle-petite-fille. Sa tenue est irréprochable. Tout se passe dignement. J'aime le sujet choisi par le prédicateur: les aveugles de Jéricho demandaient la vue, les enfants doivent demander une foi vive pour voir spirituellement (Notre-­Seigneur). 96

Le 17, je passe à Mons en allant à Bruxelles pour le Conseil. Je dîne à Mons chez le directeur de l'école professionnelle avec M. le doyen de Ste-Catherine, qui est fort aimable.

Visite à la nouvelle maison. On y sera bien, trop bien. C'est trop grand. Les bonnes Soeurs de Ste-Marie, nos propriétaires prieront pour nous. Visite chez les Clarisses. La bonne Soeur assistante est toujours édifiante. C'est une âme ardente et pieusement enthousiaste.

Conseil le 18 à Bruxelles. Il y a tant de choses à régler! Le placement sera un peu difficile.

On construit à Bruxelles. Le plan n'est pas très réussi. La maison sera laide, surtout derrière, mais elle sera presque doublée, et c'était néces­saire. 97

Visite à Tervuren le 19 et 20 à Louvain. Les deux maisons sont pro­spères, on bâtit des deux côtés. A Tervuren, le site est beau et le plan est bien réussi. Ce sera gai et assez commode par le voisinage du tram. Il y a là un bon groupe d'enfants, qui va être doublé. La Providence nous ai­de, puissions-nous répondre à ses desseins.

A Louvain, c'est moins avancé. Il y aura une montée assez raide mais le site sera sain. Il faudra y faire les cours chez nous. Ce serait un, peu loin des jésuites. Il y a au noviciat de belles âmes. Les Français y appor­tent trop les habitudes de la caserne, le tutoiement, la familiarité, la vul­garité du langage. Tous nos 98 séminaires souffrent un peu de cela. - Je rentre à St-Quentin pour prendre part à l'élection d'un député.

Je reprends le cours de mes visites pastorales et paternelles.

Bergen op Zoom le 26,

Sittard le 28 juin.

Clairefontaine le ler juillet.

Cinq-fontaines le 3

Luxembourg le 4.

Toutes les maisons sont bien vivantes et florissantes. Bergen op Zoom nous donnera désormais des élèves chaque année pour le noviciat. On a développé les bâtiments en changeant le plan, c'est regrettable.

Le noviciat français va quitter Sittard, c'est un crève-cœur. Le Lim­bourg nous offrait un 99 abri pour les jours de tempête politique, il y faudra sans doute retourner plus tard.

A Clairefontaine, il y a un peu de tristesse et de malaise. C'est une maison à relever.

A Cinq-fontaines, la nouvelle maison s'achève. L'avenir paraît assuré. A Luxembourg, la maison paraît sérieuse et de bon esprit.

Je rentre le cinq à St-Quentin par Namur.

Le 9, je repars pour Bruxelles, conseil le 10. Préparation des change­ments et nominations pour Clairefontaine et Sittard. C'est mal commo­de. Il faudra que la Providence nous aide. L'important est que chaque maison ait un supérieur bon religieux 100 et de bon esprit.

Retour le 12 à St-Quentin.

Visite à La Capelle le 15 pour la Saint-Henri. Les souvenirs de famille me sont toujours encourageants et édifiants.

M. Tausin m'offre son volume sur les Ex-libris d'Ancelet. Préparatifs pour le voyage de Finlande54). Le jeune curé sympathique, M. Wilfrid Von Christierson m'attend. Ferons-nous une fondation là­-bas.

Rendez-vous à Cologne avec le P. Gotzes55) pour le 23. J'achète à Bru­xelles des vêtements de clergyman. Peut-être en porterons-nous bientôt en France aussi.

Hôtel du Dôme. J'ai toujours gardé le souvenir de mon premier voyage 101 à Cologne en 185556): la cathédrale à moitié faite, le pont de bateaux, les vieilles églises romanes, les reliques des onze mille vierges57).

Maintenant la ville est modernisée. Elle a de larges rues, des, boule­vards, des squares élégants. La cathédrale achevée en impose par ses proportions quoiqu'elle n'ait pas l'intérêt de nos vieux sanctuaires de Reims, d'Amiens, de Chartres ou de Bourges.

Une vieille madonne, une vierge du Moyen Age; dans la Kupferstras­se est le centre de la dévotion à Cologne. Les pèlerins vont plutôt là qu'à la cathédrale.

C'était la fête de la translation des Rois mages, 102 j'ai entrevu la belle châsse par la fenêtre du trésor.

Nous dînons dans un bierhalle, des Westphaliens viennent volontiers s'asseoir auprès des prêtres et causer avec eux.

Messe au Dôme le 24.

De Cologne à Berlin. Nous traversons la région manufacturière de la Westphalie: Düsseldorf, Eberfeld, Essen, Dortmund. Les sociétés industriel­les et les usines naissent là comme par enchantement. On y parle facilement de centaines de millions. Les cités naissent, grandissent en quelques années. Les chiffres de population donnés par les livres d'il y a dix ans n'approchent plus de la réalité. On arrive à la pléthore et à la surproduction.

Les wagons sont de vrais buffets. 103 On boit, on mange, on cause. C'est plutôt gênant pour un étranger.

Promenade le soir à Berlin. Quelle transformation depuis quarante ans! C'était alors une ville triste, mal pavée et malpropre, avec 500.000 habitants58). C'est maintenant une ville élégante, riche, d'un bon aspect avec deux-millions et demi d'habitants.

Le nouvelle cathédrale luthérienne est imposante. Elle fait meilleure figure que St-Paul de Londres.

Le nouveau Reichstag est supérieur à notre palais-Bourbon. L'allée de la victoire a de jolis monuments de marbre blanc qui gèlent sous ce climat. 104 Les grands magasins se multiplient avec des essais d'art nouveau ou de gothique civil. Les juifs sont puissants.

On construit beaucoup en béton. C'est propre. Presque tous les bal­cons ont des fleurs, c'est gracieux. Le chemin de fer arrive entre deux rues ou demi-rues et non pas derrière les maisons comme à Paris. La vil­le se présente bien mieux à l'étranger qui arrive.

Le 25, nous disons la messe à Ste-Hedwige59). C'est grand, mais sans art. On y est complaisant. Il y a bien une église française, mais elle est calviniste.

Berlin a neuf paroisses catholiques et douze chapelles. Il y a deux cents mille catholiques. 105 L'église du S.-Cœur en style rhénan est digne. Elle est peu ornée. Les paroisses ont des maisons d'œuvres et des écoles. Il y a à Berlin des Dominicains et des Soeurs variées.

Nous allons à l'ambassade russe pour le passeport du P. Gotzes. Le portier est bien maussade. On nous reçoit mieux au consulat. Il est diffi­cile d'avoir le visa pour un prêtre catholique. Le consul doit écrire ou té­légraphier à Pétersbourg. Nous irons attendre la réponse à Eichwald. La Russie est bien en retard.

Excursion à Potsdam. C'est un Versailles vivant et animé. je visite le château de la ville (Stadt-schloss) rempli des souvenirs de Frédéric le Grand. 106

Le grand château neuf rappelle Versailles, celui de Sans-Souci rappel­le St-Cloud. Tout cela est vivant et habité, et notre Versailles est mort! L'après-midi, visite à l'exposition coloniale. Toutes ces expositions ne sont plus guère que des foires, avec des boutiques alléchantes, des cafés et des jeux.

Le 26, je revois Dresde60). Toutes ces capitales sont comme le paradis terrestre. Tout y est beau: jardins, monuments, œuvres d'art. Mais à côté de cela il y a la vie facile et sensuelle et peu de religion.

Dresde a un beau site, de beaux ponts sur l'Elbe, sa magnifique ter­rasse du Bruhle et ce coin de ville où sont accumulés le palais royal, l'église 107 catholique, le musée, le théâtre. Aucune ville n'a bâti pour un musée un plus beau palais que le Zwinger de Dresde. Le roi Au­guste le fort était un Louis XIV.

Et dans ce palais, que de merveilles! La Madone Sixtine de Raphaël a tant de charme. C'est une douce vision qui vient écouter nos prières et nous bénir. - La Nuit du Corrège, Adoration des bergers à la lumière de l'Enfant-divin est une des œuvres les plus connues et les plus déli­cieuses de la peinture.

Quels beaux Véronèse aussi: Moïse sauvé des eaux, les Noces de Ca­na, l'Adoration des Mages. Toute la richesse du coloris de Veronèse y est déployée. Le Denier de César du Titien a des copies partout, 108 même à Saint-Quentin.

Le musée de Dresde a une collection de pastels uniques. Notre Quen­tin de la Tour y est représenté par deux beaux portraits: Maurice de Sa­xe et la princesse de Saxe. Il y a surtout la chocolatière de Liotard, tant reproduite par l'imagerie.

Je dîne au Victoriahaus, restaurant original: salle Moyen Age, boise­ries de chêne, lustres en couronnes de fer, vases anciens. Chaque pays devrait faire revivre son vieil art original.

Après Dresde, la Suisse saxone: Schandau, Koenigstein. J'ai visité ce­la, il y a 44 ans61). C'est moins large que le Rhin, mais (l'Elbe est) plus sauvage, plus varié. A Teplitz, la voiture du prince Clary m'attendait. J'arrive le soir à Eichwald. 109

26 juillet. Nous faisons là quelque bien. Nos Pères62) desservent l'église bâtie par le prince Clary. Les Clary sont les seigneurs féodaux de Teplitz et d'Eichwald. Ils ont là de vastes propriétés. Ils ont des bains à Teplitz. Ils ont fait d'Eichwald un lieu de cure d'air. Il y a aussi des bains et des bois aménagés pour les promenades. Le site est beau, c'est un vallon des Erzgebirge. L'église est une fantaisie du prince Clary. Il a fait copier l'église de la Madonna dell'Orto, avec façade en marbre et campanile élevé, dans le style gothique italien. Cela s'harmonise peu avec le ciel souvent gris et le climat humide de la Bohême.

Pour presbytère, nos Pères ont 110 un petit hôtel «Zum Engel» . Ils font le catéchisme dans les écoles jusqu'à 20 ou 25 heures par semai­ne. L'Autriche permet cela et le rétribue. Elle n'est pas aussi stupide que nos gouvernements.

Le 28, repos, promenade.

Le 29, visite au prince Clary à Teplitz. Château d'extérieur modeste. L'intérieur est vraiment princier. Il y a des trophées de chasse à l'infini. Le parc est superbe. Les baigneurs en jouissent.

Le vieux Prince nous reçoit avec amabilité. Il désire le développement de l'œuvre d'Eichwald. La Princesse, née Radziwill, est distinguée. Elle connaît toute la haute noblesse de Belgique.

L'après-midi, pèlerinage 111 à Mariaschein. L'église, XVIIIe siè­cle, est entourée d'un cloître avec chapelles. Les jésuites ont là un grand collège.

Goûter chez la comtesse Ledeberg, qui a pour son fils un précepteur belge. Il y a là un charmant intérieur.

En ce pays, tous les enfants vont nus-pieds. Beaucoup de touristes ont le sac sur l'épaule, comme je faisais à vingt ans.

Le 30, visite à l'évêché, à Leitmeritz. Mgr n'y est pas. Nous voyons le vicaire général, il est très bienveillant, et il a des projets pour le dévelop­pement de nos œuvres en Bohême.

La cathédrale est du XVIIIe siècle, style jésuite. Elle a deux tableaux de prix: une petite vierge 112 de Van Eyck et une tentation de st An­toine finement travaillée par Lucas Kranach. C'est le vicaire général qui nous les indique.

Leitmeritz a eu autrefois des Hussites. Un partisan passionné de la communion sous les deux espèces, on disait alors un utraquiste, a fait éle­ver sur sa maison une tourelle en forme de calice. Il y tenait vraiment. C'est original.

Le soir, coucher à Prague chez les Bénédictins.

Le 31, séjour à Prague. Les Bénédictins nous ont donné l'hospitalité dans leur vieux monastère d'Emmaüs. J'ai une chambre épiscopale, meu­bles de chêne, tentures de soie. Le P. Augustinus parle français. 113

L'église a des fresques renouvelées dans le style de Beuron. Les Pères ont là un petit pensionnat d'oblats.

Je revois le Hradschin, qui est comme l'acropole de Prague, avec son immense palais royal et ses hôtels princiers. La vieille cathédrale s'achè­ve. Elle possède les tombeaux de S.-Vit, de S.-Wenceslas, de S. Jean­Népomucène.

Le couvent voisin des Capucins a un trésor merveilleux. Les princes et princesses lui ont donné des ostensoirs, des vases sacrés, des orne­ments couverts de pierreries. Il y a là des millions et des millions offerts à la gloire de Dieu.

Le Cardinal est absent. L'Evêque auxiliaire nous reçoit. C'est l'ama­bilité même. Il 114 parle latin. Il a aussi de beaux projets pour nos œuvres.

Je laisse ma soutane à Eichwald et je repars pour Berlin et le nord en costume de clergyman.

Le ler, nous repassons au consulat de Russie à Berlin, il n'y a pas de réponse de Pétersbourg. Je ne veux pas attendre davantage. Nous repre­nons le passeport du P. Gotzes. Nous essaierons d'avoir un visa à Stet­tin.

Cela réussit, le consul de Stettin signe sans difficulté. Stettin est une grande ville, plus de 200.000 âmes. Elle a de grandes églises ogivales en briques devenues protestantes et sans vie. La ville s'est rajeunie. Elle a de belles rues; 115 des squares gracieux. Elle a conservé et encadré de verdure ses vieilles portes du XVIIe siècle. Elle essaie un style original pour ses grands édifices civils, c'est du gothique en briques, bien adapté à ce climat et à ce milieu.

Stettin abonde de juifs, on ne voit partout que Juda, Manassé ou Lévi. Nous comptions aller le soir à Rügen et continuer vers la Suède, nous n'avons pas pris le train favorable et il a fallu coucher à Stralsund.

Il y a un aimable curé catholique, originaire de Trèves et parlant bien français. Son église est petite. Les grandes églises anciennes sont protestantes 116 et peu fréquentées. Stralsund est bien inférieure à Stettin. Elle a 30.000 âmes. Son vieil hôtel de ville a une riche façade du XVe siècle à pinacles et une façade intérieure de la renaissance.

Je suis passé là, il y a 44 ans avec Palustre63).

Un bac à vapeur nous conduit avec nos wagons, du port de Stralsund à l'île de Rügen, et nous traversons l'île jusqu'à Sassnitz. L'île n'a rien de curieux, que ses falaises du Nord. J'ai visité autrefois son petit lac d'Hertha, qui rappelle des souvenirs druidiques64).

A Sassnitz, nous nous embarquons pour la Suède. Cinq heures de mer avec un gros roulis. 117 Presque tout le monde est malade. A Trelleborg, nous prenons le train pour Stockholm. C'est une nuit de chemin de fer. La matin nous jouissons des paysages suédois: des forêts de sapins, des granits, de belles eaux, quelques chênes et des cultures maigres, des maisons de bois aux teintes rouges.

Une journée à Stockholm. Visite détaillée du palais royal. Riches ap­partements. On nous laisse pénétrer jusque dans le bureau du Kron­prinz. La famille royale de Suède est simple.

Visite à l'église des Chevaliers. Il y a là les tombes royales et les écus­sons des Chevaliers de l'ordre des Séraphins, Mac- 118 Mahon65) et Carnot66) y ont leurs armoiries.

Le Djurgarden, jardin botanique, est superbe: beau site, chênes sécu­laires, musées et divertissements.

Départ le soir. Le bateau s'avance entre les îles boisées couvertes de villas. C'est un pays ravissant. Le bateau est plein et malgré mon billet de lère classe, je dois dormir sur une banquette.

Le matin, nous arrivons sur les côtes de Finlande. On navigue tou­jours entre les îles. On touche à Hengó, un petit port qui se développera. Nous franchissons les îles fortifiées de Svâborg et nous débarquons à 6 heures à Helsingfors.

M. le curé nous manque au 119 débarquement, nous nous tirons d'affaire avec quelque difficulté pour trouver le presbytère, le prastgârden, cour ou jardin du prêtre, auprès de l'église catholique, katholika kyrka.

Nous passons là trois jours. La ville est très gracieuse. Etant assez ré­cente dans son développement, elle a tout l'attrait des quartiers neufs de nos grandes villes: rues larges, avenues, beaux monuments civils, essais de style moderne. A Helsingfors, les jeunes architectes empruntent leur inspiration au style babylonien. Ils reproduisent les colonnes, les chapi­teaux, les moulures, les reliefs que l'on voit dans nos musées assyriens et babyloniens. Banques, 120 maisons de commerce, maisons de rap­port ont ce cachet.

Une belle cathédrale à coupole dorée rappelle la suprématie russe. Une autre cathédrale, renaissance luthérienne, indique le culte domi­nant. Il y a d'autres églises luthériennes. La petite chapelle catholique est modeste et sans style. Elle est dans un beau site, entre le square de l'observatoire et le parc Brunn.

Helsingfors a plus de parcs, des squares, de promenades qu'aucune autre ville de cette importance. La colline de l'observatoire est agréable­ment fleurie. On va à l'île de Hogholmen, au jardin botanique, au Djur­garden, à l'île de Fólison. Ce sont des parcs 121 soignés, agrémentés de bancs, de belvédères, de restaurants, de kiosques à musique. Helsingfors a un musée national. Quelques artistes modernes rivali­sent avec ceux de France et d'Allemagne. Edelfelt, Gallen ont laissé de beaux tableaux de genre et d'histoire. De Wright a un talent de premier ordre pour les natures mortes. Runeberg a imité Rodin, qui a d'ailleurs plusieurs œuvres originales au musée d'Helsingfors.

Le jeune curé, M. Wilfrid Von Christierson est bien aimable. Il a de beaux projets d'apostolat. Je lui donne un aide. Son père appartenait à la noblesse finlandaise, sa mère est Irlandaise. 122 Il a environ 300 ca­tholiques de toutes races, Italiens, Polonais, etc. Quel ministère difficile!

La Finlande va s'ouvrir à l'apostolat catholique. Les luthériens ont perdu la confiance en leur prétendue réforme, ils cherchent la voie. Il fau­dra travailler là longtemps comme on fait au Danemark, ou Norvège. Nous partons le 6 au soir en wagon-lit pour St-Pétersbourg.

Nous arrivons le matin du 7. C'est pour deux jours.

Pétersbourg est une ville moderne et presque occidentale. Elle a peu de cachet. Il y a cependant ses riches églises à coupoles dorées ou peintes de couleurs voyantes. 123

Dès le premier jour je visite les belles cathédrales de N.-D.-du-Kasan et de St-Isaac. La Madone de Kasan est une image byzantine, dite de s. Luc, comme il y en a plusieurs à Moscou, à Wilna [Vilnius], à Kiev. La Russie a hérité de Byzance.

La cathédrale de Kasan a un portique imité de celui de St-François­-de-Paul de Naples. C'est un diminutif de celui de St-Pierre. A l'inté­rieur, l'iconostase ou jubé, est d'une grande richesse: images sacrées en peinture ou mosaïque encadrées dans le vermeil, portes de bronze, etc. De nombreuses icônes enrichies d'or et de pierreries sont disposées au­tour de l'église pour recevoir les embrassements des fidèles. 124 La piété russe est très démonstrative.

L'église de S.-Isaac m'a paru plus riche encore. Il y avait office. Des chantres chantaient à trois voix sans accompagnement, avec une grande exactitude. Cela rappelait notre vieux chant grégorien. Les popes prodi­guent les encensements au peuple et aux icônes.

Visite au musée de l'Ermitage. Que de merveilles! Toutes les écoles sont représentées par des chefs-d'œuvre. De Raphaël, il y a surtout la délicieuse Madone Connestabile et le s. Georges. La Vierge de la mai­son d'Allu est peut-être plus parfaite, mais moins naïve.

La collection des flamands, Rubens, Van Dyck, Teniers, Snyders et Jordaens est unique au monde. Les empereurs ont acheté les col­lections 125 de l'impératrice Joséphine, de la reine Hortense et du banquier Coesvelt d'Amsterdam; quarante deux Rembrandt! La collec­tion du Louvre est bien éclipsée. Quarante sept Rubens - Trente deux Van Dyck.

Pour l'école française, vingt Poussin, dix-huit Claude Lorrain, des Watteau, Boucher, Greuze et Chardin.

De beaux Murillo aussi et des Vélasquez.

Le musée de l'Ermitage est bien ce qu'il y a de plus intéressant à St­Pétersbourg.

Le 8, messe à la chapelle de Malte, desservie par le chanoine Scislans­ki, chapelain des Pages catholiques. Le bon chanoine est polyglotte, il nous acceuille avec 126 beaucoup d'amabilité. Nous visitons l'église Ste-Catherine, grande église catholique à coupoles desservie par quel­ques dominicains et des prêtres polonais. Le P. Lagrange, Français, est en voyage.

Nous montons sur l'église St-Isaac, on a de là un magnifique panora­ma. On voit tout Pétersbourg, avec ses coupoles variées, et la Néva jusqu'à Péterhof et au-delà.

J'ai voulu voir aussi le fameux palais de la Tauride où se tient la Dou­ma. Il y a là de grandes salles bien simples et rien d'artistique… Départ le soir pour Moscou, après un dernier tour de ville et une visite aux tombes impériales à l'église St-Pierre et St-Paul. 127

Arrivée le neuf au matin. Hôtel Billò, confortable et animé. Moscou, c'est la ville sainte de l'Orient, la nouvelle Byzance. Il y a des centaines d'églises et de grands et nombreux couvents. Que de coupoles, dorées ou coloriées! Que de clochers! Beaucoup de toitures à Moscou sont peintes en vert, ce qui donne à la ville un cachet particulier. Moscou est bien plus originale que Pétersbourg.

Le Kremlin est l'acropole de Moscou. Il y a là les palais impériaux, les sanctuaires nationaux, les couvents aristocratiques.

On entre au Kremlin comme dans un sanctuaire. La loi oblige à sa­luer l'image du Sauveur qui surmonte la porte. 128 Le Kremlin a deux palais, trois cathédrales, quatre autres églises, deux grands mona­stères, le sénat, l'arsenal et d'autres monuments. Le grand palais lui-même a quatre sanctuaires.

Moscou est bien une ville sainte. Nulle part je n'ai vu autant de dé­monstrations extérieures de religion. Tout le peuple salue les églises, les icônes des sanctuaires et des rues. Il y a partout des images pieuses, dans les hôtels, dans les magasins, dans les gares, dans les restaurants. Ces images ont des lampes allumées. Chaque chambre d'hôtel a une icône. Dans les rues tous les passants s'arrêtent, se découvrent, se signent de­vant les images et les chapelles.

A l'entrée de la vieille ville, 129 la chapelle ibérienne a une copie de la Vierge la plus vénérée du Mont Athos. On ne passe pas là sans entrer et prier. La police fait ranger les passants. La Vierge célèbre est couverte de brillants et de perles. Quand le Czar lui-même se rend au Kremlin, il s'arrête et prie.

Moscou a plusieurs églises et couvents qui ont été construits comme ex-voto, en souvenir des victoires attribuées au secours divin.

L'église St-Basile (ou de la Protection de la Vierge) est la plus originale de Moscou. Elle compte une douzaine de dômes, variés de couleurs et de formes, elle a un aspect fantastique. C'est du mauresque de fantaisie. L'intérieur n'a que de petites chapelles 130 peu éclairées. C'est un ex-voto d'Ivan le Terrible, après la prise de Kasan en 1554.

La cathédrale de Kasan, dans la grande rue Nicolas, a été élevée en 1630 en reconnaissance de la victoire qui délivra la Russie des Polonais. Le monument de Minine et Pojarsky sur la Place Rouge se rapporte au mê­me souvenir. Les Russes ont regardé la guerre contre les Polonais com­me une guerre sainte. Minine, boucher de Nizhny-Novgorod et le prin­ce Pojarsky sont les héros de l'indépendance. Ils ont reconquis Moscou sur le roi Sigismond.

L'église St- Vladimir a été élevée en 1691 en mémoire de la délivrance de la Russie du joug des Tatares. 131

La grande église du Sauveur qui a coûté plus de 15 millions de roubles a été construite en 1837, en souvenir des événements de 1812 à 1814. C'est une église superbe à cinq coupoles dorées. L'intérieur est tout bril­lant d'or, de marbre et de peintures historiques et religieuses.

Parmi les nombreux couvents qui occupent de grands espaces dans les rues de Moscou, celui des Vierges a été fondé en 1524, par le Czar Vas­sily Ivanovitch en souvenir du retour de Smolensk au grand duché de Moscou. La tzarine Irène y prit le voile. Pierre le grand y enferma sa soeur Sophie, qui briguait le pouvoir.

Le couvent de Donskoï, ou de la Vierge du Don a été 132 fondé par le tsar Féodor Ier en souvenir de la victoire remportée sur les Tartares. Il ne comp­te pas moins de sept églises, et tous les couvents en ont quatre ou cinq.

Un trait marque la profonde religiosité du peuple russe. Sur la place Rouge une estrade marque l'endroit jusqu'où le tsar conduisait l'âne du patriarche dans les processions solennelles.

J'ai visité le Kremlin assez complètement. J'entrai par la porte du Sauveur, en saluant l'image sainte.

Sur la place du Tsar, à l'entrée du Kremlin, s'élève d'abord le couvent de l'Ascension, couvent de femmes, avec une église principale dédiée à l'Ascension et plusieurs églises secondaires. Le couvent a été fondé 133 parla grande duchesse Eudoxie et l'église principale sert de panthéon aux impératrices et aux princesses de la famille impériale. Les bonnes Soeurs vendent des images pieuses, des cierges, des ceintures bé­nites. Elles doivent faire de bonnes affaires. Elles ont bonne figure. J'ai pu rentrer jusqu'au réfectoire et à l'oratoire privé où le corps d'une Soeur âgée, décédée la veille, attendait la sépulture. Ces bonnes filles sont de bonne foi. Un prêtre catholique de Moscou me disait: «Elles doi­vent aller tout droit au ciel».

Un peu plus loin, c'est le couvent des Miracles fondé en 1365 par le mé­tropolite st Alexis sur le terrain que lui céda le khan des Tatares dont il avait guéri la femme. L'église renferme 134 les reliques de st Alexis dans un sarcophage d'argent. Elle a une riche iconostase et en guise de bannières, des images saintes sur fond d'or. Les bons moines basiliens tiennent boutique d'objets de piété. Je leur achetai des croix de bois odo­riférant.

Près du couvent est la reine des cloches, la cloche cassée qui n'a jamais sonné et qui pèse 200.000 kilos. Elle abrite 200 personnes.

L'Ivan-Veliky est le campanile du Kremlin. A ses pieds, deux petits sanctuaires, l'église de S. Jean et celle de S.-Nicolas des fiancés. La tour, haute de 97 mètres a 31 cloches. Celle dite de l'Ascension pèse 65.000 kilos.

Sur la place des cathédrales, 135 il y a trois cathédrales et le grand palais. La cathédrale de l'Annonciation sert au baptême et au mariage des tsars; celle de l'Assomption à leur sacre; celle de l'Archange à leur sépul­ture. Ces églises du XIVe et du XVe siècle ont le même plan: une nef carrée et trois absides. La nef a quatre colonnes ou piliers qui portent une coupole.

Celle de l'Annonciation a des fresques curieuses: les patriarches, les pro­phètes et les philosophes grecs représentent l'ancien testament; les apô­tres et les martyrs représentent le nouveau.

Celle de l'Assomption possède les tombeaux des patriarches russes, dont plusieurs sont canonisés. 136 Au centre est le lieu où se fait le couron­nement. - A gauche de l'iconostase est la Vierge de Vladimir, attribuée à s. Luc, venue de Jérusalem à Constantinople au Ve siècle, puis de là à Kiev, à Vladimir et enfin à Moscou au XIVe siècle. Il y a, dit-on, 5.400 kilos d'or dans l'iconostase de cette église, et ses vases sacrés.

C'est à l'église de l'Archange qu'ont été inhumés les tsars de la maison Rourik et des Romanov. Quarante-sept tombeaux sont recouverts de ta­pis. Plusieurs des princes qui reposent là sont canonisés et leurs tom­beaux sont des reliquaires.

Le grand palais a été construit de 1838 à 1849. Il a 120 mètres de long et a coûté 12 millions de roubles. J'ai pu le visiter. 137

Le grand escalier de parade est majestueux. Trois grandes salles ser­vent aux fêtes du couronnement: la salle St-Georges, blanc et or, 60 mè­tres de long et 3.200 lumières, dédiée à l'ordre équestre de St-Georges. La salle St-Alexandre: rouge et or, 31 mètres de long, 4.500 bougies électriques; parquet en marquetterie avec vingt sortes de bois. La salle St-André, salle du trône, bleu et or, dédiée à l'ordre de St-André: 50 mè­tres de long.

Quelle splendeur doivent présenter ces trois salles aux fêtes du sacre! La salle des chevaliers-gardes les précède. Celle de Ste-Catherine, blanc 138 et rouge, avec des piliers de malachite est pour les dames. Vient ensuite l'église de la Nativité pour les tsarines - puis les apparte­ments du grand-duc héritier avec la salle d'argent: table et meubles d'ar­gent faits à Augsbourg…

On passe du grand palais dans le Térem ou palais du Belvédère destiné aux enfants du tsar. Meubles du temps de Pierre le Grand.

Le grand palais comprend encore l'église du Sauveur derrière la grille d'or, qui a douze dômes dorés, et l'église du Sauveur dans la forêt, là où commença le culte chrétien au Kremlin.

Ce grand palais est tout un monde.

Du vestibule du grand palais on passe dans le Palais des armures, 139 qui renferme le trésor et un musée d'armes. Que de richesses: couron­nes, trônes et armures de tous les tsars - armes des Boyards et des Polo­nais - orfèvrerie allemande, filigranes de Cracovie, etc. - grand servi­ce de Sèvres - lits de campagne de Napoléon - harnais précieux, ca­rosses de gala, traîneaux princiers.

Le trône du tsar Alexis est garni de 876 diamants et de 1223 autres pierres précieuses. C'est un don des marchands arméniens d'Ispahan. Le Kremlin possède encore la grande caserne, le Synode, l'arsenal, le tri­bunal. Devant la grande caserne, canons anciens, parmi lesquels deux pièces monstres: le canon du tsar ou le roi des canons. Son calibre est 140 de un mètre et il lui faut une charge de 2.000 kilos. L'autre, la Licorne est une pièce de 60.

Devant l'arsenal sont les canons pris en 1812. Il y en a 875, dont 366 français.

Le Synode, ancienne maison des Patriarches, possède l'église des douze Apôtres, riche en reliques. Le tribunal est l'ancien sénat plus vaste que beau.

Je sortis du Kremlin par la porte St-Nicolas. On dit là-bas que les Fran­çais voulurent la faire sauter, mais que le ciel la protégea. La partie su­périeure de la tour fut seule endommagée. L'image du saint ne fut pas même atteinte non plus que la lampe qui brûlait 141 devant elle.

Comme Rome, la ville sainte de la Russie a des reliques précieuses, des images vénérées rapportées de Constantinople - le suaire et la robe de la ste Vierge avec un clou de la vraie croix à l'église de l'Assomption - un morceau de la robe de N.-S. et un de la vraie croix à l'église de S.-Philippe, au Synode.

Sur la place Rouge, devant le Kremlin, il faut signaler les Rangées, grandes galeries de commerce, un vrai bazar luxueux avec trois étages de magasins sur 250 mètres de long. On trouve là toutes les spécialités russes, étoffes, orfèvrerie, icônes et objets du culte. C'est d'un grand in­térêt. 142 Les vases sacrés et les ornements sont riches, mais ils n'at­teignent pas le fini et la gracieuseté des œuvres de Lyon, Paris, Krefeld ou Düsseldorf.

L'animation des rues de Moscou est grande. La race est à demi tarta­re. Ces gens sont médiocrement intelligents et presque tous illettrés. Ils sont actifs pour le commerce.

Moscou a succédé à Byzance pour la dévotion, l'étroitesse d'esprit et l'antipathie pour Rome. Les Russes dominent des races qui leur sont bien supérieures comme les Finlandais et les Polonais. On rencontre à Moscou des Chinois, des Turcs et Grecs au fez rouge, des tcherkesses avec leur brillant costume de cavaliers, des moujiks grossiers: longs che­veux, chaussures 143 d'écorce, caftan rapiécé.

Il y a à Moscou beaucoup de prêtres et de moines. On ne les salue pas, ils ne se saluent pas entre eux. Le pope a les cheveux longs, la raie au mi­lieu, la barbe pleine. Il ressemble à Notre-Seigneur. Les popes ont la ro­be et la douillette de diverses couleurs.

Les Persans ont une mitre noire de peau de mouton. Les cochers com­me à Pétersbourg ont une houppelande, souvent bleue, avec une ceintu­re de couleur et un chapeau en entonnoir.

Le 10, je dis la messe à la chapelle française de S.-Louis, petite église style empire. Le P. Libercier, dominicain, était 144 absent, l'abbé Lemonnier, son vicaire, nous permit de célébrer. Sa chapelle compte en­viron 3.000 paroissiens. Celle de S.-Pierre et S.-Paul, desservie par les Polonais, en a davantage.

A Moscou, on aime les toits de zinc peints en vert. Les coupoles sont de couleurs variées. Cela donne à la ville un aspect oriental.

Nous partons le soir pour Varsovie. Il y a 1.200 verstes à faire. Le voyage durera 24 heures. Nous avons un wagon-lit. Les chemins de fer russes sont bons, bien suspendus. On y dort en paix, il y a des lits en se­conde.

Après cent verstes, nous sommes à Borodino. C'est là qu'eut lieu la grande bataille de 1a Yo scova, 145 qui valut son titre au mâréchel Ney le 7 sept. 1813. Dix-huit généraux français y périrent et vingt deux russes.

Au petit jour, nous sommes à Smolensk sur le Dniéper [Dniepr]. Nous avons fait quatre cents verstes. C'est la clef de la Russie. Les Polonais l'ont souvent prise. Elle a 50.000 âmes. Il y a là aussi une Madone de s. Luc. Ce fut une des étapes de Napoléon au retour de Moscou.

A 600 verstes de Moscou, c'est Borissov et la Bérésina. Je passe le fleuve sur un pont de fer, bercé par mon train. Si Napoléon avait eu les chemins de fer, il aurait pu réaliser ses rêves insensés de domination uni­verselle.

Cent vingt verstes plus loin, 146 c'est Minsk: 100.000 habitants, dont 50.000 Juifs. Les Juifs de Pologne ont tous le même type. Les jeunes gens rappellent le type traditionnel de Notre-Seigneur. Tous portent le même costume, houppelande noire et casquette. Ils tiennent tout le com­merce.

Trois cens verstes plus loin, c'est Brest-Litovsk, autre ville demi juive. Le soir, coucher à Varsovie, hôtel de l'Europe.

Belle capitale. Huit cents mille âmes, deux cent cinquante mille juifs. La Vistule est un fleuve superbe: cinq cents mètres de large. Le château royal assez modeste; descend vers le fleuve. On voit là sur le champ de manœuvres, des Cosaques 147 et des Tcherkesses qui sont d'admira­bles cavaliers. Il y a des parcs très soignés, surtout le jardin de Saxe.

Varsovie a la civilisation occidentale, elle n'est pas originale comme Moscou. La vieille cathédrale S.-Jean, église gothique du XIIIe siècle, à trois nefs, est de moyenne grandeur. Elle a des tombes historiques de princes et d'archevêques.

La Pologne a encore de bien jolis costumes. Nous en rencontrâmes beaucoup sur la route de Varsovie à la frontière. C'était fête, l'Archevê­que confirmait à Aleksandrowa. Toutes les gares étaient pavoisées et beaucoup de campagnards 148 voyageaient en costume: coiffe blan­che, robe et tablier verts ou bleus. Les jeunes confirmées avaient des couronnes de fleurs ou de feuillages.

Coucher à Berlin le soir à minuit.

Le 13, voyage de Berlin à Liège. Rencontre de famille à Cologne. Le 14, à Bruxelles, je reprends avec plaisir ma soutane que je n'avais pas quittée pendant quarante ans.

Conseil le 17. C'est le placement et ce n'est pas commode.

La fondation de Finlande est décidée et c'est le P. Van Gysel67) [van Gijsel] qui partira dans quelques jours.

Le 28, je conduis jusqu'à Paris le P. Schimanski68) qui s'en retourne au Brésil. 149

Le 2, à Magny-la-Fosse, prédication sur la mort. Tout le village est à la messe pour le lundi de fête. C'est pour eux un jour sacré. Et le diman­che, il n'y a presque personne! Cependant le maire et le château sont là chaque dimanche. Pauvres gens, comment les relèvera-t-on?

Ma retraite. Ouverture le 9. Le P. Boquet.

ler soir. Tempus acceptabile, dies salutis [2Cor 6,2]. Le champ de mon âme est libre à la culture. Il peut être stérilisé par l'Aquilon, le vent froid du nord, ou par le vent brûlant du désert. L'Aquilon, c'est l'inattention, la froideur, la distraction. Le vent brûlant, c'est une passion mal contenue.

Vienne plutôt l'Auster fécond, 150 le vent doux et frais de la grâce. Mardi matin: Méditation fondamentale. Dieu m'a créé pour le con­naître, l'aimer, le servir. Il ne pouvait pas me créer pour m'adorer moi­-même ou pour adorer les créatures, il eût été injuste envers lui-même, imprudent, désordonné…

10 heures: l'usage des créatures: Que ferai-je de mon intelligence? Vais-je l'appliquer à des riens, la tourner vers les erreurs du temps?

3 heures: examen sur les exercices de piété. La piété n'est que la reli­gion bien remplie. Comment puis-je parler à Dieu sans respect, sans gê­ne, sans religion? Et ma messe? et mon office?…

6 heures: le Souverain Bien. Les philosophes disaient: c'est le plaisir, le bonheur. Nous disons: c'est 151 Dieu et sa possession éternelle. St Ignace nous enseigne l'indifférence sur les moyens, dans les limites de la justice. Qu'importent la douleur, le mépris, la pauvreté, l'humiliation, si ces moyens conduisent à l'éternel bonheur. C'est la sagesse suprême. Faisons-nous indifférents. Demandons à Dieu la force d'âme.

[Dans la journée, conseil et entretien avec les Pères de Sittard pour le partage des ressources du noviciat. Tout se passe en charité. J'y avais in­téressé les âmes du purgatoire].

Mercredi. Le matin, méditation sur le triple péché. Quels châtiments Dieu inflige au péché! Et c'est juste! Nous ne le comprenons plus. Nous commettons 152 tant de péchés et si facilement!

9 heures: Encore le péché et la contrition. Visite à l'enfer. Que d'im­prudents sont là. Ils ont vécu dans l'inconscience comme nous. Et main­tenant c'est trop tard!

3 heures: Contrition. Bossuet et Bourdaloue disent que la vraie contri­tion est un des actes les plus difficiles de la vie chrétienne. Que de confes­sions de routine! Que d'illusions! Comme le ferme propos est difficile! Au jugement, que dirons-nous? Erravi. Ce sera trop tard.

6 heures. L'enfer. Il n'est rien que Notre-Seigneur ait prêché davan­tage. C'est une prison, un lieu de ténèbres, un lac de feu, etc. Toutes les formes de tourments servent à le décrire. Nous ne le craignons pas assez. 153

Jeudi. - 6 h. La crainte de Dieu. Les saints craignaient extrêmement et souvent jusqu'à la dernière heure: s. Paul, s. Augustin, s. Jérôme, le Curé d'Ars. L'éternité est tout pour nous. Ne pas craindre est insensé. On se rassure parce qu'on est prêtre, religieux, parce qu'on a le scapu­laire. Cela peut nous endormir. Ce n'est pas tout religieux qui ira au ciel, mais seulement celui qui vivra en vrai religieux.

9 heures. - La mort. Les tièdes meurent calmes, insouciants, ce n'est pas un signe de salut. La mort chrétienne doit être une dernière victoire. Regnum caelorum vim patitur [Mt 11,12]. Vincenti dabo manna absconditum [Ap 2,17]. Les démons sont à l'assaut. Qui l'emportera? Il faut être ha­bitué à la lutte et à la victoire, pour vaincre à la dernière heure. 154

3 heures. Contre la voie large. Dieu veut être servi avec soin. C'est justice. Cum timore et tremore… [Eph 6,5]. Contre le P. Castelin qui a écrit la thèse du grand nombre des élus. Dieu serait un maître facile qui a pris son parti de toutes les horreurs… C'est là une doctrine basse, terre à ter­re, sans idéal. Si N.-S. a sacrifié sa vie pour notre salut, c'est que le pé­ché n'est pas une chose insignifiante. Qu'on ne dise pas que Dieu est dur parce qu'il damne les pécheurs. Celui-là n'est pas dur qui donne sa vie, son sang pour nous. C'est à nous d'en profiter.

6 heures. - L'enfant prodigue. Ils sont toujours nombreux. Les uns quittent l'Eglise et le Christ en perdant la foi, dans le modernisme; les autres quittent le Christ leur père, par leur vie sensuelle, déréglée, 155 passionnée. L'enfant prodigue de l'Evangile s'humilie: fac me sicut unum de mercenariis tuis [Lc 15,19]. Revenons au bon Maître, humblement, il nous rendra ses grâces.

Vendredi. 6 heures. Méditation du règne. Comme les chevaliers ai­maient leur roi: pro Deo, Rege et Patria. Quelle ardeur de sentiments! Quel esprit de sacrifice! Suivons un roi si bon, si beau. Il marche devant et ne nous demande que les sacrifices qu'il a faits.

9 heures. - Contemplation ad amorem. Le Père fait bien de mettre cet­te méditation de s. Ignace avant celles des mystères. Elle les éclairera. Après la crainte, l'amour. Dieu est si bon. Sic Deus dilexit mundum [Jo 3,16]. Jésus est si bon, si aimable. Qu'aurait-il pu faire de plus? 156

3 heures. - Les tentations. Le démon ne se lasse pas. Mais nous l'ai­dons. Nous nous complaisons dans certaines pensées dangereuses. Nous y trouvons une certaine jouissance. Il faut prendre les moyens. Il y en a de spéciaux au moment de la lutte, c'est la diversion et la prière. Il y en a de généraux et habituels: modestie, exercices de piété bien faits, efforts pour aimer la vertu contraire à notre défaut dominant. Luttons et nous serons récompensés.

6 heures. L'humilité. Bethléem. Jésus a choisi tout ce qui est petit, humble, pauvre. C'est donc qu'il y a profit spirituel à prendre cette voie. Suivons-le. Contemplons les circonstances de sa naissance…

Samedi. - 6 heures. Les bergers. Les petits, les humbles, voilà les pré­férés de Jésus, ses premiers amis. 157 Ils veillent, ils prient, ils sont vi­sités par les anges. Imitons leur simplicité, leur foi.

9 heures. - Nazareth. Vie cachée. Vie d'enfant jusqu'à 12 ans. Ensuite, vie de labeur dans l'obéissance et dans l'humilité. Erat subditus [Lc 2,51].

3 heures. - Les tentations: les deux étendards. Il y a deux chefs, Jé­sus et Satan. C'est chaque jour que chacun d'eux nous sollicite. Satan est habile. Longtemps il revient avec le même attrait, la même tentation; pour l'un c'est l'orgueil; pour l'autre c'est l'attache aux biens, à l'ar­gent. Il finit par l'emporter et conduire même des prêtres et des religieux à leur perte. Aujourd'hui voulons-nous signer un engagement de fidélité à Jésus, de rupture avec tel attrait dangereux? Si nous ne disons pas un oui énergique, c'est comme 158 si nous disions non.

6 heures. - Les trois degrés d'humilité: le troisième, l'amour des op­probres, est l'idéal des âmes réparatrices.

Dimanche. - 6 heures. L'Agonie. Le moment de l'exécution des réso­lutions va venir, c'est l'heure du sacrifice. Prière et fermeté.

9 heures. Les impropères. Les humiliations, les contradictions vien­dront, acceptons avec patience, avec résignation, avec amour.

3 heures. Le Calvaire. - Pour nous, c'est la règle, c'est la vie com­mune, avec l'acceptation des peines quotidiennes, qui est notre immola­tion.

6 heures. La persévérance. Il faut un point de repère, une disposition à réveiller. Ce sera pour moi l'union habituelle avec N.-S. - Cor Jesu, quid me vis facere?

Le Lundi, je donne la méditation sur notre but spécial: amour et répa­ration au S.-Cœur.

159

Organisation politique1 Rome47
Chemins de fer2 Santa Chiara48
La culture4 Index49
Production agricole7 P. Jouet. Purgatoire50
Estancias9 160 Audience du Pape51
Grandes industries13 Avril: visites53
Spéculation16 Cardinaux54
Budget17 Autres visites56
Jeu19 Mgr Bougouin58
Monnaie20 Index59
Comparaisons21 Naples63
En mer. 23 déc25 Albino70
Noël à Santos26 Marc Sangnier71
Le 26 déc. à Rio27 Santa Chiara74
St Jean en mer28 Le P. Rütten75
Lectures29 Ordination76
Décès à bord30 Caserte77
Le 31 de déc.31 Pompéi - Valle78
Salerne79
Monteleone80
1907 Reggio82
Tremblements de terre84
Premier Janvier32 Soriano86
2 Janv. Lectures33 Serra San Bruno88
4 Janv. Dakar34 Naples90
Bourget: l'Etape35Fête du S.-Coeur91
Doumer37 Florence92
Lemaître: les Rois38 Albino93
Kipling [Rudyard]39 Retour - 1ère Com. 45
Ohnet40 Mons96
Sardou41 Tervuren et Louvain97
Bordeaux42 Tournée - Conseil98
St-Quentin43 Cologne100
Février44Voyage - Berlin 102
Cannes45 Dresde 106
Lérins46 Eichwald109
Teplitz - Leitmeritz110 St-Pétersbourg122
Prague112 Moscou126
Stettin - Stralsund114 Retour: Varsovie144
Stockholm117 Août148
Helsingfors119 Septembre: retraite149

1)
Bourget (Paul), critique et romancier français, membre de l’Académie Française. On lui doit un certain nombre de romans remarquables par la profon­deur et la sûreté de l’analyse psychologique: le Disciple, Mensonges, Cruelle Enigme, Terre Promise, l’Etape, etc. Né à Amiens en 1852, mort à Paris en 1935. (PLI
2)
Sillon (Le), cf. NO, vol. 111, note 31, p. 477.
3)
Doumer (Paul), homme politique et administrateur français, né en 1857. Il se distingua comme gouverneur de l’Indochine. Il a publié L’Indochine française, Souvenirs (1903) et le Livre de mes fils. Mort en 1932.
4)
Lemaître (Jules), critique littéraire et auteur dramatique français, né en 1853. Esprit brillant, psychologue pénétrant, il fait représenter, entre autres œuvres: le Député Leveau, l’Aîné, les Rois, la Massière, etc. et écrit de remarquables Impressions de théâtre. Mort en 1914.
5)
Kipling (Rudyard), écrivain et poète anglais, né à Bombay en 1865, mort à Londres en 1936. La vie aux Indes lui inspire les deux Livres de la jungle (1894). Il publie aussi Capitaines courageux (1897) et Kim (1901), l’un de ses meilleurs romans, où l’Inde est décrite de la manière la plus vivante.
6)
Ohnet (Georges), romancier français (1848-1918), auteur du Maître de Forges, de la Grand Marnière, de Seme Panine, etc.
7)
Sardou (Victorien), auteur dramatique français (1831-1908). On lui doit de nombreuses comédies, des drames, etc., très adaptées pour le théâtre: Nos Intimes, les Pattes de mouche, la Famille Benoîton, Mme Sans-Géne, la Tosca, Patrie, Thermidor, la Sorcière, etc.
8)
Serao (Matilde), romancière et journaliste italienne, née de parents napolitains réfugiés à Patras, en 1856. En 1884 elle épouse E. Scarfoglio et, avec lui, fonde le Corriere di Roma et le Corriere di Napoli. Après s’être séparée de E. Scarfoglio, elle fonde Il Giorno et le dirige jusqu’à sa mort (à Naples, en 1927). Les meilleurs de ses romans décrivent les misères et les malheurs du petit peuple napolitain. Son christianisme avec des tendances naïvement païennes est teinté de mysticisme.
9)
Gonindard (Jean-Natalis-François), né en 1838, évêque de Verdun (1885­-1887), archevêque de Rennes (1887-1893) mort en 1907. Probablement, le P. Dehon veut parler du nouvel évêque de Soissons, Péchenard (Pierre-Louis: 1842-1920), évêque de Soissons: 1907-1920
10)
Cf. NQ, vol. 2, note 50, p. 669.
11)
P. Angelus Déal, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 66, p. 534.
12)
Cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, o.c., p. 341.
13)
Le P. Barthélemy Dessons, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 95, p. 524.
14)
Soderini Edouard, cf. NQ, vol. 2, note 39, p. 637.
15)
Lobbedey (Emile-Louis-Cornil: 1856-1916), év. de Moulins: 1906-1911; év. d’Arras: 1911-1916.
16)
Battandier Albert, cf. NQ, vol. 3, note 19, p. ???
17)
Bremond (abbé Henri), critique littéraire et historien français (Aix-en­-Provence 1865 – Arthez-d’Assan, Basses-Pyrénées, 1933). Entré dans l’ordre des Jésuites (1882), il est d’abord professeur (1892-1899), puis est attaché à la rédac­tion de la revue Etudes (1899). Il quitte l’ordre pour le clergé séculier (1904) et se consacre alors à ses travaux, dont le plus important est une vaste Histoire littéraire du sentiment religieux en France (II vol., 1916-1936). Sa méthode critique y paraît fondée sur une documentation extrêmement riche, qui permet de faire revivre les grandes individualités de l’histoire religieuse. Mais la partialité de l’auteur se révè­le à la défiance qu’il témoigne aux jansénistes et à Bossuet; sa sympathie va au mysticisme de Fénelon (Apologie pour Fénelon, 1910) . Cette tendance au mystici­sme, que lui ont reprochée les défenseurs de l’orthodoxie catholique, aussi bien que les rationalistes, se confirme dans ses ouvrages sur la poésie, considérée comme une exaltation mystique (Pour le romantisme, 1923; la Poésie pure, 1926; Prière et poésie, 1927; Racine et Valéry, 1930). [Acad. fr., 1923.] (GL).
18)
Bougouin Henri (Mgr), cf. NQ, vol. l, note 22, pp. 549-550.
19)
Tiberghien Jules (Mgr), cf. NQ, vol. 2, note 36, p. 636.
20)
Ollé-Laprune (Léon), philosophe français (Paris 1839 -id. 1898). Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, il professa la philosophie dans cette école (1875). Catholique convaincu, il fut, suspendu de ses fonctions pendant un an, en 1880, pour avoir protesté contre les décrets dirigés contre les congrégations. On lui doit: la Philosophie de Malebranche (1870), De la certitude morale (1880), Essai sur la morale d Aristote (1881) , la Philosophie et les Temps présents (1890 ) , les Sources de la paix intellectuelle (1892), le Prix de la vie (1894), De la virilité intellectuelle (1896). [Acad. des se. mon, 1897]
21)
Mathieu François-Désiré (tard.), cf. NQ, vol. 2, note 5, p. 661.
22)
Vives y Tuto Joseph Calasanz (tard.), cf. NQ, vol. 2, note 16, p. 665.
23)
Vannutelli Vincenzo (tard.), cf. NQ, vol. 2, note 9, p. 616.
24)
Agliardi Antonio (tard.), cf. NQ, vol. 2, note 14, p. 631.
25)
Baudrillart (Alfred), cardinal. – Né à Paris le 6 janv. 1859, d’une famille universitaire: entra à l’Ecole Normale en 1878 (avec Jaurès et Bergson). Agrégé d’histoire, il enseigna à Laval, à Caen, à Paris; il prépara activement sa thèse, De cardinalis Quirini vita et operibus, et Philippe V et la Cour de France (durant un séjour en Espagne pour ses travaux, il eut le bonheur de découvrir à Alcala 400 lettres de Louis XIV à son petit-fils). L’ouvrage commença à paraître en 1890. Il put alors entrer à l’Oratoire pour réaliser un idéal sacerdotal entrevu depuis l’âge de 17 ans, et fut ordonné prêtre en 1893. Par son activité intellectuelle, il essaya de créer «l’atelier d’apologétique» rêvé par Gratry et d’entraîner l’Oratoire vers sa grande mission historique: l’apostolat de la science. Du moins il fut de ceux qui le sauvèrent de la désagrégation en 1901. De 1897 à 1908, il dirigea le Bulletin critique. en 1901, il donna le 5e vol. de son Philippe V en 1904, il édita L’Église catholique, la Renaissance, le protestantisme. Il fut le premier directeur du Dict. d’hist. et de géogr. eccl. Les événements politiques lui suggérèrent Quatre cents ans de Concordat, 1908. Il fut de ceux qui prirent parti con­tre les Associations cultuelles. Pendant la crise moderniste, il s’attacha de plus en plus à l’autorité et à une stricte orthodoxie. Il fut nommé recteur de l’Institut catholique en 1907. Il s’agissait d’organiser un foyer de science catholique fidèle à la Tradition et ouvert aux problèmes de l’époque. Son prestige contribua au rayonnement de cette maison. Il en assura la vie matérielle; il créa des chaires nombreuses pour des enseignements très divers qu’on ne trouvait nulle part ailleurs. Sa remarquable biographie de Mgr d’Hulst (1912-1914) lui permit d’affirmer sa doctrine sur l’enseignement libre supérieur et de manifester sa vénération pour un prêtre éminent. Durant la guerre de 1914, il exerça une influence considérable par la création du Comité catholique de propagande française à l’étranger; il est certain que ses missions en Espagne (1916-1917) y ont modifié l’opinion envers la France, qui cessa grâce à lui d’être représentée comme le pays de l’Antéchrist. Son voyage aux États-Unis (1918) eut un grand retentissement. Après la guerre, il continua cet effort pour que le monde connût mieux la vie chrétienne en France; il circula sur­tout en Europe centrale et, par deux fois, se rendit en Amérique latine. Les honneurs affinèrent: académicien en 1918, il fut sacré évêque d’Himéria en 1921. Il agrandit l’Institut catholique. En 1928, il accepta d’assurer les Conférences de Notre-Dame sur le thème de «La vocation catholique de la France». Il devint alors archevêque de Mélitène. Partout il donnait des conférences, dont plusieurs furent publiées; parmi ces recueils, on doit retenir surtout A la jeunesse, conseils d’hier et d’aujourd’hui (1932), qui nous donnent le meilleur de son âme sacerdotale toute dévouée à la formation des jeunes gens. En 1935, Pie XI le créa cardinal-prêtre du titre de S.-Bernard-aux-Thermes. En 1939, pour assister au conclave, il fit encore le voyage de Rome malgré ses quatre­-vingt ans. Il était déjà très affaibli; sa vue lui rendait la lecture presque impossible; l’artérite le paralysait de plus en plus; mais il faisait front avec une superbe éner­gie. Survinrent la guerre, la défaite, l’occupation; le lutteur ne pouvait pas ne pas prendre position. Il crut choisir en toute liberté, bien que son passé et ses rela­tions l’aient beaucoup déterminé. Dès qu’il eut pris parti, il s’y maintint avec sa ténacité habituelle, et il ne craignait pas d’affirmer des opinions dont beaucoup s’étonnèrent douloureusement. Sa terreur du communisme dicte son ralliement au gouvernement de Pétain. Il mourut le 19 mai 1942 (CHAD).
26)
Gotti Antonio (card.), cf. NQ, vol. 2, note 19, p. 632.
27)
Ferrata Domenico (card.), cf. NQ, vol. 2, note 10, p. 630.
28)
Mercier (Désiré Joseph), prélat belge (Braine-l’Alleud 1851 – Bruxelles 1926). Professeur de philosophie au séminaire de Malines, puis (1882) à l’université de Louvain, il contribua, par ses cours et par plusieurs grands traités (Ontologie, Logique, Psychologie, Critériologie, 1892 -1899), au renouveau thomiste souhaité par Léon XIII. Archevêque de Malines et primat de Belgique (1906), cardinal (1907), sa fière attitude face à l’occupant allemand pendant la Première Guerre mondiale lui valut un prestige international. Il s’efforça d’établir un dialogue avec l’anglica­nisme en organisant, avec lord Halifax, les «Conversations de Malines» (1921­-1923). Soucieux de la vie intérieure de son clergé, il publia plusieurs recueils de ses conférences et retraites, en particulier A mes séminaristes (1908) (GL).
29)
Bailly Emmanuel, cf. NQ, vol. 2, note 7, p. 615.
30)
Gasparri Pietro (card.), cf. NQ, vol. 3, note 29, p. 477.
31)
Della Chiesa Giacomo (Benedetto XV), cf. NQ, vol. 2, note 42, p. 638.
32)
Wolff Ludovic-Jean, cf. NQ, vol. 3, note 2, p. 482.
33)
Renouvier Charles, cf. NQ, vol. 3, note 12, p. 484. Fouillée (Alfred), philosophe français (La Pouëze, Maine-et-Loire, 1838 – Lyon 1912). Maître de conférences à l’École normale supérieure (1872-1879), il dut, pour raisons de santé, renoncer à l’enseignement, et consacra sa vie à la rédaction de nombreux travaux philosophiques: la Philosophie de Platon (1874), Histoire de la philosophie , l’Idée moderne du droit en Allemagne, en Angleterre et en France (1878), Critique des systèmes de morale contemporaine (1883), la Science sociale contemporaine, la Propriété sociale et la Démocratie (1884), l’Avenir de la métaphysique fondée sur l’expérience (1889), 1’Évolutionnisme des idées forces (1889), la Psychologie des idées-forces (1893), Tempérament et Caractère (1895), le Mouvement positiviste et la Conception sociologique du monde (1896), la Morale des idées forces (1907), etc. Selon lui, les idées sont des forces. Elles portent en elles une puissance de réalisation qui transforme les âmes des individus et, par suite, les milieux sociaux où elles se répandent. Leur naissan­ce s’explique donc scientifiquement, comme les déterministes le veulent. Mais par cela même qu’elles sont nées, elles deviennent un agent libérateur; d’où la prodi­gieuse importance de l’idéal dans l’univers. (Acad. des sc. mor. et polit., 1872) – Mme Fouillée, sa femme a publié sous le pseudonyme de G. Bruno divers ouvra­ges d’éducation: Francinet (1870), le Tour de France par deux enfants (1886), les Enfants de Marcel (1887) (GL).
34)
Blondel Maurice, cf. NQ, vol. 2, note 38, p. 668. Denis (Charles). – Prêtre du diocèse de Beauvais, il vint à Paris en 1895 et prit la direction des vieilles Annales de philosophie chrétienne, fondées et longtemps dirigées par Bonnetty. Il y apporta une forte passion de renouvellement général, malheu­reusement mal servie par une insuffisante culture. Démocrate et républicain, il prit parti pour le Ralliement. Il parlait dans les Universités populaires, et c’est de l’aventure qui lui arriva réellement à la Coopération des idées de Georges Deherme que P. Bourget s’est inspiré en le mettant en scène, plutôt caricaturalement, dans L’étape. L’abbé Denis se laissait influencer par le modernisme. L’Index condamna en 1903 ses Leçons de l’heure présente et son Carême apologétique. Il céda ses Annales au P. Laberthonnière avant de mourir en 1905 (CHAD). Laberthonnière (Lucien), théologien et philosophe français (Chazelet, Indre, 1860 – Paris 1932). Oratorien, il enseigna la philosophie au collège de Juilly, qu’il dirigea ensuite. A la mort de l’abbé Denis (1905), il prit la direction des Annales de philosophie chrétienne. Il développa la doctrine dite «de l’immanence» dans ses Essais de philosophie religieuse (1903). Ce livre fut mis à l’Index en 1906, et l’auteur se sou­mit à la condamnation. On lui doit, en outre: le Réalisme chrétien et l’Idéalisme grec (1904), Positivisme et catholicisme: à propos de «l’Action française» (1911), Théorie de l’éducation (7e éd., 1923) et Esquisse d’une philosophie personnaliste (1942, posthu­me), où s’exprime le personnalisme chrétien (GL). Loisy Alfred, cf. NQ, vol. 3, note 27, p. 442.
35)
Delfòur (Chanoine Louis-Clodomir). – Né à Euzet-les-Bains (Gard), en 1862, mort le 7 oct. 1940. Professeur de littérature comparée aux Facultés catholiques de Lyon, vicaire général de Nîmes, il s’est fait une place importante dans la criti­que littéraire de son temps. Il a collaboré à l’Univers, La Croix, La Revue du clergé français. Il a publié divers ouvrages, La Bible dans Racine, couronné par l’Académie française; Catholicisme et romantisme (1905), où il prend violemment parti contre ce qu’il nomme «le fléau romantique». Son œuvre principale est dans ses quatre volumes de La religion des contemporains, publiés de 1895 à 1905. Le premier eut une seconde édition révisée. L’abbé Delfour y étudiait avec sévérité le comporte­ment des écrivains à l’égard du catholicisme; s’il se montra accueillant pour Coppée, Bourget, Brunetière, il prit à l’égard de Huysmans une attitude «d’expec­tative défiante» dont la suite a montré le mal-fondé (CHAD).
36)
Batiffol Pierre, cf. NQ, vol. 2, note 29, pp. 654-655.
37)
Le Roy (Edouard), philosophe et mathématicien français (Paris 1870 – id. 1954). Docteur ès sciences, il enseigna les mathématiques dans divers lycées de Paris, puis il fut chargé, en 1914, de suppléer Bergson au Collège de France. En 1921, il devint titulaire de la chaire de philosophie au Collège de France. Il s’est efforcé d’unir dans une synthèse harmonieuse la philosophie, la science et la reli­gion. Sa théorie s’apparente à celle de Bergson, avec, en outre, des perspectives religieuses plus prononcées. On lui doit: Dogme et Critique (1906), Une philosophie nouvelle: Henri Bergson (1912), l’Exigence idéaliste et le fait de l’évolution (1927), les Origines humaines et l’évolution de l’intelligence (1928), le Problème de Dieu (1929), Introduction à l’étude du problème religieux (1944), etc. (Acad. des sc. mon, 1919; Acad. fr., 1945) (GL). Billot Louis (card.), cf. NQ, vol. 1, note 58, p. 533.
38)
Lagrange (Albert), en religion frère Joseph Marie, dominicain et exégète français (Bourg-en-Bresse 1855 – Saint-Maximin-la-Sainte-Baume 1938). Il organi­sa, en 1890, l’Ecole pratique d’études bibliques, au couvent de Saint-Etienne de Jérusalem, dont il devint prieur en 1892. Fondateur de la Revue biblique (1892), il a publié des ouvrages consacrés aux livres saints. Les plus importants sont: la Méthode historique, surtout à propos de l’Ancien Testament (1903), Etudes sur les religions sémitiques (1903), le Messianisme chez les juifs (1909), Mélanges d’histoire religieuse (1915), le Sens du christianisme d’après l’exégèse allemande (1918), la Vie de Jésus d’après Renan (1923), Commentaires des «Juges» (1903), des «Épîtres aux Romains» (1916), des «Épîtres aux Galates» (1918), des quatre Evangiles (1911-1927) (GL). Hummelauer (Franz von). – Né à Vienne (Autriche), le 14 août 1842. Entré en 1860 dans la Compagnie de Jésus. De longues études (1862-1877) le préparèrent à enseigner en Angleterre au collège théologique de Ditton Hall (1877-1895). Il quitta alors sa chaire pour se consacrer au ministère apostolique à Berlin (1908­1911); puis il se retira au noviciat des Heerenberg (Hollande), où il mourut le 12 avr. 1914. II était depuis 1903 consulteur de la Commission biblique. Son œuvre littéraire s’amorça par 18 grands articles parus de 1873 à 1882 dans la revue Slimmen ans Maria-Laach: il s’y occupait surtout de l’histoire de l’Ancien Orient et des problèmes des origines de l’humanité selon la Bible. Tandis qu’il publiait Der biblische Schopfungsbericht (1877; repris en 1898, Nochmals der..), Das Vormosaische Priestertum in Israël (1899) et Exegetisches zur Inspirationsfrage (1904), il fondait et dirigeait, avec les Pères R. Cornely et J. Knabenbauer, un Cursus Scripturae Sacrae (Paris, Lethielleux) auquel il donnait les commentaires: In libros Samuelis seu I et II Regum, 1883; In libros Judicum et Rulh, 1888; In Genesim, 1895; In Exodum el Leviticum, 1897; In Numeros, 1899; In Deuteronomium, 1901; In Josue, 1903; In Paralipomenon I, 1905. Si les solutions particulières et surtout les vues générales que proposent ces livres érudits n’ont pas toutes reçu l’adhésion des savants (voir les recensions dans R.B., 1895-1907), il faut reconnaître les efforts loyaux d’un pionnier de l’exégèse catholique aux prises pour la première fois avec les problèmes complexes posés par la critique biblique moderne.
39)
Mignot Eudoxe-Irénée, arch. d’Albi, cf. NQ, vol. 1, note 5, p. 526.
40)
P. Barthélemy bessons, dehonien: cf. NQ, vol. l, note 95, p. 524.
41)
Duborgel (Louis-François de Sales) dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 42 p. 461.
42)
Mgr Giacomo Radini Tedeschi, év. de Bergame, cf. NQ, vol. 2, note 37, p. 636.
43)
Pour l’histoire de la fondation de la Congrégation en Italie, cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, o.c., pp. 426-428
44)
Richard de la Vergne (François-Marie-Benjamin: 1818-1908), év. de Belley: 1872-1875, arch. tit. de Larisse et coadjuteur de l’arch. de Paris: 1875; arch. de Paris: 1875-1908; card.: 24 mai 1889, décédé le 28 janv. 1908 à Paris.
45)
Lueger (Karl), homme politique autrichien, né en 1844 à Vienne. D’origi­ne ouvrière, il fit ses études à l’université de Vienne où il obtint son doctorat en jurisprudence (1874). Entré dans le parti libéral, il s’en est détaché bien vite à cause du désintérêt de ce parti pour la question sociale. Il se rapprocha donc de la doctrine sociale catholique soutenue par des hommes de valeur comme Karl von Vogelsang, Mgr Franz Schindler et le prince Alois von Lichtenstein. Karl Lueger collabora avec eux à la rédaction d’un programme social et fut l’un des fonda­teurs du Parti social chrétien, en 1889. Il eut des divergences avec l’Empereur et avec la hiérarchie catholique car, à leurs yeux, il était un démagogue; mais il fut soutenu par le nonce, par le Card. Rampolla, secrétaire d’État de Léon XIII, et par le pape lui-même. Il fut élu maire de Vienne (1897) et fit ses preuves comme administrateur habile. Ainsi, Vienne devint une grande ville moderne. En 1907, le Parti social chrétien fusionna avec le Parti populaire catholique, de tendances plus conservatrices. Lueger lui-même, de l’extrémiste de 1880 était devenu un partisan décidé de la monarchie et des traditions catholiques en Autriche, opposé à toute forme de pangermanisme. Il meurt à Vienne en mars 1910.
46)
Sillon (Le), cf. NQ, vol. 3, note 31, p. 477.
47)
Chevalier (Cyr-Ulysse-Joseph), célèbre historien français, né en 1841, prêtre en 1867. Toute sa vie, avec l’accord de son Evêque, il s’occupa des études scientifi­ques, en particulier de l’archéologie. Toutes ses études ne sont pas complètes ni d’égale valeur. Deux volumes sont des ouvrages polémiques concernant l’authen­ticité du Saint Suaire de Turin (Étude critique sur l’origine du S. Suaire de Lirey­Chambéry-Turin: 1900) et de la maison de la Vierge à Lorette (N-D-de-Lorette: 1906). Il mourra à Romans en 1923.
48)
Glorieux Louis-Modeste, cf. NQ, vol. 2, note 24, pp. 620-621.
49)
Gasparri Octave-Benoît, cf. NQ, vol. 3, note 38, p. 460. Guillaume Adrien­ Jean du Cénacle, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 1, p. 463. Pointeau (Bernard-Adolphe), né le 24.4.1884 à St-Mihiel; profès le 23.9.1903; prê­tre le 28.5.1907 à Rome; sorti de la Congrégation en 1909.
50)
Pottier Antoine, cf. NQ, vol. 2, note 36, pp. 623-624.
51)
Don Federico Gambarelli était un ancien chanteur. Devenu prêtre, il a con­struit un petit sanctuaire consacré à la ste Vierge de Guadalupe, protectrice du Mexique (cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, o.c., p. 427).
52)
Mgr Giacomo Radivi-Tedeschi, Ev. de Bergame.
53)
Née Marielle, était fille d’une cousine du P. Dehon, Marie-Aline Longuet, qui en premières noces avait épousé Gaston Née et en deuxièmes, Ernest Lavisse (cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messaggio, o.c., p. 533).
54)
Pour le voyage en Finlande, cf. G. Manzoni scj, Leone Dehon e il suo messag­gio, o.c., pp. 341-342.
55)
Gotzes (Henri-Dionysius), né le 25.10.1877 à Dremmen (Allemagne); profès le 24.9.1900 à Sittard; prêtre le 10.8.1905 à Luxembourg; Sup. de la maison de Wien: 1913-1921; sorti de la Congrégation le 16.12.1927; prêtre dans le diocèse de Wien.
56)
Le P. Dehon parle de ce premier voyage dans ses Mémoires (cf. NHV I,29v-30r). Il a eu lieu pendant les vacances scolaires de 1856 (et non pas en 1855), en compagnie du curé de La Capelle, l’abbé Demiselle: `J’allais d’étonne­ment en étonnement, j’observais, je notais, je préludais à une vie de voyageur» (NHV 1, 29v).
57)
«L’église de Ste-Ursule et ses merveilleuses reliques» (NHV I, 30r).
58)
Le P. Dehon visita pour la première fois visité Berlin en 1863, en compa­gnie de son ami Léon Palustre. Il écrit ainsi dans ses Mémoires (NHV): «Berlin séduit certains voyageurs, mais ce ne sont certainement pas les artistes et les hom­mes de goût. Cette ville n’a ni histoire, ni monuments véritables. Elle n’a pour cadre que des landes immenses où ne poussent que de maigres pins. Ses eaux sont celles d’un ruisseau boueux. Ses palais sont faits de briques mal plâtrées. Je laisse aux voyageurs de commerce le soin de louer ses rues larges et droites et les grands édifices de son avenue des Tilleuls…» (NHV II, 28r). «Berlin est une ville d’employés et de militaires. Les moeurs y sont horrible­ment corrompues» (NHV II, 30r).
59)
Le P. Dehon écrit dans ses Mémoires (NHV): «Les catholiques y (à Berlin) ont une église principale qui est bien en vue. C’est la grande rotonde de Ste-­Hedwige, près du palais du roi» (NHV II, 28r).
60)
Il l’avait visitée en octobre 1863 en compagnie de Léon Palustre et il en était resté si favorablement impressionné qu’il avait comparée la Saxe à la Toscane et considérait Dresde presque comme la Florence allemande (cf. NHV II, 45r-46v).
61)
En octobre 1863: «La Suisse saxonne – écrit-il dans ses Mémoires – est vrai­ment une des merveilles de la nature en Europe. Elle commence près de Dresde et va jusqu’en Bohême» (NHV II, 46v-47r).
62)
En 1904, les PP. Hamacher, Ohlemüller et Formanns s’établissent à Eger, archidiocèse de Prague; mais en 1906, ils doivent abandonner l’œuvre com­mencée à cause du refus du gouvernement impérial de Vienne d’autoriser l’entrée d’une nouvelle congrégation religieuse. Mais la même année 1906, ils commencent leur activité pastorale à Eichwald, diocèse de Leitmeritz. Lorsqu’en 1909 furent érigées les deux premières Provinces, l’œuvre de Bohême fut confiée à la Province Orientale et, à partir de 1911, à la Province Allemande. En 1909, nos Pères acceptent la direction d’une œuvre estudiantine à Teplitz. En 1911, ils sont reconnus par le gouvernement autrichien. En 1912 ils retournent à Eger où ils construisent un centre pour les étudiants et une église provisoire. En 1918, la Bohême devient une partie de la Tchécoslovaquie. Les difficultés étaient nom­breuses, mais nos Pères travaillent en Bohême jusqu’en 1948. En tout, y ont tra­vaillé 49 religieux de la Congrégation, parmi lesquels 38 prêtres, 9 frères et deux scolastiques, presque tous Allemands.
63)
Le voyage du P. Dehon en l’Allemagne du Nord, en compagnie de L. Palustre, a eu lieu du 2 août au 5 septembre 1863 (cf. NHV II, 30v).
64)
Il écrit dans ses Mémoires (NHV): «En jeunes et fervents humanistes nous allâmes chercher dans l’île des Rugiens les souvenirs de Tacite, le lac sacré de la déesse Hertha» (NI-IV II, 30v).
65)
Mac-Mahon (Edme-Patrice-Maurice de), duc de Magenta, maréchal de France (1808-1893). Brave et loyal soldat, il se signala pendant les guerres de Crimée et d’Italie; mais fut écrasé par le nombre à Reichshoffen, en 1870, et blessé à Sedan. Il fut le second président de la République Française de 1873 à 1879.
66)
Carnot (Sadi) (1830-1894), homme politique français. Elu président de la République Française en 1887, il fut assassiné par un anarchiste italien à Lyon.
67)
Van Gijsel (Jean) dehonien, né le 1.11.1877 à Hengstdijk (Pays-Bas); profès le 23.4.1904 à Sittard; prêtre le 19.8.1906 à Louvain; missionnaire en Finlande: 1907-1911 et 1921-1933; en Suède: 1912-1920; Sup. Rég. en Finlande: 1932-1933; décédé le 25.7.1953 à Maastricht (Pays-Bas).
68)
Schimanski François-Stanislas, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 2, p. 482.
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