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LA METHODE DES OEUVRES SOCIALES

Par ou il faut commencer?

C'est la première question que se pose tout homme investi sur les autres d'une autorité morale ou positive dont il voudrait faire emploi pour le bien.

Curé dans sa paroisse; vicaire sous les ordres d'un curé; catholique placé dans un rang d'honneur parmi les hommes; chef d'industrie employant de nombreux ouvriers; propriétaire ou fermier à la tête d'une exploitation agricole: quiconque, ayant conçu le désir de préparer la rénovation morale et religieuse de notre malheureux pays, veut utiliser au profit de Dieu, de l'Eglise et de la France, l'influence que la Providence lui a mise en main, se trouve la plupart du temps aux prises avec les incertitudes et les hésitations du début.

Par où commencer?

Nous répondrons: par vous-même.

Avant tout, prêtre ou pieux laïque, il faut bien vous affermir dans la pensée que vous n'êtes pas fait seulement pour la stalle et la sacristie; que vous êtes pour votre part le sel de la société et la lumière de la vie sociale; que vous devez aller aux hommes, autant et plus qu'aux femmes et aux enfants; que c'est faire injure au Christ d'agir autrement; que votre maître enfin et votre modèle a groupé des apôtres et des disciples et n'a pas limité son action à l'apostolat de l'enfance.

Bien pénétré de cette pensée. maîtresse, vous ne devez pas vous laisser arrêter par les timides. N'oubliez pas que vous vous trouvez au milieu d'un monde où la véritable intelligence de l'apostolat est amoindrie depuis deux cents ans. Le jansénisme a passé par là, puis le gallicanisme, la révolution, le libéralisme et le rationalisme.

Toutes ces négations de l'action sociale chrétienne se sont accumu­lées. Notre société y est toute plongée. L'atmosphère des âmes en est toute saturée. L'erreur se cache sous les noms de prudence, de réserve, de modération, d'impossibilité; certains châteaux frémiront en enten­dant vos rêves d'apostolat populaire.

Si vous êtes prêtres, quelques confrères plus âgés, qui n'ont connu que les vieilles méthodes, vous regarderont comme des utopistes. De pieux laïques, et des dévotes gémiront sur votre témérité. Tous ces braves gens ne voient pas avec plaisir les indifférents nous dire que la religion est bonne pour les vieillards, les femmes et les enfants, mais ils font tout sans s'en douter pour qu'on le dise. Ils ne conçoivent guère que le prêtre sorte pour autre chose que pour voir des malades et pour conduire les convois mortuaires, et ils s'étonnent que le peuple compare le prêtre à un oiseau funèbre.

Allez aux vivants, allez aux hommes, allez au peuple, et vous ne passerez plus pour le triste oiseau des funérailles. Notre siècle a soif d'action religieuse. La maladie aiguë de la société présente, c'est l'absence de vie religieuse, c'est l'absence du prêtre. N'entendez-vous pas ses médecins diagnostiquer son mal? Les philosophes, les penseurs, les économistes nous le disent. Vous avez entendu Le Play, Littré, J. Simon, Brunetière. La société se meurt faute de religion. C'est le cri de tous les hommes intelligents à la vue du désordre moral actuel. C'est le Canossa de la philosophie rationaliste, de la politique persécutrice et de l'économie sociale séparée.

Le peuple voit le mal et cherche la solution, à vous de la lui offrir. Après vous être bien affermi vous-même et cuirassé dans la résolution d'agir, quelle méthode suivrez-vous?

Cela devient plus facile.

Ne perdez pas de vue les modèles, le Christ et les apôtres. Le Christ allait aux hommes sans trêve et sans repos. Il en triait quelques-uns, il formait douze apôtres, puis soixante-douze disciples. Ceux-là deve­naient ses auxiliaires. Il leur donnait un mot d'ordre: Allez et enseignez.

Ils allèrent et cherchèrent des auditeurs groupés ou isolés. La parole était leur seule arme. Ils prêchèrent la doctrine et s'occupèrent des oeuvres, des besoins du peuple et de l'organisation sociale. Saint Paul cherchait dans toutes les villes opulentes de la Grèce des ressources pour les communautés chrétiennes de Palestine.

Notre mission est là toute tracée: Aller aux hommes, surtout à ceux qui ne viennent pas à nous, leur parler, les grouper, et utiliser cette forme nouvelle de la parole, le journal, qu'un saint Paul n'aurait pas manqué d'employer, si son temps l'avait connue, et enfin nous occuper des intérêts économiques et sociaux du peuple. C'est là la théorie, mais avançons. Que ferons-nous dans le détail de la pratique?

Nous répandrons le bon journal; nous grouperons des hommes, pour leur faire entendre des conférences; nous les amènerons aux études sociales, aux oeuvres économiques et enfin aux oeuvres de piété.

Tout cela se fera, à la campagne, dans de modestes proportions et peu à peu.

La Croix du dimanche suffira pour préparer les voies à la campagne. Formez ensuite avec patience un petit groupe d'hommes de bonne volonté qui deviendront vos auxiliaires.

Priez et faites prier, et le Sauveur ne se refusera pas à vous fournir un petit collège apostolique.

Avec ces premiers groupes, vous pourrez tout, et les oeuvres sociales, syndicats et caisses de crédit s'organiseront facilement, comme un fruit mûr tombe facilement de l'arbre qui lui a fourni la sève. La confrérie de Notre-Dame des champs réunira vos associés et les conduira à l'église. Les oeuvres de piété seront le couronnement des oeuvres économiques. Mettez-vous donc à l'œuvre sans tarder.

Hier encore nous lisions une lettre chaleureuse de Mgr l'évêque de Périgueux à ses diocésains, sur la nécessité pressante des oeuvres rurales en faveur des populations agricoles. Tous nos évêques pensent comme lui.

«Oui, dit Mgr Dabert, il y a des réformes à faire pour améliorer le sort des travailleurs. Faisons-les. Créons sur les bases de l'honnêteté et de la justice des syndicats agricoles. Créons des institutions économi­ques, caisses rurales, caisses de famille, économats domestiques, assurances contre les accidents du travail, caisses de retraite, etc.

En un mot, conclut Sa Grandeur, tous ceux qui, à un titre ou à un degré quelconque, ont à la campagne une part d'influence, doivent aujourd'hui se dévouer pour les intérêts matériels de nos ouvriers des champs.

Et le clergé, tout en travaillant principalement à la conversion et à la sanctification des âmes, ne doit pas demeurer étranger à ces oeuvres de réformes sociales.

Il ne fera du reste que suivre les exemples du Sauveur».

En résumé, nous dirions à un curé de campagne: Commencez par vous bien convaincre de la nécessité d'agir et d'aller aux hommes. Pour cela, il vous suffira, si vous voulez, de relire l'Encyclique Rerum novarum. Mettez-vous de suite à répandre La Croix par tous les moyens possibles. De notre temps, la bonne presse, c'est l'œuvre des oeuvres. En même temps, formez trois ou quatre hommes de bonne volonté. Ne vous lassez pas: Insta opportune importune, jusqu'à ce que vous les ayez décidés à devenir vos auxiliaires pour les oeuvres sociales. Alors, commencez avec eux un syndicat. Il se développera. Le syndicat fera tout le reste. Il fondera la caisse de crédit et la caisse de famille. Il aura un lieu de réunion analogue à un cercle. L'élite de ses membres formera plus tard une fraternité du tiers-ordre.

Le syndicat s'annexera un patronage. Les mères et les jeunes filles voudront aussi des associations, si elles n'en ont pas déjà et la paroisse retrouvera peu à peu toute la vie corporative chrétienne des meilleures époques.



Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, avril 1895, pp. 193-196.

UN MOYEN EFFICACE

Pour hâter le règne social du Sacré-Cœur
la bonne presse

C'est l'œuvre des oeuvres actuellement. Voudra-t-on enfin le comprendre partout?

Pie IX et Léon XIII nous l'ont dit assez. On ne compte plus leurs encouragements aux journaux catholiques et spécialement au journal populaire La Croix et à ses Comités de propagande.

Pour les curés surtout, c'est l'œuvre réservée par Dieu au temps présent.

Quelles que soient les oeuvres que l'on fasse, on ne peut sauver la France qu'en la délivrant, dans les racines, d'un mal destructeur de toutes les bonnes oeuvres.

Ce mal, c'est la presse impie, et même la presse indifférente, colportée dans les moindres hameaux et dans toutes les agglomérations ouvrières. Cette calomnie quotidienne, cet athéisme pratique, aidés par le roman sensuel ou obscène, réduisent à néant tout ce que l'on fait à l'école, au patronage, au cercle, à l'église ou dans les bonnes conférences du soir.

Aucune de ces excellentes oeuvres n'a eu de fruit durable qu'autant qu'on a pu écarter ce fléau.

Il n'y a plus que de rares îlots, çà et là, qui ne soient pas inondés, et, devant ce déluge, de placides conservateurs se résignent en disant: «Il n'y a rien à faire, le monde est perdu».

On a eu beau protester et leur dire que la diffusion d'un bon journal populaire, dans des conditions de bon marché que les autres ne pourraient pas atteindre, pouvait dessécher ce déluge. On l'a prouvé par des exemples fournis par le journal La Croix. Beaucoup ne se sont pas encore rendus, mais ils y arriveront avec la grâce de Dieu.

Si nous voulons connaître le moyen d'acquérir une véritable influence sociale, allons à l'école des juifs, ils s'y connaissent.

Eh bien! lorsque Crémieux fonda L'Alliance israélite pour enjuiver le monde, quel moyen mit-il en oeuvre?

«Il ne nous faut, disait-il à ses coreligionnaires, qu'une seule arme, qui est toute-puissante. Quand nous l'aurons, le monde sera à nous». Quelle était cette arme?

«Ce n'est pas l'argent, ce ne sont pas les places, ce n'est pas la considération publique. Mettez tout cela au second plan, leur disait-il, mais avant tout, emparez-vous de la presse! La presse, c'est tout. Ayant la presse, nous aurons tout le reste».

L'Alliance israélite accepta le programme de Crémieux. Elle mit la conquête de la presse au premier rang de ses préoccupations. Elle y dépensa son argent et sa peine.

Elle a conquis la presse, et, avec la presse, elle a eu tout le reste: l'argent, les places, la considération, l'influence.

Elle a pu ainsi enjuiver la France, car la France que nous avons devant nous, cette France dont la vue arrache nos larmes et crispe nos nerfs, c'est la France enjuivée. C'est la France telle que l'a faite la presse juive.

C'est L'Alliance israélite de Crémieux qui nous a menés où nous sommes. Nous sommes devenus les vassaux du juif. Et si quelque seigneur du moyen âge oublia les nobles traditions de la féodalité,

jamais cependant il n'a traité ses hommes-liges avec autant de tyrannie et de mépris que nous en essuyons du juif.

Allons à l'école de ce vainqueur, qui a détruit tout l'ordre social chrétien, qui a détruit toute l'énergie du caractère français, qui a déchristianisé, humilié, subjugué la France. Examinons son arme, étudions sa tactique. A son exemple, mettons la presse au premier rang de nos moyens d'action. Toutes les oeuvres marcheront quand nous aurons la presse. Sans la presse, toutes les oeuvres périront.

Objections. - Il y en avait des montagnes. Elles disparaissent une à une. «C'est impossible, disait-on, cela ne prendra pas, ce n'est pas l'affaire des prêtres de s'occuper des journaux». Et en s'arrêtant devant ces difficultés imaginaires, on laissait le mal s'aggraver, la foi se perdre et la patrie courir aux abîmes.

Non, ce n'est pas impossible. Ce n'est pas même difficile. Il faut cependant se donner un tout petit peu de peine pour faire de la propagande. Mais quelle lâcheté ce serait de s'arrêter devant ces petits sacrifices, quand il s'agit d'un si grand bien à faire!

Le temps est passé où l'on voulait reléguer le prêtre et même les pieux fidèles à la sacristie. L'unité de la foi est perdue. La France est maintenant un champ de missions, où il faut combattre avec toutes les armes qui sont en notre pouvoir.

La presse catholique d'ailleurs ne fait plus d'opposition à la forme du gouvernement, le clergé des paroisses lui-même peut donc s'en faire le propagateur. Elle n'est plus qu'un moyen d'apostolat.

Publications diverses. - A quelle publication donner la préférence pour combattre la mauvaise presse? Comme publication populaire, La Croix est sans conteste au premier rang.

Elle ne coûte que 1 ou 2 centimes; Elle n'est inféodée à aucun parti; Elle est franchement et avant tout catholique;

Elle ne publie jamais aucun feuilleton qui ne puisse être lu même par des enfants;

Elle est très bien informée; sa rédaction est intéressante et spirituelle;

Elle arbore crânement le crucifix et ceux qui la reçoivent font par là même un acte de foi.

Elle a conquis largement sa place. La Croix quotidienne tire aujourd'hui à 170.000 exemplaires.

A côté de La Croix quotidienne, il y a La Croix du dimanche, doublée du Petit Laboureur, il y a aussi la Vie des Saints.

La Croix du dimanche tire actuellement à 400.000. Les Vie des Saints à 432.000.

La Croix quotidienne convient aux villes et aux bourgades, La Croix hebdomadaire aux petites paroisses rurales.

Les Suppléments régionaux complètent La Croix de Paris. Ils donnent les nouvelles locales.

La méthode. - Il faut d'abord, évidemment, une personne de bonne volonté - homme actif ou dame dévouée - ou bien un petit Comité. On a ensuite facilement un ou plusieurs porteurs en les payant.

On peut faire connaître le journal par des prospectus. Ces prospectus se trouvent aux bureaux de La Croix. Ils sont alléchants, suggestifs. Demandez-en un stock.

On peut distribuer d'abord un ou deux numéros gratuitement. L'administration de La Croix vous aidera pour cela. Elle vous enverra des numéros de propagande, (50 au moins, et plus si vous voulez) à un demi-centime. La durée de ces envois à prix réduit est limitée à six jours pour La Croix quotidienne et à deux envois pour La Croix du dimanche.

Après la distribution des prospectus et des numéros spécimens, il faut aller chercher les abonnements. Un porteur peut le faire. Nous connaissons des cantons où les curés ont fait eux-mêmes la visite de leur paroisse pour recommander l'abonnement à la Vie des Saints, et à La Croix du dimanche. Ils ont eu un succès complet.

La vente au numéro réussit peu.

Dans certaines régions, La Croix du dimanche, avec ses annexes: Vie des Saints et Croix locale, se vend à la porte de l'église à la sortie de la messe.

L'œuvre à la campagne. - Est-elle possible? Evidemment.

Dans tous les centres desservis par une gare, la propagande peut se faire comme à la ville. Le colis postal permet de donner le journal de bon matin et à très bon marché.

Il suffit de trouver une personne qui consente à s'occuper de l'œuvre et un porteur.

Il faut arriver à un chiffre de 200 abonnés (le colis postal contient 230 journaux), autrement les frais de port augmenteraient notable­ment le prix du journal.

Avec le colis postal on peut vendre La Croix quotidienne 0 fr. 15 par semaine. On peut même, à la campagne, donner La Croix du dimanche et la Vie des Saints pour 0 fr. 15 par mois.

Il faut grouper au besoin deux ou trois villages assez rapprochés pour avoir les 230 abonnés. Le Comité le plus voisin d'une gare reçoit le colis postal, les autres envoient chercher chez lui leur part des numéros.

Si l'on n'avait que 50 abonnés ou même 10, les frais de port augmenteraient le journal; malgré cela, La Croix serait encore moins chère que les autres journaux.

Puisque les mauvais journaux parviennent dans les hameaux les plus éloignés, pourquoi ne pourrait-on pas y faire parvenir aussi les bons journaux?

Dès que les journaux sont parvenus au village, un enfant peut les distribuer pour très peu de chose.

Il est évident que dans chaque village, il faut une personne qui se charge spécialement de la propagande et qui recueille les abonne­ments.

Comités et propagande. - L'administration de La Croix aime avoir affaire à des Comités de propagande. Il est vrai qu'elle n'est pas difficile; elle tient pour Comité même une seule personne qui s'occupe de la diffusion de La Croix.

Les Comités adhèrent à la Ligue de l'Ave Maria. Ils sont agrégés à l'œuvre de La Croix. Ils reçoivent, moyennant 3 fr. par an, La Croix des Comités, mais ils ont des remises sur le prix du journal. Les Comités seuls peuvent avoir La Croix à 1 centime à partir de 10 numéros. Ils ont la Vie des Saints à 1 demi-centime à partir de 50 exemplaires.

Pour tout cela, s'adresser au bureau de La Croix, 8, rue François Ier, à Paris.

La diffusion de La Croix est une oeuvre qui poursuit un but surnaturel: la gloire de Dieu et le salut des âmes. Elle ne réussit que par les moyens surnaturels. Les Comités prient et demandent des prières et des communions. Ils font dire une messe mensuelle pour l'œuvre de La Croix.

Pour initier les nouveaux zélateurs à la propagande, il y a des fascicules qu'on donne gratuitement au bureau de La Croix.

Etendons notre zèle au delà même de notre paroisse. Provoquons des réunions cantonales.

Les Comités cantonaux envoient des délégués dans les paroisses pour gagner des amis à l'œuvre et leur fournir renseignements et documents. Ceux-ci, à leur tour, vont faire l'apostolat à domicile, présenter lé bon journal et demander l'abonnement.

Qui seront ces apôtres?

Des curés ont fait eux-mêmes la propagande à domicile pour les Vies des Saints et La Croix du dimanche.

A Lille, à Saint-Chamond, ce sont des ouvriers.

A Lyon et à Saint-Etienne, ce sont des jeunes gens du monde ou des cercles catholiques. Ailleurs, ce sont des femmes ou des enfants.

Les débuts sont parfois difficiles. Il faut savoir persévérer et continuer la propagande. Le succès vient toujours.

Abonnements. - C'est par le bon marché que nous supplanterons les autres journaux.

Dans le plus petit village, on peut trouver 10 abonnés. 10 numéros ensemble par la poste coûtent 0 fr. 10 d'achat et 0 fr. 20 de port, soit 0 fr. 30. Cela fait 8 fr. 10 par mois (27 numéros). On peut dans ce cas demander aux abonnés 0 fr. 20 par semaine, ou 1 fr. par mois. 10 abonnements à 1 fr. par mois donnent 10 fr. Il reste donc quelque chose pour le porteur ou pour le Supplément local.

L'abonnement par colis postal est bien préférable, soit pour La Croix quotidienne, soit pour La Croix du dimanche.

Un colis postal de 3 kilos ne coûte que 0 fr. 60 en gare. Il peut contenir 230 Croix ou 150 Vies des Saints avec Croix.

Un colis de 5 kilos (0 fr. 80 en gare) peut contenir 340 Croix ou 250 Vies des Saints avec Croix.

Partout les Comités ont pu vendre La Croix quotidienne à 0 fr. 15 par semaine quand ils la reçoivent par colis postal. Reims est même parvenu à la donner à 0 fr. 10.

Colportage et vente sur la voie publique. - La loi affranchit les colporteurs et distributeurs de l'autorisation préalable; elle astreint les colporteurs et distributeurs à la seule déclaration à la mairie de leurs nom, prénoms, profession, domicile, âge et lieu de naissance. Il leur en est délivré un récépissé, qui doit être présenté à toute réquisition.

La distribution et le colportage accidentels, (pour prospectus ou numéros spécimens) sont entièrement libres; ils sont exemptés de la formalité même de la déclaration. Il n'est pas même nécessaire que le colporteur soit Français et jouisse de ses droits civils et politiques.

Les résultats. - Quels sont les résultats obtenus au point de vue du bien social? Il est certain qu'un journal ne transforme pas les idées en un jour. C'est un travail d'autant plus long qu'il rencontre des obstacles plus nombreux et plus sérieux. Il faut du temps pour redresser les idées d'un peuple qui a perdu la foi, qui est endoctriné par les politiciens, démoralisé par la mauvaise presse et qui est victime de l'école sans Dieu.

Quoi qu'il en soit, il est un résultat constaté partout, et dont il faut rendre grâce à Dieu, c'est que La Croix a brisé, pour beaucoup d'âmes, les liens du honteux esclavage par lequel le respect humain les asservissait. On s'est habitué à revoir le crucifix, à le tenir dans les mains.

Avec La Croix, l'Evangile rentre aussi dans les maisons des catholiques qui ne le connaissaient plus.

Si l'on demande aux prêtres quel profit ils y ont trouvé, l'un vous dira qu'il y a plus d'hommes à la messe, un autre qu'il y a plus de communions pascales, un autre que La Croix a préparé le succès d'une mission, un autre qu'elle a été un point de départ des Oeuvres paroissiales, syndicat, caisse de famille, etc., un autre, que les colporteurs des mauvais journaux ont renoncé à venir chez lui.

Il faudrait des volumes pour dire tout le bien accompli. Mettons-nous à l'œuvre. Nous avons dans la bonne presse un des moyens les plus efficaces pour restaurer le règne de Dieu dans les âmes et dans la société.



Le règne du Cœur de jésus dans les âmes et dans les sociétés, juin 1895, pp. 261-268.

Voir le Manuel social chrétien, réimprimé dans Oeuvres sociales, vol. II, pp. 195-208.

MONOGRAPHIE

Syndicat et œuvres connexes dans une paroisse rurale de la Haute-Marne

Monsieur le curé d'A… est chargé de deux paroisses rurales, qui comptent ensemble 260 habitants et d'un hameau de 80 habitants éloigné de 1.500 mètres.

Les débuts de son ministère furent bien pénibles. Prévenus contre son activité, qu'ils redoutaient, les maires des deux communes, ayant appris sa nomination, avaient fait des démarches pour l'écarter; les femmes l'auraient reçu plus volontiers avec des bâtons qu'avec des fleurs.

Il s'installa néanmoins, mais le vide se fit autour de lui. Les quelques personnes de la localité qui passaient pour catholiques, au lieu de lui venir en aide, lui causèrent des désagréments, parce qu'il ne voulait pas subir leur direction. Quant aux instituteurs, au médecin, au vétérinaire, au juge de paix, ils lui étaient ouvertement hostiles.

Ne pouvant aborder directement la population, il se servit du journal La Croix, auquel il joignit Le Laboureur, la Vie des Saints et quelques Pèlerins. Il parvint ainsi à apaiser un peu à la fois les sentiments d'hostilité et on se rapprocha de lui.

Les catéchismes étaient peu suivis. Cela venait de ce qu'ils avaient lieu à des heures peu favorables. Il y remédia, il les fit le matin avant la classe et il excita les enfants par l'appât des récompenses; maintenant il n'a plus à déplorer aucune absence.

M. le curé d'A… insiste sur la nécessité d'une salle d'œuvres. Il devrait y en avoir partout. C'est une condition presque indispensable du bien que l'on peut réaliser. Pour se la procurer, il appropria un hangar du presbytère, avec la permission du maire. Il le transforma, en mettant lui-même la main à l'œuvre, car il manie alternativement le rabot et la Somme de saint Thomas.

Il lui donna le nom modeste de salle de catéchisme, pour ne pas porter ombrage à l'administration. Il y réunit les enfants le jeudi, et il les occupe par des leçons d'Histoire Sainte, de chant, de cérémonies, de lecture du latin, en alternant avec des jeux. On y prépare aussi de petites séances dramatiques.

L'ascendant qu'il exerçait sur les enfants lui valut bientôt la confiance des personnes plus âgées. Il crut pouvoir entreprendre les jeunes domestiques de fermes. Ces malheureux jeunes gens passaient souvent la nuit à faire du tapage dans les rues; les patrons trouvaient que leur place était à l'écurie et non au cabaret. Il en attira quelques-uns, qu'il réunit trois fois, puis quatre fois par semaine. Il les empêcha ainsi de dépenser inutilement leur argent.

La salle d'œuvres était le local naturellement désigné pour les recevoir. Elle est chauffée, éclairée, elle contient une bibliothèque et des jeux.

Pendant quelque temps, ces jeunes gens furent l'objet de certaines tracasseries, mais peu à peu le calme se rétablit. Chaque soirée se terminait par une courte prière pour les âmes du purgatoire. Plusieurs fois dans l'année on jouait des pièces de théâtre qui avaient le plus grand succès.

A plusieurs reprises, des hommes, attirés par la curiosité, vinrent s'égarer dans les réunions. M. le curé en profita pour risquer la fondation d'un Syndicat. Il annonça une conférence qui serait donnée par un prêtre, très au courant. On vint en assez grand nombre. Tout l'auditoire fut saisi et captivé et le syndicat fut fondé.

L'année dernière, après le Congrès du Val-des-Bois, il créa un Cercle d'études sociales. L'annonce en fut faite à l'église le jour de la Toussaint. Dans la semaine qui suivit, huit hommes vinrent s'inscrire. Depuis, leur nombre s'est accru. M. le curé préparait lui-même les questions ou invitait des conférenciers de la ville. Le programme de ces modestes économistes de village pourrait servir de modèle à de plus doctes réunions. Voici les sujets qui ont été traités:

«De la propriété: sa vraie notion. Du droit d'hérédité.

Le Home stead et la stabilité du petit domaine rural. Les papes et les paysans.

La rente foncière et les rapports du propriétaire et du fermier. Le salaire et les questions qui s'y rapportent.

Les relations des maîtres et des domestiques. L'état présent de l'agriculture, ses souffrances. Etude de l'aménagement d'une maison de laboureur: plans et devis.

Notions de chimie agricole.

Les impôts qui pèsent sur l'agriculture: impôts directs, droits de mutation.

L'absentéisme.

De la représentation de l'agriculture.

Du commerce et des privilèges dont il jouit: les tarifs de pénétration. L'agiotage, la spéculation sur les produits agricoles.

Le judaïsme.

Les lois électorales. Les lois scolaires.

L'enseignement professionnel: écoles ménagères, écoles d'agriculture, etc.».

Malgré le Syndicat, malgré le cercle d'études, M. le curé n'avait pas encore conquis pleinement la confiance de ses paroissiens. L'établisse­ment d'une caisse rurale fit tomber les dernières barrières. M. le curé leur avait prouvé qu'il connaissait leurs affaires, qu'il devinait leurs dettes. Il leur fit comprendre qu'il ne pouvait pas sérieusement les aider s'ils ne lui fournissaient les renseignements dont il avait besoin, pour leur apprendre à bien tenir leurs comptes. Il leur donna le canevas d'un tableau de recettes et dépenses, qu'il leur laissa le soin de remplir. La semaine suivante, on les lui soumit sans la moindre hésitation.

Le fonctionnement de la caisse rurale devenait facile. Elle donne de bons résultats. Ceux qui la gèrent prennent une influence marquée dans la paroisse dont ils deviennent les apôtres.

Une confrérie de Notre-Dame des Champs cimente les associations. Elle a cent adhérents dans la petite paroisse.

Le Syndicat a organisé une coopérative et il a fait déjà depuis un an 120.000 francs d'affaires.

Quels magnifiques résultats! Ne sont-ils pas bien encourageants pour les hommes de bonne volonté?

Pour être loyal, il faut ajouter que les oeuvres n'ont pas encore converti toute la petite paroisse. On y compte toutefois quelques hommes de plus qu'auparavant à la messe du dimanche et à la communion pascale.

Sur 250 habitants, la moitié des hommes, soit environ 80, vont à la messe, 45 font leurs Pâques. Une douzaine communient à Noël; quelques-uns à l'Adoration perpétuelle, à l'Assomption et à la Toussaint.

En nous donnant ces chiffres, M. le curé ajoutait: «Je bénis Dieu de ce résultat, si incomplet qu'il soit. Je ne crois pas me tromper en pensant que, sans les oeuvres, j'aurais perdu depuis dix ans un tiers de mes habitués de la messe et des Pâques. C'est ce qui est arrivé en maintes paroisses de la région. Les pratiques chrétiennes ont baissé. Une opposition sourde et hypocrite s'est organisée. L'influence maçonnique se fait sentir par la politique et par la presse jusque dans les campagnes. Le respect religieux dont on entourait le prêtre a fait place à un sourire de pitié. Ma situation, grâce aux oeuvres, est bien meilleure. Il ne me reste pas seulement quelques ouailles timides, quelques vieillards inactifs. J'ai un groupe d'hommes dans toute la force du terme et je travaille à les mettre à même de former une commune chrétienne.

J'étudie avec eux les questions d'agriculture et d'administration communale. Je mets à leur disposition des Manuels du Maire, du Secrétaire de Mairie, du Vétérinaire, du Laboureur, du jardinier, etc. Il faut qu'ils puissent se suffire autant que possible et au besoin prendre la tête des affaires communales, si le suffrage universel les en juge dignes.

Ce n'est pas là faire de la politique de parti, c'est préparer le règne social de Jésus-Christ et c'est la mission du prêtre».

Voilà bien le ministère comme l'entend Léon XIII et comme l'a toujours entendu l'Eglise avant le gallicanisme. C'est ainsi qu'il faut faire partout.



Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, juin 1895, pp. 278-282. Idem dans La Démocratie Chrétienne, sous le titre Un curé démocrate, N. 4, août 1895, pp. 303-306.

VAL-DES-BOIS

ou
Le règne du Sacré-Cœur dans une usine

Dans notre dernière audience, le Saint-Père nous disait: «Ah! le bon Harmel! Comme il est bon pour ses ouvriers! Si toutes les usines étaient comme la sienne, comme tout irait bien!».

Cette chère usine, où règne le Sacré-Cœur, est donc un modèle que le Saint-Père propose à tous les patrons. Elle se rapproche de l'idéal qu'il faut avoir toujours devant les yeux. Nous en avons souvent parlé dans cette revue, mais nous croyons répondre aux désirs du Saint-Père en en donnant encore ici une description succincte.

Historique. - Les oeuvres du Val-des-Bois datent de 1861. Jusque­ là, pas un ouvrier n'y remplissait ses devoirs religieux.

On commença par une modeste école des Filles de la Charité.

Il fallut deux ans pour arracher quelques jeunes filles aux séductions des fêtes profanes du dimanche et les grouper sous la bannière des Enfants de Marie.

En 1863, trois Frères des Ecoles chrétiennes commencèrent l'école des garçons. En 1867, ils pouvaient, avec une quinzaine de jeunes gens et quelques pères de famille, organiser le Cercle Saint-Joseph.

L'apostolat des oeuvres se développait. Quelques conversions apportaient dans les familles des joies jusqu'alors inconnues. L'association de Sainte-Anne commença à grouper les mères de famille en 1868. Ce fut un grand progrès. La paix du foyer, l'économie domestique, l'éducation des enfants en reçurent un merveilleux accroissement.

Un modeste oratoire avait été inauguré en 1862. Il fut depuis remplacé par une belle chapelle ogivale.

Depuis 1870, les diverses associations sont réunies en un tout qu'on appelle la corporation chrétienne. Leur union est cimentée par des institutions économiques que gouverne le Conseil corporatif.

La pratique chrétienne, qui était inconnue dans l'usine avant les oeuvres, en est devenue la règle générale. Les trois quarts de la population de l'usine font partie des associations. Dans la chapelle de l'usine, il y a 1.300 communions par mois, et cependant la liberté sur ce point est absolue.

La population ouvrière du Val a pris une physionomie d'honnêteté, de douceur, de bon ton qu'on ne trouve nulle part ailleurs.

Personnel. - Les patrons vivent au milieu de leur population ou­vrière. Ils invitent les conseillers à leur table en diverses circonstances. En 1893, le bon père recevait à dîner, le soir en semaine, successivement les 28 sections qui comprennent tous les hommes de l'usine.

Selon une tradition constante dans la famille, le futur patron fait son apprentissage dans l'usine et passe successivement dans chacun des services.

Il ne quitte un poste que lorsqu'il a pu complètement remplacer l'ouvrier ou le contremaître pour le compte duquel il travaille, pendant une ou deux semaines de congé accordées au titulaire.

Les contre-maîtres et employés sont choisis, autant que possible, dans les familles des anciens ouvriers, qui ont ainsi en perspective une certaine ascension professionnelle.

L'autorité des contre-maîtres est limitée. Ils ne peuvent ni embau­cher, ni renvoyer, et les amendes qu'ils infligent ne deviennent définitives qu'après la signature d'un patron.

Les remontrances paraissent préférables et n'ont pas le côté odieux de la retenue sur le salaire. Aussi, la somme des amendes versées chaque année à la Société de secours mutuels ne dépasse-t-elle guère 20 francs.

Le recours au patron est maintenu à tous sans distinction.

Le personnel des ouvriers de l'usine comprend 510 personnes, dont 300 hommes et jeunes gens et 210 femmes et jeunes filles.

Les écoles tenues par les Frères des Ecoles chrétiennes et les Sœurs Servantes du Cœur de jésus (de Saint-Quentin) reçoivent 355 enfants.

Une compagnie de vétérans a été formée des ouvriers qui ont travaillé plus de vingt-cinq ans à l'usine. Elle a son Conseil, ses insignes, ses fêtes. Elle comprend 50 membres. L'un d'entre eux porte. une décoration du Saint-Siège, 8 portent la décoration tricolore de la médaille d'honneur du ministère, plusieurs autres ont reçu des diplômes de Reims ou de Paris.

Douze ouvriers ont plus de quarante ans de service dans l'usine; 30 ont plus de trente ans.

La population ouvrière du Val a déjà donné à l'Eglise des prêtres, des religieux et des religieuses. Au mois de mars 1895, elle comptait 14 élèves ecclésiastiques.

Associations fondamentales. - La population ouvrière est répartie comme il suit dans les associations:

Saint-Louis de Gonzague, 6 à 13 ans ………………93
Petit Cercle, 13 à 16 ans ………………………………34}440
Hommes au-dessus de 16 ans (Cercle) ………………313
Sainte Philomène, filles de 6 à 11 ans ………………55
Saints Anges, de 11 à 15 ans …………………………51}469
Enfants de Marie, de 15 ans au mariage ……………132
Sainte-Anne, femmes mariées ………………………231

Ces associations ont chacune leur gouvernement autonome au moyen de Conseils nommés par leurs pairs.

Un certain nombre d'hommes n'appartiennent pas aux associa­tions, qui n'atteignent pas non plus toutes les femmes et toutes les jeunes filles. Le recrutement se fait par l'apostolat mutuel dans la plus grande liberté.

Hygiène et travail. - Les salles d'usines sont élevées de 6 mètres sous plafond. Elles sont spacieuses et largement éclairées.

L'aération est produite par des ventilateurs qui enlèvent chacun 10.000 mètres cubes d'air à l'heure.

Des signaux disposés dans chaque salle permettent l'arrêt immédiat des moteurs en cas de danger. Les machines ne sont pas mises en mouvement avant que deux avertissements successifs aient prévenu les ouvriers. Des précautions minutieuses sont prises pour éviter le nettoyage en marche, etc.

Le travail commence à 6 heures moins un quart pour se terminer à 6 heures du soir, avec un quart d'heure d'arrêt à 8 h. 1/2 et une heure à midi.

Salaires. - La moyenne des salaires des fileurs dépasse 5 fr. 50; la moyenne pour les ouvrières dépasse 2 francs.

L'usine donne du travail à tous les membres de la même famille, d'où résulte un avantage moral pour le père et les enfants, celui de vivre ensemble à l'usine comme au foyer; et un avantage matériel, celui d'accumuler les salaires. De ce chef, certaines familles reçoivent chaque année plus de cinq mille francs à cause du nombre de leurs membres dont le travail est assuré.

Le travail n'a été interrompu ni pendant les troubles civils de 1848, ni pendant la guerre de 1870-71. Il n'y a jamais eu de grèves.

Les adjuvants du salaire. - Les ouvriers sont logés dans des maisons commodes et indépendantes, dont le loyer annuel varie de 78 à 110 francs suivant les groupes. Le type de la cité Jeanne d'Arc à 110 francs est ainsi composé: une grande place basse, relaverie et caveau; deux chambres au premier avec grenier au-dessus; jardin devant chaque habitation, entouré de barrières, avec cabinets et remises pour le débarras et pour quelques animaux domestiques; plus loin, second jardin plus considérable.

En cas de maladie, la Société de secours mutuels donne droit aux soins du médecin et aux médicaments pour toute la famille et à une indemnité de 1 fr. 50 par jour pour le travailleur. Les frais de funérailles sont à la charge de la Société.

Des Sœurs gardes-malades soignent à domicile; elles ont une pharmacie pour l'usine. Le médecin donne tous les jours des consultations annoncées dans les salles d'usine et au dehors par des signaux convenus.

Quand la vieillesse altère les forces et empêche de continuer le travail habituel, on trouve dans l'usine un ouvrage facile qui permet aux ouvriers âgés de continuer à gagner honorablement leur vie.

Quand il y a incapacité complète, la Caisse de prévoyance, formée exclusivement par les patrons, fournit une pension en rapport avec les besoins.

Fructification du salaire par la Société coopérative et ses bonis. - Une Société coopérative livre le pain et les étoffes. Elle fait environ 80.000 francs d'affaires par an, et le dernier trimestre a donné plus de 3.000 francs de bénéfice, dont le huitième seulement appartient aux actionnaires et les sept huitièmes aux coopérateurs, c'est-à-dire aux acheteurs.

Des remises sont faites sur d'autres marchandises par certains fournisseurs, d'après les traités faits avec eux.

Le boni corporatif est un dividende ordinairement de 5% sur les achats à la Société coopérative. Il est obligatoirement placé à la Caisse d'épargne, jusqu'à ce que le chef de famille ait atteint l'âge de cinquante ans, sauf au décès ou au départ de l'usine, auxquels cas il est remboursé.

De ce chef, 189 livrets représentent 15.330 francs.

Salaire familial: Caisse de famille. - Le salaire doit nourrir la famille. Or, il est des circonstances où un supplément est nécessaire, soit à cause du nombre des enfants en bas âge, soit par suite de la mort du chef de famille ou pour toute autre cause.

Pour arriver à maintenir le salaire familial, les patrons ont fondé une caisse de famille, qui fournit les suppléments.

Il fallait tout d'abord déterminer la somme nécessaire à la vie.

Dans la situation spéciale de l'installation à la campagne, avec les jardins et les autres avantages, les patrons ont pensé pouvoir fixer le minimum indispensable à 4 fr. 20 par semaine et par tête en y comprenant les petits enfants.

Les patrons seuls, c'est-à-dire, en somme, l'entreprise, prennent cette charge pour faciliter la vie des nombreuses familles.

Epargne. - Pour faciliter et encourager l'épargne, on reçoit dans les bureaux, à la paye, les petites sommes que l'ouvrier veut laisser. Ces sommes portent intérêt à 5% jusqu'à un certain chiffre, fixé par les règlements.

Les jeunes filles qui font partie de l'Association des Enfants de Marie reçoivent en dot, outre leurs dépôts, une somme égale jusqu'à concurrence de 100 francs.

L'épargne a suivi les progressions morales et religieuses de la population. Elle était presque nulle au début des associations en 1861. Elle est arrivée maintenant à une moyenne de 62.000 francs par année.

Une enquête faite permet d'assurer que l'ensemble des 50 ouvriers de la Compagnie des vétérans ne possède pas moins de 225.000 francs en maisons, terres, placements, mobiliers et dépôts _à la caisse d'épargne.

Il est intéressant de savoir que les 42 ménages de vétérans ont eu ensemble 145 enfants.

Organisation ouvrière. - Le syndicat mixte a été établi en 1885 suivant la loi.

Le Conseil syndical ouvrier est nommé par les camarades. Il a ses réunions chaque semaine, le mardi. Le Conseil patronal tient ses réunions le lundi. Chaque mois il y a une réunion du Conseil entier.

Le Conseil d'usine fonctionne depuis 1885. Il est composé d'un ouvrier de chaque salle, désigné par le Conseil syndical ouvrier parmi les anciens. Dans ses réunions de quinzaine, il étudie avec un patron l'hygiène et les mesures sanitaires, les précautions pour empêcher les accidents, la formation des apprentis, les questions de production, de

salaires et de primes, les plaintes que peuvent faire les ouvriers pour un motif quelconque.

Ce Conseil est un auxiliaire précieux pour aider le patron dans le gouvernement de son usine, et un instrument moral bien utile pour maintenir le bon esprit, qui est facilement altéré par de petits malentendus, quand ils ne sont pas liquidés aussitôt.

Les conseillères d'atelier remplissent les mêmes fonctions pour les ateliers de femmes dont elles sont déléguées.

Au point de vue religieux, la chapelle, desservie par deux au­môniers, rend la pratique chrétienne facile pour tous. Les membres du Tiers-Ordre et des associations de piété exercent l'apostolat autour d'eux.

Toute l'action morale est basée sur l'initiative personnelle et le dévouement des meilleurs, dont l'influence est le fruit du sacrifice et des services rendus. C'est ce qui entretient dans la population tout entière un esprit de famille et de liberté qui est le caractère particulier du Val-des-Bois.



Le règne du Coeur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, juillet 1895, pp. 328-334.

Voir le Manuel social chrétien, dans Oeuvres sociales, vol. II, pp. 271-276.

ETUDE SUR L'USURE

Etude publiée dans «Le Règne du Coeur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés en quatre livraisons: août 1895, pp. 365-374; septembre 1895, pp. 417-425; octobre 1895, pp. 469-474; novembre 1895, pp. 538-550.

Ces articles se retrouvent, partiellement revus et augmentés, dans l'opuscule publié, la même année 1895, sous le titre L'usure au temps présent, voir Oeuvres sociales, vol. IIe, pp. 297-352.

REUNION D'ETUDES SOCIALES POUR LES ECCLESIASTIQUES

a S. Quentin dans l'institution S. Jean du lundi 9 au samedi 14 septembre 1895

sous le patronage de Mgr l'Evêque de Soissons sous la présidence de M. le Chanoine Perriot de Langres et de M. le Chanoine Dehon de S. Quentin

INVITATION

Monsieur et cher Confrère,

Les réunions ecclésiastiques d'études sociales qui se tenaient au Val-des-Bois les dernièrés années, nous ont laissé un si bon souvenir et nous ont paru si utiles que nous désirons leur ouvrir un champ plus vaste.

D'accord avec M. Léon Harmel qui, malgré sa large hospitalité ne peut plus répondre au nombre des demandes, nous avons demandé à Monseigneur l'Evêque de Soissons de tenir ces réunions à Saint­Quentin.

Sa Grandeur a consenti gracieusement à notre désir et nous a fait espérer sa présence à quelques-unes de nos séances.

Monseigneur, qui s'intéresse vivement à ces questions, a fait faire un manuel social par une réunion de prêtres de son diocèse, et c'est ce manuel qui servira de base à nos études.

Nous comptons, Monsieur et cher Confrère, sur votre présence et sur votre concours en vous priant de nous prévenir le plus tôt possible. Les logements dont nous disposons seront réservés aux premiers inscrits.

Veuillez agréer, Monsieur et cher Confrère, l'assurance de mon dévoué respect.

Dehon, Ch. hon.

Sup. gén. des Pères du Sacré-Cœur

De l'attitude et de l'action du clergé en face des revendications sociales populaires.

1° Le malaise social et les revendications populaires. 2° Le clergé: son action sociale.

3° La famille: sa reconstitution.

4° Le citoyen: ses droits et ses devoirs. 5° Le patron: ses droits et ses devoirs. 6° L'ouvrier: ses droits et ses devoirs.

7° Associations: leur nécessité, leurs droits à l'existence et à la propriété.

8° Associations professionnelles, corporatives et économiques.

Nous comptons sur la présence et la participation active de M. le chanoine Perriot, de M. l'abbé Lebeurier, de M. l'abbé Lemire, de M. le chanoine Pottier, de MM. les abbés Garnier et Naudet, de M. Léon Harmel, de M. de la Tour du Pin, de M. Lorin, de Pierre l'Ermite (de la Croix) etc., etc.

Le jeudi soir 12 septembre, conférence aux ouvriers de la ville dans; la salle du cercle.

Vendredi soir 13 septembre, à 6 heures, salut de clôture avec consécration solennelle au Sacré-Cœur. A 8 heures '/2, représentation de la Passion par les élèves de l'école apostolique de Fayet.

Samedi matin 14 septembre, les congressistes qui en auront le loisir, se rendront au Val-des-Bois, où ils passeront la journée. Ils iront ensuite passer la nuit à Charleville, où a lieu le dimanche 15 septembre le congrès régional ouvrier de la Champagne et des Ardennes.

S'adresser pour les inscriptions à M. le chanoine Dehon, à Saint-Quentin (Aisne).

La carte d'entrée sera de 3 francs. Les frais de séjour pour les prêtres qui logeront à l'Institution seront de 4 francs par jour. Les séminaristes paieront 3 francs.

Les 150 premiers inscrits seront logés à l'Institution; les autres personnes trouveront des chambres dans les hôtels où nous leur procurerons les conditions les plus favorables.



Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, août 1895, pp. 387-388.

Idem dans La Démocratie Chrétienne, t. II, 1895-1896, N. 3, juillet 1895, pp. 216-217, N. 4, août 1895, p. 302, p. 317; et dans la Sociologie Catholique, N. 41, juillet 1895, pp. 438-439.

UN CONGRES SOCIAL ECCLESIASTIQUE

à Saint-Quentin

Nous sommes heureux de pouvoir offrir à nos lecteurs, comme complément raisonné du compte rendu de cette importante réunion sacerdotale, les notes qu'a bien voulu nous adresser M. le chanoine Dehon, l'organisateur même et l'inspirateur du Congrès de Saint­Quentin.

C'est un acte de vitalité du clergé, dans ce pays où les conciles et synodes sont entravés par un libéralisme menteur.

C'est le mouvement imprimé par Léon XIII, qui s'accentue. Le clergé, qui doit avoir une part notable dans la restauration sociale, le comprend et s'y prépare, comme il convient de s'y préparer, par l'étude.

C'est une élite qui réunissait les principaux hommes d'action du clergé: M. Lemire, M. Garnier, M. Naudet, des hommes d'étude nombreux: professeurs de grands séminaires et de collèges; des hommes d'œuvres, curés et vicaires.

Trente-cinq diocèses de France étaient représentés: de Bayonne à Cambrai et de Quimper à Fréjus. Le Congrès a eu du retentissement jusqu'à l'étranger. Plusieurs prêtres belges s'y trouvaient. Le P. Lehmkuhl est venu d'Allemagne. C'est contre son gré qu'il a dû s'arrêter au Val et qu'il n'a assisté qu'à l'exode du Congrès.

L'Alsace nous avait envoyé deux prêtres.

Combien il est important que l'unité de doctrine se fasse! C'est d'elle que sortira l'entente pour l'action.

Quelques prêtres influents peuvent se trouver entraînés vers des principes moins orthodoxes par leurs relations, par leurs lectures, par les courants de l'opinion publique; combien ces réunions leur sont utiles pour redresser leurs idées dans des discussions courtoises!

Ce résultat a été obtenu et il doit avoir des conséquences énormes pour le bien général.

Notre Saint-Père le Pape Léon XIII nous signale une usure d'une forme nouvelle, une «usure dévorante», qui est une des causes principales du malaise social actuel. Mais quelle est cette usure? Quelles sont les formes nouvelles qu'elle revêt? Le Saint-Père insinue bien qu'il veut viser par là les grandes spéculations contemporaines auxquelles sont venues se mêler le plus souvent une foule de manœuvres usuraires, mais il nous laisse le soin de discerner ces abus. C'est une enquête qu'il abandonne à nos soins sur les agissements du commerce, de l'industrie et de la Bourse. Cette enquête, il fallait la faire, il fallait la résumer sous une forme classique, pour la mettre entre les mains de ceux qui peuvent remédier au mal par l'enseigne­ment, par la presse, par la direction des consciences.

Un premier travail a été présenté au Congrès de Saint-Quentin. Nous avons signalé particulièrement les monopoles, les accapare­ments, les coups de bourse, l'agiotage, les réclames mensongères, le chantage, l'agio sur le change, la vente au-dessus du juste prix, les spéculations sur les salaires.

Cette action usuraire a envahi toutes les relations de la vie sociale actuelle. Il faut la dépister partout. Notre travail se continuera. Il faut à tout prix venger l'équité et ramener la justice dans les affaires, si nous ne voulons pas que les opprimés, toujours plus mécontents, jettent à bas cette société qui ne les protège pas.

C'est là un mot qui n'a pas un sens précis. Littré lui attribue quatre significations diverses, et il est incomplet. Si donc quelqu'un se dit démocrate, on ne peut ni le louer, ni le blâmer avant de lui demander: Qu'entendez-vous par là?

Les partis avancés et même subversifs ont souvent pris cette étiquette, c'est un fait. Le mot plain au peuple, c'est un autre fait indéniable.

Le peuple se mène un peu par les mots. S'il est toqué de celui-là, il n'en démordra pas. Ne vaut-il pas mieux accepter le mot franchement et lui donner un sens chrétien? Louis Veuillot, Léon XIII, Albert de Mun ont accepté l'étiquette et ils nous prédisent la réalisation du vœu populaire.

Les prêtres qui sont le plus en rapport avec le peuple sentent que ce mot leur est une force.

Ce mot était en faveur au Congrès de Saint-Quentin. On ne l'arrêterait plus impunément, il faut le laisser passer au moins dans les milieux où les hommes compétents et responsables le jugent utile (c'était je crois la conclusion d'un article récent de l'Association catholique); mais il faut le baptiser et lui donner un sens chrétien.

Au congrès de Saint-Quentin, il était facile de voir que quelques esprits généreux, entraînés par l'amour du peuple (au sens moderne) inclinaient à penser que le gouvernement démocratique avec la forme républicaine, ou au moins avec une monarchie effacée, comme en Belgique, était le meilleur en théorie ou même le seul bon.

J'aime mieux m'en tenir pour la doctrine aux grands classiques et me ranger pour la pratique à l'avis de Taparelli, qui est aussi celui de Léon XIII et de l'Eglise: il faut se contenter de ce que l'on a et travailler à le rendre aussi raisonnable et aussi chrétien que possible.

Après ces principes bien posés, il est facile de comprendre et d'apprécier les définitions vulgaires de la démocratie énumérées par Littré. Citons-en encore une pour exemple:

«-La démocratie, dit-il, c'est une société libre et égalitaire, où l'élément populaire a l'influence prépondérante».

Mais l'élément populaire, ce n'est plus la nation, ce n'est plus le peuple, au sens classique, c'est la plèbe. Cette démocratie-là versera facilement dans la démagogie, qui est l'excès de la démocratie et dans laquelle le gouvernement s'appuie sur les factions et sur les passions populaires.

Dans notre système actuel du suffrage universel absolu, c'est bien l'élément populaire qui domine par le nombre, et il commence à donner sa mesure en se montrant sujet à toutes les séductions, à toutes les intrigues, à toutes les tromperies. Ses désillusions sont pleines de menaces.

Ce n'est pas là ce que demandent les démocrates chrétiens.

M. l'abbé Lemire demande le suffrage plural et la représentation professionnelle.

Le groupe de la démocratie chrétienne du Nord demande la représentation professionnelle et proportionnelle.

M. Naudet demandait dans son programme de Lille le suffrage plural, de telle sorte que le père de famille et toute autre autorité sociale puissent voter selon les intérêts qu'ils représentent.

Il y a un exemple de suffrage organisé en Belgique. Il y en a un autre en Autriche, où les électeurs sont partagés en trois corps suivant les catégories sociales déterminées par l'impôt.

Dans son encyclique sur la «Constitution des Etats», Léon XIII disait: «L'Eglise ne réprouve aucune forme de gouvernement. Elle ne réprouve pas en soi que le peuple ait sa part plus ou moins grande au gouvernement; cela même, en certains temps et sous certaines lois, peut devenir non seulement un avantage, mais un devoir».

Nous sommes à ce temps-là.

Le cardinal Googsens disait en 1894: «Quelles que soient nos convictions personnelles sur les avantages ou sur les dangers de la démocratie, une chose est certaine: son avènement est certain, inévitable». Et il concluait qu'il vaut mieux aller à elle et la baptiser que de la bouder et de la laisser sans direction et sans vie morale et religieuse.

Une idée nouvelle se fait jour. Elle parait juste.

Nous avons fait trop de fond sur l'action des seules classes supérieures de la société. Elles ont donné des âmes d'élite, mais dans l'ensemble elles sont assez affadies par le bien-être.

Il y a des réserves de forces et de vitalité dans les classes populaires. Il faut y chercher des apôtres pour la rénovation sociale. Des oeuvres nouvelles, les cercles d'études, les syndicats, les congrès ouvriers, mettront en relief et en oeuvre des initiatives précieuses. C'est une pensée souvent exprimée par M. Harmel. J'ai été frappé de la voir développée dans une lettre écrite par Léon XIII à Mgr l'archevêque de Besançon au mois de janvier dernier.

«Vous continuerez, disait Léon XIII, à développer les principes chrétiens qui doivent servir de base à la constitution chrétienne des sociétés, jusqu'à ce qu'ils atteignent les ouvriers et les hommes du peuple. C'est cette classe qu'il est le moins difficile de ramener à croire la saine doctrine de l'Evangile et à s'y conformer par de bonnes mœurs; et il est impossible d'y arriver sans que peu à peu les classes supérieures et la société tout entière ne subissent l'influence de cette guérison tant désirée: Là est le salut des cités et le présage d'un siècle meilleur».

Impossible de dire plus nettement et plus fortement qu'il faut aller au peuple et faire grand cas de cette force sociale longtemps dédaignée.

Les devoirs méconnus et les droits exagérés, de là viennent tous les conflits entre les diverses classes de la société.

Nos patrons et nos ouvriers connaissent-ils l'étendue de leurs devoirs et la limite de leurs droits? Ceux même qui ont bonne volonté, où trouveront-ils des notions claires sur ces droits et ces devoirs? Les catéchismes mis aux mains de l'enfance ne traitent pas de ces devoirs de l'âge mûr. D'ailleurs, les conditions nouvelles du travail industriel ont changé de fond en comble les relations anciennes. Les devoirs nouveaux qui résultent de cette situation n'ont pas encore été codifiés. Le prêtre, ne les trouvant indiqués ni dans les manuels de morale, ni dans les cours de pastorale, n'en fait pas l'objet de ses instructions et n'en tient pas compte ordinairement dans la direction des conscien­ces.

Si les choses en restaient là, le mal ne pourrait que s'aggraver et l'ordre social aboutirait à des catastrophes.

Des efforts ont déjà été tentés. M. Harmel, avec l'aide de plusieurs théologiens, a publié un catéchisme du patron qui devrait être entre les mains de tous les moralistes. Nous savons qu'on en prépare une seconde édition retouchée et complétée. L'Allemagne a déjà un excellent catéchisme populaire des travailleurs. L'illustre P. Lehm­kuhl, l'éminent moraliste, ne dédaigne pas de donner son temps à la revision de ce catéchisme.

C'est un catéchisme social complet qu'il nous faudrait en France, un catéchisme des adultes. Nous avons commencé ce travail au Congrès.

Un rapport excellent nous a été donné sur les droits de l'ouvrier. Ce travail était empreint d'une modération et d'une sagesse qui ont été admirées de tous. Il traitait du droit au travail, du droit au salaire, du droit aux. conditions morales et hygiéniques de l'atelier, des droits religieux, des droits civiques, du droit au concours de l'Etat. Ce travail se continuera et le catéchisme social tracera à tous les hommes de bonne volonté leurs droits et leurs devoirs. Il servira de thème aux enseignements sociaux du clergé et il aura sa grande part d'influence dans la rénovation chrétienne de la vie sociale.

Ce n'est pas non plus un préjugé de peu d'importance que celui des hommes qui se résignent à voir l'Etat indifférent à la religion. C'est abandonner les principes du droit naturel lui-même. Un Etat athée n'est pas moins monstrueux qu'un homme athée. Comme l'homme est de sa nature un être religieux dans sa vie privée, il doit l'être aussi

dans sa vie sociale. Dieu est l'auteur de la société comme il est l'auteur de la vie humaine. En créant l'homme avec sa nature sociable, il a créé, par là même, la religion publique naturelle. L'absolue dépen­dance de Dieu, premier principe et dernière fin, n'existe pas seulement pour l'homme individuel, mais aussi pour la société humaine comme telle. Le culte public et social est dû à Dieu en vertu de la loi naturelle elle-même, aussi bien que le culte privé.

La raison, la tradition, la théologie n'ont jamais mis cela en doute. Le culte public et social est une loi de la nature aussi bien que la vie sociale elle-même. Suarez, après Saint Thomas, a résumé cette loi dans une courte formule:

Natura hominum postulat ut in unum politicum corpus Reipublicae congrege­tur, hoc auteur politicum corpus ad Dei cultum debet potissimum ordinari. Ergo necesse est ut non solum singuli privati colant Deum, sed etiam ut tota Republica per modum unius corporis cultum Deo exhibeat (t. 3, in 3 p. disp. 73).

Mais les païens n'ont jamais mis cela en doute.

Tous les peuples l'ont compris. C'est l'instinct et la loi de la nature. N'avons-nous pas vu dans nos classiques combien le peuple grec et le peuple romain avaient une foi vive?

Ils se sentaient rattachés à un monde supérieur par des liens qu'il leur était impossible de briser.

Dans toutes les circonstances de leur vie sociale, ils tendaient instinctivement les mains en haut, ils élevaient leurs regards vers les cieux. La prière et le sacrifice sont un besoin impérieux de l'humanité.

Tous ces peuples rendaient même un hommage surnaturel au Christ, car, au fond de tous les polythéismes, il y a la révélation primitive avec ses principales données: la création, la chute, l'attente d'un rédempteur, le rachat par le sacrifice, la notion d'une autre vie, de ses récompenses et de ses châtiments.

Et il y a des catholiques aujourd'hui qui acceptent de sang-froid l'athéisme social! Il leur semble que c'est demander l'impossible et même se ridiculiser que de parler à la société présente des droits de Dieu et du culte public!

Dès que la société existe, elle doit à Dieu un culte social. Et ce qui est une loi de la nature reste gravé au fond des coeurs alors même que la perversion des esprits a créé une situation antinaturelle et par conséquent monstrueuse. Les instincts naturels sont toujours prêts à se réveiller, et le peuple ne serait pas longtemps sourd à la vérité, si ceux qui doivent la lui redire n'étaient pas eux-mêmes comme titubants dans leurs enseignements, et s'ils parlaient toujours net et ferme.

Mais quel sera ce culte public? Quel en sera le sacerdoce?

Dans les sociétés primitives, les deux pouvoirs, politique et reli­gieux, étaient souvent unis.

Il convenait qu'ils fussent distincts et subordonnés dans une société plus avancée. Dieu a sanctionné cette distinction dans le peuple mosaïque et dans les nations chrétiennes. Aujourd'hui, l'Eglise et l'Etat se compénètrent. L'action religieuse appartient à l'Eglise et l'Etat la doit respecter.

Le sacerdoce a, de par la nature elle-même, le droit de bénir la famille qui doit être naturellement religieuse, le droit de veiller à l'éducation des enfants qui doivent être des hommes religieux, le droit de développer la vie religieuse par des associations, par les oeuvres, par les communautés religieuses. Le sacerdoce est le directeur naturel des prières publiques et des sacrifices offerts pour la nation.

Mais si la nation est divisée dans ses croyances, que faudra-t-il faire? une nation divisée entre plusieurs communautés chrétiennes, comme les Etats-Unis, gardera au moins le respect commun du Christ et de l'Evangile. Elle dira le Pater avant ses assises législatives, elle respectera les divers clergés et favorisera le développement du culte et des oeuvres de toutes les Eglises et l'enseignement religieux de toutes les écoles.

Mais que faut-il faire dans notre pauvre France?

Il faut que les ministres de Dieu ne laissent point leur foi s'amoindrir et s'énerver dans le libéralisme.

Il faut qu'ils revendiquent sans cesse les droits naturels et surnatu­rels de la religion.

Nous avons entendu au congrès ce scrupule qui d'ailleurs n'a pas eu d'écho: «Pouvons-nous demander au Parlement plus que le droit commun? On nous objectera que l'Eglise a déjà bien des privilèges!». Est-ce le budget des cultes? mais ce sont les faibles arrérages d'une dette. Payer une dette, n'est-ce pas le droit commun?

Est-ce parce que nous avons des églises ouvertes et même des communautés reconnues et favorisées de taxes de choix? Mais tout culte honnête dans une nation divisée de croyances est de droit naturel. Les Etats-Unis ne mettent les scellés sur aucune chapelle. La liberté d'association est de droit naturel. Nos communautés religieuses ont donc droit doublement à l'existence et à la protection de l'Etat, parce qu'elles sont d'abord des associations honnêtes, et parce qu'elles sont ensuite le développement de la religion qui est de droit naturel.

Et si nos parlementaires blasés ne comprennent plus les revendica­tions de la nature et de la raison, allons au peuple, regagnons son affection en remplissant nos devoirs d'action sociale chrétienne trop longtemps négligés. Nous dirons alors aux hommes du peuple: «Vous avez le droit d'avoir vos prêtres, d'avoir vos églises et vos dimanches, d'avoir vos communautés religieuses, qui exercent envers vous toutes les oeuvres de miséricorde. Tout cela vous est dû, en échange du sacrifice de l'impôt et du sang. Exigez ce qui vous est dû par vos bulletins de vote et par vos revendications. Allez, bataillez ferme pour le bien et Dieu vous donnera le succès».

La philosophie du XVIIIe siècle a détruit la vraie notion des rapports entre les citoyens et le gouvernants.

Si nous n'y prenons pas garde, nous sommes en train de faire de même pour les rapports entre les maîtres et les ouvriers.

Le XVIIIe siècle a mis en honneur le contrat social et il a voulu y voir la seule base des rapports sociaux.

Nous souffrons encore de cette erreur colossale qui se survit dans le libéralisme.

Au XIXe siècle, les socialistes voudraient voir dans le contrat de travail la seule base des relations entre patrons et ouvriers. L'erreur est séduisante, et des catholiques s'y laissent prendre.

Il a fallu batailler au congrès pour maintenir la vraie doctrine. L'erreur de Rousseau mettait les rapports sociaux en dehors du IVe précepte du Décalogue et en faisait une affaire de justice commutati­ve dépendant du VIIe précepte.

L'erreur socialiste fait de même pour les relations de l'atelier. Il n'y aurait plus de maîtres, plus de patrons, mais des contractants qui exécuteraient un pacte convenu entre eux.

Cependant c'est bien au IVe précepte que la morale et le catéchisme rattachent les rapports sociaux et les relations de l'atelier.

La nature elle-même nous a appris à voir dans l'atelier et dans l'Etat de grandes familles où l'autorité n'est pas sans analogie avec la paternité naturelle.

Mais nous ne saurions dire cela mieux que Mgr Freppel, le puissant logicien et le guide assuré en théologie. Chose curieuse, la lettre qu'il écrivait à M. Harmel en 1888 et que l'on trouve en tête du catéchisme du patron, semble être une page de compte rendu du congrès de Saint-Quentin. Ceux qui y ont assisté ne me contrediront pas. Je reproduis cette page:

«Lorsque, tout récemment, nous exposions au Congrès d'Angers les principes qui, selon nous, dominent l'ordre économique, nous n'avons pu qu'être satisfait de rencontrer une adhésion presque générale. Un seul point - et il est grave - a soulevé des objections qui dénotent des préjugés encore vivaces: la question du patronat.

Chaque fois que nous parlons de l'autorité patronale, on nous oppose la liberté et la dignité de l'ouvrier, comme s'il y avait là des notions contradictoires. Mais le mot d'oppression ne saurait avoir de sens toutes les fois qu'il s'agit d'associations libres et volontaires… Quant à la dignité de l'ouvrier, en quoi pourrait-elle être atteinte par l'autorité patronale s'exerçant avec mesure et dans la sphère de ses attributions?

A moins d'aller contre la nature même des choses, il faut pourtant bien admettre qu'aucune entreprise collective n'est possible en dehors de l'autorité. Et où placer cette autorité, si ce n'est dans celui qui possède la propriété ou le capital, et que le contrat d'engagement, de louage, désigne comme le chef de l'exploitation?

Et d'autre part, est-ce rabaisser l'ouvrier que d'attribuer au patron des devoirs d'état, en lui rappelant l'obligation où il est de ne pas se borner à l'acquit pur et simple d'un salaire convenu, mais de veiller en outre aux intérêts professionnels, économiques et moraux de la collectivité?

Non, qu'on le veuille ou non, la famille naturelle est nécessairement le type primordial dont devra se rapprocher plus ou moins toute réunion d'hommes travaillant à une même fin. D'un côté comme de l'autre, l'autorité indispensable pour assurer le bien commun engen­dre l'indépendance et la subordination.

On aura beau s'ingénier pour remplacer la hiérarchie par une égalité absolue, partant chimérique, on n'aboutira jamais qu'à l'anarchie et au chaos.

Il y a sans doute plus d'une différence notable entre la famille naturelle et la famille ouvrière: l'une prend naissance par la transmission de la vie, l'autre par le contrat d'engagement: les devoirs du patron à l'égard de la famille ouvrière ne sont que semblables et analogues à ceux du père, sans être identiques… Quand les ouvriers du Val-des-Bois appellent leur chef «le Bon Père», ils ne rendent pas seulement à un homme de cœur l'hommage de leur reconnaissance, ils précisent encore, mieux que n'ont su le faire beaucoup d'écono­mistes, la nature et le caractère des relations qui doivent exister entre le patron et les travailleurs».

Sept ans après le congrès d'Angers, au congrès de Saint-Quentin, nous avons trouvé la même doctrine exposée, les mêmes objections soulevées et les mêmes réponses formulées. Tant il est vrai que nos congrès ont besoin de se répéter pour réfuter toujours quelques erreurs qui sont comme dans l'air que l'on respire à cette époque et pour maintenir intacts les droits de la vérité…



L'Association catholique, octobre 1895, pp. 376-385.

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