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CATECHISME SOCIAL

Série de 23 articles publiés en livraisons dans «Le Règne du Cœur de Jésus et dans les âmes et dans les sociétés» de mai 1896 à septembre 1898: mai 1896, pp. 245-253; juin 1896, pp. 261-273; juillet 1896, pp. 313-323; août 1896, pp. 365-375; septembre 1896, pp. 420-430; octobre 1896, pp. 473-482; novembre 1896, pp. 542-548; décembre 1896, pp. 573-581; janvier 1897, pp. 48-49; février 1897, pp. 56-60; mars 1897, pp. 140-143; avril 1897, pp. 172-174; mai 1897, pp. 219-221; juin 1897, pp. 300-305; septembre 1897, pp. 450-459; octobre 1897, pp. 506-511; mars 1898, pp. 105-118; avril 1898, pp. 157-162; mai 1898, pp. 209-219; juin 1898, pp. 261-274; juillet 1898, pp. 324-340; août 1898, pp. 365-377; septembre 1898, pp. 417-428.

Ils se retrouvent avec quelques retouches dans le volume publié en 1898 sous le même titre I, voir Œuvres sociales, vol. IIIe, pp. VII-XV et 3-158.

Philosophie sociale1)

C'est le second volume d'un ouvrage important du R. P. de Pascal: «Philosophie morale et sociale», qui vient de paraître.

Il était attendu avec impatience. Le premier volume a paru en 1894. C'était comme le piédestal de l'œuvre. Il donnait les premiers principes de la morale sociale; il traitait de l'acte humain, de la loi, du droit social en général. C'était assez aride et plus instructif qu'attra­yant. Mais voici que sur cette base solidement assise s'élève dans le second volume l'édifice varié, intéressant et richement fouillé de la science politique et sociale.

Ces grands enseignements d'une saine philosophie sur les aspira­tions de la démocratie et sur la lutte qui s'engage entre le capitalisme et le socialisme étaient attendus par tous les bons esprits.

«La conscience publique demande à être éclairée par la science sur la moralité du capitalisme moderne», écrivait M. Molinari dans son livre sur l'Evolution économique au XIXe siècle. - «Le jour est venu, disait M. André Cochut, de faire la lumière sur ce grand commerce de l'argent». (Revue des Deux-Mondes, 1er déc. 1883). - «C'est aux confessions chrétiennes, disait M. Jannet, à appliquer aux conditions actuelles de la vie économique l'éternel enseignement de la justice et de la charité. Plusieurs chapitres nouveaux de morale politique sont à écrire, non seulement pour guider la conscience dans les procédés modernes du commerce et de la spéculation, mais surtout pour lui tracer ses devoirs dans les rapports si différentes de ceux du passé que la démocratie a créés entre les différentes classes» (Le capital au XIXe siècle).

Sans doute le Souverain Pontife dans ses Encycliques a résumé les grands enseignements de la philosophie chrétienne sur la politique et l'économie sociale, mais il ne l'a pas fait en forme didactique. L'Eglise laisse ce soin aux philosophes et aux théologiens. Le livre du P. Pascal répond à ce besoin. Quel est le plan de l'auteur? «L'homme réel, dit-il, traversant le temps, en marche vers sa fin suprême, déployant les formes variées de son activité, enveloppé du réseau de relations multiples, tel sera l'objet de notre étude.

Dieu qui est son principe, sa fin et sa loi; sa propre personnalité; ses semblables qu'il trouve auprès de lui dès qu'il ouvre les yeux à la lumière, et avec lesquels il entre perpétuellement en contact; le monde extérieur, qu'il doit régir, exploiter et féconder à la sueur de son front, ce sont bien là les termes nécessaires auxquels aboutissent les diverses relations de l'homme.

De là, les divisions naturelles de cette étude: L'homme et Dieu; L'homme et sa propre personnalité; L'homme et ses semblables; L'homme et le monde extérieur».

C'est là prendre les choses largement comme faisaient les grands maîtres de la science politique, Aristote, Cicéron, saint Thomas. Ce n'est pas rapetisser l'homme au niveau de la vie matérielle et en faire l'esclave de la richesse.

L'auteur a raison de dire en son avant-propos: « Sur notre chemin nous rencontrerons de nombreux et délicats problèmes politiques, sociaux et religieux». Mais à mesure qu'il s'avancera, les problèmes trouveront une lumineuse solution.

Au premier livre, il revendique la nécessité d'un culte social. «La cité, en tant que personne morale, doit exercer les mêmes actes du culte révélé que chaque citoyen fait en son nom privé. Il y aura une prière sociale, un sacrifice social, une adoration sociale… Nous sommes sans doute dans notre monde moderne bien éloignés de cet idéal; est-ce une raison pour le nier, ou pour ne point chercher à nous en rapprocher le plus possible?».

Le second livre traite de la plaie du suicide et de la culture de l'esprit et de la volonté. Il nous montre le développement irréfléchi des études multipliant les déclassés, et la négligence de la culture morale livrant la volonté aux plus vils instincts.

Le troisième livre est le plus étendu; il traite de la société domestique, de la société civile et de la société religieuse.

Quels problèmes intéressants que ceux de l'origine du pouvoir, de la meilleure forme de gouvernement, des rapports de l'Église et de l'Etat, de la libre concurrence et de l'organisation du travail, des abus de l'usure moderne!

Comme les diverses formes historiques de la société sont bien dépeintes!

«Le caractère général des sociétés païennes, quant à l'esprit qui les anime, se traduit, dans l'ordre religieux, par le polythéisme; dans l'ordre social, par l'esclavage et par l'abaissement de la femme; dans l'ordre politique, par la suprématie de l'Etat».

Voici maintenant l'esquisse de la société au temps où, suivant l'expression de Léon XIII, la philosophie de l'Evangile gouvernait les cités: «L'esprit qui animait tout était l'esprit de l'Evangile, subordon­nant les intérêts secondaires d'ici-bas aux réalités du ciel. La société, l'Etat ne constituaient point une fin absolue; ils étaient un moyen donné à l'homme pour atteindre ses fins terrestres et spirituelles. De là naissait un sentiment de dignité et de légitime fierté inconnu de l'antiquité, et qui va s'atténuant dans nos sociétés neo-païennes. Le vieil esclavage faisait place au servage, qui lui-même disparaissait à la longue. Les hommes, pour exercer leurs fonctions et pour faire valoir les droits qui en découlaient, s'organisaient en groupes corporatifs et professionnels, couronnés en général par l'institution monarchique héréditaire, qui trouvait une limite et un contrepoids à sa puissance, d'un côté, dans la représentation des différents ordres: clergé, noblesse, tiers-état, et, d'un autre côté, dans le contrôle moral de l'Eglise; elle était en outre limitée par les libertés publiques organisées par la tradition et les coutumes…

Sous l'action de la Renaissance païenne et de l'esprit de la Réforme, qui trouvaient de secrets complices dans les passions humaines, ces grandes institutions du moyen-âge furent peu à peu déformées, jusqu'au jour où il n'en resta plus que des débris, qui furent balayés par le vent de la Révolution.

La société entra ainsi dans l'ère moderne. La construction sociale de la Révolution est là sous nos yeux. Qu'est-il besoin de la décrire au long? Il suffit d'en marquer quelques traits: - La sécularisation de l'Etat, c'est-à-dire l'indifférence à l'égard de la religion, élevée dans l'ordre politique à la hauteur d'un premier principe; le parlementarisme, c'est-à-dire le gouvernement confus, anonyme, incompétent, irrespon­sable, de soi-disant délégués du peuple à l'état de masse inorganique; la centralisation à outrance, et le règne d'une bureaucratie routinière, étroite et tracassière; le militarisme; les gros budgets vivant d'emprunts perpétuels; enfin le capitalisme, c'est-à-dire la prépondérance de l'argent, l'exploitation par l'usure du travail désorganisé, sous le couvert d'une fausse liberté, qui aboutit en définitive à la liberté de mourir de faim, n'est-ce point là ce qui fait le fond de nos sociétés modernes? Elles rencontrent maintenant le socialisme, terme logique de la désorganisation sociale».

Et quel est le remède? Est-ce de refaire tout d'une pièce la société du passé? Non, ce serait là une utopie. C'est d'en reprendre «les principes, qui gouvernent toute architecture sociale: l'alternative est posée par la force brutale des choses, et il faut choisir sans tarder».

Un des mérites les plus appréciables de ce livre est d'éclairer toutes les questions à la pure lumière des doctrines de saint Thomas. Le saint Docteur lui prête son concours aussi pour nous rappeler le culte de piété filiale que nous devons à la patrie: Nous devons payer à cette patrie, agrandissement de la famille, protectrice du foyer, nourrice de notre vie physique et morale, instrument vivant d'un dessein d'En­ Haut, une sorte de culte religieux. Dieu est le premier principe de notre être, de notre conservation et de notre développement; après lui viennent nos parents et la patrie. Et comme il appartient à la religion de rendre un culte à Dieu, aussi, et à un degré inférieur, appartient-il à la piété de rendre un culte aux parents et à la patrie: Unde sicut ad religionem pertinet cultum Deo exhibere, ita secundario gradu ad pietatem pertinet exhibere cultum parentibus et patriae. (S. Th. 2a 2ae).

En traitant du meilleur gouvernement, le Père laisse bien voir sa sympathie pour la monarchie représentative, et il gourmande gracieu­sement la jeune école de la Démocratie chrétienne. Au fait, il est difficile de soutenir que les scolastiques parlaient seulement pour leur temps, quand ils montraient les meilleures conditions de stabilité et de progrès dans la monarchie tempérée d'aristocratie et de démocratie. Les raisons qu'ils donnaient sont de tous les temps. L'argument contraire qu'on voudrait tirer de saint Thomas vient d'une fausse interprétation, comme le démontre le Père. Il croit voir dans certaines tendances exagérées un symptôme d'américomanie. En tout cas, il avertit très sagement les amis de la démocratie, que ce régime n'est viable qu'autant qu'au préalable on a établi la tradition d'un sage esprit public et de sérieuses mœurs politiques, et qu'on a élevé, par un puissant régime corporatif, une digue solide à l'omnipotence populaire.

Le chapitre des Rapports mutuels de l'Eglise et de l'Etat est un des plus intéressants et des plus neufs. L'auteur nous dit avec raison que nous oublions trop de rappeler la thèse des rapports qui devraient exister dans une société complètement chrétienne. Si ces rapports sont impossibles aujourd'hui, ce n'est pas une raison pour omettre de dire ce qui devrait être si les peuples avaient le bonheur d'être solidement chrétiens. Il nous montre que le régime des concordats loyalement pratiqués est, dans le temps présent, ce qu'il y a de préférable.

Le livre quatrième a une importance capitale. Il donne les principes de la philosophie morale relativement à l'Economie politique. Il fait de l'Economie politique une section de la morale, comme nous ne cessons de le soutenir dans cette Revue. Il met en regard les deux systèmes opposés d'économie politique: la libre concurrence et l'organisation corporative. Il combat victorieusement le libéralisme économique de l'école anglaise.

Est-ce à dire que toutes les opinions de cet excellent traité soient inattaquables? Nous regrettons de voir l'auteur se prononcer en faveur de l'impôt unique sur le revenu. Nous pensons que c'est irréalisable. Cet impôt ne suffirait jamais aux besoins de l'Etat. La fraude en supprimerait les trois quarts. Les coffres-forts de nos grandes sociétés de crédit attendent dans leurs succursales de Bruxelles et de Londres les dépôts de titres qu'on voudrait soustraire à l'impôt. La propriété immobilière en supporterait la plus lourde part. Nous pensons que l'impôt sur le revenu ne doit être qu'un impôt d'appoint.

Sur le crédit, nous ne partageons pas non plus complètement le sentiment de l'auteur. Il parait désirer, avec M. Jules Morel et M. V. Lachat, le retour d'un régime où le crédit serait absolument restreint et ramené aux rentes constituées. Nous pensons que cette thèse est douteuse et en tout cas absolument platonique. Le crédit modéré rend d'immenses services au commerce et à la vie sociale; ce qu'il faut supprimer, ce sont ses abus et tous les agissements immoraux de l'usure moderne.

Nous pensons qu'il faut absolument sauvegarder le principe théologique de la gratuité du prêt, mais nous croyons également que l'exception du Lucrum cessans est aujourd'hui générale par suite du développement du commerce, et nous ne prévoyons pas que cet ordre de choses doive changer de sitôt.

L'auteur proscrit aussi sous le nom de spéculations tous les marchés à terme. Il est vrai que ces marchés sont l'occasion de bien des opérations de jeu et d'agiotage. Mais pour les marchandises, sinon pour les valeurs, ces marchés paraissent bien utiles. L'industrie a besoin de pouvoir compter sur des livraisons de matières premières à des époques fixes et successives et à des prix déterminés pour établir ses prix de revient et faire elle-même ses ventes à livrer. Ces marchés sont à régler plutôt qu'à supprimer.

Concluons: Cet ouvrage a une grande valeur et il vient à son temps. On s'agite dans le vide en traitant des questions sociales sans avoir pour base une bonne philosophie sociale. Il fallait jusqu'à présent chercher dans des ouvrages variés les enseignements de cette philoso­phie sociale; les voici réunis dans un manuel et adaptés aux problèmes contemporains. C'est un grand service que le P. de Pascal nous a rendu.


L'Association catholique, juin 1896, pp. 588-593.

ETAT ACTUEL DES ETUDES SOCIALES
EN NOTRE PAYS
2)

I. Leur nécessité. - Rappelons en deux mots leur nécessité. Il y a une science sociale chrétienne, il faut donc que les prêtres et les catholiques éclairés l'apprennent et la connaissent. Le Pape nous recommande ces études dans son Encyclique Rerum novarum, il faut lui obéir. Il a travaillé son Encyclique pendant deux ans et demi, est-ce pour qu'elle reste lettre morte? Les ouvriers étudient après leurs journées pénibles. Ils nous interrogent et nous consultent sur tous ces problèmes délicats, c'est leur droit: Legem requirent ex ore ejus, dit l'Ecriture. Sommes-nous prêts à leur répondre et à les diriger?

Est-il si facile de trancher toutes les questions relatives à l'usure, au crédit, au salaire?

Est-il si facile de répondre aux sophismes de Karl Marx et de Jules Guesde?

Quelques naïfs reprochent à Léon XIII d'avoir soulevé ces ques­tions et d'avoir montré quelque dureté pour les capitalistes.

Ils auraient besoin de relire un Postulatum, présenté au Concile du Vatican par un grand nombre d'évêques.

«Un des grands maux des temps présents, y disait-on, est le socialisme. Il faut que le Concile oppose à ces erreurs les enseigne­ments de la vérité et des règles de la justice morale. Que les riches et les patrons (duites et proceres) apprennent leurs devoirs envers les pauvres, les ouvriers, les domestiques, et réciproquement. On ne peut pas nier que la passion des richesses et leurs abus, la négligence envers les ouvriers, la dureté inhumaine envers eux, par laquelle on viole très souvent le Ve et le VIIe préceptes du décalogue, ont favorisé les erreurs des socialistes et leurs agitations» (Coll. lac. t. VII, n° 860).

Léon XIII a fait ce que le Concile demandait.

II. Où en sommes-nous? - Pensez-vous que ces motifs pressants aient soulevé un mouvement général d'études? Pas encore.

Je consultais dernièrement un vénérable chanoine sur l'état de son diocèse à ce point de vue. Il me répondit:

«Ici quelques patrons chrétiens étudient théoriquement et prati­quement ces questions. Dans notre clergé, la question est soulevée. Plusieurs prêtres s'en occupent, soit pour leur propre instruction, soit pour l'utilité de leurs paroissiens: mais ce n'est pas encore un mouve­ment général». Il ajoutait: «Deux jeunes prêtres sont revenus du Congrès de Reims enchantés et décidés à agir».

Voilà à peu près l'état de tous nos diocèses.

Il y a encore bien des points noirs. Un prédicateur de retraite ecclésiastique disait encore au mois d'août: «Tenez-vous-en aux pratiques de l'ancienne pastorale. Faites des confréries d'Enfants de Marie et peut-être de petits patronages, il n'y a que cela de possible».

Il y a encore de braves gens que le nom même d'œuvres sociales horripile, tant ils ont peur, sans doute, d'être obligés de faire quelque chose.

Voici à ce sujet une perle extraite d'une semaine religieuse: «Nous avons été rassurés quand nous avons appris que le cardinal de Reims prenait en mains le Congrès des prêtres…

Tout devenait limpide alors, et nous n'aurions pas à entendre les centons courant sur les droits et les devoirs de la démocratie: justice sociale, devoir social, aide sociale. On ne nous parlerait même pas du curé social, car nous avons lu cette dénomination spéciale appliquée à un très digne confrère. On nous ferait enfin grâce de tous les Leit-motives de cette logomachie à laquelle, décidément, nous ne pouvons nous faire. On dirait vraiment, à entendre certains des nôtres, que l'œuvre divine de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'a été comprise que par eux et en la fin de notre XIXe siècle…».

Non, nous ne disons pas qu'on n'a pas compris avant nous l'œuvre de Notre-Seigneur; mais nous disons, avec Notre-Seigneur lui-même, qu'à des besoins nouveaux, à une situation nouvelle, il faut opposer un enseignement nouveau et des oeuvres nouvelles: Omnis scriba doctus in regno coelorum similis est patrifamilias qui profert de thesauro suo nova et vetera (Mat. XIII). Mais voyons en particulier où en sont les diverses classes sociales.

III. Les classes dirigeantes. - Il y a les groupes Le Play. On n'y tient pas assez compte en certains groupes, des encycliques pontificales. On les tait. On les ignore.

Il y a les groupes de l'Oeuvre des cercles. Que ne sont-ils plus nombreux! Leur dernière statistique, incomplète il est vrai, accuse 33 localités possédant des institutions urbaines, 18 groupements de syndicats agricoles et 23 groupements de jeunesse. Ils ont plus que cela.

Les cours de science sociale de l'Université de Lille sont en progrès. A Paris, le cours du P. de Pascal tient une place honorable parmi les cours libres.

Les oeuvres de jeunesse ont leur Comité central, d'études, 45, rue de Lille. Elles ont eu leurs Congrès l'an dernier à Bordeaux et cette année à Paris.

On peut encore signaler l'œuvre des conférences populaires à Paris.

IV. Les ouvriers. - Fervet opus. On étudie fiévreusement. Le parti démocratique chrétien récemment fondé à Reims est en somme l'éclosion des idées des cercles chrétiens d'études sociales.

C'est toujours l'idée qui conduit le monde.

Les cinq Fédérations régionales sont cinq foyers centraux d'études, se divisant en bon nombre d'autres. Dans le Nord, Lille, Roubaix, Tourcoing, Halluin, Haubourdin ont de nombreux cercles d'études.

A Tourcoing, la jeunesse ouvrière est organisée en groupes démo­cratiques d'études pour soutenir le syndicat ouvrier chrétien.

Les ouvriers se plaignent de ce que les prêtres leur font défaut. Lyon a 13 groupes d'études où dominent les jeunes gens et les ouvriers.

Ces modestes commencements ont déjà le don de faire trembler des adversaires.

Gérault-Richard, dans «La Petite République», et «La Revue Socialiste» voient dans les démocrates chrétiens les vrais ennemis et les seuls redoutables du prolétariat socialiste. «Avant qu'il soit longtemps, disent-ils, les soi-disant démocrates chrétiens auront pris contre nous la première place dans la bataille sociale».

V. Le Clergé. - Il y a quelques belles initiatives individuelles, mais peu ou point d'études en commun.

Pourtant il faut à tout prix en arriver là et créer, à l'instar des ouvriers, des cercles sacerdotaux d'études sociales.

Au diocèse de Saint-Claude, l'encyclique Rerum novarum fait partie du programme des conférences ecclésiastiques.

Dans le Nord, près de 300 prêtres sont abonnés à la «Démocratie chrétienne».

Le Congrès ecclésiastique de Saint-Quentin, l'an dernier, a été un grand pas en avant, comme celui de Reims cette année.

Le Congrès ecclésiastique tenu à Benoite-Vaux le 7 août dernier, sous les auspices de Mgr de Verdun, a organisé des groupements cantonaux et demandé à l'autorité diocésaine l'adjonction des questions sociales au programme des conférences.

Plusieurs Séminaires ont des groupements d'études fort actifs, notamment Saint-Sulpice et le Séminaire français de Rome.

Les Congrès Franciscains promettent beaucoup…

Hélas! tout cela est cent fois trop peu, et le peu que cela vaut fait déjà peur à nos ennemis, témoins les articles de la presse sur le péril noir, et le projet d'interpellation de M. Mirman sur le Congrès de Reims.

VI. - L'action officielle et l'agitation socialiste. - Le bulletin du ministère de l'Instruction publique nous révèle un «travail profond qui s'opère dans les masses et prépare sans bruit de grandes transformations».

En 1894-95, des cours supplémentaires faits aux adultes dans les écoles étaient seulement au nombre de 7.322. En 1895-96, ils ont atteint celui de 13.930.

Les étudiants populaires sont 400.000.

Les conférences populaires données par la Ligue de l'Enseignement, sont passées, en un an, de 10.379 à 61.476, avec 3 millions d'auditeurs. Au-dessus de cette organisation scolaire, il y a toute une série d'associations et de Sociétés diverses:

Les mutualités scolaires;

Les associations d'anciens élèves;

Les sociétés d'instruction populaire;

Les patronages scolaires…

Tout cet enseignement, toutes ces associations, concourent à détruire l'idée même de l'ordre social chrétien et à propager l'hérésie de l'athéisme social.

Vous connaissez l'activité incessante des socialistes: leurs revues de plus en plus prospères, leurs journaux innombrables et l'activité de leur apostolat qui se manifeste par d'innombrables conférences.

Les fils des ténèbres ne sont-ils pas encore aujourd'hui plus agissants que les fils de la lumière?

La vénérable Catherine Emmerich constatait cette activité des destructeurs acharnés à démolir la cité sainte, et la mollesse des défenseurs du temple, qui croyaient faire beaucoup en apportant

lentement une petite pierre. Mais elle voyait aussi quelques groupes de vaillants apôtres, qui se levaient pour donner la victoire à l'Eglise, et, si vous le voulez, les amis de «la Croix» seront un de ces groupes.

VII. L'étranger. - Les Congrès de Fiesole, de Salzbourg et de Dortmund manifestent une grande activité sociale et formulent des programmes d'entente et d'action.

En 1894, quand des signes de division se manifestaient dans le Centre allemand, 25 sociologues de renom rédigèrent un programme social commun qui servit de base aux candidats du Centre pour leur campagne électorale. Serions-nous capables d'une pareille abnéga­tion?

Les catholiques allemands instruisent les populations en organisant des séries de cours dans les principales villes.

VIII. Les protestants allemands. - Ce qu'ils appellent la Mission intérieure est une grande armée bien organisée: avec un Comité supérieur de 21 membres.

Des Comités provinciaux. Des visiteurs régionaux.

Ils tiennent 35 Congrès provinciaux par an.

Ils répandent à l'infini, des livres, des tracts, des almanachs, des brochures.

Ils ont des commissions provinciales de propagande, des commis­sions provinciales de la presse.

Ils comptent 3.000 oeuvres dominicales, avec 200.000 enfants; 5.000 oeuvres de jeunes gens, avec 450.000 jeunes gens; 250 sociétés ouvrières, avec 70.000 membres; au total 35.000 associations avec 1.800.000 membres.

La Maison grise, à Hambourg, est le centre d'une propagande admirable par son organisation et son activité. Elle couvre l'Allema­gne de ses publications.

Il faut que la maison de la rue François 1er soit notre maison grise de France.

IX. Instruments d'études. 1° Livres: La petite bibliothèque sociale de «La Croix».

La philosophie sociale du P. de Pascal (Lethielleux).

Le cours d'économie sociale du P. Antoine, S. J. (Guillaumin).

2° Journaux sociaux catholiques: Le Supplément de «La Croix de Paris». - «La Corporation». - «La justice sociale», de l'abbé

Naudet. - Le «Peuple» de Lille. - «La Croix» du Pas-de-Calais et quelques «Croix» de province. - «L'Avenir de Reims», etc.

3° Revues: «L'Association catholique». - Le «XXe siècle». - «La Démocratie chrétienne». - «La Sociologie catholique» de Montpel­lier. - «La Chronique des Comités du Sud-Est», etc.

Conclusion. - Les amis de «La Croix» doivent connaître et répandre les doctrines sociales et chrétiennes. Ils le feront pratiquement en organisant des groupes d'études, groupes de prêtres, groupes de jeunes gens, groupes d'ouvriers.

Le Pape veut que tous les catholiques se mettent à l'oeuvre. Si le Pape le veut, Dieu le veut!

La plupart de nos oeuvres ne sont que des oeuvres de sauvetage. Nous recueillons les épaves, nous n'empêchons pas le navire de faire eau. Les asiles de vieillards, d'orphelins, voire même les écoles libres, les cercles et les patronages, oeuvres de sauvetage.

L'action sociale et politique empêcherait les naufrages qui jettent à l'eau tant d'épaves de l'industrie, de la famille, de la société désorganisée.

Les missionnaires se font médecins pour prendre contact avec le peuple. Chez nous, la maladie courante est le mal social, le peuple veut des réformes, faisons-nous sociologues pour prendre contact avec notre peuple.



Le Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, novembre 1896, pp. 526­533.

UN SYNDICAT RURAL PRATIQUE

Monsieur le Curé de Vouneuil, dans la Vienne, a nommé parmi ses agriculteurs un Conseil de quatre membres. Il est aumônier du syndicat et assiste aux réunions à titre consultatif.

Le président ou à son défaut, le vice-président agit au nom du syndicat, dans tous les actes de la vie civile.

Les fonds sont assurés:

1° Par une cotisation annuelle de 10 francs versés par les membres honoraires.

2° Par une cotisation de 10 centimes versés par les participants, pères et mères de famille chaque semaine.

Le père, la mère, les enfants non mariés, les domestiques gagés à l'année, ont droit à la visite gratuite du médecin. Une remise a été obtenue par le Conseil sur le prix des visites d'un médecin de Poitiers.

A mesure que les ressources augmentent, on obtient un rabais de plus en plus considérable pour les médicaments.

Les femmes devenues mères reçoivent une indemnité de 10 francs pour la sage-femme.

L'homme, en cas de chômage par maladie, reçoit une indemnité journalière réglée par le Conseil.

La Société paie les frais d'enterrement en 3e classe, ainsi qu'une messe pour le repos de l'âme des associés.

Quinze membres désignés par ordre alphabétique sont tenus d'assister aux obsèques à tour de rôle.

Le syndicat se charge de fournir des engrais à un prix avantageux à ses associés agriculteurs. On s'adresse au secrétaire en désignant la quantité que l'on désire. A l'époque favorable, la demande générale est expédiée au syndicat agricole de Poitiers, auquel on est abonné; lorsque le wagon arrive, on en donne avis aux intéressés qui vont eux-mêmes chercher leur commande à la gare.

Il en est de même pour le charbon de terre, et autres approvisionne­ments.

Le syndicat de Vouneuil a acheté un trieur pour purifier le blé. Il est prêté à chaque sociétaire, à raison de 10 centimes par sac, payables à la Société, et 10 centimes payables à l'homme qui est chargé de le promener d'une ferme à l'autre.

Une des lois les plus sévèrement exécutées, c'est que tout travail du Dimanche est formellement interdit. Ce serait un cas d'exclusion. Egalement, tout membre qui cesserait d'avoir une conduite hon­nête et régulière, cesserait de faire partie du syndicat.

Le Conseil se réunit chaque mois, le Dimanche qui précède celui de la réunion mensuelle. Le père ou la mère de famille sont tenus d'assister à la réunion, en apportant la cotisation exacte du mois précédent.

On inscrit les paiements sur un livret personnel.

Trois absences non motivées de cette réunion mensuelle, sont un cas d'exclusion.

Après quatre ans d'existence, ce syndicat possède une réserve de 900 francs, et un trieur.

En 1895, quatre-vingt-dix familles ont été visitées par le médecin, sur quatre-vingt-quinze dont se compose la Société. Des feuilles pour les visites et d'autres feuilles pour les ordonnances sont distribuées aux sociétaires pour régler les dépenses de chaque famille.

L'économie a été considérable, et la situation matérielle s'améliore visiblement.

Deux fois par an, un bienfaiteur de l'œuvre donne une fête très attrayante aux syndiqués, dans son parc.

Désormais, Vouneuil n'est plus une commune ordinaire, c'est une véritable famille. Ajoutons qu'aux élections dernières, le vote a donné la victoire aux catholiques.

Si chaque prêtre de France imitait M. le Curé de Bouneuil, la France serait bientôt régénérée.



Le Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, novembre 1896, pp. 568­569.

LA SITUATION ACTUELLE
ET LES CAUSES DU MALAISE SOCIAL
3)

Il y aura toujours des pauvres parmi vous, disait le bon Maître; et saint Paul, son fidèle interprète, n'oubliait pas de rappeler à toutes les églises d'Asie, à Lystra, à Iconium, à Antioche, qu'on n'arrive au royaume de Dieu qu'en passant par bien des tribulations (Act. XIV).

Ces enseignements nous rappellent qu'il faut interpréter avec discernement les descriptions de l'Eglise données par les prophètes de l'Ancien Testament. Isaïe, Michée, Daniel et les autres nous représen­tent les temps de l'Eglise du Christ comme un âge d'or, où régneront sans interruption la paix universelle, l'aisance, la perfection des âmes et le progrès temporel.

«L'Eglise, dit Michée, sera la cité sainte assise sur la montagne. Tous les peuples suivront ses lois. Elle sera l'arbitre de leurs différends; ils pourront forger avec le fer de leurs armes des socs de charrue. On ne connaîtra pas la paix armée ni la vie de caserne, non discent ultra belligerare. Chacun vivra paisiblement sur sa terre et trouvera des loisirs pour goûter le repos à l'ombre de ses tonnelles de vigne» (Chap. IV).

Les prophètes entrevoyaient les temps nouveaux dans leur ensem­ble, et par comparaison avec les âges païens ces temps étaient une éclaircie dans la nuit, un ciel bleu parmi les nuages. Ils n'y voyaient que paix, prospérité et liberté.

Mais si nous sortons des métaphores habituelles de la prophétie pour descendre à la réalité des choses, cela veut dire simplement que sous .le règne du Christ, il y aura généralement plus de paix, plus de liberté, plus d'aisance qu'aux temps du paganisme. Plus les hommes seront dociles au Christ et à l'Eglise, plus ils se rapprocheront de l'âge d'or idéal sans jamais l'atteindre. Mais quand ils se laisseront reprendre par l'influence païenne, ils verront régner à nouveau toutes les passions mauvaises et leurs néfastes conséquences.

Comment faut-il caractériser l'époque où nous sommes?

Nous baissons rapidement, nous redevenons païens et nous courons aux abîmes. Nous voyons régner autour de nous le désarroi intel­lectuel et moral, la désorganisation de la famille, la corruption des mœurs et le désordre économique et politique.

Les intelligences ayant abandonné l'Evangile sont dans l'angoisse comme le pauvre voyageur égaré dans la nuit. «Ce siècle, disait Jules Simon, a la nostalgie du divin».

«J'errai de fête en fête, plein de trouble et d'ennui, disait Maine de Biran, comme un galérien dans un bagne».

«Je suis plongée dans une espèce de désespoir qui me dévore, disait Mme de Staël, je ne trouve de plaisir en rien».

«L'ennui dévore ma vie, disait Georges Sand, l'ennui me tue».

«Qui ne voit sans les envier ces fidèles qui sortent à flots de l'église, qui reviennent de la table divine rajeunis et moralisés, écrivait Michelet. On ne peut s'empêcher de dire: ah! que ne suis-je avec eux, un des leurs, le plus simple et le moindre de ces fidèles».

On trouve des aveux analogues dans Victor Hugo, Sainte-Beuve, Alfred de Musset, et tant d'autres.

Brunetière a dit: «La société actuelle a faim de l'idéal et de la religion».

Et ce sont des intelligences d'élite; c'est l'âme de la France qui souffre.

Le désarroi intellectuel gagne les masses populaires et les campa­gnes.

«La masse rurale, dit un sagace observateur, M. Taine, à l'exemple de la masse urbaine est en voie de redevenir païenne. Depuis cent ans la roue tourne en ce sens et cela est aussi grave pour la nation que pour l'Eglise». L'école sans Dieu concourt avec les sophismes de la presse et les menées des politiciens pour arracher le peuple à ses traditions religieuses. La vie morale de la nation est sans direction, cela saute aux yeux, et l'on a vu un sénateur, M. Lavertujon, déposer sans rire cette proposition d'établir à la Sorbonne un cours normal de morale pour remplacer l'Evangile.

Avec l'affaiblissement des principes, l'abaissement des caractères est, de l'aveu de tous, la caractéristique de notre siècle.

Les catholiques eux-mêmes sont souvent sans grande énergie. Il y a chez la plupart de l'apathie. Tout travail à longue échéance et qui réclame de la discipline, de l'organisation et des efforts soutenus les rebute. Ils préfèrent attendre en gémissant ou en discourant un sauveur qui fera toute la besogne.

Quant à ceux qu'on appelle conservateurs, ils sont prêts à courber la tête sous l'orage. «Malheureusement, écrivait M. de Molinari dans le journal des Economistes (sept. 1893), il est fort à craindre que la classe dirigeante d'aujourd'hui ne soit pas plus disposée à faire son examen de conscience que ne l'était sa devancière de l'ancien régime… Il faut en prendre son parti, et, puisque aucune réforme n'est possible, se résigner de bonne grâce à laisser faire le socialisme et à laisser passer la révolution». C'est la formule du découragement.

Ce siècle a vu régner une maladie mentale qu'on n'avait plus connue depuis les âges païens, le pessimisme.

Les conditions normales de la famille sont méconnues. Un concubinage immonde remplace souvent le mariage dans les populations ouvrières urbaines. Les liens de la famille sont relâchés ou brisés. L'avenir du foyer domestique est absolument menacé par la hideuse lèpre du divorce. Elle date de dix ans à peine, cette loi du divorce, et elle atteint déjà 50.000 familles. La moyenne annuelle est montée peu à peu de 2.000 à 6.000. Où s'arrêtera-t-elle? C'est un retour en arrière de 2.000 ans dans la civilisation.

Cela nous donne déjà 100.000 enfants scandalisés, ballottés et souvent abandonnés.

Nos départements les plus catholiques y résistent encore. La Bretagne et la Lozère sont à peu près indemnes.

Les mariages diminuent dans des proportions effrayantes. Ils sont tombés en dix ans de 290.000 par an à 270.000: c'est 20.000 de moins par an.

De plus, par suite de l'égoïsme contemporain, de l'amour du luxe et du sensualisme, les mariages sont devenus inféconds. Deux millions de ménages en France sont sans enfants. Deux autres millions n'en ont qu'un.

L'Allemagne s'accroît de 675.000 âmes par an; l'Angleterre de 368.000; l'Italie de 270.000. En France les décès dépassent les naissances; s'il y a encore un léger accroissement de population, c'est par l'immigration des Belges dans le Nord, des Espagnols dans le Midi, des Italiens en Provence, des Allemands dans l'Est et à Paris. Nous sommes envahis en pleine paix. Paris compte 200.000 étrangers, dont 60.000 Allemands.

Nous avons en France 100.000 naissances de moins par an qu'il y a dix ans. Sur les 27 nations de l'Europe, nous sommes au 27e rang pour la natalité.

La prostitution et les relations irrégulières ont pris des proportions qui rappellent le paganisme. Nos grandes villes ont un tiers d'enfants illégitimes. Il y en a 18.000 à Paris par an. Cela donne pour l'ensemble de la population parisienne environ 700.000 bâtards. Faut-il s'étonner qu'il y ait dans cette population tous les éléments des plus redoutables désordres sociaux?

Une autre conséquence du même malaise, ce sont les infanticides. L'académie de médecine nous dit qu'ils vont toujours croissant.

Les enfants abandonnés deviennent aussi de plus en plus nombreux. A Paris, ce n'est pas moins de 4.000 par an. Le département de la Seine en a 50.000 dans ses asiles. Tel est le tableau fidèle de la famille contemporaine.

C'est d'abord la licence de la presse. Par le livre, le roman et le journal, tout ce qui est respectable est vilipendé chaque jour. Les mauvaises passions sont excitées comme à plaisir. Le succès est aux livres infects et à la pornographie. Zola a les plus beaux tirages. Ses romans se vendent à 160.000 exemplaires.

C'est ensuite la licence des rues. Il faut que le mal soit bien grand de ce côté pour qu'une ligue peu suspecte de cléricalisme et de pruderie se soit formée pour essayer d'y porter remède. Un congrès s'est tenu où l'on a entendu MM. Jules Simon, Gréard. Mézières et Frédéric Passy, de l'Institut, protester contre les provocations auxquelles se livre la prostitution dans les rues et contre la diffusion des livres et des dessins scandaleux. Soixante conseils généraux ont adhéré à cette ligue. Il faut pour cela que le mal soit bien criant.

Ce sont ensuite les progrès de la criminalité. En 1880, les crimes et délits poursuivis en France atteignaient le chiffre de 167.000. Ils sont montés à 700.000 en 1892. Ces chiffres se passent de commentaires.

Les suicides aussi suivent une progression continue et rapide. De 7.500 en 1884, ils se sont élevés à 9.000 en 1892. Il y a eu parmi ces 9.000, 2.000 suicides de femmes, dont 400 n'avaient pas 21 ans.

En 1830, il y avait un suicide annuel par 18.000 habitants. En 1835, un par 15.000. En 1850, un par 10.000;

de 1860 à 1870, un par 8.000; de 1870 à 1880, un par 6.000; de 1880 à 1885, un par 5.000; de 1885 à 1890, un par 4.500; et le nombre va toujours croissant.

La criminalité dans l'enfance est caractéristique. Dieu a été chassé de l'école. Il y mettait au coeur de l'enfant la foi, la douceur, le respect, la patience. Tout cela s'en est allé avec lui.

Les statistiques de 1882 donnaient 16.000 crimes et délits d'enfants et d'adolescents de moins de vingt ans. Il y en eut 41.000 en 1892. En deux ans, de 1889 à 1891, on a arrêté à Paris 40.000 garçons et 13.000 filles au-dessous de 16 ans pour faits de prostitution.

La criminalité enfantine s'accroît de 1800 à 2.000 faits par an depuis 1891.

Les suicides d'enfants se sont élevés en dix ans de 140 à 460. Les journaux pourraient avoir chaque jour leur rubrique: suicides d'en­fants. Un jour, c'est un enfant de onze ans des écoles d'Orléans; le lendemain, ce sont deux élèves du lycée d'Alger; le surlendemain, c'est un élève du lycée de Reims; c'est un Rhétoricien de Rennes. Autrefois les suicides d'enfants étaient très exceptionnels.

Le vagabondage s'est élevé de 1.000 à 3.300; les vols de 5.000 à 15.000. Chaque année 1.000 ou 1.200 enfants sont enfermés dans les maisons de correction. Elles deviennent insuffisantes.

Les progrès de l'alcoolisme méritent une mention particulière. En 1870, on consommait en France 600.000 hectolitres d'alcool, soit un litre et demi par habitant. En 1890, c'est 1.700.000 hectolitres, soit quatre litres et demi par habitant. On sait qu'il y a telle ville de province (Rouen) où la consommation atteint onze litres par personne, où les pauvres femmes d'ouvriers mêlent l'alcool à la soupe de la famille et au lait de leurs enfants.

Et tous les alcools livrés à la consommation à l'état de rectification imparfaite contiennent des poisons dangereux.

En 1885, on buvait à Paris 57.000 hect. d'absinthe. En 1892, on en a bu 130.000. On est aujourd'hui à 160.000. L'accroissement en ces dernières années est de 20.000 hect. par an.

Ces renseignements ont été donnés à l'académie de médecine, par le directeur général des Contributions indirectes (M. Catusse).

De là viennent une infinité de malades, de dévoyés, de désespérés, de criminels, d'aliénés, d'êtres maladifs, névrosés, rachitiques. De là tant d'orphelins sans patrimoine, tant de veuves sans ressources. L'assistance publique de Paris est obligée de construire des asiles spéciaux pour les alcooliques.

L'académie de médecine s'inquiète d'un mal nouveau, l'absinthis­me. Le Docteur Lancereaux déclare que c'est un danger qui menace le pays. Sur vingt malades admis dans les services hospitaliers à Paris, il y a dix malades d'intoxication par l'alcool ou l'absinthe.

L'absinthe et l'alcool ne sont pas seulement la ruine de la santé, c'est aussi la ruine des économies, du travail, de la richesse, de la population. C'est la ruine de la nation.

L'abus des alcools désagrège les familles, les rend infécondes, les conduit au rachitisme et à la destruction, et transmet les mêmes tendances aux descendants, s'il y en a.

(Ces substances, dit le Docteur Lancereaux, produisent une mortalité plus grande que les plus graves épidémies. Elles diminuent la population dans des proportions incalculables».

Il faut signaler ensuite l'accroissement du nombre des aliénés. Ils étaient 11.500 en 1835. Ils ont été 38.000 en 1892.

Les aliénés par l'alcool n'étaient que 300 en 1860. Ils ont été 3.376 en 1893.

L'affaiblissement de la race française est un des plus tristes symptômes de notre décadence. En 1831, on comptait 21% d'exemp­tions pour manque de force physique à la révision. Depuis lors, on est devenu plus facile, on a abaissé la taille réglementaire, et cependant ce n'est plus 21%, c'est 32% qu'il faut réformer. Un tiers de nos jeunes gens de vingt ans ne peuvent pas compter comme des hommes. Ne serons-nous pas bientôt en majorité une nation d'infirmes et d'impo­tents?

Dans ce tableau des moeurs modernes si fécond en ombres attristantes, le côté le moins sinistre n'est pas celui des procédés financiers où se rencontrent la spéculation, l'agiotage et tous les trafics immoraux. Enlever à l'épargne ses réserves par les coups de bourse, les fausses nouvelles, les réclames mensongères, le charlatanisme financier et la fondation des sociétés véreuses, c'est le métier de toute une population qui vit autour de la Bourse.

Les trafics immoraux sont devenus si fréquents qu'ils n'émeuvent plus nos populations dont le sens moral est émoussé. Tout a été mis à l'encan, les décorations, les votes à la chambre, les protections administratives. Chaque jour des scandales nouveaux se découvrent dans les grandes entreprises et dans les affaires publiques. Ils ont dans les journaux leur rubrique spéciale.

En regard de ces abus de la richesse, il faut contempler l'invasion croissante de la misère, de l'indigence et du vagabondage. Il y a là toute une armée. A Paris, l'Assistance publique secourt 400.000 pauvres à domicile, 150.000 dans les hôpitaux et hospices, 50.000 dans les asiles d'enfants abandonnés.

La population indigente secourue par les bureaux de bienfaisance a augmenté de 17% de 1887 à 1891.

Les statistiques officielles inscrivent les causes des décès; plus de 100.000 chaque année sont attribués à la misère, à la pauvreté, à la faim.

Le nombre des vagabonds et des mendiants s'élève graduellement. Sur 199.000 inculpés qui ont comparu devant les tribunaux en 1888, on comptait 33.000 vagabonds et indigents. A Paris, 8.000 individus couchent chaque soir dans les carrières ou sous les ponts.

L'hiver dernier, la ville de Paris se faisait gloire de donner la soupe des pauvres à 70.000 individus chaque jour. C'est bien, mais la moitié de ces prétendus miséreux étaient des sans-travail volontaires. Ils allaient deux fois par jour manger le pain des pauvres. Le reste du temps ils flânaient. On en trouvait jusque dans les salles bien chauffées du Louvre. Le nombre grandira. Une populace païenne ne connaît plus la grande loi du travail. Elle demande du pain et des loisirs; mais qui travaillera pour les nourrir? Le pauvre ouvrier de la terre déjà écrasé par les charges publiques.

Tel est le tableau fidèle de nos moeurs de décadence.

Le travail s'est transformé grâce au développement des machines. L'atelier domestique a été remplacé par l'usine.

Cette transformation est à certains points de vue un progrès, mais dans les conditions où elle s'est faite, elle a eu des conséquences déplorables.

Le métier devenant la machine et coûtant un grand prix n'était plus à la portée de la petite bourse des travailleurs. Le capital a donc pris une influence prépondérante.

La concentration croissante de la production et du capital en un petit nombre de mains tend naturellement à resserrer la dépendance des travailleurs et à accentuer le contraste des classes.

Les rapports personnels entre l'entrepreneur et l'ouvrier se sont relâchés. Le sentiment du devoir et de la responsabilité chez les uns, de la soumission et de la fidélité chez les autres est amoindri.

Les conflits entre patrons et ouvriers se multiplient. Les mécontents toujours plus nombreux s'organisent en une immense armée de défense. Ils ne reculeront pas devant les moyens violents.

La nouvelle organisation du travail a produit l'agglomération des travailleurs dans les villes. En 1846, la proportion de la population rurale en France était encore de 76%, en 1866, elle tombe à 70, en 1886, à 64%.

En 1886, on comptait encore 58 départements dont la population était en progression; en 1891, il n'y en avait plus que 32, et l'accroissement portait sur les villes.

Cette agglomération dans les faubourgs des villes a ouvert la question des logements des ouvriers. A Paris, la moitié des logements d'indigents ne se composent que d'une seule pièce et sont des taudis infects (D'Haussonville: Misères et remèdes). Il en est de même de toutes nos grandes villes. Un professeur de la Faculté de médecine de Paris disait dans un rapport officiel: «Ce n'est pas de la vertu, c'est de l'héroïsme qu'il faudrait à tout ce monde pour ne pas contracter dans ces bouges la haine de la société qui les tolère» (Féret: La question ouvrière).

Le travail uniforme de l'usine dans une atmosphère surchauffée, nauséabonde et chargée de poussières, pendant de longues journées et au milieu du bruit des machines, fatigue l'ouvrier et abrutit son intelligence. Il cherche un dédommagement dans l'alcoolisme, dans l'immoralité et la débauche.

Le travail des femmes et des enfants a pris une extension de plus en plus grande au détriment de la famille. Le salaire des hommes a été abaissé; l'ouvrière a été éloignée de son foyer; les enfants ont touvé là une école de corruption.

Le petit atelier travaillait sur commande et pour son entourage. L'usine compte sur de vastes débouchés. Elle arrive à la surpro­duction, qui produit des crises et des chômages. L'ouvrier n'a plus son avenir assuré. Le salaire ne suffit pas à l'épargne ou n'y est pas employé.

A ce tableau des méfaits de l'industrie, il faut ajouter les plaintes du petit commerce qui est écrasé par les grands magasins.

Il faut enfin, pour être complet, signaler ce qu'on nomme à bon droit la crise agricole.

Les populations décimées des campagnes souffrent des charges publiques et de la mévente. Les petits domaines sont vendus ou grevés d'hypothèques. Les ventes d'immeubles ruraux provoquées le plus souvent par la déconfiture ou par le malaise agricole se sont élevées dans ces dernières années à un million de ventes par an portant sur deux millions d'hectares.

En politique l'instabilité du pouvoir restera proverbiale. Nous consom­mons trois ministères par an.

La stérilité des parlements saute aux yeux. Les lois pratiques cèdent le pas aux querelles des politiciens.

Les impôts et la dette grandissent toujours. Nous sommes au premier rang des nations sous ce rapport. Nous avons chaque année un déficit comme les mauvais commerçants.

Ce qui est plus grave, c'est que nous ne sommes plus chez nous. Une secte s'est emparée du pouvoir. Elle nous gouverne, elle nous domine. Elle ne s'en cache pas. Elle s'en glorifie. Les lois se préparent au Grand-Orient. Toute l'administration se recrute dans les loges, et ce qu'on ne fera jamais trop ressortir, la franc-maçonnerie est sous l'influence dominante des Juifs. Non seulement les princes de la secte, les Lemmi et les Nathan sont juifs, mais en France les Israélites pullulent dans les hauts grades. Ces jours-ci encore les publications maçonni­ques annonçaient des réceptions dans les hauts grades, et les listes étaient remplies de ces noms caractéristiques: les Mayer, les Blum, les Weil, les Goldschmitt.

Nous serons bientôt aussi malades que l'Autriche.

De cette influence des loges est né le kulturkampf français. Le Grand-Orient a préparé les lois scolaire et militaire, la laïcisation des cimetières et des hôpitaux, l'expulsion des religieux, la loi des fabriques, les décrets contre lés processions, la loi d'abonnement. Les catholiques français ne sont plus en France que des ilotes ou des parias.

Et ce qui nous menace est bien plus grave encore que ce qui nous est échu. Nous allons rapidement au socialisme révolutionnaire. Personne ne peut s'y tromper; les socialistes modérés, possibilistes ou autres font patte de velours, mais la logique de l'erreur les conduira jusqu'au bout. La carmagnole a des accents entraînants. Ils y céderont.

Tout se prépare pour apprivoiser les foules à l'idée de la Commune. Les orateurs socialistes s'efforcent de justifier et de glorifier les fédérés de 1871. Le conseil municipal de Paris fait mettre l'histoire de la Commune par Lissagaray dans toutes les bibliothèques populaires de la capitale. Les avancés du parti nous disent ingénûment qu'ils feront mieux les choses qu'en 1871. Ce n'était alors, disent-ils, que l'aurore de la rénovation attendue. ((L'Orient social s'illumina des lueurs fulgurantes du soleil rouge de l'ère nouvelle. Bientôt le ciel entier en sera embrasé. Ce sera la résurrection de la Commune vengée et triomphante» (Journal «le Peuple», 18 mars 1895).

Ne dites pas que ces menaces sont une chimère et que nous pouvons dormir sur nos deux oreilles.

Observez les progrès du socialisme. Il n'obtenait que 30.000 voix aux élections en 1885. Il y en avait 176.000 en 1889, 600.000 en 1893. Il s'applique à gagner les campagnes. C'est la résolution de tous ses congrès de ces dernières années, et il faut dire à notre confusion que ses résolutions sont souvent plus efficaces que les nôtres.

Un programme habile et bien mis en oeuvre peut lui donner la victoire dans deux ans ou dans six. Le projet d'impôt sur le revenu y pourra servir. C'est bien séduisant pour les foules, la promesse de l'exemption d'impôts pour tous les petits revenus au-dessous de 2.500 francs.

Je ne juge pas ici la question de la réforme de l'impôt; je dis que celle-là ou une autre habilement exploitée peut amener les socialistes au pouvoir et ouvrir toutes les barrières à leurs amis de la Commune.

Il exprime bien les sentiments des catholiques, cet évêque qui nous écrivait: (Je fais des voeux pour le succès de votre entreprise. L'Eglise a besoin de défenseurs… J'ai l'âme pleine d'amertume. On ne sait pas ce que souffrent les évêques en présence des dangers que courent l'Eglise et la patrie» (Mgr l'évêque de Bayeux).

La description du malaise social en indique déjà sommairement les causes, mais il faut les préciser davantage. C'est l'intelligence complète des causes du mal qui prépare la détermination des remèdes et leur mise en pratique.

La première source du mal est la déviation religieuse et morale. Avec de justes notions de la société, de ses devoirs et de ses droits, de la famille, du travail, de la propriété, de la loi et de l'association, nous n'aurions à redouter ni les excès de l'absolutisme ni ceux de l'anarchie, ni la désorganisation de la famille, ni le désarroi économi­que.

Léon XIII a mis le doigt sur la plaie sociale actuelle quand il nous rappelle dans ses encycliques Immortale Dei et Rerum novarum:

Roue la société civile est l'oeuvre de Dieu; qu'elle doit lui rendre hommage et s'inspirer de ses préceptes.

Que la vie sociale a pour but d'aider l'homme à développer toutes ses perfections et à remédier à toutes les lacunes de sa nature; que par suite, la famille a le premier rang parmi les diverses formes de société, puisqu'elle apporte à l'homme le concours le plus nécessaire.

Que l'Etat doit respecter la famille et toutes les associations que le Créateur a mises à la disposition de ses créatures.

Que le travail est la grande loi de l'humanité et que ses produits doivent être répartis équitablement.

Que la propriété est un fruit du travail, qu'elle répond aux besoins de l'homme et à sa nature, qu'elle n'est pas cependant un droit absolu et sans réserve, comme le prétendent les lois païennes; mais que l'homme qui a le bonheur de participer à la richesse du Créateur doit aussi participer aux nobles charges de sa Providence.

Que la loi est une ordonnance du pouvoir en vue du bien commun, que par suite, les prescriptions capricieuses et tyranniques ne méritent pas le nom de lois et n'ont pas droit au respect qu'on doit à la loi».

Tout l'ordre social est en germes dans ces principes du code chrétin. Et quand nous voyons le désordre social envahir une nation, nous pouvons dire que ce peuple souffre parce qu'il s'est éloigné des principes chrétiens.

Par un motif de haute délicatesse, vous n'avez pas voulu rechercher de plus haute responsabilité dans votre beau programme. Mais moi, prêtre, j'ai le droit de faire l'examen de conscience du prêtre et de dire: Si le peuple en est là, c'est que par le malheur des temps, l'enseignement qui leur était distribué était incomplet. Et si le sel de la terre s'est affadi, comment salera-t-il?

Un saint missionnaire, en même temps qu'un grand théologien, le P. Aubry avait raison de dire: «Il n'est rien de plus essentiel à un peuple que ses idées religieuses; or, c'est dans le sanctuaire de l'éducation sacerdotale qu'elles ont leurs racines; c'est donc là en dernière analyse qu'il faut chercher le fond de la question sociale».

Oui, notre enseignement religieux était incomplet; nous savions encore que la vie privée devait être chrétienne, nous ne savions plus que la vie publique, sociale, économique, devait l'être aussi. C'était une erreur presque universelle chez nous, une demi-hérésie qui datait du grand siècle. Les papes la condamnaient sous le nom de naturalisme, libéralisme, gallicanisme. Nous ne comprenions pas entièrement. Enfin Léon XIII a arraché le voile qui couvrait nos yeux par les encycliques Immortale Dei et Rerum novarum. Nous nous sommes aperçus que nos théologies et nos catéchismes étaient incomplets, que les devoirs civiques, politiques et économiques n'y étaient pas mentionnés. Nous avons ajouté à nos catéchismes des pages qui ont dû disparaître momentanément par un motif d'opportunisme politi­que, mais qui devront évidemment rentrer par la fenêtre.

Nous avons le devoir de nous mettre aux études sociales, à l'enseignement social, à l'action sociale.

Tous ne l'ont pas encore compris. N'avons-nous pas lu encore récemment dans une semaine religieuse des pensées étranges comme celle-ci: (Les prétendus moyens nouveaux d'apostolat n'ont pas leur raison d'être. Quand serons-nous délivrés de cette logomachie, les oeuvres sociales, la question sociale, l'action sociale?».

N'avons-nous pas entendu un vénérable directeur de séminaire nous dire: «La question sociale n'existe pas dans notre diocèse, nous n'avons pas de grandes industries». Comme si toute la question sociale se confondait avec la question de l'usine! Et dans cet excellent diocèse, la plupart des hommes vont à la messe et même à confesse, et votent mal, parce que les députés officiels leur promettent quelques bouts de chemins et leur appui pour l'exonération de leurs fils du service militaire. Voilà toute une population qui trahit le Christ, qui vend l'âme de ses enfants à l'école laïque pour avoir un bout de chemin hypothétique, que l'on promet toujours et que l'on ne donne pas souvent, et l'on dit qu'en ce pays il n'y a pas de question sociale!

N'avons-nous pas entendu encore au mois d'août dernier des prédicateurs de retraites sacerdotales nous dire qu'il faut s'en tenir aux méthodes de nos vieux manuels de pastorale? Et voici un spécimen des prescriptions de ces manuels: <Il n'y a rien ou presque rien à faire avec les hommes. Occupons-nous des enfants et des malades. Il n'y a pas d'autre marche, c'est la règle, c'est la loi. C'est ainsi qu'a fait Notre-Seigneur. Les enfants, les vieillards, les pauvres, les malades, les affligés, voilà les cinq doigts de l'apostolat des campagnes. Pour les autres, pères, mères, jeunes gens, il n'y a pas la même facilité. Avec eux, contentons-nous d'attendre». Comment ces saintes gens avaient-ils lu l'Evangile, qui nous montre Notre-Seigneur allant aux hommes et en réunissant jusqu'à 3.000 et 5.000, en laissant tout à fait les femmes et les enfants au second plan? Erant quatuor millia hominum extra parvulos et mulieres (Matth. XV).

Manifestement, nous, prêtres, nous avons à revenir d'une grave erreur de pastorale, et je proposerai tout à l'heure à mes confrères de le reconnaître par une motion spéciale.

Parmi les causes économiques du malaise dont nous souffrons, il y en a qui sont d'ordre purement naturel.

Les maladies de nos vignes, la concurrence des produits étrangers amenés par le développement des communications internationales et par le progrès économique des peuples nouveaux: Etats-Unis, Cana­da, Inde, japon, Australie, ces causes sont d'ordre providentiel et indépendantes de notre volonté. Elles auraient agi cependant moins cruellement, si elles avaient trouvé des relations internationales mieux organisées, des corporations puissantes et pourvues de réserves importantes.

L'invention des machines et l'organisation des usines sont aussi des causes économiques du malaise actuel.

Nous avons vu plus haut toutes les conséquences funestes qu'a eues cette transformation du travail.

Faut-il pour cela briser les machines? Il faudrait avoir l'esprit bien étroit pour entendre ainsi le progrès. L'usine n'est pas essentiellement et nécessairement funeste aux moeurs de l'ouvrier, à sa santé, à la paix et à la prospérité de son foyer. Chrétiennement organisée, elle peut devenir un foyer de sanctification et un milieu favorable à tout l'épanouissement du travail heureux et prospère. Nous en avons la preuve palpable au Val-des-Bois.

Le machinisme et l'usine ne sont des causes de malaise que si les associations chrétiennes en sont exclues, si les lois de la justice n'y sont pas observées, si les corporations et l'entente internationale n'arrêtent pas la surproduction et la concurrence effrénée, si le décalogue est foulé aux pieds.

Mais le développement de cette pensée est du domaine d'un autre rapporteur.

C'est encore là une source abondante de misères sociales.

Nous avons signalé l'absolutisme et la tyrannie d'une secte qui a profité de nos divisions, de nos maladresses et de notre apathie pour se faire une majorité et pour nous imposer un kulturkampf qui est bien dépaysé chez la vieille France catholique.

Toutes nos folies budgétaires viennent de la même source. Ne fallait-il pas faire le budget de l'enseignement laïc, le budget des chemins de fer électoraux, le budget des employés et des pensionnés électeurs? Nous avons tout souffert avec une bonhomie qui sera notre confusion dans l'histoire.

La centralisation a détruit toute vie provinciale et communale. Les lois ont interdit ou muselé les associations qui pouvaient montrer quelque indépendance.

Les biens communaux et corporatifs qui étaient la réserve des travailleurs ont été sacrifiés.

Les lois de succession, d'impôt et d'enregistrement écrasent la petite propriété et la conduisent à la ruine. Les lois de protection des travailleurs sont presque nulles. Le dimanche n'est pas sauvegardé. Le contrat de travail est livré à l'arbitraire des puissants. La santé et les moeurs de l'ouvrier sont sacrifiées impunément dans les usines.

Et nos parlements n'ont pas le temps de faire des lois utiles. Ils s'amusent à jouer au jeu d'échecs parlementaire.

Un allemand catholique me disait dernièrement que Windhorst n'eut pas laissé passer une session du parlement sans aller à l'assaut des lois du kulturkampf. Ne faudrait-il pas que nos députés catholi­ques eussent au moins autant de vaillance que ceux des autres nations et qu'il y eut quelque Windhorst parmi nous?

Vous me permettrez d'ajouter encore ce voeu à ceux que votre programme insinue au chapitre de l'organisation catholique.

I. Les prêtres présents au congrès, convaincus de la nécessité des études sociales et de l'action sociale pour refaire la France chrétienne prennent la résolution de s'appliquer eux-mêmes à cet apostolat social et de le propager autour d'eux.

II. Le Congrès remercie M. Lemire d'avoir défendu à la Chambre la liberté des Congrès catholiques; il félicite M. Fresneau de la courageuse initiative qu'il a prise de combattre au Sénat l'inique loi de laïcisation des écoles; il prie nos députés et sénateurs catholiques de renouveler chaque année l'assaut contre toutes les bastilles tyranniques du kulturkampf français.

Le Règne du Coeur de jésus dans les âmes et dans les sociétés, janvier 1897, pp. 21-38.

NOTE. Un article sur le même sujet a également paru avec un titre un peu différent dans Le Propriétaire Chrétien: La crise économique actuelle, ses causes et ses remèdes.

Cet article, cité par MAURICE MONTUCLARD, Conscience religieuse et démocratie, Paris, Edit. du Seuil, 1965, p. 251, n'est pas encore retrouvé.

LIBERTE RELIGIEUSE OUI
MAIS LIBERATION ECONOMIQUE EGALEMENT

Fi donc! quelle chose horrible que l'égoïsme!

Humbles travailleurs du peuple de France, quand nous réclamons, nous prêtres et catholiques, la liberté religieuse, vous pensez peut-être que nous recherchons la satisfaction d'un intérêt de secte ou d'amour-propre ou même un avantage temporel?

Oh non! Ce que nous voulons obtenir par ces revendications, pour vous et pour nous, c'est la liberté d'aller droit notre chemin dans le service de Dieu et dans l'amour du Christ Rédempteur, sans être entravés par aucune tyrannie.

Et nous ne nous arrêtons pas là:

Nous sommes les fils du Christ, les fils de Celui qui vous aime tout entiers et qui n'est pas venu seulement pour vous assurer les joies de l'Autre vie, mais aussi pour vous procurer autant que possible une certaine somme d'aisance dans la vie présente.

Nous sommes les fils de Celui qui distribuait le pain des âmes, mais aussi le pain matériel à la Montagne des Béatitudes; qui donnait le pain eucharistique à ses apôtres, mais aussi qui par une condescen­dance adorable leur faisait griller des poissons au bord du lac de Tibériade.

Avec la même passion nous demandons pour vous la LIBERTE RELIGIEUSE ET LA LIBERATION ECONOMIQUE.

Nous allons à l'assaut de toutes les bastilles du Kulturkampf Le concordat dénaturé et mal observé;

L'école athée; L'hôpital laïcisé; Le cimetière profané;

Les processions interdites; Les chapelles fermées; Les prêtres à la caserne;

Les curés privés de leur pain; Les fabriques asservies;

Les impôts d'abonnement, et le reste;

parce que nous voulons que vous ayez la liberté d'élever vos enfants dans votre foi, comme le riche; de recevoir les soins de la soeur de charité et les consolations du prêtre à l'hôpital, si le malheur vous y conduit; de prier dans vos chapelles d'usine; de reposer après votre mort au pied du calvaire paroissial.

Mais nous allons aussi à l'assaut des bastilles économiques: De tous les abus du capitalisme, de l'agiotage et de l'usure;

De certains excès de l'industrie et du commerce, «qui ont concentré la richesse en quelques mains et réduit sous un joug presque servile la multitude des prolétaires»;

Du défaut de protection légale de votre dimanche, de votre contrat de travail, des mœurs et de l'hygiène à l'usine;

D'une centralisation ruineuse;

De l'irresponsabilité dans l'anonymat;

Des restrictions imposées à la propriété syndicale;

Des impôts écrasants nécessités par les folies budgétaires, par la loi scolaire et le gaspillage des deniers publics dans les chemins de fer électoraux et dans la multiplication des pensions et des emplois;

Du manque de protection pour l'agriculture et le commerce national;

De l'écrasement de la petite propriété par les lois de succession, d'enregistrement et d'impôt.

Nous réclamons du pouvoir des lois favorables aux institutions d'assurance et de retraite et au développement des maisons d'ouvriers. Nous demandons à l'initiative privée l'organisation du crédit populai­re, des associations syndicales et de l'aide mutuelle.

A ces revendications de la justice, nous voulons ajouter tous les dévouements de la charité.

La liberté religieuse et la libération économique, nous ne voulons pas moins pour vous, parce que nous sommes les disciples de l'Evangile.

Nous sommes les disciples du Christ «dont le cœur semble s'incliner davantage vers les classes infortunées, et qui embrasse avec une charité plus tendre les petits et les opprimés».

Nous sommes les fils de l'Eglise, «qui par une foule d'institutions bienfaisantes tend à améliorer le sort des classes pauvres».

Nous sommes les disciples de Léon XIII, et avec lui, «nous sommes persuadés qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, qui sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritée».

Nous sommes les disciples de Léon XIII qui a réclamé pour les ouvriers, «la liberté d'accomplir tous leurs devoirs envers Dieu», mais qui a demandé aussi qu'on cesse «d'écraser les travailleurs sous le poids de fardeaux iniques, d'attenter à leur santé par un travail excessif, de les exposer à toutes les excitations du vice dans des usines où ne règne aucune loi morale; d'user de l'homme comme d'un instrument de lucre et de ne l'estimer qu'en proportion de la vigueur de ses bras».

Avec Léon XIII, nous demandons «qu'on favorise l'accession de l'ouvrier à la propriété du sol, pour arriver à combler peu à peu l'abîme qui sépare l'opulence de la misère et pour opérer le rapprochement des deux classes».

N'est-ce pas qu'il est magnifique le programme démocratique du Christ de l'Evangile et de Léon XIII?

Ah! que tous les catholiques S'UNISSENT ENFIN pour le réaliser par une action incessante, par les revendications légales, par la fondation des institutions qui sont à leur portée, oeuvres de crédit ou de coopération, associations syndicales, secrétariats du peuple ou mutualités.

La réforme de la société exige des efforts multiples et persévérants. Il y faut plus d'un instrument: la prière, l'étude, l'action.

Vous qui demeurez dans l'apathie et l'insouciance et qui n'avez pas encore pris part à la moindre petite oeuvre, REDOUTEZ LE COMPTE QUE VOUS AUREZ A RENDRE, à l'ami des pauvres.

Nous ne sommes pas dispensés d'agir parce que le mal est immense et nos facultés restreintes.

Quand une ville va être prise par la brèche, tous ceux qui apportent une pierre aux remparts sont des sauveurs.

La Chronique du Sud-Est, N. 1, janvier 1897, pp. 2-4.


1)
Recension.
2)
Discours prononcé au Congrès de «La Croix».
3)
Rapport présenté au Congrès de Lyon.
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