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29e CAHIER
Notes générales sur le Japon

Novembre 1910

1 Notes quotidiennes

L'organisation de l'enseignement date de 1872. Auparavant, il n'y avait guère que les écoles soutenues par les nobles Daimios et fré­quentées par les fils des Samurais.

A. Les rescrits de 1872 ont rendu l'enseignement obligatoire pour tous les enfants de 6 ans à 14 ans. Les lois postérieures sur l'industrie ont permis de faire travailler les enfants à 12 ans.

Les écoles sont payantes, mais il y a de larges exceptions pour les indigents, et les communes peuvent prendre les écoles à leur charge. On compte au Japon 2 environ quatre millions d'écoliers.

A la conscription, on trouve encore 16% d'illettrés.

L'enseignement privé est libre, mais il n'augmente pas à cause de la concurrence de l'Etat.

Les maîtres sont maigrement payés et leur recrutement est difficile. Il y a cependant 52 écoles normales. On compte 26.000 écoles.

Le budget de l'instruction publique ne dépasse pas 75 millions.

La gymnastique est très soignée à l'école. Les Japonais désirent tant fortifier un peu leur race!

Gomme chez nous on a trop surchargé les programmes et les enfants sont surmenés. La question de l'écriture est la grosse difficulté de l'enseignement au Japon. Les Japonais se servent de l'écriture chi­

noise qui est idéographique. 3 Il y a un signe par mot. Pour la langue usuelle, il faut connaître au moins 3.000 signes fort compliqués.

Les Japonais ont aussi une écriture phonétique, le kana, avec 40 signes qui représentent autant de monosyllabes. Les journaux sont écrits en chinois avec le kana en marge. Deux écritures pour une lan­gue, cela ne peut pas durer. Il y a là-bas beaucoup de partisans du romani, l'écriture du Japonais en caractères latins.

Les écoles sont neutres. On n'y fait pas d'actes religieux. On y ensei­gne la morale naturelle, conformément aux rescrits de l'empereur, la piété filiale, la loyauté, le travail, la bienveillance, et une sorte de culte pour la patrie, pour l'empereur, pour les ancêtres. 4

On dit aux enfants: «De tous les pays notre pays a un Empereur qui dans le monde est sans rival!» Et encore: «Notre grand Nippon, gou­verné par son sage Empereur, est supérieur à tous les pays du monde!.. Le Japonais est guidé par l'amour de la vertu, au lieu que le vil Européen ne recherche que le plaisir physique et sensuel.»

Ces prétentions passeront comme tous les césarismes.

Pauvre morale, qui repose sur la divinité du Mikado! Les Japonais ne goûtent pas le christianisme parce qu'il est une religion étrangère. Il faut donc développer, sans précipitation cependant et sans impru­dence, le clergé catholique Japonais. Des évêques Japonais bien formés auraient une influence considérable. 5

B. L'enseignement secondaire comprend deux degrés, les écoles moyennes et les écoles supérieures.

L'internat est obligatoire et la dépense n'est jamais inférieure à 40 francs par mois. On compte 217 écoles secondaires publiques et 27 écoles libres, et cela ne suffit pas pour tous les candidats qui vou­draient y entrer. Le cours d'études est trop long. Six ans d'école pri­maire, six ans d'école moyenne, trois ou quatre ans d'école supérieu­re, quatre ans d'université, cela fait 19 ans d'études. Les jeunes gens ont fini à trente ans. Ils sont épuisés de fatigue et les familles sont grevées de charges trop lourdes. Les programmes sont trop chargés et les études superficielles. 6 La moitié des jeunes gens deviennent myo­pes de myopie scolaire, et 30% d'entre eux au cours de l'année tom­bent malades de surmenage.

Ils apprennent deux langues étrangères, l'anglais comme langue obligatoire, le français ou l'allemand comme langue facultative. Ils arrivent à n'en savoir aucune. Le surmenage énerve les jeunes gens et amène les grèves d'étudiants qui sont si fréquentes.

Le cours de morale est aussi ridicule que dans l'enseignement pri­maire. On leur apprend que «L'empire Japonais a une origine diffé­rente de celle des autres Etats. Il ne doit rien à l'agression ni à la con­quête (et la Corée et Port Arthur, etc.?), mais il est 7 fondé entière­ment sur la loyale déférence et obéissance rendue par le peuple aux vertus (?) et au pouvoir d'une ligne ininterrompue d'empereurs. Depuis le temps où Ama-terasou (déesse du soleil) fit descendre du ciel son fils Ninigi-no-Mikoto. des descendants des êtres divins ont été assis sur le trône de génération en génération…» Et comme tout le peuple descend plus ou moins des Mikados, comme nous descendons tous de Noé et d'Adam, le livre classique ajoute: «Aujourd'hui il y a vraisemblablement peu de Japonais qui ne soient pas des descendants de la famille impériale», par conséquent d'origine céleste. Mais je sup­pose que ni maîtres ni élèves n'ajoutent foi à ces rêves. 8

C. L'enseignement supérieur. Le Japon ne possède encore que deux Universités: celle de Tokyo, fondée en 1877, et celle de Kyoto, fondée vingt ans après. Elles comptent ensemble environ 5.000 étudiants. C'est peu pour une nation de 50 millions d'habitants. L'étudiant choi­sit entre six facultés: droit, médecine, lettres, sciences, génie civil et agronomie. La durée des cours est de cinq ans pour la médecine, qua­tre pour le droit et trois pour les autres facultés. Beaucoup d'emplois publics ne sont accessibles qu'aux diplômés. Les frais d'études sont de 60 à 70 francs par an.

Les programmes sont trop chargés, comme ceux de l'enseignement primaire et secondaire. Les 9 jeunes gens se fatiguent physiquement, et au point de vue intellectuel leur travail est trop superficiel.

Les Japonais n'aiment pas la logique, ils la dédaignent; le syllogisme qui nous paraît facile, les déconcerte et les ennuie par sa rigueur; c'est cependant à cette stricte discipline qu'il faudrait soumettre ces esprits alertes mais légers.

La première génération des étudiants Japonais fut admirable, dit-on. A l'époque où des jeunes gens de bonne famille se sauvaient de chez eux, se cachaient à fond de cale dans un navire en partance pour l'Occident, afin de pouvoir accomplir quand même le voyage de leurs rêves, où des fils de grands commerçants se faisaient domestiques dans des maisons étrangères pour apprendre la 10 langue; - quel enthou­siasme ne régnait pas à l'université!

Aujourd'hui, il y a des fils de parvenus dont la vie d'étudiants est une vie de paresse, quand ce n'est pas une vie de débauche. Le grand problème de l'enseignement Japonais, celui où l'avenir même du pays est engagé, c'est le problème moral. La laïcité stricte est une formule négative, et l'éducation ne se fait pas avec des négations.

La morale traditionnelle du Japon , comme la morale de Confucius est une morale de relation. Elle conduit au respect et à l'obéissance du fils au père, du vassal au seigneur et de celui-ci à l'empereur qui est fils de dieu. Mais la hiérarchie féodale a disparu et la croyance à la divinité impériale est ébranlée. 11

Les Japonais émerveillés des progrès de l'Occident se sont demandés s'il n'y avait pas chez nous une morale à emprunter.

Le christianisme avait pour eux le défaut de les soumettre à une hiérarchie qui est latine dans ses chefs.

L'utilitarisme de notre monde d'affaires leur parut préférable, mais ils s'aperçurent bientôt que c'était la négation de toute morale. Ils revinrent au nationalisme mais avec moins d'exclusion. Les instruc­tions ministérielles de 1899 disent aux écoliers: «Tenez en haut respect le culte des ancêtres et traitez vos parents avec une chaude cordialité; mais ne regardez pas une personne comme votre ennemie parce qu'el­le est chrétienne». C'est un rapprochement, attendons l'heure de Dieu. 12

La famille est le fondement de la société au Japon , elle y est forte­ment constituée, mais le père y a un rôle tyrannique, et la femme y est sacrifiée. La femme était comme une esclave dans l'ancien Japon . La révolution de 1868 l'a un peu émancipée, mais les moeurs ne chan­gent pas aussi vite que les lois. «La femme doit regarder son mari com­me son seigneur et le servir avec toute la révérence, toute l'adoration dont elle est capable. Le grand devoir de la femme, son devoir pour la vie est d'obéir.» Ainsi s'exprimait au XVIIe siècle le grand moraliste Japonais Kaibara.

Le père tient à avoir des enfants, surtout des garçons. S'il n'en a pas, de sa femme légitime, il peut lui adjoindre une concubine. Le fils actuel de l'Empereur et l'héritier du 13 trône est né ainsi d'une fem­me secondaire et adopté par l'impératrice Printemps.

Toute la science de la femme, dit Kaibara, se résume dans une triple obéissance:

1° l'obéissance à son père et à sa mère;

2° l'obéissance à son mari et aux parents de son mari;

3° et si elle est veuve, elle tombe sous la loi de son fils. La condition de la femme est donc une perpétuelle minorité.

Le mariage n'était pas un contrat véritable, mais une sorte d'enga­gement unilatéral où l'homme avait tous les droits et la femme tous les devoirs. Rien ne montre mieux l'infériorité de celle-ci que les facilités de la répudiation. Kaibara la déclare légitime dans sept cas: désobéis­sance 14 à son beau-père ou à sa belle-mère - stérilité - lascivité - jalousie - lèpre - loquacité - caquet irrespectueux - penchant au vol.

Cette infériorité sociale de la femme était fondée sur le principe de son infériorité morale et psychologique. Le confucianisme faisait de la femme une éternelle enfant, une incurable malade: aussi le despotis­me paternel ou marital s'exerçait-il généralement sans violence, com­me la femme acceptait paisiblement sa servitude.

Le Bouddhisme la traitait plus durement encore: non content de mettre en doute qu'elle eût une raison, il en faisait un être diabolique, plus méchant encore que faible.

Beaucoup de choses ont changé au Japon depuis quarante ans, mais la condition de la femme ne s'est guère améliorée. 15

Un Japonais vous dit encore très bien: «J'ai eu tant de garçons et tant de désappointements.» C'est qu'une fille ne perpétue pas la famil­le et le nom. Destinée à passer dans une autre maison elle est au foyer paternel une demi-étrangère.

Ce qui caractérise le peu de respect que l'on a au Japon pour la femme, c'est la facilité de la prostitution; des quartiers sont réservés dans les villes à ces créatures. On va là comme au marché et sans ver­gogne. On dit que des pères de famille mettent là leurs filles pour un temps pour en tirer profit. Elles se marient ensuite.

Quand la femme a cessé de plaire, on la renvoie. Malgré les lois récentes qui restreignent un peu le divorce, il est aussi fréquent 16 qu'autrefois. Dans les hautes classes cependant, le divorce est moins fréquent, parce que le concubinage le rend presque inutile. Le Mikado lui-même compte une douzaine de ces femmes de second rang. L'une d'elles est mère du prince héritier, dont l'Impératrice «Printemps» n'est que la mère légale.

La femme Japonaise travaille beaucoup. «Dans notre pays, disait le rapport du délégué Japonais à l'Exposition de Chicago, plus de la moi­tié du travail est fait par la femme. A la campagne, les femmes plantent le riz et le récoltent, elles font la cueillette du thé. En ville, elles rem­plissent les usines. Leurs salaires sont minimes, de 25 à 75 centimes. Les filatures de coton, les manufactures de tabac, les fabriques d'allu­mettes, emploient 17 plus de femmes que d'hommes».

Il faut cependant signaler quelques progrès. J'ai vu à Tokyo quel­ques femmes se promener au bras de leur mari, surtout quand elles sont habillées à l'européenne. L'enseignement des filles se développe. Elles ont non seulement des écoles primaires, mais des écoles moyen­nes; on a même établi à Tokyo une université féminine privée. Une loi de 1898 permet à la femme de posséder en son nom et même de deve­nir chef de famille. Une autre loi de 1899 permet à une femme, si elle est un des trois plus forts contribuables du district, de participer aux élections dans les villes et villages.

Plusieurs banques et compagnies 18 de chemins de fer ont pris des femmes pour employées. Le Japon, qui singe tout, ira au féminisme.

L'Association des femmes pour la tempérance centralise les revendica­tions féminines: les femmes voudraient pouvoir demander le divorce comme leurs maris, plaider comme avocats, faire du journalisme et de la politique.

Le christianisme seul donne à la famille son juste équilibre. La fem­me y est instruite, cultivée, respectée, et cependant déférente et dé­vouée.

La presse n'était rien au Japon avant 1870. Elle a rapidement con­quis sa place et sa liberté, surtout depuis la guerre de Chine en 1894, parce que le peuple entier était avide d'avoir des nouvelles de sa pre­mière grande lutte extérieure. Actuellement, la plupart des grands

journaux et des autres centres importants 19 tirent à plus de 10.000. Tokyo et Osaka ont chacun un organe principal qui tire à 100.000.

En somme, on peut évaluer à 700.000 le tirage total quotidien des journaux Japonais. (Dumolard).

Le Japon compte actuellement 1500 publications périodiques diver­ses, parmi lesquelles plus de 400 journaux. A Tokyo, il y a une vingtai­ne de journaux quotidiens, dont un, le Japan Times, paraît en anglais, mais complètement rédigé par des Japonais.

Une grande difficulté pour la presse Japonaise, c'est la langue. Les articles sont composés dans ce qu'on appelle la langue écrite ou litté­raire, qui se distingue beaucoup, par sa syntaxe et son vocabulaire, de la langue parlée. 20 Le peuple comprend difficilement la langue littéraire.

La difficulté typographique est énorme aussi. Le Japonais n'a pas comme nous vingt quatre caractères alphabétiques, mais il a environ 10.000 signes idéographiques. On comprend que le compositeur ne peut pas avoir cela sous la main dans une casse d'imprimerie. Il faut de vastes rayons, et un essaim de jeunes garçons vont, en chantant leurs mots, chercher les signes et les apporter aux compositeurs. C'est un contraste avec nos ateliers calmes et silencieux.

Les villes de province ont aussi leur presse. Les grands ports ont des journaux anglais, comme le Kobe Chronicle et à Yokohama le Japan Daily Mail.

Quant aux revues, elles sont innombrables et souvent éphémères. 21 Les Japonais aiment les associations de toutes sortes, politiques, scientifiques, littéraires, philosophiques, artistiques, musicales, agrico­les, médicales, féministes, etc. etc. Et toutes ces sociétés fondent des revues, qui souvent ne durent pas.

Un grand défaut de la presse Japonaise, qui paraît imité de l'Amérique du Sud, c'est de s'occuper de la vie privée des gens, même de ceux qui ne sont pas mêlés aux affaires publiques. Le principal journal de Tokyo, le Yorozon Tohoho se livre volontiers à ces enquêtes indiscrètes. Il a des manchettes comme celles-ci: «Les hommes connus qui ont des concubines. Les hommes connus qui ont des enfants natu­rels. Les femmes du monde qui entretiennent des acteurs.»

Partout au monde la presse 22 est une arme dont les ennemis de l'ordre social se servent habilement. Le Japon s'en apercevra bientôt.

L'Europe commence à craindre l'envahissement de ses marchés par les produits de l'industrie Japonaise. Il n'y a pas lieu de s'alarmer tant que cela. Certes les Japonais ont obtenu des résultats considérables: ils ont fait en quelques années, d'un pays voué jusque-là à la production familiale, une contrée manufacturière, lancée maintenant dans la grande industrie et le machinisme moderne; mais cette brillante faça­de, lorsqu'on y regarde d'un peu près, - comme d'ailleurs pour la plu­part des nouvelles choses du Japon, - apparaît factice et sans solidité.

L'expansion commerciale et industrielle 23 de ce pays s'est réali­sée, en effet, avec une rapidité si grande, que la nation n'a pas eu le temps de s'adapter au nouvel ordre de choses. C'est ainsi, par exem­ple, qu'on manque des ouvriers d'élite qu'exige le maniement des machines perfectionnées.

La part de l'exagération étant faite, il est certain que les progrès réalisés par le Japon depuis quelques années sont très sérieux, et la plus grande part du succès doit être attribuée au gouvernement, dont les encouragements et le soutien financier se sont sans cesse affirmés.

Et d'abord, de 1872 à la période actuelle, le réseau des chemins de fer a passé de 18 milles anglais à 3.800 milles.

Les importations sont montées dans les 15 dernières années de 40 millions de Yen à 400 millions. Les 24 exportations ont passé de 50 millions à 200 millions de Yen. Le Yen vaut 2 francs 50.

Le Japon tend à devenir de jour en jour une contrée plus industriel­le. Chaque année, la quantité des matières premières qui entrent dans le pays augmente, comme augmentent aussi les objets manufacturés qui sont exportés.

En somme, les Japonais ont absolument créé de toutes pièces la grande industrie chez eux en peu d'années, depuis 1888. Ils ont acheté environ pour 40 millions de Yen de machines diverses en Europe et en Amérique, sans compter celles qu'ils ont fabriquées sur place d'après les modèles étrangers.

Un exemple frappant de cette éclosion rapide est celui qu'offrent les filatures de coton. En 1893, 25 40 sociétés exploitaient 380.000 broches de filature; en 1901, 70 sociétés exploitaient 1 million et 148.000 broches…

Un côté faible de l'industrie Japonaise est le manque de capitaux. La plupart des compagnies emploient tout leur capital disponible en installations et achat de matériel. Pour le fond de roulement, elles recourent aux banques, qui ne prêtent qu'à 10, 12, 15 ou même 18 pour 100! de sorte que beaucoup d'entreprises soldent leur bilan annuel par des pertes.

Un autre point faible de l'industrie Japonaise, c'est la main d'œuvre. Il semble être d'opinion courante en Europe que le Japon, à ce point de vue, jouit d'une supériorité énorme sur les nations occidenta­les, 26 parce qu'il a la main d'œuvre à un bon marché extrême. Cette affirmation a du vrai, mais il y a deux correctifs à y apporter: le premier, c'est que la hausse des salaires est rapide. Ils ont doublé depuis dix ans. Le second, c'est que la main d'œuvre japonaise est d'une qualité bien inférieure. L'ouvrier japonais, est peu robuste et peu travailleur. Chaque courte période d'effort est suivie d'un repos. Il faut allumer la pipette, boire une tasse de thé et causer un brin.

L'ouvrier Japonais aime à prendre quelquefois plusieurs jours de repos pour aller faire ses pèlerinages et admirer la belle nature. Il manque d'initiative et de soin. Il n'a pas de stabilité. Un dixième des ouvriers d'usine quitte chaque mois. 27

Il faut presque trois ouvriers japonais pour faire l'ouvrage d'un ouvrier d'Europe.

Ajoutez à cela l'indiscipline qui va grandissant, les idées socialistes qui gagnent du terrain, et il sera facile de comprendre que l'industrie Japonaise ne va pas couler trop facilement l'industrie européenne.

Sur la peinture au Japon , je ferai une remarque historique, plutôt qu'une étude approfondie des styles. L'art japonais a plusieurs grandes époques, qui correspondent assez exactement à nos grands siècles d'Occident.

L'histoire dit qu'il eut un premier éclat au 5e siècle, en même temps que Bysance se couvrait de monuments, mais il n'est rien resté de ce temps-là. Au 9e siècle, le Japon a sa première renaissance artistique, comme nous 28 avons chez nous les essais d'art carlovingien.

Mais avant de citer des noms et de distinguer les écoles, j'indiquerai des sources. On peut lire L'art japonais par Louis Gonse, et si on n'a pas la facilité d'aller au Japon, on peut voir de très nombreuses peintu­res Japonaises en Europe. Le British Museum à Londres possède la col­lection Anderson. Le Musée de Berlin a la collection Gierke. Celui de Leyde a la collection Siebold. Paris est moins riche. On peut voir cependant bien des spécimens d'art Japonais au Musée Guimet.

Nous possédons surtout en Europe des kakémonos. Ce sont des pein­tures sur soie ou sur papier, enroulées sur un léger cylindre de pin. Ce sont les tableaux du Japon, 29 on les déroule et on les accroche aux parois intérieures les jours de fête.

L'école du 9e siècle rappelle les premiers efforts de l'art en Italie. Le nom le plus célèbre de cette école est celui de Kanaoka, peintre et poète de la cour impériale. Les œuvres de cette école avaient l'aspect des vieilles détrempes byzantines. C'était comme des miniatures.

Le petit fils de Kanaoka fut le premier qui peignit l'enfer et ses sup­plices, comme on peut le voir encore dans un vieux temple de la pro­vince d'Oumi.

Au 12e siècle, le peintre Toba crée un genre particulier, le genre comique ou humoristique, qui a toujours eu au Japon des représen­tants.

Au 12e siècle commence l'école dite de Tosa, parce que son 30 fondateur était sous-gouverneur de la province de Tosa. L'école de Tosa fut toujours au service des empereurs, comme l'école de Kano fut au service des Shoguns. L'école de Tosa correspond à la première renaissance italienne. Elle est caractérisée par les procédés patients, les soins extrêmes, la distinction des formes. Elle a des analogies avec les miniatures de Perse. Elle aime le coloris clair et brillant et les fonds d'or, comme nos primitifs italiens et flamands. Elle représente des scè­nes historiques, les fêtes de la cour, les Daïmios en grand costume, mais aussi des fleurs et des oiseaux, des cerisiers, des roses, des paons et des coqs. Elle a laissé surtout des albums et des paravents.

L'apogée du grand art est au 31 15e siècle. C'est l'école de Kano qui commence, sous la protection des Shoguns.

Jusque là les procédés étaient restés resserrés dans la miniature. L'influence chinoise apporte des procédés nouveaux: les artistes com­menceront à jeter sur le papier ces esquisses vigoureuses qu'on goûtait en Chine sous la dynastie des Ming. Le prestige de l'enluminure pâlit devant l'école du Blanc et du Noir. Un Chinois, Josetsou, est le fonda­teur de l'école nouvelle, mais plusieurs artistes de la famille des Kano lui ont donné leur nom. Ce fut l'école officielle des Shoguns. Elle eut ses traditions comme une académie. Le plus célèbre des Kano est Motonobou qu'on appelle en Orient le prince des peintres chinois 32 et Japonais. C'est le Michel-Ange de l'Extrême Orient. Le British Museum possède plusieurs de ses œuvres. Mr Anderson dit à propos de sa manière de peindre: «Même sur des yeux étrangers, la vigueur de dessin et la complète maîtrise de pinceau qu'il a déployées dans le rendu des paysages et des figures produisent une impression vraiment extraordinaire. Sans avoir le coloris séduisant de l'école de Tosa, la couleur de Kano Motonobou a cependant une harmonie et une cha­leur qui tranchent sur la mono-chrome habituelle de son école».

Ses sujets préférés étaient les paysages et les divinités familières du bouddhisme. Une influence indéniable venue de la Perse, agit sur l'art 33 Japonais et s'exerce sur certaines formes du décor, sur certains détails de l'ornementation; on en retrouve la trace évidente dans le dessin des figures et des draperies de l'école de Tosa. L'ancien art per­san, dont est sorti presque intégralement l'art indou et pour une cer­taine part l'art chinois, a eu vers le 15e siècle et bien avant une influen­ce directe sur l'art Japonais.

Sous quelle forme est parvenue au Japon cette influence persane? Est-ce par les miniatures, les tissus, la céramique ou les travaux de métal? C'est difficile à dire. Les auteurs arabes mentionnent, dès le Il' siècle, les relations directes par mer qu'existent entre le Golfe Persique et les côtes méridionales du Japon . Il y eut toujours 34 d'ailleurs la route de caravanes du Turkestan vers la Chine et la Mongolie. La sour­ce de la civilisation n'est pas l'Extrême Orient. C'est la Chaldée et la Perse, avec l'ancienne Egypte.

La succession des Kano nous conduit jusqu'au milieu du 17e siècle, la période la plus brillante des Shoguns Tokougava [Tokugawa].

Il y a là un renouveau artistique, après les troubles religieux et poli­tiques du 16e siècle.

Le plus grand nom de l'école officielle du 17e siècle, est Tanyu. Son œuvre est considérable et les amateurs se disputent au Japon les moin­dres productions de son pinceau. J'ai vu plusieurs de ses œuvres au grand temple de Nikko. 35

A la même époque commence le style vulgaire ou réaliste, qui re­présente les paysans, les gens du peuple, les courtisanes. L'école vulgai­re est un art vraiment Japonais, qui trouve son couronnement dans le talent incomparable de Hokousaï.

Hokousaï est le nom le plus célèbre en Europe en ce qui concerne l'art Japonais. Son œuvre est immense. C'est l'encyclopédie de tout un pays, c'est la comédie humaine de tout un peuple. Il est à la fois le Rembrandt, le Callot, le Goya et le Daumier du Japon. Il travaillait pour les arts secondaires: l'imagerie en couleurs, les netzkés ou brelo­ques, les laques et la décoration des objets usuels. Il est mort en 1849 à l'âge de 90 ans. 36 On l'a enterré au temple bouddhique de Saïkiodji à Tokyo.

J'ai parlé de l'école actuelle à propos du salon annuel de Tokyo. La sculpture compte ailleurs parmi les arts majeurs. Au Japon, on ne peut guère lui faire cet honneur, pour plusieurs raisons:

1° le marbre y est inconnu et c'est la matière principale du grand art de la sculpture;

2° le culte shintoïste n'admettait pas les images sacrés. On n'exhi­bait au sanctuaire qu'un miroir symbolique;

3° le bouddhisme a bien introduit plus tard la représentation de la divinité, mais quelle divinité?

A part le gros Bouddha en contemplation, toutes les autres idoles étaient grotesques, grimaçantes et toutes faites pour éloigner les artis­tes de l'idéal du beau. 37

On peut donc compter au Japon six arts secondaires: la sculpture, la ciselure, les laques, les tissus, la céramique, les estampes, pour lesquels de simples notes suffiront à graver mes souvenirs.

1° Les bronzes et bois sculptés

L'introduction de la plastique au Japon coïncide avec la venue du bouddhisme. Les procédés de la fonte, importés de la Chine au 6e siè­cle, ont décidé du goût des Japonais pour les ouvrages de bronze. L'usage de la pierre n'est qu'accidentel. Dès le 7e siècle, l'empereur Kotokou faisait couler en bronze des statues de Bouddha. Le temple de Horiouji et le trésor impérial à Nara possèdent des objets de bronze de cette époque. On voit là aussi 38 une aiguière persane du temps des Sassanides et un vase grec, ce qui nous révèle les influences occi­dentales sur l'art Japonais. On y voit aussi des idoles de bois aux yeux peints, qui rappellent l'Egypte.

Le trésor de Nara est une mine incomparable. Il date du 8e siècle et il est conservé intact.

Le grand Bouddha de Nara est la pièce maîtresse de la sculpture en bronze au Japon. Il est du 8e siècle.

Le dieu est assis sur un lotus. La tête a été refaite au 17e siècle. Les draperies ont de l'ampleur, le corps a une belle ordonnance. Le colos­se a 26 mètres. Debout il aurait 42 mètres. La Vierge du Puy a 17 mètres, le St Charles Borromée d'Arona en a 21. 39 La tête a 6 mètres de haut, l'oeil a un mètre de diamètre, le doigt du milieu a deux mètres. Le poids de la statue est estimé à 450.000 kilos. Paris en possède une belle réduction de 5 mètres de haut au musée Cernuschi. Il y a là d'ailleurs une merveilleuse collection de sculptures Japonaises.

Kyoto a aussi de beaux spécimens de l'ancienne sculpture au tem­ple de Todji, notamment un autel ou mandara, dont j'ai vu aussi la reproduction au musée Guimet, où figurent dix-neuf personnages qui représentent les principales divinités bouddhiques autour de Çakya­-Mouni.

Plus nombreux sont les monuments du 12e siècle, de 40 la grande époque de Yoritomo, entre autres trois grandes cloches de 20 à 30.000 kilos, dont deux à Kyoto et une à Nara. Celle-ci est décorée de figures en relief d'un superbe travail. Il y a surtout le grand Daïboutsou de Kamakoura, que j'ai décrit.

Le 17e siècle est l'âge d'or de la sculpture au Japon . Les grands tra­vaux d'architecture exécutés sous le règne du troisième Tokougava [Tokugawa] Yémitsou, coïncident avec l'apogée de cet art: Zingoro, l'illustre architecte du grand temple de Nikko et du temple de Chion­in à Kyoto fut en même temps le plus grand sculpteur du Japon . Il n'a exécuté que des travaux de bois, mais son œuvre est considérable.

Le temple élevé à la mémoire du grand Taïkoun Yéyasu 41 est l'expression la plus complète du génie de Zingoro comme sculpteur et comme architecte. Je l'ai déjà décrit plus haut. Un monde de person­nages, de fleurs, d'oiseaux, de motifs décoratifs divers s'est enlacé aux colonnes ou étalé sur les plafonds, les frises, les portes et les murailles. Quel splendide album on en ferait!

C'est sur l'entrée du sanctuaire principal, que Zingoro a surtout accumulé les merveilles de son génie. Il y a là des panneaux décorés de fleurs et d'animaux et des frises avec des processions de personna­ges, qui ont une délicatesse toute féerique. C'est à l'intérieur de cette porte que se trouve le fameux chat endormi. Il faut citer aussi les plafonds sculptés du temple de Chion-in à Kyoto 42 et les grandes fri­ses à jour du château de Nagoya. Dans le même genre une magnifique galerie en bois sculpté décorée de dragons au musée Cernuschi.

Il y a aussi de beaux bronzes Japonais dans le même musée, notam­ment deux brûle-parfums aux armes des Tokougava [Tokugawa] (trois feuilles de mauve), un pèlerin sur un mulet, deux philosophes, un chat accroupi, des coqs, des oiseaux de proie, etc. Nos grands bron­ziers du boulevard, Barbédienne et Christofle, trouvent là des modèles.

2° Les masques

C'est une des formes les plus caractéristiques de l'art Japonais. L'usage des masques au théâtre, à la cour et dans les cérémonies 43 religieuses remonte à la plus haute antiquité. Il y en a d'admirables dans les trésors de Nara et de Kyoto. Comme les Grecs, les Japonais ont accentué l'expression comique ou tragique de leurs personnages sur la scène. Les masques étaient en bois laqué ou peint. Les mouve­ments, comme le rire, la colère, la douleur y sont admirablement ren­dus. A distance cela devait faire un grand effet sur la scène.

3° Les netzkés

On appelle ainsi des breloques qui s'attachaient à la ceinture avec la boîte à médecine, la blague à tabac, l'étui à pipe. Il n'est pas d'objets d'art pour lesquels les Japonais aient donné 44 plus libre carrière à leur fantaisie. Rien n'est plus charmant, délicat et imprévu. C'est un monde d'infiniment petits, dont la variété dépasse ce que l'on peut imaginer. Il y a des netzkés en laque, en corail, en porcelaine, en métal ciselé; le plus souvent, ils sont sculptés dans l'ivoire ou le bois. Quelques-uns rappellent les figures de Tanagra1) et l'imagerie de nos cathédrales. Ils représentent des hommes, des animaux, des plantes. Ce sont de délicieux bibelots.

4° Les étuis à pipe et objets divers.

Délicieux aussi ces étuis à pipe finement ouvragés. Il sont en bois, en ivoire, en corne, souvent en bambou. On y voit des acteurs à figures grotesques, des groupes d'enfants, des vols de libellules, des carpes nageant dans 45 l'eau, des lapins dans les joncs, des singes montant aux arbres, etc. etc.

D'autres objets d'usage domestique appartiennent à l'art de la sculpture des cabinets, des chapelles domestiques, des plateaux, des boîtes à thé ou à parfum, des appareils de fumeurs, des boîtes à écrire, des bouteilles à saké, des porte-bouquets, etc.

C'est dans cet art et dans la céramique que les Japonais sont vrai­ment supérieurs.

l° Les armures.

Les trésors de Nara et de Kyoto possèdent des armures et des casques qui remontent aux 11e et 12e siècles. Les plus belles armures ont été fabriquées à Kamakoura. 46 L'Armeria royale de Madrid a deux armures superbes données à Philippe II par une ambassade Japonaise.

La cuirasse des Daimios était quelquefois d'une grande richesse, avec des ornements damasquinés et gravés, avec des figures et des sujets décoratifs en ronde bosse. Le musée de Tokyo en a réuni un cer­tain nombre.

2° Les lances et leurs montures.

Rien n'était plus précieux à un Japonais, avant la révolution de 1688, que la lame de son sabre. On conserve comme un symbole et un palladium le sabre que la déesse du soleil aurait donné à son petit-fils, le premier empereur du Japon. On le garde au temple d'Assonta. Les sabres 47 Japonais paraissent plus puissants que les lames de Damas et de Tolède.

Ces vieilles armes finement travaillées se vendent maintenant cinq ou six mille francs.

Sur les lames ciselées, on peut voir des dragons, des armoiries, des figures de divinités. Les lames de la province de Bizen sont les plus réputées. Les sabres les plus précieux sont conservés dans les trésors des temples. Les riches lames ont souvent des montures luxueuses: poi­gnées, gardes, fourreaux. Tout cela est enrichi d'émaux, de ciselures, de fer forgé avec les dessins les plus fins, représentant des fleurs, des feuillages, des poissons, des oiseaux.

3° Emaux et objets divers.

Les Japonais sont moins forts que 48 les Chinois pour les émaux. Ils ont des cloisonnés aux couleurs plus ternes. Ils ont surtout réussi les émaux translucides sur fond d'or.

Que d'autres bibelots en métal ils ont encore à nous montrer: des fermetures de bourses, des breloques, des coulants, etc. etc.

Je n'ai pas été voir fabriquer les laques, cela me manque. J'ai visité seulement des ateliers d'émaux et de céramique.

Les laques sont un art exclusivement Japonais. Ils comptent parmi les objets les plus délicats de l'industrie humaine. Le mot laque dési­gne le vernis lui-même, sorte de gomme extraite d'un arbre du pays de l'espèce du Sumac. Le rouge des laques 49 s'obtient par l'oxyde de fer.

Le squelette des objets laqués est formé de lamelles de bois recou­vertes de toile ou d'une couche formée d'argile calciné et de vernis. Ces objets reçoivent plusieurs couches de vernis, dont le séchage prend des semaines et des mois. Les laques noirs sont très goûtés des Japonais. Nous aimons les laques d'or ou à dessins d'or, que l'on obtient par des poudres d'or de différents tons incorporées au vernis. La gamme des effets obtenus par les laques est d'une variété infinie: laques d'or vert, d'or rouge, d'or jaune; laques de bronze, d'étain, d'argent, laques rouges et verts; laques incrustés de nacre, d'ivoire, d'écaille, de plaques de métal, de paillettes d'or, etc. Lorsque les pail­lettes d'or sont en grand 50 nombre, le laque prend le nom d'aventu­rine.

La fabrication des laques remonte à une haute antiquité. Elle a pas­sé à peu près par les mêmes phases que la peinture. Elle a son école primitive au 9e siècle, au temps de l'empereur Shioumoun. On conser­ve dans le trésor impérial de Nara des boîtes de laque, destinées à con­tenir des livres de prières, qui datent de cette époque-là. Les premiers laques sont unis. Au 12e siècle, ils portent des dessins qui rappellent le style de Kanaoka. L'art se perfectionne encore aux 14e et 15e siècle. Après le grand Shogun Yéyasu, le goût des laques gagne tout le Japon . On en met partout sur les colonnes, les portes et les 51 autels des temples, les intérieurs des palais, les ponts, les chaises à porteurs, les voitures de cérémonie, les cabinets, les coffres de voyage, les selles, les plateaux, les boîtes, etc.

Les ateliers de Yédo rivalisaient avec ceux de Kyoto.

Le grand peintre Korin du 18e siècle a transporté dans le décor et l'exécution des laques toute son initiative et l'indépendance de sa fan­taisie.

Les laques ont passé, comme la peinture, de la perfection classique du 17e siècle, au genre délicat et mignon du 18e.

Le tissage des soies est depuis bien longtemps une des gloires de l'industrie Japonaise. On conçoit le rôle qu'ont joué les étoffes de soie chez un peuple qui a toujours eu 52 la passion des vêtements somp­tueux et dans un pays où la matière première est abondante et de qua­lité supérieure. Dès le 16e siècle, la renommée des soieries Japonaises était venue en Europe. Des robes de cour étaient au nombre des pré­sents apportés par la grande ambassade de 15842).

Il n'est pas douteux que les procédés de fabrication n'aient été importés de la Chine; c'est peut-être dans cette branche de métier que l'influence primordiale des Célestes3) est le plus incontestable.

De tout temps la ville du Kyoto a été le centre de cette industrie, que les auteurs Japonais s'accordent à regarder comme étant déjà très florissante au 13e siècle. Le luxe de l'aristocratie était extrême, et le luxe par excellence était celui des robes de soie. Pendant 53 la féoda­lité, les plus belles étaient celles des hommes. N'avons-nous pas eu chez nous la même évolution? Nos aïeux du 15e au 17e siècle aimaient les vêtements de riches soieries. A partir du 17° siècle, les robes de fem­mes deviennent les plus riches et les plus soignées.

Des règlements sévères fixaient la coupe des vêtements de toutes les classes et de tous les rangs.

Au 14e et 15e siècle, les dessins brochés en or ou en couleurs dans la trame sont simples, des grecques, des entrelacs, des rosaces, des signes héraldiques. Au 16e siècle, le dessin s'élargit, on y voit des pivoines, des chrysanthèmes, des papillons, des oiseaux. Le 18e siècle atteint l'a­pogée du faste et de la richesse surtout pour les robes de théâtre. 54 On y voit de véritables tableaux: des paysages, des rivières, des ani­maux de toutes sortes, des vols de grue, des couchers de soleil, avec des effets étonnants de couleurs, de lumière et de clair-obscur.

Une branche importante de l'art des tissus a été la tapisserie. Les procédés sont-ils empruntés au Portugal, à la Flandre, à la France? Le travail rappelle celui des Gobelins. Cette industrie ne remonte pas au-delà du 16e siècle. Mais c'est dans la broderie que les artistes de Kyoto ont mérité leur renommée sans rivale. Nos revendeurs de Paris, Londres, Bruxelles, etc. nous offrent des foukousas, ces petits tableaux de soie, grands comme des mouchoirs et merveilleusement brodés. 55

Les fleurs, les oiseaux, les poissons y sont dessinés à l'aiguille, avec une illusion de vérité extraordinaire.

C'est surtout par ses poteries que le Japon est original. Pour la por­celaine (en pâte dure de kaolin) le Japon n'est qu'un imitateur de la Chine. Pour les poteries il est original. Il a fabriqué les poteries depuis les temps préhistoriques, mais dans ses beaux siècles il a su l'orner de couvertes émaillées des plus vives couleurs.

Les porcelaines Japonaises, si connues en Europe, viennent de Nagasaki, province de Hizen, et elles ont surtout été fabriquées là-bas pour l'exportation. Le type le plus connu est celui à décors de chry­santhèmes et de pivoines. 56

Pour les poteries, nous avons surtout les plats et objets divers de Koutani, le plus souvent à couvertes monochromes, et les grands vases de Satsouma à l'aspect opulent, chargés de reliefs d'or.

Un peuple si habile à dessiner ne pouvait pas manquer à s'adonner à l'art des estampes: dessins, images, albums, panneaux décoratifs en noir ou en couleurs. Ils ont commencé par orner de gravures leurs livres bouddhiques, puis des livres historiques, puis leur production est devenue infiniment variée. Le plus célèbre de leurs dessinateurs est Hokousaï. Le catalogue de ses publications est une encyclopédie. Il a publiée tant de livres illustrés, 57 tant de recueils d'esquisses. Les cahiers de sa Mangona sont des livres élémentaires pour les écoles, mais il a aussi produit des ouvrages de luxe, comme ses vues du Foujiyama, ses promenades de Yido, etc. Il a vécu de 1760 à 1849.

Un genre particulier d'estampes, ce sont les sourimonos, ces petites feuilles finement dessinées et souvent gaufrées d'or ou d'argent, que l'on donne aux amis pour les souhaits de fêtes. Voici les souhaits que le grand poète Kyoden4) ajoutait sur l'un d'eux:

«La fleur du prunier pour l'odorat,

Le chant du rossignol pour l'oreille,

Le fruit du kaki pour le goût,

Voilà les bonheurs que je te souhaite pour l'année 1796». 58

A Tokyo, à Kyoto à Kobe, à Osaka, la rue présente partout la même physionomie. Souvent étroite et tortueuse, elle a un aspect toujours bruyant et animé. Les maisons entièrement ouvertes comme des étala­ges de bazars, les enseignes flottantes, les lanternes en papier, lui don­nent l'aspect de nos fêtes foraines.

Rarement on voit des voitures. Elles sont menées par des cochers Japonais, avec un piqueur à pied courant devant les chevaux, prêt à les maintenir et à écarter la foule, comme en Egypte et en Syrie. C'est le précurseur des livres bibliques.

Les Jinrikshas, sorte de cabriolets minuscules et légers, sillonnent les voies en tous sens, traînées rapidement par des coolies (hommes 59 de peine) dont le trot égale celui de nos chevaux de fiacre. Les jambes nues, les pieds garnis d'une petite sandale de paille, un caleçon et un sarrau bleu pour vêtement, la tête couverte d'un grand chapeau

de joncs chinois, ces hommes sont infatigables. Ils courent pendant des heures entières. S'il faut gravir des côtes un second coolie s'attelle devant et tire avec une corde.

Les autres Japonais perchés sur leurs socques de bois s'avancent len­tement. Gênées par ces mêmes chaussures appelées ghéta, les femmes ne vont guère vite; beaucoup portent leurs enfants sur leur dos. A che­val sur les reins de sa maman, soutenu par un lien d'étoffe qui le prend sous les bras et sous les cuisses, le bébé 60 se laisse aller et dort au soleil. Les gamines, dès l'âge de 7 à 8 ans, s'habituent à porter ainsi leurs petits frères et soeurs.

On voit des Japonais habillés à l'européenne mais le nombre en est encore restreint; ce sont surtout des fonctionnaires. Les femmes sont presque toutes fidèles au vieux costume. Les coolies et ouvriers ont souvent au dos de leur sarrau bleu des armoiries ou des inscriptions, qui indiquent quel est leur maître, ou la maison qui les emploie.

Les gens de la classe aisée ont des chaussettes en forme de gants, avec séparation entre le pouce et l'orteil voisin. Pour sortir, ils chaus­sent leurs socques ou ghétas. Ils se couvrent d'un kimono (robe ou douillette croisée) plus court 61 que celui des femmes. Les femmes portent une jupe, qui est rouge pour les jeunes filles, blanche ou de couleur claire pour les femmes mariées. Par dessus, elles ont leur pei­gnoir de soie à grandes manches carrées. Elles en mettent un deuxiè­me et un troisième, s'il fait froid. Enfin elles revêtent le kimono, le man­teau national, ouvert en fiche sur la poitrine, maintenu par une ceintu­re et garni de longues manches carrées qui sont comme de vastes poches, dont les bras émergent par un trou. Ce vêtement est de coton pour le travail et de soie pour les cérémonies. Chez les femmes, la ceinture nommée obi est une pièce de prédilection. C'est une combi­naison compliquée de brocart de soie, de crêpe et de rubans 62 qui forme une énorme coque sur la taille. (Simond).

Les enfants sont habillés d'étoffes à ramages, ce sont comme des fleurs dans les rues. Ils ont le crâne rasé avec une petite houppe, com­me en certains pays musulmans.

Ce peuple ne fait rien comme les autres. Ils écrivent de droite à gau­che et commencent leurs livres à la dernière page. Ils annoncent la mort de leurs parents le sourire aux lèvres. Ils prennent des vêtements blancs pour le deuil. Les charpentiers tirent le rabot vers eux au lieu de le pousser. Les couturières font courir l'étoffe sur l'aiguille immobi­le. Vous comptez quatre vertus cardinales, ils vous diront qu'il y en a cinq, et six vices capitaux et neuf notes à la gamme. 63

Quatre ou cinq mille ans de séparation expliquent suffisamment des divergences d'idées et de moeurs entre jaunes et blancs.

C'est un lieu commun de dire que les Japonais sont des sphinx dont on a peine à deviner les sentiments. Ils ne révèlent ni leurs pensées, ni leurs joies, ni leurs tristesses. Ils ont le sourire perpétuel du stoïcien. Qu'importent les tristesses et les joies, la vie est courte, après elle il y a le paradis du shintoïste ou le nirvana du bouddhiste.

Ils ne s'expriment pas sur leurs pensées philosophiques ou religieu­ses. Comment le feraient-ils? Ils sont désemparés, ils ne savent plus. Une élite d'entre eux visite Paris, Londres, Berlin, 64 New York. C'est assez pour douter de la divinité de leur dynastie et du pouvoir de leurs magots bouddhiques; ce n'est pas assez pour choisir entre le scepticis­me de notre bourgeoisie et la religion de nos populations, entre la phi­losophie de Kant et celle de Stuart-Mill ou d'Auguste Comte.

Ils sont bien convaincus que notre armée et notre marine sont des éléments de force, que l'instruction élève le peuple, que l'industrie et le commerce enrichissent les nations, que les chemins de fer et les postes facilitent les relations. Parlez-leur de ces sujets et ils ne seront plus des sphinx.

Il y avait du bon dans la 65 religion du Shinto et la morale de Confucius. C'est un héritage compromis et qui se perdra.

Le shintoïsme, c'est le culte des ancêtres. On avait la conscience d'hériter d'eux le courage, la douceur, la courtoisie, l'honneur, la loyauté. N'avons-nous pas aussi la confiance que tout cela nous vient de nos ancêtres et surtout de nos Saints?

Confucius enseigne la patience, la force d'âme, la résignation, l'at­tente de joies meilleures. Le Japonais en tirait son éternel sourire. C'est comme l'abandon et la paix de l'âme chez le fervent chrétien. Le Japonais modernisant, homme d'État ou bien ouvrier d'usine, est en train de perdre cela, et c'est dommage. 66

Les Japonais comptent leur âge à partir du 1er Janvier de l'année où ils sont nés et ils ajoutent un an à chaque 1er Janvier; ainsi un enfant né en décembre 1904 a un an dans l'année 1904; deux ans à partir du 1er janvier 1905. Ils appellent jeunesse la période de la vie qui va de la naissance à la vingtième année; âge mûr de la vingtième année à la quarantième; vieillesse, de la quarantième à la soixantième. Le soixan­te-et-unième anniversaire est fêté solennellement; on le considère comme le commencement d'une nouvelle vie.

Le premier événement dans la vie d'un petit enfant, c'est quand on lui rase la tête, le septième jour après sa naissance.

Les enfants Japonais ne sont 67 pas sevrés avant deux ans; ils ne le sont parfois qu'à trois, quatre ou cinq ans; c'est une des raisons qui expliquent que les mères vieillissent si vite.

Les bébés Japonais sont très gais. On ne les contraint pas et ils pleu­rent rarement.

La famille et l'école s'attachent à maintenir l'idéal moral de la race: culte de la nation; dévouement au Mikado; culte des ancêtres; dévoue­ment aux parents et aux grands parents; résignation et courage; amour de la beauté de la nature.

Tels sont les traits essentiels de la morale Japonaise que les pères enseignent aux enfants. Nos instituteurs laïques ne s'élèvent même pas à ce niveau.. 68

Les Japonais ont acquis le respect de l'univers par leurs victoires sur la Chine et sur la Russie. Par leurs victoires seulement! Eussent-ils pro­duit des artistes dix fois plus admirables que ceux dont nous honorons avec eux les noms, eussent-ils été un peuple de philosophes et de saints que toutes leurs vertus accumulées ne leur eussent point donné le quart du prestige proclamé d'un seul coup par leurs triomphes de Port Arthur, de Moukden et de Tsoushima5). C'est la force qui fait loi entre les nations.

Entre toutes les armées des nations puissantes du jour, les soldats Japonais sont les mieux disposés à bien mourir.

Au XXe siècle, avec l'armement moderne, avec des armées compo­sées 69 non pas de guerriers professionnels mais de citoyens, on ne voit pas de quels Occidentaux on pourrait attendre ces efforts acharnés, ce stoïcisme imperturbable et cette impassibilité devant la mort, par quoi les Japonais ont étonné l'univers.

L'Europe a inventé des agents meurtriers, mais en même temps sa sensibilité s'affinait. Son imagination lui représentait vivement l'hor­reur des champs de bataille, et ses enfants entretenaient le rêve d'une paix perpétuelle. La violence de leur courage s'émoussait.

Ce qui fait le contraste, c'est que les Japonais en sont seulement à la fin du Moyen Age et de la féodalité. Notre chevalerie avait autant d'en­train, de ténacité et de mépris de la mort. 70 Mais chez nous le temps de la chevalerie est passé. Il passera aussi au Japon .

Ludovic Naudeau se plaît à rechercher les sources de la bravoure Japonaise.

1° La nature du pays.

Montesquieu n'a-t-il pas dit: «La Macédoine était entourée de mon­tagnes; les peuples en étaient très propres à la guerre: courageux, obéissants, industrieux, infatigables; et il fallait bien qu'ils tinssent ces qualités-là du climat, puisque encore aujourd'hui les hommes de ces contrées sont les meilleurs soldats de l'empire turc».

Le Japon aussi a ses montagnes, ses volcans, ses tremblements de terre, ses raz de marée, ses famines, ses épidémies. 71

En 1855, 25.000 créatures humaines étaient englouties, écrasées ou brûlées à Tokyo par le tremblement de terre. En 1896, un raz de marée à l'île de Rikuchu, faisait 35.000 victimes. En 1897, il sembla que toutes les fournaises de l'enfer fissent explosion à la fois. Des villes entières furent changées en décombres fumants et sanglants. D'autres fléaux, comme la famine et les épidémies, s'abattent périodiquement sur le Japon et y causent de grandes destructions d'existences humai­nes. D'un autre côté, ce peuple prolifique voit naître beaucoup d'en­fants et la vie y est moins précieuse que chez nous. Ils voient beaucoup mourir, la mort les environne toujours; ils sont braves parce que cha­cun d'eux compte 72 moins que nous sur une prolongation de sa propre existence.

2° La race.

Et d'abord l'armée Japonaise constitue, dans l'ensemble de la nation, une véritable élite physique. Les bureaux de recrutement n'ad­mettent à l'honneur de servir que les sujets les plus vigoureux, et ceux-là sont presque tous originaires des campagnes.

C'est une race mêlée de Mongols, de Malais et de Coréens, qui for­ment un type homogène et vigoureux.

Ils ignorent les poisons qui nous amoindrissent. Ils ne connaissent pas l'opium. Ils ne consomment ni alcool, ni café. La grande masse du peuple ne boit que de l'eau. Ils rachètent la faiblesse de leur taille par beaucoup d'agilité et de souplesse. 73 Ils ne connaissent pas la pitié et le sentimentalisme, ils ont toujours été durs pour les malades.

3° Le tempérament.

Ils ont un tempérament qu'on peut appeler frénétique. Dans leur état normal, ils paraissent dociles et doux. Mais quand vient le moment suprême, le Japonais semble perdre toute domination de soi-même. Il se jette dans la mêlée avec une intrépide furie, qui a tou­tes les apparences de la folie.

4° Les facteurs historiques.

Les Japonais étaient déjà une grande puissance militaire depuis plu­sieurs siècles. Ils avaient anéanti au 13e siècle les flottes mongoles de Kublai-Khan. Au 16e siècle le Shogun Hideyoshi, après avoir réalisé l'u­nité de la nation, avait 74 envoyé deux armées de 100.000 hommes pour conquérir la Corée. Ce César oriental n'aspirait à rien moins qu'à conquérir la Chine. Ses troupes, contre les contingents alliés des Coréens et des Chinois soutinrent des batailles épouvantables. En une seule circonstance, à Sochou (1598), les Japonais coupèrent puis esso­rillèrent 38.700 têtes de Chinois. J'ai vu à Kyoto le monticule où ces organes furent enterrés. Jeyasu son successeur voulait soumettre tous les clans. A la seule bataille de Sekigahara, ses soldats victorieux décol­lèrent 40.000 têtes. Les Japonais n'avaient besoin pour les batailles modernes que d'adapter nos armes et notre technique, ils avaient la hardiesse, l'astuce et l'esprit militaire. 75

5° La religion.

La religion est aussi pour eux un élément de bravoure militaire. Ceux qui ne les ont vus qu'en Europe les croient sceptiques. Ils sont religieux, dit Naudeau, et même le peuple le plus religieux de la terre. La masse du peuple est encore composée d'êtres simples, crédules, naïfs, qui ont hérité des temps féodaux une naturelle discipline et des croyances qui leur rendent moins effrayante l'idée de la mort. La noblesse, depuis le 17e siècle, étudie la philosophie positiviste de Confucius. C'est elle qui occupe maintenant les hautes charges, après avoir étudié les progrès européens. Mais le peuple en est encore aux superstitions mêlées du bouddhisme et du shintoïsme.

Les hommes d'Etat d'aujourd'hui 76 ont été formés à l'école dirigée par Fukuzawa, philosophe utilitaire à la Benjamin Franklin. La plupart sont sceptiques. Mais le peuple est resté superstitieux et il accepte encore la croyance traditionnelle à la divinité de l'empereur. Les armées de 1904 étaient comme des armées de Chouans6) qui allaient à la mort pour le roi de droit divin.

6° L'éducation et l'école.

L'école aussi est un facteur de la bravoure Japonaise. Les institu­teurs des 27.000 écoles populaires ont depuis trente ans fanatisé les enfants du peuple. Ils leur ont prêché le culte de ce dieu unique, l'em­pereur, symbole de la patrie. Ils ont surexcité l'orgueil national et le mépris des Européens. Ils ont enseigné aux 77 enfants que le Japon est la plus noble, la plus brave, la plus intelligente des nations. Ils cons­tituèrent ces bataillons scolaires, qu'on avait rêvés en France. Ils croyaient qu'ils allaient en Mandchourie combattre des barbares qui venaient conquérir la Corée et le Japon .

Maintenant, les guerres sont terminées mais les instituteurs devien­nent de plus en plus les prêtres de la religion nationale, les prosélytes les plus convaincus d'un chauvinisme où se confond le culte de l'em­pereur, le culte des ancêtres et l'apothéose des héros.

Il faut ajouter que toute la société Japonaise est fondée sur l'hon­neur, que les théâtres n'étalent sous les yeux que des exemples de loyauté chevaleresque et d'abnégation sublime; que ses 78 livres d'his­toire, ses contes, ses romans exaltent l'immolation de l'individu aux intérêts de la famille et de la patrie; que la terre qu'elle foule est saturée de souvenirs excitants. Toute cette société vit dans une atmo­sphère héroïque.

M. Bellesort raconte qu'il connut un jeune officier qui était revenu malade de l'expédition de Formose. Il guérit à l'hôpital, et sa mère tint ce langage digne des romaines de la République: «Si mon fils était tombé dans la bataille, j'en serais fière; mais si je l'avais vu emporté par la fièvre, je crois que j'en serais morte de douleur».

Le Japon a maintenant de grandes idées. Il utilise nos engins de guerre et nos procédés industriels pour arriver 79 à réaliser les ambi­tions d'un ardent nationalisme. Bien des Japonais font ce rêve: après s'être installé en Corée, le Japon se rapprochera de la Chine, fera l'é­ducation de ce peuple innombrable, l'initiera à la civilisation euro­péenne, le rendra militairement et économiquement fort.

Alors le Japon moderne, allié à la Chine modernisée, délivrera tous les Asiatiques des Européens qui les oppriment, chassera les Américains des Philippines, les Français de l'Indochine, les Anglais de l'Inde et réalisera l'idéal de l'Asie aux Asiatiques, sous la haute protec­tion de l'Empire du Soleil-Levant.

En méditant la délivrance des races jaunes, les Japonais ne font-ils pas un beau rêve de justice internationale et d'égalité humaine? 80 Ils ne songent nullement à conquérir l'Europe et à infliger aux Blancs ce qu'on nomme le péril jaune, mais ils veulent délivrer les jaunes du péril blanc.

Tout cela est beau, mais toute médaille a son revers. Pendant que grandit l'ambition des Japonais, dit Challaye, on voit disparaître chez certains d'entre eux un peu des vertus traditionnelles et de la bonne confiance, en même temps que la douce insouciance, la jolie politesse et l'aimable gaîté.

Le Mikado, dit Dumolard, perd peu à peu son autorité quasi sacrée. Le prince héritier n'est qu'un fils adoptif. On le dit scrofuleux et fai­ble. La charte a été octroyée, mais la démocratie s'avance. Les politi­ciens prennent de l'importance. La corruption grandit, c'est une 81 dissolution morale.

L'argent est rare. Les chemins de fer empruntent à 10%, les villes et les banques à 7.

Le peuple se lasse du service militaire. Quand les garçons de ferme retournent à la caserne après leur congé de janvier, ils disent couram­ment qu'ils rentrent dans les mains du diable.

Le travail au Japon marchait de front avec la famille, avec son cortè­ge habituel d'avantages matériels et moraux. Ils ont maintenant 500.000 ouvriers de grande industrie qui forment un magnifique champs de culture pour les grèves et le socialisme.

Le paupérisme grandit et devient une plaie nationale.

L'autorité, dit Bellesort, dépouillée du prestige nominal dont elle vivait 82 n'est plus qu'un fantôme provisoire. La croyance à la divi­nité de l'empereur sous la lumière de la froide raison européenne, se trouble et pâlit. Ce n'est pas seulement une superstition qui va mourir, c'est le principe même du loyalisme qui est atteint.

La liberté de la presse permet de dénigrer chaque jour l'autorité. Les fils des parvenus s'amusent et flânent à l'Université.

L'industrie moderne a fait des ouvriers une machine sans intelligen­ce et sans idéal. Les patrons sont plus durs que n'étaient les seigneurs féodaux pour le pauvre peuple.

Inquiet et mené par des esprits chercheurs et inconscients, le peu­ple Japonais apparaît comme une proie séduisante pour les futurs entrepreneurs de révolutions. 83

On ne soupçonne guère, sous les dehors insouciants de la vie Japonaise, la sombre crise de misère qui monte silencieusement à mesure que les idées européennes d'égalité et de lutte pour la vie percent les nuages bouddhiques de l'ancien firmament.

La pauvreté est devenue du paupérisme. L'usurier dépouille les miséreux de leurs dernières guenilles.

L'ivrognerie s'aggrave, le vol tend à s'organiser et la passion du jeu fait des ravages.

Naudeau apprécie l'avenir du Japon d'après la ville d'Osaka, qui est la plus modernisée. C'est une grande cité industrielle, une grande ville d'ateliers et de fabriques. Un prolétariat nombreux y végète dans la fumée des usines et la misère d'un labeur mal rétribué. 84

La population d'Osaka est celle qui ressemble le plus à une commu­nauté de citoyens européens. C'est celle qui, en se frottant à notre civi­lisation, a le moins conservé le culte des dieux et des ancêtres. Or, c'est un fait indiscuté, qu'au cours de la dernière guerre, les régiments recrutés à Osaka n'ont pas montré autant de vaillance que les régi­ments provenant des autres parties du Japon.

Les Japonais pensent que nos troubles sociaux dans quelques années nous empêcheront de défendre nos colonies asiatiques, mais sont-ils bien sûrs qu'ils ne seront pas absorbés eux-mêmes par les mêmes problèmes?

Le gouvernement a supprimé les journaux socialistes, mais cela n'a arrêté ni la propagande ni les grèves. 85

La folie de septembre 1905, grève mêlée de conflits sanguinaires, était comme une répétition des révolutions futures.

Les intellectuels et les professeurs lisent et étudient les écrits socialis­tes. Ils sont éblouis par les idées de liberté, d'autonomie, de solidarité. Plusieurs organes de la presse, sans se dire socialistes, prennent sou­vent parti pour les revendications ouvrières.

Les charges publiques augmentent sans cesse. Le budget grossit chaque année. Les dépenses militaires s'élèvent comme par bonds. La misère va croissant. Tous les anciens samuraïs attendent des emplois de l'Etat. Des milliers de prolétaires intellectuels s'exaspèrent. Cyniquement, ils souhaitent de prochaines commotions sociales. Ils rêvent 86 de pêcher en eau trouble et deviennent pour l'Etat un redoutable élément de perturbation. Les jeunes politiciens agités for­ment un parti qu'on nomme les Soshi.

Toutes les idées européennes voyagent par là. L'anti-militarisme y est entré. Les journaux le constatent: chez les jeunes gens qui ont suivi des cours supérieurs, la flamme patriotique est loin d'être ardente.

On s'élève contre l'excès des armements. On demande des civils aux ministères de la guerre et de la marine.

Des désertions se produisent. L'Hervéisme7) a ses partisans. Le Japon est tellement imitateur.

Et si la foi aux vieux cultes s'en va, où retrouver la base d'une mora­le? Ou le Japon se fera chrétien, ou il sombrera dans l'anarchie. 87 Tant que l'Evangile n'y fut pas prêché, Dieu ne demandait au Japon que les vertus traditionnelles, mais maintenant que les missionnaires sont venus, il faut croire ou tomber en dissolution.

J'ai lu deux livres de Loti sur le Japon : Madame Chrysanthème et Japoneries d'automne.

Pour le premier, c'est d'un style gracieux, fleuri, chatoyant.

Quant au fond, c'est la description de ce qu'on appelle là-bas un mariage d'escale. Bien des vaisseaux européens séjournent à Nagasaki ou à Yokohama. Ils y font escale pendant trois ou six mois. Certains officiers sont sérieux, d'autres s'amusent. Jadis ils avaient une étrange manière de s'amuser. Pour goûter à' la vie Japonaise, 88 ils allaient dès leur arrivée chez un entremetteur qui leur procurait une jeune fil­le. On passait un traité devant un commissaire. On promettait à la famille tant par mois, et l'on était uni. Quand on partait, le contrat était fini et le prétendu mariage cessait. Pendant ce temps, l'officier avait son petit ménage à terre, un ménage de grisette, il s'initiait aux coutumes Japonaises, et il s'essayait à en parler la langue.

Loti décrit ce ménage de trois mois. Il prétend qu'il en a goûté. «C'est, dit-il, le journal d'un été de ma vie». Si c'est vrai, il devrait le cacher. Il dédie son livre à la duchesse de Richelieu, qui n'a pas protes­té. Il parait qu'il y a de grandes dames 89 au faubourg St-Germain qui se sont débarrassées des entraves de la prudence. Elles pensent sans doute que l'art n'a pas de morale et qu'il faut tout pardonner à un monsieur qui écrit si bien.

Les descriptions sont jolies. L'arrivée, par exemple: «Nous frôlions au passage des peuplades (?) de grandes jonques, qui glissaient tout doucement, poussées par des brises imperceptibles; sur l'eau à peine froissée, on ne les entendait pas marcher, leurs voiles blanches tendues sur des vergues horizontales, retombaient mollement, drapées à mille plis comme des stores (ces plis ne sont-ils pas de simples coutures?); leurs poupes compliquées se relevaient en château comme celles des nefs du Moyen Age. Au milieu du vert intense de ces 90 murailles de montagnes, elles avaient une blancheur de neige». (Il n'a pas vu que beaucoup sont grises, vieillies, délabrées et fort peu neigeuses.) Il décrit le premier aspect de Nagasaki avec humour: «Quand Nagasaki parut, ce fut une déception pour nos yeux: au pied des vertes monta­gnes surplombantes(?), c'était une ville tout à fait quelconque. En avant, un pêle-mêle de navires portant tous les pavillons du monde, des paquebots comme ailleurs, des fumées noires et, sur les quais, des usines (elles sont plutôt à distance); en fait de choses banales déjà vues partout, rien n'y manquait (il est vrai que la ville Japonaise est par der­rière). Il viendra un temps où la terre sera bien ennuyeuse à habiter 91 (et surtout à visiter), quand on l'aura rendue pareille d'un bout à l'autre, et qu'on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu».

Il débarque, monte un ricksha et se fait conduire au Jardin des fleurs! (déjà). Le jardin des fleurs, c'est une maison de thé (ainsi s'appelle là­-bas ce que nous appelons un café), où se trouve l'entremetteur connu des Européens. Ce monsieur s'appelle Kangourou (je doute fort que ce soit là un vrai nom Japonais). «Je veux d'abord parler à ce M. Kangourou, qui est interprète, blanchisseur et agent discret pour grands mariages. C'est parfait, on le connaît, on va sur l'heure me l'aller que­rir, et l'aînée des servantes prépare 92 dans ce but ses socques de bois et son parapluie de papier.

Il entend qu'on chante et qu'on danse derrière la cloison, il est dans une maison de guishas, de chanteuses. Une des guishas vient le voir, elle lui plaît, il en parlera à M. Kangourou. Celui-ci arrive, il offre sa marchandise, Melle Oeillet, Melle Abricot, des filles plus ou moins honnêtes, mais il préfère la guisha, Melle Chrysanthème. M. Kangourou en est peu édifié: une guisha, c'est si vulgaire! Mais il la lui procurera quand même.

Le troisième jour tout est signé et c'est pour l'été. Cela coûtera vingt piastres par mois. Laissons Loti ouvrir trop grandes les cloisons de son alcôve et décrire 93 les moeurs de ce petit monde. Il ne faut pas lui demander une grande exactitude dans ses descriptions. Il a vu si vite et puis Chrysanthème l'absorbait. Il cite bien des mots Japonais, mais pas toujours correctement. Il interprète bien des choses à sa façon, par exemple ces symboles que les gens du peuple portent mar­qués en blanc sur leurs sarraux bleus. Il pense que cela dénote de nobles chevaliers (p. 197). Non, ce sont plutôt des signes du servage. C'est le blason des maîtres ou des compagnies qui emploient ces servi­teurs. Il voit de bonnes femmes faire claquer une sorte de castagnettes au temple, il pense qu'elles appellent par là l'attention de la divinité. Non, ces castagnettes sont un sort. 94 On les jette à terre. Elles pro­mettent le bonheur si elles tombent bien (comme nous jouons à pile ou face). Il est vrai qu'on peut les jeter plusieurs fois, jusqu'à ce qu'el­les tombent du côté favorable et alors on peut espérer que la prière faite au temple sera exaucée.

Le livre se termine par cette petite sottise: « O Amatérace-Omi-Kami (c'est la déesse du soleil), lavez-moi bien blanchement de ce petit mariage, dans les eaux de la rivière de Kamo…»

La duchesse de Richelieu et les autres lectrices distinguées deman­dent sans doute la même absolution après leur lecture.

L'autre livre: Les Japoneries d'automne est plus descriptif, 95 plus intéressant et plus honnête. Il décrit plusieurs villes et il raconte une réception impériale.

Il commence par la description de Kyoto: «Quel immense Ca­pharnaüm religieux, quel gigantesque Sanctuaire d'adoration (?) que ce Kyoto des anciens empereurs! Trois mille temples où dorment d'in­calculables richesses, consacrées à toutes sortes de dieux, de déesses ou de bêtes. Des palais vides et silencieux, où l'on traverse pieds nus des séries de salles tout en laque d'or, décorées avec une étrangeté rare et exquise, des bois sacrés aux arbres centenaires, dont les avenues sont bordées d'une légion de monstres, en granit, en marbre ou en bron­ze…»

Quelques lignes sur le temple du Kyo-Midzu. C'est de l'à-peu-près, 96 mais c'est bien dit: «Le temple de Kyo-Midzu, un des plus beaux et des plus vénérés. Il est, suivant l'usage, un peu perché dans la monta­gne, entouré de la belle verdure des bois. A mesure que l'on appro­che, en s'élevant toujours, les marchands de porcelaine font place aux marchands d'idoles, étalages plus étranges. Des milliers de figures de dieux, de monstres, sinistres, méchantes, moqueuses ou grotesques; il y en a d'énormes et de très vieilles, échappées des vieux temples démo­lis et qui coûtent fort cher; surtout il y en a d'innombrables en terre et en plâtre, débordant jusque sur le pavé, à un sou et même à moins, tout à fait gaies et comiques, à l'usage des petits enfants. Où finit le dieu? Où commence le joujou? Les Japonais eux-mêmes 97 le savent-ils? A la fin, voici un vrai escalier en granit, monument en haut duquel se dresse le premier portique monstrueux du temple.

D'abord on entre dans de grandes cours en terrasse d'où la vue pla­ne de haut sur la ville sainte; des arbres séculaires y étendent leurs branches, au-dessus d'un pêle-mêle de tombes(?), de monstres, de kio­sques religieux, et de boutiques de thé enguirlandées. Des petits tem­ples secondaires, remplis d'idoles, sont posés ça et là au hasard. Et les deux grands apparaissent au fond, écrasant tout de leurs toitures énor­mes. Dans ces grands temples, on est saisi à l'entrée par un sentiment inattendu qui touche à l'horreur religieuse: les dieux apparaissent dans un recul dont l'obscurité 98 augmente la profondeur. Une série de barrières empêche de profaner la région qu'ils habitent et dans laquelle brûlent des lampes à lumière voilée. On les aperçoit assis sur des gradins, dans des chaises, dans des trônes d'or. Des Bouddha, des Amidha, des Kwanon, des Benten, un pêle-mêle de symboles et d'em­blèmes, jusqu'aux miroirs du culte shintoïste qui représentent la vérité; tout cela donnant l'idée de l'effrayant chaos des théogonies Japonaises. Devant eux sont amoncelées des richesses inouïes: brûle-parfums gigantesques de formes antiques; lampadaires merveil­leux; vases sacrés d'où s'échappent en gerbes des lotus d'argent ou d'or. De la voûte du temple descendent une profusion de bannières brodées, de lanternes, 99 d'énormes girandoles de cuivre et de bron­ze, serrées jusqu'à se toucher dans un extravagant fouillis…»

Et le palais des Taïko-Saura: «Toute la surprenante magnificence est aux murailles et aux voûtes. La précieuse laque d'or s'étale uniformé­ment partout, et sur ce fond d'aspect byzantin tous les artistes célèbres du grand siècle Japonais ont peint des choses inimitables. Chaque salle a été décorée par un peintre différent, et illustre, dont le bonze me cite le nom avec respect. Dans l'une, ce sont toutes les fleurs connues; dans l'autre, tous les oiseaux du ciel, toutes les bêtes de la terre; ou bien des chasses et des combats, où l'on voit des guerriers couverts d'armures et de masques effrayants, poursuivre à cheval des 100 monstres et des chimères. La plus bizarre assurément n'est décorée que d'éventails (desseins d'éventails sur les cloisons): des éventails de toutes les formes, de toutes les couleurs, déployés, fermés, à demi ouverts, jetés avec une grâce extrême sur la fine laque d'or. Les plafonds également laqués d'or, sont à caissons, peints avec le même soin, avec le même art. Ce qu'il y a de plus merveilleux peut-être, c'est cette série de hautes frises ajourées qui règne autour de tous les plafonds; on songe aux générations(?) patientes d'ouvriers qui ont dû s'user pour sculpter dans de telles épaisseurs de bois ces choses délica­tes, presque transparentes: tantôt ce sont des buissons de roses, tantôt des enlacements de glycines, ou des gerbes de riz; 101 ailleurs des vols de cigognes qui semblent fendre l'air à toute vitesse formant avec leurs milliers(?) de pattes, de cous tendus, de plumes, un enchevêtre­ment si bien combiné que tout cela vit, détale, que rien ne traîne, ni ne s'embrouille…»

A Nikko, il est plutôt diffus et peu artiste. Il y a quelques bons traits de pinceau au commencement: «C'est sous le couvert d'une épaisse forêt, en penchant de la Sainte Montagne de Nikko, au milieu de cascades qui font à l'ombre des cèdres un bruit éternel, - une série de temples enchantés, en bronze, en laque, aux toits d'or, ayant l'air d'ê­tre venus là à l'appel d'une baguette magique, parmi les fougères et les mousses, dans l'humidité verte (?), sous la voûte des 102 ramures sombres, au milieu de la grande nature sauvage, - au dedans de ces temples, une magnificence inimaginable, une splendeur de féerie. Et personne alentour que quelques bonzes gardiens qui psalmodient, quelques prêtresses vêtues de blanc qui font des danses sacrées en agi­tant des éventails. De temps en temps, sous la haute futaie sonore, les vibrations lentes d'une énorme cloche de bronze, ou les coups sourds d'un monstrueux tambour-à-prière. Autrement, toujours ces mêmes bruits qui semblent faire partie du silence (?) et de la solitude: le chant des cigales, le cri des gerfauts en l'air, le cri des singes dans les branches (je n'en ai pas vu là-bas), la chute monotone des cascades. Tout cet éblouissement d'or, au milieu de 103 ce mystère de forêt, fait de ces sépultures quelque chose d'unique sur la terre. C'est la Mecque du Japon ; c'est le cœur encore inviolé de ce pays, qui s'effon­dre à présent dans le grand courant occidental; mais qui a eu son pas­sé merveilleux.

Ils étaient des mystiques étranges et des artistes bien rares, ceux qui, il y a trois ou quatre cents ans, ont construit ces magnificences, au fond des bois et pour des morts…»

Mais le chapitre le plus intéressant est la fête des chrysanthèmes au palais d'Okasaba, en présence de l'impératrice.

«Aucun luxe aux abords de l'immense résidence. Le palais, - si palais il y a, - ressemble à n'importe quelle maison Japonaise, ni plus haut ni moins simple, plus étendu seulement. 104

A l'entrée, des laquais en livrée européenne, frac noir et gilet rou­ge, reçoivent les manteaux des invités, et distribuent des numéros Japonais… Dans des couloirs étroits qui viennent après, nous nous trouvons maintenant une quinzaine errant à la file, avançant avec hésitation: deux ou trois habits brodés d'amiraux, chefs de stations navales, et des habits noirs de princes Japonais ou de plénipotentiaires européens… Au milieu de cette monotonie blanche, par l'ouverture d'un de ces minces châssis, se montre tout-à-coup une petite créature vieillotte, une fée sans doute, éblouissante comme un colibri, dans un costume qui est une quintessence d'étrangeté… Quelque princesse probable­ment, ou bien une dame d'honneur. Elle porte la tenue de cour, qui 105 doit remonter à plusieurs siècles. Ses cheveux gommés sont éployés en éventail autour de sa plate figure aux yeux bridés. Ses culot­tes bouffantes sont en soie d'une pourpre magnifique. Sur les épaules, un mantelet ou camail, d'un vert réséda qui change et chatoie, tout semé de chimères multicolores, dont les reflets sont comme ceux des gorges d'oiseaux-mouches (?). Elle se joint à nous après un gentil salut. Ensuite il en surgit une autre, - et une autre encore; leurs soies, qui sont splendides, qui sont des merveilles orientales, ont des nuan­ces et des éclats différents. Quelques mois après, un édit impérial a supprimé l'antique tenue de cour et ordonné aux grandes dames de ne plus se montrer 106 qu'en costume européen, coiffées à l'améri­caine. Et l'année suivante, en 1887, la fête des chrysanthèmes s'est appelée un garden-party; l'impératrice s'y est montrée en sombre costume montant, habillée par les soins d'une première de je ne sais quel costumier de Paris, mandée au Japon pour la circonstance.

Nous stationnons à un rond point sablé, autour duquel s'élèvent des constructions légères en bambou, drapées et voilées d'un crépon de soie d'un violet tendre (couleur réservée au souverain comme autrefois la pourpre en Occident); sur tous ces voiles lilas, des chry­santhèmes héraldiques étalent leurs larges rosaces. Ce sont des exposi­tions de fleurs. Sous ces tentures impériales, il y a des collections de chrysanthèmes qui 107 sont naturels, mais qui n'en ont pas l'air; des chrysanthèmes merveilleux, en l'honneur desquels leurs Majestés nous ont conviés. Ils sont plantés en quinconces sur des parterres que recouvre une mousse fine. Chaque pied n'a qu'une tige et chaque tige n'a qu'une fleur, mais quelle fleur! plus grande que nos grands tour­nesols, et toujours d'une nuance si belle, d'une forme si rare. Il y en a qui sont d'un blanc ivoire, d'autres d'un mauve pâle, ou bien du plus magnifique amaranthe; il y en a de panachées, de nuancées, de mi-par­ties… Plus loin sur la colline, d'autres expositions, de fleurs, des fantai­sies de chrysanthèmes: bouquets montés, tiges multiples où chaque branche a sa fleur… l'impératrice va venir. 108 Les deux musiques de la cour jouent à tour de rôle, dissimulées derrière des verdures. Elles jouent des choses qui détonnent dans ces jardins, mais qui sont jolies quand même: du Berlioz, du Massenet, du Saint-Saëns. Mais voici qu'au bout de l'allée quelque chose d'éclatant apparaît, un groupe d'une vingtaine de femmes en costumes inouïs. Eclairées, au fond de ce lointain, par un soleil déjà rougeâtre qui décline, elles arrivent sans hâte, dans le chemin resserré entre la colline de cèdres et l'étang de lotus; elles se détachent en masse magnifiquement colorée et lumineu­se sur le rideau de ces vieux arbres sombres et l'étang reflète en lon­gues traînées adoucies, le violet et l'orange, le bleu et le jaune, le vert et le pourpre de leurs toilettes de fées. 109 Elles sont vêtues de jupes de pourpre et de mantelets de couleurs variées, semés d'oiseaux, de chimères ou de feuillages, qui sont des armoiries… L'impératrice pas­se. Tous ses invités s'inclinent profondément sur sa route; les seigneurs Japonais sont cassés en deux, dans leurs habits noirs, les mains à plat sur les genoux, la tête penchée vers la terre; les européens sont courbés en salut de cour… La grande ombrelle violette, délicieusement brodée de chrysanthèmes en relief, s'est soulevée et je l'ai aperçue… Son petit visage peint m'a glacé et charmé… Il y a là, un peu plus loin, dans la direction qu'elles ont prise, un très vaste kiosque, qui est drapé, comme les autres, de 110 crépons violets aux armes impéria­les et que soutiennent de gros piliers, garnis de chrysanthèmes natu­rels piqués dans de la mousse. Il paraît que nous devons y entrer avec elles. Une table d'une quarantaine de couverts y est dressée, sous les soies retombantes; elle est servie à l'européenne, chargée d'argenterie, de coupes à champagne, de pâtés de gibier, de pièces montées, de sor­bets, de fruits et de fleurs. L'impératrice y prend place au bout, sur un siège haut drapé de lampes rouges, les princesses autour d'elle, et nous ensuite, les invités, au hasard des sièges que les valets nous pré­sentent. L'orchestre entonne une mélodie italienne qui nous fait re­prendre pied dans le monde connu, - tandis 111 qu'une quantité de petits êtres à figure jaune, à livrée noire et rouge, surgissent des fonds du kiosque, s'empressent autour de nous avec des légèretés d'oiseaux, des obséquiosités d'esclave, découpant les faisans truffés, servant les vins, les bombes glacées, les gelées et les petits-fours… Puis c'est le cortège du retour…

C'est un lambeau du vrai Japon qui vient de s'évanouir là, à ce tour­nant de chemin, qui vient d'entrer dans l'éternelle nuit des choses pas­sées, puisque ces costumes ni ce cérémonial ne se reverront plus…»

Raoul Allier a écrit un livre sur cette question: le Japon sera-t-il pro­testant, rationaliste ou bouddhiste? 112 J'espère qu'il ne sera ni l'un ni l'autre et qu'il deviendra catholique. J'analyse le livre de Raoul Allier.

I. Avant la Révolution du Meiji.

L'Empire du Soleil Levant s'était fermé aux étrangers en 1637. La législation Japonaise resta féroce sur ce point jusqu'en 1854. C'est alors que les Etats-Unis obtinrent l'ouverture de sept ports Japonais au commerce. L'Angleterre et la France ne tardèrent pas à obtenir la même faveur, mais deux articles restaient exclus rigoureusement, l'o­pium et le christianisme. La rentrée de Mgr Petitjean8) en 1865 au milieu des catholiques anciens de Nagasaki provoqua une persécution.

II. Les débuts.

Après la révolution de 1868, la liberté religieuse ne fut pas pro­clamée 113 tout d'un coup. Les édits de persécution restèrent enco­re affichés deux ou trois ans, mais l'esprit de tolérance s'introduisit peu à peu. Les relations commerciales étaient surtout avec les Etats-Unis et l'Angleterre, cela facilita la propagande protestante. Plusieurs sociétés de missions arrivèrent: les Baptistes américains, les Anglicans, les Congrégationalistes de Boston, les Presbytériens. Ceux-ci commencèrent ouvertement à Yokohama, avec quelques disciples.

III. Un esprit nouveau.

A partir de 1872 souffle un esprit nouveau. De jeunes Japonais qui avaient voyagé en Europe et en Amérique revenaient dans leur patrie. Ils ne pensaient plus que l'attachement aux anciennes coutumes, même religieuses, fût la condition absolue 114 de la grandeur de l'Empire. Au contraire, tout ce qui venait de l'étranger était bon, il fal­lait l'adopter. Les moines bouddhistes et leur paresse étaient de plus en plus un sujet de dérision pour les étudiants et pour les partisans des idées nouvelles.

IV. Verbeck.

Un pasteur américain d'origine hollandaise eut un grand rôle à jouer. Il avait ouvert dès 1865 à Nagasaki une école où on enseignait les sciences et les langues de l'Occident. Les jeunes samuraï y venaient de lui. Plusieurs parvinrent rapidement aux plus hautes charges de l'empire. L'empereur le fit appeler à Tokyo pour fonder une univer­sité impériale. Il prit une grande influence. Il engageait ses élèves à aller achever leurs études en 115 Amérique. Plus de deux cents allè­rent à l'Université de New-Brunswick. L'esprit protestant gagnait du terrain.

V. Période de conquêtes. 1873-1889.

C'est une ère nouvelle. La question religieuse est partout posée. Tous les projets se croisent. Toutes les opinions se combattent. Malheureusement beaucoup de Japonais en visitant l'Occident ren­contrent chez nous le courant d'irréligion qui envahit la France et d'autres pays. Ils reportent là-bas toutes les objections contre le chri­stianisme et surtout contre l'Eglise catholique. Un philosophe confu­cianiste Yasui Sokken publie contre l'Evangile un pamphlet du genre voltairien. Cela n'empêche pas la faveur croissante que la propagande 116 chrétienne rencontre dans une partie de l'opinion. Dès 1874 le chiffre des missionnaires est doublé et plusieurs nouvelles sociétés entrent en ligne. En dix ans on fonde 93 églises, 7 séminaires théologi­ques. En 1883, il y a déjà 41 pasteurs indigènes consacrés et 108 auxi­liaires. En 1884, Mr Faukouzawa, qui a visité l'Europe, publie un mani­feste où il déclare que la civilisation occidentale est le produit histori­que du christianisme. Un moment on peut croire que toute la nation allait se donner au Christ.

Mais le christianisme était divisé. Il y avait l'Eglise Romaine, l'Eglise Russe et les 500 sectes protestantes. Et le catholicisme était si mal représenté par la France, gouverné par les Gambetta, les Ferry et pire encore. 117

Mon auteur, Mr. Allier ne paraît pas se douter que c'est Photius, Luther et Calvin, avec Voltaire, Rousseau et leurs élèves, qui ont empê­ché l'Asie de venir au Christ en présentant à l'Asie un christianisme divisé!

Enfin en 1889 la nouvelle Constitution proclamait la liberté reli­gieuse, et une ligue de trente jeunes gens réunis à Hanaoka jurait de se consacrer à la diffusion du christianisme.

Le protestantisme était toujours plus en faveur que le catholicisme, à cause de l'état de prospérité des Etats-Unis et de l'Angleterre et des défaillances de la France.

Quelqu'un qui jugerait la France, l'Espagne et l'Italie par leurs par­lements, ne serait-il pas convaincu que la religion catholique est à l'a­gonie 118 en Europe?

VI. Réaction antichrétienne. 1890.

Une réaction se produit en 1890. Le point de départ en est dans le patriotisme. Est-il admissible, disent les Japonais, que pour devenir une puissance redoutable, leur patrie ait besoin d'emprunter une âme à l'étranger? Des connaissances matérielles, oui, elle les empruntera, mais sa vie spirituelle, non. Elle se développera, elle grandira en sen­tant palpiter en soi l'âme des ancêtres. D'ailleurs, n'a-t-elle pas en elle-même, c'est-à-dire dans cette âme des ancêtres ce qui fait sa force? En vingt-cinq ans, elle a franchi des étapes qui pour les autres nations ont exigé des siècles… Aussi bien les professeurs de 119 l'université de Tokyo, qui ont voyagé en Occident, rapportent que le christianisme est une religion mourante. En Angleterre et aux Etats-Unis, ils ont entendu préconiser la philosophie de Spencer, de Bentham, de Hume, de Stuart Mill, c'est-à-dire l'agnosticisme, l'athéisme et le matérialisme.

En 1889, au renouvellement des traités avec les Etats-Unis, la Russie et l'Allemagne, ces nations ne voulurent pas renoncer à avoir des tri­bunaux spéciaux pour leurs nationaux au Japon , cela aussi exaspéra l'opinion et il y eut un attentat contre le comte Okouma, qui avait signé les traités. La lutte sévissait surtout dans les écoles. Les maîtres, à 120 tous les degrés de l'enseignement, affirmaient sans cesse que tous ceux qui croyaient au Christ étaient traîtres à la patrie. Plusieurs généraux obligèrent leurs soldats chrétiens à abjurer.

En 1894, le Dr Inoué qui avait visité l'Europe écrivait une brochure sensationnelle sur «L'antinomie entre la religion chrétienne et l'édu­cation». En Europe, disait-il, la religion chrétienne n'a plus pour elle que les femmes et les enfants. Si quelques jeunes gens pauvres étu­dient pour devenir pasteurs, c'est pour avoir un gagne-pain. On faisait circuler des feuilles ou tracts populaires: «Japon au christianisme: Est-il possible de concilier le caractère sacré de l'empereur 121 du Japon avec l'enseignement du christianisme, d'après lequel Christ est le chef suprême de tous les êtres visibles et invisibles?».

Pendant cette période nationaliste 1889-1896, le nombre des baptê­mes d'adultes baisse chaque année. Il tomba de 7.000 à 2.500.

VII. Un christianisme nationaliste

La poussée nationaliste avait pénétré les églises chrétiennes el­les-mêmes. Le protestantisme n'a pas de défense contre ce courant. N'est-il pas partout à peu près nationaliste? Il n'a pas de centre doctri­nal ni hiérarchique.

Beaucoup de convertis refusèrent de se dire Presbytériens ou Congrégationalistes. Ils formèrent l'Église du Christ au Japon. Ils se lancèrent dans l'exégèse et étudièrent les théories 122 de l'école de Tubingue.

Un pasteur Japonais intelligent, M. Yokoï Tokio, publia un manife­ste nationaliste: «Nous avons à croire en Christ comme Japonais, disait-il. Nous avons à étudier la théologie comme Japonais. Tous les Grands Serviteurs de Dieu ont été en même temps des disciples du Christ et des patriotes enthousiastes. Ce qu'il faut maintenant, pour consolider les résultats obtenus par l'évangélisation du Japon, c'est qu'il se lève des hommes comme Wesley, Beecher, Knox, Luther et Paul». M. Yokoï Tokio se croit évidemment l'un de ces hommes.

Mon auteur, M. Allier, trouve cela peu modeste, mais que peut-il objecter de sérieux à ces prétentions qui sont parfaitement d'accord 123 avec le libre examen des protestants?

VIII. Essais de néo-bouddhisme et de néo-shintoïsme.

La civilisation occidentale pénètre les milieux bouddhistes et shin­toïstes. Quelques-uns de leurs prêtres sortent de l'ornière. Ils com­prennent le ridicule de leurs divinités bizarres et de leurs superstitions amoncelées par les siècles. Que faire? Ils ne veulent cependant pas devenir chrétiens. Ils rêvent comme les hindous une rénovation de leurs cultes.

Le bouddhisme, après le Congrès des religions de Chicago, essaie d'imiter le christianisme sans l'adopter.

On publie au Japon une sorte de Bible bouddhique, le Bukkyo Seiten, avec des extraits de leurs vieux livres. Une des sectes anciennes, 124 le Shinsu, se prête particulièrement à ce rajeunissement. On croit avoir trouvé la religion de l'avenir. Mais ces essais ne tardèrent pas à aboutir au découragement. Les plus intelligents s'aperçurent qu'en ôtant au bouddhisme ses superstitions, on n'en laissait rien sub­sister.

Le shintoïsme essaya aussi de se renouveler. Le nouveau shintoïsme se réduit au culte de l'Empereur. Combien cela durera-t-il?

IX. La crise morale: le Bushi-do.

Dans ce désarroi religieux, on s'aperçoit bien vite de l'affaissement de la morale surtout parmi les jeunes gens. Très curieux un document du Ministre de l'Instruction publique à l'Officiel du 9 juin 1906. 125 «En voyant, dit-il, parmi la jeunesse des deux sexes, se manifester depuis quelque temps, l'affaissement des caractères et le relâchement dans les moeurs, le Ministre ne peut se défendre de gémir de cet état de choses. Il y a parmi les étudiants une tendance à s'adonner au luxe, à se laisser tourmenter par des idées creuses et des rêves pessimistes et à négliger leurs devoirs d'état, il en est même qui ne rougissent pas de mener une vie licencieuse…».

Toute la presse abonde dans le même sens. Quel remède pro­pose-t-on? Le Bushi-do. Qu'est-ce donc que le Bushi-do? C'est la voie du guerrier (Bushi). On dirait chez nous: «C'est le code de la chevalerie». Chez nous, les générations anciennes puisaient 126 dans la littératu­re du Moyen Age et surtout dans les chansons de gestes la vaillance, la générosité, l'amour de la religion et de la patrie. C'est ce que fait observer aujourd'hui Jean Richepin9) dans ses conférences à l'Université des Annales. Plusieurs écrivains Japonais ont donc pré­senté à leur tour des récits et des sentences qui résument l'esprit che­valeresque des Samurai: C'est le Bushi-do. C'est mieux que rien, mais cela ne résout pas les problèmes philosophiques et religieux.

X. L'inquiétude religieuse persiste.

On voit à chaque instant au Japon se manifester cette inquiétude. En 1905, le directeur au Ministère de l'Instruction publique écrivait dans le journal Shukyokai: «Quiconque connaît la situation actuelle 127 du bouddhisme ne peut que la déplorer. Il paraît impossible de le revivifier. Et pourtant il n'y a jamais eu de temps où la religion ait été plus nécessaire que de nos jours. Il faut que nous ayons une reli­gion et qu'elle nous communique un idéal plus haut que celui que nous trouverons dans le commerce et la politique. Si le bouddhisme ne peut pas nous donner cet idéal, alors puisse le christianisme nous le donner! J'aime cent fois mieux voir le christianisme nous communi­quer, avec son idéal, une âme de vie que de voir notre peuple sans reli­gion!…».

Le mouvement de la librairie est très significatif en ces matières. Les livres qui se sont le plus vendus en ces dernières années paraissent être: La Vie de Shakia-Mouny par le 128 Dr Inoué; La Vie de Jésus par M. Ebina; Les trois grands sages du monde (Confucius, Bouddha, Jésus-­Christ) par M. Takahaschi; Ma religion, de Tolstoï; La vie de St Paul, par Fischer et Satomi.

C'est un peuple qui cherche une religion.

Souvent le christianisme arrache son admiration. Le comte Okou­ma disait à la réunion des jeunes gens chrétiens en 1902: «Les efforts accomplis par les chrétiens pour donner à notre peuple des principes de conduite élevés, sont appréciés par toutes les personnes qui réflé­chissent… La vie noble que votre Bible offre à notre admiration ne sera jamais démodée. Vivez cette vie et prêchez-la, et vous procurerez à notre Pays juste ce dont il a besoin à l'heure actuelle». 129

Le baron Maejima, ancien ministre des postes, disait de même en 1903: «Je crois fermement qu'il nous faut une religion comme base de notre prospérité nationale et individuelle. Nous pouvons avoir une grande armée, une grande flotte, mais si nous ne mettons pas la justice comme base de notre existence nationale, nous ne pouvons atteindre aux succès les plus hauts. Et lorsque je regarde autour de moi pour voir quelle est la religion sur laquelle nous pouvons le mieux nous appuyer, j'arrive à la conviction que celle du Christ est la plus pleine de force et de promesses pour une nation».

XI. La guerre russe et le Bushi-do chrétien.

La guerre russe fut une 130 grande épreuve pour le christianisme au Japon . Tous les tenants du bouddhisme essayèrent d'en faire une guerre religieuse. On voyait dans ce renouveau du bouddhisme un moyen d'unir tous les peuples d'Extrême Orient, Japonais, Coréens, Chinois contre l'ennemi commun. Le grand chef d'une des sectes Hongwanji prêchait la guerre sainte. Le gouvernement arrêta ce mou­vement pour ne pas se mettre à dos toutes les nations d'Europe et d'Amérique. Il déclara que cette guerre n'était pas une guerre reli­gieuse. Une grande réunion eut lieu où les représentants des diverses sectes philosophiques et protestantes déclarèrent que cette guerre était toute politique et n'avait pas pour cause 131 l'antagonisme des religions et des races.

On échappa à une explosion de passion religieuse. Le christianisme gagna même du terrain dans l'opinion publique pendant la guerre. On reconnut que les patriotes chrétiens savaient comme les autres sou­tenir l'honneur national, et de plus le dévouement des chrétiens de la Croix-Rouge excita l'admiration des Japonais et flatta leur amour-pro­pre en montrant qu'ils savaient imiter ce que l'Europe avait de meil­leur. Aux funérailles d'un capitaine chrétien mort héroïquement au champ de bataille, un pasteur protestant fit un discours sur le Bushi-do chrétien, en rappelant la mort du Christ, modèle de résignation et de courage. 132

XII. Conclusion.

Mon auteur ne voit que deux courants: le protestantisme nationalis­te et le scepticisme.

Le protestantisme a 60.000 adhérents, il compte 12 établissements d'enseignement secondaire, et seize écoles de théologie avec 216 élè­ves. A la suite d'une grande réunion de Tokyo, M. Henri Bois a pu écri­re: «L'Orient est en ce moment accessible à l'Evangile à un point dont nous n'avons pas idée. Tellement que je me suis demandé plus d'une fois, en vibrant à l'unisson de l'enthousiasme de ces Orientaux, si le christianisme n'allait pas délaisser l'Occident pour trouver dans l'Orient son centre et son foyer. J'ai la sensation d'être à l'aube de quelque chose de très 133 profond, de très grand, aux retentisse­ments incalculables…».

D'un autre côté, dans les hautes sphères, le scepticisme gagne du terrain. Le Japan Weekly Mail écrivait le 12 mars 1904: «Ce sont les gens superstitieux qui ont besoin d'une religion. Sans aucun Dieu à adorer, ni aucune âme immortelle dont il faille se préoccuper, les gens cultivés peuvent passer leur vie très agréablement, en jouissant de tout ce que la nature et l'art leur ont procuré…».

M. Allier n'a pas voulu voir le mouvement catholique, qui est lent mais continu: les 60.000 catholiques organisés en diocèses et paroisses, les familles demeurées catholiques à Nagasaki, malgré les persécutions et l'absence de prêtres, le clergé national, 134 les grands collèges des Marianistes, les pensionnats des Dames du S.-Cœur et de St-Maur et les œuvres d'autres communautés.

Les Japonais comprendront qu'il faut une religion: la nature y con­duit et l'histoire le proclame. Ils reconnaîtront que le protestantisme manque d'unité et d'autorité. L'avenir est au catholicisme.

C'est le titre d'un livre intéressant de M. Steichen, publié par l'Imprimerie des Missions de Hongkong. Les Daïmyos étaient les Seigneurs féodaux du Japon , comme chez nous les ducs et comtes de Bourgogne, de Bretagne, de Champagne, etc. etc.

S. François Xavier et les premiers missionnaires du Japon s'adressè­rent 135 aux daïmyos, ils en gagnèrent et en convertirent un certain nombre. C'est avec leur aide ou leur assentiment, qu'ils allaient au peuple. En un siècle, de 1550 à 1650, le Japon fut sur le point d'être définitivement converti. Il comptait un million de catholiques sur dix ou douze millions d'habitants. C'est cette histoire d'un siècle que Steichen raconte en détail.

S. François Xavier passa deux ans et trois mois au Japon. Il y laissa quatre postes fondés, avec quelques centaines de chrétiens.

Il arriva le 15 août 1549 avec deux autres jésuites, le P. Côme de Torres et le P. Jean Fernandez et trois néophytes Japonais qu'ils avaient convertis aux Indes et qui leur servaient d'interprètes. 136

Il débarqua à Kagoshima, un beau port de l'île de Kiou-Siou [Kyu-­Shu], l'île aux neuf provinces. Comme François Xavier venait avec une mission du vice-roi des Indes, pour saluer les autorités Japonaises, il alla droit aux chefs. A Kagoshima, il se présenta au Daïmyo Shimazu, qui le reçut avec politesse et le laissa libre de prêcher sa doctrine. Xavier passa là un an et eut peu de succès. Il fit des réunions où parlait son catéchisme [catéchiste] Paul Yajiro. Lui-même lisait le catéchisme traduit en Japonais par Paul. Au bout d'un an, il avait obtenu cent con­versions, mais les bonzes du pays se fâchèrent et obligèrent le Daïmyo à 137 renvoyer Xavier. S. François Xavier partit vers le nord en lais­sant à Kagoshima Paul Yajiro pour continuer à instruire les chrétiens de la ville et ceux des environs. Il se dirigea sur Hirado, une autre capi­tale de province où le Daïmyo Matsura le reçut avec beaucoup d'é­gards, dans l'espoir de faire du commerce avec les Portugais. S. François prêcha un peu là et y laissa le Père de Torres. Il avait le désir d'aller jusque chez l'empereur à Kyoto. Mais il s'arrêta encore en che­min chez le puissant Daïmyo de Yamagushi, dans l'île principale du Japon , l'île de Hondo. Yagamushi [Yamagushi] était la seconde ville de l'Empire, avec 50.000 habitants. C'était une ville 138 corrompue et railleuse. Le saint n'y eut pas grand succès et il partit bientôt pour Kyoto. Il croyait trouver là un puissant empereur et lui remettre les présents qu'il apportait de l'Inde. Mais l'empereur d'alors, et son Shogun étaient comme des rois fainéants et sans prestige. Le saint en conclut que le plus puissant seigneur du Japon pour le moment était le Daïmyo de Yamagushi. Il retourna vers lui et lui offrit les dons qu'il avait apportés: une horloge à sonnerie, une harpe, une arquebuse à trois canons, etc. Il fut bien reçu et il obtint l'autorisation de prêcher. En deux mois, il eut cinq cents néophytes, dont plusieurs Samuraïs.

Cette Eglise fondée, il partit pour Funai dans l'île de Kiou-Siou [Kyu-Shu]. 139 Là aussi il fut bien reçu par le Daïmyo Otomo, dont le pouvoir s'étendait sur plusieurs provinces. Il passa là deux mois. Puis il crut devoir partir pour la Chine où il espérait gagner les grands et étendre le règne du Christ. Il laissait l'Eglise du Japon en bonne voie, avec deux pères et quelques catéchistes. Mais la mort l'attendait à Sancian en vue des côtes de Chine.

Douze ans après, les Jésuites, au nombre de cinq ou six avaient obte­nu des succès inespérés. L'Eglise de Yamagushi, la plus florissante, comptait dès 1555 plus de deux mille chrétiens. Naïto, le gouverneur de la ville, s'était fait inscrire parmi les croyants avec ses deux fils et 300 personnes de sa maison. 140 Dans les diverses provinces du Kyu­Shu, sept ou huit chrétientés comptaient chacune plusieurs centaines de chrétiens. Dans les îles dépendantes de Hirado, les conversions avaient dépassé toute attente. Enfin en 1563, Omura Sumitada, Daïmyo de la principauté d'Omoura, dans la province de Hizen, se convertit au christianisme, commençant ainsi la série de plus de trente familles de Daïmyos, qui, pendant près d'un siècle, devaient illustrer ou attrister l'Eglise du Japon.

Des conversions éclatantes s'opéraient aussi à Kyoto. L'indifférence à laquelle François Xavier s'était heurté autrefois, avait fait place à l'enthousiasme. Le P. Vilela avait gagné au Christ quelques bonzes influents. Le premier Ministre le prit sous sa protection. Des bonzes, des 141 Daïmyos, des Samuraï, des Kuge (princes de la famille roya­le) demandèrent à être instruits de la religion.

Le Daïmyo Omura compromettait même la cause par un zèle intempestif. Il renversait des idoles et donnait des pagodes aux chré­tiens. Bientôt il eut à subir une révolte dans ses Etats. Il en triompha cependant et alors les Samuraï, les bonzes et le peuple se convertirent en masse.

En 1574, il y avait cinquante mille chrétiens dans la principauté d'Omoura. En 1566, il n'y avait encore au Japon que 14 jésuites, dont 7 pères et 7 frères.

En 1570, Omoura ouvrit aux Portugais le port de Nagasaki. C'était un simple village, dont la population s'éleva en peu d'années 142 à 30.000 habitants, presque tous chrétiens.

Amakusa, Daïmyo de Hondo avait appelé les Pères dès 1568. Les bonzes s'agitèrent et suscitèrent des troubles. Dix ans après, il avait rétabli une paix durable. Toute sa famille alors se convertit, et il y eut plus de cinq mille chrétiens dans son domaine.

En 1568 apparaît un homme qui a un grand nom dans l'histoire du Japon . Il est simple Daïmyo de Gifu mais il va jouer le rôle d'un dicta­teur. Le Shogun a péri dans une révolte. Nobunaga, Daïmyo de Gifu réunit une armée et fait proclamer Shogun Yoshiaki, le jeune frère de celui qui a été assassiné. Nobunaga est favorable aux chrétiens. Il protège le P. Frois à Kyoto et il amène le Shogun et 143 l'empereur lui-même à des dispositions de tolérance envers le christianisme. Les bonzes s'agitent, mais Nobunaga a un caractère altier et il ne veut pas de résistance; il monte à l'assaut du grand monastère de Hiei-zou. La bonzerie est prise et livrée aux flammes. Trois mille bonzes sont passés au fil de l'épée avec leurs concubines et leurs enfants, dans la journée historique du 29 septembre 1571. Pendant onze ans, Nobunaga fit une guerre d'extermination aux bonzes des différentes provinces. Le Shogun essaya d'échapper à la tutelle de Nobunaga. Ce fut une guerre civile. Nobunaga l'emporta, déposa le Shogun et incendia la ville où cent temples et six mille maisons disparurent dans les flammes (1573). 144

Malgré les agitations politiques, la foi faisait de grands progrès sous la dictature de Nobunaga. Dès 1576, les environs de la capitale comp­taient 20.000 néophytes. On construisit à Kyoto une belle église sous le vocable de l'Assomption.

A Noël 1581, quinze mille chrétiens étaient réunis pour les fêtes à Takatzuki. Il y eut messe chantée avec accompagnement d'orgue. Une procession générale termina les cérémonies religieuses. Dans l'après­midi, on donna des jeux publics. Les jésuites ouvrirent à Azuchi un collège auquel Nobunaga lui même portait intérêt.

Nobunaga périt en 1582, trahi par un de ses généraux Akechi. Assiégé dans son palais, livré aux flammes, il se donna la mort. 145 L'Eglise catholique comptait au Japon 200.000 fidèles et 250 églises. Trois Daïmyos chrétiens, ceux du Bungo, d'Arima et d'Omoura, venaient d'envoyer jusqu'à Rome une ambassade au Souverain Pontife. L'ambassade se composait de trois jeunes princes et quelques jésuites. Elle fut admirablement reçue à Lisbonne, à Madrid, à Florence, à Rome. C'était en mars 1585.

Le Taiko-Sama Hideyoshi, un parvenu devenu général, s'empara du pouvoir suprême après la mort de Nobunaga. En 1592, il se fit donner le titre de Taiko-Sama, qui signifie Souverain Seigneur. C'est sous ce nom qu'il est connu dans l'histoire.

Pendant les six premières années 146 de son règne, Hideyoshi ne témoigna que de la faveur aux chrétiens.

Mais le jour vint où, à l'instigation des bonzes, il crut découvrir dans les missionnaires des espions, des instruments de conquête au service de l'Espagne et du Portugal. Alors, il ne recule plus devant aucune mesure de violence, il publie un édit de bannissement contre les prê­tres européens. Dans l'espace de vingt jours, ils doivent avoir évacué le territoire Japonais. Il ordonne de renverser les églises et d'abattre les croix. Il jure d'abolir en ses états la religion de Jésus-Christ (1587).

Quel fut bien le motif de cette persécution? Plusieurs historiens accusent l'arrogance des Jésuites. Steichen donne un motif plus plausi­ble. Un ancien bonze du 147 Hiei-zou nommé Takuin était devenu le pourvoyeur des débauches du Taiko-Sama. Il avait vu ses proposi­tions rejetées avec mépris par les chrétiennes d'Anima. II en fit part à Hideyoshi et celui-ci qui était en proie à l'ivresse souscrivit à toutes les mesures de vengeance que Takuin lui suggéra.

L'édit de bannissement fut affiché dans tout le Japon . Les jésuites en ce moment étaient au nombre de 66, dont 40 prêtres et 26 frères, sans compter 47 frères Japonais, qui n'étaient pas atteints par l'édit du bannissement et qui restèrent à leur poste.

Le délai de 20 jours avait été prolongé, mais, après six mois, 15010) il fallut s'éloigner. Hideyoshi fit détruire un grand nombre d'églises. Quelques religieux restèrent cependant, mais sous un déguisement. La colère de Hideyoshi s'apaisa pour quelque temps en 1590. L'ambassade d'Europe revenait. Le P. Valegnani s'était joint à eux à Goa. Les armées Japonaises étaient victorieuses en Corée et plusieurs Daïmyos chrétiens s'y faisaient remarquer. Le plus vaillant des géné­raux, Konishi était chrétien. Disons en passant que si le Taiko-Sama au lieu de rester dans les délices de Capoue avait secondé sérieusement cette expédition et s'y était rendu, il aurait facilement conquis la Corée et la Chine et le sort de l'Extrême-Orient aurait été tout diffé­rent de ce qu'il a été. 151

L'apaisement du Taiko-Sama ne dura pas. Les gouverneurs de Nagasaki, mécontents de n'avoir pas été honorés et comblés de pré­sents par l'ambassade à son retour, dénoncèrent les Portugais et les jésuites comme ayant de secrets desseins de conquête.

L'affaire du San Felipe acheva de gâter les choses. C'était un galion espagnol allant de Manille au Mexique, qui s'était échoué sur les côtes du Japon . Il avait été pillé comme une épave. Le capitaine, pour se tirer d'affaire montra sur une carte les vastes colonies espagnoles en expliquant que les missionnaires avaient partout préparé les voies aux armées royales. Ces paroles imprudentes devaient résonner pendant plus de deux siècles 152 aux oreilles des Japonais comme un obstacle absolu aux missions.

Le Taiko-Sama jura de faire périr les chrétiens, mais leur grand nombre l'arrêta. Il en fit saisir seulement vingt six: six Franciscains espagnols, trois jésuites portugais et dix-sept laïques serviteurs des prê­tres ou catéchistes. Parmi eux étaient trois enfants. Ils furent crucifiés à Nagasaki. L'Eglise les honore sous le nom des 26 martyrs du Japon. Ils furent admirables de résignation, de foi et de courage. Leur fête se célèbre le 5 février.

Hideyoshi mourut l'année suivante.

Il y eut alors une période de paix, de 1598 à 1613. Le sang des martyrs portait ses fruits. Le Japon se couvrait de chrétientés. 153 On pense que le nombre des chrétiens s'éleva à un million au moins. L'écrivain Marnas dit qu'il y en avait en 1605 un million huit cent mil­le. Quatre ordres religieux travaillaient à l'évangélisation du Japon . Aux jésuites et aux Franciscains étaient venus se joindre les religieux de St Dominique et de St Augustin. Les villes avaient leurs oratoires, leurs hôpitaux, leurs confréries. Quelques-unes possédaient des écoles et des noviciats. Le culte était public.

C'était le grand Shogun Jeyasu qui gouvernait. En 1607, il reçut en audience l'évêque du Japon , Louis Cerqueira et lui promit ses bonnes grâces. En 1611, les missionnaires élevaient un observatoire à Osaka et le P. Spinola créait une académie 154 à Kyoto. On comptait alors au Japon , dit le P. Charlevoix, cent trente jésuites, dont la moitié étaient prêtres, quelques ecclésiastiques séculiers, et environ trente religieux des trois ordres de St Augustin, de Saint Dominique et de Saint François.

Cependant le plus terrible des orages se préparait dans l'ombre et était sur le point d'éclater. Il eut pour première cause la haine religieu­se des Protestants venus de Hollande et d'Angleterre, à laquelle se joi­gnait le désir de supplanter les Portugais et les Espagnols dans leur commerce avec le Japon . Suivant eux, le Japon, environné déjà de pays soumis au Roi catholique (Manille, Macao et le Mexique) courait les plus grands dangers. Jeyasu se laissa impressionner par cette crainte. Il ne cherchait 155 d'ailleurs qu'une occasion de se défaire de plu­sieurs princes chrétiens, qu'il savait partisans du fils de Hideyoshi. En 1613, il réunit quatorze seigneurs de la cour et sur leur refus d'abjurer, il les jeta en exil avec leurs familles.

Cette même année, le Daïmyo d'Arima fit martyriser quelques chré­tiens. L'année 1614 fut marquée par la mort de l'évêque Louis Cerqueira et par l'édit de Jeyasu, qui marque le point de départ d'une des plus horribles persécutions qui aient jamais désolé l'Eglise. Le Shogun ordonnait le bannissement de tous les missionnaires et la démolition de toutes les églises, et il commandait à tous les chrétiens Japonais l'apostasie sous peine de mort. Les missionnaires furent arrêtés et conduits à Nagasaki pour y être arrêtés. 156 Malheu­reusement, pendant que la persécution sévissait, il n'y avait pas union et entente entre les missionnaires. Ils étaient de nationalités différen­tes et de divers instituts. Le P. de Carvalho nommé évêque par le Pape, n'était pas agréé par les religieux des autres ordres.

Les chrétiens de la noblesse furent exilés dans le nord. A la capitale, les chrétiens condamnés à être brûlés vifs recevaient l'ordre de prépa­rer eux mêmes le poteau du bûcher. Ils le firent généreusement.

Les religieux réunis à Nagasaki furent transportés à Manille. Quelques-uns cependant restèrent cachés. Jeyasu mourut en 1615. Hidetada, troisième fils du Shogun, hérita de son pouvoir et de sa haine contre les chrétiens. Il fit rechercher et décapiter plusieurs reli­gieux qui étaient 157 restés cachés. Un nombre considérable de chrétiens moururent par le glaive et par le feu. Quand Hidetada fit son entrée dans la capitale en 1619, il apprit que les prisons regor­geaient de chrétiens. Il les fit attacher deux à deux à des poteaux et les fit périr dans les flammes. Ils mouraient généreusement en criant «Vive Jésus».

C'est le 2 septembre 1622, qu'eut lieu ce qu'on appelle le grand Martyre. A Nagasaki cinquante-deux victimes, parmi lesquels vingt reli­gieux, furent mis à mort sur la Montagne Sainte. Les mêmes scènes d'horreur se renouvelèrent dans d'autres villes.

En 1623, Yemitzu [Iemitsu], successeur de Hidetada, se montre encore plus acharné contre les chrétiens. Il les fait rechercher et en remplit les prisons. 158 A Yedo, le 4 décembre, cinquante victimes meurent sur le bûcher; le 29 d'autres condamnés sont livrés au même supplice. En 1624, la persécution devient générale. Le sang coule dans toutes les provinces de l'empire. En 1627, la persécution redouble de violence et devient plus barbare. Les chrétiens sont plongés dans des étangs glacés, jetés dans des soufrières, suspendus la tête en bas au des­sus des fosses remplies d'immondices.

De 1633 à 1637, la persécution est plus sauvage encore. On arrache les ongles aux chrétiens, on leur perce les bras et les jambes avec des vilebrequins, on leur enfonce des alênes sous les ongles. On les jette dans des fosses remplies de vipères. On les brûle avec des torches, on leur coupe les doigts…

Il y eut des apostasies, mais on compte aussi beaucoup de martyrs. 159 On livrait les jeunes gens à des femmes débauchées. Ils sont aimables les Japonais!

En 1637, la province d'Arima compte encore 37.000 chrétiens. Exaspérés, ils se soulèvent et s'emparent de la place forte de Shimabara. L'armée du Shogun les assiège. Elle est aidée par un navire hollandais (!) qui tire sur la forteresse. Les assiégés luttent héroïque­ment et se font tuer jusqu'au dernier.

Enfin, en 1640 quatre ambassadeurs vinrent de Macao avec une sui­te de 74 personnes. Sommés de faire un acte d'apostasie, ils s'y refu­sent. Ils sont arrêtés sur le champ et mis à mort. Treize matelots seule­ment sont renvoyés à Macao avec cet avertissement: 160 «Tant que le soleil échauffera la terre, qu'aucun chrétien ne soit assez hardi pour venir au Japon! Que tous le sachent, quand ce serait le Roi d'Espagne en personne, ou le Dieu des chrétiens, ou le grand Shaka lui-même (le Bouddha, Çakya Muni), celui qui violera cette défense, la paiera de sa tête».

Yemitsu mourut en 1643, mais le Japon resta fermé aux missionnai­res pendant deux cents ans.

Cinq jésuites se font débarquer au Japon en 1642, ils meurent dans d'affreux supplices. Cinq autres les suivent en 1643 et ont le même sort. En 1647, des Dominicains des Philippines firent aussi une tentati­ve infructueuse. Un édit de 1666 ordonnait à tous les Japonais de fou­ler aux pieds une fois l'an un crucifix ou une image de la Vierge. 161

C'est le titre d'un ouvrage de Francisque Marnas, missionnaire à Osaka. Il raconte en deux volumes le renouveau de la religion chré­tienne au Japon, de 1844 à nos jours .

I. L'avant poste des îles Riu-Kiu.

L'Angleterre fit la guerre à la Chine en 1839 parce que les Chinois ne voulaient plus recevoir son opium. Le motif était immoral. Les résultats furent cependant heureux, parce que l'Angleterre, par les traités de 1841 et de 1842 obtint la possession de Hong-Kong et l'ou­verture au commerce des cinq ports de Canton, Amoy, Fou-Tchéou, Ning-po et Shang-haï. C'était une nouvelle ère de relations qui com­mençait entre l'Europe et l'Extrême-Orient. 162 Le pavillon français reparut là-bas aussi. L'amiral Cécile se porta vers l'Annam et la Corée. Il avait l'intention d'occuper une île des Riu-Kiu. Comme il avait besoin d'un interprète, il s'adressa au bon M. Libois, Procureur-géné­ral des Missions Etrangères à Macao, que j'ai connu plus tard à Rome. M. Libois lui donna un séminariste coréen et l'abbé Forcade, jeune missionnaire que j'ai connu plus tard évêque de Nevers [1851-1873]. Le 5 avril 1844, un des bateaux de l'escadre d'Alcmène abordait dans la baie de Nafa aux îles Riu-Kiu. Mgr Forcade11) y resta avec un catéchi­ste chinois. Pendant deux ans il séjourna là dans une bonzerie, pauvre, surveillé et suspecté, sans action et sans consolation. 163 Enfin après deux ans, le bateau la Sabène lui amena un confrère, M. Leturdu qui lui apprit que le St-Siège l'avait élevé à la dignité d'évêque du Japon. M. Forcade n'avait que 30 ans.

L'amiral Cécile passa bientôt après avec l'escadre et emmena M. Forcade. Ils passèrent à Nagasaki où ils furent accueillis avec défiance et ils retournèrent en Chine.

M. Forcade envoya M. Adnet pour tenir compagnie à M. Leturdu aux Riu-Kiu. Il reçut la consécration épiscopale à Hong-Kong et rentra en Europe. Peu après M. Adnet mourut à Nafa. M. Leturdu retourna à Manille. Sept ans devaient s'écouler avant un nouvel essai d'apostolat au Japon . Mgr Forcade était nommé 164 vicaire apostolique de Hong-Kong, en attendant que le Japon s'ouvrit.

II. Les missionnaires du Japon à Hong-Kong (1848 - 1854).

C'est la période d'attente. Plusieurs missionnaires sont désignés pour le Japon . Ils voudraient essayer d'entrer par la Corée. Mgr Forcade les persuade d'attendre à Hong-Kong jusqu'à ce que une flot­te anglaise ou américaine ait contraint le Japon à ouvrir ses portes, comme cela est arrivé pour la Chine.

En 1850 Mgr Forcade fatigué quitte la Chine et revient en France. Il est nommé évêque de la Guadaloupe. M. Mahon pro-préfet du Japon et ses compagnons sont toujours dans l'attente à Hong-Kong. Ils apprennent la langue Japonaise 165 avec un Japonais venu de Shimabara, qui se prépare au baptême. Les Etats-Unis voulaient obte­nir la liberté du commerce avec le Japon . L'amiral Perry vint dans la baie de Yedo le 8 juillet 1853 apporter un message du Président à l'em­pereur. Il revint en printemps suivant et obtint l'ouverture des ports de Shimoda et Hakodate. Le traité fut ratifié au 21 février 1856.

L'Angleterre et la Russie obtinrent les mêmes avantages. Le moment paraissait venu de reprendre les missions. Le St-Siège nomma M. Colin préfet apostolique du Japon, mais il mourut en chemin.

III/A. Nouvel essai aux Riu-Kiu. Les traités de 1858.

Trois missionnaires, M.M. 166 Girard, Furet et Mermet furent envoyés aux Riu-Kiu, avec la perspective de passer de là au Japon . Ils rencontrèrent les mêmes obstacles que précédemment. Les autorités s'opposaient à toute propagande. M. Furet passa sur la Sybille jusqu'à Nagasaki, mais le commandant refusa de le conduire jusqu'à Hakodate et le renvoya à Hong-Kong.

Enfin le baron Gros conclut un traité honorable avec le Japon à Yedo le 8 octobre 1858. Outre les avantages commerciaux, les étran­gers obtenaient de pouvoir exercer librement leur culte et de ne pas être offensés par les actes injurieux à la foi chrétienne jusqu'ici en usa­ge dans l'empire Japonais.

III/B. Les missionnaires se fixent 167 dans les ports ouverts (1859-1864).

Le Japon est ouvert! M. Girard nommé supérieur de la mission n'ac­cepte que provisoirement cette charge. Afin de pouvoir vivre à Yedo, au centre du gouvernement Japonais, il s'attache comme interprète à M. Duchesne de Bellecourt, notre chargé d'affaires. L'amiral améri­cain Pontiatine assure qu'il existe encore des chrétiens au Japon . On les cherchera. M. Girard demande à Paris des missionnaires. M. Mermet le rejoint. Il exerce le saint ministère à Yedo et à Kanagawa. M. Mermet s'installe à Hakodate. Il rencontre beaucoup de sympathies dans le peuple, il se fait professeur d'anglais et de français. Cependant une sourde opposition couvait parmi le monde officiel. 168

Le Shogun n'avait signé les traités avec les étrangers que par crainte de la guerre. Le Mikado et sa cour voyaient dans l'établissement des étrangers une souillure du sol de la patrie. En mars 1860, le Shogun fut assassiné un matin dans les rues par des officiers. C'était la revan­che nationale contre ses concessions aux étrangers. Le vieil esprit Japonais n'était pas mort.

Plusieurs assassinats d'Européens eurent lieu également. Cepen­dant M. Girard achète un terrain à Yokohama pour y construire une église et une résidence! Il établit à Yedo une école de français. C'était le prélude des œuvres actuelles. M. Mounicou, remplacé à Nafa par M. Petitjean, débarque à Yokohama. M. Mermet 169 travaille à Hakodate. Il est entravé par les bonzes et surtout par les Russes, qui veulent tout envahir. En 1862, l'église de Yokohama est inaugurée. Les Japonais s'y portent en foule pour la voir! M. Girard s'enhardit à les prêcher, mais la police arrête les auditeurs. Le gouvernement Japonais interdit l'église catholique à ses sujets. M. Duchesne de Bellecourt obtient cependant la délivrance des prisonniers. M. Girard se rend en France pour demander à l'empereur Napoléon son intervention en faveur de la liberté des cultes. Le gouverneur de Yokohama demandait qu'on enlevât du frontispice de la chapelle l'inscription chinoise Ten-shu-do, temple de Dieu du ciel, mais on n'en fit rien. 170

Le parti rétrograde gagnait du terrain. On voulait confiner les étrangers à Yokohama. La légation d'Angleterre fut incendiée.

M. Furet et M. Petitjean vinrent à Yokohama pour travailler, mais le moment n'était pas favorable. Ils avaient abandonné les Riu-Kiu où ils n'arrivaient à aucun résultat. La lutte se prépare entre le Mikado et le Shogun. En 1864, M. Furet et Dary vont s'installer à Nagasaki. Le gou­verneur concède des terrains pour l'église catholique et pour le consu­lat français. M. Petitjean vient reprendre M. Furet. M. Girard postule à Rome la béatification des cinquante deux martyrs de 1622. On bâtit à Nagasaki l'église des vingt-six martyrs. La population reste indifféren­te. 171

IV. La découverte des chrétiens.

Ce fut le 17 mars 1865 qu'un groupe de chrétiens se présenta à l'é­glise des vingt-six Martyrs et dit mystérieusement à Mgr Petitjean: «Notre cœur est le même que le vôtre». Cela se continua les jours sui­vants. Il en venait toujours davantage. Mgr eut peine à contenir leur empressement pour ne pas offusquer la police. Depuis plus de deux cents ans le baptême n'avait pas cessé d'être administré. C'était surtout dans la vallée d'Urakami et dans les îles. Ces gens recevaient des noms chrétiens au baptême. Ils priaient le Pater, l'Ave et le Credo et réci­taient des oraisons jaculatoires.

Les Pères ne pouvaient les voir qu'avec discrétion et en cachette. Il y en avait des milliers. Au mois de juin vingt chrétientés sont déjà con­nues. 172 Chacune avait son catéchiste baptiseur. Ils connaissent suf­fisamment la doctrine chrétienne, ils disent le chapelet. Ils ont des livres: traités de religion, recueils de prières, formules écrites de baptê­me, calendriers chrétiens. Un traité composé en 1603 sur la contri­tion… Ils ont aussi d'anciennes gravures, des images, des médailles, quelques crucifix.

Mais bientôt le gouvernement s'effarouche. Le 27 juillet un édit défend aux Japonais de fréquenter l'église de Nagasaki. Les Pères durent se contenter de voir quelquefois la nuit les baptiseurs et les chefs des chrétientés.

Le bien se faisait. Les Pères avaient à rectifier bien des idées chez ces braves gens qui y mettaient de la bonne volonté. On pouvait pen­ser qu'ils étaient bien 50.000 173 dans le sud du Japon. Plusieurs jeu­nes gens demandaient à étudier pour devenir missionnaires.

En 1866 M. Petitjean est nommé vicaire apostolique du Japon . Il va recevoir la consécration épiscopale à Hong-Kong. Quelques mission­naires nouveaux viennent de Paris. M. Cousin est envoyé aux îles Goto.

M. Vraghes, chargé d'affaires de France, est bienveillant pour les missions. Il dit que le Shogun est disposé à accorder la liberté de con­science. Cependant on craint tous les jours la persécution.

Le 7 juillet 1867, Pie IX proclamait bienheureux 205 des innombra­bles martyrs du 17e siècle.

V. La dernière persécution (1867-1873).

La persécution éclate le 25 174 juillet 1867. Dans la nuit, les cha­pelles de la vallée d'Urakami sont pillées, soixante-quatre chrétiens sont arrêtés. A la demande de Mgr Petitjean, tous les consuls étrangers interviennent, mais sans succès.

Le Ministre de France obtient une promesse de mise en liberté des prisonniers, mais il demande que les chrétiens se prêtent à certains rites qui ne lui paraissent pas intéresser la foi. Mgr Petitjean ne peut pas permettre que les bonzes président aux funérailles. Des centaines d'arrestations sont encore opérées.

Le gouvernement cherche à obtenir des chrétiens une apostasie générale. Quelques-uns faiblissent surtout dans les tortures, puis ils expient leur faute 175 dans les larmes et la pénitence.

A la fin de 1867, Mgr Petitjean part pour l'Europe. Il passe à Paris où il n'obtient de l'Empereur que de l'eau bénite de cour. Il séjourne à Rome où j'ai le bonheur de le voir et de l'entendre raconter toutes les merveilles de Nagasaki. C'est un des bons souvenirs de ma vie. Le séjour de Mgr Petitjean au séminaire français nous édifia gran­dement12).

VI. Restauration du Mikado et reprise de la persécution (1868­1869).

Au commencement de 1868 la guerre civile éclate. Deux grands partis se forment dans l'empire, le parti de Shogun et celui du Mikado. Le Shogun était plus favorable aux étrangers. Il est vaincu. 176

Au mois d'avril paraît un décret du Mikado contre l'abominable religion des chrétiens. Des circulaires du Conseil Suprême menacent de mort ou d'exil les chrétiens d'Urakami. Les consuls de Nagasaki protestent, Mgr Petitjean rentre au Japon avec M. Outrey, nouveau Ministre de France. Cent quatorze chrétiens sont embarqués à Nagasaki le 10 juillet pour une destination inconnue. La persécution sévit aux îles Goto. Les prisonniers d'Omoura continuent à souffrir et à mourir.

Sur les instances de M. Outrey, le gouvernement promet de faire cesser la persécution aux îles Goto, mais il n'en fait rien. Mgr Petitjean part pour le Concile, le cœur plein d'angoisses. 177

Les Ministres étrangers n'obtiennent rien. 4.000 chrétiens d'Ura­kami sont embarqués à Nagasaki pour les provinces centrales du Ja­pon.

Mgr Petitjean revient et trouve sa mission dans un état navrant.

Les déportés paraissent en général supporter avec constance la pri­son et l'exil.

En 1872, le gouvernement envoie une ambassade en Europe pour réviser les traités. Pour aider au succès de son ambassade il délivre les 60 chrétiens de Nagasaki récemment arrêtés, mais pour les 4.000 exilés de l'intérieur, il ne fait grâce qu'à ceux qui apostasient, ce qui est pour plusieurs une grosse tentation.

Cependant l'opinion devient moins défavorable aux étrangers. 178

Le Japon, séduit par les progrès matériels de l'Europe, veut imiter notre civilisation. Il nous empruntera aussi la tolérance religieuse.

A Paris et à Bruxelles, l'Ambassade est assaillie de réclamations en faveur de la liberté des chrétiens.

VII. Fin de la persécution et son lendemain (1873-1875).

Les journaux apportent au Japon l'interpellation de M. Desbassayns de Richemont au Parlement français. Les représentants étrangers con­seillent au gouvernement Japonais d'accorder spontanément la liberté religieuse. Le décret libérateur paraît le 14 mars. Les chrétiens déportés regagnent Nagasaki. Ils ont beaucoup souffert et ils sont ruinés, mais ils sont joyeux et édifiants.

Il y a un mouvement chrétien au 179 Japon, mais l'activité des protestants et des Russes contrecarre l'action catholique. Les chrétiens ne conquièrent pas le Japon parce qu'ils sont divisés.

VIII. Sous le régime de la tolérance (1875-1885).

Le Japon est divisé en deux vicariats. Mgr Petitjean se fixe à Osaka et Mgr Osouf à Yokohama. On construit les églises de Tokyo et d'Osaka. Les dames de St Maur, les religieuses du Saint-Enfant Jésus (de Chauffailles) et les Soeurs de St Paul de Chartres arrivent au Japon et commencent leurs œuvres. Une vingtaine de chrétientés se fondè­rent. Des païens se convertissaient. Les chrétiens obtinrent des cime­tières particuliers. Des séminaires sont fondés à 180 Tokyo, à Osaka et à Nagasaki. Celui-ci est le plus prospère.

En 1881, Mgr Petitjean ordonne les trois premiers prêtres Japonais. Un décret du Conseil Suprême du 19 août 1884 enlève au bouddhi­sme et au shintoïsme leur caractère de religions officielles. Le christia­nisme est visiblement en faveur.

Mgr Petitjean et Mgr Lancaigne meurent la même année. Mgr Petitjean est inhumé dans l'église des vingt-six Martyrs à Nagasaki. Mgr Cousin lui succède.

IX. La liberté de fait et de droit (1885-1895).

En 1885, le St-Siège crée un vicariat central. Une nouvelle constitu­tion de l'Empire, le 11 février 1885, proclame la liberté religieuse. 181 Un premier Concile régional se tient à Nagasaki. Douze mille chrétiens prennent part aux fêtes du Concile. L'Eglise du Japon chan­te l'Alléluia de sa résurrection. Un quatrième vicariat est créé à Hakodate. Les vicaires apostoliques se réunissent pour la bénédiction de la belle église de St-François Xavier à Kyoto. Enfin, Léon XIII réta­blit au Japon la hiérarchie épiscopale.

Désormais l'Eglise du Japon est fondée. Les missionnaires sont récompensés de leurs peines et de leurs travaux.

On compte au Japon un archevêque et trois évêques, une centaine de missionnaires européens, une trentaine de prêtres Japonais, 182 vingt cinq religieux maristes et quelques autres, une centaine de reli­gieuses européennes avec cinquante auxiliaires Japonaises.

Il y a 250 chrétientés, quatre-vingt églises ou chapelles, cent oratoi­res improvisés dans des maisons privées et huit communautés de reli­gieuses indigènes avec deux cents membres.

Les vocations indigènes ne manquent pas. Le Séminaire de Nagasaki a absorbé les autres. On y fait de bonnes études et il en sort de bons prêtres. Les Japonais accepteront plus volontiers la religion chrétienne si elle a un clergé national.

Quel sera l'avenir? On ne peut plus espérer une conversion rapide et générale, mais les efforts des missionnaires seront récompensés 183 peu à peu. Il y a eu tant de martyrs qui intercèdent au ciel pour ce peuple!

J'ai lu beaucoup sur le Japon .

La géographie de Vidal de la Blache, qui donne des renseignements sommaires mais précis.

2° Félicien Challaye, Au Japon: description de la vie Japonaise.

3° Pierre Loti, Japoneries d'Automne: description gracieuse et superficiel­le.

4° M. et Mme Lottrand, Indo-Chine et Japon: description et critique.

5° Weulersse, Le Japon d'aujourd'hui: études sociales.

6° Ludovic Nandeau, Le Japon moderne. son évolution.

7° André Bellesort, La société Japonaise: voyage au Japon, esprit et moeurs des Japonais. 184

8° Henry Dumolard, Le Japon politique, économique et social.

9° Emile Chabrand, De Barcelonnette au Mexique: Inde, Birmanie, Chine, Japon , Etats-Unis.

10° Louis Gonse, L'Art Japonais.

11° Roulleaux-Dugage, Paysages et silhouettes exotiques (notes de voyage autour du monde).

12° De Lapeyrère, Souvenirs et épisodes: Chine, Japon , Etats-Unis.

13° Le comte de Beauvoir, Voyage autour du monde: Pékin, Yeddo, San Francisco.

14° Pierre Loti, Madame Chrysanthème: comment les officiers de marine s'amusent pendant leurs escales au Japon.

15° Raoul Allier, Le Protestantisme au Japon. 185

16° Les Daïmyos chrétiens, ou un siècle de l'histoire politique et religieu­se du Japon .

17° Francisque Marnas, La religion de Jésus ressuscitée au Japon.

Table des matières

L'enseignement 1
La famille 12
La presse 18
L'évolution économique 22
La peinture 27
Les arts secondaires 36
Moeurs et costumes 58
Psychologie japonaise 63
Bravoure japonaise 68
L'idéal nouveau 78
L'envers du japon 80
Loti 87
Le protestantisme au Japon 111
Les Daïmyos chrétiens 134
Le dictateur Nobunaga 142
Le Taiko-Sama 145
Le Shogun Jeyasu 152
La religion de Jésus ressuscitée au Japon 161
Bibliographie 183

1)
Tanagra, village de Grèce (Béotie), sur les rives de l’Asôpos, à 18 km à FE. de Thèbes. Tanagra est connue surtout par les ateliers de figurines de terre cuite, dont l’abondante production, dès l’époque archaïque, mais surtout à partir de 300 av. J.-C., a été retrouvée dans les nécropoles vers la fin du XIXe s. Ce sont surtout des figures de jeunes femmes ou d’enfants, parfois groupées par deux ou trois, coloriées simple­ment, dans des costumes ou des attitudes de la vie quotidienne. Parfois, elles reflètent les créations de la grande sculpture. Les Anciens eux-mêmes les ont imitées, depuis Myrina en Eolide jusqu’à Alexandrie et à la Grande-Grèce, et leur vogue moderne a fait abusivement désigner sous le nom de «tanagras» toutes les terres cuites grecques, quelle qu’en soit l’époque.
2)
Peut-être, le P. Dehon se réfère-t-il à la délégation Japonaise qui, en 1585, assi­sta à Rome au couronnement de Sixte V et visita ensuite plusieurs villes italiennes: Bologne, Ferrare, Venise, Mantoue, Milan, Turin, Gênes.
3)
Ce sont les Chinois. La Chine était l’Empire Céleste.
4)
Santo Kyoden, pseudonyme d’un auteur Japonais qui porta les noms de Kitao Masanobu et de Iwase Denzo (1761-1816).
5)
Victoires du Japon dans ses guerres contre la Russie (1904-1905).
6)
Chouan, n. m. Nom donné aux paysans royalistes du Maine, de Bretagne et de Normandie, qui prirent les armes contre la première République française. (Cette appellation leur vint du sobriquet d’un de leurs premiers chefs, Jean Cottereau, dit Jean Chouan; ce surnom lui aurait été donné parce qu’il avait l’habitude de sortir sur­tout la nuit et de rallier ses hommes au cri du chat-huant).
7)
Hervé (Gustave), journaliste français (Brest 1871 – Paris 1944). Professeur agrégé, il dut quitter l’Université en 1901, à la suite d’un procès dû à des articles anti­militaristes. Il se fit ensuite inscrire au barreau (1908) et fonda le journal socialiste La Guerre sociale. Lors de la déclaration de guerre (1914), il se signala par l’ardeur de son patriotisme; il quitta le parti socialiste (1916), fonda le journal La Victoire, et soutint le ministère Clemenceau. En 1927, il créa le parti socialiste national, inspiré du fascisme.
8)
PetitJean (Bernard-Thadée) (1829-1884), évêque de Myriophite, vicaire apostoli­que au Japon . – Né à Blanzy (Saône-et-Loire, diocèse d’Autun), le 14 janv. 1829, il commença ses études avec le curé de sa paroisse et les continua au séminaire de son diocèse. Ordonné prêtre, le 21 mai 1851, il fut d’abord professeur au petit séminaire d’Autun, puis, de 1854 à 1856, vicaire de Verdun-sur-le-Doubs, missionnaire diocésain en 1856 et 1857 et enfin aumônier de la maison générale des religieuses du St-Enfant-­Jésus de Chauffailles en 1858 et 1859. Admis au séminaire des Missions Etrangères, le 11 juin 1859, il partit de Bordeaux pour le Japon, le 13 mars 1860. Deux mois plus tard, trois autres jeunes missionnaires partaient pour la même destination mais tous les trois disparurent lors d’un typhon dans les mers de Chine. Le vicariat apostolique du Japon existait officiellement depuis 1846 et son premier évêque en avait été Mgr Théodore Forcade qui, devant l’impossibilité de pénétrer dans le pays, avait démissionné en 1852. Depuis, quelques missionnaires, sous la direc­tion d’un supérieur de mission, s’exerçaient à la langue Japonaise dans les seules îles ouvertes: les Ryu-Kyu. En 1860, avec Bernard Petitjean, ils sont cinq. Les PP. Girard, Mermet et Mounicou prennent pied au Japon cette année-là tandis que Furet et Petitjean restent aux Ryu-Kyu pour poursuivre leur étude du Japonais. Ils rejoignent les trois premiers en 1863. Après un court séjour à Yokohama, Bernard Petitjean rejoint Furet à Nagasaki et tous les deux, selon les plans tracés par Girard, construisent l’église des Vingt Six Martyrs au lieu même des crucifixions du XVIIe s. L’église est inaugurée le 19 févr. 1865. La découverte des communautés d’anciens chrétiens, attribuée à Mgr Petitjean et que la tradition fixe au 17 mars 1865, fut en réalité un travail d’équipe. Depuis 1860, les missionnaires savaient que ces anciens chrétiens étaient là et en avaient clandesti­nement rencontré un certain nombre. Mars 1865 marque donc la manifestation publi­que. La nouvelle fit le tour du monde et Pie IX décida de ressusciter le vicariat apo­stolique. Bernard PetitJean fut choisi et nommé évêque titulaire de Myriophite. Il reçut l’ordination épiscopale à Hong Kong, le 21 oct. 1866. En comptant l’évêque, ils n’étaient toujours que cinq missionnaires. Mgr Petitjean regretta longtemps l’orchestration tapageuse faite par certaines revues chrétiennes autour de ce renouveau du christianisme au Japon . Elle fut la cause de la persécution qui, lancée en 1867, fut officialisée par les deux édits impé­riaux d’avril et juin 1868 et dura jusqu’en 1873. Des centaines de chrétiens moururent de misère et de faim en exil ou dans les prisons. Ce n’est qu’en mai 1873 qu’une cer­taine tolérance se fit jour. Venu à Rome en 1875, Mgr Petitjean organisa la division du Japon en deux vicariats. Mgr Pierre Osouf et quinze missionnaires prirent charge du Japon septentrional, tandis que lui-même avec quatorze missionnaires gardait le Japon méridional. En revenant d’Europe, il ramenait avec lui les premières religieuses: des Dames de St-Maur et des Soeurs du St.-Enfant-Jésus de Chauffailles. Il se fixa d’abord à Osaka puis revint s’établir au lieu qui lui était cher: Nagasaki. Il y mourut le 7 oct. 1884, après avoir ordonné les trois premiers prêtres Japonais, et fut inhumé dans le sanctuaire de l’église des Vingt-Six Martyrs.
9)
Richepin (Jean). Ecrivain français (Médéa, Algérie, 1849 – Paris, 1926). Normalien lettré, il préféra, après la guerre de 1870 (durant laquelle il s’était engagé), mener une vie errante et faire divers métiers; il fréquenta la «bohème» littéraire, y cul­tivant son personnage de révolté qui célèbre l’instinct. Il exalta ceux qui vivent en marge de la société dans les éloquentes poésies de La Chanson des gueux (1876), qui lui valurent la célébrité en même temps qu’un procès et une condamnation; puis il com­posa Le Chemineau (1897), drame en vers qui vante avec fougue la vie aventureuse, et écrivit des romans, très populaires, comme La Glu (1881) et Miarka, la fille à l’ours (1883) où se manifestent également la violence et le romantisme de son style ainsi qu’une grande truculence verbale.
10)
Dans le cahier manuscrit la numérotation des pages passe de p. 147 à p. 150.
11)
Forcade (Théodore-Augustin), archevêque d’Aix. Né à Versailles le 2 mars 1816, il fit ses études à Mantes et à Versailles. Il se fit ordonner prêtre le 16 mars 1839. Il admi­nistra d’abord la paroisse de Sucy-en-Brie (août), avant d’être nommé professeur de philosophie au grand séminaire de Versailles (1840). Attiré par les missions, il entra au séminaire des Missions étrangères (1842) et partit le 14 déc. pour la Chine. En 1844, il était au Japon , où il tenta d’évangéliser les îles de Lieou-Ki-Kleou, mais les autorités locales l’arrêtèrent d’abord puis lui interdirent toute communication avec les habitants du pays. Le 16 mars 1846, il fut nommé évêque de Samos in partibus et vicai­re apostolique au Japon . Il fut sacré à Hong-Kong le 21 févr. 1847 par Mgr Rizzolati, franciscain, vicaire apostolique du Ho-Nan. Il songeait à retourner au Japon quand il fut nommé par décret impérial, le 6 avr. 1853, évêque de la Guadeloupe. En 1862, il assista à Rome aux fêtes données à l’occasion de la canonisation des 26 martyrs du Japon . Le 21 mars 1873, il fut promu archevêque d’Aix-en-Provence. Mgr Forcade mourut victime de sa charité pour les cholériques du diocèse, le 12 sept. 1885. Cf. NHV VII, 86 et note 9 de ce cahier.
12)
Cf. NHV VII, 25. 28; VIII, 30.
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