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35e CAHIER

1913-1914

Je commence l'année avec des accrocs de santé qui me font voir que ma vie ne sera plus bien longue. Fiat voluntas Dei!

J'offre à Dieu le précieux Agneau de l'autel, pour la joie du ciel, pour la gloire de Dieu et des Saints; pour l'action de grâces que tant de bienfaits divins réclament de moi; pour l'expiation de mes péchés et de ceux de tous les hommes; pour l'exaltation de la Ste Eglise, pour la conversion des infidèles, des hérétiques et des pécheurs, et pour appeler les bénédictions divines sur toutes les âmes qui 2 me sont chè­res, qu'elles soient sur la terre ou au purgatoire.

Le 5, funérailles du cher Père Charcosset1) au Val des Bois. Céré­monie imposante et édifiante, bien des larmes versées. M. le curé raconte la vie du défunt. Un employé (Paul Champion) parle au nom du syndicat, un ouvrier au nom des vétérans: discours pleins de sens chrétien et de piété. Mon bon Assistant nous aidera de là-haut.

Encore de gros soucis d'argent: menaces de poursuites, protêts et procès. Mon économe a été si maladroit! C'est une dure manière de sentir la pauvreté.

On imprime mon «Année avec le S.-Cœur». Puisse ce livre, qui sera sans doute mon dernier, 3 contribuer à faire aimer le S.-Cœur! Funérailles à Fontaine de mon oncle Penant, mort à 86 ans, après une belle vie de pratique chrétienne, de dignité familiale et sociale.

Jje suis heureux de rencontrer des témoignages nombreux qui éta­blissent que la contemplation ou l'union passive avec Dieu n'est pas en soi un don extra-ordinaire, mais le couronnement normal de l'oraison et de la perfection. On peut donc désirer et demander cette union avec Dieu. C'est l'avis du P. Schwahn, dans la préface du livre du P. Faucillon2) sur la vie avec Dieu. Les mystiques dominicains sont unani­mes à 4 exciter au désir de cette grâce. C'est aussi la doctrine de St Bonaventure, St Bernard, Richard et Hugues de St Victor, Cassien et St Grégoire le grand. Tauler, Suzo, Ste Cathérine de Sienne en dévelop­pent les conséquences pratiques. St Jean de la Croix se fait une joie et un devoir d'y attirer les âmes ferventes en voie de perfection. L'état mystique est donc une grâce souverainement désirable. Il peut y en avoir quelques impressions dès la vie illuminative, mais il n'est habituel que dans la vie unitive.

La vie mystique est donc le couronnement normal de la vie chré­tienne. Tout chrétien doit tendre ici-bas à la vie d'union parfaite avec Dieu, à la vie 5 unitive, qui va de pair avec la vie mystique (P. Lejeune3): les dons du St-Esprit dans le P. Huchant). L'acte mystique est une grâ­ce éminente, mais non point extraordinaire ni miraculeuse, et le désir en est parfaitement légitime (l'abbé Saudreau4): l'état mystique; le P. Poulain: Revue thomiste).

Comment ne désirerais-je pas du plus ardent désir cette union avec Dieu, dont le nom seul dit tout le charme et le prix?

Le 20, fête du St Nom de Jésus. C'est la fête de la Sr Marie de Jésus. La petite sainte m'aide sensiblement, elle me fait retrouver un degré d'union à N.-S. que je n'avais plus. 6

Combien N.-S. a été miséricordieux pour moi! D'ordinaire, il ne rend pas cette union quand on l'a gaspillée. Moi je l'ai eue longtemps, 26 ans peut-être, de 1866 à 1892; puis j'ai passé par vingt années de vie mêlée, avec de bons jours et des jours de grande misère. Il me rend maintenant cette union et j'espère qu'elle s'accentuera davantage.

Par des épreuves qui me purifient et par des grâces qui m'unissent à lui dans l'humilité et le repentir, N.-S. me laisse comprendre qu'il me prépare à paraître devant lui. Il faut donc que je fasse aussi ce qui dépend de moi pour me préparer, il faut que je me purifie et que je me sanctifie. 7

Il faut que je mette tout en ordre dans la Congrégation et que je prépare ma succession. Si je vis jusqu'au prochain Chapitre, nous met­trons de l'ordre à bien des choses.

Je laisserai bien ma doctrine dans mon «Année avec le S.-Cœur»5).

Il faut aussi hélas! boucher les trous creusés par des économes peu sérieux. Nous ferons le possible.

Je fais tous les jours le Chemin de la Croix, mais il me devient de plus en plus pénible. je sens trop violemment la part de responsabilité que j'ai dans les souffrances du Bon Maitre et dans les douleurs de Marie. 8 Je suis le dernier des pécheurs et chacune des stations me bri­se l'âme.

En route. Le 31, bon Chemin de Croix à la Madeleine.

Arrêt à Marseille pour voir le Fr. Delaujun. Visite à la belle cathédra­le. L'Empire y a mis 18 millions. Fête de la Chandeleur à St Victor, le pieux sanctuaire où je vénère le souvenir des amis du Sauveur.

Messe et dîner au petit séminaire du S.-Cœur (directeur M. Siméon). C'est l'ancienne œuvre de M. Timon David6) et son corps est là. Non loin est l'œuvre de M. Allemand. Marseille a eu des saints de tout genre.

A Cannes, messes chez les Auxiliatrices: excellente 9 communauté, simple dans ses manières et distinguée dans son recrutement. Promenade en voiture sur les hauteurs: un aperçu du paradis terrestre. Tout est vert et fleuri, les vues sur la mer sont merveilleuses.

Nice. J'aime moins cette ville trop parisienne. Bons souvenirs du P. Assistant. Nouveaux témoignages sur ses vertus, sa patience, son aban­don, son esprit de victime. On le vénère comme un saint.

Rome. Mon petit monde m'accueille avec effusion. Ma chambre est chaude. Elle a quelques fleurs, fougères et kentia. Il y manque le soleil! Epreuve pour l'impression 10 de la biographie de Sr Marie de Jésus7). Le P. Lepidi ne veut plus donner l'imprimatur: piété trop senti­mentale, trop grande dépendance de la Supérieure… Il fallait s'atten­dre à quelque difficulté. Attendons et prions.

Me voici installé. Ma chambre est propre. Elle a sa petite bibliothè­que choisie et quelques petits spécimens d'art chrétien: une miniature délicieuse sur parchemin, datée de 1590, dans le genre raphaélesque. Ce sont les épousailles de Marie et de Joseph au temple: une vingtaine de personnages, des jeunes gens et des enfants qui tiennent leurs baguettes stériles et envient le sort de St Joseph.

Un Jésus adolescent sur cuivre 11 du 16e siècle, sujet rare et traité si finement et pieusement.

Une madonne sur bois en buste au milieu des roses par Botticelli. Une gravure coloriée, dédiée au card. Etienne Borgia: Jésus don­nant les clefs à St Pierre devant les apôtres.

Pourquoi n'aimerais-je pas le beau, s'il parle à l'âme et réveille la foi? Le livre de l'Ecclésiastique loue le sacerdoce de l'ancienne loi de son amour pour l'art: Homines divites in virtute pulchritudinis studium habentes (44,6). L'Eglise applique cela à nos grands moines, dans l'offi­ce des confesseurs. L'Eglise se fait gloire d'aimer le beau. 12

Vieux et maladif, telle est désormais ma condition. Ce sont les aver­tissements bienveillants de la Providence qui m'invite à me préparer au jugement.

Mon bon Assistant qui vient de partir au ciel après trois ans de mala­die avait médité cela, et il a laissé là dessus des notes suggestives. J'en copie deux ou trois pages:

«La loi de la vie est d'être éphémère, c'est à dire de finir, et ce qui finit est toujours court. On oublie cette vérité et l'on jouit de la vie comme si elle devait durer toujours. La vieillesse même ne nous dé­prend pas de cette terre, pas plus, trop souvent, hélas! que les désen­chantements que nous ménage la douce Providence qui veut nous détacher de l'horizon limité de ce monde. C'est pourquoi Dieu a re­cours à un autre 13 moyen, la maladie. La maladie vient de Dieu, ou plutôt c'est Dieu qui vient à nous dans la maladie. St Grégoire a dit: «Quand l'heure du jugement approche, le Seigneur, par les peines et les maladies, heurte doucement à la porte du cœur». C'est la voix d'un ami qui ne veut pas nous surprendre.

Le P. Lacordaire dit que la maladie est une prophétie, et il la regar­de comme une grâce qui répond à une des aspirations les plus impé­rieuses de notre âme. Nous voulons pénétrer l'avenir. Dieu ne nous le dévoile pas pour les choses temporelles, mais quand il s'agit de la mort, qui porte avec elle la destinée de notre âme, Dieu tient à nous la rendre présente. Et nous, nous faisons 14 tout ce que nous pouvons pour rejeter cette pensée qui nous importune.

Le 1er don de la maladie est la solitude, dans laquelle elle nous éta­blit, le silence profond qu'elle fait autour de nous: silence des pas­sions, des affaires, des ambitions, des hommes, des amis même; et dans ce silence l'âme peut réfléchir. La meilleure solitude créée par la mala­die est celle du cœur, c'est-à-dire des pensées mobiles, des désirs inquiets, des inclinations diverses, qui lui permet de se ressaisir, de se calmer, de se reposer, et l'ouvre ainsi aux pensées sérieuses, aux juge­ments vrais. Et n'est-ce pas ce qui convient à une âme aux origines divi­nes, aux célestes aptitudes, aux divines aspirations, aux besoins d'infi­ni? Ne viendra-t-il pas un moment où descendra jusqu'à elle une lueur des rayonnements divins? 15 La souffrance, dit Bossuet, ouvre dans l'âme un désert où la voix de Dieu se fait entendre.

Le 2e don de la maladie c'est l'humiliation, qui va à guérir le mal qui nous guette tous, l'orgueil de la vie. Réussir dans ses affaires, jouir d'une bonne santé, être applaudi, déborder de vie et d'activité, cela nous rend suffisants et présomptueux. Nous nous estimons au dessus de notre valeur. La maladie, avec ses multiples humiliations, nous rap­pelle à la réalité. L'Esprit Saint dit d'Antiochus, qu'après avoir été frappé par la main de Dieu, il descendit du haut de son orgueil à la connaissance de son néant. C'est également sous les coups de l'humi­liation que David chanta son Miserere. 16

Le 3e don de la maladie est la résignation. St Paul a dit de N.-S.: «Par tout ce qu'il a souffert, il a appris l'obéissance» (Heb. 5,8). A nous aus­si la maladie apprendra la soumission à la volonté divine. La maladie, avec ses pressentiments, avec la perspective d'une fin prochaine tout au moins possible, est une des plus désolantes épreuves. Ajoutons à cela les douleurs physiques qui torturent le corps. La résignation nous invite à nous soumettre à Dieu pour lui obéir dans la souffrance. Le chrétien ne regarde pas la maladie comme produite par telle ou telle circonstance, mais comme venant de Dieu et il s'incline. Au jardin des Olives, Jésus nous a donné l'exemple. La souffrance répugnait à sa nature, mais 17 sa volonté s'est inclinée devant celle de son Père. La résignation n'est pas incompatible avec le sentiment de la douleur. St Paul, pourtant si courageux et si soumis, avouait qu'à force de souffrir il s'ennuyait de vivre (2 Cor. 1,8). Qu'elle est belle cette pensée de St Augustin: «Mieux vaut au cœur humain pleurer et se consoler, que de cesser, en ne pleurant plus, d'être un vrai cœur humain».

Le 4e don de la maladie est d'être un témoignage de l'amour de Dieu. Dieu est amour. Il a tout fait, il conserve et conduit tout par amour. L'épreuve n'échappe pas à cette loi. Le père médecin n'appli­que-t-il pas avec amour à son fils des remèdes qui le font souffrir? 18 La maladie est plus souvent une œuvre d'amour qu'une loi d'expia­tion. Beaucoup ne le comprennent pas. «C'est le propre des âmes élevées et intrépides, dit St François de Sales, de porter, au milieu des accidents les plus fâcheux, toute leur attention sur la bonté de Dieu et de ne cesser jamais de le louer et de l'aimer». Nous devrions toujours dire: Mon Père m'aime et je suis tout à lui.

Le 5e don de la maladie est de nous faire expier. Dieu saisit l'âme imparfaite et l'enferme dans la solitude attristée de la souffrance pour la tirer de là, réhabilitée et glorieuse. C'est ainsi que la chenille se cons­truit un véritable sépulcre et s'y enferme pour des mois pour s'envoler ensuite brillante et joyeuse. 19 Le monde est sauvé par l'expiation du Calvaire, à laquelle s'ajoute la souffrance personnelle. L'infirmité est, entre les mains de Dieu, un outil merveilleux et qu'il manie selon l'exi­gence de son art et la perfection de l'idéal qu'il veut atteindre. Si nous savions comment Dieu forge une âme! La santé est toujours chose pré­cieuse. La résignation n'étouffe pas l'amour de la vie, pas plus qu'elle ne condamne les efforts que l'on fait pour la sauver. La protéger et défendre, c'est défendre l'amour même de Dieu. «Honore le médecin, dit l'Ecriture, c'est Dieu qui l'a créé. Dieu fait sortir de la terre tout ce qui guérit, et le sage ne dédaigne pas ce secours» (Eccl. 38,1)».

Me voici donc maladif et 20 habituellement souffrant. Mais n'ai-je pas toujours souffert physiquement et moralement, depuis mon voeu de victime de 1878? Malheureusement toutes ces croix n'ont pas servi comme elles l'auraient dû au Règne du S.-Cœur et au salut des âmes. Beaucoup ont été des expiations du moment, que N.-S. me demandait après chacune de mes faiblesses.

On me soigne, soit! Il faut bien remplir le devoir de la prudence chrétienne; mais je ne guérirai plus entièrement, je garderai des malai­ses qui seront des instruments d'expiation et d'immolation.

Aujourd'hui 23, j'ai vu le cardinal Ferrata et le cardinal Vico. Le premier est bienveillant comme toujours, mais il adopte le jugement 21 du P. Lepidi sur le manuscrit de la Soeur Marie de Jésus. Ils sont mal renseignés. Le Cardinal parle de billets de direction écrits 4 ou 5 fois par jour!!! En réalité nous présentons 50 billets pour un an et demi de noviciat. Cela ne fait pas un tous les 8 jours; quelle différence! Inutile de discuter, il faut laisser faire la Providence.

Le card. Vico est très simple et très bon. Je l'ai connu à Bruxelles. Il s'intéresse à nos œuvres, et il pense comme nous que le ministre Renkin est très tolérant pour les franc-maçons.

Je n'ai plus la même impression au Chemin de la Croix. Je suis plus confiant, comme un pécheur pardonné. Il me semble 22 que Jésus et Marie autorisent cette confiance et me pardonnent, à la condition que je garde le sentiment de mon néant et la contrition de mes fautes: Cor contritum et humiliatum Deus non despicies (Ps. 50,19). Que suis-je devant Dieu? Au point de vue physique, un rien; au point de vue moral, un fumier. Jésus cloué à la Croix pardonnait déjà: Pater, dimitte illis (Lc. 23,34). Marie partageait sûrement ses sentiments. Comment ne par­donneraient-ils plus aujourd'hui?

Le card. Ferrata et le P. Lepidi s'arrêtent à cette solution pour la biographie de Sr Marie de Jésus. Il faut refaire la seconde partie et fon­dre en quelques chapitres sur les vertus 23 de la Soeur ce qu'il y a de meilleur dans ses lettres et ses billets. Puis on fera imprimer cela en France. Au fond, c'est le mieux. Les lettres sont très inégales, souvent très familières. Mieux vaut en extraire le meilleur. Presque tout était imprimé, c'est une perte de mille francs, fiat! J'apprends d'ailleurs qu'un de mes économes s'est encore compromis pour 4.000 francs que je devrai payer…

Le Saint-Père m'envoie ses félicitations et sa bénédiction pour mon 70e anniversaire. C'est trop d'honneur pour un petit rien, et moins que rien, comme moi. Tout cela prépare la fin, qui n'est pas éloignée. 24

Je copie la lettre de la Secrétairerie d'Etat: «Très Révérend Supé­rieur Général, il a été agréable à Sa Sainteté d'apprendre que les mem­bres de la Congrégation que vous avez fondée en 1877 se proposent de fêter le 70e anniversaire de votre naissance, et de vous donner à cette occasion un témoignage spécial de leur affection et de leur attache­ment.

Le Souverain Pontife, qui n'ignore pas votre zèle, votre dévouement et les œuvres que vous avez établies, s'unit bien volontiers à la joie de votre famille religieuse, et tandis qu'il implore sur votre personne, sur votre Institut et sur vos œuvres l'abondance des grâces célestes, Il vous envoie de tout cœur avec ses félicitations et ses voeux une spéciale Bénédiction Apostolique, 25 extensible aux membres de votre Con­grégation.

.Veuillez agréer, Très Rév. Sup. Gén., avec mes félicitations et mes voeux personnels, l'assurance de mes sentiments dévoués en N.-S.» - R. Card. Merry del Val.

Dans la Congrégation, on priera pour moi, c'est ce qu'il y a de mieux. Les Conseillers ont envoyé à nos maisons une circulaire où ils invitent les nôtres à faire de cette journée du 14 mars une journée de prière et d'actions de grâces. Les prêtres sont invités à dire la sainte messe à mes intentions, les autres feront la sainte communion. Deo gratias! J'ai tant besoin de la miséricorde du Sacré-Cœur!

Je passe tout le mois de mars en compagnie de Soeur Marie de Jésus, c'est pour moi une grande 26 édification et je vois là un dessein de la Providence. Je refais toute la seconde partie de sa vie en grou­pant ses lettres et ses billets sous les titres de ses vertus. Deux cents pages à écrire. Je comprends mieux sa vie et son esprit. Je vois mieux les desseins de Notre Seigneur sur les commencements de notre œuvre et son infinie miséricorde. La lumière se fera davantage encore sur les grâces du commencement et sur les épreuves du Consummatum est.

Le 25 pèlerinage à Subiaco. C'est un des lieux saints de l'Europe. St Benoît a vécu là, modèle d'innocence, de mortification, de prière. Nouveau Jessé, il a vu sortir de sa tige des légions de moines qui rem­plissent le ciel et dans les rangs desquels on compte tant de martyrs, 27 de pontifes, de confesseurs. C'est un patriarche égal à ceux de l'an­cienne loi. Les reliques de l'art chrétien primitif ornent ce berceau de la vie monastique dans un site austère et recueilli, où règnent le silen­ce et la paix, où la nature a réuni ces variétés qui parlent de Dieu, de sa grandeur et de sa puissance: montagnes et vallons, horizon étendu, effets de lumières et d'ombres… Les saints sont naturellement artistes dans le choix de leurs retraites… C'est à cheval que je grimpe au Sacro Speco. Je n'irai plus guère à l'avenir.

Le 29 et le 31, réunions des anciens élèves de Santa Chiara. Je suis heureux de passer quelques moments dans cette maison où j'ai 28 eu tant de grâces. Je remercie et je répare, j'offre mes prières d'antan dans cette pieuse chapelle.

Le card. Billot nous fait une conférence digne de lui, pleine de cha­leur, de science et de foi. Il nous montre à Rome les témoins invinci­bles de notre foi, les apôtres et les martyrs. Ce ne sont pas des légendes que Pierre nous raconte. Il a été témoin de la passion et de la gloire du Sauveur. Il a vu le Christ ressuscité, il l'a entendu, il l'a touché, il a mangé avec lui et il meurt pour attester sa foi. Non enim doctas fabulas seccati, notam fecimus vobis D. N. Jesu Christi virtutem et praesentiam, sed spe­culatores facti illius magnitudinis (2 Pt. 1,16)… Et St Jean: Quod audivi­mus, quod vidimus oculis nostris, quod perspeximus, et manus nostrae 29 con­trectaverunt de Verbo vitae… annuntiamus vobis (1 Jo. 1,1-3) … Et ces hom­mes sont morts pour attester la vérité de leur témoignage.

Bonne visite au card. Merry del Val, qui est toujours simple et bon. Le Séminaire français devient une puissance. Il a de la doctrine et de la piété. Il devient une pépinière d'évêques. Puisse-t-il rester humble, modeste et digne de la confiance du Saint-Siège!

Le Saint-Père est malade. La presse et la population de Rome lui témoignent une sympathie universelle. On l'a souvent critiqué, mais en présence d'un danger sérieux, la vérité prend le dessus. Tout le monde loue en lui le Pontife pieux, consciencieux, bon et brûlant de zèle. 30 On lui sait gré d'avoir gardé la simplicité qu'il tient de son ori­gine modeste, et on reconnaît qu'il s'est appliqué autant qu'il a pu à tout restaurer dans le Christ.

On célèbre à Rome le 16e centenaire de l'Edit de liberté de Constan­tin. Indulgence jubilaire: je fais mes visites aux grandes basiliques. Solennités à Saint Jean de Latran: j'assiste à la réunion du pèlerinage français. Ces prières communes réconfortent et donnent confiance.

D'où vient que je me laisse envahir par la tiédeur? N.-S. me veut tout entier. Il faut que je lui sois uni sans interruption: la matinée à Nazareth, l'après-midi au Calvaire, la nuit aux mystères de la Passion… avec tous 31 nos exercices de règle: lecture, adoration, etc. C'est une amitié ardente et sans mélange que veut N.-S. Comme son désir nous élève et nous honore!

Adieu Rome! Je quitte sans avoir vu le Saint-Père, mais la lettre que j'ai eue vaut plus qu'une audience. J'avais une réunion de l'Index le 17, je me mis en route le 19.

Arrêt à Bologne8). Il y a là un bon petit groupe. Si on peut les mettre au noviciat en septembre, cela avancera bien l'œuvre italienne. Visite à Mgr Della Chiesa, qui se montre très amical et bienveillant.

Autre arrêt à Albino: école pieuse et bien installée. Visite à Mgr Radini: 32 lui aussi nous veut beaucoup de bien.

A Paris, fêtes du centenaire d'Ozanam. Messe à Montmartre, avec 3.000 communions d'hommes. Solennité à Notre-Dame: discours du P. Janvier9).

Ozanam a été un apôtre par ses livres sur la civilisation chrétienne, par ses cours de Sorbonne, par le charme de ses relations où brillaient la candeur de son âme, sa foi ardente, sa charité puisée au Cœur du divin Maître.

Il demeure apôtre par ses œuvres: les Conférences de Notre-Dame qui donnent le haut enseignement religieux à l'élite de la société pari­sienne; la Société de Saint Vincent de Paul dont les cent cinquante mille membres répandent 33 sur le monde entier, avec les millions de la charité, l'exemple des vertus chrétiennes et l'initiative des meilleu­res œuvres sociales…

Fête de St Jean le 6 à Louvain. Réunion cordiale. Bon esprit. Le 7, conseil à Bruxelles, le P. André est nommé assistant. Nous aurons trop peu d'ordinands cette année et l'an prochain dans la Province, et cependant les missions et les œuvres demandent des prêtres. Le servi­ce militaire va être prolongé, c'est encore une épreuve pour nous.

Je fais un long travail pour l'Index: douze volumes à analyser, cent pages à écrire en italien. C'est mon mois de mai. C'est pour l'église qui doit protéger par l'Index la vraie doctrine et les bonnes moeurs. 34

Le 30 mai, fête du S.-Cœur. Cérémonie au Couvent, présidée par Mgr Pichenard: vêtures et professions. Cela me rappelle les bons jours d'autrefois, de 1875 à 1884. Ces Soeurs sont nos soeurs, sans qu'il y ait d'union canonique, mais avec l'union de prières et de sacrifices, la similitude des œuvres, le même but et beaucoup de ressemblance dans les pratiques quotidiennes.

1er juin, consécration de l'église St Martin. C'est encore une œuvre que j'avais entreprise et qui s'achève heureusement. J'ai acheté le ter­rain le 8 janvier 89, avec les Pères Herr et Falleur. M. Bénard a fait le plan. Il avait fait un devis pour un édifice roman, je l'ai prié de le retoucher et de le 35 rendre ogival. C'est Mgr Thibaudier qui avait lancé l'œuvre, mais il fut transféré à Cambrai. C'est Mgr Duval qui bénit la première pierre le 29 oct. 90. L'abbé Herr quêtait. Il fut très aidé par la famille Desjardins, par la grande Chartreuse, par la baron­ne de Gargan. Nous nous adressions à nos bienfaiteurs et nous arrivâ­mes au chiffre de 280.000 frs environ.

J'insistai pour qu'on achevât tout l'extérieur, y compris le clocher. Je pensais que l'intérieur s'achèverait toujours, c'est ce qui a eu lieu. L'église fut ouverte au culte le 15 août 1896.

Mais on commençait à parler de liquidations et de confiscations, je vendis l'église à un comité de 36 séculiers, à M. Pignon, M. Lhote et M. Arrachart. Maintenant tout est achevé, Deo gratias!

Les œuvres ne se font pas sans des épreuves. St Martin m'en a apporté plus d'une. Les premières années, il fallait chercher les res­sources. Les imprudences de M. Herr nous ont fait souffrir, elles ont été relevées dans la presse. Puis l'entrepreneur Jupin est venu avec un compte surfait de 120.000 francs. Je passais pour avoir donné des comptes inexacts. Il a fallu lui faire un procès qui vient de finir seule­ment après sept ans.

C'est en 1904 que Jupin nous donna ses comptes fantastiques. 37 Lectures sur la théologie mystique du P. Devine10). On peut désirer la grâce de la contemplation. On peut la demander, on peut s'y disposer: «Les lumières que Dieu accorde aux âmes pour sanctifier toutes leurs actions ne leur sont communiquées qu'en vertu des continuelles récol­lections, entretiens et attentions que, dans leur intérieur, elles dirigent sans cesse vers Lui».

Le 10 juin, Conseil à Bruxelles11): élection du Provincial et de son assistant.

Projets et débuts d'une œuvre nouvelle à Brugelette: asile pour les prêtres âgés et infirmes. 38

Je relis le livre «Vers la vie divine» du P. Kuhn des Pères Prêcheurs. C'est une belle apologie de la vie religieuse. J'aime son chapitre sur les grands initiateurs:

St Benoît honore le sacerdoce du Christ. Son ordre cultive surtout la liturgie, le sacrifice, le service de l'autel et du sanctuaire.

St François honore la charité du Christ. Il aime son Dieu, son Sauveur et toute l'œuvre de Dieu, la nature entière dont il se fait le prêtre.

St Dominique honore la sagesse du Christ. Il préconise l'étude, la prédication, la science sacrée. Avec Albert le grand et Thomas d'Aquin il résume et coordonne toute la science sacrée et profane. 39

St Ignace honore la prudence divine. Par ses exercices et ses exa­mens il surveille, dirige et protège tellement la vie morale qu'elle ne peut guère dévier.

Mais la grâce divine n'a pas épuisé sa fécondité en inspirant ces qua­tre grands initiateurs. Les trésors spirituels de la vie du Christ sont si multiples! Le Saint-Esprit suscite à chaque siècle des œuvres nouvelles qui doivent manifester quelque grâce spéciale du Sauveur.

Le Sacré-Cœur de Jésus a voulu des groupes nouveaux, des groupes d'amis, auxquels il demande le dévouement intime et assidu, le tendre amour, la réparation et l'immolation. Bon Maître, donnez leur la fidé­lité à votre appel et à votre grâce! 40

Fin juin. Nouvelles angoisses à cause de graves imprudences d'un économe. Comme on peut souffrir de la pauvreté sans manquer de pain!

Visite aux maisons du Luxembourg et de Hollande. Il y a des pro­grès et bien des choses consolantes. Il y a aussi quelques âmes qui traî­nent dans la tiédeur, la négligence, l'amour propre, les divisions et manques de charité.

Juillet

Conseil le 9. Visite à Sittard. Nous avons une heureuse solution pour la mission du Cameroun12). Mgr Victor et les Pallottins nous cèdent un beau territoire pour y faire une Préfecture apostolique. Continuation des angoisses et difficultés pour le temporel. 41

A la fête de St Ignace, messe et conférence au couvent. Voilà 36 ans que j'ai écrit là les Constitutions. Il y a là pour nous une source qu'il ne faut pas oublier. C'est dans cette maison que j'ai reçu toutes les lumières pour l'esprit de l'œuvre.

Voyage à Lourdes avec quelques pèlerinages sur le chemin. J'éprouve une tristesse poignante à voir partout des couvents sécula­risés, des évêchés, des séminaires, des presbytères fermés. Stupide gou­vernement, instrument des loges maçonniques pour faire la guerre à Dieu, à la patrie, à la propriété! La nation garde un fonds de bon sens et de raison. La discipline et la morale sont énervées. 42

A Rocamadour13), inscriptions sottes partout, dans les sanctuaires, sur le chemin de croix; cela caractérise les populations sans foi et sans respect.

A Lourdes, les pèlerins montrent une grande foi. Cependant la Sainte Vierge n'opère pas des guérisons le jour de son Assomption.

Le placement annuel a ses difficultés comme toujours. Nous man­quons souvent de docilité et d'abandon.

Courte visite à l'Exposition de Gand. Le vieil art flamand marque l'esprit de foi, la vie de famille, la richesse du culte, le respect des moeurs. La police tolère l'exhibition de stéréoscopes qui se recom­mandent aux hommes seulement ou bien aux hommes 43 mariés. C'est un attentat public et officiel à l'honnêteté et aux bonnes moeurs.

Je lis avec profit le Manuel de Théologie mystique du P. Devine. Je vois bien qu'il faut pratiquer les macérations, les veilles et le jeûne pour arriver à la contemplation.

Pour moi, ces mortifications me sont imposées par la Providence: j'ai peu de sommeil la nuit, une infirmité m'oblige à porter une cein­ture pénible, l'état de mon estomac m'oblige à diverses privations. Que me reste-t-il à faire? A bien profiter de tout cela, à bien le surnatu­raliser et l'offrir au S.-Cœur.

Du 14 au 21 la retraite nous est prêchée par le Rév. P. G. de Vio­laine, s.j. 44

Méditation préparatoire. -Jours de réparation et de réconciliation. Combien nous sommes-nous éloignés de N.-S.? Est-ce la séparation consommée par le péché mortel? Est-ce le refroidissement de nos rela­tions amené par la tiédeur et les péchés véniels? Seigneur, loin de vous c'est le malaise, c'est la souffrance. Je veux revenir à l'union avec vous et y progresser de plus en plus.

Moyens de bien faire la retraite: silence, prière, sacrifices, généro­sité.

1ere méd. Fecisti nos ad te, Domine. Nous sommes faits pour le bonheur, nous sommes faits pour Dieu. Tout en nous aspire au bonheur. Nous le cherchons dans les créatures et nous n'y trouvons que déception, amertume et lassitude. 45 L'expérience est cent fois faite. Allons au vrai bonheur, à la paix de l'âme, à l'amitié avec N.-S. qui est seul parfaitement bon et beau, maître de la vérité et auteur de tout bien.

2e méd. Quam dabit homo commutationem pro anima sua? (Mt. 16,26). Importance du salut; prix de l'âme humaine. Cette âme, elle est appelée à vivre au ciel avec Dieu, avec les anges. Elle doit jouir d'un bonheur éternel… Sur la terre même, elle a des rapports intimes avec Dieu dans la prière et dans la communion. S'il s'agit d'un prêtre, sa dignité est bien plus grande et ses pouvoirs sont merveilleux. Elle peut sauver ou perdre bien des âmes… Si mon âme a tant de prix, puis-je la négliger et la perdre? 46

3e méd. Notre vocation spéciale nous oblige à tendre à la perfec­tion. Ne nous contentons-nous pas de la médiocrité et de la routine! Combien cette obligation est précieuse! Elle nous vaudra des joies éternelles si nous y sommes fidèles. Elle nous rend les amis de N.-S., nos prières deviennent puissantes et nos œuvres se multiplient… Que faut-il pour cela? Prier soigneusement et attentivement, garder le recueillement et la vie intérieure, observer nos règles, pratiquer la mortification.

4e méd. Si la vocation religieuse nous oblige à tendre à la perfec­tion, l'état sacerdotal nous oblige à la sainteté. Dieu la demandait déjà des prêtres de l'Ancienne Loi: Viri sancti eritis (Ex. 22,31). Que n'ont pas dit les Pères de l'Eglise et les saints de la sublimité du sacerdoce, dont les fonctions sont 47 plus qu'angéliques et quasi divines? Le prê­tre consacre, il baptise, il absout, il peuple le ciel! Sancti estote (Lev. 19,2)…

5e méd. Le péché. Considérons les quatre actes de ce drame lugu­bre. a) Au ciel même, les anges pèchent par orgueil et perdent leur dignité et leur félicité; b) l'enfer est créé pour punir le péché, châti­ment terrible; c) un homme qui se laisse aller à la négligence peut tomber peu à peu dans le péché mortel, et s'il est surpris par la mort il peut aller en enfer même pour un seul péché; d) le calvaire est la con­séquence du péché: le péché a causé les souffrances et la mort du Fils de Dieu!…

6e méd. La contrition. Comment 48 ai-je pu offenser un Dieu si bon, si digne d'être aimé, si bienfaisant, si doux! Je me suis tourné vers les créatures, j'ai cherché ma satisfaction! J'ai été insensé et ingrat. Confiance cependant! Jésus est si miséricordieux, il m'attend. Il me regarde comme il a regardé Pierre. Quel sort aurait eu Pierre s'il était resté insensible à ce regard!

7e méd. Conférence sur le respect. Vaste sujet. Il y a le respect de Dieu qui se témoigne partout par la modestie, la prière… le respect des supérieurs, source de bénédictions… le respect du prochain dans la conversation surtout… le respect de notre intelligence, de notre imagi­nation, dans nos pensées, dans nos lectures… le respect du corps qui est devenu le temple du St-Esprit par le baptême et qui est le ciboire 49 quotidien de l'Eucharistie. La Providence me met sous la main comme livre de lecture la vie du P. Raphaël d'Aire, capucin, qui a vécu à Hazebrouck. Ce volume me rappelle de bons souvenirs. Je dois ma conversion à un capucin, collègue du P. Raphaël, qui prêcha la retraite du collège d'Hazebrouck en 1855. Et c'est à la chapelle des capucins devant l'autel dont la photographie est dans ce volume, que j'ai enten­du l'appel de N.-S. pour la vocation sacerdotale dans la nuit de Noël de 185514). Si j'avais été fidèle à toutes ces grâces!!

8e méd. De la sainte indifférence. Tous les péchés viennent du man­que d'indifférence. Les attraits des sens et du monde 50 et les épreu­ves de la vie ne nous trouvent pas indifférents. Il faut nous faire indifférents. Il ne dépend pas de nous de ne pas sentir les tentations et les peines, mais notre volonté doit passer outre, résister aux premières et supporter les secondes. La grâce ne nous manquera pas pour prati­quer cette indifférence de volonté. Sa pratique nous en donnera l'ha­bitude et les victoires deviendront plus faciles.

9e méd. L'enfer. Rappelons-nous ses terribles souffrances: la malé­diction divine, recedite a me (Mt. 25,41)… le feu auprès duquel celui de la terre n'est rien… le remords en la compagnie des démons et des damnés… l'éternité, le sentiment de la souffrance sans remède et sans fin. 51

10e méd. Confiance, malgré notre faiblesse et notre indignité. Notre Seigneur est si miséricordieux! Il nous a donné le sacrement de péni­tence. Il est toujours prêt à nous pardonner. Sto ad ostium et pulso (Apoc. 3,20). Il s'est dépeint dans le père de l'enfant prodigue qui attend son fils pour le combler de ses amitiés.

11e méd. Conférence sur la régularité. La règle est sainte, elle est bienfaisante, elle est méritoire. Elle est sainte: elle est conforme à la pratique des saints, elle indique les moyens de perfection. Elle est bienfaisante, elle donne la paix de l'âme, elle préserve des incertitudes du temps perdu, des relations mondaines. Elle est méritoire par les petits sacrifices qu'elle demande. 52

12e méd. La mort. Rien n'est plus certain. On a tout nié, même Dieu, on n'a pas nié la mort. Mais rien n'est plus incertain que ses cir­constances et ses conditions. Où mourrai-je? Quand mourrai je? Serai­ je surpris? Aurai-je le temps et la grâce de me préparer? Comme il faut toujours être prêt! Je voudrais être toujours dans les dispositions et la confiance de St Paul: Fidem servavi, cursum consummavi (2 Tm. 4,7)…

13e méd. Le jugement. Où, quand? Je ne sais pas… Le juge, ce sera Jésus, justus judex, mais là il devra s'en tenir à sa justice, le temps de la miséricorde sera passé… L'examen sera sévère. Ce qui me parait léger aujourd'hui m'apparaîtra plus grave ce jour-là… Les témoins: ma cons­cience qui 53 m'accusera; les démons qui s'efforceront de m'entrai­ner avec eux; ceux que j'ai scandalisés, qui me reprocheront leur per­te; mon bon ange et mes patrons célestes qui se plaindront de ce que j'ai dédaigné leur concours. Mais la Mère de miséricorde sera là aussi comme un témoin à décharge, elle priera Jésus de m'appliquer le prix de son sang… La sentence. Puissé-je entendre celle des justes: viens mon fils béni, tu as tout quitté pour moi, tu as travaillé à mon règne; tu as fait des fautes, il est vrai, mais tu n'as pas perdu confiance dans ma miséricorde et dans la bonté de mon Cœur: viens vivre dans mon ami­tié…

14e méd. L'enfant prodigue. Nous n'avons pas été sans doute 54 jusqu'aux excès auxquels s'est livré l'enfant prodigue; néanmoins nous pouvons tirer bien des leçons de cette parabole. Pourquoi sommes­-nous tombés dans le péché, dans la tiédeur? Parce que nous nous som­mes éloignés de notre Père, nous avons négligé l'union avec N.-S.; nous avons voulu suivre notre volonté propre, chercher nos aises et satisfaire les attraits de la nature. Nous nous sommes exposés aux ten­tations, trop confiants en nos forces… Si nous avons eu des faiblesses comme l'enfant prodigue, imitons son repentir, sa confiance, son retour empressé vers son père. Au commencement de chaque médita­tion de 10h., le Père nous fait faire un petit examen sur quelque sujet pratique: la prière, la règle, les exercices quotidiens, etc… 55

15e méd. L'imitation de N.-S. La vie de N.-S. n'est-elle pas plus sim­ple, plus belle, plus imitable que celle des saints? A Nazareth, il donne l'exemple des vertus familiales, du travail, de la prière, de l'obéissance. Dans sa vie publique, il est le modèle du zèle, de la charité, de la dou­ceur, de la mortification. Dans sa Passion, il nous exhorte à la patience, au dévouement, au sacrifice. Partout il pratique l'abandon à la volonté de son Père…

16e méd. L'Incarnation. La Ste Vierge et l'ange Gabriel rivalisent d'humilité, mais la suprême humilité est celle du Fils de Dieu qui s'anéantit pour nous. Quelle charité, quel dévouement de N.-S. Combien est délicate la pureté de Marie! Elle apparaît dans toute sa personne. 56 Marie renoncerait au privilège d'être la Mère de Dieu, si sa chasteté devait en souffrir.

17e méd. Bethléem. Leçons de pauvreté, de détachement, d'aban­don à la Providence. Humilité suprême. Les anges chantent la Ré­demption: Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis (Lc. 2,14). Les bergers et les mages expriment leur foi, leur confiance, leur amour au Sauveur…

18e méd. Examen sur les relations avec les supérieurs, avec le mon­de, avec les élèves… Méd. sur Jésus au Temple: In his quae Patris mei sunt (Lc. 2,49): le devoir, la liturgie, la prière, le sacrifice, les douleurs de Marie et Joseph. Puis Jésus rentre dans l'obéissance parfaite, hum­ble et silencieuse… 57

19e méd. Conférence sur la vie intérieure. N'est-ce pas la vie de N.-S. lui-même et celle des saints? Vivo ego, dit St Paul, jam non vivo, vivit vero in me Christus (Gal. 2,20). La grâce nous donne comme un sens spécial pour entendre Dieu et parler avec Dieu. Dieu nous parle par la Ste Ecriture et les lectures spirituelles, par la grâce, par les bons anges. Il faut une attention spéciale et habituelle à cette union. C'est un peu assujettissant, mais que d'avantages! que de lumières! que de fruits… J'ai perdu beaucoup de ces grâces, mon Dieu, rendez-les moi comme vous avez rendu à job ses biens et vos bénédictions.

20e méd. Réflexions sur les résolutions. La mienne sera unique: union à N.-S. et dépendance constante de 58 sa direction et de sa grâ­ce. Méditation sur les commencements de la vie apostolique du Sauveur: ses adieux à sa Mère, son baptême, son jeûne, ses tentations. Nous serons maîtres de nos tentations si nous nous appuyons sur N.-S., si nous lui sommes unis, si nous avons confiance en son secours…

21e méd. La Ste Cène. Quels soins dans la préparation! Jésus choisit la salle et la fait orner, il lave les pieds à ses disciples, il prie, il observe toute la liturgie du sacrifice ancien et il crée celle du nouveau. Quelle piété dans le sacrifice! Jésus lève les yeux vers son Père, il forme sans doute ses intentions et son memento. Il se donne avec une charité sans réserve, il prévoit les abus et les sacrilèges, mais il a tellement le désir 59 de s'unir aux âmes de bonne volonté! Dans l'action de grâces: recueillement, prière, effusion. Jésus s'épanche devant son Père et ensuite au milieu des siens…

22e méd. L'agonie. Comme Jésus je veux faire l'adoration réparatri­ce et déplorer les péchés du monde. Avec lui je veux prier. Avec lui je veux m'offrir et m'abandonner à Dieu en victime d'amour et de répa­ration.

23e méd. Le zèle. Jésus laisse le zèle en héritage à ses apôtres. Ils vont travailler pour les âmes que le Sauveur a rachetées de son sang. Edifions les âmes par notre travail, par les œuvres, par la prière, par la pénitence. Edifions-les par notre modestie dans nos relations quoti­diennes. 60

24e méd. Le Calvaire. Les souffrances de Jésus. Trois heures en croix! Ce qu'il voit: peu d'amis, une foule de gens haineux, ingrats, indifférents… Ce qu'il entend: des blasphèmes, des ricanements et la confession du bon larron. Ce qu'il prévoit: l'ingratitude des hommes, le mépris de sa croix… Ce qu'il dit: ses sept paroles, toutes de charité, de miséricorde, de résignation…

25e méd. Emmaüs. L'état d'âme des deux disciples marque les pha­ses de notre retraite: d'abord l'indifférence, le doute, la tristesse; puis leur cœur s'échauffe à la parole de Jésus et enfin ils s'attachent à lui et ne veulent plus le quitter. Mane nobiscum, Domine (Lc. 24,29). Seigneur, restez avec moi… 61

Après la retraite. Le diable ne repose pas. Il y a quelques divisions, quelques malentendus.

Le 22, cérémonie de vêture à Brugelette. Le noviciat est assez vivant et fervent.

Le 23, noces d'argent du P. Provincial à Bruxelles. J'y prends la parole. L'assistance à la messe est nombreuse et visiblement émue. Notre petite chapelle a sa clientèle dévouée.

J'orne ma chapelle de St-Quentin: reliquaires, statue en chine de la Ste-Vierge. Elle vient de la paroisse de Millers au Limbourg et date de la Renaissance. C'est N.-D. de la vie intérieure. Marie ne présente pas son petit Jésus aux fidèles. Ils se contemplent 62 l'un l'autre, avec une petite moue, comme pour un embrassement mystique.

Mois du Rosaire. Je supplie la Très Sainte Vierge de m'obtenir le pardon de toutes mes infidélités et la récupération de toutes les grâces perdues.

Conseil le 9. Les œuvres à faire se présentent nombreuses, mais notre personnel n'y suffit pas. Il y a de grandes difficultés pour conti­nuer l'Institution St Jean. Les ressources manquent et il y a eu bien des imprudences commises. C'est cependant une œuvre qu'il faudrait conserver à tout prix. Cette crise est pour moi très pénible. Je vois péri­cliter une œuvre qui m'a coûté tant de peines! 63

====Novembre. Mort du P. André16==== Conseil le 20. Je suis toujours sous le coup des grosses difficultés d'argent qu'un économe m'a suscitées: trois cent mille francs de per­dus. La Providence du S.-Cœur aidera. La Sr Thérèse de l'Enfant Jésus dont j'ai mis le portrait dans nos parloirs me paraît avoir agi pour arrê­ter le gaspillage et pour commencer la réparation.

Nous avons des difficultés intérieures, divisions, manques de charité et de confiance réciproque. C'est très pénible. Que faire? Prier et essayer de rétablir la charité!

Mon saint assistant, le P. André, est mort le 26 à Brugelette. Nous avons fait les funérailles le 29. Il n'y a qu'une voix à son sujet: c'était un saint. 64 Il pratiquait héroïquement chaque jour les conseils de perfection. Il vivait de foi, de sacrifice, d'immolation. Il ne faisait aucu­ne concession à la nature. Nous écrirons sa biographie. Il y aura mille traits édifiants. Il m'a été donné par la Providence pour former tout mon monde. Il a été Maître des novices pendant vingt trois ans, et ceux qui le sont maintenant continuent les mêmes traditions. Nous avons la confiance qu'il est allé fêter la St André au ciel, cependant nous prions pour lui.

La croix de ces jours-ci est une douleur au cou, à la tête, à l'épaule. Est-ce un torticolis? un rhumatisme? Le P. André me passe cette croix à porter à sa place. 65

Le 14, départ pour Rome. A Paris, entretien avec M. l'abbé Pierre, au sujet de sa polémique avec Maurras…

Je passe à Cannes et à Nice où j'ai des visites à faire. J'y retrouve le ciel bleu et le soleil que j'avais perdus de vue depuis six semaines. Arrêt à Gênes. Messe à St Benoît, petite église dépendante du palais Doria et desservie par un groupe de missionnaires qui accompagnent les émigrants dans leurs voyages.

J'apprends à Gênes la mort du card. Rampolla, le grand cardinal, un vrai diplomate et un saint prêtre. Il avait mon âge. Il faut toujours être prêt. Il était de beaucoup le plus en vu du Sacré Collège. 66

Voici venir mes anniversaires d'ordination. J'y trouve chaque année une occasion de renouvellement. J'ai tant besoin d'être aidé par la grâ­ce!

Le P. Guillaume est malade. J'espère que N.-S. ne me le prendra pas, après m'avoir pris déjà le P. Barnabé et le P. André.

La croix est lourde, c'est comme un abandon général. Il y a eu une poussée inconsciente de critique et de défiance. Je ne me sens plus d'appuis et d'amis. Et les charges sont si lourdes en plusieurs maisons: à St-Quentin, à Louvain, à Maastricht!

Je lis l'épître IIe de St Paul aux Corinthiens et je retrouve mon état d'âme dans la plainte de St Paul: Supra modum gravati sumus supra vir­tutem, ita ut taederet nos etiam vivere. Mais je veux comme St Paul me cramponner à l'espérance: Sed ipsi in nobis responsum habuimus, ut non simus fidentes in nobis sed in Deo, qui suscitat mortuos: qui de tantis 68 peri­culis nos eripuit et Bruit: in quem speramus, quoniam adhuc eripiet (2 Cor. 1,8-10).

On s'agite passablement à Rome ces jours-ci. Le Saint-Siège va-t-il prendre quelques mesures au sujet de l'Action Française15), dont les chefs sont païens et immoraux. Ils savent bien mettre en relief les avantages de la monarchie et les côtés faibles de la démocratie. Mais ils sont personnellement impies et corrupteurs. Ils exaltent comme leurs maîtres les pires écrivains: Proudhon, Comte, Stendhal, Renan, Sainte-­Beuve, etc… Ils poussent à l'action par tous les moyens. Leur polémique est insolente et violente. Ils traitent avec mépris des 69 hommes qui ne le méritent pas, comme M. de Mun, M. Piou, etc. Laissons ces mes­sieurs faire du royalisme, mais la place des prêtres n'est pas dans leur compagnie.

Ces deux mois compteront parmi les plus durs: crise économique à St-Quentin, à Louvain, à Maastricht; un grand malaise à Rome; du mauvais esprit de plusieurs côtés; des malades qui sont mes meilleurs sujets et que je crains de perdre: le P. Philippe, le P. Guillaume, le P. Gaborit, le P. Ottavio, tous très utiles là où ils sont.

Ayant à souffrir à Rome de bien des choses, je pars sans tenir comp­te du froid et du mauvais état de mes bronches irrités jusqu'au sang. 70 A Bologne, je visite Mgr Della Chiesa et je vais prier à St Domi­nique. A Milan, je revois le dôme, qui me paraît toujours plus grand et plus merveilleux. je prie St Charles Borromée.

A Gênes, messe à l'Annunziata. Courte visite à Cannes. A Marseille, messe à St Vincent de Paul.

Le dimanche à Paris, je vois les œuvres en pleine action. Je dis la messe des pauvres à Montmartre. Ils sont là un millier. Ce sont des épa­ves de la société, des déshérités de la vie. Plusieurs semblent avoir été quelque chose. Ils prient et ils chantent et ils reçoivent avec bonheur 71 un kilo de pain.

A 1 h. j'assiste à la conférence du P. Janvier16). Trois mille hommes sont là, tous de bonne tenue, attentifs, recueillis. Le P. parle sur la Charité. C'est assez abstrait, un peu sec et scolastique et cependant tout ce monde écoute et reviendra.

Il y a vraiment deux Paris, celui des plaisirs frivoles et le vieux Paris que les rois chrétiens appelaient leur bonne ville. Le soir, je donne le salut au petit patronage de l'abbé Billet.

La vie politique a de grandes tristesses ces jours-ci pour le patriotis­me. Tout le monde s'attend à quelque grand coup 72 de la Pro­vidence. Prions humblement.

Grandes angoisses au sujet des dépenses exhorbitantes faites par la maison de Maastricht. C'est un gouffre et cela pourrait mener cette œuvre-là à la déconfiture et au scandale. J'en ai la fièvre. St Joseph nous apporte un peu d'espérance. J'espère qu'il nous sauvera encore. Pour le procès Perrier, il y a une transaction qui m'apporte un peu de répit.

Pâques apporte un peu de joie et de soulagement. Les affaires de Maastricht s'aplanissent au moins provisoirement par un emprunt. Espérons qu'on s'en tirera. A Saint-Quentin, les plus grosses difficultés sont surmontées. La biographie17) de Sr Marie 73 de Jésus a paru, notre petite soeur nous aidera.

La Préfecture apostolique du Cameroun est érigée le 28 avril. Le P. Lennartz est nommé Préfet le 29. C'est un nouveau progrès pour l'œuvre.

je conduis jusqu'au Havre mes partants pour le Canada18). Ils sont quatre, les PP. Lemaire, Cochet et Koolen, le Fr. Berger. Nous disons la messe le matin du 2 à l'église Notre-Dame. Nous faisons le pèlerinage traditionnel du départ au sanctuaire de Notre-Dame des flots. L'œuvre du Canada va prendre un peu plus de consistance.

La Normandie est radieuse avec ses champs de pommiers tout en fleurs. 74

Mes malades se remettent un peu. Il y a encore des jours d'angois­ses et de craintes à l'occasion des imprudences financières d'un écono­me.

De belles rentrées se préparent dans les noviciats, c'est bien néces­saire, nos œuvres demandent du monde.

J'ai occasion d'aller à Montmartre, le sanctuaire s'achève. Fervet opus. Le règne du S.-Cœur est en marche. La dévotion publique et privée au S.-Cœur s'est étendue sur le monde depuis deux cents ans, comme un saint déluge purificateur et réparateur. Confiance! Le S.­Cœur règnera malgré ses ennemis. Cette pensée me suggère un arti­cle pour la revue de Louvain.

Le 1er juin je suis à La Capelle pour les noces d'or 75 de mon frère. Le temps marche et court. Hâtons-nous de nous sanctifier…

Les chapitres provinciaux se tiennent à Sittard et à Bergen op Zoom. Je crois que tout se passe dans le bon esprit et la bonne volonté. Deo gratias!

J'apprends la mort d'un individu dont les calomnies m'ont beau­coup fait souffrir autrefois, Gaëtan Juniet19). Après une vie de menson­ges, de vols, d'escroqueries, et deux divorces, il meurt dans une explo­sion de machine qu'il semble avoir provoquée pour en finir avec la vie…

Le 19, fête du Sacré-Cœur au couvent, pieuse cérémonie qui rap­pelle les bonnes années du commencement. 76

Le 22, visite à Brugelette, réception des novices. La famille se multi­plie, puisse la ferveur y régner avec le nombre! Les jours suivants, visi­tes à Bergen, à Bréda, à Asten. Les maisons de Hollande sont bien vivantes. Il y a de grosses charges, mais la Providence semble y aider.

Le 29 à Sittard: maison considérable. L'école est devenue un grand collège de 180 enfants. Je suis content des rhétoriciens qui semblent animés d'un bon esprit pour entrer au noviciat.

Le 1er, visite à Maastricht. Ces enfants abandonnés se civilisent. Il me semble que les progrès sont considérables depuis un an. Puisse 77 St Joseph mettre à flot cette grande entreprise!

Le 2, conseil à Bruxelles pour préparer le Chapitre. Mgr Grison est revenu, fatigué, mais assez fort encore pour reprendre sa tâche dans quelques mois. Je l'amène à St-Quentin pour trois jours.

Nous avons le 6 une réunion de prêtres, de l'ordination de 1870. La France à deux sortes de bons prêtres: ceux qui font leur ministère régulièrement, solennellement, comme si tout allait pour le mieux. Ils se croient encore au bon temps. Les autres qui cherchent les brebis égarées, qui sont des apôtres et des missionnaires. C'est ceux-là qu'il faudrait multiplier. 78

Du 7 au 11, visites à Luxembourg et à Ulflingen, je recommande partout la vie spirituelle, l'esprit de foi, les vertus de notre vocation.

Je passe à Strasbourg, pour voir le P. Laurent Philippe20), un de mes fils les meilleurs. Il est chez les Franciscaines de Robertsau, une com­munauté d'esprit américain avec une grande activité, la hardiesse et l'esprit d'entreprise.

Les croix ne manquent pas: la maison de Louvain a peine à vivre. Ailleurs, j'ai à déplorer un désordre inquiétant.

Le 14, je vais à Vic-sur-Aisne pour répondre à l'invitation de M. Faroux, qui est revenu à la vie chrétienne. 79

Je travaille à préparer le Chapitre.

Du 28 au 30, pèlerinage à Albert. La France a fait là de grands sacri­fices pour glorifier la Ste Vierge, elle en sera récompensée. Je revois la cathédrale d'Amiens. C'est peut-être la plus belle église du monde. Quelle foi avait le XIIIe siècle! C'est vraiment le grand siècle de l'histoi­re. La cathédrale d'Arras, style Louis XV, a de la grandeur, mais com­me elle est froide en comparaison de celle d'Amiens. La foi s'en allait. A Cambrai, cathédrale gracieuse, style Louis XVI, refaite de notre tem­ps. Curieux lampadaires qui rappellent la guerre de 70-71. Les têtes des assaillants y sont représentées en 80 culs de lampe. C'est une satire selon le vieil esprit gaulois.

Le 2, la mobilisation générale21) est ordonnée. Ce sont les mauvais jours de 1870 qui reviennent. La guerre d'alors venait après le Concile, celle-ci vient après le Congrès de Lourdes. Quels sont les desseins de la Providence? Ma congrégation est décimée: trente cinq de mes Français et autant d'Allemands sont atteints par la mobilisation.

Après le Concile, Dieu a permis la guerre pour éviter un schisme. N'est-ce pas le même cas? N.-D. de Lourdes profitera de la guerre pour renouveler l'Europe et la France.

Les officiers français sont généralement religieux, cela est dû aux collèges des jésuites et aux autres collèges 81 ecclésiastiques. Il y a dans cette guerre deux grands facteurs surnaturels que le monde igno­re: N.-D. de Lourdes et la Compagnie de Jésus.

Premiers faits d'armes: résistance de Liège et prise de Mulhouse. Prise de plusieurs cols des Vosges.

La Russie promet à la Pologne son autonomie, c'est un grand fait historique. C'est un grand royaume catholique qui va se relever.

C'est pour moi une période angoissante. Craintes pour la famille, pour la patrie, pour la Congrégation. J'ai tant de mes fils spirituels à la guerre! Les ressources manqueront. Les bienfaiteurs se réservent. Il faut une confiance aveugle en la Providence. 82

Le 21, je renvoie mes petits Italiens à Bologne. Le noviciat est bien entravé, c'est l'angoisse partout.

Pie X22) est mort. Il a été notre ami, notre bienfaiteur. Il nous a donné l'approbation. C'était un saint. Je prie pour lui et je l'invoque. Comme il était bon, simple et familier, quand j'allais le voir! Il ne per­mettra pas que Saint Pierre me reçoive mal au ciel.

Bruxelles est occupée. Mes angoisses augmentent. Que deviennent mes maisons de Louvain et d'Ixelles?

Le P. Wernz aussi est mort. Je l'avais bien connu. J'ai au ciel une légion d'amis. Puissent-ils obtenir ma conversion!

Le 25, les combats s'approchent de nous. Le danger commence. J'offre ma vie pour le règne 83 du S.-Cœur, pour son œuvre, pour l'Eglise: que N.-S. me pardonne toutes mes fautes si nombreuses. Je l'aime quand même et par-dessus tout.

Jours d'angoisses. J'offre à Dieu toutes les réparations de N.-S. et des saints. Nos souffrances quotidiennes s'ajouteront aux mérites infi­nis du Sauveur.

27. Nous entendons le canon toute la journée. La ville se désorgani­se: plus de trains, plus de poste. C'est la panique. Les Anglais nous restent avec leur flegme et leur confiance. La région voisine est ravagée. Coudry, Catry, Estrées, etc. etc. tout est brûlé et bombardé. La population s'enfuit affolée. Le curé de Maissemy nous apporte son ciboire rempli 84 de saintes hosties…

28. St Augustin. On entend gronder le canon. Puis la fusillade crépi­te, on sent la poudre. Fiat!

Toutes nos maisons sont bien éprouvées. Luxembourg, Louvain, Bruxelles, Mons, Quévy, partout l'invasion et la guerre. Nous sommes bien dans notre mission réparatrice.

Je lis la vie de Marie Brotel, une âme victime et réparatrice. Je m'ins­pire de ses sentiments.

C'est l'anniversaire de la mort de Sr Marie de Jésus, victime d'a­mour et de réparation. Je compte beaucoup sur ses prières. Je porte le reliquaire de St André que portait le P. André, il me protègera.

Le soir la ville est envahie, après deux jours de combat 85 acharné. Laissons N.-S. accomplir ses desseins sur les nations.

29. L'occupation de la ville est assez pacifique. Le canon tonne au loin, la bataille continue à quelques kilomètres d'ici.

Ces canons qui grondent comme l'orage sont effrayants, ils inspi­rent la terreur. Que de vies sont fauchées ces jours-ci. J'offre sans cesse les expiations et les mérites de N.-S. et des saints pour ceux qui meu­rent et pour ceux qui sont morts. Je répète les trois noms bénis de Jésus, Marie, Joseph.

La bataille est aujourd'hui à l'est de St Quentin du côté de La Fère. Les canons tonnent plus fort encore que les jours précédents. J'invoque St Jean Baptiste dont nous fêtons la décollation. C'est un grand protecteur de l'Eglise. Il nous aidera. 86

Il y a des heures terribles où la canonnade est si violente que le système nerveux en est tout ébranlé. On nous annonce des logements de soldats ennemis, puis il n'en vient pas. Le S.-Cœur protège visible­ment sa maison.

30. Dimanche morne. On n'ose pas sortir des maisons, les cloches se taisent. Il y a peu de monde aux églises. Et cependant, il faut prier beaucoup, il faut prier sans cesse. C'est pour la chrétienté une période si grave!

Toute la journée le canon tonne encore, au moins jusqu'à 3 heures. C'est le 4e jour de bataille. Beaucoup de blessés arrivent en ville.

31. Aujourd'hui s'ouvrira le conclave. Nous ne savons plus rien des choses extérieures. 87

Journée d'accalmie relative: mouvements de troupes. On n'entend plus l'artillerie.

La bataille a été très violente pendant quatre jours, surtout samedi. Aujourd'hui on relève les morts et les blessés, et ils sont nombreux. Le soir nous avons à loger trois médecins majors allemands. Ils sont catho­liques et polis.

La nuit des soldats pillards viennent pour dévaliser, mais nos majors y mettent bon ordre.

Aujourd'hui commence le conclave??? J'unis mes prières à celles de l'Eglise.

1. Journée de tristesse et d'incertitude. Les blessés et les morts relevés sur le champ de bataille continuent à affluer. Nous donnons notre concours à une ambulance à la Croix. Toutes les ambulances 88 se remplissent. Beaucoup de fausses nouvelles se répandent en ville, surtout des nouvelles alarmantes. La prière et l'abandon sont notre consolation.

Il devient difficile de se nourrir. Les provisions manquent.

Je relis les vies d'âmes victimes du S.-Cœur: Marie de Jésus, Marie Steiner, Marie Brotel. Quels beaux exemples de vie intérieure, d'union à N.-S., d'abandon et d'immolation!

2. Deuxième jour du Conclave? Anniversaire de Sedan.

Nos majors s'en vont. Ils ont été trois jours ici et nous n'avons pas eu à nous plaindre d'eux. Ils espèrent être bientôt à Paris…

3. Le temps est superbe, mais tous les esprits sont inquiets et tristes. 89 La justice de Dieu passe, sa miséricorde suivra.

Nous n'entendons plus le canon. Des blessés nombreux souffrent dans nos ambulances. Dieu fera grâce quand l'expiation sera suffisan­te.

4. Le silence d'une ville occupée est pénible pour nos esprits avides de nouvelles.

C'est le 1er vendredi. Retraite, lectures pieuses, confiance au S.­Cœur. Malgré toutes nos fautes, N.-S. nous fera miséricorde.

Je relis la vie de la Sr Thérèse de l'Enfant Jésus et de la pieuse Marie Brotel, j'envie cet esprit de simplicité et d'enfance chrétienne qui plaît tant à N.-S.

5-6. Même situation. Je lis des vies de saints, je prie, j'écris 90 des notes sur le Sacré-Cœur.

7. Je sors en ville, quel spectacle! Des gens du peuple, désoeuvrés et miséreux, des blessés qu'on transporte de ci et de là, à pieds, en voitu­res, les chefs en automobile. Les maisons sont fermées. La colère de Dieu passe, le peuple n'a pas l'air de bien le comprendre.

8. Belle fête de la Nativité de Marie. Je prie la bonne Mère de réta­blir la paix dans le monde chrétien.

J'apprends aujourd'hui la nomination du nouveau Pape, Benoît XV. C'est le cardinal Della Chiesa, archevêque de Bologne, qui est de nos amis. C'était le confident et l'auxiliaire de Léon XIII et du Card. Rampolla.

9 et 10, jours d'attente, sans nouvelles. Je lis et j'écris sur le S.­Cœur. 91

12. Fête du St Nom de Marie. Cette fête rappelle la protection accordée par Marie aux nations catholiques… Espérons.

14. Exaltation de la Ste-Croix. Voilà 36 ans que cette maison du S.­Cœur a été fondée sur la Croix. Combien j'y ai souffert de toutes manières, comme cela m'était prédit! Humiliations, maladies, pau­vreté, contradictions… puis la persécution, les expulsions, et aujourd'hui la guerre! Fiat! Mais aussi, j'y ai eu bien des grâces: les grâ­ces sensibles du commencement en particulier, et tant d'œuvres sor­ties d'ici et bénies par la Providence.

C'est un jour de repentir et d'action de grâces. J'ai l'impression que N.-S. veut encore aujourd'hui 92 tout pardonner.

Le canon gronde encore, c'est sans doute le commencement d'une nouvelle série de combats terribles.

Etant assez nombreux dans la maison depuis la guerre, nous avons repris la coutume de la bénédiction quotidienne du St-Sacrement. C'est une grande consolation dans ce désarroi.

15. Canonnade éloignée.

16. Canonnade très proche et fusillade intense l'après-midi vers 4 heures. C'est tout près de la ville et nous nous attendions à l'entrée de l'armée alliée. Prière et abandon à la Providence.

17. Toujours le manque de nouvelles. Pas une feuille publiquée depuis trois semaines. Toujours la canonnade et la fusillade dans le lointain. 93

Je me délecte de la lecture d'un petit livre sur la communion spiri­tuelle par mon saint ami le P. François De Vouillé. C'est une petite bro­chure à répandre. Nous pouvons facilement user de cette méthode de la communion spirituelle pour nos pratiques d'union aux mystères de N.-S., aux diverses heures de la journée.

18. Nous devrions être en retraite et à la veille du Chapitre. Cette guerre est une grande épreuve pour notre Congrégation, et elle dure­ra probablement encore assez longtemps. Que le divin Cœur de Jésus et Marie Mère de miséricorde nous viennent en aide!

19-20. Anniversaire de La Salette, 1846. C'est la date à laquelle remontent mes plus 94 lointains souvenirs. J'étais tout petit: 3 ans 1/2. Ma mère et mes tantes parlaient beaucoup de l'apparition de la Ste Vierge à La Salette, de ses larmes, des châtiments à redouter pour la France. Les châtiments sont venus à plusieurs reprises. Mais les larmes de Marie ont suscité toute une floraison d'œuvres de pénitence et de réparation. Plusieurs communautés sont nées de cette mentalité créée par N.-D. de La Salette. La nôtre s'en est aussi inspirée en partie. Puisse la mesure de la réparation être bientôt suffisante, pour que N.-S. nous fasse grâce par l'intercession de Marie!

En attendant, nous sommes toujours 95 bloqués à St-Quentin. C'est le 23e jour et les occupants deviennent plus raides.

21-22-23. Toujours la réclusion. Communion spirituelle. Le matin, je prie Marie et Joseph de me prêter le petit Jésus, comme ils l'ont prêté à Ste Gertrude, à Marguerite Marie, à St Antoine de Padoue, à St Stanislas, à St Gaëtan de Thienne. A trois heures je vais à la plaie du Côté de Jésus comme Marie et St Jean au Calvaire, comme St François et St Paul de la Croix. A l'adoration du soir comme à l'action de grâces du matin, j'essaie de reposer ma tête sur le Cœur de Jésus, comme l'apôtre St Jean et les saints du S.-Cœur. 96

Journée d'émotion, les occupants veulent enlever tous les hommes de 18 à 48 ans. Trois des miens seraient pris. Le soir, N.-D. de la Merci arrange les choses et il y a contre-ordre.

Le 25 nous avons à loger cinq franciscains de Westphalie, un prêtre et quatre frères, braves gens de bonne tenue. Ils viennent faire le servi­ce d'infirmiers. Ils connaissent nos œuvres d'Allemagne.

26. La bataille se rapproche. On entend le canon des deux côtés de la ville. On amène beaucoup de prisonniers et de blessés.

Tout le monde prie quelque peu. On demande des médailles, on fait brûler des cierges à N.-D. des Armées. Il y a là dedans un peu de foi, un peu de superstition 97 et un instinct naturel: l'homme est un animal religieux. Dieu est infiniment miséricordieux, il se contentera peut-être de peu. Il y a à côté de cela des âmes si bonnes, qui prient bien sincèrement.

Le ministère s'est adjoint M. de Mun. Si ces gens veulent nous don­ner une république ouverte, une république libérale, Dieu leur par­donnera peut-être leur ignorance et la France redeviendra habitable. Les écoles sans Dieu ont rempli notre ville d'une lie de peuple sans exemple. Les filles surtout sont ignobles. Elles courent après les soldats de toutes les nations. Ce sont les moeurs des chiens. Faites-nous l'école obligatoire, mais avec le catéchisme et l'éducation chrétienne. 98 27-28-29. Toujours la canonnade et rien de définitif. Nos ambulan­ces sont encombrées. On couche les blessés sur le square du lycée et sur les boulevards, en attendant de pouvoir les enlever ou les caser. C'est un spectacle écœurant. Ainsi l'ont voulu les empires du centre qui ont déclaré la guerre.

29-30. St Michel n'a pas amené notre délivrance. On n'entend plus guère le canon, la lutte s'éloigne. Patience! St-Quentin compte quatre à cinq mille blessés. Quelle boucherie sur tout le front de bataille!

1-2-3. Toujours le canon. De belles fêtes passent: St Remy, le l»ven­dredi, et la délivrance se fait attendre. J'essaie d'écrire par la poste alle­mande à nos maisons de Hollande et d'Italie. 99

Le 4, c'est la belle fête du Rosaire. La Sainte Vierge, qui a délivré la chrétienté à Lépante et à Vienne, nous aidera. La Prusse qui est le péché de l'Europe, comme ont dit les grands catholiques, de Maistre et Veuillot, sera humiliée. Il y a des Allemands excellents, mais ce ne sont pas les Prussiens luthériens, gouvernés par une famille de cheva­liers apostats.

Le soir du 4, l'empereur est venu visiter ses officiers et banqueter avec eux. Puisse-t-il leur rappeler l'observation des lois de la guerre! Le 6, journée de silence: quelle est l'issue de cette grande bataille de douze jours? 100

Seigneur, vous voulez pardonner à la France, mais il vous faut une somme suffisante de réparations et d'expiations. Le gouvernement ne peut pas vous donner satisfaction. Mais ces gens ne représentent pas la vraie France. Ils sont arrivés là par une série de fraudes, de violences et d'intrigues: invalidations, pression électorale, faveurs, corruption et mensonges. La vraie France est opprimée et trompée. Celle-là a plus que dix justes, elle a beaucoup d'âmes qui prient et qui souffrent.

Je vous offre, Seigneur, les réparations de la vraie France: les prières et pénitences des grands instituts religieux, des Bénédictins et des Trappistes, des enfants de St Bruno, de St François, de St Dominique, de 101 St Ignace, de St Alphonse. Je vous offre les réparations et ado­rations des instituts voués au Sacré-Cœur et au St-Sacrement: les Pères du St-Sacrement et de Picpus, les Soeurs de l'Adoration réparatrice et de Marie Réparatrice, les Victimes de Namur, de Marseille, de St­-Quentin; les œuvres de dévouement des Soeurs de Charité, des Missionnaires de Marie et de tant d'autres; les œuvres laïques: Aposto­lat de la prière, Communion réparatrice, Garde d'honneur, l'adora­tion de Montmartre, les adorations paroissiales et les 1ers vendredis du mois. Je vous offre encore les souffrances de toutes nos communautés exilées, et pour combler la mesure, tous les morts et tous les blessés de cette 102-104 guerre, toutes les souffrances de nos populations, tant de familles dans l'angoisse et dans le deuil. Pitié pour nous, pitié pour la France!

7. Je reçois enfin une petite nouvelle d'un des nôtres. Le P. Max Héberlé est chez lui à Erlenbach (Alsace). Il nous écrit par la poste militaire par l'intermédiaire d'un soldat du même pays, Bernard Schwab, boulanger militaire. Nous lui répondons, il pourra donner aux Soeurs d'Alsace-Lorraine des nouvelles du couvent de St-Quentin.

8-9. La pauvreté se fait sentir. Nous sommes bloqués depuis six semaines et cela peut durer longtemps encore. Le P. Mathias n'a plus de ressources… Je crains que le réveil ne soit dur après la guerre. 105

On dit qu'Anvers est pris. Pourquoi la Belgique catholique est-elle frappée à ce point? Elle ne périra pas sans doute, mais quel est le peu­ple qui n'a pas besoin de purifications et d'expiations. L'épiscopat bel­ge ne s'est-il pas ému dans ces dernières années des progrès du luxe, de l'abaissement des moeurs, de la mollesse dans l'éducation, de la décadence des vertus familiales. La justice de Dieu passe, c'est pour guérir et pardonner.

10-14. Les jours passent bien monotones. On entend le canon mais on ne sait rien des résultats. J'ai des loisirs forcés pour mettre bien des notes au courant.

Je reçois des nouvelles de La Capelle par le jeune Girardin qui y est allé courageusement en bicyclette. 106 Bonnes nouvelles des miens. Mon frère est là très occupé. Ils ont l'ennemi depuis le 27 août. De mes petits neveux, nouvelles favorables jusqu'au 30 août et 19 août. La Capelle n'a pas souffert, mais le Nouvion!! et Guise! Les Français sont à Hirson (pour quelques heures seulement).

15. Il y a encore de mauvais jours. Anvers est pris. L'armée assié­geante devient libre et descend vers la France. Lille est pris.

Pourquoi la France s'est-elle privée de tous ses paratonnerres? Elle était riche en œuvres réparatrices qui apaisaient la justice divine. Elle a expulsé toutes ces victimes rédemptrices. Ces saintes âmes offrent quand même leurs prières et leurs sacrifices pour la France au-delà de la frontière. 107 Dieu en tiendra compte, mais ce sera plus long.

Je relis dans un auteur protestant une belle page sur le rôle des monastères: «L'institution des monastères et la vie ascétique, choses égoïstes en apparence et qui ne semblent avoir pour elles que la poéti­que beauté de l'inutile, trouvent leur justification sociale et humaine dans le service rendu à autrui d'être saints pour ceux qui sont pécheurs, de sacrifier à Dieu, en expiation des vices et des crimes du monde, l'infatigable oraison d'un cœur que la charité consume, les tourments volontaires, les privations et les souffrances d'un corps exté­nué» (Stapfer, doyen de la faculté des lettres à Bordeaux, dans son livre «Bossuet et A. Monod», p. 401) . 108

Le 17, fête de la B.se Marguerite Marie. Consécration de l'église du Voeu national à Montmartre. Messe et instruction au couvent. Au ciel, la Ste Vierge Marie, St Michel et Marguerite Marie présentent au S.­Cœur la basilique qu'il a demandée. A Montmartre, l'épiscopat et le peuple représentant la France dévouée et pénitente (Gallia paenitens et devota) offrent aussi à N.-S. cette église qu'il a voulue. La consécration nationale est renouvelée. Nous nous y unissons. N.-S. tiendra compte de ce grand acte et hâtera le jour du pardon et de la miséricorde.

J'apprends la mort d'un grand chrétien, Albert de Mun. Je 109 pouvais le tenir pour un ami, j'ai eu de si bons rapports avec lui. Les émotions causées par nos épreuves l'ont tué. Il sera bientôt au ciel et il priera pour nous.

Le 18, visite à Fayet. La maison n'a pas trop souffert, mais là comme ici on endure des angoisses morales incessantes. Sur le chemin, des tranchées, des caissons anglais renversés avec leurs boulets.

Un nouveau fléau s'ajoute à la guerre et à la faim dont souffre le peuple, c'est le typhus qui commence à envahir nos ambulances. On en compte déjà 150 cas à St-Quentin. A peste, fame et bello, libera nos, Domine.

Un infirmier allemand nous apporte le typhus dans la maison. Qu'en résultera-t-il? 110

Quelques curés, des maires et des adjoints ont déserté leur poste. Les députés sont allés jouir du beau climat du midi. Tout cela est peu courageux. Nos prêtres ont pris peur en lisant au commencement de la guerre que les Allemands avaient fusillé quelques prêtres en Alsace­-Lorraine et en Belgique.

18-25. Journées monotones et sans nouvelles. Il semble cependant que la Providence nous achemine doucement vers la délivrance. Patience et prière.

Notre maison du S.-Cœur est comme l'hôtellerie des religieux alle­mands qui viennent faire les fonctions d'aumôniers ou d'infirmiers. Nous avons eu des franciscains, un oblat de Marie, un Père de Picpus. Ils sont de la Westphalie ou du pays rhénan. Ils connaissent notre mai­son 111 de Sittard et quelques-uns de nos Pères. Ils nous édifient par leur piété. Leur mentalité diffère de la nôtre. Ils n'ont pas pour les guider la confiance surnaturelle que nous avons dans la mission de la France.

Que de passages de troupes! Ce sont des défilés interminables. Elles allaient vers Paris, elles reviennent maintenant. Nos radicaux n'aiment pas les processions, ils ont empêché celles du Bon Dieu, ils en voient bien d'autres maintenant.

Propos d'enfer. La guerre rassemble beaucoup à l'enfer. C'est une explosion quotidienne de colère, de haine et de rage. On désire voir les ennemis tués ou blessés, leurs villes et bourgades mises à feu et à sang. On n'a pas de qualificatifs assez violents 112 pour caractériser les ennemis. Ce sont des barbares, des bêtes fauves, des monstres. On commet toutes les violences. On exprime les sentiments les plus hai­neux: «Nous serons vaincus, dit un Allemand, mais nous le ferons payer cher». «Nous serons battus, dit un autre, nous partirons, mais nous détruirons tout, nous ne vous laisserons que vos yeux pour pleu­rer…».

Les hôpitaux se remplissent de blessés et de malades, qui souffrent, qui gémissent, qui pleurent comme des damnés. La guerre est un châ­timent divin, elle donne une idée de l'enfer.

2 nov. Les paroisses font la procession au Cimetière. La guerre nous apporte cette liberté. Nos radicaux avaient supprimé les processions, Dieu leur 113 en fait voir à satiété. Il en passe journellement dans nos rues des processions d'infanterie, de cavallerie, d'artillerie. Dieu punit au centuple les injures qu'on lui fait.

- N.-S. m'a conservé ma mission malgré toutes mes fautes. J'en trou­ve l'explication dans ces notes d'une mystique contemporaine, Marg. Marie Doëns: «N.-S. semble avoir pour certaines âmes des faiblesses d'amour. Je ne puis m'expliquer autrement cette prédilection de N.-S. pour certaines âmes. On dirait qu'il les veut aimer en dépit de tout. Leur faiblesse, leurs misères, leurs chutes, leur ignorance, rien ne l'arrête. C'est à croire qu'il les aime pour le plaisir de les aimer…». 114

Nous autres, prêtres et réparateurs, avons une grande part de responsabilité dans les épreuves actuelles. Humilions-nous. Deman­dons à N.-S. pardon et miséricorde. Je lis dans la vie de Sr Marguerite Marie Doëns: «Ses écrits nous apprennent qu'elle fut amenée à confier au R. P. Abbé (Dom Romain) les plaintes de N.-S. au sujet des âmes qui lui sont consacrées. Après lui avoir dit, comme à la B.se Marguerite Marie, que «leurs fautes faisaient douloureusement saigner la plaie de son Cœur», Jésus avait daigné ajouter «qu'il était prêt à employer les industries de son amour pour arrêter ces âmes si chères, quand il les voyait s'engager dans la mauvaise voie»». Convaincue que si les prêtres et les religieux étaient à la hauteur de leur vocation, 115 le monde serait sauvé, Sr Marguerite Marie n'hésite pas à écrire à Dom Romain: «En voyant le mal monter toujours, il est permis de penser que les digues opposées à ce torrent dévastateur sont devenues impuissantes et peut-être par leur faute». Elle dit aussi: «Une grave responsabilité pèse sur toute âme appelée et choisie pour suivre le divin Maître dans cette voie du sacrifice et de l'immolation, qui peut seule contrebalan­cer les effets de la justice divine. On n'y songe peut-être pas assez et le triomphe du bien reste à venir…».

C'est bien le cas de notre Congrégation. Je m'en humilie et je demande pardon à Dieu pour toutes nos insuffisances.

On prie. Les églises ne désemplissent 116 pas à St-Quentin. On compte 500 communions par jour à la Basilique et 200 ou 300 dans chaque faubourg. Espérons que la miséricorde divine ne tardera plus beaucoup.

Je reçois une lettre du P. Wolf. Il remplace un curé en Westphalie. L'union se refera vite avec nos religieux allemands après la guerre. Mais quels désastres je puis attendre: des morts, des maisons ruinées et nos missions!!!

Je reçois quelques bonnes visites: M. Arrachart souvent, M. Jour­dain, M. Desjardins, M. Fleury, M. Maréchal et même M. Hugues. On a besoin de s'encourager et de se soutenir…

En lisant la vie de la pieuse bénédictine Marguerite Marie Doëns, je me sens plus 117 ardemment porté vers l'Eucharistie. N.-S. s'est choisi de notre temps des âmes eucharistiques pour le consoler de l'indiffé­rence des hommes. C'est dans l'Eucharistie qu'il veut surtout être ho­noré et aimé. Le culte du S.-Cœur est uni à celui de l'Eucharistie. Marguerite Marie Doëns disait: «Allons à Jésus et à son Cœur dans l'Eucharistie. Le chercher dans le souvenir de sa vie passagère, c'est bien loin derrière nous; au ciel, c'est bien haut parfois. Le Cœur de Jésus l'a compris et a voulu rester à notre portée pour que toujours et à toute heure nous puissions nous jeter en lui et, avec nous, le pesant fardeau de nos souffrances, ennuis et misères…». 118

Je donne quelques soins à mon jardin. Cela ne m'éloigne pas de Dieu, au contraire. Je vois dans la nature un reflet de sa beauté. St Benoît, St Bernard, choisissaient pour leurs monastères de beaux hori­zons, des sites imposants. Les enfants de St François eux-mêmes se campent auprès des villes sur des collines qui dominent le paysage. C'est surtout sensible en Italie.

Bonum mihi quia humiliasti me ut discam justificationes tuas… C'est pour mon bien, Seigneur, que vous m'avez humilié afin que je revien­ne à votre loi (Ps. 118,71) .

La France doit redire cette humble confession et méditer cet acte d'humilité. Humiliée en 1871, elle était revenue à Dieu, mais après quelques années elle a oublié ses 119 bonnes résolutions et elle est devenue la proie et la honteuse servante des franc-maçons et des Juifs. Humiliée de nouveau aujourd'hui, elle reviendra à Dieu, elle recourra au Sacré-Cœur et retrouvera sa belle mission.

Toutes les nations appartiennent au Christ, il est le Roi des rois et le Maître des maîtres; mais la France lui appartient tout particulière­ment, elle a une mission analogue à celle de la tribu de Juda.

Les républiques d'Italie ont bien proclamé cette royauté du Christ. En 1527, Florence déclara solennellement élire pour Roi Jésus-Christ et pour Reine la Vierge Marie. Le gonfalonier Nicolas Capponi fit gra­ver l'Hostie rayonnante avec le monogramme du Christ 120 au dessus de la porte du Palais-Vieux avec cette inscription qu'on y lit encore: Christo Regi suo Domino dominantium Deo summo Opt. Max. Liberatori Mariaeque Virgini Reginae dicavit. An. Sal. M.LD.XXVII. S.P.Q.F.

Pour la France, N.-S. s'en est déclaré lui-même le Roi. Il le rappelait en 1843 à sa pieuse servante Marie Lataste: «Le premier Roi, le pre­mier souverain de la France, c'est moi. Je suis le maître de tous les peu­ples, de toutes les nations, de tous les royaumes, de tous les empires, de toutes les dominations; je suis particulièrement le Maître de la France… J'ai choisi la France pour la donner à mon Eglise comme sa fille de prédilection… France, combien tu es ingénieuse pour irriter et pour calmer la justice de Dieu! 121 Si tes crimes font tomber sur toi les châtiments du ciel, ta vertu de charité criera vers le ciel: miséricor­de et pitié, Seigneur! ».

C'était la promesse prophétique de St Remy à Clovis la veille de son baptême: «Apprenez, mon fils, que le royaume de France est prédes­tiné par Dieu à la défense de l'Eglise romaine. Ce royaume sera un jour grand entre tous les royaumes de la terre… Il durera jusqu'à la fin des temps; il sera victorieux et prospère tant qu'il restera fidèle à la foi romaine; mais il sera rudement châtié toutes les fois qu'il sera infidèle à sa vocation». Ces paroles sont rapportées par le grand archevêque Hincmar23) au neuvième siècle.

Il faut en rapprocher la belle lettre de Grégoire IX à St Louis: 122 «Le Fils de Dieu, souverain maître du monde, a établi sur la terre tous les royaumes. Mais, comme autrefois entre les tribus d'Israël, la tribu de Juda reçut des privilèges tout particuliers, ainsi le royaume de France a été distingué entre tous les peuples de la terre par un privilè­ge d'honneur et de grâce… De même que la tribu de Juda n'imita jamais les autres dans leur apostasie, de même le royaume de France ne put jamais être ébranlé dans son dévouement à Dieu et à l'Eglise. Il est donc manifeste que ce royaume béni de Dieu a été choisi par notre Rédempteur pour être l'exécuteur spécial de ses diverses volontés. Jésus-Christ l'a pris en sa possession comme un carquois, d'où il tire fréquemment des flèches choisies, 123 qu'il lance avec la force irrésis­tible de son bras, pour la protection de la liberté et de la foi de l'Eglise, le châtiment des impies et la défense de la justice».

Joseph de Maistre, dont l'instinct prophétique est surprenant, a dit: «Il n'y a qu'à ouvrir l'histoire pour voir que le châtiment envoyé à la France, quand elle est coupable envers Dieu ou l'Eglise, sort de toutes les règles ordinaires, et que la protection accordée à la France en sort aussi… La France a une vocation spéciale. Nous sommes fondés à croi­re que sa suprématie produira un jour plus de bien qu'elle n'a causé de mal, et c'est beaucoup dire… Je ne puis me détacher de mon idée fixe et constante que tout ce que nous voyons (en 1807), n'est qu'un 124 avant-propos terrible, et que nous verrons un jour des événe­ments aussi extraordinaires dans le bien que ceux que nous voyons aujourd'hui dans le mal».

St François de Sales lui-même, dans son oraison funèbre du duc de Mercœur, rapporte une croyance prophétique à une grande destinée de la France: «Plusieurs estiment, dit-il, que ce sera un de vos rois, ô France, qui donnera le dernier coup de la ruine à la tête de ce grand imposteur Mahomet» (Voir Chauffard: Prophéties, p. 497).

Tout homme doit aimer sa patrie, comme une extension de la famille et une part du domaine terrestre que Dieu a donné à sa race. Le Sauveur a aimé sa patrie, il pleurait sur les malheurs de Jérusalem. 125 Les Français peuvent aimer particulièrement leur patrie, comme la Fille aînée de l'Eglise, selon le langage courant des Papes, et comme le Royaume de Marie.

Regnum Galliae, rgnum Mariae. C'est le grand Pape Benoît XIV qui l'a dit: «La France ne périra pas, numquam peribit, parce qu'elle est le royaume de Marie».

A La Salette, à Lourdes, à Pontmain, Marie est venue pour nous convertir et pour préparer notre relèvement.

Nos rois ont consacré la France à Marie, elle ne la laissera pas périr. N.-S. a dit à Marie Lataste: «Ma Mère a un droit spécial sur la France qui lui est consacrée, et par ce droit 126 elle arrête le bras courroucé de Dieu».

Je relis la vie de Thérèse Durnerin. Elle aimait à visiter les mysti­ques, les stigmatisées contemporaines: Marie Julie à La Fraudais (Nantes), Louise Nerbolier à Diemoz (Grenoble), Marie Martil à Tilly, la Soeur M.R. de Paris… Elle nous annonce de terribles fléaux: «Des calamités formidables vont s'abattre sur la France et sur l'Eglise, la ter­re entière sera désolée par des plaies… Nous sommes à une heure solennelle où des multitudes vont passer au tribunal de Dieu. Bien plus des deux tiers du genre humain disparaîtrons. Il importe donc de nous préparer tous à la mort… Il faut qu'on fasse pénitence, de grands malheurs sont proches. Il importe au plus 127 tôt que chacun fléchis­se la justice de Dieu, car des calamités sociales, nationales, universelles, vont s'appesantir sur l'humanité coupable… Nul couvent ne sera respecté. Les religieux et les prêtres, traqués comme des bêtes fauves, ne sauront où se réfugier; les sanctuaires seront désolés, souillés par le sang qui coulera en ruisseaux sur les dalles du lieu saint. L'abomi­nation de la désolation sera au comble, telle qu'on n'en a jamais vu de semblable et qu'on n'en reverra pas avant les derniers temps. On se croira à la fin du monde, en voyant les hommes s'entre-détruire sur la terre comme les damnés se torturent en enfer…». Elle ajoutait: «Le jour des châtiments est proche, hâtons-128 nous d'apaiser la colère divine en nous convertissant…». Les châtiments seront adoucis et les fléaux attenués, parce que le peuple commence à prier, parce qu'il y a des âmes victimes qui s'offrent partout pour la réparation et l'expia­tion.

Dimanche 8. Les Allemands ont une grand-messe à 9 h. à la Basilique. Les protestants ont un office aux Champs Elysées. Ils prient comme peuple et guidés par leurs chefs. C'est ce qui nous manque. Quand aurons-nous un gouvernement qui s'incline devant Dieu?

Je reçois une lettre de Bologne24), après 70 jours de séparation du monde entier. Il y a quelques nouvelles. Le Pape nous bénit. Nos Italiens se tirent d'affaire. Le Fr. Rattaire25) est blessé. 129

J'ai relu la vie d'O'Connel. Quelle carrière superbe! Celui-là était un homme! Gladstone a dit de lui: «Comme conducteur d'hommes, il a été non seulement le plus grand de son temps, mais il aurait pu sou­tenir la comparaison avec les plus grands conducteurs d'hommes con­nus dans l'histoire». Il tenait tout un peuple dans la main. Il attirait à lui des meetings d'un million d'hommes. On l'appelait «le roi sans couronne de l'Irlande». Il a conquis l'émancipation catholique de son peuple et préparé sa libération civile.

Les catholiques d'Europe, insultés et sacrifiés partout au milieu des luttes de la Révolution 130 continentale, ont tressailli au cri d'O'Con­nel, qui leur montrait le chemin de la victoire, et ils n'ont pas su le sui­vre!

Nous avons eu Veuillot, Lacordaire, Montalembert, Ozanam, Ber­ryer26), les quatre ensemble n'ont pas fait ce qu'a fait O'Connel. O Dieu! envoyez-nous un homme qui flagelle et fasse reculer nos vils oppresseurs, que suit une masse inconsciente, trompée, matérialisée et enjuivée!

La plus étonnante des mystiques de notre temps, Sr Gertrude Marie d'Angers, a des pages qui font frémir sur les périls que court la pauvre France, mais elle a aussi des paroles d'espérance… Les périls d'abord.

I. «Lorsque Jésus m'eut présentée à toute la cour céleste, 131 je lui dis: «Jésus, voulez-vous bien maintenant que nous visitions vos autres royaumes: le Purgatoire et la terre?». Après avoir jeté un coup d'oeil sur ce dernier, il détourna immédiatement son regard et son visage devint triste. Je le priai encore. A ma prière, il regarda de nouveau et se détourna comme il avait fait la première fois. Ceci dura un peu de temps. A ma prière souvent réitérée, Jésus se tournait chaque fois vers notre pauvre France, mais son visage devenait de plus en plus triste, comme si la douleur l'eut oppressé toujours davantage…».

II. Une autre fois. «Pendant la messe, j'ai vu un vaisseau ballotté par les vents et qui déjà commençait à sombrer. J'ai cru comprendre 132 que ce vaisseau représentait l'Eglise de France. Il y a des saints dans ce vaisseau; mais peut-être pas en nombre suffisant pour apaiser la colère du Bon Dieu. Nous devons prier pour en accroître le nombre, afin que le Bon Dieu se laisse toucher et que ce vaisseau tant aimé du Père cé­leste se relève et vogue à pleines voiles…».

III. Et encore: «Comme je priais tout particulièrement pour notre pauvre France, je vis la Sainte Humanité du Sauveur. Je ne vous dirai pas comment je la vis, car tout mon regard intérieur se porta sur le bras gauche du Sauveur qui se détachait de son Corps et cela par une plaie horrible. Oh! il me semble encore la voir et je frissonne quand j'y pense. Voici ce que Jésus m'a 133 fait comprendre: l'Eglise est son Corps mystique, le bras gauche représente la France qui est bien mala­de, la France qui, par ses crimes, se détache du corps de l'Eglise. Oh! s'il était donné à quelques âmes de voir la plaie que j'ai vue, s'il leur était donné de comprendre un peu les douleurs de Jésus, comme elles prieraient et se sacrifieraient pour rattacher, pour réunir au corps ce pauvre bras qui ne tient plus guère et qui occasionne au Christ de si grandes souffrances! Que les âmes cachées et vraiment aimantes et généreuses se multiplient dans notre pauvre France pour lui obtenir miséricorde! ».

Ces images ne sont-elles pas effrayantes? Les moyens de salut:

I. Gertrude Marie s'est offerte en victime pour 134 la France. Elle écrit à son directeur: «J'éprouvais un tel besoin de me sacrifier pour l'Eglise, pour la France, qu'après avoir obtenu votre permission, je priai N.-S. d'accepter le soir même le sacrifice de ma vie. Je fis cet acte, je crois, avec la plus grande pureté d'intention, avec le plus grand détachement, espérant, comptant même être exaucée au gré de mes désirs. Vers neuf heures du soir, le divin Maître m'apparut, tenant dans ses mains une couronne d'épines et une couronne d'or. Il me dit: «Si tu meurs aujourd'hui, comme tu le désires, tu m'ôteras la couronne d'épines; si tu restes encore sur la terre à souffrir, tu me donneras la couronne d'or, c'est à dire que tu m'établiras Roi des âmes: tu me don­neras des sujets sur lesquels je règnerai»». 135 C'est ce règne que nous attendons.

II. Il faut des autels, des tabernacles, où la Victime divine s'offrira pour le salut de la France. N.-S. se choisira des tabernacles vivants. N.-S. promet à Gertrude Marie de demeurer en son cœur d'une com­munion à l'autre, comme dans un tabernacle vivant. «C'est, lui dit-il, pour t'aider à réparer». Mais une seule âme réparatrice ne suffirait pas. Gertrude Marie ajoute: «N.-S. va se choisir dans la France des âmes qui seront ainsi ses tabernacles. Il m'en a fait connaître deux: le premier est dans le monde… le second est une jeune fille choisie par la Très Sainte Vierge à cause de sa grande pureté, et comme elle me parait puissante en faveur de sa ville 136 coupable (Paris ou Lyon)… Ces âmes seront prêtres et victimes avec Jésus Prêtre et Victime. Ce sera le saint sacrifice de la messe se perpétuant dans les âmes. Les unes, réparatrices seulement, offriront sans cesse Jésus et s'offriront avec Lui. Elles se communieront elles-mêmes autant qu'elles voudront, puisqu'elles auront toujours en elles le Dieu de l'Eucharistie. Elles seront prêtres pour offrir la divine Victime. Les autres offriront de même Jésus et se communieront, mais aussi elles communieront les autres âmes. Elles seront prêtres pour donner Jésus… Elles porteront Jésus, et les âmes seront sanctifiées par cette présence réelle…».

III. N.-S. veut douze vierges-apôtres pour renouveler la France. C'était le 19 avril 1907. N.-S. lui 137 dit: «Parmi mes épouses de France, j'en choisis douze aujourd'hui et je veux que tu sois de ce nombre. Ces vierges formeront la Garde d'honneur de mon divin Cœur. 1° Elles devront lui tenir fidèle compagnie; 2° elles devront par­tager ses tristesses; 3° elles devront intercéder en faveur des pauvres pécheurs; 4° et je me communiquerai à elles, ajoutait le bon Sauveur.

Voici ce que Jésus demande de nous: 1 ° faire toutes nos actions en union avec le Cœur de Jésus; 2° endurer toutes nos souffrances en union avec le Cœur de Jésus; 3° prier beaucoup pour les pauvres pécheurs et surtout pour ceux de la France; 4° être dans la disposition de recevoir de N.-S. tout ce qu'il lui plaira de nous envoyer: peines, tri­bulations, joies ou consolations». 138 N.-S.assignait à chacune deux heures par jour, une heure de jour et une heure de nuit, pour intercé­der pour les pauvres pécheurs.

Seigneur, permettez que je m'unisse à ces saintes âmes et agréez mon holocauste spécial le matin de 6 h. à 7 h. et le soir également de 6 h. à7 h.

Après cela, quand N.-S. sera prêt à frapper, Gertrude Marie pourra lui dire: «Seigneur, regardez vos saints», et son bras sera arrêté. «Je parlai à Jésus, dit Gertrude, de son Eglise, de notre pauvre France. Je le suppliai par Marie d'avoir pitié de nous; le divin Maître me répon­dit: «J'ai été bien des fois sur le point de châtier mon peuple, mais quand je regarde 139 mes saints, je ne peux plus punir»». - «Bien sou­vent, ajoute Gertrude, je dirai à N.-S.: «Regardez vos saints et faites­-nous miséricorde»; et au Père Eternel: «Père, regardez votre Fils Jésus, le Saint des saints, et faites-nous miséricorde»».

Comme N.-S. est bon! Pour sauver la France, il lui faut des âmes réparatrices, il les suscite et les forme lui-même!

Pour l'église, nos espérances sont également justifiées. Elle passe par de grandes épreuves. En 1907, N.-S. disait à Gertrude Marie: «Prie, oh! prie, ma fille». Il insistait sur la prière pour l'église, menacée de nouveaux malheurs. «N.-S. subit en ce moment de profondes tristesses, disait Gertrude. 140 Dans la soirée, je l'ai vu, ce bien-aimé Sauveur, se pencher vers les âmes fidèles. Il semblait demander à chacune d'elles la consolation dont son Cœur a besoin. Il faut présentement des âmes consolatrices, des âmes réparatrices, il faut des victimes, avec la grande Victime du Calvaire».

Mais Gertrude a vu clairement le prochain triomphe de l'église (p. 303). «J'ai vu dans un avenir prochain, dit-elle, le triomphe de l'église. Oh! qu'il sera beau! Comme il y aura des saints! Mais auparavant il faut des victimes. Ce sera alors le Règne du S.-Cœur. Oh! cela m'a réjouie et me réjouira toujours. Je voudrais pour ma part contribuer à l'extension du règne de ce divin Cœur! Il y a longtemps que je le demande dans mes 141 prières et dans mes communions. «Nous ne demandons pas assez», m'a dit N.-S., et je l'ai vu, ce bon Sauveur, les mains remplies de grâces; il est prêt à les répandre, il attend que nous les lui demandions. Je lui ai demandé des saints… Après la persécu­tion, l'église sera très florissante…».

Ces lectures me valent une retraite. L'épreuve rapproche de Dieu et l'isolement supprime bien des lectures et des relations inutiles. N.-S. m'aide à resserrer mon union avec Lui, que j'avais trop laissée s'affai­blir.

Sacrilèges

Les Allemands protestants ont commis près de nous d'horribles sacrilèges. A l'église de Vermand, ils ont renversé l'autel, forcé le taber­nacle et jeté à terre les 142 saintes Hosties. Elles ont été relevées par le chantre, en l'absence du doyen. Dieu punira de pareilles horreurs.

L'histoire de la Médaille miraculeuse par M. Aladel27) est en même temps une histoire des interventions de la Sainte-Vierge pour le salut de la France depuis un siècle.

C'est le 21 avril 1830 que la Vén. Catherine Labouré eut sa premiè­re vision prophétique. Elle priait à la chapelle du noviciat: «Je deman­dais à St Vincent, dit-elle, toutes les grâces qui m'étaient nécessaires, et aussi pour les deux familles et pour la France toute entière». Le cœur de St Vincent de Paul se manifesta à elle trois jours de suite au dessus de la chasse du saint. Le premier 143 jour il est blanc et couleur de chair, elle comprend que cela manifeste la paix, le calme, l'innocence et l'union. Ce sont les grâces qu'elle recevra. Le second jour il est cou­leur de feu, symbole de la charité que sa famille religieuse répandra dans les cœurs. Le troisième jour, il est rouge-noir en signe de tristesse pour les prochaines épreuves de la France.

La pieuse Soeur aimait chrétiennement sa patrie. Elle écrivait dans ses résolutions: «O Marie, conçue sans péché, priez pour nous. Daignez jeter un coup d'oeil favorable sur le monde entier et particu­lièrement sur la France». Elle pleurait en 1871, au moment de nos désastres nationaux. 144

C'est au 18 juillet 1830, qu'elle reçoit de la Ste Vierge sa grande mission de propager la médaille miraculeuse. La Ste Vierge lui dit: «Mon enfant, les temps sont très mauvais; des malheurs vont fondre sur la France; le trône sera renversé, le monde entier sera bouleversé par des malheurs de toute sorte… Un moment viendra où le danger sera grand; on croira tout perdu; mais je serai avec vous, ayez confian­ce. Vous reconnaîtrez la protection de Dieu et celle de St Vincent sur les deux communautés… Il y aura des victimes dans d'autres commu­nautés. Mgr l'archevêque mourra. (La Ste Vierge pleurait)… Mon enfant, la croix sera méprisée, on la jettera par terre, on ouvrira de nouveau le côté de N.-S.; les rues seront pleines de sang, 145 le mon­de entier sera dans la tristesse». Soeur Catherine pensait: «Quand cela arrivera-t-il?». Une lumière intérieure lui indiqua quarante ans. Elle écrivit dans ses notes: «Quarante ans, puis dix, et après, la paix».

Quarante ans, cela annonçait la grande date de 1870-71. Puis dix, ce sont les dix années de paix relative, de 1871 à 1880, jusqu'au cinquan­tenaire de l'apparition. En 1880 commence une nouvelle période de tristesse, et après, la paix. Cet après est indéterminé. Il dure déjà depuis 34 ans. Mais la paix viendra. La Ste Vierge reprit: «De grands malheurs viendront, mais ne craignez pas. Dieu vous protègera». 146

Au mois de novembre 1830, nouvelle vision, c'est la demande de la Médaille. C'est la Vierge immaculée. Des rayons descendent de ses mains sur le globe terrestre et en particulier sur la France. C'est un symbole de grâces.

Quand elle fait faire la Médaille, elle s'écrie: «Oh! qu'il sera beau d'entendre dire: «Marie est la reine de l'univers et particulièrement de la France! » ».

On sait comment la médaille se répandit partout en semant partout les miracles. C'était le prélude de Lourdes. Nos soldats aimaient cette médaille et la reçurent dans les guerres de Crimée et d'Italie. Ceux d'aujourd'hui la réclament aussi. Il y eut dans l'armée bien des grâces de salut et de conversion. 147

En 1836, nouvelle intervention de la Vierge Immaculée. M. Desge­nettes28), curé de N.-D. des Victoires, entend à la messe ces paroles: «Consacre ta paroisse au très saint et immaculé Cœur de Marie». Il créa la confrérie du Saint-Cœur de Marie, et elle s'étendit bientôt à toute la France et au monde entier.

Le 20 janvier 1842, c'est l'apparition de Marie à M. de Ratisbonne à Rome. La conversion de ce juif français était due à la médaille miracu­leuse.

Au 19 sept. 1846, La Salette. La Sainte-Vierge pleure sur les fautes de la France, mais son appel suscitera des œuvres réparatrices qui pré­pareront le salut. 148

En 1847, M. Etienne obtient de Pie IX l'érection de l'archiconfrérie des Enfants de Marie, qui avait été demandée par Marie elle-même à Catherine Labouré. C'est le salut pour des millions de jeunes filles.

Pie IX aimait paternellement la pauvre France. On sait la belle priè­re qu'il récitait tous les jours: «O Marie, conçue sans péché, regardez la France, priez pour la France, sauvez la France! Plus elle est coupa­ble, plus elle a besoin de votre intercession. Un mot à Jésus reposant sur vos bras, et la France est sauvée. O Jésus, obéissant à Marie, sauvez la France! ».

Il savait que le grand mouvement qui avait amené la définition de l'Immaculée Conception 149 en 1854 était parti de la France.

En 1858, c'est encore la France qui a la grâce de la visite de la Très Sainte Vierge à Lourdes. Marie a demandé des processions, elles n'ont pas manqué. Elle a commencé à Lourdes un apostolat qui finira par convertir toute la France.

En 1871, c'est Pontmain29): «Priez, disait Marie, mon Fils se laisse tou­cher». Marie nous redit ces paroles de paix et de pardon aujourd'hui.

Le 14 fév. 1876, nouvelle manifestation à Pellevoisin30). Marie se plaint de nos résistances et finit quand même par une parole d'espé­rance: «Que n'ai-je pas fait pour la France?, dit-elle. Que d'avertisse­ments! Et pourtant 150 elle refuse d'entendre. Je ne peux plus retenir mon Fils. La France souffrira… Courage et confiance. Je suis venue particulièrement pour la conversion des pécheurs. Qu'ils prient, je leur en donne l'exemple. Le Cœur de mon Fils a tant d'amour pour le mien, qu'il ne peut refuser mes demandes. Qu'ils prient et qu'ils aient confiance».

En 1877, Marie apparaît à des jeunes filles en Pologne allemande à Gieterzwald: «Je suis l'Immaculée Conception», dit-elle. Elle recom­mande la récitation du Rosaire et exhorte à la prière et à la confiance dans les épreuves qui viendront encore.

Dans ces dernières années, c'est Tilly où la Ste Vierge demande encore la prière et encourage à la confiance. 151

Nos vieux sanctuaires ont retrouvé leur vitalité et repris une nouvel­le physionomie: tels N.-D. de Fourvières, de la Garde, de Rocamadour, de la Treille, d'Albert, de Boulogne, de Liesse, de Buglose… Prions et ayons confiance.

Le P. Huguet cite cette prophétie: «Dans une communication sur­naturelle, le 31 octobre 1872, Notre-Seigneur dit à une fervente reli­gieuse de Saint Dominique ces paroles: «Les ennemis de l'Eglise ont beau faire, c'est en vain, elle demeurera belle et invincible». Et lui montrant son Cœur adorable, il lui dit: «De là sortiront encore pour la France la grâce et la paix»» (Voies prophétiques, 5e éd. t. 2, p. 536).

La prédiction de N.-S. à la Mère Marie de Jésus est très connue: 152 «Je prépare toutes choses: la France sera consacrée à mon divin Cœur; et toute la terre se ressentira des bénédictions que je répandrai sur elle. La foi et la religion refleuriront en France par la dévotion à mon divin Cœur». - Seigneur, faites vite, nous périssons.

Je lis encore dans le P. Huguet (Neuvaine au Cœur miséricordieux) ces paroles encourageantes: «Le Christ aime encore les Francs, malgré tous leurs égarements».

A la veille des grandes tribulations qui devaient bouleverser notre patrie, le Sauveur a laissé tomber un regard de miséricorde sur la fille aînée de l'Eglise et c'est au milieu d'elle qu'il a voulu d'abord établir la dévotion à son Sacré-Cœur. C'est sur la terre de France qu'elle a germé, c'est sur 153 son sol qu'elle s'est développée et a grandi rapi­dement, c'est là qu'elle s'est maintenue constamment plus florissante que partout ailleurs. Si elle s'est répandue au dehors, c'est au zèle de nos ouvriers évangéliques qu'elle en est redevable, c'est la parole de nos prédicateurs, ce sont les livres de nos écrivains qui l'ont faite con­naître et goûter au loin; ce sont les travaux de nos missionnaires qui l'ont transplantée jusqu'aux extrémités de la terre et acclimatée sous toutes les latitudes.

L'Apostolat de la Prière, l'Heure sainte, la Garde d'honneur, l'Ado­ration réparatrice, les Congrégations des Dames et des Prêtres du S.­Cœur sont des œuvres françaises. Les progrès liturgiques de cette dévotion sont dus en 154 grande partie aux sollicitations de nos prin­ces et de nos évêques. C'est l'épiscopat français qui obtint de Pie IX en 1856 que la fête du S.-Cœur fût célébrée dans le monde entier. N.-S. ne peut pas se démentir. N'a-t-il pas promis sa bénédiction à ceux qui travailleraient à la gloire de S.-Cœur? Marguerite Marie écrivait le 23 février 1689: «Ah! que de bonheur pour ceux qui contribuent à faire connaître, aimer et glorifier cet unique amour de nos cœurs! Car ils s'attirent par là l'amitié et les bénédictions éternelles de cet aimable Cœur de Jésus et un puissant protecteur pour notre patrie». 155

17 nov. Deo gratias! Le P. Joseph31) nous arrive de Quévy et m'apporte de bonnes nouvelles de toutes nos maisons de Belgique. Toutes les maisons et leurs habitants sont indemnes. Le S.-Cœur n'avait-il pas promis de protéger les maisons où il serait honoré?

La Mère Thérèse de Jésus de Lavour a eu aussi des vues sur les épreuves présentes, et spécialement sur les épreuves de l'Eglise et du clergé. N.-S. lui disait: «Le temps de ma justice est arrivé; déjà je suis levé et je viens pour venger mon Epouse Immaculée des outrages que lui font quelques enfants dénaturés… Mais avant que d'exercer ma vengeance, 156 je veux poser les fondements de mon œuvre dans des âmes que mon amour gardera. Cachés pendant la tourmente, mais sûrement protégés, ces fondements s'élèveront ensuite et sur eux je bâtirai mon édifice vivant». (Il s'agit de prêtres réparateurs voués au Cœur eucharistique de Jésus). Elle ajoutait: «La vue du châtiment me glaçait d'épouvante; mais celle du bien que Jésus en tirera pour les âmes et la gloire qui lui en reviendra, me fortifiaient et me faisaient même désirer l'épreuve qui doit préparer les voies au règne du Cœur eucharistique et rendre Jésus vainqueur».

A l'occasion de l'achèvement de Montmartre, la France renouvelle 157 son voeu, qui est un gage de délivrance; je m'y unis et je le copie ici:

Voeu national au Sacré-Cœur de Jésus pour obtenir la délivrance du Souverain Pontife et le salut de la France: «En présence des malheurs qui désolent la France, et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore; en présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l'Eglise et du Saint-Siège et contre la person­ne sacrée du Vicaire de Jésus-Christ; nous nous humilions devant Dieu, et réunissant dans notre amour l'Eglise et notre patrie, nous recon­naissons que nous avons été coupables et justement châtiés. Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l'infinie miséri­corde du Sacré-Cœur 158 de N.-S. J.-C. le pardon de nos fautes, ainsi que les secours extraordinaires qui peuvent seuls délivrer le Souverain Pontife de sa captivité, et faire cesser les malheurs de la France, nous offrons au Sacré-Cœur le sanctuaire qu'il a demandé…».

Le beau discours du P. Monsabré à Notre-Dame sur le Voeu national au 14 avril 1872, est plein d'encouragements. «Oui, le Christ aime les Francs, dit-il… Il les a abreuvés de gloires: gloire de la législation, de la magistrature et des armes; gloire de la science, des lettres et des arts; gloire du dévouement, de l'apostolat et de la sainteté. Le Christ aime les Francs; plusieurs fois il les a retirés du péril de mort. Talbiec, Poitiers, Bouvines, Orléans, Denain, sont des noms de salut plus enco­re que des noms de gloire. Quand 159 la valeur des hommes ne répondait pas aux dessins miséricordieux de notre divin ami, oh! bien il faisait des miracles. Il prenait une enfant des champs et l'envoyait «recouvrer le beau royaume de France pour lequel ni rois, ni ducs, ni fille de roi ne pouvaient plus rien»; c'était au nom de messire Jésus-­Christ que la bergère Jeanne d'Arc ordonnait aux Anglais de déguer­pir. Le Christ aime les Francs; il n'a pas permis qu'ils fussent détachés, comme tant d'autres peuples, du corps de son Eglise par le schisme et l'hérésie, et à l'heure où les autels renversés gisaient près d'un trône treize fois séculaire, il a envoyé pour les relever le plus grand capitaine des temps modernes… Le Christ aime les Francs; souvent pour les con­soler, les encourager, les avertir, 160 leur reprocher leurs fautes, les inviter à la pénitence, il leur a envoyé sa très sainte Mère, la douce et chère Dame de son Sacré-Cœur. Partout nous rencontrons des monu­ments qui nous rappellent ses apparitions bénies. Le Christ aime les Francs et c'est à eux qu'il a montré son Cœur; c'est à eux qu'il a pro­mis le triomphe de son amour. La dévotion au Sacré-Cœur fut une dévotion française avant d'être une dévotion catholique. Est-il donc étonnant qu'elle se montre avec éclat à l'heure de nos grandes infortu­nes, et que nous fassions au Christ, qui nous a tant aimés, amende honorable pour nos ingratitudes? Donc au Christ et à son Sacré-Cœur nos voeux expiatoires».

Le P. Monsabré a encore une belle page: «L'humiliation et 161 la souffrance de l'Eglise ne peuvent donc pas se prolonger indéfiniment. Si Dieu a laissé s'endormir sa puissance, ce sommeil n'aura qu'un temps, car le cœur de l'époux veille sans cesse. Emu par nos voeux, il va réveiller sa puissance endormie, et par un coup d'éclat, dont les peu­ples seront étonnés, il rendra à son épouse sa liberté compromise et sa gloire effacée. Mon espoir, j'oserai dire plus, Messieurs, ma conviction intime est que la fille ainée de l'Eglise, la France, interviendra dans ce grand acte de justice et de miséricorde. Comment? Je n'en sais rien, mais celui qui ressuscite les morts ne peut-il pas nous rendre la vie? Nous l'avons éloigné par nos crimes, il va revenir appelé par nos voeux. Nous lui dirons: «Seigneur, si vous 162 aviez été là, la France ne serait pas morte»; il nous répondra de sa douce voix: «La France, mon amie, n'est pas morte, elle n'est qu'endormie». Et s'adressant aux misérables restes de notre puissance: «France, dira-t-il, viens dehors. Gallia, veni foras»».

Il y a aussi bien des traits consolants dans la vie du bon et saint Père Yenveux, l'apôtre de Montmartre. Il est mort victime pour l'Eglise et la France en 1905. «Dieu soit béni!, écrivait-il. L'œuvre des Prêtres­-Apôtres prend chaque jour une rapide extension. C'est l'heure de la bataille décisive. Puisque Satan s'acharne, avec une audace et une rage inouïes, contre l'Eglise et son Christ, il faut que notre amour pour le Sacré-Cœur grandisse en proportion de la haine de son ennemi; il faut que notre zèle 163 ne connaisse plus de limites. J'éprouve une joie bien douce en constatant que les efforts du démon ressemblent à ceux d'un désespéré qui voit le sceptre lui échapper. La victoire exige­ra des sacrifices. Déjà nous sommes atteints par la foudre. Les religieux sont expulsés. Si vous voulez encore une victime, Seigneur, je suis prêt. Frappez, frappez! Mais de grâce, ô mon Dieu, daignez exaucer les sup­plications de tant d'âmes qui vous implorent! Cœur sacré de Jésus, je me consacre entièrement à vous, protégez la sainte Eglise contre ses ennemis; ayez pitié de la France et faites que je vous aime toujours davantage! ».

C'était son voeu de victime. Il le renouvelait tous les matins après l'action de grâces. 164 J'en copie la formule et je m'y associe: «Je réu­nis en moi tout ce qu'il peut y avoir dans un cœur humain de vénéra­tion, de tendresse et d'amour, pour vous en faire, Seigneur, un souve­rain hommage en réparation. Que par le cœur de votre prêtre, du moins, vous soyez le plus aimé de tous ceux qui sont aimés! Que toutes les gouttes de mon sang, tous les battements de mon cœur, tous les soupirs de ma poitrine, soient autant de voix qui crient: O Maître, je vous aime! Et puisque dans votre immense désir de nous sauver, et pour cela d'offrir une satisfaction à votre Père, vous avez soif à présent comme sur la Croix, d'âmes qui achèvent en elles ce qui manque à votre Passion, me voici, mon Maître et mon Roi, prêtre 165 avec vous, je veux être victime avec vous. Je vous offre dans cet esprit, toutes mes actions, mes peines et mes pénitences. Daignez me remplir, ainsi que tous mes frères dans le sacerdoce, de cet esprit de victime, et présenter à votre Père nos sacrifices unis à ceux de votre divin Cœur et du Cœur de Marie, pour la réparation de sa gloire, la délivrance de votre Eglise, la régénération chrétienne de la France et l'avènement de votre règne dans le monde».

Sa confiance dans le triomphe de l'Eglise et relèvement de la France, malgré les persécutions récentes, est sans borne. Dans une let­tre, il écrit: «Le Sacré-Cœur est à la porte, il entrera, il nous sauvera. On parle de diverses 166 communautés qui se préparent à quitter la France… Mais, est-ce bien l'heure de fermer les cénacles de la prière? Quand l'orage gronde, est-ce le moment d'enlever les paratonnerres? Le Sacré-Cœur et Satan sont en présence. Qui donc l'emportera? Ah! sans doute, les amis de Jésus, ses prétendus serviteurs sont bien tiè­des… peut-être lâches, mais est-ce que, quand-même, la victoire peut être douteuse? Nous sommes au Vendredi Saint, donc après-demain le triomphe! On met les scellés, on monte la garde auprès des sépulcres du Sauveur, mais il traverse la pierre sans briser les scellés. Le salut arriverait demain si nous en étions dignes, mais hélas! la société qu'on appelle chrétienne y met des obstacles. Il faudrait une légion de saints, 167 d'apôtres et de victimes. Heureusement N.-S. se contentera de peu. «Une âme juste, dit le Sacré-Cœur à la Bienheureuse, peut obte­nir miséricorde pour mille criminels». Ne vous effrayez pas en son­geant à l'avenir. L'avenir est à Dieu. Nous touchons à une ère de résur­rection. La lutte actuelle fera resplendir, dans la paix, la force de l'a­mour divin. Nous y marchons, quoi que fassent et quoi que disent les ennemis et les découragés».

Il rassure ceux qui doutent du secours divin. Il écrit encore: «Ne vous trompez pas sur le caractère du salut qui doit arriver par le Sacré­Cœur. C'est la paix, sans doute, la paix domestique sociale et civile; mais elle ne réside pas dans une molle quiétude qui permette 168 aux chrétiens de continuer leur vie d'indolence. Jésus n'établira son règne que sur les ruines du péché, sur les décombres de l'orgueil et de la sensualité, suaviter et fortiter, si l'on veut. Autrement, il sauvera le mon­de malgré lui, par quelqu'un de ces coups providentiels qui détruisent pour réédifier…». C'est aujourd'hui que se réalise cette prédiction du P. Yenveux.

Comme la sainte abbesse de Lavour, il voyait une légion de Prêtres­Apôtres du S.-Cœur contribuer au salut par la vraie dévotion au S.­Cœur, par la vie d'union, d'amour et d'immolation. Il fondait comme elle une association de prêtres, comme celle du Cœur eucharistique des Rédemptoristes et celle du P. Reimsbach. 169 Notre Congrégation a le même but. Puissions-nous offrir à N.-S. un certain nombre de vrais apôtres du S.-Cœur, voués à la vie intérieure et à l'esprit de victime.

Le 21, fête de la Présentation. Messe au couvent et prédication. Ces bonnes Soeurs imitent Marie au Temple. Leur vie est toute consacrée à la prière et au soin du sanctuaire. Leur autel est délicieusement orné avec un soin infini. De pareilles maisons sont des paratonnerres et des sources de grâce et de salut.

Ce sont les jours anniversaires de la fondation de Fayet. J'y vais faire un petit pèlerinage malgré le grand froid. Je visite le château, noble maison du XVIIIe siècle. Ces demeures 170 seigneuriales étaient l'or­nement de la France. Elles auraient dû en être toujours aussi l'édifica­tion et la sauvegarde par la pratique de la vie chrétienne et du devoir social.

Les paysans de Fayet travaillent le dimanche et ne vont pas à la mes­se. L'inertie du château est pour beaucoup dans cet encroûtement. L'exemple vient d'en haut. N.-S. n'attendra pas le retour de ces arriérés pour nous faire grâce.

Un fait saillant de cette guerre: l'inspecteur primaire M. R. (O.I.) est allé voir à l'école libre de la rue de l'Official si les Soeurs de la Croix n'y font pas la classe. Il mérite de passer à la postérité. Franc­maçon de fait ou de tendances, 171 esprit étroit et sectaire autant qu'obtus, il ne voit rien à faire en ce moment qu'à s'assurer s'il y a des Soeurs qui enseignent. Il aimerait mieux sans doute voir les enfants sur la rue. Qu'a-t-il à voir chez nous en ce moment! Nous sommes sous le régime allemand. Les Soeurs auraient dû lui fermer leur porte. S'il a du cœur, qu'il fasse donc la classe aux garçons qui traînent dans les rues, au lieu de passer son temps à flâner et à embêter les Soeurs. Il s'i­magine sans doute que le gouvernement maçonnique triomphera et lui donnera de l'avancement pour cet exploit. Dieu n'a pas entrepris pour rien le nettoyage de la 172 France et de l'Europe. Après cette crise, l'Eglise verra un beau triomphe et la truelle avec l'équerre seront jetées à l'égout pour un temps.

On ne peut concevoir rien de plus ignoble que le procédé de ce personnage. Toutes les Soeurs de la ville soignent les blessés jour et nuit. L'ennemi lui-même a fait venir des Soeurs à l'hôtel-Dieu pour remplacer les personnes incapables que le radicalisme y avait fourrées, c'est le moment que choisit M. l'Inspecteur (O.I.) pour traquer des Soeurs qu'il soupçonne, à tort d'ailleurs, de faire la classe à une dou­zaine de petites filles pour ne pas les laisser traîner à la porte des caser­nes… (Il s'est ensuite montré plus réservé et presque courtois). 173

Je reçois des nouvelles de Bologne et Luxembourg. Nos pauvres missionnaires du Congo ont dû quitter leur poste pour la guerre. Les Pères Gontier et Plissonneaux sont revenus. Le P. Lebrun est à Braz­zaville. Pauvres missions! Les âmes se perdent là-bas et n'ont plus de prêtres. Quelle responsabilité pour les souverains qui ont voulu cette guerre! Humainement parlant, je ne sais pas comment nous relève­rons nos missions du Congo et du Cameroun. Où trouverons-nous les ressources et les hommes? J'ai confiance quand même. N.-S. purifiera la France et la Belgique et leur rendra leur beau rôle dans les missions. 174

En lisant la vie de la Vén. Agnès de Jésus, j'y reconnais aussi une protectrice de notre patrie. En 1632, elle obtint par ses prières la cessa­tion du fléau de la peste dont le royaume était affligé. Elle pria beau­coup, ne demandant à Dieu que le pardon de son peuple et la cessa­tion de la peste, et le mal cessa tout à coup.

Par ses prières et ses souffrances, elle obtint de Dieu la grande œuvre de St-Sulpice pour la réforme du clergé de France. Elle intercède sûrement au ciel avec M. Olier et St Vincent de Paul pour un nouveau relèvement de la fille aînée de l'Eglise.

27. J'ai aujourd'hui des nouvelles de Luxembourg et de La Capelle. Ce n'est plus tout à fait l'isolement, mais tout reste humainement 175 bien triste. La confiance dans la miséricorde du S.-Cœur et la protec­tion de Marie Immaculée est notre seul soutien.

28. C'est l'anniversaire de la mort du P. André. Nous chantons la messe de Requiem. C'est notre saint. Ses vertus ont été manifestement héroïques. Son amour de la pauvreté est légendaire, sa chasteté exqui­se, son obéissance entière. Quelle charité il avait pour tous! Son souri­re perpétuel marquait la paix de son âme. Il a écrit le livre: Amour, paix et joie. Il a vécu de cet esprit avant de le décrire. Disciple du curé d'Ars et de la Mère Marie Véronique, il a été pour nous le type du prêtre-vic­time du Sacré-Cœur. Je l'invoque 176 pour qu'il nous aide dans les circonstances difficiles où nous sommes. Il faisait peu de politique. Il croyait comme la Mère Véronique à une restauration prochaine de la France, mais il disait comme elle qu'au lieu de rechercher avidement les prophéties, il fallait prier et réparer pour hâter les miséricordes du Sacré-Cœur.

J'ai aujourd'hui des nouvelles de Clairefontaine. Tout y est calme. Les scolastiques font de la philosophie. Le pauvre P. Schmitt dénoncé méchamment comme espion est prisonnier à Trèves. Le jeune Grosset est otage à St-Tropez. Ce sont des épisodes de guerre qui ne sont pas bien terribles.

Je relis le secret de Mélanie (édition Combe), sans y ajouter trop d'importance. La guerre actuelle y est marquée, 177 mais ce n'est que le commencement des châtiments. Après la guerre viendra la grande crise, avec les épidémies et les tremblements de terre, puis enfin le triomphe de l'Eglise et le relèvement de la France et des nations chré­tiennes. Le secret dit bien que pour un temps Dieu ne se souviendra plus de la France et de l'Italie, mais ce temps passera avec les châtiments qui nous purifieront. Une dizaine de prophéties diverses citées dans les recueils annoncent cette grande crise, l'incendie de Paris, la mort d'un grand nombre d'hommes sur toute la terre… Attendons l'heure de Dieu.

Mes lectures me révèlent encore d'autres victimes réparatrices, dont le sacrifice nous aidera. Au Carmel 178 de Lisieux, avant la Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus, il y avait eu la fondatrice: Mère Geneviève de Ste Thérèse, et après elle il y a eu la jeune Mère Ange de l'Enfant

Jésus. Dans sa longue vie, Mère Geneviève s'était unie à la réparation à la Ste Face demandée par N.-S. à la Soeur Saint Pierre de Tours. Plus tard, en 1890, N.-S. voulut qu'elle s'unisse à toutes celles qu'il s'était choisies de divers côtés pour les associer à son sacrifice: «Ma fille, lui dit-il dans une extase, il en est temps, offre toi comme victime». Et la bonne Mère acheva sa vie dans la plus généreuse immolation.

C'est pour l'Eglise, pour la France, pour les prêtres, que s'offrit aus­si la Mère Ange de l'Enfant Jésus. 179 «Je demandais à Notre-­Seigneur, disait-elle, des prêtres qui renouvelleraient le monde et sau­veraient la France, des prêtres austères, zélés, comme le B.x Curé d'Ars.». «O mon Dieu, disait-elle, ne rejetez pas mon ardente prière: l'orage gronde autour de nous… Je vous donne ma vie; acceptez-la, je vous en supplie, pour votre Eglise et pour le salut de la France». N.-S. la prit au mot et trancha sa courte vie en 1909, elle avait 28 ans. Son frère prêtre lui écrivait, conformément à ses sentiments: «Courage, petite soeur, tes voix te disent: Va, fille de Dieu, va! Sauve ton peuple dans tes derniers jours d'épreuve… Que le Seigneur reçoive le sacrifice offert par tes mains pour la gloire de son 180 nom, pour notre utilité et celle de la Ste Eglise…».

Tant de sacrifices porteront prochainement leurs fruits.

Le mois de décembre et le mois de juin sont mes grands mois. En décembre, ma vocation et toutes mes ordinations, sauf le diaconat. En juin, la 1ere communion, la confirmation, le diaconat, la profession reli­gieuse. N.-S. a toujours été très miséricordieux pour moi en décembre, il voudra l'être encore cette année.

Je lis la vie de la B.se Jeanne de Maillé (1332-1414). Elle aussi, de son temps, s'était offerte en victime pour l'Eglise et pour la France. Dans ses contemplations, elle voyait les saints protecteurs de la cité de Tours, la Ste Vierge, St François, St Gratien, St Martin, 181 qui priaient pour la ville. Aujourd'hui les sectaires stupides qui se sont emparés partout du pouvoir en France, ont jeté l'insulte à tous nos célestes patrons en effaçant jusqu'à leur souvenir de nos rues pour y mettre les noms des blasphémateurs et des ribauds, Voltaire, Renan, Zola, Etienne Dollé et tutti quanti; et nos patrons détournent la tête, et Attila passe pour exercer la justice de Dieu.

Nos conseillers impies sont les dignes successeurs des Huguenots qui profanèrent partout au XVIe siècle les reliques des saints, comme je le lis pour St Martin, St Gatien, St François de Paule, dans la vie de Jeanne de Maillé. 182

Les pieux auteurs de la vie de Jeanne de Maillé, les chanoines Bourasse et Janvier, terminent par ces paroles encourageantes: «Le siè­cle où nous vivons et celui où Jeanne Marie de Maillé a vécu, offrent des traits frappants de ressemblance… Sans parler de tant d'autres calamités que nous avons eu à subir, nous avons vu comme elle l'inva­sion étrangère détruire nos armées, inonder nos campagnes, raser nos forts, occuper nos villes, s'asseoir à notre foyer domestique. Si de sem­blables épreuves, voulues par la Providence, eurent pour résultat de rendre cette sainte âme plus pure, plus forte et plus digne de la gloire qui lui était réservée, pourquoi ne pas espérer pour nous-mêmes que les humiliations qui nous accablent et les calamités qui nous éprou­vent, contribueront par la guérison de nos 183 plaies et la réforme de nos moeurs, à nous rendre avec notre foi première, notre force primi­tive et notre antique splendeur? Marie de Maillé, témoin des discordes de la chrétienté, en gémissait amèrement devant Dieu, mais en même temps elle entrevoyait dans l'avenir, elle saluait à l'avance et prédisait à ses contemporains l'ère prochaine de la purification et le triomphe de l'Eglise. Le réveil de son culte (reconnu par l'Eglise en 1871, comme celui de Jeanne d'Arc), ne serait-il pas, entre plusieurs autres, un signe avant-coureur de ce prochain triomphe de l'Eglise (et de la restaura­tion de la France), que des voix mystérieuses annoncent et que tant d'âmes saintes s'efforcent d'obtenir?» (p. 261). 184

Je fais tous les jours, autant que je le peux, amende honorable pour la pauvre France. Dieu voudra-t-il la sauver avant que les membres de son triste gouvernement se soient frappé la poitrine?

Amende honorable, Seigneur, pour ces présidents qui ont affiché leur indifférence et signé toutes les lois les plus iniques.

Amende honorable pour le Parlement (Chambre et Sénat), qui a voté depuis 34 ans tant de lois offensives pour la religion, la justice et les moeurs: athéisme de l'Etat, impiété de l'école, dissolution de la famille par le divorce, vol des églises, des évêchés, des presbytères, vol des couvents et des fondations pieuses, expulsion des congrégations, service militaire des clercs et le reste. 185

Amende honorable pour la magistrature, qui a ratifié toutes les vio­lences et tous les vols.

Amende honorable pour l'administration, pour les préfets, les mai­res, les conseillers généraux et communaux, qui ont contribué aux expulsions et acquis les biens d'Eglise.

Amende honorable pour l'armée qui a prêté main-forte à toutes les expulsions, aux vols et aux inventaires. Que de gens excommuniés, dont la situation appelle tous les châtiments divins!

Pardon pour le clergé lui-même, qui a souvent manqué de fermeté et qui a trop souvent accordé des funérailles honorables à des excom­muniés, contrairement aux lois de l'Eglise. 186

Seigneur, nous ne pouvons pas espérer la conversion rapide de tout ce monde. Contentez-vous des dix justes d'Israël et pardonnez à votre peuple, qui vous offre en dédommagement ses pieux couvents, ses zélés missionnaires, ses œuvres de tout genre et sa basilique triompha­le du Sacré-Cœur.

Le 8 déc., messe et prédication au couvent. Je m'inspire des vues de Marie Martel sur l'Immaculée Conception. Signum magnum apparuit in caelo (Apoc. 12,1). C'est le fait de la création de l'âme de Marie. Quae est ista quae progreditur sicut aurora consurgens (Gant. 6,9). C'est la ques­tion des anges étonnés. Tota pulchra es amica mea, colombes mea, et macula non est in te (Cant. 4,7). C'est la réponse du Seigneur… La blanche colombe toute ensoleillée de gloire céleste, nous enseigne la pureté, l'humilité, 187 l'immolation… Nos bonnes Soeurs prient comme des anges jour et nuit. Elles joignent à la prière la pénitence et l'immola­tion. Bientôt Dieu nous fera grâce.

J'apprends la mort d'un de nos scolastiques, le Fr. Granger, c'est une victime innocente.

Les jours de Noël m'ont toujours apporté une pluie de grâces. J'y trouve les plus touchants anniversaires.

Le 19, ordination sacerdotale, le 20, première messe,

le 21, sous-diaconat, le 22, tonsure,

le 23, deux ordres mineurs, le 24-25, ma vocation,

le 26, deux autres ordres mineurs, le 27, fête de St Jean,

le 29, visite de la croix: l'incendie. 46 ans de sacerdoce! 188

17.500 messes!

Merci, Seigneur, pour tant de grâces! Pardon pour toutes mes infidélités. Renouvelez en moi toutes les grâces que vous m'avez prodi­guées et dont j'ai si mal usé.

- L'année s'achève sur la croix: angoisses patriotiques, incertitude sur le sort de nos jeunes gens, difficultés temporelles, maisons d'étu­des vides. N.-S. acceptera nos souffrances et nous fera miséricorde.

189 Table des matières

1913 1914
Janvier 1 Janvier. Epreuves 67
Contemplation. Union à Dieu 3
Février. Mauvais jours 69
Février 8
Rome 9 Mars. Paris 70
Vieillesse 12
Visites 20 Avril. Cameroun 72
Mars 22 Mai. Le Havre 73
Mon 70e anniversaire 23
Sr Marie de jésus 25 Juin. Visites 74
Subiaco 26
Anciens élèves de Sta Chiara 27 Juillet 76
Albert 79
Avril 29
Centenaire de Constantin 30 Août 80
Bologne 31 La guerre: angoisses 82
Paris: Ozanam 32 L'occupation 84
Mai 33 Septembre 87
Benoît XV 90
Juin 34 Anniversaire 91
Eglise St Martin La Salette 93
La vie religieuse 38 Communion spirituelle 95
Réveil de la foi 96
Juillet 40
Octobre 98
Août. Lourdes 41 L'empereur! 99
La vraie France 100
Septembre 42 La Belgique 105
La retraite 44 Monastères 106
Montmartre 108
Octobre 62 A. de Mun 108
Le typhus 109
Novembre. Mort du P. André 63 Maires et curés 110
Religieux allemands 110
Décembre 65 Propos d'enfer 111
Mort du Card. Rampolla 65
Novembre 112 Mère Marie de Jésus 151
Marguerite Marie Doëns 114 Nouvelles de Belgique 155
Mission de la France 118 Mère Thérèse de Lavour 155
Marie Lataste 120 Le Voeu national 156
St Remy 121 P. Monsabré 158
Grégoire IX 121 Le P. Yenveux 162
Joseph de Maistre 123 La Présentation 169
St François de Sales 124 Un inspecteur primaire 170
Benoît XIV. Regnum Mariae 125 Nouvelles des missions 173
Thérèse Durnerin 126 Agnès de jésus 174
O'Connel 129 R. P. André 175
Sr Gertrude Marie 130 Lectures 176
Sacrilèges 141
Catherine Labouré 142 Décembre 180
Pie IX 148 Amende honorable 184
P. Huguet 151 Anniversaires 187

1)
Le Père Charcosset: Le cahier 34 finissait avec l’annonce de sa mort. Ce cahier 35 s’ouvre en rappelant «les cérémonies imposantes» de ses funérailles. Le P. Dehon avait trouvé en lui un collaborateur généreux: il l’avait eu longtemps comme conseil­ler, et les dernières années comme assistant. Il garde de lui un très bon souvenir et, dans les pages suivantes de son journal il reprend des «notes suggestives» sur la mala­die et la vieillesse que le bon P. Charcosset avait beaucoup méditées tout au long des deux ou trois dernières années de sa maladie (Pour une «note biographique», cf. I,509,98;II,511,7).
2)
Faucillon, Claude Louis, en religion Thomas Marie, dominicain, né en 1820 à Beaune (Côte d’Or). Il était connu surtout pour sa prédication. Après sa mort on a publié son livre déjà cité: La vie avec Dieu (1905).
3)
Du P. Lejeune le P. Dehon cite un livre (Les dons du St-Esprit dans le P. Huchant); mais de lui, dans la bibliothèque du P. Dehon on a aussi Conseils de direction spirituelle vers la ferveur, Paris-Lille 1912.
4)
De même l’abbé Saudreau: dans la bibliothèque du Fondateur à Rome on garde non seulement le livre L’état mystique, mais aussi Les degrés de la vie spirituelle (3° éd., Paris 1905) et, en italien: «Le divine parole, ossia quello che il Signore ha detto ai suoi discepoli nel corso dei secoli cristiani, trad. G. Nivoli» (4° éd. augmentée par le même Saudreau), Torino, Marietti 1924.
5)
L’Année avec le S.-Cœur. Un ouvrage sur lequel le P. Dehon s’est beaucoup in­vesti. Il a commencé à l’écrire en 1908. A la fin du mois de mai il avait déjà terminé les méditations pour quatre mois (NQ XXIV,25: mai 1908). Au mois de novembre il note: «Il me reste une quinzaine de jours pour mon travail calme et recueilli sur les méditations de l’Année du S.-Cœur. Ce travail est une grâce; j’y trouve un grand profit spirituel» (XXIV,56: novembre 1908). La préface est datée: 3 octobre 1909; de cette même année est aussi la lettre de l’éditeur Casterman qui en assure la publication. La composition en typographie commence en 1913 (XXXV,7: «Je laisserai bien ma doc­trine dans mon Année avec le S.- Cœur»); mais en 1914 survient la guerre. Ce n’est donc qu’au mois de juillet 1919 que cet ouvrage sera publié (cf. NQ XLIII,109: «Travail. Publications: Je fais éditer mon Année avec le S.-Cœur et deux petits volumes sur la Vie intérieure. Je veux encore semer, avant de mourir, un peu d’amour pour N.-S. – Il y a bien quelque semence qui produira des fruits. Mgr Du Puy m’écrit qu’il a fait son mois de juin dans mon livre sur Le Cœur sacerdotal de Jésus et il en a été ravi»).
6)
Timon David et l’abbé Jean Joseph Allemand: «Marseille, écrit P. Dehon, a eu des saints de tout genre». Et il évoque en particulier l’abbé Allemand et l’abbé Timon David. L’abbé Jean Joseph Allemand, au 19me siècle, a été en France le premier fondateur des Œuvres de la jeunesse. Né à Marseille en 1772, mort en 1836, il dédia toute son action au salut de la jeunesse, pervertie par les erreurs de la révolution. Il a com­mencé avec la formation d’un petit groupe; et après il donna forme définitive à son action: réunions des jeunes tous les dimanches; en semaine le soir; et surtout fonda­tion d’associations de jeunes, considérées un des moyens les plus efficaces pour la pastorale de la jeunesse. Il a été un des premiers fondateurs du «patronage». Dix ans après la mort de l’abbé Allemand, l’abbé Timon David, s’inspirant au même modèle, fonda à Marseille l’Œuvre de la jeunesse pour la classe ouvrière. Le P. Dehon, à son tour, fonda son Patronage de St-Quentin suivant les indications données par Timon David dans son livre Méthode de direction pour les œuvres de la jeunes­se. A la mort de celui-ci, en 1891, la revue «Le Règne» du P. Dehon lui a dédié deux articles, anonymes. En tout, 17 pages.
7)
Biographie de Sr Marie de Jésus: Le P. Dehon est à Rome avec les épreuves de la biographie de cette religieuse. Mais il y a des imprévus. «Le P. Lepidi ne veut plus donner l’imprimatur». Il y voit une piété trop sentimentale, une dépendance trop grande de la supérieure, etc. On doit donc revoir toute la composition… De ce même problème le P. Dehon parlera encore aux nn. 20; 22; 25; 26… Et c’est seulement aux nu. 72-73 qu’il pourra conclure: «La biographie de Sr Marie de Jésus a paru, notre petite soeur nous aidera». Cette biographie maintenant on peut la trouver dans la série O. Sp., vol. VI, pp. 5-150.
8)
Arrêt à Bologne. Il y a là un bon petit groupe. Depuis quelques années le P. Dehon cherchait à profiter de toutes les occasions pour répandre en Italie sa Congrégation. Il sollicitait la collaboration de prêtres ou d’amis qu’il avait connus dans le passé et avec lesquels il avait entretenu de bonnes relations. La première maison qu’il a pu ouvrir en Italie fut l’école apostolique d’Albino (Bergame) en 1907, avec l’appui de l’évêque de Bergame Mgr Radini Tedeschi. En 1912 c’est la fondation d’une maison à Bologne, le «Studentato delle Missioni», avec un accueil très cordial de l’archevêque, card. Giacomo Della Chiesa, futur pape Benoît XV
9)
P. Janvier, Emile-Marie-Méen, en religion Marie-Albert, dominicain (1860-1939), «orateur» dans les grands événements nationaux, Dans la bibliothèque du P. Dehon à Rome on a un exemplaire de son livre Conférences de N .-D. de Paris. Pour une note bio­graphique, voir NQ III,449,40.
10)
Théologie mystique du P. Devine. Devine Arthur, passioniste irlandais (1849­1919), auteur de plusieurs livres de théologie, ascétique, spiritualité, etc. La plupart sont traduits, aussi en français. Dans ces pages le P. Dehon cite surtout le Manuel de théologie mystique (Avignon 1912): un manuel qui s’inspire de très près du Directorium mysticum de Scaramelli.
11)
Le 10 juin, Conseil à Bruxelles: Le P. Dehon avait demandé au St-Siège l’autorisa­tion de confier aussi au P. André Prévot, assistant général, la charge de supérieur de la Province franco-belge. Le St-Siège n’ayant pas répondu avant la réunion du Conseil et le P. André désirant être déchargé de ses fonctions de Provincial, on procède à l’é­lection d’un nouveau Provincial dans la personne du P. Pierre Bertrand; et comme vicaire provincial de la même Province, franco-belge, on élit le P. Jean Guillaume, rec­teur du scolasticat de Louvain.
12)
Pour la mission du Cameroun: Auparavant cette mission était confiée aux Pallottins, Mgr Victor Vieter, évêque tit. de Parétonium, en était le vicaire apostolique avec résidence à Kanurum. C’est sous leur juridiction que nos premiers missionnaires ont commencé. Le mois de mai 1913 la Congrégation pour la propagation de la foi, par une lettre du card. Gotti, signifiait au P. Dehon toute sa considération pour l’œuvre de nos huit missionnaires allemands au Cameroun. Et on souhaitait pouvoir con­fier très tôt à ces missionnaires «un territoire séparé, dans la région de l’Adamaua, avec juridiction indépendante du Vicariat apostolique du Cameroun» (lettre datée: 29 mai 1913). En conclusion de ces démarches on parviendra à la constitution de la préfecture apostolique de l’Adamaua. Le card. Gotti le notifie par la lettre suivante, adressée au P. Dehon et datée 29 avril 1914: «Rev.me Pater, heic adnexum recipies decretum quo sacra haec Congregatio erigit Praefecturam apostolicam Adamaua, eamque concredit curis alumnorum tuae Societatis. Simul adnecto decretum quo praefectus apostolicus eiusdem missionis nominatur R.P. Gerardus Lennartz, cui per consueta folia… oppor­tunae facultates attribuuntur pro sacro munere obeundo». Malheureusement, quelques mois plus tard, à cause de la guerre, tous ces mission­naires allemands ont été expulsés. Après la guerre ils seront remplacés par des français et des belges, mais en se repliant vers Nkongsamba, Bafoussam et Yaoundé,
13)
Rocamadour. centre religieux sur le chemin du pèlerinage vers St Jacques de Compostelle. Son origine est très ancienne. D’après la tradition, vers la fin du Ve s., un prêtre romain, en s’inspirant de l’érémitisme oriental, se retira dans ce lieu tout à fait sauvage pour se dédier au jeûne et à la prière. Deux symboles sont au cœur du souvenir religieux de Rocamadour: l’oratoire de Notre-Dame et une cloche qui, même dans les ténèbres de la nuit, devait attirer les pèlerins vers ce lieu d’accueil.
14)
La nuit de Noël de 1855: Le P. Dehon parle ici de sa vocation au sacerdoce. «C’est à la chapelle des capucins… que j’ai entendu l’appel de N.-S. pour la vocation sacerdotale, dans la nuit de Noël 1855». Ces souvenirs ne correspondent pas à ce due l’on trouve dans NHV. De fait il y eut un mûrissement progressif. Voici son texte: «La première retraite me fit une impres­sion vraiment extraordinaire. C’est un Père jésuite qui la donnait» (1855, NHV 1,24), La seconde année (1856) la retraite «est donnée par un Père capucin… Comme enfant de choeur j’allai assister à l’office de minuit chez les capucins. Je reçus là une des plus fortes impressions de ma vie. N.-S. me pressa fortement de me donner à lui» (NHV 1,25v-26r).
15)
L’Action française. Au temps de l’affaire Dreyfus se constitua en France ce mou­vement dit de l’action française. L’organe de ce mouvement fut d’abord une revue (1899) et, à partir de 1908, un journal quotidien, sous la direction de Ch. Maurras et L. Daudet. Combattant les conceptions libérales et démocratiques de la république, ce mouvement préconisait une monarchie héréditaire ultra-royaliste et un nationalis­me intégral très proche du totalitarisme. Déjà en 1912 le P. Dehon exprimait un juge­ment très négatif de ce mouvement. Ses chefs «sont païens et immoraux». «Ils savent bien mettre en relief les avantages de la monarchie et les côtés faibles de la démocra­tie. Mais ils sont impies et corrupteurs… Ils poussent à l’action par tous les moyens». L’Eglise, alarmée par le rayonnement de ces idées sur la jeunesse surtout, songea à condamner ce mouvement dès 1914. La guerre retarda cette décision, qui ne fut prise qu’en 1926; en 1928 l’Action française fut même déclarée hérétique.
16)
Conférence du P. Janvier à Montmartre: cf. III,449,40.
17)
Biographie de Sr Marie de Jésus: cf. ci-dessus, note 7.
18)
Le départ de nos premiers missionnaires pour le Canada eut lieu le 4 juillet 1910 (cf. cahier XXVII, note 5). Maintenant le P. Dehon annonce l’envoi de quatre nouveaux missionnaires.
19)
Mort de Gaétan Juniet: cf. III,548,14.
20)
P. Laurent Philippe, «un de mes fils les meilleurs»: cf. III,469,28.
21)
La mobilisation générale est ordonnée. «Ce sont les mauvais jours de 1870 qui reviennent. Ma congrégation est décimée: trente-cinq de mes français et autant d’alle­mands sont touchés par la mobilisation… C’est pour moi une période angoissante. Craintes pour la famille, pour la patrie, pour la Congrégation». Quelques jours après, le 28 d’août, occupation allemande de la ville…
22)
Le pape Pie X est mort. La P. Dehon cultivait pour lui un rapport d’amitié. Il a été notre bienfaiteur. Il nous avait accordé l’approbation des Constitutions. Et en 1911, après le voyage autour du monde, le P. Dehon avait eu avec lui une audience «mémorable».
23)
Le grand archevêque Hincmar: Il s’agit d’Incmar, né vers 806, sacré évêque de Reims en 845 par les mains de Rothade évêque de Soissons, et mort à Reims en 882. Un grand évêque, dit le P. Dehon, parce que la situation du diocèse en son temps était très difficile: Ebbon, son prédécesseur, déposé en 835, se déclarait toujours évê­que de Reims; il avait même ordonné des clercs qui étaient cause de nombreux liti­ges. Il eut aussi des difficultés d’ordre doctrinal avec Raban Maur à cause de l’expres­sion Te trina Deitas… et quand même, intense fut son souci pastoral, manifesté par quatre synodes, par ses lettres pastorales et par son opuscule: De coercendis militum rapinis, écrit pour défendre le peuple contre les violences des gens d’armes.
24)
Je reçois une lettre de Bologne. Pendant la guerre le P. Dehon est pratiquement isolé à St-Quentin. Très difficile toute communication, même par lettre. Quelquefois c’est le P. Ottavio Gasparri, de Bologne, l’intermédiaire pour lui envoyer quelques nouvelles. Par ex., de Béziers (Hérault), le scolastique Fr. Rattaire envoie une lettre au P. Gasparri, avec prière de la faire parvenir au P. Dehon. «Bien cher Père, écrit-il, comment allez-vous? Quoi de neuf à Bologne?… Voudriez-vous communiquer la lettre ci-jointe au T.B.P.? Je lui donne, très sobrement, des nouvelles de son neveu Henri Malézieux. J’en ai déjà communiqué de Jean Malézieux. Je pense que vous les avez reçues et par vous le T.B.P. aussi… Je me remets tout doucement et je n’ai pas beau­coup de travail ici. M. le curé de la paroisse me prêtera les livres. Le climat de Béziers ressemble à celui de l’Italie et même un peu l’aspect de la vil­le et de tout le pays. J’y suis très bien» (lettre non datée, au P. Ottavio, signé: A. Rattaire). Du Fr. Rattaire on garde aussi une lettre, écrite de Fontainebleau, adressée au P. Dehon: «15 août 1914. Bien cher Père, merci de votre petit mot. Nous ne savons rien de sensationnel. Nous formons de nouvelles compagnies… L’esprit des troupes est excellent… Je compte sur vos bonnes prières» (A. Rattaire). Le 25 août, il écrit encore au P. Dehon: «Merci de votre gracieux envoi… Nous venons d’équiper et embarquer pour l’est 150 hommes, qui sont partis pleins d’en­train, regrettant seulement que nous ne partions pas avec eux! Pour quand sera-ce? Bientôt sans doute… Votre enfant A. Rattaire». Au P. Gasparri il a écrit une autre lettre le 23 nov. 1914. C’est de Aiton (Savoie), cette fois: «Bien cher Père, j’arrive à Aiton où je retrouve vos lettres… Merci de votre invitation, mais je ne peux quitter la France. J’apprends la mort du Fr. Granger (né 1888 Savoie; profès 1907; mort le 25.8.1914, St-Michel, Vosges), que vous avez connu à St-Clément… Je suis heureux de pouvoir, par votre entremise, correspondre avec le Très Bon Père. Veuillez lui transmettre la lettre ci-jointe».
25)
Le Fr. Rattaire est blessé. Il s’agit du Frère scolastique Alfred André Rattaire, né à Flumet (Savoie) en 1888, profès 1906, mort en guerre le 17 juin 1915 à Neuville St Vaast (Pas-de-Calais). On garde de lui la déclaration officielle de la Mairie du Moutaret, qui atteste ses mérites militaires. Le matin du jour de sa mort, le 17 juin 1915, il écrit une dernière lettre à ses parents, à qui il dit: «Papa et Maman, la journée s’annonce devoir être chaude. Quelques-uns d’entre nous laisseront leur vie aujourd’hui. Si je suis du nombre de ces hommes morts, ne me plaignez pas et ne me pleurez pas trop… J’espère aller rejoindre mon frère Honoré, mort aussi pour la France. C’est là-haut que nous nous retrouverons sans larmes… Votre enfant qui vous aime plus que jamais. Alfred».
26)
Berryer (Pierre-Antoine): Avocat, homme politique, né à Paris 1790, mort à Augerville (Loiret) 1868. Très doué pour la parole et servi par une personnalité séduisante, il s’affirma bientôt comme un des meilleurs avocats de son temps. En 1828 il fit partie du conseil de l’Association pour la défense de la religion catholique. Comme la plupart des catholiques de son temps, lui aussi embrassa avec éclat la parti ultra-royaliste.
27)
M. Aladel (Jean-Marie), prêtre de la congrégation de la Mission (1800-1865). En 1828 il est nommé aumônier de la maison-mère des Filles de la Charité à Paris. C’est pendant qu’il exerçait ces fonctions, qu’eut lieu l’apparition dite de la «médaille miraculeuse» (1830). Tout au début il eut des hésitations. Mais peu après il fit frapper la médaille et en 1834 édita la Notice historique sur l’origine et les effets de la nouvelle médaille frappée en l’honneur de l’Immaculée Conception.
28)
Desgenettes (CharlesEléonore Dufriche), né à Alençon en 1778, mort à Paris 1860. Ordonné prêtre en 1805, après avoir travaillé dans divers endroits, en 1832 est nommé curé de N.-D. des Victoires, paroisse alors peu fervente et qui semblait s’enfoncer dans la médiocrité. C’est là que, le 3 déc. 1836, il eut l’inspiration de créer une association de piété, dont les membres porteraient comme signe la médaille dite miraculeuse pour honorer le cœur immaculé de la Ste Vierge. C’est ainsi que naquit l’archiconfrérie du Cœur immaculé de Marie pour la conversion des pécheurs, et N.-D. des Victoires devint un centre remarquable de piété.
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Pontmain (pèlerinage de): Bourgade à la limite entre les deux diocèses de Laval et de Rennes. Elle est devenue célèbre par l’apparition de la Ste Vierge le 17 janvier 1871 à quatre enfants entre 9 et 12 ans, et par le pèlerinage qui en suivit. Quelques petits messages: «Priez, mes enfants»; «Dieu vous exaucera en peu de temps»; «Mon Fils se laisse toucher».
30)
Pellevoisin (apparitions de): Village dans le diocèse de Bourges. Les faits sont très simples: Estelle Faguette, agée de 33 ans, est gravement malade depuis des années, et maintenant on lui dit que son cas est désespéré. Seul soutien de ses parents, elle sup­plie alors la Ste Vierge de lui obtenir la guérison. Le 15 février 1876 la Vierge lui apparaît et dit: «Courage, mon Fils se laisse toucher»; le 16: «Tu sera guérie samedi»; et le samedi suivant, 19 février, Estelle est soudainement guérie… D’autres apparitions vont suivre et un grand pèlerinage va se développer pour la conversion des pécheurs.
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Le P. Joseph nous arrive de Quévy: C’est le P. Paris (Eugène Joseph), né 1858, profès 1880, prêtre 1881, mort 1941. Il a été parmi les tout premiers disciples du P. Dehon, conseiller et secrétaire général entre 1893 et 1903; une parenthèse au Brésil du Nord et de 1913 à 1920 supérieur local de la maison de Quévy.
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