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LA DEMOCRATIE

VUE DE ROME

Ce mouvement démocratique, auquel nous nous laissons aller, est-il vraiment sage? Est-il prudent? Est-il opportun? Le Pape l'encourage et le bénit.

Aller lui demander directement ses motifs était difficile. Mais on sait qu'il goûte fort le professeur Toniolo, il approuve son apostolat démocratique à Rome et en Italie. Il le regarde comme un maître en sociologie chrétienne. Quelques personnes sont donc allées exprimer leurs doutes et formuler leurs objections sur l'opportunité du mouve­ment démocratique auprès de M. Toniolo. Quelle heureuse idée! Cela nous a valu une superbe conférence du maître, que je vais analyser pour la Chronique du Sud-Est.

Oui, le moment historique est venu pour la démocratie chrétienne d'entrer en campagne.

L'Eglise avait affranchi les classes inférieures de la servitude, ce fut l'œuvre des premiers siècles chrétiens; elle les avait unies aux classes supérieures dans un ordre hiérarchique, par l'institution des commu­nes, des corporations et des Etats provinciaux et nationaux; elle les préparait encore à une ascension sociale plus complète.

Mais l'humanisme d'abord et la renaissance, qui ont été un retour aux principes païens de vie sociale et de civilisation, et la réforme protestante ensuite ont brisé et interrompu l'action de l'Eglise. On a vu renaître, dans la vie politique et dans la vie économique, l'oppression des petits par les grands, l'oubli de la charité et le mépris de la justice, comme aux beaux temps du paganisme. Et tout cela nous a préparé cette période séculaire de luttes et de révolutions qui s'achève, avec la création de ce prolétariat dont le développement devient le plus grand problème de notre temps.

Comment donc s'est formé ce prolétariat?

Dans l'agriculture, c'est d'abord par la rupture des liens entre les classes, c'est par la suppression des emphytéoses, des baux à longs termes et de la coutume qui voulait que les amodiations fussent comme héréditaires dans les familles.

C'est aussi par la destruction légale des propriétés sociales, biens communaux et corporatifs, qui ne laissaient personne sans ressources. En Angleterre, en Allemagne, en Espagne, en Sicile, c'est par le développement des grandes propriétés, grâce à la spoliation des églises et à la coutume des fideicommis.

Dans l'industrie et les arts et métiers, le prolétariat est né sous l'ancien régime avec les privilèges accordés aux maîtres dans les corporations. Il s'est développé prodigieusement sous le régime de la grande industrie. Les machines et le capital ont opprimé l'ouvrier et sa famille, sans être contenus par aucun règlement corporatif.

Les petits commerçants et les petits patrons sont venus eux-mêmes grossir les rangs du prolétariat, écrasés qu'ils étaient par la spécula­tion et les monopoles de la grande industrie.

Et quel remède la science économique proposait-elle à un pareil malaise social? rien que la libre concurrence qui augmentait le mal chaque jour au lieu de l'enrayer.

Plusieurs fois depuis le XIVe siècle les prolétaires, aigris par la misère, ont essayé de s'organiser pour chercher un remède à leur situation. L'histoire raconte le soulèvement des Jacques en France, celui des Rustauds en Allemagne et des mendiants à Lucques.

En Angleterre, les sans-travail trouvèrent une diversion dans les armées de Cromwell; ils peuplent maintenant les Workhouses. En Allemagne, ils recrutèrent les armées de Gustave Adolphe.

Aujourd'hui, les mécontents se tournent vers le socialisme qui les séduit par ses utopies.

Il y a cependant une œuvre de justice et de réparation qui s'impose. Il faut revenir aux principes chrétiens, seuls capables de contenir les grands dans la modération et de faire régner la justice et la charité en faveur des petits.

L'Eglise, après le Concile de Trente, en voyant l'immense désordre qui régnait en Europe, s'est adressée d'abord aux princes et à l'aristocratie. Mais ceux-ci ont répondu en dépouillant l'Eglise dans les pays protestants, en l'opprimant dans les pays catholiques.

Elle s'est adressée dans notre siècle à la bourgeoisie et à la science. Mais la bourgeoisie n'a d'oreilles que pour les spéculations financières et la science s'est tournée vers le rationalisme.

Sans doute, quelques nobles âmes dans ces diverses classes ont fait

exception. La bourgeoisie a prêté son élite aux conférences de St-Vincent de Paul, l'aristocratie a fondé l'œuvre des Cercles. L'Eglise ne dédaigne pas ces concours. Elle les apprécie et s'en réjouit, mais elle ne trouve pas là un levier suffisant pour changer le monde. Il reste les masses ouvrières, elle s'adresse à elles.

Le Pape dit à tous les hommes apostoliques, prêtres et laïques, d'aller au peuple. Aller au peuple, c'est le programme de la démocratie chrétienne.

L'Eglise dans des circonstances analogues ne s'est-elle pas servie des esclaves contre le paganisme, des barbares contre le césaro-papisme, des communes libres contre les prétentions impériales de l'âge féodal.

Aujourd'hui, en face d'un nouveau péril et dans un sentiment de justice et de charité, elle va au peuple qui est sur le point d'être séduit par l'illusion socialiste. Elle oppose le programme démocratique chrétien, au programme collectiviste.

Trouvera-t-elle un meilleur accueil chez le peuple que chez les autres classes? il y a tout lieu de l'espérer. Le peuple n'est pas gagné par le sensualisme et l'avarice. Il est naturellement religieux et tenace dans sa foi. Il a longtemps résisté à l'entraînement de l'aristocratie vers l'hérésie et le naturalisme. La lutte a duré deux cents ans en Angleterre. Sous une surface d'indifférence, dit Le Play, il y a encore dans le peuple le granit de la foi. Le peuple est simple, il est sensible et bon et quand il reconnaîtra que l'Eglise a été sa principale bienfaitrice dans le passé et qu'elle vient de nouveau à lui avec ses principes sauveurs, il ira vers elle avec tout son cœur et lui prêtera le concours de sa puissance invincible.

Mais pour cela, que faut-il? Il ne suffit pas de quelques hommes de bonne volonté, il faut que l'Eglise, c'est-à-dire le clergé dans sa masse et les catholiques agissants arborent le drapeau de la démocratie chrétienne, qu'ils la prêchent bien haut; qu'ils opposent ses promesses à celles de la démocratie socialiste. Il faut que les catholiques reprennent l'étude de l'histoire et montrent au peuple ce qu'a été l'action sociale de l'Eglise.

- Tel est le résumé de la conférence de M. Toniolo.

Ses convictions et ses espérances sont les nôtres. Il faut aller au peuple. Nous avons pour nous la vérité et la justice, montrons au peuple que les socialistes n'ont pour eux que l'illusion et l'utopie.

Notre espoir se ranime parce que l'idée démocratique, en laquelle nous espérons, gagne chaque jour du terrain chez les catholiques de France comme en Italie. Combien nous sommes reconnaissants au venérable cardinal de Lyon, dont le zèle égale la prudence, d'avoir bien voulu bénir et encourager notre Congrès. Beaucoup de nos vénérables prélats l'ont suivi. Que le clergé et les catholiques agissent sans relâche et le peuple reviendra à ses véritables amis.

La Chronique du Sud-Est, N. 3, mars 1898, pp. 90-91.

COMPRENDRONS-NOUS?

En 1892, Léon XIII disait à Mgr l'évêque de Liège: «On ne peut nier l'existence d'un mouvement démocratique universel, il faut donc le rendre chrétien, si l'on ne veut pas qu'il devienne socialiste».

Voilà le mot d'ordre. L'avons-nous compris? Le comprendrons­nous? - Oui vous l'avez compris, vous, chers lecteurs de la Chronique. Vous avez reconnu la nécessité historique du mouvement social actuel. La grande industrie avec ses usines malsaines, avec le travail des femmes et des enfants, avec l'agglomération des ouvriers dans les villes, avec l'instabilité du travail et des salaires, a créé un malaise spécifique dans le monde du travail. En même temps, l'ouvrier se trouvait tout naturellement réuni pour s'entendre. Il était excité à l'envie par le contraste de la vie luxueuse des chefs d'usine parvenus. Il devait nécessairement chercher le remède à son état pénible. L'agitation ouvrière s'imposait. Elle ne pouvait pas ne pas être. Il est aussi absurde de la nier par étroitesse d'esprit que de la combattre par des moyens impuissants.

Quelle direction allait prendre cette agitation? Le point de départ était la misère imméritée du travailleur. Quel serait le remède? Des logiciens sont venus et ils ont dit à l'ouvrier: «Tu es la cause principale, sinon unique, de la plus-value produite par la marche de l'usine et tu ne reçois qu'une maigre part de cette plus-value dans le salaire, il faut mettre en d'autres mains la direction du travail, il faut la confier à l'Etat et tu auras ta large part». De là un mouvement socialiste puissant, séduisant pour l'ouvrier, et capable de bouleverser toute l'organisation sociale actuelle.

Sans doute la solution socialiste est absurde. Elle supprime la liberté, la propriété, le stimulant du travail. Elle produira finalement la servitude et la misère. Mais comment en persuader l'ouvrier? Et comment le détourner d'un essai désastreux si on ne va pas à lui avec un programme positif, avec une action intense, avec des réformes salutaires? C'est le dilemme de Léon XIII: «On ne peut nier l'existence d'un mouvement démocratique universel, il faut donc le rendre chrétien, si l'on ne veut pas qu'il devienne socialiste».

Et voilà pourquoi Léon XIII nous a tracé dans son Encyclique son magnifique programme de la démocratie chrétienne.

Voilà pourquoi il nous disait: «Il est urgent d'agir, chaque jour de retard aggrave le péril».

Ah! combien les tergiversations des catholiques ont fait de mal! Ecoutons la leçon que nous donne un socialiste allemand: «Pourquoi dit-il, le mouvement ouvrier a-t-il un caractère si nettement antireli­gieux?». - Et il répond: «Tant que l'on s'est efforcé de défendre la monarchie et le capitalisme comme des institutions nécessaires, voulues de Dieu, tout mouvement social devait être nécessairement antireligieux. C'est donc un sentiment de défiance inspiré par l'attitude tout au moins douteuse des représentants de l'Eglise et de la religion. Mais du jour où cette défiance sera dissipée, où le christia­nisme sera enseigné dans un sens démocratique, pour quelle raison le mouvement prolétarien conserverait-il son caractère antireligieux?». Comprendrons-nous?

Le même auteur se demande si le christianisme peut ainsi s'adapter au mouvement démocratique, et il répond: «Une raison nous porte à le croire: c'est qu'il a réussi à être tout aussi bien la religion de la décadence romaine que celle de la Germanie jeune et vigoureuse, la religion de la féodalité comme celle des Communes et, en dernier lieu, celle de la bourgeoisie. Pourquoi ne serait-il pas aussi la religion du prolétariat?».

Comprendrons-nous?

Oui, la religion catholique a le secret de s'adapter à toutes les situations sociales, parce qu'elle possède tous les principes de la justice et toutes les inspirations de la charité. Mais c'est à nous de faire l'application de ces remèdes salutaires au malaise de notre temps.

Il faut aller au peuple, comme nous le demande Léon XIII, avec un programme et avec des œuvres. .Il faut commencer partout des associations pour aider l'ouvrier. Il faut revendiquer des réformes légales pour le protéger, pour défendre pied à pied tous ses droits et pour relever sa situation économique.

Est-il trop tard? Non. Les peureux seuls et les lâches le pourraient prétendre. Sans doute beaucoup d'ouvriers ont été éblouis un moment par l'utopie socialiste. Pas tous cependant. Ceux des campagnes y sont généralement insensibles. Dans l'industrie même, en Angleterre surtout, beaucoup d'ouvriers ont compris que l'action de la loi et celle des syndicats étaient des moyens plus sûrs et plus pratiques. Les associations ouvrières anglaises sont presque inaccessi­bles au socialisme.

En France, le salut est entre nos mains. Il faut une action vigoureuse des catholiques pour sauver la société d'un bouleverse­ment, l'Eglise d'une immense épreuve et le monde ouvrier de la misère épouvantable où le plongerait l'essai de ces utopies.

L'œuvre est-elle difficile? Non. L'interprète fidèle des sentiments de Léon XIII, le professeur Toniolo nous le disait encore à Rome ces jours-ci, dans la Revue internationale:

«La reconstitution de l'ordre social chrétien par le moyen du peuple, ne semble pas difficile en ce moment historique, mais à deux conditions cependant: la première, c'est que les catholiques prêche­ront hautement aux prolétaires qu'en face de la démocratie socialiste illusoire, inique, impossible, il y a une démocratie chrétienne, possible, raisonnable, historique et satisfaisant à toutes leurs légitimes revendications. La seconde condition, c'est que les catholiques prendront en mains la cause du peuple pour préparer l'avènement de cette démocratie. - Pour cela, il faut que les catholiques actifs soient convaincus que l'heure est venue d'opposer avec une sainte hardiesse au cri de Karl Marx «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous pour la lutte», le cri de Léon XIII: «Prolétaires du monde entier, unissez-vous dans le Christ, sous la lumière de l'Eglise, pour votre relèvement social!».

La Chronique du Sud-Est, N. 4, avril 1898, pp. 126-127.

LEÇONS
A TIRER DES DERNIERS EVENEMENTS

Le socialisme a fait encore des progrès en France. Il a multiplié ses candidats et il a obtenu 500.000 voix de plus qu'en 1893. On peut suivre son développement. Il obtenait 30.000 voix en 1885, 176.000 en 1889, 600.000 en 1893. Il en a cette fois plus d'un million.

En Italie, il a révélé tout à coup une puissance que l'on ne soupçonnait pas. Une étude plus attentive des suffrages émis aux élections du 21 mars 1897, aurait pu cependant faire toucher du doigt le péril. D'après les statistiques officielles, le total des voix attribuées aux candidats monarchistes s'élevait à 917.000. Les candidats radi­caux obtenaient 123.000 voix, et les socialistes 139.000.

Sur 1.200.000 suffrages émis, il y en avait donc un quart qui étaient allés aux représentants de l'opposition antidynastique. Un quart! ce n'est pas énorme, si l'on veut, mais il faut remarquer que l'Italie n'a pas le suffrage universel. Elle a encore le suffrage censitaire. Si le prolétariat avait voté, quel aurait été le nombre des voix socialistes?

Il faut aussi remarquer que la poussée socialiste et révolutionnaire avait marché par bonds dans ces dernières années. En deux ans, de 1895 à 1897, le nombre des voix socialistes avait presque doublé! Les folies et les désastres accumulés par le gouvernement de Crispi ont tué la monarchie en Italie. Sa chute n'est plus qu'une affaire de temps et ce ne sera pas bien long.

Les choses étaient donc bien organisées pour une révolution. On devait commencer dans toutes les villes en même temps. Les employés de chemins de fer, tous enrégimentés dans le socialisme, devaient porter le mot d'ordre puis se mettre en grève pour empêcher les mouvements de troupes. Milan demeurait la capitale provisoire de la république, un gouvernement provisoire était déjà désigné et ses proclamations étaient prêtes. Quelques villes, troublées par la cherté du pain, commencèrent trop tôt, et tout fut raté.

Il reste un fait éclatant c'est que la monarchie savoisienne a perdu l'affection de la majeure partie de ses sujets. Les grandes villes d'Italie en ont assez de n'être plus que de simples préfectures, elles veulent redevenir des capitales, au moins des capitales de cantons dans une république fédérative, comme sont les villes de Suisse.

La république italienne se fera, mais quelle sera sa couleur? Sera-t-elle socialiste ou catholique?

La république sera ce que les catholiques voudront, en Italie comme en France.

C'est bien la pensée du Saint-Père, et comme le professeur Toniolo, leader du parti démocratique chrétien en Italie, lui demandait récemment si les troubles d'Italie devaient modifier l'action des démocrates, il répondit: «Mais non, au contraire, ces évènements prouvent de nouveau que les catholiques doivent aller au peuple et attirer le peuple à eux».

Les socialistes ont gagné du terrain, c'est vrai en France et en Italie, mais les catholiques en ont gagné tout autant. Aux élections françaises ils peuvent se flatter aussi d'un progrès de 500.000 voix. En Italie, ils ont une organisation puissante, à opposer à celle des socialistes. Dans les deux pays c'est le parti intermédiaire qui a perdu du terrain, ce sont les opportunistes en France, les monarchistes en Italie; comme en Belgique c'est le parti libéral qui s'effondre pour laisser seuls sur le champ de bataille les socialistes et les catholiques.

La leçon à tirer de ces évènements pour les catholiques, c'est qu'il faut agir, et agir dans le sens démocratique. Il faut aller au peuple et attirer le peuple à nous. Il faut aller au peuple par le dévouement et par les œuvres. Il faut attirer le peuple à nous en lui montrant que nous sommes ses amis et que nos doctrines seules peuvent lui procurer le bonheur qu'il envie.

Le découragement ne serait ni chrétien ni viril, nous ne venons que de commencer, et déjà nous gagnons du terrain. Ah! si nous étions plus unis et plus agissants!

Les prolétaires en France comme en Italie, ne sont pas socialistes par conviction.

Ce sont des mécontents qui souffrent de notre organisation sociale et industrielle. Il vont au socialisme parce qu'ils voient là une force organisée et prête à renverser ce qui existe. Que les groupes catholiques dans toutes nos villes leur montrent un parti agissant et sachant ce qu'il veut; que le groupe des 60 constitutionnels de la Chambre se tienne uni, avec un programme social et politique bien déterminé, comme ont fait les catholiques allemands, et bientôt l'opinion publique se tournera vers ces vaillants. Nous verrons partout l'évolution que nous avons constatée à Roubaix et à Carmaux. Les prolétaires ne veulent plus des théoriciens libéraux ni des opportuni­stes qui n'ont pas un programme économique favorable aux travail­leurs. Ils se sont jetés dans le socialisme, mais ils commencent à reconnaître les utopies et les exagérations des Guesde et des Jaurès, et ils reviennent aux candidats constitutionnels qui se présentent avec le programme économique chrétien.

Il n'y a que deux partis qui puissent délivrer le prolétaire de l'oppression capitaliste, le parti socialiste et le parti démocratique chrétien. A nous d'aller au peuple et de lui montrer que le socialisme ne le délivrerait d'une tyrannie que pour le livrer à une autre cent fois plus atroce, celle des travaux forcés du communisme.

Ne préférera-t-il pas la démocratie chrétienne, qui tout en favori­sant son émancipation économique respectera les sentiments religieux qui restent au fond de son âme sous une apparence d'hostilité toute factice et superficielle.

Si le peuple s'est éloigné de l'Eglise, c'est qu'il a vu (et on lui en a fourni trop de prétextes) qu'elle était favorable à toute oppression politique et économique.

Le salut est aux mains dés démocrates chrétiens. Qu'ils sachent agir avec autant d'ardeur que de sagesse et de prudence et ils verront le peuple venir à eux.

Multiplions les groupes d'études. Développons les connaissances économiques et historiques du peuple; commençons les groupements corporatifs; fondons et répandons des journaux vraiment populaires et l'avenir est à nous pour le règne du Christ et pour le bien-être du peuple.

La Chronique du Sud-Est, N. 5, mai 1898, pp. 164-165.

L'HISTOIRE ET LA DEMOCRATIE

L'histoire a été faussée depuis trois cents ans par l'influence césarienne des gouvernements européens. Le Moyen-Age, dans nos livres officiels, nous est montré comme un temps d'obscurantisme et de barbarie.

Elle était superbe la naïveté du XVIIIe siècle, qui passe pour avoir eu tant d'esprit! Un de ses plus prétentieux écrivains (ils l'étaient tous), le président de Brosses, voyageur et critique d'art, s'écriait devant Saint-Marc de Venise: «C'est vieux, c'est noir, c'est gothi­que!». Et il ajoutait: «Les Goths ont-ils jamais fait un bon ouvrage?».

Pauvre grand critique! Vous pensiez donc que les Goths, nécessaire­ment barbares, régnaient encore sur tout l'Occident du XIe au XVe siècle, et comme ces Goths ignoraient l'art gréco-romain, le seul digne des gens d'esprit, ils n'avaient pu bâtir que des horreurs comme Saint-Marc de Venise, la cathédrale de Milan, Notre-Dame de Paris, la Sainte Chapelle, les cathédrales de Reims, de Chartres et d'Amiens, et tant d'affreux monuments, tous plus noirs et plus gothiques les uns que les autres. Tandis que le XVIIIe siècle (amis ne riez pas), avait produit, au dire du même président de Brosses, le plus bel édifice de la capitale, l'église Saint-Gervais, dont la façade a les trois ordres classiques d'architecture!!!

Le jugement de l'histoire, depuis trois cents ans, est aussi exact en politique qu'il l'est dans les beaux-arts.

Ces pauvres Goths du Moyen-Age ont-ils pu faire quelque chose de bon en politique, eux qui lisaient si peu Tite-Live, Cicéron, Plutarque et Xénophon?

Eh! oui, mes bons messieurs les renaissants, ils ont pu faire quelque chose de bon en politique comme dans les beaux-arts. Et d'abord, ils lisaient les classiques beaucoup plus que vous ne pensez, mais ils y ajoutaient le sel de l'Evangile. Et comme ils ont puisé dans la méditation de l'Evangile le génie qui a produit l'épopée du Dante, les visions célestes de Fra Angelico et nos merveilleuses cathédrales où s'harmonisent si bien la force et la grâce, de même ils ont trouvé dans l'Evangile l'esprit de justice, de charité et de liberté qui leur a permis d'organiser la monarchie démocratique de saint Louis et ces étonnan­tes républiques, qui avaient mis l'Italie au premier rang des nationalités européennes pour la religion, les lettres et les arts, comme pour la puissance et la prospérité commerciale.

Faisons, si vous le voulez, un petit voyage d'agrément autant que d'étude.

Voyez Sienne et l'Ombrie c'était, du Mlle au XVe siècle, l'éden de l'Europe. François d'Assise vivait là avec une légion d'âmes toutes célestes, puis saint Bonaventure, le docteur séraphique; sainte Cathe­rine de Sienne, l'angélique diplomate; Saint Bernardin, l'idole du peuple. Sienne, Orvièto, Viterbe, élevaient leurs délicieuses cathédra­les. Giotto et, Cimabue, préludaient aux délicieuses fresques de Fra Angelico. Et cependant, la Renaissance n'était pas encore venue. Sienne, Arezzo et les autres cités étaient gouvernées par des Conseils choisis dans les corporations. L'idéal chrétien était réalisé sous la constitution la plus démocratique.

Voyez Florence. Elle est puissante et belle. Elle a le Dante et Fra Angelico. Elle donne le jour à saint Antonin et à sainte Madeleine de Pazzi. Elle élève sa cathédrale et son baptistère. Mais elle est fière aussi de ses libertés. Elle veille avec un soin jaloux sur sa constitution démocratique. La noblesse n'est pas admise dans ses Conseils à moins qu'elle ne se mette au travail et ne passe par les corporations. Elle jettera encore un vif éclat sous les premiers Médicis, puis elle deviendra, sous ses ducs, une cité toute vulgaire.

Voyez Pise et Gênes, elles sont passionnées aussi pour leur organisation démocratique. Elles sont puissantes et riches. Elles soutiennent les chrétiens en Orient et tiennent en respect les pirates sarrasins.

Venise aussi est une des perles de notre vieille Europe. Elle est régie par un Conseil aristocratique, mais ce n'est pas une aristocratie féodale, c'est une aristocratie de travail et de commerce. Elle est l'auxiliaire puissante de l'Eglise. Elle conduit les croisés en Orient sur ses galères, et à l'heure où les monarchies absolues de l'Europe se renferment dans leur égoïsme, elle va presque seule, avec la petite armée du Pape et le secours du Rosaire, écraser la flotte ottomane à Lépante

Voyez les cent villes guelfes et démocratiques de l'Italie s'unir un jour par un serment prêté devant l'Eucharistie, sous la bénédiction du Pape, et refouler dans les plaines de Legnano l'ogre germanique qui s'apprêtait à les dévorer.

Une ville cependant restait sans arts, sans lettres et sans gloire d'aucune sorte, c'est Turin. Pourquoi donc? Ne serait-ce pas parce que ses libertés avaient été étouffées de bonne heure sous la conquête brutale des comtes de Savoie? Les Thomas de Savoie, les Guillaume de Montferrat, avaient assiégé la ville défendue par ses consuls et par ses évêques, ils avaient emprisonné l'évêque et tué les notables, et la pauvre cité vécut sans gloire sous un gouvernement autocratique et dur.

Et la chère France? Etait-elle donc barbare avant la prétendue Renaissance? Au temps de saint Louis, elle élevait ses splendides cathédrales, où l'architecture, la sculpture, l'art des vitraux, des tapisseries et de l'orfèvrerie atteignaient un niveau si élevé. Mais là également, le césarisme n'était pas connu. Ses communes avaient des libertés étonnantes, la juridiction ecclésiastique tranchait les dif­férends dans l'esprit de l'Evangile, le commerce et le travail étaient une fonction sociale dirigée par de sages règlements.

Mais quoi? Ces siècles chrétiens étaient donc des siècles démocrati­ques? Evidemment, toute l'histoire vous le crie. L'Eglise n'avait pas attendu le XIXe siècle pour favoriser les arts, les sciences, les lettres et la liberté.

Les siècles voués à la Renaissance, en ramenant le césarisme avec l'autorité absolue des rois et la centralisation, ont atrophié la liberté et paralysé les arts et les lettres. Le XVIIe et le XVIIIe siècles, en voulant copier Auguste et Marc-Aurèle, n'arrivaient souvent qu'à reproduire Claude et Caligula. Dégoûtés enfin de leur propre abaissement, ils croyaient se relever à la fin du siècle passé en prenant pour modèles Brutus, les Gracques et Sylla, et ils nous ont donné, sous le nom de liberté, les proscriptions et la guillotine.

Non, l'idéal n'est pas là. Il est dans l'esprit de l'Evangile, où les siècles chrétiens avaient puisé le génie de l'art et le souffle de la liberté.

Revenons à la démocratie chrétienne. La foi et la liberté seront les deux ailes qui la porteront vers l'idéal. Mais il nous faut une démocratie sage et éclairée. Instruisons nos populations, non pas seulement par de brillantes conférences qui enlèvent pour un instant les applaudissements, mais par des études suivies, par les Cercles d'études, par les tracts et brochures, par la presse. Répandons surtout les brochures populaires qui ont renouvelé l'histoire des siècles chrétiens. Notre Seigneur disait: «C'est la vérité qui vous donnera la liberté». Propageons la vérité pour fonder la liberté.

La Chronique du Sud-Est, N. 6, juin 1898, pp. 201-203.

IMPRESSIONS DE BRUXELLES

Bruxelles et sa note sociale Le grand Congrès et son caractère social

On retrouve à chaque pas à Bruxelles des traces de la pénétration de la vie sociale par l'esprit religieux. L'Hôtel de Ville du moyen âge avait sa chapelle, défigurée malheureusement par des constructions postérieures. Il a encore la statue de saint Michel au sommet de sa flèche, comme un palladium. Au-dessus de son portail principal, l'image de Marie est accompagnée de celles des patrons de la cité: saint Sébastien, saint Christophe, saint Géry.

Les maisons des corporations avaient aussi les statues de leurs patrons. Quelques-unes ne les ont plus, elles ont été rebâties à une époque où la foi et la simplicité avaient baissé, au XVIIIe siècle, après le bombardement de Louis XIV, en 1695.

Bruxelles est fière des traditions démocratiques de la Belgique. Elle honore sur ses places publiques les martyrs de la démocratie, les comtes d'Egmont et de Horn, le syndic François Anneessens. Celui-ci était le doyen des corporations au commencement du XVIIIe siècle. Energique défenseur des droits des corporations contre la domination autrichienne, il a été décapité en 1719, sous le gouvernement du marquis de Prié.

Il porte fièrement ses chaînes à sa statue au boulevard Anspach, et son supplice est représenté dans une des fresques de l'Hôtel de Ville. D'Egmont et de Horn ont lutté pour la liberté sous Philippe II. L'inquisition espagnole sévissait, les franchises communales avaient été supprimées. Les deux comtes n'étaient pas irréprochables, ils s'étaient alliés à Guillaume-le-Taciturne, qui favorisait la réforme. Ils furent condamnés à mort en 1568, au moment de la répression rigoureuse exercée par le duc d'Albe. La Belgique retrouva après eux ses franchises municipales.

Une autre fresque de l'Hôtel de Ville représente Jacques d'Artevel­de recommandant aux villes de Flandre la neutralité entre l'Angleter­re et la France, en 1333.

Fière de ses anciennes corporations artistiques et industrielles, Bruxelles en a représenté les maîtres avec leurs insignes sur la belle place du Sablon. Elle s'est plu aussi à faire peindre, dans l'escalier de l'Hôtel de Ville, le duc jean III de Brabant laissant aux corporations le droit d'élire le bourgmestre, en 1421; et Marie de Bourgogne jurant de respecter les libertés de la ville, en 1477.

- J'ai revu les musées de Bruxelles.

Je m'arrêtais longtemps aux deux tableaux de Van Alsloot qui représentent la procession de sainte Gudule, au XVIe siècle.

Le cortège défile devant la maison du roi. Les magistrats sont en tête, puis une cinquantaine de corporations avec leurs bannières. Le nom de chaque métier est marqué avec le nombre des maîtres qu'il comptait. Pourquoi ne redirais-je pas ici ces noms avec leur vieille orthographe: placqueurs (ébénistes sans doute), tourneurs, corbilleurs, travailleurs de blanc bois, faiseurs de boysson, barbiers, savatiars, cordonaniers, gantiers, cinturiers, tanneurs, - tondeurs de drap, tapissiers, tisserands, pinneurs de saites, chapelliers, - cuvelliers, charpentiers, couvreurs de tuiles, - pelletiers, tailleurs de pierres (ils comptaient 200 maîtres), - esporonniers, armoyeurs, brodeurs, selliers, peintres (ils étaient 120), - cerruriers (sic), couteliers, cordeurs, pottiers, faiseurs de flacons de cuir, estainniers, ferronniers, - mouliniers, brasseurs (67), boulangiers (340), fructiers, frippiers, faiseurs de luths, chaussetiers, cousturiers, blanchisseurs, merciers (500), boucheurs, poissonniers, maronniers (123), jabottiers et soyers.

Ils ont bonne mine, tous ces maîtres, ils portent fraise et jabot et font vivre sûrement les cousturiers, les maronniers, les jabottiers et les soyers.

Des compagnies d'arbalétriers, de lanciers, de carabiniers, d'arque­busiers précèdent le défilé. Des salves éclatent çà et là. Quelques scènes rappellent le plein moyen-âge et montrent la ténacité des traditions. Un géant figure saint Christophe et porte un enfant assis sur son épaule. Une sainte Marguerite tire derrière elle un grand dragon de carton.

Un petit drame rappelle les mystères populaires de la Sicile: des démons vont et viennent pour tenter les fidèles. Les uns cajolent de bonnes vieilles, d'autres les menacent du bâton, mais saint Michel est là avec ses anges, et il refoule cette bande audacieuse dans la bouche béante d'un enfer de carton porté sur un char.

En somme, tout cela marque une société prospère, bien organisée et encore naïve et pieuse.

- La transition est facile du tableau de Van Alsloot aux fêtes du Congrès eucharistique. Là aussi, on a fait avec éclat la procession de sainte Gudule. C'était encore un beau spectacle. On y voyait deux cardinaux de la sainte Eglise, trente-deux évêques ou abbés mitrés et un nombreux clergé; puis trois cents bannières avec leurs groupes: des confréries, des cercles, des associations. Les riches bannières brodées d'or alternaient avec les cartels de soie flottant au vent. C'était une ville chrétienne rendant hommage au Saint-Sacrement; on peut dire même une nation chrétienne, parce qu'il y avait des délégations d'Anvers, de Gand, de Bruges, de Namur et de vingt autres villes.

Mais ce n'est plus une cité chrétienne organisée. On ne voyait plus là l'ensemble des corporations avec le conseil communal élu par elles. Il y avait cependant des essais de corporations, des associations de mineurs, d'ouvriers du fer et autres encore. C'est une société qui cherche sa voie et qui veut revenir aux bonnes coutumes du passé sans savoir encore comment s'y prendre. C'était d'ailleurs le ton de tout le Congrès, et quoique des réunions eucharistiques n'aient pas directe­ment un but social, à chaque instant quelque orateur prenait cette voie latérale aux pieuses réunions, et c'était l'occasion d'applaudisse­ments nourris et d'un assentiment général.

Dès le début, le cardinal Goossens rappelait les droits royaux du Christ sur la société: «La génération contemporaine, disait-il, - et c'est là son crime capital, - prétend se passer de Dieu. Elle l'a éliminé du domaine de la science, de l'art, de l'histoire; elle veut pareillement lui enlever tout pouvoir dans la constitution, la direc­tion, le gouvernement de la société. Fier de ses progrès matériels, de ses conquêtes scientifiques, de la diffusion de l'instruction, confiant dans la puissance de ses armées et dans la perfection de ses organismes sociaux, le monde moderne ne veut relever que de lui-même, ne prendre conseil que de la raison pure, ne vivre que sur ses propres et naturelles ressources.

Mais la parole sacrée demeure toujours vraie. Il n'y a pas de sagesse qui puisse prévaloir contre les desseins de Dieu: non est sapientia contra Dominum. Il n'y a pas de bâtisseur de la cité, il n'y a point de gardien de ses murailles dont le travail et la vigilance puissent tenir sans l'assistance continue et présente du Seigneur. C'est en Dieu, et en Dieu seul que se trouvent l'idéal de toute beauté, la racine de tout droit, la raison de tout ordre, le fondement de toute justice, la règle et l'exemplaire de toute vertu.

L'homme a beau rêver l'indépendance et chercher à se suffire à lui-même. Tout lui crie que, soit pris isolément, soit considéré comme être social, dans les conditions de son existence matérielle et morale, pour la vie du corps comme pour la vie de l'âme, il est constitué le tributaire des bontés de Dieu, et partant, son vassal et son serviteur».

Le soir du second jour, le R. P. Coubé a parlé de cette douloureuse énigme contemporaine: jamais davantage on n'a parlé de la fraterni­té, et jamais cependant tant d'abîmes n'ont divisé les cœurs. Partout on aspire à la paix, et nulle part on ne la trouve.

Et le Père Coubé, posant la question: Tout est-il donc perdu? y répond lui-même en disant: Non, car le remède se trouve dans l'Eucharistie.

Il flétrit l'égoïsme, la plaie de notre temps: il fait un sombre tableau de ce que nous réserve l'avenir, si l'on ne réagit pas contre ce fléau, source et seule raison d'être de nos luttes sociales.

L'Eucharistie, ici encore, est le seul remède; elle seule donne la véritable égalité. Et l'orateur rappelle qu'un jour Turenne et son valet se rencontrèrent près de la Sainte-Table. Le domestique voulut s'effacer et dit: «Passez, monseigneur». - «Passez vous-même, répondit Turenne: il n'y a ici ni maître ni valet; nous sommes tous égaux devant Jésus-Christ!».

Et ce trait, que nous avons entendu souvent raconter, présenté avec le talent du R. P. Coubé, fait passer un frisson singulier dans cette immense assemblée.

Certes, l'Eucharistie n'enlève pas à l'humanité ses souffrances; certes, elle ne fait pas disparaître les inégalités de conditions voulues par Dieu lui-même, mais le Sacrement d'amour donne aux humbles et aux souffrants la soumission et la patience dont ils ont besoin, et aux grands il inspire la justice et la charité!

Le R. P. Lefebvre, S.J., missionnaire de la Maison de Retraites ouvrières, à Fayt-lez-Manage, présente au Congrès un rapport sur «la Sainte Eucharistie et les ouvriers».

Il préconise éloquemment l'œuvre des retraites pour ouvriers, et expose le fonctionnement de la maison de Fayt. Pendant les premières années, 1.498 hommes, parmi lesquels plus de 1.200 travailleurs manuels, ont profité du bienfait de la retraite de trois jours. Cela n'a été qu'un début. Une œuvre s'est fondée pour faciliter les retraites à de nombreuses équipes d'ouvriers en leur payant leur salaire de chômage, dans les maisons de retraite de Notre-Dame du Travail de Fayt et de Tronchiennes. Ces deux maisons voient leurs chambrettes de retraitants ouvriers remplies toutes les semaines. Une maison s'est ouverte à Arlon. Il s'en ouvrira prochainement à Liège et à Malines.

Les retraites opèrent une véritable révolution religieuse dans les cœurs des ouvriers. Ils font parfois des pas de géant dans la voie de la sainteté. Certains faits, racontés discrètement par l'orateur, en sont la preuve saisissante, ainsi que des exemples remarquables d'un aposto­lat exercé pas des ouvriers retraitants.

M. de Pellerin (de Nîmes) donne des détails fort intéressants sur le fonctionnement de l'adoration nocturne organisée par corps sociaux. Plusieurs corps de métiers et professions y prennent part. Les réunions ont lieu le lundi soir de 9 à 10 heures.

M. Helleputte, membre de la Chambre des représentants, se sent pénétré des sentiments d'une joie vive et d'une grande espérance: «Aucune des assemblées tenues récemment dans notre pays, dit-il, n'a été comparable à celle-ci. C'est un grand spectacle de voir ainsi l'homme se retourner vers Dieu dans un siècle qui semblait devoir assurer définitivement le triomphe du rationalisme.

«Nous sommes à l'aboutissement de l'effroyable déchirement commencé par la Réforme, poursuivi par la Révolution et que voudrait achever le Socialisme.

C'est à cette heure que nous voyons affirmée avec plus d'intensité que jamais l'adoration du vrai Dieu. Telle est la grande œuvre des Congrès eucharistiques».

L'orateur, après avoir évoqué en termes saisissants les belles fêtes eucharistiques des siècles passés, exprime l'espérance que l'avenir réserve à l'Eglise une histoire plus belle que toutes celles qui enrichirent ses annales. «Des Congrès comme celui-ci préparent admirablement le triomphe de Dieu; c'est dans des assemblées comme celle-ci que nous apportons les pierres qui serviront à la reconstitution du peuple belge».

Enfin, M. le comte Verspeyen (de Gand), rappelle avec combien de clairvoyance que Léon XIII, dans son Encyclique, a indiqué les remèdes typiques aux maux de notre temps. Et ces remèdes, il les a fait voir dans une plus grande effusion de la charité chrétienne. Cette charité chrétienne trouve son élément dans la dévotion envers la Sainte Eucharistie.

Dans les derniers temps de sa vie, le savant Taine, cherchant à se rendre raison du dévouement chrétien des ordres religieux, et notamment des Sœurs de Charité, reçut cette réponse: «Un quart d'heure de prière devant le Saint Sacrement les paie de tout et les fortifie contre tout». Taine ne comprit pas, mais le bon sens chrétien comprend cela. Il comprend que l'Eucharistie est à la base de toutes les vertus de notre société catholique. Riches et pauvres, patrons et ouvriers, pères, mères et enfants, ont fait l'expérience de cette vérité.

La communion est la plus forte assise de la société. Les progrès du socialisme sont en raison inverse des communions pascales.

L'orateur tire argument à ce point de vue du résultat des récentes élections allemandes. Il rappelle aussi un fait raconté par un vieux chroniqueur flamand: Au milieu d'une lutte civile à Gand, d'une querelle entre deux corporations, quand on veut en venir aux armes, un prêtre a l'idée sublime d'aller chercher le Saint Sacrement dans une église voisine et de l'apporter au milieu de la foule ameutée. Et cette foule, soudain apaisée, se jette à genoux devant jésus au Saint Sacrement. La paix était faite.

Il en sera de même sur le terrain des grandes luttes sociales, si toutes les classes se trouvent réunies dans un amour commun pour la Sainte Eucharistie et, par là, dans la charité mutuelle catholique.

Tel a été le caractère social du beau Congrès de Bruxelles, tant par ses éloquents discours que par la splendide démonstration qui l'a clôturé. Et je puis terminer le récit de mes impressions de Bruxelles par ces mots de M. Helleputte: «C'est dans des assemblées comme celle-ci que nous apportons les pierres qui serviront à la reconstruc­tion des nations chrétiennes».

A l'œuvre, chers lecteurs de la Chronique, favorisez les Congrès et les retraites où se forment les apôtres; développez vos associations, cercles, syndicats et caisses rurales, ce sont les pierres d'attente de la nouvelle société chrétienne. Arborez le drapeau national marqué du Sacré-Cœur. Un groupe de jeunes Dunkerquois le portait à la procession de Bruxelles, il représentait bien l'espoir de notre France.

La Chronique du Sud-Est, N. 7, juillet 1898, pp. 229-232.

LE PEUPLE ET LE PAPE

Ils vont venir les BEAUX JOURS, où le peuple et le Pape se rencontreront pour échanger leurs effusions de confiance et d'amour dans le pèlerinage ouvrier que prépare le bon M. Harmel.

Nous avons vu souvent le Pape. Il sourit, il s'anime quand on lui parle des questions auxquelles il s'intéresse le plus, comme les études supérieures et l'œuvre des missions. Il s'émeut quand on lui parle de la France, mais rien ne lui va tant à cœur que la pensée du peuple. Il fallait voir SA JOIE, quand M. Harmel lui proposa de renouveler les pèlerinages ouvriers. Il nous semblait entendre le Christ disant au peuple: «Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du labeur».

Le Christ et les petits, l'Eglise et les travailleurs, le Pape et le peuple, ce sont là des unions naturelles, spontanées, cimentées par la divine charité.

Ce n'est pas par politique, ce n'est pas dans un intérêt de parti que le Pape va au peuple, comme font les politiciens ambitieux et la petite église des francs-maçons. LE PAPE va au peuple, parce qu'il est le vicaire de Jésus-Christ, ouvrier de Nazareth, ami des ouvriers, des pauvres et des petits. LE PAPE VA AU PEUPLE, parce que la substance même de l'Evangile l'y porte et l'y conduit. Les Papes ont libéré les esclaves, ils ont favorisé la démocratie chrétienne du Moyen-Age et le régime corporatif. Ils sont essentiellement les amis du peuple.

La Renaissance et l'impiété rationaliste sont venues, et les ouvriers sont redevenus les esclaves du capital et de la machine.

Ah! chers ouvriers, ne vous laissez pas prendre au jeu hypocrite des loges maçonniques. La maçonnerie est une coterie de petits bourgeois qui s'arrangent pour tenir l'assiette au beurre. Ils aiment l'ouvrier comme leur patron Voltaire, qui disait: «Il est à propos que le peuple soit guidé, et non qu'il soit instruit; il n'est pas digne de l'être. - Il me paraît essentiel qu'il y ait des gueux ignorants. - Les idées d'égalité et d'indépendance et toutes ces chimères ne sont que ridicules. - On n'a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes…» (Lettres à Damilaville, à d'Alembert, etc.).

Si ces gens-là vous parlent de bienfaisance, regardez-les sous le masque, écoutez-les parler dans leurs cénacles intimes. Un de leurs maîtres appelle les maçons pauvres la lèpre hideuse de la maçonnerie française. (Bazot: Code des francs-maçons, p. 176). Un autre traite le maçon indigent de génie malfaisant. On lit dans leurs directoires: Ne recevez jamais dans l'Ordre que des hommes qui puissent vous présenter la main et non vous la tendre. (Ragon: Cours philosophique des initiations, p. 368).

Où sont LES ŒUVRES que la secte a fondées? L'un de ses membres désillusionné a écrit: Je suis obligé de constater combien cette congrégation laïque est, au point de vue philanthropique, inférieure aux congrégations catholiques qu'elle abomine, et dans lesquelles toutes les activités, toutes les forces et toutes les ressources sont consacrées au soulagement des misères (Copin­ Albancelli: La franc-maçonnerie et la question religieuse, p. 183).

L'œuvre maçonnique est essentiellement égoïste. La maçonnerie aime ce peuple comme le loup aime l'agneau, pour le croquer.

Et cependant ces gens sauront se dire les amis du peuple, quand l'intérêt de leur domination politique l'exigera. Les directions politi­ques et sociales du Pape les ont épouvantés, parce que la doctrine sociale de l'Evangile, mieux comprise, va gagner le peuple à la cause de l'Eglise qui est la sienne.

Ils ont avoué mélancoliquement le péril que leur fait courir la démocratie chrétienne. Ils se soucient de la république et de la démocratie comme de l'An Quarante. Ils sont républicains en France et monarchistes en Italie, pour ennuyer l'Eglise du Christ et faire leurs propres affaires.

Mais le mensonge et l'hypocrisie ne leur coûtent pas plus qu'à leurs patrons, Voltaire et Diderot. Ils ont donc pensé, depuis l'organisation de la démocratie chrétienne, qu'il fallait se mettre, du moins en paroles, à l'avant-garde des réformes sociales. Lisez le compte-rendu du Con­vent de 1897, vous y apprendrez que 52 loges contre 9 sont partisanes d'une législation sur le contrat et la réglementation du travail; que 52 loges contre 10, voudraient la participation aux bénéfices; 60 contre 4, l'arbitrage dans les grèves; 56 contre 6, le développement des libertés syndicales; 53 contre 8, la reconnaissance de la responsabilité du patron en cas d'accidents ou de maladie professionnelle; 53 contre 4, des institutions en vue du chômage; 57 contre 2, des mesures de prévoyance en vue de l'organisation des retraites.

Tout cela, chez eux, c'est une enseigne. Arrivés à la Chambre, ils n'en réaliseront rien. Les démocrates chrétiens ont rédigé, en s'inspi­rant des enseignements pontificaux, le programme social de l'Evangi­le, les francs-maçons voudraient se l'attribuer pour tirer les marrons du feu.

Pourquoi faut-il aussi que les hésitations de certains catholiques timorés et inconscients retardent notre marche?

Allons, chers ouvriers, employés, et vous tous qui avez une condition pénible et qui devez profiter des réformes sociales chrétien-nes, allez au Pape: la force et l'avenir sont là. Les politiciens vous leurrent. Le Pape est le réformateur consciencieux, convaincu, inébranlable dans sa foi.

Allez lui dire que vous êtes avec lui et que vous comptez sur lui.

Il faut que ce pélerinage d'octobre soit une GRANDE DEMONSTRA­TION. Patrons chrétiens, favorisez-le en y envoyant des représentants de vos usines et ateliers.

Il faut que les pèlerins en reviennent pénétrés de confiance et d'affection pour le Pape, et qu'au retour ils suivent carrément son programme, le programme de la démocratie chrétienne de Lyon, sans s'arrêter à quelques objections de détail.

Mieux présenté et défendu, ce programme nous eût valu aux élections dernières cinquante succès de plus. C'est partie remise. Allez à Rome, chers ouvriers, c'est un devoir du cœur; personne depuis des siècles n'a fait plus pour vous que Léon XIII. Il a préparé les réformes sociales qu'appellent la justice et la charité.

Allez à Rome, aux pieds de Léon XIII, nous vous y promettons les joies les meilleures et les plus pures de votre vie.

Le PAPE et le PEUPLE sont faits pour s'aimer; allez cimenter cette amitié.

La Chronique du Sud-Est, N. 8, août 1898, pp. 260-261.

AUX JEUNES GENS

En avant! - Avance! - C'était une devise chère à plusieurs maisons de preux chevaliers au Moyen Age.

En avant, France! - Avancez, jeunes gens! - Nous sommes en retard. Nous avons perdu du terrain, il faut nous rattraper.

Il était beau le mouvement des catholiques en France de 1871 à 1875! Vous n'avez pas vu les grands Congrès de l'Union des Œuvres à Reims, à Bordeaux, à Toulouse, à Lyon; les premiers Congrès de l'Œuvre des Cercles à Paris, le pèlerinage de 3.000 ouvriers à Liesse, la consécration de la France au Sacré-Cœur par 80 députés et une foule immense à Paray. C'était de l'enthousiasme, du délire, de l'espérance.

Les cercles et les patronages surgissaient partout. Les lois rendaient au Christ sa place dans l'enseignement et dans l'administration des œuvres de bienfaisance. Puis les divisions politiques sont venues tout ruiner: telle une gelée tardive détruit toute l'espérance du cultivateur qui se croyait déjà assuré d'une belle moisson.

La France était au premier rang du réveil catholique en Europe. Mais beaucoup de nos hommes d'action étaient conduits par deux mobiles réunis, le sentiment politique et le sentiment religieux, et quand les espérances royalistes furent déçues, ils s'arrêtèrent: tel un char attelé de deux chevaux ne marche plus quand un des deux coursiers est renversé. Et voilà 20 ans que nous traînons!

Les autres nations ont commencé après nous, mais combien elles nous devancent! Les catholiques règnent en Belgique. Ils ont couvert le pays d'associations bien unies. L'Allemagne a ses 100 députés du centre et sa fédération du Volksverein.

Le peuple d'Autriche a mis un catholique à la tête de sa capitale. L'Italie a fondé en un an, 1.700 comités paroissiaux et 150 caisses rurales.

Chez nous, où est la vie?

Elle est surtout chez vous, jeunes gens du Sud-Est. Quelques-unes des anciennes œuvres semblent hésitantes ou stationnaires; vous, vous agissez. Vous n'avez rien qui vous arrête. Vous n'avez pas de passé politique. Avec Léon XIII, vous acceptez la démocratie et vous voulez la rendre chrétienne. Quelle belle mission est la vôtre!

Vous êtes des apôtres. L'attachement de quelques hommes d'œu­vres aux anciens partis politiques stérilise leurs efforts; vous, vous êtes libres et le peuple vous suivra.

Dites au peuple que le socialisme est une utopie. L'homme a l'instinct de la propriété. On ne peut pas violenter la nature, elle reprend toujours le dessus. Dites au peuple que son relèvement doit se faire par la pratique de la justice et de la charité, dans la vie sociale comme dans la vie privée. Or l'Eglise est manifestement la seule force morale capable de faire triompher la justice.

La lutte sera dure. Il y a une terrible coalition des ennemis de l'Eglise qui manifeste aujourd'hui toute sa puissance. Mais les vrais Français auront bientôt le dégoût de ce ramassis d'étrangers qui obsèdent la France.

Courage, jeunes gens! Votre méthode est la seule vraie. Il ne faut pas compter sur de brusques retours d'opinion. L'apostolat est une œuvre de labeur et de temps. Etudiez, agissez, organisez-vous.

Ne voyez-vous pas comme les autres travaillent? Lisez leurs comptes rendus. Ils vont à la jeunesse. La ligue de l'enseignement, œuvre protestante et maçonnique, accuse en 1896, 403 patronages laïques, et 640 en 1897. Elle multiplie ce qu'elle appelle les œuvres postscolaires, les cours, projections, conférences, causeries, lectures, réunions d'anciens élèves, mutualités, etc. C'est le mot d'ordre.

Avec le concours du gouvernement, ils avaient organisé, en 1894, 8.000 cours d'adultes; en 1895, ils étaient à 15.000; en 1897, à 30.000. En 1894, ils ont donné 10.000 conférences populaires; en 1897, ils étaient à 97.000.

Il y a peut-être dans leurs chiffres un peu de vanterie; en tout cas, ils nous donnent une belle leçon de travail.

Vous êtes dans la voie, marchez. Il faut un petit groupe d'études dans chaque paroisse, c'est le point de départ. L'étude prépare à l'action. Apprenez à parler, à réfuter les sophismes qui courent les rues. Ayez votre programme de réformes économiques et sachez le justifier.

Quels pauvres catholiques sont ceux qui bornent leur foi et leur action à la vie privée! Vraiment ce ne sont pas des hommes.

Quel beau rôle est le vôtre! Etendez votre action, gagnez tout l'Est, tout le Midi et plus tard toute la France.

Organisez-vous. D'autres périodes électorales viendront. Votre chaude parole entraînera les foules. Votre droiture et votre loyauté gagneront les cœurs. Vous êtes notre espérance et vous serez notre salut.

La Chronique du Sud-Est, N. 9, septembre 1898, pp. 289-290.

SOYONS PRATIQUES

Je reviens encore de cette bonne Belgique, et les Belges me disaient avec beaucoup de charité: Vous autres, Français, vous parlez mieux que nous, mais vous n'agissez pas assez.

En vérité, ces chers voisins ont moins de rhétorique peut-être, mais ils ont sûrement plus d'activité, plus d'esprit de suite et d'organisation que nous. Ils ont subi moins que nous l'influence dissolvante de l'individualisme; ils sont restés plus corporatifs, plus démocrates que nous. Il reste chez eux quelque chose de l'esprit des vieilles communes et des ghildes de la Flandre. Nous autres, Français nous avons vite conçu et nous exposons brillamment dans les Congrès ce qu'il faut faire, puis nous rentrons dans nos foyers et rien ne se fait, ou peu de chose. Eux, ils agissent et réalisent ce qu'ils ont résolu.

Voyez ce qu'il en est de l'organisation rurale, qu'il faut opposer au socialisme envahissant. Voici deux ans que les meneurs du socialisme ont inauguré par un manifeste aux paysans, leur campagne de propagan­de rurale, qu'ils ont poursuivie avec acharnement par des conférences, des réunions de tout genre et toutes ces œuvres qui prennent l'enfant après l'école et le préparent à la vie civique. C'était pour nous le moment d'agir. Nous l'avons compris et nous l'avons dit bien haut, mais nous n'avons réalisé que quelques groupes d'études, quelques caisses rurales et syndicats agricoles.

Les catholiques belges ont fait les choses plus largement. Après avoir conclu qu'il fallait arriver à une organisation rurale catholique, ils ne sont pas restés les bras croisés. En deux ans, ils ont créé dans les campagnes trois mille associations agricoles. Ce n'est pas que chaque association communale ait déjà des œuvres effectives, syndicats, caisses de crédit, assurances, etc., mais elle a un groupe d'hommes de bonne volonté qui étudie, qui prépare les œuvres et qui met les agriculteurs en rapport avec les associations régionales qui peuvent leur être utiles.

Les œuvres sont généralement centralisées par cantons. Au sein de cette union cantonale viennent se grouper les assurances mutuelles, les sociétés de retraite, les assurances du bétail, etc. L'union se prête à l'organisation des syndicats locaux, des caisses de crédit, de l'achat des machines.

La Ligue agricole régionale se tient à la disposition de tous pour préparer la création d'œuvres nouvelles; elle fournit non seulement des renseignements pratiques, mais des propagandistes. Il est évident qu'avec de pareils moyens, les hésitations tombent et l'organisation des œuvres se poursuit rapidement.

Chers jeunes gens du Sud-Est, vous le disiez fort bien dans le beau rapport de M. de Reulle à votre réunion du 25 septembre: «Trompé par des hommes de mauvaise foi, le peuple s'est habitué à regarder les catholiques comme des égoïstes qui ne recherchent que leur bien-être personnel au détriment de la classe ouvrière. Ce sont ces préventions qu'il faut dissiper…».

Oui, mais nos paroles n'y suffiront pas. Il faut des actes. Le peuple des campagnes est simple et pratique. Il a plutôt de la défiance que de l'enthousiasme pour la rhétorique. Rendons-lui des services. Faisons des œuvres.

Voyez la ligue agricole de Gand, elle peut énumérer avec fierté les œuvres qu'elle a fondées ou patronnées dans la Flandre orientale: 1° Assurances contre l'incendie; 2° assurances contre la grêle; 3° assurances mutuelles contre la vie; 4° assurances mutuelles contre les accidents; 5° caisses de prévoyance pour les victimes du travail; 6° syndicat d'élevage; 7° caisses de maladie; 8° caisses de pensions; 9° caisses Raffeissen; 10° assurance des bêtes à corne; 11° assurance des chevaux; 12° assurance des porcs; 13° laiteries coopératives; 14° distilleries coopératives; 15° marchés pour semences d'automne et de printemps; 16° achat en commun de semences et d'aliments du bétail; 17° réassurances; 18° consultations gratuites pour les membres de la Ligue; 19° achat de petits domaines agricoles et d'habitations ouvrières; 20° Ligue des Franschmans, tâcherons qui vont faire la moisson en France.

Voilà qui est travailler!

La Ligue a son bulletin périodique et son almanach, et combien pratique! L'almanach signale à propos de chaque question (syndicats, assurances, caisses de crédit, etc.), les noms de personnes compétentes et dévouées qui s'offrent à donner tous les renseignements désirables.

Que nous manque-t-il pour faire aussi bien? l'organisation prati­que. Les hommes compétents et dévoués ne nous font pas défaut. N'avons-nous pas les Durand à Lyon, le Milcent dans le jura, les Fontan à Tarbes, les de Bizemont dans le Nord, etc., etc.? Mais nous ne les mettons pas assez en vue.

La France a bien son parti agraire, mais il en est encore aux essais et il n'a pas assez rendu de services. Elle a aussi son Union centrale des agriculteurs de France qui groupe environ 1500 syndicats. L'Union a une action politique sérieuse. Elle ne descend pas encore assez à la création des œuvres locales. L'office du travail a donné la statistique de ses œuvres, quelques champs d'expériences, sociétés de crédit et caisses de secours, rien encore pour le salarié, pas d'assurances pour la retraite et contre les maladies et les accidents.

Soyons pratiques. Jeunes gens du Sud-Est, vous avez produit une magnifique floraison de réunions d'études. Poussez aussi aux œuvres pratiques. Fondez des associations agricoles communales et mettez-les en relations avec les œuvres existantes et avec les personnes com­pétentes et peu à peu le reste se fera.

Est-il donc difficile d'amener trois ou quatre agriculteurs à se voir tous les quinze jours ou tous les mois pour s'entretenir des œuvres qu'on pourrait faire et du parti qu'on pourrait en tirer, voire même du profit qu'il y aurait à s'affilier simplement à un syndicat de la région?

Essayez et vous réussirez. Vous l'avez dit, le peuple a des préventions contre les catholiques. Il pense que nous n'avons nul souci de ses intérêts temporels. Prouvez-lui le contraire par vos œuvres. La charité ne lui suffit pas, il demande la justice et la charité sociales, et il a raison.

La Chronique du Sud-Est, N. 10, octobre 1898, pp. 315-317.

COMMENT REFAIRE
UNE SOCIETE CHRETIENNE?

Conférence faites a Rome en 1897 et 1898

Série de 23 articles publiés en livraisons dans Le Règne du Cœur de jésus dans le s âmes et dans les sociétés: octobre 1898, pp. 493-503; novembre 1898, pp. 529-537; décembre 1898, pp. 586-599; janvier 1899, pp. 6-17; février 1899, pp. 53-64; mars 1899, pp. 115-122; avril 1899, pp. 170-177; mai 1899, pp. 209-216; juin 1899, pp. 263-273; août 1899, pp. 402-407; septembre 1899, pp. 417-423; octobre 1899, pp. 484-494; novembre 1899, pp. 554-563; décembre 1899, pp. 598-612; février 1900, pp. 53-61; mars 1900, pp. 114-122; avril 1900, pp. 167-182; mai 1900, pp. 219-230; juin 1900, pp. 265-277; juillet 1900, 313-327; août 1900, pp. 369-384; septembre 1900, pp. 422-435; octobre 1900, pp. 487-493.

Ils ont été réunis en volume, augmentés d'une neuvième conférence et publiés en 1900 sous le titre La Rénovation sociale chrétienne, voir Œuvres sociales, vol. IIIe, pp. 177-376.

Cette action sociale s'accentue et elle ira grandissant. Il y a un mois, on essayait en Angleterre une réunion générale des Tertiaires à Liverpool, et les enfants de saint François unis par le lien du Tiers-Ordre, étaient tout étonnés de se trouver là des milliers. Le succès du congrès dépassait toutes les espérances. Il comptait des évêques, des prêtres, des catholiques de tous rangs et de toutes conditions.

François d'Assise, par sa physionomie si supra-terrestre, est un séducteur. Il tient de Jean-Baptiste par la pauvreté et l'austérité, du roi David par son âme de poète, du Christ lui-même par sa charité. Bien des Anglais ont déclaré qu'ils avaient été ramenés du protestan­tisme au catholicisme par l'attrait du Séraphin d'Assise.

Léon XIII est un amant passionné de François d'Assise. Voilà dix fois qu'il essaie de jeter tous les catholiques zélés, tous les catholiques avides d'une réforme sociale dans les bras du patriarche séraphin. Le Tiers-Ordre, nous dit-il, est le remède par excellence au malaise social actuel. Il contient tous les éléments de la réforme nécessaire. Le mal est venu d'un affaiblissement de l'esprit chrétien, le Tiers-Ordre n'est pas autre chose qu'une forme de vie chrétienne à haute dose. Les principaux facteurs du désordre social sont la passion de la richesse et l'égoïsme. Le Tiers-Ordre a pour règles la simplicité, la modération des désirs, la charité, la solidarité, la justice.

Mettez dans toutes nos villes quelques groupes de vrais tertiaires, il seront le sel de la terre, le paratonnerre contre les orages des luttes sociales. Ils sèmeront dans la vie sociale un levain de charité, de justice, de solidarité.

Les Tertiaires anglais sont des catholiques jeunes, ardents, prêts à se donner à toutes les bonnes œuvres, aussi ont-ils accpté avec empresse­ment les conseils de Léon XIII. Ils veulent aider à la paix sociale, non seulement en semant l'esprit de charité et de simplicité, mais encore par l'organisation de leurs Fraternités.

Celles-ci deviendront un foyer d'œuvres. On s'y entendra pour prendre l'initiative des associations corporatives et des institutions d'assistance mutuelle ou pour donner son concours à celles qui existeraient déjà. C'est absolument ce que Léon XIII désire et ce qu'il voudrait voir se réaliser partout.

N'avez-vous pas lu la dernière lettre que le Pape adressa aux Franciscains et qui a été reproduite par les journaux? Le Pape revient encore sur la mission sociale de St François et de son Ordre. Il rappelle que le XIIe siècle ressemblait au nôtre, siècle de grand développement commercial, mais aussi siècle de troubles civils, de relâchement religieux, de passion pour la richesse et d'oppression des faibles par les puissants.

Dieu suscita François d'Assise qui rétablit la paix sociale par l'institution du Tiers-Ordre en faisant renaître la simplicité des mœurs et la vivacité de la foi, et en donnant aux opprimés la force de l'union et de la solidarité pour s'affranchir des abus féodaux et du chancre de l'usure.

Léon XIII encourage à nouveau les religieux de l'Ordre franciscain à se faire les amis et les conseillers du peuple, à l'exemple des François d'Assise, des Antoine de Padoue, des Bernardin de Sienne; et il insiste sur le développement à donner au Tiers-Ordre pour réaliser la réforme sociale si désirée.

Nous désirons vivement, leur dit-il, que votre vertu franchisse les murs de vos cellules et se répande au loin pour le bien commun. François d'Assise et ses disciples les plus éminents se sont consacrés tout entiers au peuple. L'heure est venue de reprendre cette règle de conduite. Plus que jamais, c'est sur le peuple que repose en grande partie le salut des Etats. Etudiez de près la multitude, qui est si souvent en proie non seulement à la pauvreté et aux durs labeurs, mais encore à toutes sortes de pièges et de dangers. Aidez-la avec amour par vos enseignements, vos conseils, vos consolations.

Le Tiers-Ordre doit être l'instrument de votre apostolat. Comme autrefois, il contribuera à faire régner la paix, la concorde, le calme. Son action sera d'autant plus efficace qu'il comptera un plus grand nombre de chefs et d'auxiliaires zélés, capables d'agir par la presse, par les réunions, par les œuvres de tout genre.

Chers jeunes gens du Sud-Est, ne pensez-vous pas que des appels si fréquents et si pressants de Léon XIII méritent une attention particulière? Je sais bien que vous êtes déjà membres de beaucoup de bonnes associations, mais Léon XIII n'a pas choisi pour remédier aux maux actuels la congrégation de la Ste Vierge, le Tiers-Ordre de St Dominique, ou quelque autre œuvre de ce genre, mais le Tiers-Ordre franciscain. Il ne cesse de nous le répéter en insistant toujours davantage.

Nous étions habitués en France à regarder le Tiers-Ordre comme une association de pure dévotion, il faut revenir de ce préjugé. Ce que veut Léon XIII, et ce qui est conforme à l'esprit vrai du Tiers-Ordre, ce sont des fraternités d'hommes jeunes et actifs, comme celles qui, au Mlle siècle, ont tant contribué à l'élévation populaire, au développe­ment des corporations et des communes. Le christianisme purement privé et personnel est un christianisme faux ou tout au moins gravement incomplet. Nous devons être des chrétiens sociaux, qui fassent régner le Christ, dans la vie sociale comme dans la vie privée, et le Tiers-Ordre doit y aider.

A l'œuvre donc, avec l'aide des curés de paroisses qui seront heureux de vous prêter leur concours, initiez au Tiers-Ordre l'élite de vos groupes et vous aurez là un foyer d'action merveilleux. Marchez en tout avec le Pape et vous serez bénis.

La Chronique du Sud-Est, N. 11, novembre 1898, pp. 345-347.

ACTION CATHOLIQUE

SUBSTANCE ANCIENNE, FORMES NOUVELLES

Tel est le titre que donnait dernièrement à un grand sermon de charité un des prédicateurs les plus aimés de Rome, le P. Semeria, barnabite.

L'action sociale catholique est aussi ancienne que l'Eglise elle­même, quant à la substance, mais sa forme se renouvelle suivant les temps et les besoins.

Le Christ a déposé dans l'Evangile un levain, une sève de justice, de pitié et de charité, qui agite et vivifie toutes les âmes sacerdotales et chrétiennes.

Saint Paul donne l'exemple du travail, il inaugure la libération des esclaves en délivrant Onésime, il quête dans les riches cités de la Grèce pour les chrétiens pauvres de Palestine. C'est déjà l'action sociale.

Les apôtres chargent les diacres du soin des pauvres.

Les premiers Pontifes de Rome fondent les diaconies, pour le service de tous les déshérités. Les églises diaconales sont une des grandes institutions de la Rome chrétienne. Elles en sont comme les paroisses temporelles à côté des paroisses spirituelles. Du IVe au Xe siècle, les diaconies sont les bureaux de charité de Rome. On y compte seize églises diaconales qui se partagent les quartiers populaires. Le clergé de ces églises pourvoit à toutes les œuvres de miséricorde et à tous les besoins de ceux qui souffrent. Il secourt les pauvres, il visite les malades, il console et rachète les esclaves, il organise le travail. C'est une des plus belles manifestations de la vie du Christ dans l'Eglise.

De mon logis où j'écris ces lignes, sur la pente du Capitole, en vue des ruines de la Rome païenne, j'aperçois plusieurs de ces églises diaconales: Saint-Adrien, Saint-Césaire, Sainte-Marie in Dominica, les Saints Côme et Damien. D'autres sont tout aussi proches sans que je les puisse voir.

Quel contraste entre l'âge païen et l'âge chrétien! De celui-là il reste des théâtres, des bains, les marchés où se vendaient les esclaves, les ergastula où ils gémissaient dans l'oppression, les amphithéâtres où les prisonniers de guerre devenaient la proie des fauves, la voie triompha­le où les vaincus étaient traînés derrière les chars des vainqueurs, les gémonies où ils étaient jetés à l'égout.

De l'âge chrétien, il reste ces diaconies, symboles de charité, de pitié, de liberté.

Là étaient concentrées toutes les œuvres. Léon XIII veut remettre en lumière cette grande action des diaconies, et il offre une médaille d'or au concours de la Société archéologique de Rome pour le meilleur ouvrage qui sera publié d'ici deux ans, sur l'œuvre des diaconies du IVe au Xe siècle.

Substance ancienne, formes nouvelles: Après le Xe siècle, les Corporations se substituent peu à peu aux diaconies. Elles ont leurs caisses de secours, leurs orphelinats, leurs hospices, leurs conseils d'arbitrage et une organisation complète du travail. Les diaconies restent comme un souvenir glorieux et comme un titre d'honneur de l'Eglise. Elles ont toujours à leur tête un cardinal-diacre, mais il n'a plus les mêmes fonctions qu'autrefois.

Les Corporations, avec toutes les œuvres connexes, ont suffi aux besoins de la société chrétienne pendant de longs siècles. Dès qu'elles ont été entravées dans leur libre épanouissement par le pouvoir royal, la misère a relevé la tête et il a fallu des œuvres nouvelles. Saint Vincent de Paul est venu le premier avec ses conférences de charité. Puis, dans ce XIXe siècle, après que la passion d'innover eut achevé de détruire toutes les institutions du passé, il a fallu tout reconstituer. On s'essaie, on tâtonne, on fonde les congrégations, les conférences de saint Vincent de Paul, les patronages, les cercles, les syndicats, les caisses rurales. On s'agite et on agit. Mettez l'Eglise en face d'une misère quelconque, elle agira toujours. Elle adaptera son action au temps présent: Substance ancienne, formes nouvelles.

Le peuple chrétien se reposait trop, dans les derniers siècles, sur l'action de la monarchie et de l'aristocratie. Ces institutions ont manqué en partie à leur mission. Le peuple se ressaisit et veut agir par lui-même. C'est un réveil de la démocratie, qui avait donné un si bel essor à toutes les branches de la vie chrétienne par l'organisation des Communes et des Corporations, par la vie provinciale et l'initiative des Universités.

La démocratie, à son tour, pourrait avoir ses excès. Celui qui a mission pour maintenir dans la bonne voie la vie sociale comme la vie privée, le Pape, avertit la démocratie qu'elle doit être sincèrement chrétienne ou bien qu'elle sera comme les autres institutions dans leurs excès, un instrument de tyrannie et d'oppression. Elle doit être chrétienne, c'est-à-dire elle doit être humble, charitable et juste. Elle ne doit pas s'exalter jusqu'à l'ivresse. Elle doit rendre justice aux institutions du passé et reconnaître leurs bienfaits tout en blâmant leurs excès. Elle doit respecter l'action patronale, là surtout où elle s'exerce chrétiennement.

La vraie démocratie chrétienne doit se manifester par les œuvres plus que par les paroles. Sans doute, elle peut et doit avoir ses docteurs et ses conseillers. Elle a besoin d'hommes d'études, mais elle n'a pas moins besoin d'hommes d'œuvres. Des hommes comme l'abbé Cerutti, le grand propagateur des caisses rurales en Italie; Kolping en Allemagne; MM. Fontan et Durand en France, font honneur à la démocratie chrétienne, aussi bien que ses docteurs, les Manning, les Décurtins, les Toniolo et tant d'autres.

Chers jeunes gens des groupes du Sud-Est, vous êtes un des rameaux les plus vivaces de cette démocratie chrétienne. Recevez nos félicitations et nos meilleurs vœux. Que ce rameau, dans l'année qui commence, avec un feuillage puissant et des fleurs brillantes, nous donne aussi des fruits abondants. Le feuillage et les fleurs, c'est l'intensité de vos études, c'est l'éloquence de vos réunions. Les fruits, ce sont les œuvres. Dans vos résolutions de janvier, inscrivez quelques œuvres à fonder ou à développer: œuvres de presse, caisses rurales, mutualités, associations agricoles, fraternités du Tiers-Ordre.

Des fruits! des fruits! Si vous ne produisez que fleurs et feuillages, vous aurez médiocrement mérité de la démocratie chrétienne et vous aurez presque perdu votre année.

La Chronique du Sud-Est, N. 12, décembre 1898, pp. 380-381.

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