oscmnd-0006-0002

Manuscrits sur la question sociale
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AD 35.01-02: B 6/2

31 feuilles doubles + 2 feuilles simples (texte intégral) (page de garde)

REUNIONS DE J. GENS 1876-1878

CONFERENCES SUR LA RELIGION

POSITIVISME ET RADICALISME

(p. a, 1)

- Point de départ du Positivisme = n'admettre que les faits de l'ex­périence, ne reconnaître aucune valeur au raisonnement en dehors du domaine de l'expérience; c'est-à-dire considérer le relatif et le fini comme l'unique objet de la certitude. C'est supprimer la théologie et la méta­physique. L'être absolu est pour eux une hypothèse. C'est pour nous la Vé­rité la plus invincible, la plus positive de la science et de la raison. Preuve = une hypothèse devient une Vérité invincible, quand on connaît avec évi­dence qu'elle seule peut expliquer les phénomènes observés.

L'existence du Dieu vivant et personnel s'impose comme une affirma­tion absolue et nécessaire, universelle et perpétuelle. (p. a, 2) Cette affir­mation naît du mouvement spontané de la logique, du sens commun, de la raison. C'est un principe de la science. Elle a la valeur d'un axiome.

Les Positivistes eux-mêmes sont obligés d'admettre l'absolu. Ils par­lent de lois universelles et constantes, de vérités mathématiques abso­lues.

Bien plus ils ne pourraient établir une seule affirmation sans supposer plusieurs principes absolus, comme «le principe d'identité» (ce qui est, est), le principe de contradiction, (une chose ne peut pas être et n'être pas en même temps), le principe des substances «nul phénomène qui ne soit inhérent à qq. substance», le principe de causalité et de raison suffisan­te… L'absolu de la raison lés (p. a, 3) contraint à faire de la métaphysi­que.

Il faut qu'ils rejettent et nient tout ou qu'ils admettent une substance ab­solue, cause de toutes les substances, un législateur absolu, un moteur ab­solu, une raison absolue, une personnalité absolue.

(p. b, 1)

Le Scepticisme métaphysique est la base des négations modernes. Kant limitait le scepticisme à la raison pure, raison théorique ou spécu­lative, mais il rétablissait les principes comme une conséquence de la rai­son morale.

Ils ne veulent pas revenir eur sensualisme du dernier siècle que la logi­que de Hume a poussé au scepticisme absolu en prouvant que la sensa­tion ne peut arriver ni à l'idée de substance, ni à celle de cause, ni à celle de Dieu, ni à une connaissance scientifique quelconque.

Ils admettent la raison, ses idées et ses lois, mais avec une valeur pure­ment subjective, sans qu'on puisse affirmer en dehors de (p. b, 2) l'enten­dement aucun être réel.

C'est sur ce scepticisme métaphysique de Kant que repose le positivi­sme pur de Littré, le positivisme naturaliste de Taine, le p. panthéistique de Renan et Vacherot.

Kant avait réservé la force démonstrative de la raison morale. Il ad­mettait un principe suprême de la morale «agis conformément à la rai­son, de telle sorte que ton acte puisse être considéré comme une loi uni­verselle pour l'activité de tout être libre». C'est là «l'impératif catégorique», qui exige comme conditions la liberté, la spiritualité, l'immortalité comme sanction, Dieu pour juge.

La même logique eut dû faire (p. b, 3) reconnaître à Kant les principes de la raison pure. Dans l'ordre de la raison pure, les existences contingen­tes de l'univers, l'ordre du monde, la raison et la liberté de l'homme exi­gent l'existence de l'Existence absolue, de l'ordonnateur, de la Raison absolue.

Objection.: Kant et les positivistes nous opposent les antinomies de la rai­son pure. Ils appellent ainsi des contradictions naturelles à la raison. Le mon­de est-il éternel ou non? Est-il infini ou limité? L'univers dépend-il d'une cause libre ou est-il soumis aux lois aveugles de la nature? Y a-t-il un être nécessaire ou seulement des êtres contingents? Sur toutes ces questions on peut, dit Kant, soutenir par des arguments d'égale valeur le pour et le contre.

(p. b, 4)

Rép. Cela est absolument faux. Le principe de contradiction est si évi­dent de soi qu'il est le fondement de la raison. Par conséquent, si le monde se compose de parties finies, il est impossible qu'il soit infini; les êtres du monde étant visiblement successifs, il est impossible que le monde soit éternel; la liberté existant visiblement dans l'homme, il est impossible qu'il n'y ait pas une cause libre d'où émane la liberté de l'homme, etc.

C'est ainsi que l'a entendu la raison des philosophes (perennis philo­sophia, dit Leibnitz) (les patriciens de l'intelligence, dit Cicéron) et la raison de tous les peuples.

(p. c, 1)

Quelle est la base prétendue de la critique de la raison pure de Kant, et des positivistes? - Ils s'obstinent à ne voir que des formes subjectives de l'entendement sans réalité au dehors. Tout est phénomène ou apparen­ce. Phénomènes extérieurs du monde perçus par la sensibilité, phénomè­nes intimes perçus par la conscience.

Rép. Il faut bien qu'ils admettent au moins l'objectivité de la raison, de la conscience, de la sensibilité, du critique, etc. etc.

Quant aux idées premières et aux principes absolus de la raison, ils sont éminemment objectifs. Nous les concevons comme éternels, néces­saires, et absolus et comme devant régler toute intelligence.

(p. c, 2)

La phénoménologie universelle avait été réfutée par le ridicule un siè­cle avant Kant, dans ces vers du Virgile Travesti de Scaron:

Je vis l'ombre d'un cocher

Frottant l'ombre d'un carosse

Avec l'ombre d'une brosse.

L'évidence des principes est la base première et la règle suprême de toute certitude.

L'évidence des faits, de l'expérience, du sens commun, de la révéla­tion, toute évidence est contrôlée par l'évidence des principes.

Si on ne les admet pas, il faut tout nier.

Or Kant et les positivistes admettent en certains cas ces principes. Kant admet Dieu et l'immortalité de l'âme comme l'unique raison suf­fisante de la loi et de la (p. c, 3) sanction morales. Les positivistes affir­ment l'existence de la matière, la réalité du monde extérieur, les lois constantes et générales de la nature, les substances, la vie, la sensibilité, l'intelligence, comme l'unique raison suffisante des faits et phénomènes. Ce principe nous suffit pour ruiner tout leur système et pour établir l'existence du Dieu personnel, de la liberté, etc.

Obj. M. Littré objecte que l'esprit humain ne peut pas connaître l'ab­solu parce qu'il n'est pas absolu lui-même.

Rép. Autant vaudrait dire que l'œil ne peut pas voir le soleil parce qu'il n'est pas le soleil.

Obj. M. Littré répète que la raison doit s'arrêter au fait expérimental, (p. c, 4) que les questions d'origine et de fin la dépassent.

Rép. Autant vaudrait au nom de l'astronomie supprimer la gravita­tion des mondes; ou dire à la flamme de ne pas monter, aux corps pe­sants de ne pas graviter vers le centre de la terre, etc. La raison, pressée par la nécessité logique de ses principes va jusqu'à l'origine et la fin des choses, et ne se repose qu'en Dieu.

(p. 1, 1)

«Le dogme nouveau montre que dans le monde tout obéit à des lois naturelles, qu'on appellera, si l'on veut, les propriétés immanentes des choses», Littré (Conserv. XXVI).

Ces propriétés résident originairement dans les corps simples, analy­sés par la chimie: Certains de ces corps simples, tels que l'oxygène, l'hy­drogène, l'azote et le carbone, ont la propriété de s'organiser …Id.

«La vie est une efflorescence de la matière brute», About (progrès).

«La quantité pure (étendue vide et abstraite) appelait la quantité déter­minée (matière physique, chimique et organique) et celle-ci appelait la quantité supprimée (la pensée)», Taine: Revue des 2 m., 1 mars 61).

«Dieu, c'est la substance même de l'univers, passant successivement de l'état atomique (p. 1,2) à l'état moléculaire, de l'état moléculaire, à l'état solaire, de l'état solaire à l'état planétaire, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elle arrive enfin à la conscience d'elle-même dans la période historique de l'humanité». Renan, Rev. des 2 m., 15 oct. 64.

L'atome est donc le principe de toutes choses: tout émane de lui.

Réponses générales:

1° L'éternité de la matière est inadmissible. Thèse déja prouvée.

2° L'inertie de la matière est un axiome de la science. Thèse suivante.

Réponses spéciales:

Selon Renan: les propriétés immanentes des atomes sont le besoin de marche et le besoin de progrès. Le point d'appui c'est le temps, cœfficient de l'éternel devenir. - Réponse: pourquoi des myriades d'atomes n'auraient-ils pas éprouvé jusqu'ici ce besoin de progrès? - Comment expliquer par là les merveilles de l'univers? ces atomes qui (p. 1,3) se sé­pareraient, formeraient les soleils et les planètes, régleraient leurs orbi­tes, leurs vitesses, leurs distances, etc. etc. comment auraient-ils résolu le problème de la vie? Ici Renan nous renvoie aux systèmes de Démocri­te, de Lamarck et de Darwin en goûtant principalement le dernier.

2° Selon Démocrite, Epicure et Lucrèce, il suffit pour tout expliquer d'un crochet aux flancs de chaque atome, d'un mouvement éternel et nécessaire, d'un dynamen bien ménagé, et du hasard. Cet absurde système est abandonné.

3° Selon Lamarck, il y a deux facteurs de la vie, un facteur essentiel, le pouvoir de la vie; un facteur modifiant, l'action des milieux. Le pouvoir de la vie se résout dans un double agent, le besoin qui crée les organes et l'habitude qui les modifie. Par exemple: des molécules éprouvent le besoin de respi-rer, de marcher, de nager, (p. 1,4) de voler; ce besoin et l'habitude leur créeront des poumons, des pieds, des nageoires ou des ailes, etc. - Cet absurde système est également abandoné comme n'étant plus à la hau­teur de la science moderne.

4° Selon Darwin il ne faut à la molécule inorganique pour créer la vie multiple et variée que deux agents: l'élection naturelle et la concurrence vitale. Par l'élection, des molécules douées par hasard du même caractère se sont unies et par une série de combinaisons analogues ont produit un type, une espèce. Ce type originaire s'est dédoublé en deux éléments sexuels, désormais impérissables, etc. (Guthlin p. 170).

Au fond de tout cela il n'y a rien de plus que le hasard d'Epicure, tom­bé dans l'absurde, au dire de Renan lui-même. - Il faut en dire autant des propriétés immanentes de Littré, de l'éternel axiome et de la force contraignante de Taine. Les atomes auraient résolu le problème le plus effrayant de l'ordre, de la sagesse, du calcul, de l'harmonie.

(p. 2,1)

Les atomes bruts de la matière se sont mis d'eux-mêmes en mouve­ment, disent les positivistes.

1° Cela fût-il vrai, les arguments de la raison logique et morale n'en conserveraient pas moins leur invincible évidence.

2° C'est une loi de la science que tous les éléments de la matière sont inertes, c'est-à-dire indifférents au mouvement ou au repos. «Un point en repos ne peut se donner le mouvement. Cette tendance de la matière à persévérer dans son état de mouvement et de repos est ce que l'on nomme l'inertie. C'est la première loi du mouvement des corps» (Lapla­ce, Système du monde).

«Corpus omne perseverat in statu suc, quiescendi vel movendi unifor­miter in directum, nisi quatenus a viribus impressis cogitur statum suum mutare» (Newton, Principia philosophiae).

Tout mouvement de la matière est donc un mouvement communiqué. (p. 2,2) Tout atome en mouvement est donc mû par un autre atome, celui-ci par un autre et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on arrive à un pre­mier moteur qui n'est pas la matière.

- L'objection la plus spécieuse du système est la force d'attraction inhé­rente à chaque élément de la matière. Le principe du mouvement est donc dans la matière elle-même et il est inutile de le chercher en Dieu.

- Réponse: il reste vrai que tout atome est toujours déterminé par quelque autre soit à s'arrêter, soit à se mouvoir. Suprimez le second ato­me, le premier restera éternellement immobile, s'il est en repos; éternel­lement en marche, s'il se meut. Or, c'est là l'essence même de l'inertie. - Dès lors la gravitation des globes se compose d'une série de mouve­ments contingents et successifs, conditionnés les uns par les autres et se rattachant les uns aux autres comme autant d'anneaux d'une vaste chaîne. Or, toute série a un commencement, toute chaîne (p. 3,3) un premier anneau. - La matière n'a donc en elle-même ni la raison der­nière de son existence, ni celle de ses mouvements. Cette raison dernière , est en Dieu.

2° La force d'attraction seule n'engendrerait qu'un éternel repos en agglo­mérant toute la matière des mondes en une seule masse qui-se reposerait dans une irrémédiable inertie.

Il faut une autre force qui neutralise son action. C'est la force centrifuge qui est radicalement opposée à la force d'attraction. L'attraction agit dans le sens du rayon de l'orbite du mouvement et la force centrifuge dans les sens de la tangente. La force centrifuge est une force d'impulsion.

(p. 2,4)

Quelle main a contraint le soleil à tourner sur lui-même? Quelle main à lancé les planètes sur la tangente de leurs orbites? Quelle main a pro­portionné l'impulsion de la vitesse à la masse et à la distance? Quelle main a équilibré l'attraction et l'impulsion? Quelle main a réglé tous les harmonieux mouvements des corps célestes?

Ce n'est pas l'attraction - ce n'est pas le hasard - ce n'est pas une force d'impulsion matérielle, puisque toute impulsion est communiquée. - C'est une puissance supérieure à toutes les forces de la matière, puissan­ce autonome, spontanée, libre. C'est Dieu.

(p. 3,1)

Quel est le principe de la vie d'un organisme. Les organiciens disent: c'est la matière organisée elle-même. Les vitalistes disent: c'est une force organisatrice, motrice et reproductrice, qui emploie la matière comme instrument de ses opérations. Les positivistes sont organiciens et préten­dent de plus que l'organisme primitif s'est engendré spontanément.

Réponse: 1° La raison nous enseigne qu'il n'y a pas d'effet sans cause suffisante; par conséquent, d'effet supérieur à sa cause. Or, il est évident que les propriétés de la vie, telles que l'organisation, la nutrition, la re­production, et dans un ordre plus élevé, la sensibilité, la locomotion, l'intelligence, la volonté, ne sont pas des propriétés inhérentes à chaque atome.

2° La science prouve qu'il n'y a pas de générations spontanées.

(p. 3,2)

a) C'est la loi de la nature, approuvée par l'expérience des siècles. Partout et toujours le concours des sexes préside à la génération des espèces vivantes.

A cette loi ils ne peuvent opposer qu'une hypothèse relative aux infini­ment petits.

b) Cette hypothèse fût-elle vraie, qu'elle ne prouverait rien pour les organismes d'un degré supérieur.

Obj. Ils objectent les expériences du chimiste Berthelot.

Rép. Elles concluent contre eux: il a pu à peine reproduire des matiè­res organiques (sucre, alcool) avec des éléments organiques.

Obj. 2. M. Ponchet objecte la production multiple des infusoires.

Rép. Ehrenberg, à l'aide d'instruments d'optique très parfaits a pu en reconnaître l'organisation et les sexes.

Obj. 3. M. Ponchet a reconnu des générations dans des matières puri­fiées par l'ébullition.

Rép. M. Ponchet avait introduit dans ses ballons la cuve à mercure et au mercure (p. 3,3) étaient adhérants des germes. L'expérience le prou­ve… Sans mercure il n'y a pas de générations.

M. Pasteur obtient ou supprime à volonté les générations en intrudui­sant ou en supprimant tour à tour dans les infusions du coton-poudre contenant des germes.

Autre expérience: pas de générations dans un liquide contenu dans un ballon à col recourbé parce que les germes de l'air n'y tombent pas.

Obj. 4. Le grand nombre des générations est difficile à expliquer par le concours des sexes.

Rép. Ehrenberg a reconnu que les microzoaires se reproduisaient avec une rapidité merveilleuse.

- Expérience concluante des ballons avec air pur recueilli aux Pyré­nées. Après des expériences douteuses de M.M. Ponchet et Pasteur, l'académie des sciences (p. 3,4) a organisé une expérience solennelle avec 60 ballons et après cinq mois a jugé en janvier 1872 qu'il n'y a pas d'exemple de génération spontanée.

- La vie ne naît que de la vie.

(p. 4,1)

Rép. Voici les conclusions de M. Flourens: le caractère de l'espèce est la fécondité continue : le caractère du genre est la fécondité bornée. Tous les individus d'une même espèce peuvent s'unir et leur union est d'une fé­condité continue; toutes les espèces d'un même genre peuvent s'unir aus­si; mais leur union n'est que d'une fécondité bornée.

La fécondité des races comme celle des espèces est éternelle, parce que la race n'est qu'une variété, qu'une modification de l'espèce (ex. des races de chevaux, de chiens, d'hommes). Toutes les races d'hommes sont fé­condes entre elles d'une fécondité continue. fait qui prouve l'unité de l'espè­ce humaine, l'unité physique de l'homme.

Le croisement des races donne toujours des races nouvelles. - Le croise­ment des espèces ne donne jamais des espèces nouvelles.

Quant aux animaux appartenant à des (p. 4,2) genres ou à des ordres dif­férents, leur union est absolument inféconde.

Chaque espèce forme donc un cercle fixe, permanent, infranchissable. C'est un fait d'expérience. Les momies antiques, les descriptions (Ari­stote, Pline) montrent qu'aucune espèce n'a changé.

L'immutabilité des espèces est devenue un axiome de la science.

Darwin a confondu les races qui sont indéfiniment variables, avec les espèces qui sont essentiellement fixes et immuables. Il a affirmé des ca­ractères essentiels et primitifs, ce qui n'est vrai que des caractères acci­dentels et secondaires.

L'action des milieux se borne à modifier les caractères accidentels des races.

L'espèce humaine étant immuable comme toutes les autres espèces, elle n'a pu dériver des singes ou des champignons. Le premier couple humain, n'ayant pas (p. 4,3) été le fruit d'une métamorphose, a dû être produit tel quel, d'un premier jet et à l'état adulte, pour pouvoir subsister.

Obj. Dans les conditions primordiales de notre globe, la matière avait une vertu créatrice.

Rép. Ce sont des assertions gratuites et puériles, les lois essentielles de la matière ne seraient-elles plus des lois? Quelle est la base de-cette asser­tion qui suppose que le mouvement serait né de l'inertie, l'ordre du ha­sard, la sensibilité de l'insensibilité; l'intelligence de l'inintelligence, en un mot, l'être du néant.

Obj. Au point de vue géologique, qq. darwinistes nous opposent la conformation des crânes humains antédiluviens.

Rép. Les restes certains les plus anciens sont ceux découverts dans le cimetière de Solutré (Maronnais) par M. de Ferry en 1865, et dans la grotte de Cro-Magnon (Dordogne) par M. (p. 4,4) Lartet en 1868.

Ils ne diffèrent pas d'une façon notable du type actuel, dit M. Fio­guier, (l'homme primitif). Ils remontent à l'époque dite quaternaire (de l'Auroch et du Renne). M. Pruner-Rey les rapporte au type Mongoloïde (Lapons, Finnois, Esquimaux et Tartares).

Ils portent avec eux des traces de l'intelligence industrieuse (armes et instruments divers) et de croyances religieuses (culte des morts, ali­ments, armes etc., qui indiquent la croyance à l'autre vie).

Obj. Au point de vue anatomique.

Rép. 1. Le singe le plus parfait a toujours le type des grimpeurs.

2. Le singe et l'homme suivent dans leur développement physique un ordre inverse. Avec l'âge, le cerveau du singe se rétrécit, celui de l'hom­me s'élargit, etc.

(p. 5,1)

L'art est l'expression de la beauté idéale sous une forme créée. P. Félix. Le beau c'est la splendeur de l'ordre. St. Aug. Unité, variété, convenance, propor­tion, symétrie, puissance, harmonie, tout cela entre dans le mystère ca­ché de la beauté. - Types de beauté: P. Félix, p. 15 à 20. Conf. 1867. - De l'idéal. La beauté que l'artiste doit exprimer dans ses œuvres, ce n'est pas seulement la beauté réelle. C'est l'idéal, beauté céleste, dont notre âme a la révélation en son plus intime sanctuaire. - Témoigna­ges: Phidias, au dire de Cicéron, quand il sculptait la statue de Jupiter ou de Minerve, ne se contentait pas de regarder un beau modèle humain pour en exprimer la ressemblance, mais il dirigeait sa pensée (p. 5,2) et sa main pour saisir et exprimer le type achevé de la beauté qu'il contem­plait en lui-même. - Raphaël écrivait à un ami: «comme je n'ai pas sous mes yeux de modèle qui me satisfasse, je me sers d'un certain idéal de beauté que je trouve en mon âme». - Michel-Ange a dit dans une poésie: «Déployant ses ailes pour s'élever vers les cieux d'où elle est descendue, l'âme ne s'arrête pas à la beauté qui séduit les yeux; mais elle cherche, dans son vol sublime, à atteindre le principe du beau universel». Or, cet idéal que peut-il être sinon une participation à l'Idée divine elle-même, un reflet de la lumière du Verbe de Dieu? Ainsi s'expliquent et le carac­tère religieux du Beau, et l'enthousiasme qu'il fait naître. De même que les plantes suivant leurs dispositions s'assimilent diversement la lumière et la chaleur du soleil et produisent des fleurs variées. De même les di­vers génies (p. 5,3) subissent diversement l'influence du même soleil di­vin de l'idéal et produisent les fleurs variées de l'art.

En face de cette théorie rationnelle et religieuse de l'art, que prétend le positivisme?

- L'art et le génie artistique doivent se borner, prétend-il, à imiter la nature. C'est réduire l'art au rôle d'un copiste, d'un appareil mécanique ou d'une simple photographie.

Rép. Sans doute l'art doit étudier la nature qui manifeste elle-même l'idée divine. Mais la nature est finie: ses œuvres sont imparfaites et fi­nies. Par l'action des lois de la nature, l'influence des causes perturbatri­ces, l'abus de la liberté, les types peuvent s'altérer et s'éloigner de l'idéal divin. - Faire du réalisme dans l'art ce n'est plus lui donner pour objet la réalisation du Beau, c'est le condamner à n'être que l'instrument hu­milié des (p. 5,4) caprices de la réalité. C'est renier l'enseignement de la conscience et du génie relativement à l'art et à l'idéal.

Avec l'idéal disparaît tout ce qu'il y a de grand, d'original, de vraiment créateur. La source de l'enthousiasme et de l'inspiration est tarie. Le vul­gaire, le commun, le trivial envahissent le domaine de l'art. Le procédé se substitue au génie, la copie à l'invention, le mécanisme à l'inspiration. Le réalisme sans contrepoids aboutit au matérialisme et à la corruption.

L'union intime de l'idéal et du réel, telle est donc la loi fondamentale de l'art. La nature idéalisée nous présente la seule formule qui convienne à l'art digne de ce nom.

(p. 6,1)

- Nous avons vu que le Positivisme méconnaît l'idéal et l'inspira­tion. En second lieu il méconnaît le but de l'art.

Quel est le but et la destinée de l'art? Quelle est la véritable vocation et la fonction providentielle de l'artiste? - L'art a comme tout le reste une fin suprême qui est la gloire de Dieu. Il a de plus une fin prochaine qui est de perfectionner la vie humaine en la rapprochant de son Idéal, qui est Dieu même. Cette destinée de l'art est reconnue par les plus grands esprits. «On a tort de croire, disait un Académicien, que pour se mettre à la portée de la foule, l'art soit obligé de descendre: il n'a qu'à l'appeler en haut pour qu'elle monte avec lui». - Les païens eux-mêmes ne pensaient pas que l'art ne fût destiné qu'à remuer la fibre de la sensi­bilité ou bien à amuser l'humanité! Aristote y cherchait un moyen de purification et d'élévation. Aussi voulait-il qu'on représentât dans l'art plutôt le type idéal des hommes et des choses que leur réalité triviale.

(p. 6,2)

La nature même de l'art l'indique; puisque l'art consiste dans la con­templation, l'amour et l'expression de la beauté idéale, il est, nécessaire­ment, une élévation vers cette beauté infinie qu'il contemple.

Le Positivisme dénature cette vocation en la rabaissant à un but infi­me et inconscient. Il détourne de sa mission la puissance de l'art et la fait servir à abaisser l'humanité!

Le Positivisme rabaisse également l'artiste. Trois choses concourent à former l'artiste: le travail, le génie et le caractère personnel. Ce caractère, pour agrandir et élever les œuvres de l'artiste, doit être éminemment reli­gieux. L'artiste religieux répand sur ses œuvres une lumière qui ne vient pas de la nature seule et qu'on peut nommer le rayon transfigurateur du Surnaturel. - Michel-Ange et Raphaël marchaient le regard fixé sur l'infi­ni. Haydn commençait ses œuvres pas ces mots: in nomine Domini et ter­minait par ceux-ci: Laus Deo. (p. 6,3) Mozart et Palestrina s'inspiraient de l'idée religieuse. - Il ne suffit pas que l'artiste soit dans un sens vague un homme religieux. Il faut qu'il soit un croyant. L'art parle: son œuvre porte parfois le nom générique de poème: il faut qu'elle affirme une foi. Il ne suf­fit pas, quoique dise M. Renan (étude sur Ary Scheffer) que «l'artiste pour réaliser le grand art, accepte un ensemble d'idées religieuses reçues non pas comme un symbole dogmatique, ce qui est assez indifférent, mais comme un langa­ge commun par lequel on se comprend». Comment alors traduire ce qu'on n'éprouve pas dans le fond le plus intime de son être. L'âme sera absente de ces œuvres vides.

J'ajoute que la foi ne suffit pas: il faut à l'artiste l'amour qui est le principe de la communication ou de l'effusion de la vie. Il faut de plus la chasteté qui donne le tact et l'amour de la pure beauté!

(p. 7,1)

v. «Philosophie de l'art». «Histoire de la littérature anglaise»

«Tout art, tout artiste dépend de l'état général des esprits et des mœurs d'un temps». C'est fatal. La méthode à suivre dans la théorie du Beau, c'est la méthode historique. Premièrement, l'œuvre d'art consiste dans l'imitation de la nature; en second lieu, cette imitation ne consiste pas à reproduire les êtres réels, mais les rapports et dépendances des par­ties; en troisième lieu, l'art a pour but de manifester le caractère capital, c. à. d. une qualité dont toutes les autres dérivent. Pour y arriver un don est indispensable, c'est la sensation originelle du caractère à reproduire. Cette sensation une fois produite, toute la machine pensante et nerveuse en reçoit l'ébranlement par contre-coup et c'est là ce qui constitue le génie artistique. (Phil. de l'art. p. 72).

(p. 7,2)

Tout ce système se résume dans le matérialisme et dans une sorte de fatalisme. Il est assez réfuté par son seul exposé!

Il est facile d'étendre à la littérature ce que nous avons dit de l'art. D'après le positivisme tout dans la littérature dépend de la race, du milieu et du moment. Tout se réduit pour le critique, dit M. Taine, à saisir les ressorts primitifs et le mécanisme intérieur. Ex. Le ressort primitif pour les Romains c'est le tempérament sec, la faculté égoïste et politique; pour Shakespeare, le tempérament nerveux et la faculté imaginative; pour Milton, le tempérament musculeux et la faculté logique, etc. etc…

C'est supprimer la liberté, la (p. 7,3) responsabilité, tout l'être moral. Tout en reconnaissant l'influence des races, des tempéraments et des milieux, il ne faut pas réduire à un automatisme physique toutes les ma­nifestations du génie, de l'art, de la vertu.

Considérations historiques

L'art et la littérature d'un peuple sont l'expression complète d'une pé­riode nationale, d'une civilisation, d'une religion.

Ex.: En Egypte: ce qui dominait l'homme c'est l'idée de l'infini qui l'entoure et l'absorbe et la fragilité de l'existence personnelle. - De là le caractère hiératique, traditionnel, immobile des formes de l'art.

- Dans la Grèce, c'est le sentiment énergique de la force humaine, de la personnalité. C'est Dieu et la nature qui sont ramenés aux propor­tions de l'humanité! Les dieux de l'Olympe nous offrent l'image de l'homme idéalisé. - L'art chrétien c'est le triomphe du spiritualisme et de la vertu, c'est le symbolisme le plus puissant et le plus délicat… - La Renaissance ramène l'art et la littérature au paganisme grec et latin. - Le XVIII s. a quelque chose de la solennité et du décorum de la cour. - Il finit par la mignardise qui correspond aux mœurs relachées et frivo­les. - La restauration a ramené un essort merveilleux de spiritualisme: Maine de Biran, Jouffroy, Cousin, de Maistre - Lamartine, Hugo, Cha­teaubriand - Ary Scheffer, Delacroix, Ingres - Beethoven.

(p. 8,1)

La loi morale, c'est Dieu lui-même parlant perpétuellement à notre âme. La voix de Dieu retentit au fond de la Raison morale ou de la Con­science. - Demandez à n'importe quel homme s'il faut approuver, ad­mirer, aimer la vérité ou le mensonge, l'humanité ou la cruauté, la justi­ce ou l'injustice, le respect de la vie ou le meurtre, le respect des parents ou le parricide, le respect de soi-même ou les basses juissances etc. etc…

Cependant cette grande loi morale disparait dans tout athéisme, soit positi­viste soit panthéistique ou autre. En effet, sans un Dieu personnel et libre, nulle liberté; sans liberté, nulle obligation, nulle responsabilité, nulle morale.

Dès lors «l'âme n'est qu'une résultante de la matière» (Renan, Rev. 2 mondes, N. 58). La volition n'est qu'un phénomène actif de l'encéphale (Littré, Dict.). L'esprit est une machine aussi mathématiquement construit qu'une montre. (p. 8,2) L'impulsion donnée nous emporte, nous allons irrésistiblement dans la voie tracée et l'automate spirituel qui fait notre être ne s'arrête plus que pour se briser (Taine, Essais de crit. p. 339). En un mot, les forces qui gouvernent l'homme sont semblables à celles qui gouvernent la nature (Taine, Les phil. du XIX s.).

Ils vous disent que Dieu n'est qu'un être imaginaire (Havet); que la ma­tière est la seule réalité (Littré); que la liberté n'est qu'un mode de l'activité cérébrale (id.); que l'homme fait la sainteté de ce qu'il croit (Taine, Hist. de litt. angl.); que pour les penseurs modernes, il n'y a plus de morale, mais des mœurs, plus de principes, mais des faits (Scherer).

Ils ont beau ensuite écrire quelques pages éloquentes sur la sainteté du devoir, le dévouement à la chose publique etc. (Renan, Essais de mora­le, p. II), c'est un artifice de rhétorique ou une concession involontaire du sens commun. (p. 8,3) Le sens commun leur répond et affirme le de­voir et l'éternelle justice comme sanction du devoir. Ecoutez plutôt ces fou­les infortunées courbées sous la verge sanglante de l'orgueil, de l'arbi­traire, de l'inhumanité; ces millions de martyrs de la Vérité et de la con­science; tant d'esclaves gémissants sous le joug, d'orphelins dépouillés, de victimes de l'iniquité etc.

Que répond à toutes ces plaintes la future religion de l'humanité. «souffre et meurs». Aucune âme n'acceptera ce verdict.

Leur principe: «L'homme fait la bonté de ce qu'il aime» réduit l'hom­me à lui-même avec une loi indéterminable, variable comme les individus et qui cédera devant l'intérêt et les passions (Syllabus, LVIII.LIX).

Le sens commun affirme la loi morale universelle dont le principe est la justice de Dieu et qui est promulguée d'une manière universelle et per­pétuelle par notre conscience.

(p. 8, 4)

- La conscience humaine est infirme. Si elle agissait par elle-même, elle serait contrecarrée par les appétits, mais elle agit sous l'influence de la loi éternelle. Cela ne suffit pas encore. La conscience est obligée d'accepter la manifestation évidente surnaturelle d'une loi supérieure et d'une fin supé­rieure.

N'eût-elle pas rencontré cette manifestation ou révélation, elle devrait la chercher à cause de son impuissance. La conscience assiégée par ses ennemis était tombée dans les ténèbres. Dieu est venu à son secours au Sinaï d'abord puis par l'Incarnation (Monsabré, Radic., 63-65).

- Les hommes qui vivent en dehors de la Révélation, et parmi eux les philosphes les plus éminents ayant toujours erré sur quelques points ca­pitaux de la morale, il y a là une preuve éclatante de la nécessité morale d'une Révélation pour le monde.

(p. 9,1)

La plupart des positivistes reculent devant les conséquences de leur système qui conduit au fatalisme et supprime la morale, et ils procla­ment la morale indépendante.

La morale renferme trois éléments: un agent, une fin vers laquelle il tend, une loi qui règle son action.

L'agent moral c'est la personne. Qu'est-ce que la personne?

Les partisans de la morale indépendante disent: c'est un fait qui ne se révèle que par le sentiment. Tout se ramène «à la faculté qu'a l'homme de sentir sa dignité dans la personne de son semblable comme dans sa propre personne» (Proudhon, De la justice… t. I, p. 182). - L'homme en possession du sentiment de sa dignité personnelle s'affirme au dehors et dit: Respectez mon acte, j'ai le droit pour moi. Puis, voyant autour de lui d'autres êtres qui portent au front la (p. 9,2) même dignité qu'il a sentie en lui: Personnes, s'écrie-t-il, je vous ai mesurées sur moi et je vous ai trouvées mes égales; vous avez des droits comme moi, et ces droits se retournent vis à vis de ma conscience, crient en moi ce que l'on appelait autrefois des devoirs. Voilà toute la morale.

Cette description de l'agent moral est incomplète. Ce sentiment de l'indé­pendance et de l'énergie propre convient à l'animal comme à l'homme. Le témoignage universel et le sens commun nous enseignent que ce qui caractérise la personne, c'est la responsabilité! la personne morale com­mence avec la responsabilité. La responsabilité suppose la liberté. La li­berté exige la connaissance de la vérité, mais de la vérité qui s'impose avec autorité, c'est-à-dire de la loi. La loi détermine le droit et le devoir.

La loi est humaine en ce sens qu'elle est écrite dans notre conscience.

(p. 9,3)

Elle est divine, parce que la vérité objective qui s'impose à tous ne peut être que le reflet de la vérité infinie et personnelle qui est Dieu.

Selon la morale indépendante, la fin de l'homme serait sa propre person­ne et la personne d'autrui. - Ce serait un mélange d'égoïsme et de ser­vilisme. Donner pour fin morale à l'homme sa propre personne, ce serait poser à la morale pour but suprême l'intérêt personnel et le vice, l'égoïsme et l'orgueil. - Lui donner pour fin l'altruisme ou la personne de nos semblables; c'est la réduire au servilisme. - Ces fins se contredisent et ne parviendront pas à s'équilibrer s'il n'y a pas un principe supérieur. Ce serait la guerre sociale.

La véritable fin morale, c'est la justice, qui embrasse tous les droits et les devoirs. Et à son plus haut sommet, c'est la justice personnelle qui est Dieu.

(p. 9,4)

Sa fin morale, concomitante, c'est le bonheur qui est lié à la justice. La morale indépendante ne peut procurer ce bonheur, parce qu'elle ne connaît que la terre où l'alliance de la vertu et du bonheur est à tout le moins incomplète.

La révélation a donné à la loi morale son autorité et son éclat nécessaires.

Sans elle la conscience de la presque totalité des hommes resterait dans les ténèbres.

La grâce donne à l'homme la force nécessaire pour accomplir la loi. L'histoire le prouve. En dehors de la révélation, les lois morales les plus élémentaires ont toujours été universellement violées.

(p. 10,1)

Le mariage doit être aboli en tant qu'institution politique, religieuse, juridique et civile. La famille se constitue par le couple libre, obéissant à la loi des sexes et gardant de part et d'autre la plénitude de ses droits (Voir l'Internationale par Oscar Testut, p. 25 - Programme de la sec­tion de l'Alliance de la dém. soc. à Genève).

«Tous les enfants sont égaux devant la mère». Ils suppriment la pater­nité régulière. Ils réduisent l'union de l'homme et de la femme aux sim­ples rencontres du caprice, de l'instinct, de la passion.

Ils veulent nous faire une société de mâles, de femelles et de petits dont disposera souverainement un dieu qu'ils appellent l'Etat. (p. 10,2) Ces êtres n'ayant pas d'ancêtres à honorer, de traditions à respecter, de foyers à posséder et à défendre,de tombes à pleurer, il n'y aura plus de patrie. Aussi rêvent-ils la suppression des patries et la fusion de tous les aventuriers de naissance et de fortune dans l'internationalité.

Ils sont logiques. Ils tirent impitoyablement les conséquences des em­piétement de la loi humaine sur la loi de Dieu, de la révolution qui a voulu légitimer la famille sans Dieu, de la corruption de nos mœurs et de notre littérature.

(p. 10,3)

La famille est constituée par Dieu. Il y a mis son image, sa loi, sa grâce. a) La Femme est l'image de l'homme (l'os de ses os, la chair de sa chair) «Virago», comme le Verbe est l'image de Dieu le Père. Comme le Père et le Verbe respirent un même amour vivant et personnel, ainsi l'énergie vitale et la chaste passion de l'homme et de la femme produi­sent un être qui leur est cher et que dans l'effusion de leur tendresse ils appellent leur amour. - Le Christ aussi a mis son image dans la famille. «Sacramentum hoc…» «Vir caput est mulieris, sicut Ch. caput est Eccle­siae» . J. C. donne à l'Eglise son honneur et son nom; il l'aime et protè­ge; il lui est fidèle; il est tout entier à elle; il l'élève jusqu'à lui; il lui de­mande une postérité sainte. L'Eglise l'honore et le respecte…

b) Sa loi. L'indissolubilité. (Gen. c. II). L'homme quittera son père et sa mère et il s'attachera à son (p. 10,4) épouse et ils seront deux dans une seule chair. Si par égard pour la dureté des juifs, il tolère en certains cas le divorce, c'est exceptionnel; au commencement il n'en était pas ainsi. C'est la garantie du respect du mariage, de la faiblesse de la fem­me, de l'avenir des enfants. Quod Deus conjunxit, homo non separet, (Mt XIX).

c) Pour remédier aux infirmités de la nature qui rendaient dure la loi, le Christ y a ajouté sa grâce. La nature aura à subir l'inconstance de temps, les révlations de l'inconnu.

La grâce est sage: elle apprend que rien n'est parfait ici-bas… elle est patiente: elle affermit le cœur contre le choc des défauts et leur révéla­tion. Elle est miséricordieuse. Elle est juste: alter alterius onera portate. Elle est fidèle au devoir.

(p. 11,1)

Erreur radicale: si le couple libre pouvait réussir, l'Etat serait le père universel et nous aurions pour tous les enfants des deux sexes, dès leur naissance à la vie, l'égalité des moyens de développement, c'est-à-dire d'entretien, d'éducation et d'instruction à tous les degrés de la science, de l'industrie et des arts.

En attendant, tout vrai et bon radical doit avoir pour objectif la dépos­session des chefs de famille, quant à l'instruction de leurs enfants, c'-à-d. l'enseignement universel par la contrainte, la solidarité universelle dans les frais de cet enseignement, lequel a pour objet la science pure, déga­gée de tout dogmatisme religieux; en trois mots: instruction obligatoire, gratuite et laïque (L'internationale, par Oscar Testut, p. 25).

Syllabus, prop. 45-46. 47-48.

(p. 11, 3)

Thèse Catholique - voir Excerpta p. 17.

(p. 12,1)

Erreurs radicales. Le socialisme radical veut aboutir à la démagogie. «Il faut enlever l'éducation à la corporation ecclésiastique et l'instruction à la corporation universitaire… et remettre le gouvernement des affaires aux mains des prolétaires que leur nombre, leur pauvreté et leur dégage­ment de la plupart des préjugés métaphysiques appellent à ce rôle… Pour que les prolétaires mettent directement la main au gouvernement, le suffrage universel sera écarté car il ôte à Paris la prépondérance que cette grande cité a eue sur la transmission du pouvoir… Le positivisme se propose d'investir Paris de la fonction d'élire pour toute (p. 12,2) la France le pouvoir exécutif, et sans doute, Paris ne tarderait pas à confier l'autorité à des prolétaires. L'école positiviste ne reconnaissant ni Dieu, ni l'âme, ni la liberté, ni la sanction morale, il ne reste que les forces de la matière, le jeu mécanique de l'automate humain et les instincts, les besoins, les impulsions telles quelles de cet automate.

Prop. du Syllabus.

LX. L'autorité n'est autre chose que la somme du nombre et des for­ces matérielles.

LXIII. Il est permis de refuser l'obéissance aux princes légitimes et même de se révolter contre eux.

(p. 12,3)

L'erreur totale nie la souveraineté de Dieu sur les sociétés…

(p. 12 bis, 1)

Préface: Cette matière forme, sous le nom d'éthique ou de morale et droit naturel, la dernière partie du cours, même élémentaire, de philoso­phie. Or, il n'y a peut-être pas deux de nos collèges, ni dix de nos sémi­naires où cette partie si importante de la science ait été enseignée depuis 1790 jusqu'en 1875… On peut donner aux erreurs sociales modernes le nom générique de libéralisme. Toutes les erreurs se parent de ce nom de­puis un siècle. Syll. Prop. 80. Les tyrans de Suisse, d'Italie et d'Allema­gne se parent de ce nom.

Ce n'est pas comme on pourrait le croire un système tempéré de gou­vernement, favorable à la liberté des citoyens. - Le libéralisme se plie à toutes les formes politiques et se sert de toutes pour arriver à son but qui n'est pas d'assurer la plus grande somme de liberté aux gens de bien. Il est par nature tyrannique et oppressif de la vraie liberté; il ne souffre pas d'autre autorité que celle des hommes animés de son esprit; (p. 12 bis, 2) il tolère ou professe tous les cultes, tous les dogmes, à condition que la société politique ne sera pas mise dans l'absolue dépendance de Dieu; qu'on ne subordonnera point l'ordre naturel à l'ordre surnaturel, et que sous prétexte de l'autre vie, l'Eglise n'aura jamais droit d'exercer, au nom du Christ, une autorité quelconque sur la société temporelle.

Le libéralisme absolu va jusqu'à l'athéisme et au panthéisme. Le libé­ralisme modéré dont le libéralisme catholique est une branche nie seule­ment que la souverainete de Dieu sur les sociétés humaines ait été con­fiée à l'Eglise.

Nous nous proposons d'établir la souveraineté de Dieu sur tout l'or­dre social et la part de souveraineté sur l'ordre social donnée par Dieu à l'Eglise dans la personne de St. Pierre.

La base de toute cette étude c'est la notion de Dieu créateur. (p. 12 bis, 3) Dieu créateur est le maître absolu de toute créature; il est le maître non seulement de chaque homme, mais de toute société humaine.

Il faudra d'abord donner une idée bien nette de ce que c'est que la so­ciété civile ou l'Etat.

Ce n'est pas seulement la somme des droits individuels mis librement en commun, ni une pure abstraction de l'esprit… L'Etat est une person­ne morale, vivante, agissante, responsable.

De la notion de l'Etat nous remonterons à sa source et nous montre­rons que la source des souverainetés humaines est divine. Ceux qui gou­vernent les Etats sont ministres de Dieu et non pas du peuple.

Nous verrons comment le droit de gouverner les hommes peut s'ac­quérir ou se perdre.

De la dépendance de l'Etat et de sa responsabilité envers Dieu résul­tent ses devoirs. - Les devoirs de l'Etat se réduisent à deux principaux: la religion (p. 12 bis, 4) et la justice.

Quant à la religion, chaque Etat a pour obligation première de protéger publiquement et efficacement le vrai culte qui est dû à Dieu créateur. Nous verrons comment cette vérité est conciliable avec les idées moder­nes et si l'Etat peut honorer Dieu du culte qui est dû à lui seul, tout en établissant ou en tolérant la liberté des cultes, de la presse et de l'ensei­gnement.

Le second devoir de l'Etat est la justice, vertu qui consiste dans la vo­lonté ferme et constante de respecter les droits d'autrui.

Les principaux droits des citoyens ne viennent pas de l'Etat qui est leur protecteur. L' Etat doit respecter le droit de propriété, les droits de la fa­mille, les droits des autres sociétés fondées en dehors de lui et les droits de l'Eglise, s'il plaît à Dieu de fonder une société religieuse où tous les hom­mes et tous les peuples sont tenus d'entrer. Dieu a voulu l'union dans la subordination de l'Etat à l'Eglise pour tout ce qui intéresse la foi et les mœurs. (p. 12 ter,1) Souverain domaine de Dieu sur toute créature, spé­cialement sur chaque homme et sur chaque société humaine.

Le premier titre de la souveraineté de Dieu est la création. Le deuxiè­me, c'est la conservation. St. Thomas: «Dieu conserve les choses dans l'être qu'il leur a une fois donné en le leur donnant toujours». - En troi­sième lieu, nous appartenons encore à Dieu par droit de rédemption. Encore bien que l'homme ne se soit soustrait à l'autorité de Dieu qu'au mépris de tous les droits, Dieu a voulu le racheter en y mettant pour prix le sang du Christ.

Les hommes peuvent avoir sur les choses un droit de propriété pour leur propre utilité; et sur les personnes un droit d'autorité pour l'utilité de ces personnes. - Dieu a un droit de propriété et d'autorité sur toutes per­sonnes et il est la fin dernière de cette autorité.

Le titre de fin dernière est le quatrième titre de la propriété de Dieu sur les hommes. L'autorité suprême s'appelle souveraineté. La souveraineté s'exerce par la juridiction ou le droit de gouverner.

(p. 12 ter, 2)

Au droit suprême de juridiction ou de souveraineté appartiennent cinq actes divers qui sont: ordonner, défendre, permettre, punir et ré­compenser.

Ce droit de juridiction, se trouve éminemment en Dieu:

1° Dieu seul le possède par lui-même.

2° La souveraineté divine s'étend à toute la nature raisonnable, aux puissances de la terre et aux puissances du ciel.

3° Elle embrasse tous les temps et tous les lieux.

4° Elle est sans limites. Il pourrait rendre obligatoires toutes les bon­nes œuvres, changer les conseils en préceptes, nous imposer des austéri­tés et pénitences.

5° Souverain aussi est le pouvoir qu'il a de punir, pour le temps et pour l'éternité.

6° Souverain son pouvoir de récompenser.

- Dieu est le maître souverain de toute société humaine, car l'in­stinct de sociabilité lui-même et le besoin de société ont Dieu pour au­teur.

Les hommes sont égaux par nature. l'inégalité nécessaire pour la socié­té a été (p. 12 ter,3) voulue de Dieu. Aucun homme ne pourra se dire su­périeur à un autre s'il n'est d'une manière spéciale l'image de Dieu Sou­verain. Aucune autorité ne peut être légitime si elle ne vient de Dieu di­rectement ou indirectement.

Dieu est donc le maître absolu de l'ordre social dans toutes ses formes: 1° parce que l'autorité vient de lui; 2° parce que ceux qui l'exercent lui en doivent un compte rigoureux; 3° parce que la fin de la société étant le bien des individus qui la composent c'est à Dieu, fin dernière de chacun de nous, qu'est assujéti l'ordre social, moyen voulu de Dieu et par lui établi pou nous rendre ici-bas plus facile l'accomplissement de nos de­voirs individuels.

(p. 13,1)

=====L’Etat n’est pas simplement la somme des droits individuels L’Etat se personnifie en ceux qui exercent la souveraineté

- Définition: L'Etat c'est à proprement parler le gouvernement d'une nation - c'est ce qui commande, ce qui dirige, en un mot ce qui possède et exerce la souveraineté politique.

- L'école de Rousseau dit que «l'autorité n'est pas autre chose que la somme du nombre et de forces matérielles», Prop. 60 du Syllabus.

- Réponse: L'autorité est un droit spécial dans toute la rigueur du mot, c'est-à-dire d'une autre espèce que celle des droits individuels pour deux raisons, d'abord parce qu'il diffère, non pas accidentellement, mais par son essence même, des droits individuels; ensuite, parce qu'il est destiné à coordonner ceux-ci et même à les modifier selon l'exigence du bien commun. Multipliez jusqu'à l'infini les droits individuels, additionnez-les ou prenez-les collectivement: ce ne sera jamais autre chose que ce qu'ils sont distributivement, c'est-à-dire la matière (p. 13,2) capable et ayant impérieux besoin d'être ordonné, jamais le princi­pe ordonnant. Sinon, autant vaudrait soutenir que la faim de plusieurs pauvres réunis suffit pour leur procurer de la nourriture.

Donc le principe qui donne l'unité, c'est-à-dire la réalité au corps so­cial, ce principe qu'on appelle le pouvoir ou l'autorité, ne peut pas déri­ver de la multitude prise en détail ou en bloc parce que cette multitude, considérée en soi, n'est que la matière confuse, sans ordre, sans unité. Le pouvoir vient donc de plus haute source, de la source même d'où dé­coule le commandement ou la loi ordonnatrice; il vient de Dieu seul qui, dans l'ordre ou le monde naturel, nous manifeste sa volonté par la lu­mière de la raison.

- Objection: je vois, dans l'histoire, des souverains nommés par le peuple et qui n'en sont pas moins reconnus légitimes.

(p. 13, 3).

Rép. Il n'y a dans ce fait que la désignation en certains cas du sujet du pouvoir. - La raison ratifie cette désignation accidentellement nécessai­re, quand elle n'émane pas de Dieu même. Elle peut émaner de Dieu soit par révélation positive, soit par la lumière naturelle de notre intelli­gence qui nous prescrit de respecter un droit prédominant: par ex. à l'origine de l'histoire, quand la société est l'effet du développement na­turel d'une famille unique…; ou plus tard, lorsque le sujet du pouvoir le possède en vertu de la loi fondamentale du pays. Mais si la succession a été brisée, si le pouvoir est vacant, c'est à une nécessité sociale que pour­voit la désignation populaire.

- Le peuple n'est pas pour cela souverain. Il ne fait qu'obéir à la loi même de sa nature, qui l'oblige à chercher un sujet capable d'exercer la souveraineté établie par Dieu.

Objection: tout peuple est un être collectif composé d'individus essen­tiellement libres. (p. 13,4) Donc le peuple aussi est libre essentielle­ment et il ne peut aliéner sa liberté.

Rép. S'il s'agit de l'esclavage, c'est vrai. L'homme ne peut se dé­pouiller de sa dignité de personne indissolublement unie à l'essence mê­me de l'homme. S'il s'agit d'une simple sujétion ou dépendance il n'en est pas de même. La sujétion de la femme, de l'enfant et du domestique n'est-elle pas raisonnable?

Obj. Mais la dépendance civile ou politique est avilissante et contraire à l'essence humaine.

Rép. L'indépendance politique n'est pas plus essentielle que le célibat et l'aliénation qu'on en fait est utile à l'homme honorable et conforme à sa nature. Il est naturel que l'homme entre en société et l'essence de la société exige l'inégalité et la dépendance.

(p. 14,1)

- Il en serait autrement, toutefois, si le peuple au lieu de désigner le sujet de l'autorité, et de créer un souverain, retenait la souveraineté et la faisait gérer par un président de république. C'est un cas analogue à ce­lui où le propriétaire fait choix d'un simple administrateur pour gérer ses biens.

- Mais si c'est vraiment un souverain qui est élu, aussitôt il a reçu la racine même du droit de commander et il ne dépend plus du bon plaisir populaire.

Objection: Le prince est établi pour le bien du peuple et non le peuple pour le bien du prince. Donc, subordonné au peuple comme à sa fin le prince pourra être déposé par le peuple en vertu de la souveraineté radi­cale qui lui reste.

Rép. La conclusion ne ressort pas des prémisses. Il est vrai que le prince est pour le bien du peuple. C'est en cela que la souveraineté diffère essentiellement de la propriété. Mais le droit de déposition n'en ressort pas. (p. 14,2) En effet, le pouvoir paternel n'est-il pas pour le bien des enfants et même le pouvoir marital pour le bien de la femme? Assurément, cependant, la femme ne peut pas à son gré déposer son mari, ni les enfants déposer leur père. Ce n'est pas à dire que en aucun cas les liens de dépen­dance ne pourront pas être rompus. Mais ce ne sera que dans les cas déter­minés par la nature ou par la loi supérieure de Dieu.

Obj. Mais l'élection a la forme d'un contrat et par suite elle dépend uniquement de la volonté humaine.

Rép. Le mariage aussi ne se forme-t-il pas à la manière d'un contrat? Il n'en est pas moins indissoluble, parce que la loi divine défend de le dis­soudre. Le prince, encore qu'il soit pour l'avantage du peuple, n'est pas le ministre du peuple, mais le ministre de Dieu pour le bien. (p. 14,3) Or, le ministre ne peut être congédié que par celui dont il tient la place, et nullement par ceux au profit desquels il exerce son ministère.

=====L’Etat n’est pas une pure abstraction. Il existe réellement dans la personne de ceux qui exercent la souveraineté

Roger Collard et les libéraux ne voient dans l'Etat qu'une abstrac­tion. D'où ils concluent que l'Etat n'a pas de devoirs au point de vue re­ligieux. «La société n'est pas autrement responsable, ni justiciable de Dieu, qu'une compagnie commerciale ou industrielle… Elle n'a pas d'âme. Si elle n'a pas d'âme, ou ne peut pas dire qu'elle doit croire, pro­fesser, etc. « voir M. de Barante, M. Laboulaye, etc. (la séparation de l'Eglise et de l'Etat).

Rép. L'Etat existe dans la personne de ceux qui exercent la souverai­neté (p. 14,4). Ils sont responsables devant Dieu. Autrement il n'y au­rait pas de devoirs d'Etat. Les plus puissants personnages dans leurs ac­tes les plus importants échapperaient à la loi du devoir.

Les païens eux-mêmes l'ont reconnu: Cicéron de rép. «pour tous ceux qui auront soutenu, agrandi leur patrie, il y a dans le ciel une place certaine et déterminée…».

L'Etat est donc une réalité très vivante résultant des personnes qui exer­cent l'autorité. Et il a autant d'âmes à sauver qu'il y a d'individus exerçant la magistrature politique. La morale pour eux comprend des devoirs per­sonnels et des devoirs d'Etat. Leur conscience doit appliquer les règles de justice tant à leurs actions publiques qu'à leurs actions privées.

Lire au libre de la Sagesse le ch. VI, v. 2 seq.

- Autrement, les souverains pourraient comme tels mépriser toute justice et tyranniser leurs peuples en s'abritant derrière cette maxime «l' Etat est une abstraction qui n'a ni âme ni conscience».

(p. 15,1)

=====La source de la souveraineté est divine. Le Souverain n’est qu’un ministre de Dieu et non pas du peuple

I. Preuves de foi tirées de l'Ecriture et de la Tradition.

1° Pr 8, 15-16. Per me reges regnant et legum conditores justa decer­nunt: per me principes imperant, et potentes decernunt justitiam.

2° Sg 6, 4. Audite reges et intelligite… praebete aures vos qui conti­netis multitudines… quoniam data est a Domino potestas vobis, et virtus ab Altissimo, qui interrogabit opera vestra.

3° Jr 27, 4. 6. Ego feci terrain et homines et jumenta… et dedi eam ei qui placuit in oculis meis… Et nunc itaque ego dedi omnes terras istas in manu Nabuchodonosor, regis Babylonis.

4° Dn 5, 21. Donec cognosceret quod potestatem haberet Dominus in regno hominum: et quemcumque voluerit suscitabit super illud.

- Nouveau Testement: 1° Rm 13. Omnis anima potestatibus subli­mioribus subdita sit: non est enim. (p. 15,2) potestas nisi a Deo: quae autem sunt a Deo ordinata surit. Itaque qui resistit potestati Dei ordina­tioni resistit… Princeps… Dei minister est tibi in bonum.

II. Preuves de raison: La société réclamée impérieusement par notre nature, n'a pas une autre origine que celle de notre nature elle-même. C'est Dieu qui a créé l'homme et qui l'a créé social. La société humaine dont Dieu est l'auteur exige par essence un pouvoir social. Or, l'auteur d'une chose l'est aussi de ce que l'essence de cette chose exige. Donc Dieu est l'auteur du pouvoir social ou de la souveraineté.

- Difficulté tirée des faits: Il y a des nations sous le régime de démo­cratie pure où la multitude et la souveraineté se confondent, le nombre et le pouvoir social y étant une même chose.

Rép. Quelle que soit la forme de la souveraineté, elle appartient à l'es­sence de la société, et comme la société elle tire son origine de Dieu. (p. 15, 3) Tout pouvoir légitime vient de Dieu, qu'il soit démocrati­que, aristocratique ou monarchique. Se révolter contre l'autorité publi­que aux Etats-Unis ne serait pas un moindre crime que ne fut celui des révolutionnaires conspirant contre la monarchie française en 1789.

- Témoignage des docteurs: Suarez (De legibus); Lessius (De perf. div.); Bellarmin (De laicis, 1, 3). Ils disent que le pouvoir vient aux princes de Dieu par le peuple. Dieu l'a donné au peuple pour le commu­niquer et le transmettre. - Ils n'admettent en aucune façon la souverai­neté du peuple. Le peuple, disent-ils, en se donnant un souverain de­vient sujet. Mais si le trône redevient vacant par extinction de la dyna­stie ou autrement, le peuple est de nouveau en devoir de transmettre le pouvoir. - Ils traçaient la procédure à suivre contre un tyran usurpa­teur des (droits - mot barré) biens, violateur des droits, oppresseur de la conscience de ses sujets. (p. 15,4) Ils s'élevaient de même contre la sédition (Suarez), De fide Tract. III. Disp. XIII. sect. VIII, dico 1°). Aujourd'hui le tyran s'appelle peuple ou assemblée, et ce tyran s'attri­bue tout pouvoir et veut détrôner Dieu chez certaines nations.

Nous disons avec la raison et la théologie que le pouvoir vient de Dieu, pour le peuple, et par le peuple aussi, non toujours, mais quelque­fois.

La sécularisation absolue du pouvoir était rejetée par les païens eux­mêmes. Cic. De legibus, 1. 1. «La science du droit ne doit être cherchée ni dans les édits du préteur, ni même dans la loi des XII tables. La philo­sophie la plus profonde peut seule juger des lois et nous enseigner ce qu'elles valent… La raison tient peu de compte de ce qui n'est qu'hu­main».

Platon, De leg. 1. 1. «Etranger, quel est celui qui passe chez vous pour le premier auteur de vos lois? … Nous ne pouvons avec justice ac­corder ce titre à d'autres qu'à Dieu».

(p. 16,1)

D'après les principes que nous avons établis c'est Dieu qui la donne et c'est Dieu qui l'enlève. - Toutefois, ce principe demande à être dévelop­pé.

Ce pouvoir qui vient de Dieu prend un corps, se réalise ou devient concret dans une personne humaine, unique ou multiple. Comment reconnaître cette personne? Quelles sont les conditions qu'elle doit réu­nir? Par quels signes doit-elle être désignée?

Ces signes, ces conditions sont autant de faits humains dans lesquels le droit, venant de Dieu, prend corps et moyennant quoi, sans qu'on ait besoin d'une révélation spéciale, on reconnaît qu'il a pris corps.

Nous verrons successivement quels sont les faits par lesquels s'ac­quiert le pouvoir légitime; quels sont les faits par lesquels il se perd. Comme le pouvoir peut être perdu de fait sans l'être en droit, il restera à voir ensuite quels sont les devoirs des sujets d'une part envers l'usurpa­teur et de l'autre envers le souverain légitime dépossédé.

(p. 16,2)

I. Les faits humains dans lesquels le pouvoir légitime prend corps sont: l'hérédité, l'élection, la conquête.

- L'hérédité est le fait le plus naturel, le plus parfait et le plus ancien.

1° C'est le plus naturel : la paternité par le développement de la famille grandit naturellement jusqu'au patriarcat et le patriarcat jusqu'à la royauté.

On peut citer comme exemples: les Ismaëlites issus d'Abraham, les Moabites et les Ammonites issus de Loth, les Edomites issus d'Esaüs, les Israëlites de Jacob.

Les jurisconsultes romains, ignorant les origines historiques du mon­de, ne pouvaient expliquer la naissance des sociétés qu'en supposant les hommes sortis lentement de l'état sauvage et réunis entre eux par un contrat social plus ou moins librement débattu. C'est au même point qu'aujourd'hui encore s'arrête l'érudition des révolutionnaires.

2° C'est le plus parfait en soi. - (Relativement à tel état social; une autre forme sera plus parfaite: par ex. pour les Etats-Unis), Raisons: a) Té­moignages cités par Bellarmin d'écrivains hébreux, grecs, latins, théolo­giens, philosophes, orateurs, historiens, poètes. - Philon citant Homè­re: multos imperitare malum est, rex unicus esto. - S. Athanase: ut enim multitudinem deorum diximus nullitatem esse deorum; ita quoque necesse est multitudinem principum id efficere ut nullus princeps esse vi­deatur: ubi autem princeps non est, ibi prorsus disturbatio nascitur. S. Jérôme: unus imperator, judex unus provinciae: Roma ut condita est, simul habere duos fratres reges non potuit. (p. 16,3) S. Thomas: Op­timum regimen multitudinis est ut regatur per unum: quod patet ex fine regiminis qui est pax: pax enim et unitas subditorum est finis regentis: unitatis autem congruentior causa est finis regentis unus quam multi. Ex philosophis: Plato: unius dominatio bonis instructa legibus, gubernatio est optima: gubernationem vero illam, in qua non multi imperant, me­diam censere habemus: ceterum multorum administrationem omnibus in rebus debilem atque infirmam. Aristotelis Lib. VIII Ethic. c. 10 «for­marum regiminis optima regnum, pessima respublica est». Senèque: optimus civitatis status sub rege justo est. Plutarque: Lib. de Monar­chia: si optio elegendi concessa fuerit, non aliud eligat quam unius pote­statem. Ex oratoribus! Isocrate: «kalliston e monarchie…».

5) L'autorité divine. Dieu a créé la monarchie d'Adam - la monarchie dans la famille - l'instinct monarchique dans les animaux - la monar­chie dans son peuple: où les patriarches, les chefs, les juges et les rois eu­rent toujours l'autorité monarchique.

On objecte le reproche fait par Samuel au Lib. 1 des Rois. Rép. Dieu reproche aux juifs de ne plus vouloir de lui pour leur seul roi représenté par un juge et de vouloir un roi indépendant de Dieu comme chez les au­tres peuples.

(p. 16,4)

c) Motif d'ordre: L'ordre s'obtient par la subordination. - Motif tiré de la fin de la société qui est l'union et la paix; l'union de sentiment et de volonté. - Motif de force et de puissance: la force résulte de l'union: exemple tiré des grands empires de l'histoire. - Motif de stabilité et de durée: - motif de facilité de gouvernement: il est plus facile de trouver un bon gouvernement que plusieurs: on obéit plus facilement à un qu'à plusieurs: les gouvernants qui changent souvent quittent le pouvoir avant d'en avoir appris les fonctions: le roi même avec moins de génie, l'emportera sur d'autres par l'expérience des choses et l'éducation…

- Toutefois, dans cette vie et à cause de l'imperfection des hommes ce qui est relativement meilleur, c'est la monarchie tempérée d'aristo­cratie et de démocratie: d'aristocratie, pour que les provinces et les cités ayant à leur tête des hommes stables et qui s'y intéressent soient mieux gouvernées, de démocratie pour que tout les hommes intelligents puis­sent arriver au pouvoir.

(p. 17,1) - Objection: Il faudra donc que tous les peuples tendent à la monarchie?

Rép. Non: la monarchie est généralement préférable, mais la forme qui convient relativement le mieux est celle qui répond le mieux au ca­ractère, aux mœurs et à l'histoire de chaque peuple. Toute forme de gouvernement, pourvu qu'elle repose sur un titre juste doit être réputée légitime et apte à procurer la félicité d'un peuple.

II. Deuxième fait humain, l'élection.

En dehors de l'hérédité, c'est le seul mode pacifique de désigner le su­jet du pouvoir. L'élection peut s'appliquer également à la démocratie et à la monarchie (Eglise).

III. Le troisième fait humain qui crée le droit, c'est la conquête. Il faut pour cela que la conquête soit légitime.

Le pouvoir est-il inamissible?

Il est certain d'abord que la forme monarchique de l'Eglise est inde­structible. Nous en sommes assurés par les promesses de N. S. Il n'en est pas de même des autres souverainetés. Elles peuvent disparaître par l'extinction de l'hérédité, par l'élection périodique ou par la conquête.

(p. 17, 2) - Il y a des complications qui rendent difficiles la connais­sance et la pratique de nos devoirs envers deux princes: celui qui tombe sous des coups injustes et celui que l'injustice élève à sa place.

Le droit s'asseoit-il aussitôt par la vertu des faits accomplis? Non: preuves: 1° la raison: un scélérat qui réussit n'a droit qu'au châtiment; 2° le cœur; un droit vaincu est deux fois sacré; 3° l'intérêt: tous les droits s'enchaînent les uns aux autres, et si un droit peut être impuné­ment violé, tous cesseront d'être inviolables; 4° la conscience dont le cri­me victorieux n'étouffe point les remords; 5° le témoignage universel du genre humain qui a toujours protesté contre les usurpateurs.

Que faudra-t-il donc faire en présence d'un usurpateur paisiblement assis sur le trône. Faut-il lui refuser tout droit et le combattre sans trêve? La question est difficile. Indiquons ce qu'il y a de plus certain: L'usurpateur doit être contraint par ses sujets de fait à restituer la sou­veraineté sous condition que le succès de l'entreprise soit assuré. Autre­ment, ce serait donner (p. 17,3) follement à l'intrus l'occasion d'une fa­cile victoire, qui rendrait son usurpation plus solide. Dans ce cas tout mouvement est interdit par l'intérêt social.

En outre, bien que l'usurpateur n'ait aucun droit de garder le pou­voir, il a pourtant celui de maintenir l'ordre et d'établir des magistrats. C'est l'intérêt social qui l'exige, ce n'est pas à lui qu'on obéit alors, c'est au souverain légitime qui est raisonnablement présumé le vouloir lui-même.

Si après un temps plus ou moins long, selon les circonstances, l'autori­té du régime usurpateur s'est si fortement établie, si étroitement liée à la prospérité et à la paix publique, qu'on ne puisse plus essayer de le ren­verser sans compromettre l'existence de la société elle-même, alors il commence à se transformer et à devenir légitime; et comme le salut pu­blic est la loi suprême, il peut arriver un jour où le chef de la race déchue est raisonnablement présumé vouloir qu'on cède à la nécessité.

Question: qui peut décider s'il y a lieu de se soulever contre l'usurpa­teur?

Réponse: les théologiens, les évêques même d'une nation ne le fe­raient pas prudemment: (p. 17,4) l° par un principe de droit que per­sonne ne peut être juge dans sa propre cause; 2° par un principe que les causes majeures sont réservées au St-Siège: or, ces causes sont éminem­ment majeures.

(p. 18,1)

Quel est le domaine propre de la société civile? Quelles en sont l'éten­due et les limites?

Le pouvoir et les fonctions se déterminent par la fin à atteindre.

La fin propre de la société civile est la prospérité temporelle des citoyens. Dieu a établi la société pour que les hommes y trouvent ce qui manque dans la vie solitaire ou dans la vie de famille pour le développement de leurs facultés, l'exercice de leurs droits et la pratique de leurs devoirs; en un mot pour qu'ils s'acheminent en paix et facilement vers leur fin der­nière qui est la béatitude éternelle.

Objection: N'en résulte-t-il pas que l'Etat doit être indifférent à la reli­gion et à la justice et que la loi doit être athée?

Réponse. S. Th. de regimine princ. - 1. 1. c. 14-15 - la vraie fonc­tion de la société civile est que: 1° directement elle n'ait souci que de la féli­cité temporelle; 2° indirectement elle ait le devoir de défendre la religion et la justice. Elle ne doit toutefois remplir ce second devoir que sous la dépendance et la direction de l'Eglise qui est la société à laquelle ont été confiés directement par Dieu les intérêts spirituels.

(p. 18, 2) Preuves: 1 ° Tout pouvoir venant de Dieu, le pouvoir civil ou l'Etat doit rapporter à Dieu ce pouvoir et lui rendre hommage par un culte public.

2° Le premier droit de chaque citoyen étant de rendre hommage à son Dieu, il n'y a point de droit dont la défense soit imposée à l'Etat plus étroitement que la parfaite liberté du vrai culte soit public soit privé.

3 ° La prospérité temporelle et la paix publique ne peuvent pas sub­sister longtemps avec l'indifférence religieuse. Il n'y aurait plus ni pro­tection divine, ni justice humaine, ni bonne foi dans les relations.

4° Le bien temporel des hommes est essentiellement subordonné au bien spirituel. Il doit même au besoin être sacrifié au bien spirituel. La société civile ne peut donc pas perdre de vue la fin spirituelle qui est la béatitude éternelle. On ne peut pas séparer totalement dans l'homme deux fins dont l'une est subordonnée à l'autre.

Objection: l'Etat est incompétent en matière de religion.

Réponse: autre chose est d'être incompétent, c'est-à-dire sans autorité pour une chose: autre chose est d'y rester étranger. Par exemple un sim­ple citoyen est (p. 18, 3) incompétent pour faire les lois civiles, il ne peut rester étranger aux lois de son pays.

L'état n'a pas d'autorité religieuse. Il ne s'en suit pas qu'il puisse rester étranger à la religion. Nous l'avons prouvé. Il ne peut pas condui­re des créatures qui ont des destinées immortelles sans tenir compte de ces destinées.

Bien plus, si l'on fait abstraction de Dieu, la notion même du droit et de la justice disparaît parce que Dieu en est la base.

L'Etat doit conduire à la félicité temporelle des hommes dont la fin est la béatitude éternelle. Qu'arriverait-il s'il ne considérait pas cette fin? Il ne peut rien faire qui y soit contraire et il doit dans la limite du possible y aider.

L'Etat sans ce lien religieux n'aurait pour limite de sa tyrannie que la force aveugle ou que l'opinion qui est changeante et facile à corrompre. Doctrine conforme des Pères de l'Eglise: S. Leo M. ad Leonem Aug. Epist. 125 «Debes incunctanter advertere regiam potestatem tibi non so­lum ad mundi regimen, sed maxime ad Ecclesiae praesidium esse collatam…». S. Augustin, ad Coin. Bonif. epist. 185 alias 10… S. Greg. M. ad Mauritium imper. 1. 2. ep. XI: «ad hoc potestas cœlitus data est ut, qui bona appetunt adjuventur, ut cœlorum via largius (p. 18, 4) pateat; ut terrestre regnum cœlesti regno famuletur…». S. Th. de regimine princ. 1. 1. c. 15 Cuicumque incumbit aliquid perficere quod ordinatur in aliud, si­cut in finem, hoc debet attendere, ut suum opus sit congruum fini… sicut aedificator sic debet domum disponere ut ad habitandum sit apta… ita ad Regis officium pertinet ea ratione vitam multitudinis bonam procurare se­cundum quod congruit ad cœlestem beatitidinem consequendam ut scilicet ea praecipiat, quae ad cœlestem beatitidinem ducunt, et eorum contraria, secundum quod fuerit possibile, interdicat…

(p. 19, 1)

Trois questions à résoudre: 1° quelle place doit avoir la Religion dans l'Etat, la première ou la seconde; 2° s'il n'y a qu'une seule religion ou si l'on peut en admettre indifféremment plusieurs; 3° ce que doit faire l'Etat dans une nation qui a perdu son unité religieuse.

I. A la religion la première place appartient de plein droit. Cela résul­te de la dignité de Dieu, souverain des sociétés humaines, et du bien reli­gieux de subordination qui nous unit à lui.

La première de nos obligations en date, en importance et en gravité est celle qui nous lie envers l'auteur même de notre être. Or, l'auteur du pouvoir social ou de l'Etat, c'est Dieu. Le premier devoir de l'Etat est donc le devoir envers Dieu ou la religion.

Autre preuve: L'Etat doit, pour remplir sa charge, respecter et faire respecter tous les droits, rendre libre et facile l'accomplissement de tous les devoirs, écarter dans les mouvements des citoyens tendant à leur fin immédiate et temporelle, ce qui serait en opposition avec leur fin derniè­re. Or, c'est la religion qui nous montre en Dieu la source de (p. 19, 2) nos droits, la règle de nos devoirs et notre fin dernière. Donc la religion est le premier des devoirs de l'Etat, parce qu'elle est la règle des autres.

Enfin, la religion est un devoir tellement lié à l'existence même de l'Etat qu'il en est inséparable. En effet, si l'Etat refuse de reconnaître Dieu com­me la source et le fondement de l'autorité et la religion comme sa règle et sa loi, sur quoi s'appuiera-t-il et où cherchera-t-il sa loi? Il s'appuiera sur lui-même et ce sera la tyrannie ou sur l'opinion qui résulte souvent de l'aveu­gle passion. Il cherchera son propre intérêt et ce sera une exploitation, ou l'avantage actuel et passager des citoyens et c'est vanité. - La force de l'Etat ou de la multitude sans Dieu, sans le lien religieux de la raison ou de la révélation, c'est une force mécanique et brutale.

II. S'il n'y avait qu'une religion, ce devoir serait facile, mais il y en a une (p. 19, 3) multitude.

Il n'y en a qu'une seule vraie et l'on ne peut en admettre indifférem­ment plusieurs.

La religion est naturelle ou surnaturelle. Dans les deux hypothèses elle est une. La religion naturelle répond à la nature divine et à la nature de l'homme naturellement connues de nous. Or, Dieu est immuable dans son essence et la nature humaine reste la même dans son fond intime. Donc, le rapport qui les unit ne change pas.

Il en est de même, supposé qu'il y ait une révélation. Si Dieu daigne révéler surnaturellement la religion aux hommes, cette révélation forme­ra un seul tout dont nulle partie ne démentira les autres.

La multitude des religions de fait prouve seulement combien la révéla­tion était nécessaire.

Devant la majesté de Dieu révélateur, il faut que tous se soumettent. L'indifférence est insensée et coupable entre la vérité et le mensonge, en­tre le culte qui honore Dieu et celui qui l'outrage.

III. Que doit faire l'Etat dans une nation qui a perdu son unité reli­gieuse?

Il n'y a pas de malheur social qui soit comparable à celui-là. Qu'est-ce qu'une (p. 19, 4) nation qui porte la guerre au fond même de ses entrail­les? C'est la condition malheureuse de la plupart des Etats aujourd'hui.

Les éléments du devoir de l'Etat se réduisent à trois, ce qui est défen­du, ce qui est ordonné, ce qui est permis.

1° Ce qui est défendu: l'Etat ne doit rien dire ni faire qui ressemble à une sorte de pontificat exercé sur tous les cultes, y compris le véritable, ni rien qui puisse exprimer l'indifférence ou l'apostasie. C'est chose tou­jours défendu de renier Dieu, même en apparence et pour sauver sa vie. L'Etat doit dire comme Josué à son peuple: «Choisissez aujourd'hui quels dieux il vous plaît de servir… mais moi et ma maison nous servi­rons le Seigneur».

2° Ce qui est ordonné: Outre les préceptes de la vraie religion qui continuent de lier la conscience du souverain, il y a pour l'Etat un devoir spécial à remplir qui découle du danger même que fait courir à la foi des fidèles le contact avec leur compatriotes infidèles. Ce devoir consiste à maintenir inviolablement l'entière liberté de professer la vraie religion, et à châtier ceux qui oseraient troubler ou restreindre l'enseignement public de la vérité, l'exercice du culte, l'éducation religieuse des enfants, en un mot, l'usage des droits sacrés de la religion.

(p. 20, 1) 3° Ce qui est permis: L'Etat qui en pleine unité religieuse d'une nation permettrait à l'infidélité de s'y glisser dans l'ombre par fai­blesse ou par politique, manquerait gravement au devoir qu'il a de pro­téger le bien et de combattre le mal. - Mais quand la digue est rompue, quand la division religieuse est établie depuis longtemps, quand un prompt et universel retour à l'unité est devenu manifestement impossi­ble, ce devoir ne peut plus être rempli de la même manière. La raison l'autorise et même l'oblige à souffrir ce qu'il n'aurait pas pu tolérer dans les temps où régnait l'unité religieuse. Il faut alors de la prudence sans faiblesse et de la tolérance sans complicité.

(p. 21, 1)

=====Premier devoir de l’Etat: la Religion (suite) Liberté de l’enseignement, de la presse et des cultes

Voyons s'il est possible de concilier le devoir religieux de l'Etat avec les trois fameuses conquêtes modernes appelées liberté des cultes, liberté de la presse, liberté de l'enseignement.

Le sens général de ces maximes est que les cultes, la presse et l'ensei­gnement doivent être libres chez un peuple dont la civilisation est avan­cée et qu'en cette matière l'Etat n'a pas d'autre devoir que d'imposer le respect des bonnes mœurs et de maintenir la paix publique.

Réfutation: cette maxime implique l'égalité de tous les cultes et de toutes les doctrines sous le niveau de l'Etat. Elle aboutit à établir l'Etat juge de toute doctrine même religieuse; à faire dépendre de son bon plai­sir l'Ecole et l'Eglise; à nier le droit d'expansion de la vérité sinon dans la mesure où il sera donné à l'erreur; à affranchir l'Etat de toute obliga­tion religieuse, bien plus, à mettre la religion véritable sous sa dépen­dance absolue! Le vrai Dieu n'aurait pas sous ce régime une place plus grande ni meilleure que le diable. Bien plus, cela suppose que l'Etat est Dieu, puisqu'il serait juge suprême des bonnes mœurs (p. 21, 2) n'ayant lui-même aucune religion ni aucune doctrine.

Objection: comment expliquer en face de ces conséquences l'erreur li­bérale?

Réponse: elle plaît à l'imagination, flatte l'orgueil, semble résoudre d'un seul coup de grandes difficultés et rendre à la religion opprimée un signalé service. Elle brise ses fers, promet de lui communiquer une vie nouvelle et d'épurer, d'ennoblir par la liberté même le culte rendu au vrai Dieu. Elle jure de rendre l'hypocrisie impossible et de fournir une démonstration per­manente de la divinité de l'Eglise, qui tout en restant désarmée en face de ses ennemis survivrait à leurs coups. N'est-ce pas assez pour entraîner des esprits frivoles et séduire même des âmes généreuses?

Question: comment expliquer cette tendance à la divinisation de l'Etat?

Réponse: depuis la chute originelle, c'est une tendance universelle, soit de l'individu, soit de l'Etat. L'homme veut être son maître, l'Etat veut l'être aussi. Pour cela, si l'on est conséquent, il faut aller jusqu'à détrôner Dieu et se faire Dieu soi-même. C'est le fond de l'histoire hu­maine. Si vous n'en tenez pas compts, jamais vous ne comprendrez ce qu'était le pouvoir politique dans le paganisme, (p. 21, 3) ni l'essence des grandes monarchies universelles, ni les grandes luttes des papes au moyen âge, ni le vrai but de la révolution dont la réforme protestante est la mère.

Sous le nom de liberté des cultes on fonde l'état sans Dieu et l'on arri­ve poussé par la logique à l'Etat-Dieu. Hegel le proclamait il y a un demi-siècle. L'Allemagne fait l'essai de cette doctrine.

Objection: Les chefs de l'école libérale ont été d'illustres écrivains et orateurs et des hommes de cœur et de talent.

Réponse: cette objection ne porte pas sur le fond de la question. Ces hommes d'esprit ont été séduits par une généreuse illusion. Evitons le reproche qu'on nous fait à l'étranger d'être comme idolâtres des dons de l'esprit et d'oublier que les hommes les mieux doués ne sont pourtant que des hommes. La vérité est que la liberté du culte, de la presse et de l'enseignement catholiques est un droit qui vient de Dieu même, un droit contre lequel aucune loi humaine ne saurait prévaloir, et qui méri­te d'être défendu (p. 21, 4) envers et contre tous, malgré tous les périls, jusqu'à l'effusion du sang. Mais la liberté des cultes vrais ou faux, de l'enseignement bon ou mauvais, de la presse religieuse ou impie, c'est autre chose.

Les catholiques libéraux ont été séduits par l'erreur. Pour eux toute inégalité était injustice, tout privilège insupportable. Il leur a semblé plus chevaleresque que la vérité acceptat la lutte sur le terrain choisi par ses ennemis, que d'un commun accord on passât sous silence les droits de Dieu pour ne livrer bataille qu'au nom des droits de l'homme. Ils ont cru que cette tactique était en même temps la plus habile; ils ont désa­voué leurs pères; et en voyant l'arche chancelante, ils s'imaginèrent qu'elle ne pourrait plus continuer sa marche à moins d'être soutenue par leurs mains.

(p. 22, 1)

Objection: la proclamation des droits absolus de Dieu, des droits ex­clusifs du vrai et du bien, est parfaitement inutile, car la rupture entre l'ordre divin et l'ordre politique est un fait accompli.

Réponse: L'objection revient à ceci: le monde ne veut plus reconnaître les droits souverains de Dieu sur sa créature: donc, il est inu­tile pour nous d'en parler. Sous cette forme, elle se réfute d'elle-même. Nos révoltes ne suppriment pas les droits de Dieu.

Peut-être l'ignorance est-elle pour beaucoup dans l'erreur, et l'erreur pour beaucoup dans le crime des impies. Il importe donc aussi beaucoup de les instruire en leur enseignant toute la vérité. Le règne de Dieu est de première nécessité! Il faut que les sujets de Dieu connaissent ses droits. Le pape ne cesse de mettre cette doctrine au premier rang de ce qu'il en­seigne. Nous devons lui faire écho. Direz-vous qu'il est inutile de faire son devoir? (p. 22, 2) Tous les égarés ne refuseront pas de nous enten­dre. Plus tard peut-être lèvera la moisson que nous aurons semée.

Objection: Cette proclamation est dangereuse. Si vous revendiquez au nom de Dieu un droit exclusif à votre profit là où vous êtes les plus forts, on vous opposera un droit contraire et non moins exclusif là où vous se­rez les plus faibles. L'intolérance catholique provoquera celle des héréti­ques et des mécréants.

Réponse. C'est la condition habituelle de la vraie religion sur la terre. Qu'elle parle ou qu'elle se taise, partout elle suscite des ennemis. On ne réussit à les satisfaire qu'au prix de l'apostasie. Il n'y a pas entre eux et nous d'autres rapports possibles que ceux de la guerre, injuste de leur part, nécessaire de la nôtre. Ils trouveront toujours matière à représail­les, même si les brebis se résignaient par politique à hurler avec eux.

Objection: cette revendication hautaine d'un droit qu'on ne veut pas partager avec ses (p. 22, 3) adversaires, est tout ce qu'on peut imaginer de plus odieux.

Réponse: nous pouvons d'abord revendiquer le droit commun que la politique se vante d'accorder à toutes les religions. Mais cet argument est secondaire; nos droits reposent sur une base moins fragile. La liberté du culte et de l'enseignement catholiques est un droit sacré et exclusif.

Quoi, pour ne pas devenir impopulaire ou même odieux; pour qu'on ne lui jette pas au visage le mot de privilégié, au nom de la politique et de la tactique, vous défendrez au chrétien de proclamer son origine et de faire remonter ses droits plus haut que 89!

D'ailleurs vous n'y gagnerez rien. Ou vos ennemis vous croiront ou ils ne vous croiront pas. S'ils refusent de vous croire, persuadés que vous ne pouvez pas renier le droit exclusif de la vérité, sans renier votre reli­gion elle-même, alors ils vous mépriseront comme des gens malhabiles ou malhonnêtes; S'ils vous prennent au mot, ils vous mépriseront com­me des renégats.

(p. 22, 4)

Objection: Le système libéral n'a-t-il pas fait ses preuves en Améri­que?

Réponse: Le système religieux aux Etats-Unis ne ressemble ni dans son origine, ni dans ses applications, à celui que la secte libérale impose aux peuples catholiques de l'Europe.

La population américaine ne posséda jamais l'unité religieuse. Quand les Américains se réunirent et rédigèrent leur constitution, ils constatè­rent comme un fait antérieur la variété des cultes. Subissant une nécessi­té invincible, ils assurèrent à chaque culte une liberté complète. L'Etat chez eux n'a qu'une action très restreinte sur la religion. Il est réduit au pur naturalisme. Il ne pourrait appuyer son action ni sur l'Eglise infailli­ble puisqu'il la méconnaît, ni sur sa propre raison qui, étant faillible, manque d'autorité.

Aussi il ne se mêle pas de la religion, et même pour les choses tempo­relles, il réduit son action à la simple tutelle des droits communs. Il y a là parfaite indépendance des évêques. Le mariage est laissé à l'autorité re­ligieuse. Les gens d'Eglise, les religieux y peuvent acquérir des biens, fonder des écoles, etc. D'ailleurs les conditions sociales s'y transforment rapidement.

(p. 23, 1)

L'Etat n'est point la source d'ou dérivent nos principaux droits, mais le protecteur et le défenseur que Dieu leur a donné.

Syllabus, prop. 39-56.

2e des Chroniques, ch. 19. Josaphat établit des juges dans toutes les villes de Juda et leur dit: «regardez bien ce que vous faites, car ce n'est pas la justice humaine que vous rendez, mais celle de Dieu… Faites avec soin toutes choses, car il n'y a point d'iniquité chez notre Dieu, ni accep­tion de personnes, ni convoitise de présents». Le mot juge est pris ici dans un sens large et s'applique à des magistrats qui réunissaient les di­vers pouvoirs, administratifs et judiciaires. Il s'agit de juges qui étaient d'institution humaine et royale.

Ces paroles n'ont point de sens si nos droits viennent de l'Etat, qui rendrait le droit aussi mobile que ses intérêts propres et partant ne com­mettrait pas plus l'iniquité qu'il ne ferait acception de personnes.

Il y a cependant des hommes qui font de (p. 23, 2) l'Etat l'unique source, l'unique intérprète, l'unique arbitre de tous nos droits; qui pré­disent et préparent une liquidation sociale soit par la force soit par le suf­frage du nombre.

La grande fonction d'une société politique, nous l'avons vu, est de protéger les droits de ses membres. Elle n'est qu'un moyen, nullement une fin relativement à ses fins.

C'est le principe même de la famille qui est le germe de la société civi­le: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons lui une aide qui soit semblable à lui».

L'idée fondamentale de la société et de l'Etat est d'être un aide pour l'individu et pour la famille.

L'homme à raison de son âme spirituelle et immortelle a pour fin le vrai et le bien infini qui est Dieu. Il obtient cette fin par des actes bons et méritoires en la vie présente et cette vie a besoin d'appuis et de secours qui se trouvent dans la vie sociale.

(p. 23, 3)

La société agit contrairement à son but essentiel quand elle met des obstacles à notre fin dernière; quand elle rend le bien conjugal profane par son mariage civil; quand elle détruit l'autorité paternelle en confi­squant l'éducation et en instituant le partage forcé; quand elle écrase la propriété par l'énormité des taxes et des impôts; quand elle dissout la vie civile par les conditions fausses du service militaire.

Elle a empoisonné la moralité publique parce qu'elle a donné de licen­ce à la presse, par l'athéisme et le matérialisme de son enseignement offi­ciel. Elle a détruit la paix sociale au moyen d'organismes politiques dont tout le jeu se réduit à la lutte perpétuelle des factions.

Origine historique de l'erreur sociale. Elle remonte jusqu'aux efforts des empereurs germaniques après Charlemagne, pour faire revivre la théorie césarienne de Rome idolâtre. Philippe le Bel y aida et poussa dans (p. 23, 4) cette voie les légistes.

Les jurisconsultes protestants, Grotius, Puffendorf, etc., préparèrent la voie à J. J. Rousseau et à la révolution en écartant Dieu du berceau de la société, qui ne serait plus l'épanouissement de notre nature, mais l'ef­fet d'un accord.

J. J. Rousseau mit en vogue le suffrage universel et la souveraineté du peuple sans aucune dépendance de Dieu et sans limites. Il établit que la souveraineté du peuple est inaliénable; son exercice toujours révocable; que les citoyens ont remis aux mains de l'État leurs personnes, leurs biens et leurs droits sans réserve; que de l'État seul dépendent la reli­gion, l'éducation, le mariage, la propriété; que son autorité est souverai­ne et infaillible comme le peuple de qui elle sort par une perpétuelle éma­nation.

(p. 24, 1)

=====On ne peut pas avoir le droit de professer l’erreur, ni de faire le mal

Nous avons parlé des droits exclusifs que la vérité possède, des devoirs qui découlent de ce principe pour tous les hommes, et des erreurs dont il est obscurci presque partout.

La notion de l'ordre social et la notion du droit et de devoir mettent encore plus en lumière ces principes.

I. «la fin immédiate à laquelle tendent directement les sociétés hu­maines, dit Taparelli, c'est le bien commun extérieur, ordonné au bien intérieur de tous les membres et subordonné à la fin dernière de chacun d'eux».

Nous disons «le bien commun extérieur ordonné au bien intérieur de tous les membres», parce qu'ils sont des créatures raisonnables, capa­bles de connaître le vrai et le bien et dont tous les actes, tous les intérêts, toutes les jouissances doivent être rapportés à la règle de justice, bien propre de notre âme.

Nous ajoutons «subordonné à la fin dernière de chacun d'eux», parce que la société humaine (et par conséquent tout le bien (p. 24, 2) extérieur qu'elle procure), n'est qu'un moyen établi de Dieu pour rendre à cha­cun de nous plus facile d'atteindre sa fin dernière. Cette notion exclut les prétendus droits de l'erreur.

II. Confirmons notre principe par les notions du droit et du devoir. «Le droit est la faculté morale, inviolable de disposer de ce qui est à moi ou d'exiger ce qui m'est dû par autrui».

Je dis «morale» et non «physique», parce que le droit demeure dans le faible opprimé. Mais si je n'inclus pas, je me garde bien aussi d'exclu­re la force que l'ordre met au service du droit. Je dis «faculté morale» parce que c'est de la raison, c'est de l'ordre même des choses que la vo­lonté reçoit puissance de posséder, de faire ou d'exiger d'autrui ceci ou cela, pour atteindre sa fin. Je dis «faculté morale', car dans l'idée même de droit est impliquée l'obligation pour autrui de ne mettre aucun obsta­cle à cette faculté, dont, au regard de telle action ou de telle chose, l'or­dre de raison investit tel homme déterminé. Il y a pour les autres obliga­tion morale de ne pas gêner mon droit.

Enfin: je dis «faculté morale» parce que le (p. 24, 3) terme et le sujet du droit ne peuvent être qu'une personne, c'est-à-dire une substance douée d'intelligence et de volonté. (Le sujet est celui en qui réside de droit, le pouvoir d'obliger: le terme est celui qui est lié, obligé, par ce pouvoir). Il est clair que le droit et le devoir ne peuvent affecter qu'un être intelligent et libre.

Pour compléter la notion du droit, il faut ajouter que Dieu en est la première source.

Sans doute, le droit est une exigence de l'ordre naturel, mais la nature vient de Dieu; la raison est l'image de Dieu; l'ordre naturel est imposé par Dieu. En effet, le droit est une faculté inviolable pour tous, même pour les souverains. Or, rien n'est inviolable qu'en vertu d'une loi. Cet­te loi qui rend mon droit inviolable ne peut venir que de Dieu qui est au­dessus de tous et seul peut imposer à tous une obligation subsistante in­dépendamment de toutes les législations.

D'ailleurs, si l'on niait que Dieu soit la première source du droit, on arriverait au bouleversement de tout ordre privé et public, (p. 24, 4) et à la justification du socialisme.

En effet, tout droit dériverait de la force humaine et la force qui prédo­minerait serait celle de la société sur ses membres.

- Il ne faut pas cependant dédaigner les faits et exagérer les droits in­nés et en puissance. Ainsi, par exemple, la faculté générale, indétermi­née, d'acquérir la propriété immobilière, est un droit inné de chaque homme, mais n'est pas du tout la propriété de telle part divisée ou indi­vise, au détriment des légitimes propriétaires. Voilà ce qu'a prétendu la révolution, sous prétexte de liberté.

- Nous avons dit que le terme du droit ou le sujet du devoir doit être une personne. (La raison en est que le devoir est une obligation im­posée à la volonté de faire ou d'omettre quelque chose - mots barrés). En effet, la notion complète du droit comprend l'obligation morale pour autrui de respecter ce droit. Cette notion suppose pour terme une per­sonne intelligente et libre.

(p. 25, 1)

Ce serait donc une affirmation incomplète de dire par exemple que nous avons les droits d'user de la terre ou des animaux. Il faut ajouter que les autres ont le devoir de respecter notre droit en tant qu'il est légi­time.

Le terme du devoir doit être également une personne. Il serait abusif de dire que nous avons des devoirs envers les animaux. Nous avons seu­lement envers Dieu qui nous les donne pour notre utilité et envers nous­-mêmes pour notre propre dignité le devoir de ne pas en abuser.

- La gradation de nos devoirs et la mesure relative de leur importan­ce se règle sur la gradation des relations qu'elles ont avec le bien. (Notre premier bien nécessaire est notre fin dernière - mots barrés). Nos de­voirs envers Dieu occupent le sommet. Puis viennent nos devoirs envers nous-mêmes, parce que (p. 25, 2) le lien d'identité que nous avons avec nous-mêmes constitue un rapport plus étroit que celui de simple rassem­blement avec les autres hommes.

En tête de nos devoirs envers le prochain se placent ceux de rigoureuse justice et en dernier lieu ceux de charité.

- Il y a des droits inaliénables et d'autres qui ne le sont pas. Les pre­miers sont ceux dont le fondement ou le titre qui leur sert de base est tel­lement inhérent à la nature humaine qu'il en est inséparable; par exem­ple le droit à tout ce qui est nécessaire pour atteindre notre fin.

- Notons que le droit est une faculté morale inséparable de celui qui la possède et non commune aux autres. L'individu a ses droits comme les fa­milles et les sociétés. Le nier serait nier la personnalité de l'individu.

(p. 25, 3)

- Enfin, le diable, l'erreur et le péché n'ont-ils pas leurs droits? On n'en peut parler sérieusement sans violer le bon sens. Comme droit veut dire faculté morale inviolable, il serait puéril d'attribuer quelque droit à l'erreur et au mal.

Cependant, cette folie compte aujourd'hui des millions de victimes, malades au point de s'attendrir ou de se révolter à l'idée seule d'un par­tage inégal des droits entre l'erreur et la verité.

Les faits nous montrent que ce n'est là qu'une insinuation habile de Sa­tan pour assurer plus tard le privilège exclusif du mensonge et du péché. Toute la notion du droit exclut cette erreur. L'homme a le droit et le devoir de glorifier Dieu, et d'atteindre sa fin et il est en société pour s'ai­der à atteindre cette fin.

(p. 26, 1)

=====Les droits de l’Etat sont limités par ceux de l’Eglise, de la famille et des autres associations

(La première partie du présent chapitre est d'une autre main, L. De­hon se bornant à écrire de sa main les sous-titres - ici soulignés). Aujourd'hui nous étudierons quelle part d'indépendance et de liberté est assurée par le droit naturel, soit à la famille, soit aux associations que les citoyens forment volontairement entre eux.

Je nie que les individus séparés soient les éléments prochains de la so­ciété.

Je vais les chercher et je les trouve dans la famille, sachant bien que l'une des plus graves erreurs et peut-être l'erreur fondamentale de Rous­seau a été de méconnaître que les sociétés politiques dérivent de la natu­re même, d'où la nécessité pour lui qu'il les tirât du choix de leurs mem­bres, chacune d'elles étant, à son avis, une collection de purs individus, abstraction faite de la famille, comme si l'on pouvait venir au monde sans être le fils de quelqu'un.

Il partait, lui, de l'état sauvage; les sophistes plus modérés qui nous gouvernent, partent d'une abstraction de l'esprit pour dissoudre la so­ciété en ses éléments individuels, et la recomposer ensuite moyennant ce qu'ils nomment le consentement au moins implicite des citoyens. Des deux côtés, le point de départ est une fable; ou celle de la sauvagerie, comme état de nature, ou cette fiction juridique purement arbitraire et sans aucun fondement dans l'histoire.

(p. 26, 2)

Si la société civile se compose, comme éléments prochains, des indivi­dus séparés, elle n'est donc plus assimilée à un corps vivant dont les par­ties sont organiques, c'est-à-dire ayant une structure différente et chacu­ne agissant par un mouvement qui lui est propre.

Notez bien que l'homme ne peut pas venir au monde sans appartenir à une famille; qu'il n'acquiert non plus son intégrité et sa perpétuité qu'au moyen de la famille; et vous concluez avec moi deux choses; pre­mièrement, que l'idée de la famille est logiquement antérieure à celle de l'Etat; ensuite, que l'idée de la famille et sa nécessité sont liées à la natu­re humaine plus étroitement que l'idée et la nécessité de l'association po­litique.

Donc encore, les droits du père, de la mère, des enfants, sont une bar­rière sacrée qui limite ceux de l'Etat; donc, le mariage qu'inaugure cha­que famille est, en soi, de droit naturel, absolument indépendant de l'Etat, dont toute la compétence est épuisée quand il a réglé les effets ci­vils du contrat de mariage, et assuré l'entière liberté des parents, quant à l'éducation de leurs enfants.

A ce compte, depuis bien longtemps et sous tous les régimes, c'est donc une (p. 27, 1) vraie tyrannie qui s'exerce publiquement, légale­ment en France, au mépris de la justice et des droits les plus inaliénables de la nature humaine!

L'Etat protège simplement ou tout au plus, précise et applique les droits qui ne viennent pas de lui; et n'a pleine puissance que sur ceux dont il est la source.

Appliquons cela au mariage. Les droits purement domestiques, person­nels et religieux ne viennent pas de l'Etat: donc, ils sont indépendants du pouvoir civil. Or, le mariage est l'exercice d'un droit purement domesti­que, personnel et religieux: domestique, car le mariage entre dans la constitution même de la famille, dont il est le fondement nécessaire.

Mais l'Etat présuppose la société domestique comme déjà formée, con­stituée avant lui. Ce n'est donc pas l'Etat qui institue le mariage: il reconnaît, il constate simplement les droits du mariage et les défend.

Enfin, l'Etat présuppose encore comme antérieure à lui la religion qui est esentielle à l'homme, en tant qu'homme. Mais le mariage est une chose religieuse et sacrée qui appartient conséquemment aux rapports nécessaires entre l'homme et Dieu.

Même en dehors de la religion surnaturelle et révélée, le caractère reli­gieux appartient nécessairement au mariage.

Pourquoi? Le voici. Par le mariage les créatures humaines sont consti­tuées ministres et instruments de Dieu dans la production d'un autre homme. or, (p. 27, 2) c'est là, s'il en fut jamais, une chose vraiment divi­ne: divine en soi parce qu'elle requiert, si j'ose ainsi parler, l'interven­tion immédiate et particulière de Dieu, à raison de l'âme spirituelle qui est tirée du néant; divine dans sa fin, qui est l'existence et l'éducation d'un nouvel adorateur de Dieu. Cela est si vrai que chez toutes les na­tions, je dis toutes les nations civilisées ou barbares, le mariage a tou­jours été célébré avec des cérémonies religieuses. Religieux par une ne­cessité de sa nature, donc indépendant du pouvoir civil, voilà ce qu'est le mariage purement naturel. Mais si Dieu l'élève à la dignité de sacre­ment, cette indépendance devient plus évidente encore.

Parce que c'est le mariage même, donc la substance même du contrat qui est élevé à l'ordre surnaturel par l'institution du sacrement.

Je me demande si l'autorité paternelle doit, comme toute autre, s'exercer pour le bien des inférieurs et si les droits du père ne sont pas li­mités par les droits véritables qui appartiennent aux enfants.

C'est un principe absolu que toute autorité créée a pour fin immédiate le bien des sujets. Cela est vrai du pouvoir paternel, du pouvoir politi­que, du pouvoir ecclésiastique.

(p. 27, 3)

Dieu seul donne l'autorité paternelle et c'est Dieu qui la limite. Il la li­mite d'abord par sa fin immédiate, qui est le bien des enfants. Il la limi­te, encore par les droits des enfants, devenus avec le temps maîtres d'eux-mêmes, libres de disposer de leurs personnes et de choisir un état de vie. Disposer de leurs personnes, ce mot dit tout. Il réserve le temps nécessaire pour que l'éducation soit achevée, et la personne arrivée à son entier développement; ce terme atteint, la responsabilité personnelle de­vient complète et aussi la liberté. On dispose librement de ce qui est à soi. Or, rien n'est plus à nous que nous-mêmes. En disposant de nous, honorons nos parents par un respect sincère et une juste déférence à leurs avis. Ils ont plus d'expérience que nous. Subissons les délais rai­sonnables qu'ils nous demandent. Mais, l'heure venue, n'oublions pas qu'il y a des droits inaliénables, et que ce sont ceux dont l'usage est lié à l'accomplissement d'un devoir.

Parlons maintenant de l'éducation. Avant tout, remarquez que l'Egli­se a reçu de Dieu une mission universelle d'enseignement et d'éduca­tion: universelle quant aux temps, aux lieux et aux personnes. Cette mission toute divine est absolument indépendante de l'Etat qui ne l'a point donnée et ne pourra jamais (Ici reprend l'écriture de L. Dehon). (p. 27, 4) la restreindre.

De plus, encore que l'objet propre de l'enseignement de l'Eglise soit la science du salut, elle a, par rapport aux sciences profanes de leur nature, un double droit, indépendant des pouvoirs humains et renfermé dans la mission qu'elle a reçue: d'abord le droit d'instruire en toute science et d'élever ses ministres, ainsi que ceux dont l'éducation lui aura été con­fiée par leurs parents; ensuite, le droit de veiller sur tout l'enseignement donné chez un peuple catholique.

Mais pourquoi ce droit de surveillance? Je conçois, dira-t-on, qu'il s'applique à l'enseignement du catéchisme, de l'histoire, de la philoso­phie et du droit. Mais à quel titre voudrait-on l'étendre sur le terrain des mathématiques, de la physique, de la mécanique, des arts et des belles-lettres?

La raison en est que la garde du dépôt (p. 26, 3) suppose tous les moyens nécessaires pour remplir cette mission difficile. Il serait puéril de confesser la mission divine de l'Eglise et d'ajouter qu'en ce qui touche aux vérités révélées, mais naturelles en soi, l'autorité de l'Eglise est ba­lancée par celle des savants livrés à leur raison seule et l'expérience seu­le; ou encore que l'Eglise, au nom de la révélation à enseigner ou à dé­fendre, ne peut pas condamner une proposition scientifique, déduite de prémisses naturelles, comme s'il n'y avait pas des prémisses fausses et des déductions malfaites.

Ce n'est pas que la théologie absorbe les autres sciences. Elle leur don­ne une nouvelle lumière. Ce n'est pas mépriser une lampe que d'exami­ner encore à la lumière du soleil ce qu'elle nous montre.

Après les droits de l'Eglise, voyons quels sont, en matière d'éduca­tion, les droits des parents.

(p. 26, 4)

L'Etat peut mettre à leur disposition ce qui rend plus facile l'éduca­tion et l'instruction de leurs enfants. Il peut veiller sans contrainte à ce que les parents s'acquittent de ce grave devoir. Mais se mêler autrement d'instruction et d'éducation, non. C'est au pouvoir paternel qu'il appar­tient d'instruire et d'élever les âmes des enfants comme de nourrir leurs corps.

Tant qu'il vit sous la puissance paternelle, l'enfant n'est uni à la socié­té que par la famille à laquelle il appartient.

AD 35, 01-02: B 6/2

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