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LA CONSECRATION AU S. CŒUR
ET LE REGNE SOCIAL DU CHRIST

Redisons-le encore, l'hommage au Sacré-Cœur demandé par le Pape n'était pas simplement un acte de dévotion. C'est un grand acte social, une réparation de l'hérésie gallicane et de l'apostasie des nations. Ce grand acte est connexe avec tous les efforts des Souverains Pontifes en ce siècle pour maintenir ou pour relever le règne social de Jésus-Christ.

Qui l'ignore? Le XIXe siècle de l'ère du Christ a été témoin d'une explosion de blasphèmes contre la divinité du Sauveur. De tout temps il y a eu des incrédules, des impies; mais jusqu'à l'aurore de ce siècle, en dehors d'un nombre limité de prétendus savants ou d'hommes mondains, libertins de la pensée ou libertins de mœurs, les peuples régénérés par le Christ continuaient de le reconnaître et de l'adorer: les lois, les institutions sociales, la magistrature, l'éducation, tout était imprégné de foi, de religion. La Révolution française, en proclamant le divorce entre l'Eglise et l'Etat, introduisit une licence que les siècles précédents n'avaient point connue, et qui, malgré le zèle du clergé, porta de tristes fruits dans les pays catholiques.

Jamais les vicaires de Jésus-Christ n'ont cessé d'élever des protesta­tions contre l'esprit d'indifférence religieuse et de prétendue neutralité de l'Etat, contre le faux libéralisme qui se glissait dans la législation, dans l'enseignement et jusque dans l'éducation primaire.

Depuis Pie VI, victime de la Révolution française jusqu'à Pie IX et Léon XIII, victimes de la révolution italienne, le chef de l'Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique, a toujours tenu le même enseignement. L'égalité des cultes, décrétée par la Constituante, avait dit Pie VI, ne tend qu'à détruire la religion catholique (bref Chantas 13 avril 1791); son successeur tint le même langage et condamna de ce chef l'éducation neutre (Diu satis videmur, 15 mai 1800) dont l'Etat prenait le monopole; il prévenait (Post tam diuturnas, 29 avril 1814) la Restauration des dangers qui la menaçaient si elle ne rompait avec les libéraux. Léon XII (Ut primum, 3 mai 1824) condamna la secte libérale qui sous le couvert de la liberté détruisait l'esprit chrétien. Pie VIII (Tradite humilitati, 24 mai 1829), Grégoire XVI et Pie IX ne cessèrent de protester devant le monde entier contre la violation des droits de Jésus-Christ. (L'encyclique Quanta cura et le Syllabus provo­quèrent, on s'en souvient, la rage des libéraux).

Dans son encyclique contre le socialisme, Léon XIII, à son tour, pressait les représentants du pouvoir civil de pacifier les esprits en favorisant le retour aux institutions chrétiennes: «Qui veut régénérer une société en dissolution, doit la ramener à ses origines; or, c'est Jésus-Christ qui a été le principe des biens dont elle a joui, et comme tout est parti de lui, tout doit être ramené à lui… Si la société doit être guérie, elle ne le sera qu'en revenant à la vie et aux maximes du christianisme». Dans la plupart de ses encycliques, il insiste sur la même idée. «Sans le Christ, les générations se perdront dans un déluge de désordres, et l'athéisme avec ses funestes suites s'établira dans nos pays chrétiens, ruinant avec la religion toute civilisation véritable; les progrès des sciences, élevant le cœur de l'homme, le rendront plus orgueilleux, et ce que les sciences introduiront de progrès matériel ne servira qu'à augmenter la misère morale».

Aujourd'hui, sur le déclin d'un siècle où tant de fois le Saint-Siège a opposé l'affirmation des droits de Jésus-Christ aux négations de l'impiété et aux concessions des hommes d'Etat, le Souverain Pontife fait un appel à l'univers entier. Ce ne sont pas seulement les catholiques, ce sont les chrétiens, séparés par le schisme ou l'erreur, ce sont les infidèles qui ne reconnaissent pas la divinité du Sauveur, c'est le monde entier que le Pape veut mettre aux pieds de Jésus-Christ. Rappelons ces lignes du document pontifical:

«Ce grandiose et suprême hommage de dévouement et de piété est tout à fait dû à Jésus-Christ, comme au Souverain Seigneur et Maître. En effet, son empire ne se borne pas aux 'nations de nom chrétien, ni même à tous ceux qui, dûment baptisés, appartiennent de droit à l'Eglise, bien que des erreurs de doctrine les engagent hors de la voie ou que des dissensions les isolent de la charité; il s'étend encore à tous ceux qui vivent étrangers à la foi chrétienne; de sorte qu'en toute vérité l'universalité du genre humain est sous le pouvoir de Jésus­Christ».

«Cette consécration, dit le Saint-Père, sera pour les Etats le gage d'une situation meilleure. Elle peut en effet renouer ou resserrer les liens qui, en vertu même de la nature, unissent à Dieu les sociétés… C'est à Jésus-Christ qu'il faut recourir, à Lui qui est la voie, la vérité et la vie. L'on s'est égaré: il faut reprendre la voie; les ténèbres se sont

épaissies dans les intelligences: il faut que la lumière de la vérité dissipe cette obscurité; la mort est maîtresse, il faut s'attacher à la vie. Alors enfin, il sera loisible de guérir tant de blessures; alors le droit refleurira, on pourra espérer lui voir reprendre son ancienne autorité; la paix sera rétablie avec son épanouissement; le glaive, les armes tomberont des mains, lorsque tous accepteront avec joie l'empire du Christ, lorsque tous Lui obéiront et que toute langue confessera que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père».

Jamais, nous semble-t-il, le Pape, le Père des fidèles, le Représen­tant et le Vicaire de Jésus-Christ, dont le règne n'aura point de fin, n'a parlé un langage plus magnifique, plus digne de la haute puissance qui lui est communiquée par le Christ. C'est comme chef d'une Eglise qui veut embrasser le monde entier, que Léon XIII élève sa grande voix. Et, à la fin d'un siècle si audacieux dans ses négations, si méprisant dans ses blasphèmes, il convenait d'offrir cette réparation au divin Médiateur, au Cœur doux et humble du Sauveur du monde.

Tout ce siècle a dit: Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous. Le Pape lui répond: «Regardez le Cœur de votre Roi. Il a conquis à nouveau en mourant pour vous la royauté qu'il avait déjà par sa divinité. Laissez parler vos cœurs et vous reconnaîtrez sa royauté divine sur les nations».

Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, octobre 1899; pp. 507-510.

ENSEIGNEMENTS DE ROME

LE PROLETARIAT

Rome, 5 novembre

Malgré les bouderies de quelques braves gens arriérés, l'action sociale de l'Eglise se relèvera. Léon XIII a tué le gallicanisme par la logique puissante de son Encyclique: Rerum novarum.

Il n'y a plus à tergiverser, en France et ailleurs, pour initier le clergé et les hommes d'œuvres à cette action sociale. Rome donne l'exemple. Ce n'était pas une petite affaire d'introduire un enseignement nouveau dans les facultés de la ville traditionnelle par excellence. Et puis les cours sont si chargés! On a commencé par des conférences données aux étudiants ecclésiastiques et autres, en dehors des cours réguliers, par le professeur Toniolo et par d'autres, sous les auspices et la bénédiction du Saint-Père.

Les Dominicains ont commencé l'enseignement social sous le titre de Droit naturel et politique. Les Franciscains, en leur université de Saint-Bonaventure, ont des conférences sociales. Les jésuites ont pensé à des cours spéciaux aux jours de congé. Ils se sont arrêtés à ce moyen terme: ils ont publié un manuel social écrit par un de leurs professeurs les plus éminents, le Révérend Père Biederlack. Ce religieux a longtemps enseigné à Innsbrück et il connaît à fond les publications et les œuvres des catholiques sociaux d'Allemagne. Il avait déjà publié à Innsbrück un manuel social en Allemand: Sociale Frage. Il vient d'en donner une édition augmentée, en italien, pour initier à ces questions sociales les nombreux élèves de l'Université grégorienne. Il est temps que tous nos séminaires suivent l'exemple donné par Rome.

Le P. Biederlack divise son volume en deux parties. Partie générale: exposé de la question sociale, réfutation du libéralisme économique et du socialisme, théorie chrétienne de la société. Partie spéciale: question agraire, question ouvrière, crise de la petite industrie, crise commerciale.

Ce que l'auteur entend par question ouvrière, c'est la question du prolétariat. Le mot prolétariat est romain et le mal a sévi à Rome avant l'ère chrétienne. Le néo-paganisme a ramené. l'ancien malaise social.

On appelait prolétaires à Rome (de Proles, race) les citoyens dénués de tout patrimoine, réduits à vivre au jour le jour et bons tout au plus à donner des rejetons à la patrie.

Ils devinrent très nombreux à la fin de la République: soldats libérés et dégoûtés du travail, artisans entraînés à l'oisiveté par les fêtes interminables que donnaient les généraux vainqueurs, les préteurs et les proconsuls enrichis aux dépens des provinces et des peuples conquis. Les prolétaires de Rome sont les pères du socialisme. Les Gracques essayèrent de les apaiser en faisant voter les lois agraire et frumentaire. Par la première, on leur offrait dans les provinces des lots de terre de trente arpents, aux dépens des grands propriétaires; par la seconde, on leur donnait des distributions gratuites de pain. Mais on ne décrète pas des agriculteurs et les distributions de pain ne peuvent être qu'un palliatif temporaire.

Un immense prolétariat se reforme chez nous. Les causes, dit le Père Biederlack, sont: la politique du laisser faire de la part des législateurs, le machinisme et les inventions nouvelles, l'abus de la liberté par les employeurs et les commerçants, la concurrence effrénée, l'oubli des lois morales et du droit naturel dans l'organisation de l'industrie.

Nous ne suivrons pas aujourd'hui l'auteur dans ses développe­ments.

Il étudie ensuite les remèdes à opposer au mal et il commence par établir que tous les remèdes doivent tendre à faire sortir les ouvriers du prolétariat. Le mal, c'est le prolétariat. C'est un état contre nature. Il y aura toujours quelques prolétaires; mais, qu'il y en ait un grand nombre, c'est contraire aux desseins de la Providence, c'est contraire, surtout à l'esprit chrétien et cela constitue un péril social incessant. Dieu n'a pas voulu qu'il y ait quelques grosses fortunes et à côté de cela une multitude torturée par les difficultés de la vie quotidienne et par l'incertitude du lendemain.

Aussi Léon XIII, dans l'Encyclique, rappelle aux législateurs le devoir qu'ils ont de favoriser la petite propriété. Si les travailleurs ont un modeste patrimoine, soit en terre, soit en dépôts d'épargne, la classe moyenne se multipliera, les extrêmes se rapprochant et la crise sociale sera conjurée.

Mais comment favoriser ce relèvement? Il faut rappeler aux employeurs les lois morales et les droits que la nature réserve aux travailleurs. Les lois doivent protéger les ouvriers, régler le temps du travail, le repos périodique et les conditions du salaire. L'inspection des usines doit être sérieusement organisée. Il faut pourvoir aux assurances ouvrières, favoriser les syndicats, les associations ouvrières et réclamer les Chambres de travail. Ce sont là toutes les revendica­tions quotidiennes de la démocratie chrétienne.

L'initiative privée doit procurer le développement des institutions sociales de bienfaisance ou de moralisation: maisons ouvrières, hôtelleries, caisses de secours, ligues antialcooliques, écoles ménagères, cercles, patronages, asiles, écoles professionnelles, confréries, etc.

Quel beau champ d'action pour les catholiques! mais ne perdons pas de vue le but de nos efforts; il faut relever la condition des ouvriers et les faire sortir du prolétariat. L'œuvre présente un intérêt social immense et urgent. Les catholiques doivent y contribuer parce qu'ils aiment la justice et la charité; les conservateurs, parce qu'ils ont à craindre de revoir les guerres sociales que Rome a connues.

Les moyens à prendre sont nombreux. Travaillez, chers jeunes gens de nos comités, apportez tous votre pierre à la reconstruction de l'èdifice social. Vous étudiez le droit social et vous le préconisez dans vos conférences, vous favorisez toutes les associations ouvrières, les syndicats, les caisses de crédit, les cercles d'études. C'est bien, agissez sans mollesse et sans perdre de temps.

Demandez partout des écoles ménagères pour les filles, des cours professionnels pour les jeunes gens. Organisez des leçons régulières d'économie chrétienne. Dans les périodes de propagande électorale, imposez aux candidats un programme de réformes sociales.

Vous savez que le Christ tient pour fait à lui-même ce qu'on fait à ses pauvres. Plus tard, il vous dira: «Venez et soyez bénis: dans la personne de mes chers ouvriers, j'étais dans la condition humiliante et douloureuse des prolétaires, et vous m'avez relevé».

Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, novembre 1899; pp. 536-541.

LE PELERINAGE DE LA DEMOCRATIE CHRETIENNE A ROME

Le Saint-Père s'est montré encore bien paternel pour nos pèlerins ouvriers. Il a rappelé son désir, cent fois exprimé, de contribuer au relèvement moral et matériel des travailleurs. Il a témoigné une tendresse particulière au bon père, M. Léon Harmel, l'apôtre des ouvriers. Enfin, il a de nouveau supplié les catholiques français de consoler sa vieillesse par leur union dans la lutte contre les sectes impies.

A l'occasion de ce pèlerinage, on a pu voir que le terme de démocratie chrétienne est entré dans le langage courant de l'Eglise. Les cardinaux qui ont assisté aux réunions des pèlerins ont tous salué en eux les représentants de la démocratie chrétienne.

Le cardinal Jacobini a conclu son discours par ces paroles:

«Chers amis, rentrez en France comme les champions de la vérité et les prêcheurs de la démocratie chrétienne, qui doit conduire peuples et nations au degré auquel les avait déjà élevés le christianisme».

Le cardinal Ferrata a dit à son tour: «Mes chers amis, en me séparant avec regret de vous, je prie Dieu de rendre votre pèlerinage à Rome largement fécond pour vous et pour vos concitoyens, et il en sera ainsi si, à votre retour, vous montrez à tout le monde, par vos paroles, par vos actes et par votre conduite, que vous êtes des ouvriers vraiment chrétiens. N'oubliez jamais que la caractéristique nécessaire d'une démocratie, son élément indispensable de fondation et de prospérité, c'est la vertu».

S. Em. le cardinal Cretoni a prononcé un discours qui peut être considéré comme un programme de la démocratie chrétienne.

«Je suis heureux, a-t-il dit, de saluer ces modèles accomplis de la véritable démocratie chrétienne, qui, avec un esprit d'abnégation et de sacrifice au-dessus de tout éloge, avec un zèle aussi actif qu'intelligent et avec une persévérance que rien ne lasse, continuent à réaliser ces pieuses croisades des travailleurs».

La Démocratie chrétienne, N. 7, novembre 1899; p. 437.

LA GRANDE ENNEMIE

LA FRANC-MAÇONNERIE A ROME

C'est à Rome même que la franc-maçonnerie a établi son pouvoir central, on le sait. Un rapport présenté par l'Orateur du jubilé de la loge Universo et publié par la Rivista massonica (nov. déc. 1898), nous révèle toute la gravité de cet apostolat satanique.

Nous allons donner l'analyse de ce rapport avec quelques réflexions qu'il provoque.

Transférée de Florence à Rome, la loge voulut «grouper les forces, discipliner les énergies, les rassembler, les guider d'une main ferme et d'un vif élan à la conquête des nouveaux horizons».

Dans ce but, le 28 avril 1872, s'ouvrait à Rome une constituante maçonnique, qui démolit les autres loges, trop anémiques, pour ne laisser subsister que «l'Universo».

Dès lors, les F. ont consacré tous leurs effort à certaines œuvres, ainsi définies par notre orateur.

«1° Promouvoir, favoriser, protéger dans le monde profane toute espèce d'agitations en vue d'arracher au gouvernement les innova­tions et les réformes législatives, que requièrent l'esprit du temps et le péril toujours imminent du Vatican.

2° Promouvoir une agitation très vive pour l'abolition des corpora­tions religieuses, avec des réunions populaires et des démonstrations dans la rue.

3° Commencer les études et les travaux nécessaires pour la réforme du code civil, par l'institution du divorce. - Faute de mieux, on discute en ce moment la préséance du mariage civil sur le mariage religieux, et la solution maçonnique est en bonne voie, grâce aux concours des frères qui composent le ministère et remplissent le Sénat et la Chambre.

4° Commencer et mener à bonne fin une enquête détaillée sur les Œuvres pies, en formulant des vœux et des projets de loi. - Cette action aboutit à la loi du 17 juillet 1890, qui a laïcisé les ressources accumulées par la charité des catholiques; depuis lors les bureaux de bienfaisance qu'on appelle ici «congrégations de charité» sont devenus le pays de Cocagne où se casent et s'enrichissent les frères et amis.

5° Etablir les règles que doivent suivre les francs-maçons dans les élections politiques.

6° Travailler à s'assurer pour toujours la possession du conseil municipal de Rome».

En même temps qu'elle s'appliquait à réaliser le programme d'où la politique est absolument bannie, comme on le voit, la franc­maçonnerie s'est payé de temps en temps le plaisir de triompher publiquement et bruyamment dans les rues de Rome.

Notre orateur rappelle les fêtes en l'honneur de Mazzini, le 17 mars 1872, «où pour la première fois fut salué avec enthousiasme, dans les rues de Rome, le drapeau vert» de l'ordre. Le 3 mai 1878, célébration du centenaire de Voltaire; puis érection de monuments dans le Campo-Santo, à Mazzini et à Macchi; sur le Pincio, aux frères Cairoli; par-dessus tout, le 9 juin 1889, l'exaltation de Giordano Bruno, «la revanche de l'histoire!».

Il y a bien aussi enfin, les œuvres d'éducation. «Nous avons eu comme objectif principal, dit toujours le frère.. orateur, les écoles populaires, les cercles et patronages laïcs et les asiles.

En 1875, les frères s'inscrivirent en masse sur les listes de la Ligue pour l'instruction du peuple, en lui imprimant une direction nettement laïque et anticléricale.

Plus tard, et toujours par l'initiative de notre Loge, prirent naissance l'asile Humbert I, aujourd'hui si florissant; une association pour l'éducation morale et physique des enfants du peuple; divers

jardins, plusieurs patronages de dimanche pour les enfants. Nous avons acquis une influence prépondérante dans le Cercle de la Sainte-Famille(.), dans la direction de l'asile Savoia; nous avons favorisé de toutes les manières les asiles enfantins fondés par le sénateur Tommasini. Récemment, quelques-uns de nos jeunes frères, étudiants de l'Université, ont ouvert des écoles du soir pour les ouvriers; elles sont très fréquentées, et leur direction est nettement maçonnique».

Suivent ces graves paroles: «C'est vers l'école populaire en effet, que doivent converger toutes nos volontés, si nous désirons arracher aux mains des prêtres les armes en apparence innocentes, avec lesquelles ils espèrent frapper dans l'ombre, suivant leur coutume, l'unité de la patrie et la liberté de la pensée».

N'y a-t-il pas dans toutes ces menées dirigées contre les enfants de Rome, contre les diocésains immédiats du Pape et ses défenseurs-nés, un très grave danger et une manœuvre d'une habileté vraiment diabolique? Avec combien de raison, la Civilta demande aux Romains de redoubler d'activité, de vigilance, de force d'âme pour sauver le vieil esprit romain!

Une circulaire générale a été envoyée aux loges par Lemmi, car la franc-maçonnerie a aussi ses encycliques, pour recommander aux maçons les œuvres de jeunesse. On sait avec quel zèle les loges françaises ont obéi au maître. Leur activité n'est-elle pas même pour les catholiques une humiliation?

Une tactique spéciale aux francs-maçons de Rome, c'est de se glisser, dans l'ombre, au plus intime des œuvres catholiques et d'en transformer peu à peu l'esprit et la direction. Ils y ont pleinement réussi pour le cercle de la Sainte-Famille, et ils ont même eu l'habileté de lui garder ce nom tout en le mettant sous la direction de la loge!

Ces jours derniers encore, on a vu les journaux maçonniques prendre fait et cause contre l'autorité ecclésiastique en faveur d'un ouvroir tenu par des religieuses(!) qui avaient accepté le patronage d'hommes au moins équivoques.

D'ailleurs, la loge a nommé une commission «chargée de surveiller la marche et l'attitude des principaux établissements d'éducation et de bienfaisance de notre ville, avec le mandat d'en référer par écrit chaque trimestre».

Qui gouverne à Rome?

A peine est-il besoin de dire que les œuvres de charité ne sont pas très abondantes ni très fournies au sein de la maçonnerie romaine. Il est bien question dans le discours jubilaire «d'importants subsides aux écoles ouvrières, de secours en temps d'épidémie, de fondation de cuisines économiques». On ne cite pas de chiffres. On dit seulement que le «fonds intangible pour les veuves et orphelins» atteint la somme de 18.000 francs.

Si l'on veut savoir le nombre de ces ardents adversaires de l'Eglise et du Pape, c'est encore le frère orateur qui nous renseigne.

La loge «Universo» vient d'absorber trois autres loges romaines qui se mouraient. «Cette fusion nous donne la suprême joie de pouvoir compter sur l'énergie de 140 Frères actifs». C'est peu, mais quelle puissance dans la haine de 140 volontés agissant avec prudence et dans l'ombre!

Et faut-il compter pour rien Satan qui combat pour eux? Le discours qui nous a servi de thème se termine par les strophes de l'Hymne à Lucifer de Carducci. Et dans la Revue maçonnique officielle, on peut lire cette invitation: «Saluez le génie rénovateur; vous tous qui souffrez, relevez le front, parce que c'est lui qui arrive: Satan le grand!».

Il ne faut pas que pour avoir été trompés par un infâme imposteur, les catholiques ne veuillent plus entendre parler de l'action très réelle que Satan exerce dans les Loges. Leur incrédulité serait le triomphe des Taxils et du diable.

Pourtant il ne faut pas désespérer de la victoire prochaine. La maçonnerie, à Rome, comme en France, a subi en ces dernières années, quelques mécomptes.

L'ancien grand maître Lemmi a été pris en flagrant délit de concussion dans le commerce de tabacs dont l'Etat lui avait gracieusement octroyé le monopole, tellement qu'à Rome maçonnerie et tabac sont devenus synonymes!

Puis ont éclaté coup sur coup des banqueroutes, des procès de péculats et de concussions de tout genre, où ont été compromis les principaux fidèles du grand architecte; c'est dans cette boue que le fr. -. Crispi a vu s'enfoncer l'immense crédit dont il jouissait jusque-là.

La presse elle-même s'est mise de la partie, même la presse officieuse.

C'est le Corriere della sera, l'un des organes officiels du libéralisme italien, qui écrivait, il y a trois ans déjà (26 avril 1896): «La maçonnerie est une espèce de société de secours mutuels, très puissante, internationale, dans laquelle quelques malins s'élèvent en se servant des épaules de milliers d'imbéciles. C'est vraiment un fait injuste et intolérable que, sous le régime des lois de liberté, une secte parvienne à ne laisser passer que les siens, et pour les gros traitements et dans les concours et en mille autres circonstances. Pour obtenir quelque chose du gouvernement de Crispi, il fallait entrer par la filière de la maçonnerie. Mais sans parler de ce favoritisme, il y a quelque chose de plus grave.

- L'unité italienne étant consommée, la maçonnerie pouvait appli­que ses idées rationalistes, et exercer librement son action: eh bien! avons-nous vu se réaliser dans la vie publique cet idéal de parfaite justice, qui sonnait si haut dans les loges? Avons-nous vu restaurée, sous les auspices de la maçonnerie, la morale publique et privée? Hélas! point n'est besoin de citer les exemples qui prouvent le contraire: ils sont trop récents».

En France, comme en Italie, la presse libérale s'unit à la presse catholique pour combattre l'action tyrannique des loges.

Jules Lemaître, Coppée et d'autres dénoncent l'association malfai­sante et lancent une pétition puissante contre elle.

Pour triompher de l'ennemie de l'heure présente, l'Eglise catholi­que n'a besoin que d'une seule chose: continuer à arracher les masques. Dans sa lutte contre les sectes, sa grande alliée est la lumière. Quand les principes et les œuvres de l'Eglise sont dévoilés et publiés, elle y trouve honneur et profit. La franc-maçonnerie sait bien qu'elle n'a rien à attendre de la publicité que la honte, puisqu'elle se cache!

Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, novembre 1899; pp. 536-541.

QUE FAISONS-NOUS DONC?

Rome, 22 décembre 1899

Que faisons-nous donc? Tel est le titre d'un excellent article de la Cultura sociale, revue romaine du mouvement catholique populaire. « Que faisons-nous donc? se demande le plus vivant des journaux catholiques sociaux d'Italie. Il semble que nous hésitions sur toute la ligne. Les esprits sont désorientés et cela se manifeste chaque jour davantage. L'Œuvre des congrès et des comités catholiques ne fait plus parler d'elle. De temps en temps on annonce la reconstitution de quelques comités, on réunit quelque inoffensif congrès diocésain, et c'est tout. Et cependant le moment est grave.

Qu'attendons-nous? Le Saint-Siège a parlé assez clairement. Il faudrait une organisation solide et un vaste mouvement populaire. Le Saint-Père ne nous disait-il pas déjà en 1892, dans son Encyclique inoubliable, que si nous tardions trop, il serait trop tard?».

Ainsi se lamente avec raison la vaillante revue, qui groupe autour d'elle toutes les forces vives de la jeunesse catholique d'Italie.

Et nous, en France, que faisons-nous donc? Ne sommes-nous pas aussi paralysés par le désarroi, par l'incertitude et par ce péché des catholiques, que la morale appelle la paresse spirituelle? Que faisons­-nous donc? Nous avons eu quelques bons mouvements. Les cercles et les patronages ont eu leur vogue, les congrès ont répandu des flots d'éloquence, les Caisses rurales ont groupé quelques agriculteurs, puis tout sommeille. Il y a les groupements des jeunes qui font encore un peu de bruit…

Et pendant ce temps-là, les autres s'organisent et agissent. Les francs-maçons, les juifs et les protestants marchent froidement à la conquête de la France. Ils établissent leurs tranchées pour monter à l'assaut de ce qui nous reste de liberté, dans l'enseignement, dans les associations et dans la presse.

Nos journaux réfractaires leur donnent des prétextes. Ce n'est pas chez eux cependant qu'ils vont perquisitionner, ils aiment trop à perpétuer ces prétextes; c'est à la Croix, qui se tient assez bien sur le terrain constitutionnel, et chez ce pauvre Gurnaud, qui est à lui seul plus libéral et plus démocrate que tous les ministres réunis.

Nous aurions voulu une démonstration prompte et enlevée. Un groupe autorisé: nos députés catholiques, par exemple, ou nos journaux, ou les présidents d'œuvres, ou quelques autorités ecclésia­stiques se seraient levés et auraient dit aux hommes de pouvoir: «Nous ne sommes pas des révolutionnaires, nous sommes les hommes du Pape, nous sommes plus sincèrement républicains et libéraux que vous. Nous revendiquons la liberté des pères de famille dans l'éducation des enfants, la liberté de la vie religieuse, le respect du domicile privé… Ce n'est pas chez nous que se commettent les complots et les attentats contre les libertés publiques et privées. Nous faisons appel au pays contre vos accusations et vos projets de persécution… ».

La France serait impressionnée par une attitude noble et fière des catholiques. Des adhésions auraient afflué après cette démonstration partie d'en haut, les colonnes des journaux catholiques et modérés les auraient signalées. Notre situation serait meilleure.

Il est tard déjà, trop tard peut-être pour que cela se fasse bien et avec ensemble.

Que faut-il donc faire? Il faut reconnaître que nous n'avons pas en France un parti catholique organisé et un esprit public formé parmi les catholiques. Et ce qui nous manque, il faut le préparer et l'acquérir.

Ce n'est pas en Belgique, ce n'est pas en Allemagne qu'on aurait vu ce désarroi et ce silence glacial. Là, les catholiques sont unis, vivants et agissants.

Quand comprendrons-nous ce que Léon XIII nous crie, comme sur les toits, depuis dix ans, que les divisions politiques nous tuent, qu'il faut être républicains en république, pour avoir le droit de défendre nos libertés pied à pied et pour pouvoir même prendre l'offensive comme en Belgique et en Allemagne et revendiquer les autres libertés qui nous manquent?

Pour agir promptement et sûrement, il faut un organe central, une fédération. Il y en avait une, assez mal équilibrée, elle est défaite, il faut la refaire, comme en Allemagne ou comme en Belgique, où l'union catholique comprend les vieilles associations des cercles, les groupes démocratiques et les associations rurales avec des délégués de la presse et des parlements. Nous attendons quelque chose d'analogue des chefs du mouvement catholique français. Ils ont charge d'âme, et cette âme qu'ils ont à sauver, c'est l'âme de la France. Mais ces chefs ont besoin d'être soutenus par l'esprit public.

Et vous, chers jeunes gens de nos comités, qu'avez-vous à faire? Vous avez à former cet esprit public: un esprit public vivant et agissant comme celui que notre Bulletin essaie de vous inspirer.

Dans vos conférences, dans vos groupes toujours plus nombreux, dans votre action sur la presse de Paris et sur la presse locale, formez cet esprit public, un esprit d'union et de lutte, un esprit de fière et persévérante revendication. Préparez même un esprit d'initiative et de conquête pour nos libertés. Etudiez et instruisez. Tenez-vous au courant des libertés d'enseignement, de vie religieuse et d'association, qui règnent en Belgique, en Hollande, en Angleterre, aux Etats-Unis; faites honte à nos prétendus libéraux qui ne mettent leur qualité que sur l'étiquette, comme les liqueurs frelatées.

Former un esprit public qui nous soit favorable, songez à ce que cela demande d'activité, de zèle, de bonne volonté. Nous avons le nombre contre nous, est-ce que cela doit faire peur quand on a pour soi le droit et la justice? Est-ce que cela a pu arrêter les Transvaaliens? Comptez sur le secours de Dieu et en avant!

Pour ce renouvellement d'année, prenez de généreuses résolutions. Où allez-vous porter vos efforts? les cercles d'études, les conférences, les associations agricoles, la bonne presse, toutes ces œuvres s'offrent à vous. Allez, avancez pied à pied, frappez à droite et à gauche. Quand on est bien avec le Pape et qu'on a Dieu pour soi, on fait de la besogne. Vous vous rappelez l'histoire du cher lieutenant Guillemin, à Monte-Libretti, un jeune homme et un jeune saint? On l'envoya avec 80 hommes pour déloger 1200 Garibaldiens de cette bourgade. Il prit pour cri de combat: «Vive le Pape!». Il alla et il vainquit: ils étaient 80 contre 1200. Courage donc, pour la cause du Christ et de son vicaire!

La Chronique du Sud-Est, N. 12, décembre 1899; pp. 351-352.

JEUNESSE CATHOLIQUE

Où en sommes-nous pour les œuvres de jeunesse? Nous avons quelques groupes bien vivants et bien intéressants, surtout dans le Sud-Est et dans le Nord. Mais, qu'est-ce que cela, en comparaison de l'immense effort tenté dans ces dernières années par la Ligue maçonnique de l'enseignement pour grouper la jeunesse et l'enserrer dans un filet de réunions de tous genres: cercles, patronages, cours, conférences, sociétés de musique et de gymnastique?

Savez-vous, chers lecteurs, où en sont les catholiques allemands pour les œuvres de jeunesse? Ils vous devancent étonnamment. Œuvres d'apprentis, œuvres de jeunes artisans, associations d'em­ployés de commerce, associations d'étudiants, groupes d'études socia­les sous le nom d'Union-Windthorst, tout est chez eux très vivant et très nombreux. C'est dans ces œuvres qu'ils forment leurs électeurs et leurs citoyens catholiques.

Pour les jeunes apprentis et ouvriers mineurs, l'Allemagne compte 738 associations. Le diocèse de Cologne en a 125 à lui seul; le diocèse de Paderborn, 140; le diocèse de Münster, 210. Où en sont nos diocèses français?

Les présidents de toutes ces jeunes associations sont reliés entre eux par un organe mensuel.

Beaucoup de ces œuvres ont une hôtellerie pour les jeunes gens sans famille. Dans tous ces groupements, on lit le journal de l'abbé Hitze Le Bien de l'ouvrier (Arbeiterwohl), qui donne à ces jeunes gens une véritable formation sociale.

Les jeunes artisans qui ont fini leur apprentissage sont réunis (on pourrait dire enrégimentés) dans le Gesellenverein (Association du compagnonnage). Cette œuvre, fondée par un saint prêtre, le Père Kolping, compte aujourd'hui en Allemagne 1.060 associations locales. Elle possède en propre 329 maisons ou hôtelleries. Ces chiffres ne vous disent-ils rien?

L'œuvre s'est propagée dans les pays voisins de l'Empire allemand.

L'Autriche a 193 associations et 67 maisons; la Hongrie, 64 associa­tions et 20 maisons; la Suisse, 30 associations et 6 maisons.

Et la France?

Cette œuvre, en Allemagne, compte 80.000 membres. En sortant de ces associations, les jeunes artisans entrent dans les associations ouvrières d'adultes, les Volksverein.

En dehors de la jeunesse catholique vouée aux travaux manuels, il y a les associations commerciales. Aimez-vous les mots allemands? Cela s'appelle: Katholische kaufmannische Vereinigungen. Cette œuvre compte 100 associations et 11.000 membres. Ces associations groupent les jeunes gens pour des conférences religieuses, des cours techniques, des études sociales. Elles ont un organe hebdomadaire: Merkuria. Le nom est païen, mais l'esprit est catholique.

Ce n'est pas tout encore, il y a les associations d'étudiants catholiques: Katholische studentenverbindungen. Cette œuvre a une gran­de importance. Des prêtres d'élite s'occupent à y réfuter les erreurs des universités allemandes et à fortifier dans leur foi ces jeunes gens qui doivent prendre une grande influence sociale en entrant dans les carrières libérales.

L'œuvre compte 25 associations et 3.000 membres. Ces corpora­tions ont aussi un organe mensuel: Academia.

Ceux qui ont passé par ces groupements en restent membres d'honneur, alors même qu'ils sont arrivés aux plus hautes charges de la vie civile, ecclésiastique ou militaire. Ils prennent un nom étrange, ils s'appellent les Philistins. Mais les noms ont la valeur qu'on leur donne; c'est pour cela que nos réfractaires ont tort de prendre ombrage du nom que prennent les catholiques sociaux, le nom de démocrates chrétiens.

On compte 5.000 de ces excellents Philistins, parmi lesquels des cardinaux, des évêques, des ministres, des professeurs d'universités, des députés, des magistrats, des médecins, etc. On voit ces graves personnages, des évêques même, prendre part aux réunions annuelles, aux «Commerse» où l'excellente bière allemande donne un entrain de joyeuse humeur, comme ferait un bon vin de Bourgogne ou des côtes du Rhône.

Les étudiants catholiques donnent de la vie à toutes les démonstra­tions religieuses et à tous les congrès.

Il y a encore l'Union de Windthorst. Cette œuvre réunit les jennes gens catholiques de toutes les conditions sociales pour leur donner une éducation politique. Elle date seulement de quelques années et compte déjà des associations dans 32 villes de l'Allemagne. Elle a un organe bi-mensuel: Organ des Windhortsbundes.

Enfin chaque paroisse a ses confréries, congrégations et cercles récréatifs de jeunes gens, d'où l'activité sociale n'est pas complètement exclue.

Que pensez-vous, chers lecteurs, de cette magnifique floraison corporative? Faut-il nous décourager en voyant combien nous sommes en arrière? Non. L'Allemagne catholique avait gardé plus que nous les traditions corporatives. Chez nous, le césarisme révolu­tionnaire, après le césarisme royal, avait entièrement brisé nos vieilles coutumes. L'Etat, depuis Louis XIV et surtout depuis la Révolution, avait peur des associations, dont il jalousait la juste influence… et ce n'est pas fini!

Mais si nos chaînes ne sont pas brisées, du moins nos entraves sont bien élargies. L'esprit d'association revit depuis trente ans, il a conquis la loi de 1884 et il ne s'en contente pas. Ce que nous avons déjà fait avec ce peu de liberté est énorme. Si vous voulez l'apprécier, assistez aux congrès de l'été prochain, au Congrès des œuvres catholiques au mois de juin, au Congrès des Syndicats en juillet; vous verrez que l'individualisme a fini son règne en France et que l'esprit corporatif renaît.

Votre région du Sud-Est donne l'exemple pour les œuvres et les Syndicats; il faut qu'elle ait aussi le premier rang pour les associations de jeunesse; mais prenez garde, le Nord vous talonne.

Courage donc, vous surtout qui êtes les apôtres de ce mouvement catholique du Sud-Est; vous, les conférenciers, les boutefeu, les missionnaires de la jeunesse, courage. L'hiver est le temps propice pour les organisations et les fondations.

Semez partout la bonne parole, et d'ici l'été, d'ici la saison des congrès, arrondissez votre nombre et présentez-nous une nouvelle floraison d'œuvres de jeunesse de toutes sortes et toutes pleines de vie et de sève.

La Chronique du Sud-Est, N. 1-2, janvier­février 1900; pp. 391-392.

DEMOPHILIE

Quelle splendide conférence le nonce, Mgr Lorenzelli, a donnée à Paris!

Il nous a montré dans la science comme dans l'action les limites de la nature et les envolées du surnaturel.

La nature ou la raison, arrive à connaître quelque chose de Dieu et de l'âme, mais tout cela est vague, indécis et semblable aux nébuleuses des régions aériennes. Le surnaturel ou la révélation, nous fait connaître la Trinité divine, la Rédemption, le Ciel, les Anges, la Vie future.

Dans l'action, la nature s'est élevée jusqu'à une certaine perfection, dans les arts de la paix, dans les énergies de la guerre, dans la justice des lois. Mais il lui a manqué les vertus réservées, la pureté des mœurs, la charité fraternelle, qui brillent dans la vie de nos saints.

Les nations comme les individus développent les qualités naturelles de leurs races, mais elles ont aussi leurs grâces surnaturelles et leur vocation spéciale.

Le docte prélat illumine d'un jour éclatant le fameux débat entre les races latines et anglo-saxonnes.

C'est, d'ailleurs, une vieille querelle que Balmès avait déjà tran­chée. Les protestants l'ont ranimée dans un but de propagande. M. Fouillée leur répondait dernièrement au seul point de vue rationnel et historique. Mgr Lorenzelli s'élève plus haut et juge le débat en philosophe chrétien.

Les Anglo-Saxons ont une veine de prospérité, qui est la récompen­se momentanée de certaines vertus naturelles, mais Dieu laisse aux Latins le don bien supérieur de la rectitude de la foi et de l'union à la véritable Eglise du Christ, récompense de la droiture de leur esprit et de leur fidélité inébranlable au siège de Pierre.

Et parmi ces nations latines, la France est une des plus nobles. Quelques-uns des héros de son histoire caractérisent ses vertus sociales. Charlemagne, c'est le dévouement à l'Eglise; saint Louis, c'est le désintéressement chevaleresque; Jeanne d'Arc c'est le patrioti­sme chrétien. Bossuet, c'est la logique, la clarté et l'éloquence au

service de la foi; saint Bernard et saint François de Sales, c'est la piété douce et tendre. Saint Vincent de Paul, c'est l'amour exubérant du peuple, c'est la démophilie chrétienne.

Démophilie! Le mot est heureux. Dans la belle langue grecque, il veut dire «l'amour du peuple».

Au fond, ce mot exprime tout ce que les catholiques ardents comprennent sous le nom de démocratie chrétienne.

Le mot démophilie ne sera pas populaire, il n'est pas dans l'usage. Mais quelle habileté diplomatique a montrée le nonce en l'employant! Il dit ce que nous voulons dire, mais il le dit par un mot qui n'est ni discuté, ni contesté et auquel on ne peut trouver aucune signification compromettante.

Saint Vincent de Paul est le type idéal de la démophilie française. D'autres auraient loué sa charité. Le nonce a trouvé un mot plus heureux. Le mot charité est, hélas! devenu équivoque sous la plume des ultra-conservateurs. Ils pensent que l'aumône peut remédier à tout. Ils ne voient en saint Vincent de Paul que l'homme de l'aumône. L'esprit de S. Vincent de Paul était bien plus large. Notre saint était démophile. Il aimait le peuple et voulait le relever. Toutes les souffrances des petits blessaient son cœur. Il allait au secours des forçats, des enfants abandonnés, des esclaves de Barbarie, des populations affamées par la disette ou par les guerres de la Ligue.

Aujourd'hui, les forçats, les affamés, les esclaves, n'est-ce pas tout ce monde du travail qui souffre de l'individualisme, de l'absence de corporations et du manque de lois protectrices? Le secours à leur porter, n'est-ce pas cet ensemble de lois qui les défendront contre les abus de l'industrialisme? N'est-ce pas tout ce réveil de vie corporative qui se manifeste sous la forme de syndicats, de coopératives, de caisses de crédit et d'assurances?

Le grand démophile de notre temps, n'est-ce pas Léon XIII, qui nous crie sans cesse: Allez au peuple pour le relever, pour le secourir, pour l'aider?

Et si la France est encore la nation de saint Vincent de Paul, ne devrait-elle pas être la première à répondre à cet appel de Léon XIII? Mais pourquoi notre Parlement est-il stérile en ce qui touche aux lois sociales? Pourquoi entrave-t-il le mouvement corporatif qu'il devrait aider? C'est parce que l'esprit catholique, le vieil esprit français de saint Vincent de Paul n'y règne pas. C'est parce que ce Parlement est sous la coupe de la franc-maçonnerie, où règne le souffle de l'égoïsme et de l'intérêt privé, comme le souffle de la charité et de la démophilie règne parmi les vrais catholiques.

C'est cela qu'il faut dire et qu'il faut prouver à nos populations.

Travaillons-y par les conférences par la presse, par les œuvres. Faisons connaître l'esprit du catholicisme par son histoire et par sa doctrine. Faisons-le connaître surtout par notre exemple, en contribuant en quelque manière au mouvement corporatif chrétien.

Quelles associations avez-vous fondées, encouragées, aidées? N'êtes­vous pas du nombre des pessimistes qui se contentent de gémir dans leur fauteuil en lisant quelque journal réfractaire?

Laissez là ces renfrognés, vous surtout qui êtes jeunes. Pessimisme et jeunesse sont deux mots qui hurlent de se voir accouplés. La jeunesse, c'est la vie, c'est l'action, c'est l'épanouissement, c'est l'enthousiasme.

Comme Vincent de Paul, comme Ozanam, pratiquez cette démophi­lie, qui est une des belles qualités du catholique français.

La Chronique du Sud-Est, N. 3, mars 1900; pp. 423-424.

NOTES D'ESPAGNE

Madrid, 12 avril

Malgré ses petits travers, son insouciance quasi orientale et son amour passionné du plaisir, le peuple espagnol est toujours bien sympathique. Aucune nation n'a gardé davantage l'esprit chevale­resque, la noblesse et la fierté des âges féodaux.

Dans nos provinces du Nord, il y avait des seigneurs et des vilains, des chevaliers et des manants. Les uns avaient en partage la dignité, la distinction et une culture délicate, quoique sans érudition; les autres, courbés sur le sillon ou le métier, gardaient un caractère fortement accentué de vulgarité et de rudesse.

Mais en Espagne, pour une croisade de huit siècles, il fallut tant de chevaliers qu'on en fit de tout bois. On laissa peu de monde au travail et l'on fit une nation de caballeros et d'hidalgos.

Et puis ce peuple fier, distingué et poli, vit dans un si beau cadre! N'a-t-il. pas sa mosquée de Cordoue aux douze cents colonnes, Grenade et son Alhambra:

Qui n'a Grenade vu N'a rien vu; Séville et sa giralda: (qui n'a vu Séville, n'a vu merveille»; Malaga et sa flore tropicale, où les Arabes croyaient voir le paradis terrestre; Valence, que les anciens appelaient un coin tombé du ciel (cœlum hic cecidisse putes); Elche et ses cent mille palmiers: Burgos, Tolède, Léon et les «épopées de pierre» de leurs cathédrales.

Oui, tout cela est bien beau, mais nous ne sommes plus aux jours d'antan où la nation chevaleresque vivait du butin de la guerre, ni aux siècles de paix où les colonies enrichissaient la mère-patrie. Ces temps de poésies et de rêves d'or sont passée, et l'Espagne se trouve en face des difficultés de la vie quotidienne. Il faut que l'hidalgo imite Cincinnatus et se mette au travail. Il faut fendre le sol pour y jeter la semence féconde ou le creuser profondément pour lui demander les éléments de la force motrice: la houille et le fer.

Nous croyons le peuple espagnol capable de cette évolution et, à vrai dire, elle est déjà commencée.

Le labour se fait encore avec la charrue primitive et sans roues, ou bien avec la bêche; la Castille a encore ses grands plateaux nus et déboisés, mais Valence multiplie ses orangers; Alicante, ses vignes; Grenade, ses oliviers; Elche, ses merveilleux palmiers. La fabrication des vins s'améliore. Barcelone est devenue le centre d'une région d'industrie textile; elle compte 500.000 âmes et rappelle Manchester. Bilbao est devenue un grand marché de commerce et d'industrie minière et métallurgique. Les mines de Tharsis et de Rio-Tinto font le bonheur des spéculateurs de Paris et de Londres. Grenade s'entoure de fabriques de sucre. Sarragosse et Valladolid voient surgir chaque mois quelque société nouvelle de commerce ou d'industrie.

Mais la médaille a son revers. La question ouvrière est née avec l'éveil de l'industrie. L'usine et la société anonyme ont démoralisé le travail. Le vrai patronat n'a plus été exercé. L'âpreté au gain de la direction anonyme a entraîné les mêmes abus ici qu'ailleurs: Les ouvriers surmenés et traités sans paternité se cabrent et regimbent. Ils s'unissent, ils se soutiennent, ils se servent de l'arme redoutable des grèves, ils prêtent l'oreille aux journaux et aux orateurs socialistes.

Dans tous les grands journaux d'Espagne, vous trouvez aujourd'hui la colonne du mouvement ouvrier (movimiento obrero) et la colonne des grèves (huelgas).

La question ouvrière est avant tout une question morale, une question de justice et de respect, et par conséquent les catholiques en possèdent seuls la solution intégrale. Seront-ils à la hauteur de la tâche? Espérons-le. Malheureusement, là comme chez nous, les divisions politiques diminuent les forces. Il y a ici des conservateurs et des carlistes, des libéraux et des républicains.

Les conservateurs de vieille roche sont comme les nôtres, ils pensent que l'action patronale suffit à tout. Ils ont fondé comme nous des cercles catholiques, et il y en a qui ont fait merveille: tels, les cercles ouvriers de Loyola et des environs, inspirés par les Pères Jésuites; tel aussi le cercle de Sabadell en Catalogne, où la maison Harmel a une succursale. On trouve là un un bel établissement avec cette enseigne: Academia catolica de San José, esbayo dominical.

Les cercles sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas. Le Pape nous a tracé le devoir: il faut une action législative et une organisation corporative.

L'action législative est commencée. Une association pour l'étude et la défense des intérêts de la classe ouvrière, admirablement présidée par le marquis de Camillas, a préparé toute une série de projets de lois (ce que nous ferions bien d'imiter). Quatre de ces projets sont déjà à l'étude au Parlement. Ils concernent le repos dominical, le travail des femmes et des enfants, les assurances et les conseils d'arbitrage. Malheureusement, ici comme chez nous, les divisions et l'obstruction retardent toutes les lois les plus utiles.

Et l'organisation corporative? Elle se fera: partout surgissent les corporations, les associations, voire même les maisons du peuple, du moins dans les cités importantes. Mais ce mouvement corporatif est, comme chez nous, trop peu catholique. Ici aussi a sévi la peste du gallicanisme et du régalisme. Mais le clergé a généralement un culte ardent pour la parole du Pape, on étudie l'encyclique et l'évolution se fera. On comprend ici qu'il faut unir l'action démocratique à l'action patronale. Il y a des essais de corporations, de coopératives, de caisses de crédit.

Ce qu'il faut; c'est que l'ouvrier prenne au sérieux l'action catholique; il faut qu'il la voie dirigée par les chefs du clergé et par une élite d'hommes d'action. La Belgique, l'Allemagne et peut-être même l'Espagne donneront cela avant nous. A l'œuvre donc, vous, nos chers lecteurs de la Chronique, qui êtes, comme on dit en Espagne, des catholiques intégraux, des catholiques complets, exempts du conservatisme gallican. A l'œuvre, pour l'action sociale et pour l'action corporative! Fondez, soutenez tous quelque association. Donnez-vous surtout aux œuvres démocratiques; elles sont, pour le moment, plus urgentes, plus désirées, plus appréciées par l'ouvrier que les œuvres patronales. Elles sont le principal contre-poison du socialisme. Le Pape vous a dit cent fois: «Allez au peuple!». C'est l'avertissement du ciel.

La Chronique du Sud-Est, N. 4, avril 1900; pp. 455-456.

PRECEPTEURS DU DAUPHIN

L'Eglise vient de canoniser au milieu de fêtes splendides l'éduca­teur des enfants de France, et ce précepteur ce n'est pas Fénelon, qui avait fait cependant du duc de Bourgogne un prince si accompli, c'est Jean-Baptiste de la Salle, le maître d'école des enfants de l'ouvrier.

Le roi aujourd'hui, c'est le peuple, qui délègue sa royauté à ses représentants, le roi de demain, le dauphin, ce sont les enfants de nos écoles.

Fénelon avait fait, dit-on, du duc de Bourgogne un grand prince et un grand chrétien; Jean-Baptiste de la Salle et les chers Frères de son Institut veulent faire des enfants de la France de grands citoyens et de grands chrétiens. L'Eglise exalte cette œuvre en canonisant le fondateur.

Dans une république ou sous une royauté constitutionnelle, le gouvernement est exercé par les représentants du peuple. La classe la plus humble, cette des travailleurs doit avoir sa part d'action politique. Elle est tout, ou presque tout sous notre régime de suffrage universel désorganisé. Les enfants de nos travailleurs sont les fils de nos rois, ce sont les rois de demain.

L'institut de S. Jean de la Salle élève près de la moitié de ces enfants. Il n'en a pas fait jusqu'à présent des citoyens ou des rois chrétiens, et pourquoi? C'est qu'il ne les a sous la main que jusqu'à 12 ou 13 ans, et ces enfants tombent ensuite dans un milieu qui les pervertit, religieusement et politiquement.

Où est le remède! Le Saint Père l'indiquait ces jours-ci dans une audience privée qu'il donnait au Bon Père, à M. Harmel, et à laquelle nous avions l'honneur d'assister. «Il faut, disait-il, qu'on s'occupe des jeunes gens après l'école». Et il ajoutait: «Nous désirons que les Frères de S. Jean de la Salle développent davantage leurs œuvres d'adole­scents».

Mais les Frères des écoles ne suffiront pas à tout. Il faut que vous aussi, lecteurs de La Chronique, associés de nos groupes du Sud-Est, vous soyez de vrais éducateurs des dauphins de France. Il faut que vous formiez les électeurs et que vous les prépariez à l'exercice de leur royauté. Vous possédez la vérité, il faut que vous la propagiez, c'est un devoir de solidarité et c'est une œuvre de charité et de patriotisme. «Allez au peuple», comme vous le dit le Pape; c'est-à-dire allez au menu peuple, à l'homme du peuple, aux travailleurs. C'est le nombre, et aujourd'hui c'est la force. Dites-lui ce que l'Eglise pense de la démocratie.

L'Eglise a formulé son programme, par l'organe du Pape, dans l'Encyclique Rerum novarum.

L'Eglise ne change pas, elle a toujours aimé toutes les classes; mais en voyant de nos jours les travailleurs opprimés par le régime capitaliste et par l'absence de corporations, elle s'occupe davantage de leurs droits et de leurs besoins. Cette action nouvelle de l'Eglise s'appelle la Démocratie chrétienne.

L'Encyclique en a tracé les grandes lignes. En faisant ce grand acte de justice et de charité, l'Eglise fait en même temps la meilleure politique, elle exerce le plus fécond apostolat. Elle va au peuple, le peuple viendra à elle.

Allez donc au peuple, chers jeunes gens, dites-lui que l'Eglise a le souci de ses droits et de ses intérêts. Montrez-lui quel germe puissant de réformes contient l'Encyclique.

Voilà neuf ans seulement, que cette charte de la Démocratie chrétienne a été promulguée. Ses directions ont fait leur chemin. Partout les parlements se sont ébranlés, les associations s'organisent, un esprit nouveau s'est formé.

Les parlements rivalisent pour mettre au jour les meilleures lois démocratiques sur la durée du travail - le contrat de travail - les libertés corporatives - les assurances contre les accidents - les retraites pour la vieillesse…

Les associations s'organisent. Partout surgissent des syndicats agrico­les ou d'arts et métiers - des caisses rurales - des coopératives - des banques de crédit…

Un esprit nouveau s'est formé dans le clergé, dans les communes, dans les usines.

Dans le clergé: ici, par exemple, en Italie, nous entendons des discours de cardinaux, nous lisons des mandements d'évêques qui proclament la nécessité de cette action démocratique de l'Eglise. Nous voyons le clergé s'y prêter par des cours nouveaux dans les séminaires et par une floraison magnifique d'associations de tout genre.

Dans les usines: nous voyons les patrons chrétiens, à l'exemple du Bon Père Harmel, favoriser toutes les institutions démocratiques: Conseils d'usine - délégués d'ateliers - associations autonomes - mutualités - coopératives de consommation - salaire familial…

Dans les communes: l'exemple nous vient de l'Autriche. Lueger et les catholiques à Vienne ont renversé les sémites et les libéraux par leur programme démocratique qui comprend: l'assainissement des fau­bourgs par de nouvelles rues - des jardins, des fontaines - des écoles populaires et professionnelles - la soupe scolaire des enfants pauvres - un bureau d'arbitrage - l'assurance et les retraites des employés municipaux…

Nous voyons les catholiques rester au pouvoir en Belgique, imposer leur influence au Reichtag allemand, conquérir la munipalité de Vienne en Autriche et reprendre de l'influence en Italie.

Et nous, que faisons-nous? Nous sommeillons, nous ne sommes pas assez actifs. Il y a bien un petit mouvement catholique populaire. Il y a eu les congrès de Lyon et de Reims, il y a les caisses rurales et quelques bons syndicats; il y a aussi les cercles d'études. Tout cela est trop peu. C'est encore vous, les jeunes gens des Comités du Sud-Est, qui faites le plus. On pourrait vous dire comme aux Macchabées: «Tout l'espoir et l'honneur de la patrie reposent sur vous». Cependant, ne dormez pas sur vos lauriers. Vous n'avez pas encore changé l'esprit des élections municipales. Faites encore plus et mieux. Léon XIII nous disait l'autre jour: «Prions et travaillons pour la France». C'est votre programme, travaillez beaucoup. Ayez un programme politique, un programme communal. Soyez vraiment les amis du peuple. Dites-le sincèrement dans les conférences, dans les cercles, dans la presse. Prouvez-le par votre dévouement et par vos œuvres.

La Chronique du Sud-Est, N. 5-6, mai-juin 1900; pp. 495-496.

PASSONS AUX BARBARES

Il nous manque Ozanam pour redire ce mot qu'il a si bien commenté dans le Correspondant en 1848.

On ne relit pas assez les écrits d'Ozanam. Beaucoup ne voient en lui que le pieux fondateur de la Société de Saint Vincent de Paul, on oublie le penseur, le philosophe, le voyant, le prophète. C'est à la lumière de l'histoire qu'Ozanam appréciait les événements présents et pronostiquait ceux de l'avenir.

Il avait particulièrement étudié deux grandes époques de transi­tion, le Ve et le XIIe siècles.

Le Ve siècle avait vu l'invasion des barbares; le XIIe avait vu le développement des communes et des corporations. Deux fois, les conditions sociales de l'Europe avaient été bouleversées. L'Eglise ne s'était pas attardée sur le vaisseau qui sombrait, elle était montée bravement sur le radeau hardi qui courait sur les flots, elle avait survécu.

Au Ve siècle surtout, la question était brûlante. Fallait-il rester attaché au vieil empire romain qui avait pour lui tant de gloires et qui n'était pas non plus sans de grandes promesses, puisqu'il avait donné Constantin et Théodose? Ou bien, fallait-il donner la main aux tribus germaniques, incultes, demi-sauvages, brutales et sans frein?

Le vieil empire eut ses partisans. C'était le droit, c'était la légitimité, c'était la conservation des progrès accomplis et des situations acquises.

Ainsi pensèrent de vénérables évêques, notamment ceux d'Arles et de Toulouse, de bons prêtres et beaucoup de pieux laïcs. Syagrius détendait à Soissons les étendards romains, il fallait le soutenir.

Le Pape Anastase II voyait de plus haut et de plus loin. La Providence marquait sa volonté. Les barbares, c'était la vie, c'était l'avenir, il ne fallait pas les bouder, mais les gagner au Christ. Saint Remy de Reims, saint Waast d'Arras, saint Avit de Vienne, pensaient de même.

Anastase II saluait l'avènement et les succès de Clovis: «Glorieux fils, lui écrivait-il, soyez ferme comme une colonne de fer pour protéger la barque de Pierre».

Aujourd'hui, nous assistons à une autre transformation sociale. La masse des travailleurs veut sa part des libertés politiques et réclame une organisation sociale plus équitable. Léon XIII fait comme Anastase II. Il ne s'obstine pas dans des regrets inutiles. Il accepte le fait nouveau, et comme Anastase II, il s'écrie: «Passons aux barbares. - Allons au peuple; c'est la vie et c'est l'avenir. Allons à lui pour l'aider par les règles de justice et de charité qu'enseigne l'Evangile, et nous nous en ferons un ami.

Ozanam avait préconisé cette évolution avant Léon XIII. Il écrivait en 1849: «Ce que je sais d'histoire moderne me donne lieu de croire que la démocratie est le terme naturel du progrès politique et que Dieu y mène le monde» (Lettre à M. Prosper Dugas).

Dès 1848, il avait dit dans le Correspondant: «Je crois voir le Souverain Pontife consommer ce que nous appelons de nos vœux depuis 20 ans: passer du côté des barbares, c'est-à-dire du camp des rois, des hommes d'Etat de 1815, pour aller au peuple. - Et en disant: Passons aux barbares, je demande que nous fassions comme lui, que nous nous occupions du peuple, qui a trop de besoins et pas assez de droits, qui réclame avec raison une part plus complète aux affaires publiques, des garanties pour le travail et contre la misère, qui a de mauvais chefs, mais faute d'en trouver de bons… » (Lettre à M. Foisset).

Il prévoyait bien que cet avènement ne se ferait pas sans lutte, sans bruit et sans difficultés. Il n'en était pas effrayé. Il voyait que la démocratie arriverait fatalement au pouvoir. Il en concluait logique­ment qu'il fallait aller à elle et la christianiser pour la rendre sage et salutaire: «Toute l'Europe tend à la démocratie, disait-il. Or, la démocratie ne peut vivre que de dévouement, de sacrifice, d'inspira­tion chrétienne; c'est au Vatican que réside ce principe inspirateur…» (Commentaire sur le Purgatoire, du Dante, 1848).

Il eût été l'admirateur enthousiaste de Léon XIII. Il ne lui aurait pas marchandé son adhésion, comme font les réfractaires.

Il s'adressait particulièrement aux prêtres: «Prêtres français, disait­il, ne vous offensez pas de la liberté d'une parole laïque qui fait appel à votre zèle de citoyens… Depuis quinze ans, plusieurs d'entre vous se sont livrés à l'apostolat des ouvriers et, au pied des arbres de liberté qu'on leur a fait bénir, ils ont reconnu qu'ils n'avaient pas affaire à un peuple ingrat. Défiez-vous de ceux qui le calomnient, de ceux qui vous entretiennent de leurs regrets, de leurs espérances, de leurs prophéties, de tout ce qui fait consumer en pensées inutiles les heures que vous devez à vos dangers et à vos besoins… On vous doit cette justice que vous aimez les pauvres de vos paroisses, mais le temps est venu de vous occuper davantage de ces autres pauvres qui ne mendient point, qui vivent ordinairement de leur travail. Le temps est venu d'aller chercher ceux qui ne vous appellent pas, qui, relégués dans les quartiers mal famés, n'ont peut-être jamais connu ni l'Eglise, ni le prêtre, ni le doux nom de Jésus-Christ… Ne vous effrayez pas quand les mauvais riches, froissés de vos discours, vous traiteront de communistes, comme on traitait saint Bernard de fanatique et d'insensé» (Aux gens de bien, septembre 1848).

Aujourd'hui, les… gens de bien ne nous appelleront pas communistes, ils nous appelleront démocrates, et cela sera pour eux synonyme de socialistes.

Catholiques lyonnais, montrez-vous dignes du grand Ozanam. Allez au peuple. Le nom que vous prendrez importe peu. Le nom de démocrates est un de ceux qui expriment l'action nécessaire. Le Pape n'impose pas ce nom, il ne le condamne pas non plus, il l'accepte. Ce qu'il veut, c'est la chose, l'action populaire, l'action sociale. Appelez cela démocratie chrétienne, christianisme social, action sociale chrétienne, peu importe. Ce qu'il faut, c'est aller au peuple, avec un programme, avec des œuvres, avec toute cette action tracée par l'Encyclique, avec des associations et des revendications légales!

Ah! si nous avions écouté Léon XIII depuis 1891, nous serions les maîtres de la situation. Le peuple veut la République et le relèvement des travailleurs par la loi et les associations. Allons à lui sur ce terrain.

On a entrevu l'union du peuple et de l'Eglise dans certains congrès de Reims, de Lyon, de Besançon. C'est là qu'est l'avenir. Il faut reprendre ce mouvement. Les dernières élections législatives et communales nous montrent l'insuccès complet des vieux errements.

Travaillez, jeunes Lyonnais, par la presse, par les conférences, par les réunions. Ozanam était un saint et un voyant. Que son esprit plane sur vous et vous inspire.

La Chronique du Sud-Est, N. 7, juillet 1900; pp. 539-540.

AU CONGRES DES CAISSES RURALES

L’IDEALISME DANS LES ŒUVRES

C'est le beau titre qu'a pris l'abbé Müller pour son rapport sur les Caisses rurales au Congrès de Paris.

Des Caisses rurales, cela paraît tout matériel, tout terre à terre! On a vu de braves gens, routiniers et conservateurs, se scandaliser de voir des prêtres et des hommes d'œuvres s'adonner à ces fondations, au lieu de prêcher les fins dernières.

Ne dites pas cela à l'abbé Müller, vous le feriez bondir, malgré sa placidité alsacienne. Il a été aux sources, il a scruté les sentiments du fondateur des Caisses rurales et agricoles, du patriarche Raiffeissen, et il a trouvé que ces œuvres sont nées de l'esprit de foi le plus ardent et du zèle apostolique le plus généreux.

Il nous a dit cela dans son langage pittoresque. Je voudrais reproduire tout son rapport. Je lui emprunterai seulement une citation:

«Le 1er juin 1887, nous dit-il, Raiffeisen, presque aveugle et sentant sa mort prochaine, assista pour la dernière fois a une réunion générale de ses Associations rurales et agricoles à Düsseldorf. Il termine son dernier compte rendu en nous laissant, comme consignés dans le testament le plus solennel, les principes fondamentaux et caractéristi­ques de ses Caisses. Ces principes, tout à fait typiques, sont tous du domaine du christianisme le plus pur.

Raiffeisen disait: L'esprit du monde, l'égoïsme, la fièvre du lucre (auri sacra fames), cette lutte pour la vie présente, où l'on ne cherche qu'à s'emparer des biens de ce monde autant que possible et aussi vite que possible, sans se soucier si d'autres sont ruinés et tombent dans la misère, - cet esprit ne veut rien savoir de l'obligation que nous avons de secourir les autres sans chercher à gagner de l'argent; à plus forte raison cet esprit ne veut-il rien savoir d'une solidarité, d'un risque pour un autre. Nos associations ont pour but de combattre cet esprit du monde.

«Pour bien entrer dans ces vues et comprendre cette tâche, il faut songer à la fin de notre vie et même à l'éternité. Nous savons que notre vie ici-bas n'est qu'une préparation à rendre compte de tout ce que nous sommes, de tout ce que nous avons, et de la manière dont nous aurons fait usage de nos biens spirituels et matériels.

Il faut sans cesse se rappeler que notre devoir de chrétien est et doit rester la base fondamentale de nos associations.

Notre Seigneur nous a prémunis contre les tendances matérialistes de nos temps modernes: Cherchez avant tout, nous a-t-il dit, le règne de Dieu et sa justice, et vous aurez tout ce qui sera nécessaire pour les besoins de cette vie…

C'est en pensant qu'on travaille pour Dieu, qu'on trouvera la force et la persévérance nécessaires pour ne pas se laisser diriger par des intentions de second ordre, comme celles d'acquérir de l'honneur et du profit; on ne se laissera rebuter ni par les déboires ni par l'ingratitude… C'est seulement en pensant que nous travaillons pour Dieu que nous serons assurés de marcher dans la voie de la sagesse et de la vérité, et que nous arriverons à mettre le véritable esprit dans nos travaux.

Dès lors, nous aurons la conviction que par la circulation de l'argent, nous avons trouvé une forme solide pour notre activité. Pour rendre cette forme vraiment profitable, il faut qu'elle soit animée par l'esprit de la foi et de la charité chrétienne. Cet esprit doit être le ressort et la force d'une activité infatigable… Dieu veuille que cet esprit nous pénètre, pénètre nos associations et toute notre organisation, pour notre plus grand bien et pour celui de nos descendants!».

Qu'en pensez-vous, chers lecteurs? Peut-on dire après cela que les amis des œuvres sociales sont des matérialistes, comme le pensent leurs détracteurs? Ces gens oublient de s'éclairer avant de juger et condamner leur prochain.

Les œuvres rurales et agricoles sont donc bien des œuvres surnaturelles dans leurs principes et dans leur but, des œuvres de foi, de justice et de charité.

Les caisses rurales de crédit sont une des formes les plus réussies de la renaissance des corporations. Elles réunissent toutes les classes: le grand propriétaire y coudoie le petit fermier, le prêtre y trouve sa place comme conseiller et secrétaire. Leur but est essentiellement moral: c'est la fraternité chrétienne en action.

L'œuvre vous est connue. Quelques chefs de famille s'unissent. Ils ont une caisse de prêt, alimentée soit par les dépôts et avances de quelques-uns d'entre eux, soit par une caisse régionale. Les prêts ne sont faits que pour un emploi de production, pour acheter des semences, des engrais, des instruments de culture, pour agrandir la ferme. L'emprunteur doit pouvoir rembourser facilement le capital avec un modeste intérêt et y trouver encore un profit. C'est pour cela que Raiffeisen appelle ses œuvres un mode de circulation de l'argent. Cet argent circule comme l'eau de la prairie en répandant la fécondité.

La caisse rurale compte au premier rang des œuvres du catholi­cisme social. Si vous déposez votre argent à la Caisse d'épargne c'est de l'eau qui stagne; si vous le déposez à la Caisse rurale, c'est de l'eau qui marche et qui vivifie.

Le congrès des Caisses rurales a été un des mieux réussis, grâce à son organisateur et président, M. Louis Durand, de Lyon, le Raiffeisen français.

Des notabilités étrangères sont venues nous dire où en est dans leur pays le développement du crédit rural. Nous n'avions pas lieu d'être bien fiers pour la France. L'Allemagne a plus de 3000 caisses, l'Italie 1200, la Belgique 800; l'Alsace-Lorraine en compte environ 600 dans ses trois départements et ces Caisses font un chiffre d'affaires qui s'élève à quelques millions chaque année.

En France nous en avons a peine 600! Le clergé ne s'y met pas assez, les propriétaires non plus.

Vous, jeunes gens, qui êtes l'avenir, venez à la rescousse. Le président des groupes de jeunesse catholique de Valenciennes a formulé au congrès une résolution pleine d'espérance. Ses jeunes gens vont consacrer tout leur zèle, dans la saison prochaine, à la fondation de Caisses rurales. Cette œuvre sera le thème de leurs conférences, le but de leurs visites. Ils iront de paroisse en paroisse et dans quelques mois tout l'arrondissement aura reçu cette semence féconde. Il y aura là une magnifique effloraison de ces œuvres de fraternité chrétienne, qui sont eu même temps des œuvres de civilisation et de progrès social.

Quel est le travailleur qui n'augmentera pas ses produits, s'il trouve la semence, l'engrais, les animaux pour le travail et l'élevage? Il lui en coûtera 3% et. il en retirera 15 ou 20%. Le crédit rural est bien le fleuve qui vivifie.

Jeunes gens du Sud-Est, allez-vous vous laisser dépasser par ceux du Nord? Croyez-moi, on gagne les populations en rendant des services. Faites cette année, comme on fait à Valenciennes. Prenez pour thème de vos conférences et pour but de votre campagne d'hiver les caisses rurales de crédit. Demandez les documents à M. Louis Durand, (97, avenue de Saxe, à Lyon). Ne craignez pas l'insuccès. La jeune histoire des Caisses rurales a déjà des traits ravissants, et les campagnards aiment les choses pratiques.

Confiance! c'est par les œuvres de foi, de charité chrétienne, que nous gagnerons les populations. Elles verront que l'esprit de l'Evangi­le est celui qui développe le mieux la civilisation et le progrès.

La Chronique du Sud-Est, N. 7, juillet 1900; pp. 548-550.

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