ospcam-0001-0001

cam1

Couronnes d'Amour au Sacré-Cœur

Il existe plusieurs couronnes ou chapelets du Sacré-Cœur. La Bien­heureuse Marguerite-Marie aimait à offrir cet hommage au Cœur de Jésus: «Je vous sais bon gré du petit chapelet à l'honneur du Sacré­-Cœur», écrivait-elle à la mère de Saumaise. La couronne que nous pro­pageons a été approuvée par un grand nombre d'évêques. En choisissant des invocations indulgenciées, nous donnons à cette couronne un très grand prix pour ceux qui la récitent et pour les âmes du purgatoire, en faveur desquelles on peut l'offrir.

Cette couronne n'est pas seulement précieuse par ses indulgences, c'est un acte d'amour au Sacré-Cœur, répété un grand nombre de fois et qui peut être accompagné d'une courte méditation sur les mystères du Sacré-Cœur, comme les Ave Maria du Rosaire, sont accompagnés d'une pieuse méditation sur les mystères de la vie de Marie.

Nous donnons dans ce volume une série de méditations ou de lectures en forme de retraite sur ces mystères du Sacré-Cœur. C'est comme pré­paration et comme thème de ces lectures que nous reproduisons ici cette triple couronne.

En 1852, cette pieuse pratique fut soumise au bienheureux Vianney, curé d'Ars. Il l'accueillit avec joie, l'encouragea et la bénit.

La triple couronne considère et honore le Cœur sacré de Jésus dans les Mystères de l'Incarnation, de la Rédemption et de l'Eucharistie.

Méthode pratique. POUR RECITER LA TRIPLE COURONNE SUR LE CHAPELET ORDINAIRE

Acte préparatoire
Ave, Cor Jesu, amantissimum et ama­bilissimum;1)
Te amamus, benedicimus et glorifica­mus;
Te laudamus cum igneis Seraphim;
Te exaltamus cum sublimibus Thronis;
Tibi gratias agimus cum omnibus An­gelis et Sanctis tuis;
Te diligimus cum Corde Mariae aman­tissimo et cum Joseph amabili sponso Ma­riae et patre tuo adoptivo;

Tibi cor nostrum offerimus, donamus, consecramus, immolamus;
Illud totum accipe, accende et infiamma;
Una oblatione consummasti in sempi­ternum sanctifcatos;

Sanguine tuo pretioso nos peramanter redemisti;
Te, Cor Jesu, expectabo et misericor­diam tuam praestolabor;
In Te, Cor Jesu, speravi, non confun­dar in aeternum.
Salut, Cœur très aimant et très aima­ble de Jésus;
Nous vous aimons, nous vous bénis­sons et nous vous glorifions;
Nous vous louons avec les Séraphins brûlants d'amour;
Nous vous exaltons avec le chœur su­blime des Trônes;
Nous vous rendons grâces avec tous vos Anges et tous vos Saints;
Nous vous aimons avec le Cœur très ai­mant de Marie et avec saint Joseph, l'aima­ble époux de Marie et votre père adoptif;
Nous vous offrons, donnons, consa­crons et immolons notre cœur; Prenez-le tout entier et embrasez-le;

Vous avez consommé par une seule oblation, ceux que vous avez sanctifiés pour l'éternité;
Par un excès d'amour, vous nous avez rachetés par votre sang précieux;
O Cœur de Jésus, je vous attendrai et je soupirerai après votre miséricorde;
J'ai espéré en vous, Cœur de Jésus, je ne serai pas confondu pour l'éternité.
* Ad crucem* Sur la croix
Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.Venez, Esprit-Saint, remplissez les cœurs de vos fidèles et embrasez-les du feu de votre amour.
* Ad tres primas tesseras* Sur les trois premiers grains
V). Amatum sit ubiqueV). Aimé soit partout
R). Sacratissimum Cor Jesu (100 d. ind.).R). Le Sacré-Cœur de Jésus (100 j. d' ind. ).

Première Couronne. Le Sacré-Cœur de Jésus dans son Incarnation

«Cœur sacré de Jésus, victime d'amour, je vous adore et je vous aime dans les my­stères de votre Incarnation».

Ier Mystère. - Oblation du Sacré-Cœur de Jésus dans le sein virginal de Marie.

Fruit du mystère: Offrir son cœur à Dieu dès le réveil, par le Sacré-Cœur de Jésus. (Invoca­tions comme ci-dessous à chaque dizaine).

IIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans son enfance.

Fruit du mystère: La simplicité de cœur et l'obéissance à la sainte Eglise.

IIIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa vie cachée à Nazareth.

Fruit du mystère: L'amour de sa condition et la fuite du monde.

IVe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa vie apostolique.

Fruit du mystère: Union au Sacré-Cœur de Jésus dans son apostolat.

Ve Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dévoué aux malades et aux pécheurs.

Fruit du mystère: Amour de compassion aux malades, de dévouement aux pécheurs.

Invocations pour la Ie et la IIe couronne
* Ad tesseras majores* Sur les gros grains
V). Jesu, mitis et humilis Corde,V). Jésus, doux et humble de Cœur,
R). Fac cor meum sicut Cor tuum (300 d. ind.).R). Rendez mon cœur semblable au vôtre (300 j. d'ind.).
* Ad tesseras minimas* Sur les petits grains
V). Dulce Cor Jesu,V). Doux Cœur de Marie,
R). Fac ut te magis ac magis diligam (300 d. ind.).R). Faites que je vous aime de plus en plus (300 j. d'ind.).
* Post quamlibet seriem
decem invocationum
* Après chaque dizaine
V). Dulce Cor Mariae,V). Doux Cœur de Marie,
R). Sis salus mea (300 d. ind.).R). Soyez mon salut (300 j. d'ind.).

Deuxième Couronne. Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa passion

Cœur sacré de Jésus, brisé de douleur à cause de nos péchés, immolez mon cœur à votre amour souffrant.

Ier Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans son agonie.

Fruit du mystère: Horreur et fuite du péché. (Invocations comme à la première Couron­ne).

IIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans ses Humiliations.

Fruit du mystère: Douceur et patience dans les humiliations: pardon généreux.

IIIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans ses souffrances extérieures.

Fruit du mystère: Sanctification des souffrances par la résignation.

IVe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus abandonné du ciel et de la terre.

Fruit du mystère: Abandon total au bon plaisir de Dieu.

Ve Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus percé par la lance.

Fruit du mystère: Retraite de l'âme dans le Sacré-Cœur de Jésus.

Troisième Couronne. Le Sacré-Cœur de Jésus dans l’eucharistie

Cœur sacré de Jésus, Cœur aimable et toujours aimant, vivant d'amour pour nous dans la sainte Eucharistie, que je ne vive plus que pour vous aimer!

Ier Mystère. - Vie d'amour.

Fruit du mystère: Fidélité à visiter le Sacré-Cœur de Jésus au Saint-Sacrement et à assister au­tant que possible, au saint sacrifice de la Messe. (Invocations comme ci-dessous à chaque di­zaine).

IIe Mystère. - Vie de silence et de prière.

Fruit du mystère: L'âme recueillie dans le Sacré-Cœur de Jésus au milieu du monde.

IIIe Mystère. - Vie de sacrifices.

Fruit du mystère: Se sacrifier pour Dieu et ses frères, à l'exemple du Sacré-Cœur de Jésus.

IVe Mystère. - Vie outragée par les méchants.

Fruit du mystère: Faire chaque jour, au moins le vendredi, amende honorable au Sacré-Cœur de Jésus.

Ve Mystère. - Vie d'action, de grâces.

Fruit du mystère: Offrir sa reconnaissance au Cœur de Jésus par les saints Cœurs de Marie et de Joseph.

Invocations pour la IIIe couronne
* Ad tesseras majores in 3a corona* Sur les gros grains à la 3e couronne
V). Laudatum, adoratum, amatum cum grati animi affectu, sit Eucharisti­cum Cor Jesu,V). Loué, aimé et remercié soit à tout instant le Cœur Eucharistique de Jésus,
R). Singulus omnibus orbis temporis momentis, in tabernaculis, usque ad consummationem saeculi (100 d. ind.).R). Dans tous les tabernacles du monde jusqu'à la consommation des siècles (100 j. d'ind.)
* Ad tesseras minimas* Sur les petits grains
V). Dulce Cor Jesu,V). Doux Cœur de Jésus.
R). Fac ut te magis ac magis diligam (300j. d'ind.)R). Faites que je vous aime de plus en plus (300 j. ind.).
* Post quamlibet seriem deceme invocationum* Après chaque dizaine
V). Dulce cor Mariae.V). Doux Cœur de Marie.
R). Sis salus mea (300 d. ind.).R). Soyez mon salut (300 j. d'ind.).
* POST TRIPLICEM CORONAM* APRES LA TRIPLE COURONNE
Accepta sit, Domine Jesus, Sacratissi­mo Cordi tuo pro compensandis tot ac tantis tibi, presertim in sanctissimo amo­ris Sacramento, illatis injuriis, devota cor­dium nostrorum oblatio et fac nos divinis­simi illius Cordis magis persentire dolo­rem, imitari virtutes et promereri favores. Qui vivis et regnas in saecula saeculorum Amen.Seigneur Jésus, daignez agréer l'oblation de nos cœurs, en réparation de tant et de si grandes injures qui sont faites à votre Sacré­Cœur, surtout dans le Sacrement de votre amour, et faites-nous la grâce de ressentir davantage les douleurs de ce divin Cœur, d'imiter ses vertus et de mériter ses faveurs. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Cette triple Couronne, on le voit, est vraiment une fortune spirituelle pour les vi­vants et pour les morts, par les riches indulgences attachées aux invocations dont elle se compose, indulgences toutes applicables aux âmes du Purgatoire.

Qui n'aimerait une dévotion si aimable et si fructueuse? Aussi les princes de l'Eglise et plusieurs prélats l'ont-ils honorée de leur plus sympathique approbation.

Vu et approuvé par Nous:

 L. M. Card. CAVEROT, archevêque de Lyon.

 J. H. Card. GUIBERT, archevêque de Paris.

 V. A. Card. DECHAMPS, archevêque de Malines.

 Fr. Card. RICHARD, archevêque de Paris.

 JUSTIN, archevêque de Besançon.

 ARMAND, archevêque de Toronto.

 JOSEPH, archevêque de Bourges.

 PIERRE, évêque de Belley.

 MARIE-CAMILLE-ALBERT, évêque de Saint-Dié.

 J. B. JOSEPH, év. d'Arras, de Boulogne et de St-Omer.

 AMAND JOSEPH, évêque de Grenoble.

 LOUIS, évêque de Nîmes, d'Uzès et d'Alais.

 AUGUSTIN, évêque de Portland (Amérique).

Ces méditations peuvent se faire en tout temps, elles forment comme une longue re­traite d'amour au Sacré-Cœur. Elles peuvent aussi servir pour le mois du Sacré-Cœur pendant trois années consécutives.

Si l'on préfère les partager suivant les divers temps de l'année liturgique, la première couronne convient au temps de Noël, la deuxième au mois de mars que la Bienheureu­se Marguerite-Marie consacrait toujours à la Passion; la troisième au mois de juin, qui est dédié au saint Sacrement et au Sacré-Cœur.

Prières préparatoires

(A lire avant la méditation préliminaire)

Ant. Ecoute, ô ma fille, regarde, prête l'oreille et oublie ton peuple et la maison de ton père, alors le roi sera épris de ta beauté (et te donnera son Cœur) (Ps. 44).

Oraison. Seigneur Jésus, qui avez conduit d'une manière si suave votre épouse, la Bienheureuse Marguerite-Marie, dans la retraite sacrée de votre Cœur, comme dans un purgatoire d'amour, faites que, sous sa protection, nous puissions achever nos saints exercices sous l'influence d'une charité parfaite, dans votre Cœur, avec votre Cœur et par votre Cœur bien-aimé. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles.

O Bienheureuse Vierge Marguerite-Marie, à laquelle le Cœur de Jésus s'est totalement confié, vous qui vous teniez devant ce Cœur comme une toile d'attente pour recevoir ses empreintes, obtenez-nous la grâce que ce Cœur, qui est notre Cœur à tous, s'imprime dans nos cœurs et qu'il y vive et règne parfaitement.

Seigneur Jésus, qui avez révélé d'une manière admirable les richesses infinies de votre Cœur à la Bienheureuse Marguerite-Marie, accordez­-nous, par ses mérites, la grâce de l'imiter et de vous aimer en tout et par­dessus tout, afin que nous méritions d'obtenir une demeure permanente dans ce même Cœur, vous qui vivez et régnez dans tous les siècles. Amen.

Meditation preliminaire

«Je suis venu allumer le feu sur

la terre» (S. Luc, XII)

Ce texte nous offre un sens nouveau depuis les révélations du Sacré­Cœur. Notre-Seigneur réservait pour les derniers temps un feu caché. Il est venu manifester et révéler ce feu en montrant à la Bienheureuse Marguerite-Marie les flammes qui entourent son Cœur et qui en jaillis­sent. Il y a là une lumière et une chaleur nouvelles. Il doit en résulter, si les âmes laissent agir ce feu, une illumination éclatante et un embrase­ment puissant. Ces effets doivent se produire particulièrement dans les retraites et même dans les méditations quotidiennes; et ils se produisent à la condition qu'on y suive bien la doctrine du Sacré-Cœur, qu'on y marche bien dans la voie nouvelle, la voie du Sacré-Cœur: Initiavit nobis viam novam (Ad Heb. X). Jésus nous a ouvert une voie nouvelle.

Cette doctrine, il faut la puiser aux vraies sources. On la trouve en sainte Gertrude, dans ses Insinuations du divin amour, qui sont les insinua­tions du Sacré-Cœur; dans Marguerite-Marie et dans les lumières re­çues et indiquées par quelques âmes privilégiées. On la trouve dans la source toujours nouvelle, l'Ecriture, mais l'Ecriture ouverte par cette clef nouvelle de la révélation du Sacré-Cœur.

Cette lumière nouvelle nous montre davantage l'amour de Dieu pour nous, l'amour du Sacré-Cœur pour nous. Ce feu nouveau, c'est le feu de l'amour et de l'immolation, montré par Notre-Seigneur à Marguerite-Marie, feu divin que le Sacré-Cœur veut communiquer à nos cœurs: «Quid volo nui ut accendatur. - Je veux, dit-il, que ce feu se propage».

Cette retraite, pour être conforme à la voie nouvelle, pour produire les fruits merveilleux promis par le Sacré-Cœur à cette voie nouvelle, doit être toute entière dans le Sacré-Cœur, avec le Sacré-Cœur et par le Sacré-Cœur. Elle doit nous redire tout l'amour de Dieu, tout l'amour du Sacré-Cœur qui va jusqu'à l'immolation pour nous, elle doit sacri­fier nos cœurs dans le feu de l'amour, elle doit les enflammer d'un feu inextinguible d'amour et d'immolation, en union avec le Sacré-Cœur et pour le Sacré-Cœur.

Les conditions pour bien faire cette retraite, pour en obtenir les fruits merveilleux qu'on est en droit d'en attendre, sont insinuées dans les prières préparatoires que nous avons dites. Méditons-les.

Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam et obliviscere populum tuum, et do­mum, patris tut, et concupiscet rex decorem tuum, (dabitque tibi cor suum). - Ecoute, ma fille, vois, prête l'oreille à mes paroles, oublie ton peuple et la maison de ton père, et le roi aimera ta beauté (et te donnera son cœur) (Ps. 44).

Ce psaume que vous venez de redire est un épithalame, comme l'inti­tule David: Canticum pro dilecto. C'est un chant de noces, le chant des no­ces de Jésus-Christ avec son Eglise, de Jésus avec Marie, du céleste Epoux avec chacune de nos âmes.

«Viens, ma fille, regarde, contemple, penche ton oreille, écoute». Il emploie tour à tour les noms les plus tendres: ma fille, ma soeur, mon épouse. Ce chant de noces, nous l'avons appliqué spécialement à la Bienheureuse Marguerite-Marie, l'épouse privilégiée du Cœur de Jésus; elle est, parmi toutes les vierges, une des épouses préférées, avec les Catherine, les Gestrude, les Mechtilde, etc. Nos retraites, nos oraisons doivent se faire sous la protection de la Bienheureuse qui en sera le mo­dèle et la patronne; elle est un peu notre mère, ou, si vous le voulez, no­tre sœur aînée. Nous passerons ces moments précieux dans l'attitude où nous voyons représentée la Bienheureuse, à genoux aux pieds de Notre-­Seigneur, le regard fixé sur son Cœur.

«Venez et contemplez». Cette invitation, l'Epoux l'adresse à toutes les âmes qu'il a prévenues de grâces particulières, et nous serions bien in­grats, si nous ne reconnaissions pas que nous sommes du nombre de ces âmes choisies: «Ma fille, dit-il à notre âme, considère mon Cœur et écoute ma parole pendant cette retraite, la parole de ma grâce, la parole de mon Cœur: inclina aurem tuant… incline ton oreille, car je parle tout bas au dedans des âmes».

Dans son incompréhensible bonté, le Roi céleste veut bien trouver en nous quelque beauté, et concupiscet Rex decorem tuum». Cette beauté, c'est celle des dons qu'il a mis en nous: les dons de la nature, qui sont un ve­stige de son Etre divin; les dons de la grâce, qui sont une image, une imi­tation de sa beauté. Et nous ajoutons au texte sacré un commentaire qui est bien dans l'esprit du psaume: «et il donnera son Cœur». Le texte indique seulement que l'Epoux veut faire à l'épouse un don royal; ce don royal, c'est le don que Jésus veut nous faire de son propre Cœur. Ce don royal, Notre-Seigneur l'a fait d'une manière admirable à la Bienheureuse Marguerite-Marie.

Mais, pour entendre la parole de l'Epoux et recevoir ce don, il y a des conditions: «Obliviscere populum tuum et domum patris tui: Oublie ton peuple et la maison de ton père». Il faut tout quitter, laisser tout ce qui nous oc­cupe et nous préoccupe d'ordinaire, quitter non seulement les affaires et le vain bruit du monde, «oublie le peuple», mais aussi ce qui nous est le plus cher, le plus intime «et la maison de ton père». Que notre seule af­faire soit de considérer le Cœur de Jésus.

Nous demandons à Notre-Seigneur que nos exercices spirituels se fas­sent en son Cœur, avec son Cœur et par son Cœur.

En son Cœur: c'est là que nous voulons habiter durant ces heures bé­nies; le Cœur de Jésus sera notre demeure, notre refuge, le lieu de notre retraite.

Avec son Cœur: nous ferons ces pieux exercices avec les sentiments du Cœur de Jésus, avec ses sentiments d'amour pour son Père et pour les hommes, avec ses sentiments de douceur et d'humilité.

Par son Cœur: nous serons assistés de la grâce du Cœur de Jésus. Toute cette retraite sera employée à lire le Cœur de Jésus, ce livre écrit dedans et dehors: librum scriptum intus et foris; nous le lirons, nous l'étudierons, nous le dévorerons, nous y considérerons les mystères de son enfance et de sa vie cachée en attendant qu'il nous soit donné d'y contempler, dans les autres retraites, les mystères de sa Passion et de son Eucharistie. «Accipe librum et devora illum, et faciet amaricari ventrem tuum, sed in ore tuo erit dulce tanquam mel (Apoc. X): Prends ce livre, dévore-le, il mettra l'amertume en tes entrailles, mais il sera doux comme le miel à ta bouche». Il aura le miel des affabilités, de la suavité du Cœur de Jésus­-Enfant; mais aussi, il aura une amertume pour tes entrailles, l'amertu­me de la compassion quand tu songeras que l'amour n'est point aimé, que toi-même tu ne l'aimes pas comme tu devrais l'aimer. Notre-­Seigneur lui-même, en présentant son Cœur à la Bienheureuse Marguerite-Marie, lui montrait la douceur et l'amertume qu'elle y trou­verait: «Voilà ce Cœur, qui a tant aimé les hommes!» Voilà le miel, la douceur de l'amour «et qui ne reçoit de la plupart que de l'ingratitude». Voilà l'amertu­me de la douleur.

La Bienheureuse Marguerite-Marie habitait dans le Cœur de Jésus comme dans un purgatoire d'amour. Qu'est-ce que ce purgatoire d'amour? Toute retraite doit commencer par une purification. Ordinai­rement ce sont les grandes vérités, les fins dernières que l'on expose; c'est la crainte de la mort, du jugement et de l'enfer qu'on fait agir sur les âmes pour les forcer à se purifier. Pour nous, enfants du Cœur de Jésus, nous rechercherons plutôt la purification opérée par les flammes de l'amour. Quand, après avoir contemplé les mystères de Jésus-Enfant, nous serons épris de ses charmes, de sa beauté, nous pleurerons de voir les larmes de cet Enfant divin causées par nos péchés. Ce sera le purga­toire de l'amour compatissant.

C'est ce glaive de douleur qui a transpercé le Cœur de la sainte Vier­ge, quand elle a vu Jésus s'humilier et souffrir pour nos péchés: douleur plus méritoire que toutes les mortifications parce que c'est le sacrifice du cœur.

La Bienheureuse Marguerite-Marie se tenait devant Notre-Seigneur comme une toile d'attente, toile bien blanche, bien belle, bien purifiée dans ce purgatoire d'amour. Sur cette toile, Notre-Seigneur comme un habile peintre, dessinait l'image de son Cœur. Ce n'était pas une pein­ture morte, mais une image vivante qui reproduisait les traits du divin Maître; cette âme, illuminée et purifiée par le Cœur de Jésus, était si semblable à son adorable modèle, qu'elle réalisait cette unité mystique qui est le dernier terme de l'union avec le Cœur de Jésus. Nous aussi, soyons devant Notre-Seigneur comme une toile bien blanche où il impri­mera le sceau de son Cœur; il nous purifiera, il nous éclairera, il nous élèvera enfin à cette union parfaite dans laquelle on ne fait plus qu'un avec lui. Alors nous pourrons dire avec saint Paul: «Vivo, non ego, vivit ve­ro in me Christus. -je ne vis plus, c'est Jésus Christ, c'est son Cœur qui vit en moi» (ad Gal. II). Demeurons donc aux pieds de Notre-Seigneur avec un regard de tendresse, avec un effort d'amour, dans l'amertume de nos fautes et la joie du pardon, sous un rayon de lumière et de béné­diction.

Résolution. - O mon bon Maître, je viens à vous, je me tiendrai devant vous dans le calme, dans un pieux recueillement, comme une toile d'at­tente. Je contemplerai paisiblement et amoureusement les mystères de votre vie. Je serai docile à votre grâce et à votre amour. Ainsi je me déta­cherai facilement des créatures et je purifierai mon cœur dans le feu de votre amour, pour entendre votre douce voix qui veut m'offrir le don de votre Cœur.

PREMIER MYSTERE

Oblation du Cœur de Jésus
dans le sein virginal de Marie

PREMIER MEDITATION

DON QUE DIEU NOUS FAIT DE LUI-MEME

Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, ex tota mente tua, ex totis viri­bus tuis. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces (Deuter. VI). - Nous voulons, dans cette re­traite, jeter les premières bases de notre amour pour le Sacré-Cœur. Mais il convient que nous considérions auparavant comment Dieu nous a aimés, comment il s'est donné à nous. Avant de contempler le Cœur de Jésus, il est bon que nous nous arrêtions un moment à considérer le Cœur même de Dieu. On peut le dire: dès l'instant de la Création, bien avant que Dieu nous donnât le Cœur de son Fils, la sainte Trinité nous a donné elle-même son Cœur: Faciamus hominem ad imaginem et similitudi­nem nostram. Faisons, dit la sainte Trinité, une oeuvre grande et impor­tante; tenons conseil pour l'exécuter, faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Gen. I). L'homme est l'image de Dieu par les dons naturels et par les dons surnaturels que Dieu lui a communiqués. Il est surtout l'objet des complaisances du Cœur de Dieu dans l'adoption di­vine.

Dieu se connaît, il s'aime, il jouit de la contemplation de ses perfec­tions infinies, rien ne lui manque, il n'a besoin d'aucun être en dehors de lui. Mais comme la bonté est diffusive de sa nature, Dieu a voulu se répandre au dehors par une effusion de sa bonté. Les créatures inani­mées sont comme un vestige de son Etre. Les créatures douées seule­ment de la vie végétale ou animale sont déjà un reflet de la vie divine.

Mais ce sont les créatures intelligentes, le anges et les hommes, qui sont véritablement l'image et la ressemblance de Dieu. Par sa vie, son intelli­gence et sa volonté, l'homme est l'image de la sainte Trinité; chacune des trois personnes divines a imprimé dans notre âme son trait caractéri­stique; vivante, notre âme reproduit la vie divine et la puissance du Pè­re, intelligente, elle imite l'intelligence du Verbe; aimante, elle exprime l'amour de l'Esprit-Saint. L'homme a une ressemblance de famille avec Dieu.

Dieu est Esprit; notre âme est esprit. - Dieu est un en nature et triple en personnes; notre âme est une en nature et multiple dans ses facultés. - Dieu est éternel; l'homme est immortel. - Dieu est libre; l'homme est libre. Par cette liberté, nous méritons le ciel; et par là, Dieu nous com­munique, dans la mesure du possible, la plus incommunicable de ses perfections, sa qualité d'être et d'avoir par lui-même tout ce qu'il est et tout ce qu'il a.

Dieu a mis toutes les créatures à notre service, mais il a fait plus enco­re en nous donnant sa propre ressemblance et en se donnant lui-même à nous pour faire notre bonheur par sa connaissance et son amour. Car nos facultés naturelles, notre intelligence, notre raison, nous permettent déjà de connaître Dieu comme notre Créateur et de l'aimer comme no­tre rémunérateur, en dehors même de la révélation et des dons surnatu­rels.

Si Dieu n'eût accordé à l'homme que les dons naturels, c'eût été déjà beaucoup, et cependant ce n'eût été rien en comparaison de ce qu'il a voulu faire. Par pur amour, par bonté, pressé par le besoin de se com­muniquer lui-même autant que possible, il y a ajouté les dons surnatu­rels: l'intégrité, l'immortalité, la science infuse, et, ce qui surpasse tout, l'adoption divine.

L'intégrité, c'est-à-dire, l'exemption de la concupiscence, de cette ré­volte de la chair contre l'esprit. Chez le premier homme, tout était mer­veilleusement réglé, pondéré, ordonné; jamais le moindre désordre, tou­jours la pleine et calme possession de lui-même. L'homme ne commença à sentir les atteintes de la concupiscence que lorsqu'il eut désobéi à Dieu et cédé aux séductions du démon. Dieu avait daigné préserver l'homme de cette honteuse servitude. Il lui avait donné la ressemblance de son in­tégrité divine.

L'immortalité: après une courte épreuve sur la terre, le corps de l'hom­me, sans passer par la mort, devait être transformé en ce corps glorieux que nous ne retrouverons désormais qu'après la résurrection. Dieu vou­lait épargner à l'homme toutes ces préparations à la mort qui sont les la­beurs, les fatigues, la faim, la soif, les maladies. Notre vie n'est qu'une mort lente et prolongée. Chez Adam, au contraire, jamais aucune défail­lance, aucun amoindrissement; il devait toujours conserver la plénitude de sa force et de sa beauté. Dieu lui donnait part à son immortalité.

La science infuse: science que Dieu lui même avait déposée dans l'âme du premier homme, science vaste qui embrassait l'univers entier, les na­tures et les essences de toutes choses, les usages des différents êtres, les causes et les effets de tout.

Certes, c'étaient là des dons bien grands, des dons que Dieu ne devait pas à l'homme, des dons surnaturels ou au moins préternaturels, sans lesquels notre nature pouvait exister.

Même en prévoyant que nous perdrions ces dons, Dieu nous montrait son amour en nous les accordant. Il se proposait d'ailleurs de nous en rendre de meilleurs, si nous les perdions, de nous rendre la grâce du Cœur de Jésus.

Et cependant, tout cela n'était rien encore. Il restait à Dieu, après avoir donné toute la création à l'homme, à se donner lui-même plus complètement par une effusion ineffable de sa bonté. Ce don, c'est l'adoption divine qui nous fait enfants et comme frères de Dieu. «Ego di­xi: dii estis et filii Excelsi omnes» (Ps. 81. conf. Joan. X). C'est par ce don su­blime que nous sommes, encore plus que par nos facultés naturelles, l'image et la ressemblance de Dieu. «Faciamus hominem ad imaginem et simi­litudinem nostram»: Faisons l'homme, disent les trois personnes divines, comme l'un d'entre nous, faisons-le à notre image, par les dons naturels; faisons-le à notre ressemblance, par les dons surnaturels; prenons conseil pour former l'homme à notre image et à notre ressemblance par l'adop­tion divine. C'est de cet homme divinisé que parle saint Paul quand il dit: «novum hominem qui creatus est secundum Deum: le nouvel homme qui a été créé conformément à Dieu, semblable à Dieu, dans la justice et la sainteté» (Eph. IV).

Les Pères exaltent cette grâce de l'adoption par les noms les plus subli­mes. Ils l'appellent: déification. Saint Pierre avait dit: «Nous sommes faits participants de la nature divine». Saint Athanase dit: «Dieu n'avait qu'un seul Fils selon la nature, un Fils engendré de toute éternité; mais sa famille s'est agrandie, il a de nombreux fils adoptifs qu'il a élevés à cette dignité», en considération des mérites du Cœur de Jésus.

N'y a-t-il pas là comme une progression à l'infini, de la munificence divine dans l'effusion de ses dons? Les créatures inanimées, vestiges de l'Etre divin; les créatures vivantes qui participent à la vie divine; les êtres intelligents, images de la vie, de l'intelligence et de la volonté divi­nes; toutes les créatures au service de l'homme; l'homme comblé de dons préternaturels, intégrité, immortalité, science infuse; et enfin l'homme recevant un don qui l'élève au dessus de tout l'ordre naturel, un don qui épuise tout ce que Dieu peut nous donner, un don qui est Dieu lui-même, la grâce de l'adoption.

«Et nunc, Israel, quid Dominus tuus petit a te, nisi ut timeas Dominum Deum tuum, et ambules in viis ejus et diligas eum et servi as Domino in toto corde tuo? - Qu'est-ce que Dieu nous demande en échange, sinon que nous l'aimions de tout notre cœur, de tout notre esprit et de toutes nos forces, en recon­naissance de ce don inestimable?» (Deut. X), De tout notre cœur, je com­prends ces mots, mais: de tout notre esprit, de toutes nos forces, j'ai peine à comprendre ce langage. Ah! c'est que toutes nos facultés, toutes les puis­sances de notre être sont au service de l'amour, ne sont que les servantes de la faculté d'aimer. Quand une fois la connaissance a préparé et ame­né l'amour, on fait tout par amour, on aime encore en connaissant, on aime encore en agissant.

Ajoutons que dans la création, Dieu avait déjà en vue le Cœur de Jésus. C'était son principal objectif, il préparait tout pour le Cœur qui de­vait lui donner tant d'amour et qui devait tant nous aimer. On peut en­tendre dans ce sens ce qui est dit de la Sagesse divine au livre des prover­bes. La Sagesse, c'est le Verbe, c'est le Fils de Dieu, c'est son Cœur pensant et aimant. «J'étais avec Dieu, dit la Sagesse, pour tout coordon­ner: cum eo eram, cuncta componens». Le Sacré-Cœur réglait toute la créa­tion. Il y formait son propre symbole et son image dans le soleil, foyer de lumière et de chaleur, dans les abîmes de l'Océan, immenses comme sa miséricorde, dans le cœur de l'homme, dans le côté d'Adam, d'où il ti­rait notre première mère, comme il tirerait l'Eglise de son côté ouvert.

Dieu créait tout pour le Cœur de Jésus, c'est-à-dire pour notre amour.

Résolution. - Je me tiendrai dans un sentiment habituel de reconnai­sance, d'amour filial envers vous, ô mon Dieu, qui m'avez donné dans la création votre ressemblace et qui m'avez fait votre fils. je comprends et je veux réaliser ce mot de saint Paul «Vivez dans les dispositions de fils bienaimés» (Ad Eph. V). Enfant de Dieu! quel beau titre! Comment ne vous aimerais-je pas, ô mon Père, d'un amour tendre et filial!

DEUXIEME MEDITATION

DON QUE DIEU NOUS FAIT DE SON FILS

En considérant le don que Dieu nous a fait de lui-même et de sa pater­nité divine dans la création, il nous semblait que ce don avait épuisé tou­tes les richesses de la libéralité divine. Mais voici que Dieu nous fait un don encore plus grand dans l'incarnation de son Fils: «Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum, unigenitum daret, Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique» (S. Jean, III).

C'est un secret que Dieu s'est réservé, de savoir s'il nous aurait donné son Fils dans l'Incarnation au cas où l'homme aurait persévéré dans la justice dans laquelle il avait été créé. L'école séraphique soutient l'affir­mative et nous inclinons à l'admettre. Rien ne nous étonne dans l'amour de Dieu. C'eût été un moindre don de nous donner son Fils uni­que comme frère, comme roi, comme pontife, que de nous le donner comme rançon. Mais ce dessein d'amour que Dieu a conçu de vivre pour ainsi dire plus intimement avec nous en se faisant l'un des nôtres, de nous élever plus haut en se faisant notre frère, de nous sanctifier d'une manière plus sublime en se faisant notre pontife, ne l'eût-il pas conçu également si nous n'avions pas péché? Saint Paul semble confir­mer notre sentiment, quand il dit que ce qui rend plus admirable l'amour de Dieu c'est qu'il a voulu nous donner son Fils même après que nous avions péché (Rom., V. 8). Commendat caritatem suam Deus in nobis quoniam cum adhuc peccatores essemus… Christus pro nobis mortuus est.

Nous pouvons donc penser que Dieu avait, même en dehors des exi­gences de la Rédemption, le dessein de nous donner son Fils comme no­tre roi, notre frère et notre ami.

Mais ce qui n'est plus douteux, c'est que Dieu a conçu, dès le com­mencement, le dessein de la Rédemption. C'est l'objet de l'étonnem­ment de Notre-Seigneur lui-même: «Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret! Dieu a aimé le monde jusqu'au point de lui donner son Fils!» (Saint Jean. III). L'homme, ingrat envers Dieu après tant de bienfaits qu'il en avait reçus, s'est donc révolté contre lui, en transgres­sant sa loi, en mangeant du fruit défendu. Le Seigneur se vit obligé d'expulser l'homme du paradis terrestre et de le priver à l'avenir, lui et tous ses descendants, des dons preternaturels qu'il lui avait faits, et du paradis ter­restre et éternel qu'il lui avait préparé. Mais voilà aussi que Dieu, pour parler à notre manière, comme le fait Isaïe, paraît s'affliger et se plaindre.

Dieu se repent d'avoir exilé loin de lui le compagnon de son paradis et de sa béatitude: Et nunc, quid mihi est hic, dicit Dominus, quoniam ablatus est populus meus gratis (Isaïe, chap. 52). Maintenant que me reste-t-il en pa­radis, après que j'ai perdu les hommes dont je faisais mes délices: Deliciae meae esse cum filiis hominum (Prov. VIII, 51).

Mais, ô mon Dieu, vous qui êtes toujours heureux en vous-même, que peut-il donc manquer à votre félicité? Vous qui possédez dans le ciel une si grande multitude de séraphins et d'autres anges, comment pouvez-vous ressentir si vivement la perte des hommes? Tout cela est vrai, répond le Seigneur, comme le fait parler le cardinale Hugues, en commentant le texte d'Isaïe; mais en perdant l'homme j'estime que j'ai tout perdu: non reputo aliquid me habere, car je faisais mes délices d'être avec les hommes et voilà que je les ai perdus. Voilà que ces malheureux sont condamnés à vivre loin de moi pour toujours! Mais comment Dieu peut-il donc dire que les hommes font ses délices? Vraiment, dit saint Thomas d'Aquin, Dieu aime l'homme comme si l'homme était son Dieu, et comme s'il ne pouvait être heureux sans l'homme! quasi homo Dei deus esset et sine ipso beatus esse non posset (opus. 63, VII). Saint Denys ajoute que par l'amour qu'il porte aux hommes, Dieu semble être hors de lui-même. Audemus dicere quod Deus prae magnitudine amoris extra se sit (De Div. nom. IV). Qui de nous oserait prononcer de telles paroles, si les Pè­res de l'Eglise ne prenaient eux-mêmes cette sublime hardiesse?

Non, dit le Seigneur, je ne veux point perdre l'homme; qu'il se trouve un Rédempteur qui satisfasse pour lui à ma justice et le rachète ainsi des mains de ses ennemis et de la mort éternelle qu'il a méritée!

Saint Bernard, contemplant ce mystère, croit voir un débat s'élever entre la justice et la miséricorde de Dieu. «Je suis perdue, dit la justice, si Adam n'est point puni. -je suis perdue, dit la miséricorde, si l'homme n'obtient point son pardon» (Serin. 1, pro Ann. B.M.V.). Le Seigneur met fin à cette contestation en annonçant que pour sauver l'homme, un innocent perdra la vie: Moriatur qui nihil debeat mori.

Et celui que Dieu donnera pour sauver les hommes, ce ne sera ni un ange, ni un séraphin, mais son Fils, son propre Fils. Proprio Filio suo non pepercit… (Rom. VIII). - Pro omnibus tradidit illum. Il sera notre rançon: redemptio nostra.

Mais considérons de plus près dans quelles conditions Dieu nous a donné son Fils. Ce n'était pas seulement le péché d'Adam qui était sous le regard de Dieu, mais c'étaient aussi toutes ses suites et toutes ses con­séquences, j jusqu'à nos ingratitudes et les abus même que nous ferions de la grâce de la Rédemption. C'était, en un mot, le monde couvert de la lèpre du péché comme d'un manteau hideux et repoussant. Et cepen­dant, Dieu n'a pas dédaigné d'avoir pitié de nous. Il ne pouvait nous donner son Fils comme frère et comme roi, à moins de nous le donner d'abord comme rançon, comme victime d'expiation et de réparation. Il fallait pour cela l'envoyer pour souffrir. Il a voulu le faire. Il l'a revêtu d'une chair semblable à celle de l'homme pécheur: Filium suum, mittens in similitudinem carnis peccati (Rom. VIII, 5). Il l'a donné en le sacrifiant pour nous, en l'immolant à sa justice à notre place, en déchargeant toute sa vengeance sur ce Fils bien-aimé afin de nous faire miséricorde à nous ses ennemis!

Le sacrifie d'Abraham ne fut que l'ombre du sacrifice que Dieu le Pè­re fit de son Fils. Le sacrifice d'Abraham n'eut pas son effet, celui de Jésus-Christ fut consommé par son Père, sur le calvaire. Et c'était à Dieu qu'Abraham immolait son Fils Isaac, tandis que Dieu le Père im­mole son propre Fils en faveur des hommes. Combien en dut-il coûter à l'amour infini de ce Père pour arracher ainsi son propre Fils de son sein et nous le livrer! Si Dieu pouvait souffrir, quelle souffrance infinie il au­rait endurée! Mais son amour pour nous l'emporta.

Saint Augustin, un des docteurs qui ont le plus admiré l'excellence de ce don divin, s'écrie: Non satiabor considerare altitudinem consilii tut super sa­lutem generis humant (Conf. lib. IX-6): Non, je ne cesserai d'étudier et de contempler cette merveille, j'y reviendrai sans cesse, je la contemplerai encore et toujours, je ne m'en fatiguerai jamais, j'y trouverai toujours de nouveaux motifs d'étonnement: non satiabor. Saint Paul aussi ne ces­sait de s'extasier devant la hauteur, la largeur et la profondeur du plan divin, dans la Rédemption. Et saint Augustin encore affligé de voir que ce don céleste était inconnu et si peu goûté, jetait ce défi à tous les hom­mes: «Aliud desidera si melius inveneris. Cherchez, cherchez partout et tou­jours, je vous défie de trouver quelque chose de plus beau, de plus grand, de plus doux, de meilleur pour vous-même (S. Aug. in ps. 26 enarr).

Prions Dieu de nous faire connaître cet excès et ce prodige d'amour; disons-lui avec saint Augustin: Ignis qui semper ardes accende me (Solil. ad Dom. ch. 34). Feu ardent qui brûlez sans cesse dans le cœur de Dieu, embrasez-moi d'une ardeur réciproque, d'un amour de retour. Veuille Notre-Seigneur renouveler spirituellement pour nous la grâce qu'il fit à sainte Marie-Madeleine de Pazzi en envoyant saint Augustin graver sur son cœur ces mots: «Et Verbum caro factum est. Le Verbe s'est fait chair». Ces mots divins étaient comme le bois du sacrifice destiné à entretenir perpétuellement dans le cœur de la sainte le feu de l'holocauste.

Résolution. - Il faut qu'enfin l'amour déborde de notre cœur. Les oeuvres d'amour de Dieu sont si grandes qu'il semble indigne de sa Ma­jesté de s'abaisser jusque-là. Il semble que Dieu soit hors de lui-même par la violence de son amour. Eh bien, nous, ne craignons pas d'être hors de nous-mêmes, de devenir fous d'amour pour Dieu. Il faut que nous arrivions à nous abîmer comme les saints dans les ravissements de l'amour. Soyons jusqu'au dernier excès les amis, les amants de Dieu et du Sauveur Jésus.

TROISIEME MEDITATION

DON QUE DIEU LE FILS NOUS FAIT
DE LUI-MEME

Nous avons contemplé le grand acte d'amour par lequel Dieu le Père a tout créé pour l'homme, l'acte d'amour par lequel il nous a donné son propre Fils; considérons maintenant l'acte d'amour par lequel le Verbe de Dieu se donne à nous. Cet acte d'amour a deux grandes scènes dans lesquelles il s'accomplit: l'une au commencement du monde, quand le Verbe a formé le dessein de nous sauver; l'autre, quarante siècles plus tard, dans sa Conception et son Oblation; nous contemplerons plus tard cette seconde scène, nous allons assister maintenant à la première.

Dieu a donc résolu de ne point perdre l'homme, de ne pas cesser de faire ses délices de sa société, et il a décidé que l'innocent paierait pour le coupable. Nous pouvons nous figurer le dialogue qui s'établit alors entre les deux personnes divines: «Mon Père, dit le Verbe de Dieu, un ange, un séraphin, pourrait se charger de la dette de l'homme, mais votre ju­stice n'aurait pas sa complète satisfaction. L'offense a quelque chose d'infini, il faut que la réparation ait aussi quelque chose d'infini. Un Dieu seul peut dédommager un Dieu de l'outrage qui lui a été fait. Me voici donc: Ecce ego, mitte me. D'ailleurs, l'homme a l'intelligence si lente, son cœur est tellement endurci par la désobéissance et la révolte que, si nous ne lui donnons les témoignages les plus grands, les plus touchants, les plus frappants de notre amour, il n'ouvrira pas les yeux, il ne saura jamais combien nous l'avons aimé, combien nous voulons l'aimer enco­re. Me voici, donc: Ecce ego, mitte me. Me voici, envoyez-moi. - Mais, répond le Père éternel, il faudra souffrir beaucoup, il faudra naître dans une étable, vivre pauvre, inconnu, méprisé. - Me voici, envoyez-moi. - Il faudra être en butte aux persécutions, aux calomnies, à la haine. - Me voici, envoyez-moi. - Il faudra donner à l'homme l'exemple de la réparation en subisant les plus cruels tourments, afin de l'engager à unir sa réparation à la vôtre pour s'appliquer la rédemption. - Me voici, envoyez-moi. - Il faudra être élevé au-dessus de cette terre changée en un véritable désert par l'ingratitude, l'oubli, la lâcheté et le délaisse­ment. - Me voici, envoyez-moi. - Il faudra que l'oeuvre du salut ait ses analogies avec l'œuvre de la déchéance; un arbre fatal a été l'instru­ment de la mort de l'homme; il faudra qu'un arbre soit l'instrument de sa rédemption, il faudra mourir cloué à cet arbre. - Me voici, envoyez­-moi». Après ce dialogue entre Dieu le Père et Dieu le Fils, la sentence divi­ne est promulguée au démon et à l'homme coupable. C'est au Verbe lui­-même qui est la sagesse et la parole vivante de Dieu, qu'il appartient de prononcer les arrêts de la justice de son Père. Il s'adresse tout d'abord au serpent: Inimicitias ponam inter te et mulierem, inter semen tuum et semen illius, ipsa conteret caput tuum. Mystère ineffable! sentence de miséricorde! En conda­mnant le serpent, le Verbe de Dieu se condamne lui-même. «Je ferai naître une haine éternelle entre toi et une femme; le fils de cette femme écrasera ta tête». Comment la tête du serpent sera-t-elle écrasée? C'est en mourant, que le Fils de cette femme causera la mort de l'ennemi du genre humain, c'est sous le pied de la croix que doit être écrasée la tête du serpent, et sur cette croix sera attaché le Fils de Dieu déchiré par les clous. Puis se tour­nant vers l'homme, Dieu lui dit: «Maledicta terra in opere tuo: la terre sera maudite, rebelle à tes efforts, elle te sera dure». Oui, elle sera dure cette ter­re où l'enfant qui naîtra pourra ne trouver qu'un peu de paille pour se cou­cher; elle sera dure cette terre qui rejettera parfois ses fils pour les envoyer passer de longues années en exil; elle sera dure cette terre où le Fils de l'homme aura à peine une pierre pour reposer sa tête.

En condamnant Adam, le Verbe se condamnait lui-même: in laboribus comedes ex ea cunctis diebus vitae tuae. Le Verbe se condamnait ainsi, pour la plus grande partie de sa vie, aux pénibles travaux des artisans. Mais ici, le Cœur du Verbe a dû faire une réserve; il me semble qu'il a ajouté: «Il y a un pain qui ne vous coûtera ni sueur, ni travail; moi seul je travaille­rai et je souffrirai pour vous le procurer; ce pain, c'est moi-même, c'est mon cœur et ce sera plus tard le pain eucharistique».

«Comedes herbam terrae: tu vivras pauvrement dans le jeûne et l'absti­nence». Et le Verbe s'imposait par là un jeûne de quarante jours et de quarante nuits.

Spinas et tribulos germinabit tibia cette terre produira pour toi des pointes épineuses». Ah! pour qui sont ces épines? qui en sentira douloureuse­ment les pointes aiguës, sinon Celui qui en couronnera sa tête, qui envi­ronnera son Cœur des épines mystiques de nos ingratitudes, de nos ou­trages, de nos délaissements et qui laissera percer ce Cœur par le fer d'une lance.

«Donec revertaris in terram de qua sumptus es, quia pulvis es et in pulverem rever­teris: jusqu'à ce que tu retournes en poussière». En prononçant cette sen­tence, le Verbe avait en vue toutes les tortures de sa passion, son agonie, sa mort et sa sépulture.

Ici nous pouvons commencer à contempler le Cœur de Jésus. Tous les mots de cette sentence sont des paroles d'amour; ce n'est pas encore le Cœur humain de Jésus, mais c'est le Cœur du Verbe qui les a profé­rées; c'est le Cœur d'un Dieu qui forme le projet de prendre un cœur humain pour expier les péchés des hommes. Ah! si, en ce moment, Adam avait tout compris, tout entrevu, s'il avait vu se dérouler devant ses regards tout le plan de la Rédemption, comme il aurait aimé le Cœur de Jésus! Comme il se serait prosterné aux pieds de Dieu dans l'extase de la reconnaissance! Comme il aurait expiré dans un transport d'amour! Ce qu'Adam n'a pas fait, ne voulons-nous pas le faire? Nous qui comprenons les desseins qu'avait le Verbe en condamnant l'homme, ne vivrons-nous pas d'une vie toute de reconnaissance et d'amour?

La seconde personne de la Sainte Trinité a donc résolu de prendre un cœur d'homme. Or ce cœur sera l'organe surnaturel de l'humanité. L'humanité en péchant a manqué d'amour envers Dieu, que faut-il pour dédommager Dieu de ce manque d'amour envers ses amabilités in­finies, sinon un cœur, à la fois divin et humain, qui puisse rendre à Dieu un amour infini. La justice de Dieu demande un châtiment pour la ré­volte de l'humanité: quoi de plus apte à souffrir et à s'immoler qu'un cœur sensible et généreux? L'homme a été dévoyé, toutes ses facultés se sont détournées de leur fin véritable, son cœur surtout s'est égaré par de viles convoitises; tout sera purifié, renouvelé, redressé dans ce Cœur si pur, si uni à Dieu. La créature matérielle elle-même a participé à la dé­chéance; un fruit malheureux a été un objet de séduction pour l'homme. Le Verbe de Dieu va prendre un cœur de chair pour diviniser en quel­que sorte la matière et la racheter aussi bien que l'âme de l'homme.

Ce cœur est en même temps une victime, un autel et un prêtre. Ce cœur est le vrai médiateur entre Dieu et les hommes, il est le centre où tout se rencontre, où tout converge: la créature matérielle, l'intelligence, la vie humaine, la vie divine. Ce cœur est de chair, mais il est vivant; l'amour humain le fait battre, et l'amour divin le remplit, grâce à son union hypostatique avec le Verbe de Dieu. C'est dans ce cœur que la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, que la justice et la paix se sont embrassées; c'est le lieu des épousailles célestes, des noces divines, du baiser éternel entre Dieu et l'homme.

Que conclure de là? Disons avec saint Augustin. «Le Christ est venu surtout pour que l'homme comprît combien il est aimé de Dieu». Oh! il faudrait maintenant nous fondre de reconnaissance et d'amour à la vue de l'amour infini du Cœur de Jésus.

Il nous est facile à présent de poser les fondements de la dévotion au Sacré-Cœur.

Le Verbe a pris un cœur humain pour en faire comme le lieu, le sanc­tuaire de l'amour réciproque de Dieu et des hommes. Tout nous vient de Dieu par ce cœur; ses amabilités et ses mérites sont, avec la bonté divi­ne, la cause déterminante de tous les dons de Dieu. Tout ce que Dieu re­çoit de gloire de la part des hommes lui vient par ce cœur; il est le ponti­fe de nos sacrifices, il leur donne leur valeur. Il est l'exemplaire de la sainteté, il nous offre le modèle de toutes les vertus.

Le Cœur Sacré de Jésus, objet de notre dévotion, c'est son amour en­vers Dieu et les hommes, exprimé par cet organe qui est aussi le symbole de l'amour. C'est cet amour que nous honorons, que nous aimons, à qui nous offrons des réparations.

Le Cœur de Jésus, considéré ainsi, renferme tous les mystères, il les produit et les vivifie.

Tel est l'objet véritable de la dévotion au Sacré-Cœur.

Ses fruits sont exprimés dans les promesses de Notre-Seigneur à la Bienheureuse Marguerite-Marie. C'est la dévotion la plus féconde. Ceux qui la répandent ont une part spéciale des tendresses de Notre­Seigneur. Attendons tout de cette dévotion; donnons-nous y tout en­tiers. Répandons-la par tous les moyens: les plus simples ne doivent pas être négligés. Les images, les médailles du Sacré-Cœur peuvent être considérées toutes comme miraculeuses. Quand Notre-Seigneur disait: «je bénirai jusqu'aux maisons où l'image de mon Cœur sera exposée», que voulait-il faire entendre, sinon qu'il attacherait une vertu extraordi­naire à ces images? Mais surtout, faisons connaître l'amour du Cœur de Jésus manifesté par tous ses mystères.

Résolution. -je veux vivre de cette dévotion et la pratiquer dans toute sa plénitude. Je veux faire ma demeure dans le Cœur de Jésus pour m'unir sans cesse à ses sentiments, à ses joies, à ses peines, à ses répara­tions, à ses désirs. - Non, je ne veux plus vivre, je veux que le Cœur de Jésus vive en moi.

QUATRIEME MEDITATION

DON QUE JESUS NOUS FAIT
DE SA MERE IMMACULEE

Jésus n'a pas voulu se présenter seul à nous. Il est notre Père, mais une mère est plus accessible. Il est notre juge, il nous fallait une avocate auprès de lui. Il est notre roi, mais auprès du roi, la reine est spéciale­ment chargée des oeuvres de miséricorde.

La Sainte Trinité a, dès le commencement, conçu le don complet de Jésus et de Marie pour notre salut et notre bonheur. Ils sont toujours unis dans les promesses, les prophéties et les figures de l'Ancienne Loi.

Eve, notre première mère, à côté d'Adam, représente Marie à côté de Jésus, le nouvel Adam.

La première promesse divine annonce à la fois la Mère et le fils, qui écraseront ensemble la tête du serpent.

Isaïe entrevoit la fleur de Jessé sur sa tige, c'est Jésus sur les bras de Marie.

Esther et Judith, à côté des grands juges qui sauvent le peuple de Dieu, représentent Marie la corédemptrice.

David chante en même temps les gloires du Sauveur, le Roi des rois, et celles de la reine, assise à ses côtés. Au psaume 44e: «Je chante ce roi, dit-il, il est le plus beau des enfants des hommes. Il est puissant, et il est doux. Il triomphe de tous ses ennemis, il est le juge universel. - La rei­ne est assise à sa droite, vêtue d'un manteau d'or rehaussé de broderies. Le roi est épris de sa beauté, ses grands forment sa cour. Elle a un cortè­ge de vierges».

Dieu a voulu nous donner la Mère avec le Fils, la Reine avec le Roi, l'Avocate auprès du juge. Ce dessein divin est une nouvelle manifesta­tion de la bonté de Dieu pour nous.

Dieu semble nous dire: «Je vous donne un Sauveur bien aimable, bien accessible et miséricordieux. Cependant, en vos jours d'abattement et de faiblesse, vous pourriez craindre d'aller à lui, vous verriez trop en lui vo­tre juge, vous aurez alors une avocate, qui interviendra pour vous, une reine pleine de douceur, une mère aimante. Que pourrais-je vous don­ner de plus; y a-t-il rien de plus encourageant et de plus consolant que de pouvoir se jeter dans les bras d'une mère, pleurer à ses genoux et faire appel à son cœur?

Tota pulchra es Maria! Vous êtes toute belle, ô Marie! Vous êtes toute belle, et la tache originelle ne vous a pas atteinte. Vous êtes toute belle, vous ravissez les anges et les saints. Le poète sacré vous a chantée dans le Cantique des cantiques. Les Pères de l'Eglise ont épuisé leur éloquence pour dire vos louanges. L'art chrétien vous a choisie comme l'idéal de la beauté. Nos chevaliers vous ont prise pour la dame de leurs chastes af­fections.

Tout ce qui est beau n'est qu'un reflet de votre beauté. La rose et le lis, le jardin réservé et la source privée, le palais d'or et l'arche d'alliance ne rappellent que de loin vos charmes et vos attraits.

Que Dieu est bon de nous avoir donné Marie, qui est toute belle!

Sa bonté gagne tous les cœurs. Son intervention aux noces de Cana en était la révélation. Partout elle est mère, partout elle est avocate, cha­que ville veut un autel de Marie, chaque province a un pèlerinage où s'accumulent les ex-voto de la reconnaissance.

Que serait Paris sans Notre-Dame des Victoires, Lyon sans Fourvie­res, Marseille sans La Garde! Ce seraient dés villes d'orphelins, des fa­milles où manquerait une mère.

Elle est toute bonne. Elle est Esther qui intervient auprès du prince. Elle est Judith qui délivre son peuple. Elle est la providence des époux de Cana et de toutes les âmes qui ont besoin d'aide et de secours.

Que Dieu est bon de nous avoir donné Marie qui est toute bonne! O Marie, vous êtes bien nommée Notre-Dame du Sacré-Cœur, vous êtes la dispensatrice des grâces du Sacré-Cœur et le coryphée de notre culte d'amour au Sacré-Cœur.

Résolution. - O Jésus, vous avez voulu que Marie soit auprès de vous, pour nous aider à aller à vous, pour vous soumettre nos suppliques et pour nous transmettre vos bienfaits. C'est donc avec Marie et par elle que j'irai à vous pour vous dire que je vous aime, que je me donne tout à vous et que je suis brisé de douleur de vous avoir offensé.

CINQUIEME MEDITATION

OBLATION QUE NOTRE-SEIGNEUR FAIT
DE LUI-MEME ET DE NOUS A SON PERE

Nous avons contemplé le Cœur du Verbe divin prenant l'engagement de s'offrir en victime pour le salut du monde. Nous avons vu comment il s'était condamné lui-même en condamnant l'homme à toutes les misères et à la mort: «In capite libri scriptum est de me ut facerem voluntatem tuant». Oui, c'était écrit en tête du Livre, c'était écrit dans le livre de Dieu, dans les décrets éternels qui règlent d'avance tous les événements de ce mon­de, c'était écrit dans le livre humano-divin, le Livre par excellence, au troisième chapitre de la Genèse.

Contemplons maintenant la réalisation de cette promesse quatre mille ans plus tard.

«Ingrediens mundum dicit. hostiam et oblationem noluisti (Heb. X. 5): O mon Père, dit Jésus en entrant dans le monde, vous ne voulez plus des offrandes et des sacrifices de l'Ancienne Loi»: (Qu'étaient-ce, en effet, que ces sacrifices et ces offrandes? qu'avaient-ils pour être agréables à Dieu et lui procurer quelque satisfaction? c'étaient des génisses, des agneaux, des colombes, du pain, du vin, etc. Mais ces sacrifices n'étaient que l'ombre du sacrifice de la Loi Nouvelle: l'ombre devait fai­re place à la lumière, la figure à la réalité. Ces offrandes n'avaient de va­leur aux yeux de Dieu qu'autant qu'elles représentaient la véritable vic­time, le vrai Pain et le vrai Vin, le véritable Agneau de Dieu. «Corpus au­tem aptasti mihi: Mais voici, dit-il, que vous m'avez formé un corps», un corps vivant, animé par un esprit, digne de vous être immolé en holo­causte. «Tunc dixi: ecce venio. Alors j'ai dit: me voici». Il est temps que je réalise la promesse que je vous ai faite de me sacrifier à votre gloire et au salut des hommes: «Venin ut faciam, Deus, voluntatem tuant. Deus meus volui, et legem tuant in medio cordis met (Ps. 30): je viens pour accomplir votre vo­lonté qui est gravée au fond de mon cœur».

Qu'il est grand cet acte d'oblation du Cœur de Jésus! Il renferme les actes les plus parfaits des plus sublimes vertus. C'est un acte d'adoration profonde, un hommage infini rendu à la majesté divine, au souverain domaine de Dieu. Ecce venio! C'est un acte d'amour parfait par lequel il consacre sa vie à celui de qui il la tient. C'est un acte de réparation! -je vous dois le sacrifice de ma vie, dit-il à son Père; si je n'ai pas mérité la mort, les hommes mes frères, l'ont méritée; ne suis-je pas l'un d'eux? n'ai-je pas promis de vous sacrifier ma vie? ne suis-je pas lié par cette obligation? Ecce venin. Me voici.

C'est un acte d'obéissance parfaite. Où faut-il aller? je suis prêt. Ecce venin. Faut-il aller à Bethléem, à Nazareth, en Egypte, en Galilée? Ecce venin.

C'est un acte d'humilité et d'anéantissement par lequel il se met dans l'état d'une victime.

Enfin, c'est un acte incompréhensible de charité envers les hommes. S'il s'est offert pour réparer la gloire de son Père, s'il est une victime d'ado­ration, d'amour, d'obéissance et d'humilité vis-à-vis de Dieu, il est en même temps une victime d'amour pour nous. Le Cœur de Jésus est tout entier à son Père et a nous parce que c'est en nous sauvant qu'il travaille à la gloire de son Père. Et ne voyez-vous pas qu'il n'est même plus que­stion de son Père dans ce Credo où nous chantons: «Propter nos hommes et propter nostram salutem descendit de coelis: C'est pour nous et pour notre salut qu'il est descendu du ciel». Son amour pour nous semble avoir absorbé tout son Cœur.

L'oblation de Jésus semble avoir été un véritable voeu, un voeu reli­gieux. Notre-Seigneur semble s'être lié par un voeu de son Cœur. «Deus meus volui et legem tuam in medio Cordis mei». Quelques théologiens ont di­scuté pour savoir si, par son Ecce venin, Notre-Seigneur formulait une simple intention ou un vœu formel. C'est une opinion libre. Il semble que c'était bien un vœu. C'est un sentiment assez commun parmi les in­terprètes de l'Ecriture. Les âmes qui s'offrent à Notre-Seigneur par une oblation entière reproduisent particulièrement cette oblation du Sacré-­Cœur. Les vœux de religion sont déjà une imitation de cette oblation faite par le Cœur de Jésus, mais l'acte spécial d'oblation de soi-même en esprit d'amour et d'immolation est une reproduction plus formelle, une véritable continuation de cet acte divin. Toute la suite de la vie de Jésus n'a été que le développement et l'exécution de ce premier acte. Jésus est tout entier dans cet Ecce venin, avec tout son Cœur, tout son amour, tous ses mérites, tous ses mystères futurs. je viens, s'écrie-t-il, je vais à Naza­reth, à la crèche, en exil, à ma vie cachée, à ma vie publique, à mon apostolat, aux persécutions, à mon agonie, à la croix, au tombeau: Ecce venio. Il a tout prévu, tout accepté, et pour ainsi dire, tout accompli d'avance dans ce seul acte. Il a soif de voir se consommer son immola­tion. Desiderio desideravi… baptismo habeo baptizari et quomodo coarctor usque­dum perficiatur? Que dis-je? son oblation ne s'arrête pas là, elle se prolon­ge dans la suite des siècles. Dès ce premier instant, il s'élance pour venir dans tous les tabernacles du monde, en particulier dans ce petit taberna­cle de notre oratoire, d'où il nous fait entendre silencieusement sa voix: Ecce venio. Il pensait d'avance à chacun des autels où viendrait habiter son Cœur eucharistique, Ecce venio. Bien plus son Ecce venio ne s'arrêtera pas au seuil de l'éternité: dans le ciel comme dans le sein de Marie, com­me sur le Calvaire, comme dans l'Eucharistie, c'est toujours l'Ecce venio, et s'il n'est plus victime de souffrance et d'humiliation, il est toujours victime de gloire et d'amour. Le Cœur de Jésus ne souffre pas toujours, ne meurt pas toujours, tous les mystères de sa vie n'ont qu'une courte durée et passent vite, le mystère de son oblation seul ne passe pas; le Cœur de Jésus est avant tout une victime offerte à Dieu, il sera éternel­lement oblat. Il a prononcé son Ecce venio dans le sein de sa Mère, il le réalisera éternellement.

Mais, en prononçant son Ecce venio, le Sacré-Cœur nous a offerts et continue à nous offrir avec lui; sans cela, notre oblation serait vaine, elle ne peut être agréée que par sa propre oblation. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas offrir directement nos cœurs à Dieu le Père, car ils n'ont en eux-mêmes rien qui puisse lui plaire, il les rejetterait. Nous de­vons les offrir d'abord au Cœur de Jésus, et quand le Père céleste nous voit ainsi unis au Cœur de son Fils, quand il voit dans notre oblation le complément et la continuation de l'oblation de son Fils, quand il ne nous voit plus qu'à travers les amabilités et les mérites de son Fils, alors nous lui devenons agréables. Notre-Seigneur a offert à son Père notre vœu avec le sien: «Sanctifico meipsum ut sint et ipsi sanctificati in veritate (Joan. XVII. 19): Je me sanctifie, je me consacre pour qu'ils soient sanctifiés et consacrés». La sanctification proprement dite, dans le sens biblique, n'est pas autre chose que l'oblation d'une victime. Cette sanctification se réalise chez tous les religieux, particulièrement s'ils ont bien l'esprit d'oblation et de sacrifice. Una oblatione consummavit in sempiternum sanctifi­catos: Par son oblation, Jésus a consommé l'oblation de tous les saints (ad Hebr. X).

Pour nous, notre oblation devra être, à l'exemple de celle de Notre­-Seigneur, généreuse, entière et éternelle. Généreuse et prompte: Notre­-Seigneur n'a pas attendu, pour prononcer son Ecce vento: ingrediens mun­dum», dès le premier instant de sa conception, il se donne tout à Dieu. Ainsi donc plus d'hésitation, plus de délais.

Plus de partage; donnons-nous tout entiers, sans réserve. Oserons­nous bien ne nous donner qu'à moitié après que la Sainte Trinité s'est donnée entièrement à nous dans la création et l'adoption, après que le Père céleste nous a donné son Fils tout entier, après que le Cœur de Jésus s'est donné tout entier a nous? Oserons-nous refuser quelque chose à Dieu, quand Dieu ne nous refuse rien? Puisons la générosité dans l'amour. Si nous nous sentons défaillir, revenons aux motifs d'amour que nous avons médités pendant cette journée, au don ineffable que Dieu nous a fait de lui-même et de son Fils, au don que le Fils nous a fait de lui-même, lisons et relisons ce livre d'amour qui est l'amour même, et quand nous serons embrasés d'amour, notre oblation sera facilement gé­néreuse, prompte, et sans défaillance.

Ne nous laissons pas effrayer par la perspective de cette oblation entiè­re: Scio cui credidi. Nous savons à qui nous nous donnons (II. ad Tim). C'est à celui qui nous a aimés comme une mère, à celui qui a voulu fou­ler le pressoir presque seul, à celui qui a porté la croix à notre place. C'est au Sacré-Cœur, au Cœur infiniment aimant dont le joug est doux et le fardeau léger. C'est à celui dont la Providence est infiniment ai­mante, à celui qui veille à ce qu'un cheveu de notre tête ne tombe pas sans sa permission.

Résolution. - Donnons-nous à l'amour du Sacré-Cœur en entretenant cet amour par la méditation de son oblation. - Donnons-nous à la Pro­vidence du Sacré-Cœur à qui son Père a tout confié. - Donnons-nous à la conduite de sa grâce qui parle sans cesse à nos cœurs, et de sa voix dont notre règle et la volonté de nos supérieurs sont les échos. - Oui, mon bon Jésus, je me donne et consacre tout entier à votre Cœur tout aimable et adorable. Vous êtes l'oblat de votre Père, je veux être celui de votre Cœur.

SIXIEME MEDITATION

LA VISITATION ET LES PREMIERS FRUITS
DE L'OBLATION DE JESUS

A peine son petit cœur a-t-il commencé de battre que Jésus veut prou­ver son amour et répandre ses bienfaits. Jean-Baptiste et toute sa famille éprouvent les premiers cet amour ardent de Jésus que Marie apporte.

Chaque battement du Cœur de Jésus a, pour ainsi dire, son écho dans celui de Marie, de sorte que l'amour dans ces deux cœurs devient le mê­me, prend le même objet, la même intensité et déborde sur les hommes.

Jésus a déjà témoigné son amour à son Père par son acte d'oblation; il a comblé sa Mère de dons merveilleux; il a sanctifié saint Joseph, son pè­re adoptif. Il veut porter des grâces de choix à son précurseur saint Jean-­Baptiste. Il entraîne Marie dans ce voyage mystérieux. L'amour leur donne des ailes à tous deux. Marie, toute enivrée du zèle ardent et em­pressé de Jésus, court, vole à travers monts et vallées: abiit in montana cum festinatione. C'est une course de cent kilomètres qui se fit probablement en trois jours.

Jésus s'est donné à son Père et aux âmes, par son acte d'oblation. Il brûle de l'ardeur de commencer la rédemption. Il enflamme Marie de son zèle. Leurs deux cœurs n'en font qu'un. Quel amour ils nous témoi­gnent, et quelle leçon de zèle pour nous!

Jésus et Marie apportent d'immenses bénédictions. Jean-Baptiste tressaille dans le sein de sa mère sous la bénédiction de Jésus. C'est le tressaillement de l'amour et du zèle. Il voulait déjà devancer les années, et prêcher l'amour de Dieu et le repentir des péchés commis.

Elisabeth et Zacharie prophétisent. Zacharie est guéri de son mutis­me. Toutes les grâces sont réunies: sanctification et vocation du précur­seur, guérison miraculeuse, don de prophétie. Quelle munificence!

Jésus passe en faisant le bien: transiit benefaciendo. Ah! que sa bonté est grande et que cette première manifestation est pleine de promesses! Jé­sus est donc venu sur la terre pour ouvrir les sources de toutes les grâces, et Marie est comme le char de feu qui porte le Messie.

Leur bonté ne demande-t-elle pas une immense confiance et une im­mense reconnaissance?

Jésus nous donne aussi en cette circonstance le don de la prière. Il se propose de nous enseigner plus tard le Pater, la prière par excellence. En attendant, il nous donne l'Ave Maria, le Magnificat et le Benedictus. L'Ave Maria, l'Ange l'avait commencé à l'Annonciation, Elisabeth le continue: «Vous êtes bénie entre toutes les femmes, dit-elle à Marie, et le fruit de vos entrailles est béni». Il suffira à l'Eglise d'ajouter une invocation, pour que nous ayons la Salutation Angélique, la plus belle prière après le Pater.

«Salut, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous». Toute la doctrine de la rédemption est là résumée. Le Sauveur est avec Marie pour la bé­nir et pour répandre par elle ses grâces surabondantes sur toutes les âmes de foi et de prière.

Les prières de l'action de grâces seront fixées aussi dès ce jour-là. Le Magnificat et le Benedictus seront pour toujours les chants d'actions de grâ­ces de l'Eglise et des âmes pieuses. Il convenait qu'en cette première ma­nifestation des bienfaits de l'Incarnation de Jésus et de son oblation, eût lieu aussi la première explosion d'action de grâces de l'Eglise, qui était alors représentée par les deux familles de Jésus et de Jean-Baptiste.

L'action de grâces, jointe à l'amour le plus ardent pour le Sauveur et au regret le plus vif d'avoir offensé un Dieu si bon, telles doivent être nos dispositions à la fin de ces méditations sur l'oblation du Cœur de Jésus.

Résolution. - O Jésus, avec Marie je me donne à votre Cœur, à votre amour; avec vous, je me donne à votre Père. Ave Maria gratia plena! Pater noster, adveniat regnum tuum! Magnificat anima mea Dominum! Amour, repen­tir, action de grâces! Ces sentiments débordent de mon cœur.

DEUXIEME MYSTERE

Le Sacre-Cœur de Jésus dans son enfance

PREMIERE MEDITATION

NAISSANCE DE NOTRE-SEIGNEUR

«Evangelizo vobis gaudium magnum… quia natus est vobis hodie Salvator: Je vous annonce un grand sujet de joie, c'est qu'il vous est né aujourd'hui un Sauveur» (Lc, 10).

Nous nous réjouissions hier de l'amour de Dieu pour nous, amour in­fini qui s'est témoigné par la création et l'incarnation. La joie dilate le cœur. Nos cœurs se portaient avec joie à l'amour de Dieu le plus inten­se.

Mais voici un nouveau sujet de joie pour nous et un nouveau titre pour Dieu à notre amour: Evangelizo vobis gaudium, magnum. Notre­-Seigneur nous a manifesté à Bethléem ce Cœur aimant qu'il avait pris dans l'incarnation: Natus est vobis hodie Salvator: Voici une nouvelle et grande joie, un Sauveur vous est né».

Oui, le Sauveur est ne. Il est né pour nous, pour nous ouvrir le Ciel notre patrie, de laquelle nous avions été bannis en punition de nos pé­chés. Mais afin que la reconnaissance nous porte davantage à aimer no­tre Rédempteur, considérons un peu les circonstances dans lesquelles le Cœur de Jésus a voulu se manifester à nous.

Il est venu d'abord de Nazareth à Bethléem en s'unissant à l'acte d'obéissance de ses parents et en souffrant avec eux de la fatigue et de l'intempérie. Bethléem va sans doute l'accueillir comme une cité accueille un roi? Non, il est, avec les siens, méprisé, injurié et repoussé: in propria venit et sui eum non receperunt. L'hôtellerie même, qui eut été encore bien pénible pour Marie, ne s'ouvre pas pour les recevoir: Non erat eis locus in diversorio. Il faut donc chercher quelque abri hors des murs. Ils s'avan­cent dans l'obscurité, tournent, retournent, cherchent des yeux: enfin ils aperçoivent une grotte creusée dans un rocher au-dessous de la ville. C'était une excavation faite dans la forme d'une caverne qui servait de retraite aux animaux. Marie demande à y entrer, Joseph hésite. Mais Marie a sans doute une lumière surnaturelle pour s'arrêter à ce choix. Elle sent que cette étable est le palais où le Fils éternel de Dieu veut venir au monde, où le Cœur infiniment aimant de Jésus veut se manifester.

Eh! qu'auront dit les anges en voyant entrer la Mère de Dieu dans cet­te grotte pour y enfanter le Roi des rois? Ils durent s'en étonner, ne con­naissant pas encore tous les desseins du Cœur de Jésus.

Cependant Marie se met en oraison. Tout à coup, elle voit une grande lumière, son cœur tressaille d'une joie céleste. Elle baisse les yeux. O Ciel! que voit-elle? Elle voit sur le sole un petit enfant si beau, si aimable qu'il ravit; mais il tremble, il pleure, il tend les mains vers sa Mère pour lui montrer qu'il veut qu'elle le prenne dans ses bras, selon ce qui a été révélé à sainte Brigitte: Extendebat membra quaerens Matris favorem. Elle ap­pelle Joseph, il entre et se prosterne, il pleurait de joie: Intravit senex et pro­sternens se plorabat prae gaudio. Marie porte sur son cœur et à ses lèvres ce cher enfant, et ainsi s'accomplit le premier embrassement de Dieu avec l'homme dans la paix et la réconciliation. Puis Marie repose en la crèche ce cher enfant revêtu de langes.

Ah! ici nous voudrions voir toute la terre venir adorer son Roi et ren­dre grâces à son Rédempteur. Mais non, personne n'est prêt à répondre à son appel. «In mundo erat et mundus eum non cognovit: Il est dans le monde et le monde ne le connaît pas». Les anges viendront, seuls, adorer leur Souverain Maître. Et adorent eum omnes angeli Dei. Ils viennent en grand nombre et chantent avec joie: Gloria in altissimis Deo et in terra pax homini­bus bonae voluntatis.

Oui, gloire et amour à Dieu qui a envoyé son Verbe se faire pauvre, endurer les souffrances et les mépris pour expier nos convoitises et nous obliger à l'aimer. Amour et reconnaissance au divin amour qui a réduit un Dieu à se faire enfant pauvre, humble, à mener une vie pénible pour montrer aux hommes l'affection qu'il leur portait et pour gagner leur amour!

Vraiment, comme le remarque sainte Laurent Justinien, nous voyons dans l'étable un Dieu qui est la sagesse même, transporté d'amour en­vers les hommes pour ainsi dire jusqu'à la folie. Agnoscimus in stabulo sa­pientiam, amoris nimietate infatuatam (Serm. in Nat. Dom.).

Ecoutons maintenant les appels de cet enfant divin à la confiance: «Ego flos campi et lilium convallium. Je suis, dit-il, la fleur des champs, et le lis des vallées» (Gant). Il s'appelle la fleur des champs parce qu'il est ac­cessible à tous: Ego flos campi quia palam me exhibeo ad inveniendum (Card. Hugues). Les fleurs des jardins sont réservées et enfermées entre des murs; il n'est pas permis à tout le monde de les cueillir, ni même de les voir. Les fleurs des champs au contraire sont exposées aux regards de tous. C'est ainsi que Jésus veut être à notre disposition.

Entrons donc à la grotte, la porte est ouverte; il n'y a point de gardes, remarque saint Jean Chrysostome. Non est satelles qui dicat. non est hora. Jésus a choisi cette grotte ouverte pour palais et il y est sous la forme d'un enfant pour attirer à lui avec confiance tous ceux qui se présentent. La grotte est toute ouverte, sans gardes et sans portes, de sorte que chacun peut y entrer à son gré en tout temps, pour voir ce Roi enfant, lui parler et même l'embrasser, s'il l'aime et le désire.

Entrez donc à la grotte; voyez dans cette crèche, sur ce peu de paille, ce tendre enfant qui pleure. Voyez combien il est beau, voyez la lumière qu'il répand, l'amour qu'il inspire, ses yeux lancent des traits de feu dans les cœurs; l'étable même, la crèche même, dit saint Bernard, tout vous crie d'aller avec confiance à celui qui vous aime tant: Clamat stabu­lum, Clmat praesepe. Allez avec un amour confiant à ce Dieu qui est de­scendu des cieux, s'est fait enfant, s'est fait pauvre pour vous montrer l'amour qu'il vous porte et gagner votre cœur par les peines que le sien endure pour vous.

Voici à leur tour les anges qui vous invitent à la confiance. Pax homini­bus bonae voluntatis. Approchez sans crainte. C'est un Dieu de paix, c'est l'Emmanuel, c'est la paix en personne: Erit iste pax. (Mich.). Deus erat in Christo mundum reconcilians sibi (2e ad. Corinth. V). Dieu n'est plus ici un juge irrité, c'est un père, un frère même et un ami. Pax hominibus. Ap­prochez en paix et avec confiance. Le Cœur de Dieu vous est ouvert dans le Cœur de Jésus.

Cette confiance en la bonté de Jésus enfant doit devenir pour nous la confiance au Cœur de Jésus. Tous les mystères demeurent dans le Cœur de Jésus. Il nous présente au ciel même, et en particulier dans la sainte Eucharistie, les amabilités, la simplicité et les sacrifices de sa nais­sance. Il nous demande la même confiance qu'il a demandée à Marie et à Joseph. C'est à cette condition qu'il agréera notre oblation. Pendant cette retraite particulièrement et pendant le temps de l'année liturgique consacré au mystère de la sainte Enfance, allons avec confian­ce à l'Enfant divin de Bethléem. Il semble qu'il nous tende les bras. Ex­tendebat membra quaerens Matris favorem. La communion au mystère de. Bethléem est une union de confiance et d'amour. Le Cœur de Jésus en­fant semble nous crier d'aller à lui avec confiance. Que ceux qui ont par­ticulièrement besoin de cette confiance s'arrêtent de préférence à ce my­stère. Il sera toujours facile de donner son cœur avec tant de simplicité et d'amour: Sic nasci voluit qui amari voluit, non timeri. (Saint Pierre Chry­sologue). Le Cœur de Jésus Enfant ne veut pas que nous le craignions. Il n'a pour nous que grâces et bontés. Apparuit gratia Dei Salvatoris (Tit II. 11). «Benignitas et humanitas Apparuit Salvatoris: (Tit. III. 4). Le Sauveur est tout aimable et bon».

Résolution. - Je m'unis à la pieuse et humble adoration des bergers de Bethléem. je voue une douce confiance au Cœur du divin Enfant. Sa douceur et son amabilité ont captivé mon cœur.

DEUXIEME MEDITATION

LES PREMIERS ADORATEURS DU CŒUR DE JESUS LUI OFFRENT AVEC SIMPLICITE
LEURS DONS SYMBOLIQUES

Il semble que l'amour du Cœur de Jésus n'ait pas pu attendre que les longs délais de sa vie cachée fussent écoulés pour se manifester. Il a vou­lu se donner à connaître à quelques-uns au moins des enfants d'Israël qui lui étaient si chers, et même, au risque de provoquer la colère d'Hé­rode, à quelques représentants des nations qu'il venait sauver. C'est pour cela qu'il appela auprès de la crèche les humbles pasteurs de la val­lée et les rois de l'Orient. Nous reconnaissons ici l'amour surabondant du Cœur de Jésus pour nous.

Nous pourrions suivre les témoignages de cet amour dans toute la sui­te de ce mystère, dans la vocation des Mages, l'apparition de l'étoile, les grâces qui leur firent surmonter tous les obstacles; mais la considération des dons symboliques des Mages comme figures du Sacré-Cœur et la simplicité des premiers adorateurs du Sacré-Cœur vont plus directe­ment à notre but.

Ici ce n'est plus le Sacré-Cœur qui parle pour dire son Ecce venio; ce ne sont plus les anges qui chantent, ce sont les dons symboliques choisis par les Mages sous l'inspiration de la grâce qui redisent les caractères de l'oblation du Sacré-Cœur.

L'or, l'encens et la myrrhe symbolisent l'amour, la prière et le sacrifi­ce. L'or, instrument de la charité, l'or, brillant comme le feu, symbolise l'amour; l'encens, qui s'élève vers le ciel avec une agréable odeur, sym­bolise la prière; la myrrhe, parfum des sépultures, symbolise le sacrifice. Ces dons sont des symboles du don par excellence, le Sacré-Cœur. Comme toutes les offrandes sacrées et les sacrifices de l'ancienne loi, ils sont des figures de l'unique sacrifice qui est le Sacré-Cœur. Jésus offre constamment à son Père l'or éprouvé, l'or pur de son amour, l'or de no­tre Rédemption. De même il lui offre constamment sur ce Cœur même qui est un véritable encensoir d'or, l'encens de sa prière, de sa louange, de son action de grâces. Il lui offre la myrrhe de ses sacrifices, de ses im­molations, de ses anéantissements.

L'amour, la prière et le sacrifice, c'est toute la vie du Sacré-Cœur. C'est son oblation continue. C'est aussi notre oblation. L'amour au Sacré-Cœur, la prière et le sacrifice doivent être nos dons quotidiens et constants; mais pour que ces dons soient agréables au Sacré-Cœur, il faut une condition, c'est qu'ils lui soient offerts comme il l'aime, avec simplicité.

Cette simplicité est celle du Sacré-Cœur dans ses premiers mystères. Il est simple comme les pauvres, simple comme les petits, simple comme un enfant. C'est le propre de l'enfant de montrer de la simplicité. Que. cet enfant divin est aimable en sa simplicité! Il a laissé toute grandeur ex­térieure et tout éclat pour revêtir cette simplicité: Magnus Dominus et lau­dabilis nimis, nunc autem parvus et amabilis nimis, s'écrie saint Bernard (In cant. S. 48). Le Dieu tout adorable au ciel s'est fait tout petit et tout ai­mable. Qu'il est aimable dans sa simplicité, ce petit enfant qui paraît de­mander qu'on le prenne, qu'on le réchauffe et qu'on le console!

Il est simple dans les siens et dans ses amis. Quelle n'est pas la simpli­cité de Marie et de Joseph! Qu'ils sont simples dans leur foi, dans leur douce piété et jusque dans leur extérieur! N'est-ce pas cette simplicité qui leur a valu les dédains de Bethléem?

Les princes que le Sacré-Cœur a choisis pour ses premiers adorateurs sont eux-mêmes bien simples! Ils manifestent leur simplicité par leur croyance au signe surnaturel qu'ils ont reçu, par leur voyage entrepris sur ce signe, malgré bien des difficultés, par leur foi à la parole des prê­tres qui les ont envoyés à Bethléem, par les hommages qu'ils rendent sans hésiter au pauvre enfant de Bethléem.

Qu'elle est grande la simplicité des pasteurs qui sont les premiers visi­teurs de l'Enfant-Dieu! Simples comme des enfants, ils méritent la visite des anges. Ils croient avec simplicité. Ils se montrent simples dans leur empressement et leurs offrandes.

C'est la seconde condition de notre oblation. Donnons-nous avec sim­plicité; simplicité de l'esprit dans la foi toujours prompte et complète, simplicité du cœur dans l'amour pur et naïf, simplicité dans la parole, simplicité dans les désirs, simplicité dans notre extérieur. «Puer cum pue­ris, cum floribus, cum brachiis libenter esse Bolet: l'enfant se plaît avec les en­fants, il aime les fleurs et les caresses» (S. Bonaventure, Serm. II. dom. inf. oct. Nat). Si nous voulons plaire à ce divin enfant, il faut que nous devenions enfants comme lui, c'est-à-dire simples et humbles; que nous lui apportions les fleurs des vertus les plus aimables, la simplicité, la dou­ceur, l'humilité; il faut que nous le pressions dans nos bras avec amour.

L'amour simple qui procède d'un cœur d'enfant plaît davantage à Dieu, est plus agréable au Cœur de Jésus que les actes de sainteté les plus généreux qui seraient faits avec un degré moindre de cette simplici­té d'enfant. Nous pouvons le comprendre par l'exemple suivant: dans la maison paternelle il y a le fils et le mercenaire; le mercenaire, souffre, travaille, sue et se fatigue, et cependant il ne reçoit rien que son salaire. Le fils ne fait qu'aimer et embrasser son père et il est aimé tendrement et embrassé par son père. Ainsi en serait-il de ceux qui feraient de grandes oeuvres de pénitence ou de charité extérieure sans avoir l'esprit d'en­fant: ils ne recevraient que leur salaire. Pour nous, aimons tendrement le Cœur de Jésus, entourons-le de nos témoignages d'affection et il nous traitera de même. Soyons simples comme des enfants: Efficiamur ergo pueri, talium est Cor Jesu. (Saint Bernard). Le Cœur de Jésus enfant aime les enfants.

Quand Jésus voulut proposer un modèle à ses disciples, le choisit-il parmi les hommes distingués par la science ou par la supériorité de leur esprit? Non: il appela un petit enfant, le plaça au milieu d'eux et dit: «En vérité, je vous le dis, si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux». Or, que voyons-nous dans l'enfance? La simplicité, la pureté. L'enfant croit, il aime, il agit sans aucun retour sur lui-même, par un premier mouve­ment de cœur; et voilà ce qui plaît à Dieu. S'oublier soi-même et se sou­mettre aux volontés de la Providence sans les scruter, quoi de plus pur que cet abandon, que cette simple obéissance? (Imitation 1, II, c. IV).

Résolution. - Je vivrai en enfant de Dieu, dans la simplicité et la con­fiance; je serai simple dans ma foi, simple dans mes relations d'amour avec Jésus et je lui offrirai avec les Mages les dons de l'amour, de la priè­re et du sacrifice.

TROISIEME MEDITATION

LA PRESENTATION AU TEMPLE

Après avoir contemplé l'oblation du Sacré-Cœur dans le sein de Ma­rie et dans l'étable de Bethléem, contemplons la manifestation publique de cette oblation dans sa Présentation au Temple. L'offrande des premiers-nés, prescrite aux juifs par la loi, n'était que la figure de l'oblation du Sacré-Cœur de Jésus. C'est lui véritablement le premier­né, le Fils unique du Père éternel et de la Vierge.

Combien cette oblation du Cœur de Jésus a été généreuse! Son of­frande n'est-elle pas sans restriction? Il se présente aujourd'hui à son Pè­re publiquement pour marcher dès lors partout où son Père l'enverra, pour faire partout, en tout et à tout instant, sa volonté. Il s'abandonne tout entier et se remet entre les mains du prêtre qui l'élève vers le ciel et l'offre à Dieu en notre nom. C'est le commencement de l'exécution de son acte primitif d'oblation. Il témoigne sa générosité en proclamant par son prophète la disposition où il est de subir pour nous toutes les contra­dictions.

Mais pendant que le vieillard Siméon l'offre ainsi, Dieu ne regarde pas les mains du prêtre que le Cœur de son Fils qui s'offre lui-même, ce Cœur animé d'une générosité infinie, ce Cœur aussi grand par l'amour qu'il est petit physiquement. Le saint viellard ne comprend pas toute l'excellence de ce don qu'il fait à Dieu de la part des hommes; il le devine un peu, il l'entrevoit prophétiquement. Le Cœur de Jésus comprend toute la valeur de cette offrande, il est en même temps le donateur et le don, le Prêtre et l'oblation.

Quels furent les battements de ce petit Cœur en ce moment, quels fu­rent les sentiments qui l'animèrent? L'amour de son Père, l'amour des hommes: c'est ce double amour qui inspire son oblation publique.

Son amour pour son Père paraît tout naturel; jouissant de la vision béatifique, contemplant les infinies amabilités de Dieu, il lui était impos­sible de ne pas être ravi par l'amour divin. Mais son amour pour nous, qui le comprendra? Qu'y avait-il en nous d'aimable? Il montre donc en­core plus de générosité, plus de désintéressement en s'offrant pour nous qu'en s'offrant pour son Père.

Remarquons une circonstance de la Présentation: les parents de Jésus offrent avec leur Fils, avec l'Agneau divin, deux colombes, offrande my­stique; gracieux symbole qui figurait les deux véritables colombes, les Cœurs de Marie et de Joseph unissant leur oblation à celle du Cœur de Jésus enfant. C'est ce que comprit le saint vieillard Siméon, aussi il pro­clama l'acceptation par Dieu le Père de l'oblation du Cœur de Marie quand il lui dit: «Tuant ipsius animant pertransibit gladius: Ton cœur sera percé d'un glaive». Animam, ici, c'est bien le Cœur; aucun interprète ne s'y est trompé. De même aussi il avait annoncé de la part de Dieu l'ac­ceptation de l'oblation du Cœur de Jésus: «Positus erit in signum cui contra­dicetur… in ruinant et resurrectionem multorum in Israël: Cet enfant sera en butte aux contradictions. Il est ne pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs.

L'Agneau de Dieu, en unissant à son oblation ces deux pures colom­bes, les Cœurs de Marie et de Joseph, nous offrait avec lui et avec eux. Quel gracieux symbole! Les colombes, c'est la simplicité, la pureté, la tendresse. Telle doit être notre oblation. Elle doit être sans restriction, sans détour, sans crainte, sans arrière-pensée. Elle doit être toute aiman­te et toute pure. Si nous avons les dispositions symbolisées par les colom­bes, notre oblation sera agréable au Cœur de Jésus. Le caractère des co­lombes, c'est surtout l'amour tendre et fidèle. Plongeons-nous dans l'amour; ne respirons que l'amour; toutes les autres vertus, tous les actes héroïques viendront comme d'eux-mêmes, sans effort, presque sans y penser. Le règne du Cœur de Jésus est le règne de l'amour; chez nous tout se fait par amour; tout est animé, vivifié, inspiré par l'amour; l'amour est le principe de tout, tout le reste n'est qu'une conséquence de l'amour. Dans cette retraite surtout, où nous voulons poser la base de notre sanctification, laissons entrer l'amour dans notre cœur, car l'amour est pour nous le seul fondement de la sainteté. Mais pour obte­nir cet amour, pas d'efforts humains, pas de contention; tenons-nous paisiblement, doucement en présence du Sacré-Cœur, sous ce rayonne­ment d'amour, près de ce foyer d'amour; contemplons ses oeuvres d'amour, et l'amour réciproque naîtra dans notre cœur.

Ces manifestations de l'amour du Cœur de Jésus pour nous, que nous méditons successivement, devraient produire en nous une ferveur analo­gue à celle qui embrasait le Bienheureux Salaun dans son amour envers la Très Sainte Vierge. Cet enfant privilégié de Marie ne savait plus que redire le nom de celle qu'il aimait, au point de paraître insensé aux yeux des hommes.

Il faudrait que notre amour pour le Cœur de Jésus imitât en quelque sort celui-là.

Inspirons-nous de ces pensées de saint Liguori:

- Vous vous êtes donné tout à moi, ô mon Jésus, je me donne tout à vous. Eh! quel plus grand plaisir puis-je goûter que de vous faire plaisir, ô mon Dieu?

Mon bien-aimé Jésus, plus je vous ai offensé, plus je veux vous aimer. Je vous aime, Bonté infinie, faites-moi connaître le grand bien que j' aime.

Mon Jésus, vous êtes la vigne, je suis une de vos branches: tenez-moi toujours uni à vous; ne permettez pas que je me détache jamais de vous. O mon Dieu, combien je me réjouis de ce que vous êtes infiniment heureux!

Ah! Seigneur, où êtes-vous? Etes-vous ou non avec moi? Suis-je, ou non, en état de grâce? Sachez que je vous aime, je vous aime plus que moi-même.

Donnez-moi, mon Jésus, l'amour que vous demandez de moi. Oh! puissé-je vous avoir toujours aimé!

Résolution. - Je me donne à vous, ô mon Jésus. Je vous donne ma vo­lonté et mon cœur. Je veux vous aimer et servir sans intérêt, sans inter­ruption et sans réserve. Je veux vous aimer avec la simplicité, la tendres­se et la pureté des colombes.

QUATRIEME MEDITATION

L'ENFANT DU SACRE-CŒUR

L'Esprit d'enfance est une vertu spéciale chère au Cœur de Jésus. L'enfant est simple et pur, il est tout abandonné et confiant aux soins de sa mère; soyons tels entre les mains de Jésus.

Voyez Jésus dans son enfance, il est tout simple, obéissant et aban­donné entre les mains de Marie et de Joseph. Marie le dépose sur la pail­le et le reprend, elle le présente aux bergers et aux mages, et peut-être le leur donne-t-elle à embrasser. Il se laisse faire à la Circoncision et à la Présentation au Temple. Le prêtre Siméon le prend dans ses bras. Saint Joseph le porte en Egypte et le ramène.

A Nazareth, sa vie se résume en peu de mots: «L'enfant croissait et se fortifiait, empli de sagesse et de grâce, - il était soumis et obéissant à Joseph». C'est toujours l'enfant simple et abandonné à ses parents.

Et nous, ne serons-nous pas simples, confiants, abandonnés envers Jé­sus, qui nous a adoptés pour ses enfants? Ecoutons, la Bienheureuse Marguerite-Marie: «Puisque Notre-Seigneur vous a enfantée sur la croix avec tant de douleurs qu'il en est tout couvert de plaies et de sang, il ne désire rien tant que vous faire reposer sur son sein comme un enfant d'amour, qui s'abandonne entièrement aux soins de son adorable Provi­dence, laquelle ne lui laissera manquer de rien. Abandonnez-vous donc sans réserve à son soin amoureux, et lui donnez tout votre cœur», (Ecrits divers, t. II, p. 470).

A Nicodème, Notre-Seigneur explique qu'il faut renaître dans le Saint-Esprit, redevenir enfant, avec un esprit nouveau.

Avec ses apôtres, il est plus explicite. Il leur présente un enfant et leur dit: «Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n'entrerez pas au royaume des cieux. Devenez humbles, petits, dociles comme ce petit en­fant».

Cela s'applique plus pleinement encore à la vie religieuse, où les con­seils de Notre-Seigneur doivent être suivis dans la perfection. La vie reli­gieuse demande le sacrifice entier et continuel de soi-même à la sainte obéissance. Redevenir enfant, sacrifier plus que sa volonté, en immolant sa raison, son intelligence, son cœur, se laisser porter, guider, conduire partout sans raisonnement et sans réplique, c'est la perfection religieuse.

====III. Notre-Seigneur a enseigné à la Bienheureuse Marguerite-Marie l’esprit d’enfance==== Notre-Seigneur a formé la Bienheureuse à cet esprit de la manière la plus touchante. Voici comment la Bienheureuse raconte le fait: «Ma sainte libératrice, dit-elle, la sainte Vierge m'honora de sa visite, tenant son divin Fils entre ses bras, qu'elle mit entre les miens me disant: Voilà celui qui vient t'apprendre ce qu'il faut que tu fasses. Je me sentis par alors pénétrée d'une joie très sensible et pressée d'un grand désir de le bien caresser, ce qu'il me laissa faire tant que je voulus, et m'étant lassée à n'en pouvoir plus, il me dit: Es-tu contente maintenant? Que ceci te serve pour toujours, car je veux que tu sois abandonnée à ma puissance, comme tu as vu que j'ai fait. Soit que je te caresse ou que je te tourmen­te, tu ne dois avoir d'autres mouvements que ceux que je te donnerai».

La Bienheureuse n'oublia plus cette scène. «Je veux vivre, écrivait-­elle, comme un enfant sans souci dans le Cœur de mon bon Père, lui laissant faire et disposer de moi selon son bon plaisir, sans autre soin de moi-même que de m'abandonner tout à lui et à son amoureuse Provi­dence, me laissant conduire en tout avec la simplicité d'un enfant, n'ayant d'autre vue ni désir en tout ce que je ferai que de contenter Jésus… et de le laisser faire». (Lettre 133 au P. Rolin).

Résolution. - Oui, mon bon Maître, je veux être entre vos mains com­me un petit enfant, comme l'enfant d'amour entre les bras de son bon Père, je veux faire ou souffrir avec simplicité tout ce que vous voudrez, soit que vous me le marquiez par votre Providence, soit que vous me l'indiquiez par la voix de mes supérieurs.

CINQUIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR ET SES PREMIERS MARTYRS

Jésus enfant a voulu distribuer ses premières palmes à des enfants. C'est un bouquet de martyrs en fleurs qu'il s'est cueilli, presque au len­demain de sa naissance.

Le Cœur de Jésus aime les enfants. Il devait le manifester solennelle­ment plus tard en appelant auprès de lui de nombreux enfants pour les bénir, malgré les répugnances de ses apôtres. «Laissez venir à moi les pe­tits enfants, devait-il leur dire. J'aime les enfants et ceux qui leur res­semblent, et je maudis ceux qui les scandalisent».

Mais le Cœur de Jésus a des façons d'aimer que la nature ne com­prend pas sans le secours de la grâce. Jésus enfant sait que la palme du martyre sera une des plus belles récompenses de son ciel. Il entrevoit d'avance cette garde d'honneur chantée par saint Jean, qui sera vêtue de blanc avec une palme à la main et qui suivra partout l'Agneau divin, le Roi des martyrs au ciel. Il y veut mettre des enfants, parce qu'il les ai­me, et il permet la persécution d'Herode et le massacre des Innocents de Bethléem. C'est le premier groupe de saints du Nouveau Testament, qui va attendre aux Limbes la résurrection de Jésus et l'ouverture du ciel. Les gouttes de sang de la Circoncision et les larmes de la crèche ont fait germer et fleurir ce bouquet de martyrs.

Oh! comme nous devons aimer surnaturellement les enfants! Comme nous devons les aimer pour les former à la vertu et surtout pour leur ap­prendre à connaître le Sacré-Cœur de Jésus!

Le royaume des cieux est semblable à un champ où le maître jette une semence féconde. Toute la vie terrestre de Jésus a été un temps de se­mailles, comme il nous l'a dit lui-même dans sa parabole. Il semait ses mérites, il semait ses prières, ses labeurs, ses larmes, ses sueurs et son sang, il semait toutes les grâces; et le champ de l'Eglise a devant lui tous les siècles de la chrétienté, jusqu'à la consommation des temps, pour voir éclore et grandir les moissons.

Jésus semait la grâce du martyre tous les jours de sa vie, dans tous ses labeurs et toutes ses épreuves, mais il a voulu cueillir de suite un bou­quet de fleurs de ces martyrs, et ce bouquet, c'est le groupe de ces en­fants qui font la joie de l'Agneau divin au ciel en se jouant aux pieds de son autel glorieux.

La liturgie, s'inspirant de l'Apocalypse et du prophète Jérémie a placé la belle fête des saints Innocents tout près de celle de Noël.

Ces petits martyrs sont aussi les prémices des victimes du Sacré­Cœur. Ils ont été des victimes innocentes. L'esprit de victime de Jésus débordait sur leurs jeunes âmes et les revêtait de la grâce du martyre. Jé­sus nous aidera aussi, mais il demande de nous la coopération. Corre­spondons à la grâce de victimes du Sacré-Cœur qu'il veut nous donner.

Le céleste semeur en cueillant ce bouquet de roses empourprées entre­voyait la sainteté chez les enfants dans tous les siècles de l'Eglise. Il pré­parait les grâces des saints enfants. Il se préparait un cortège céleste où brilleraient saint Cyr de Tarse, l'intrépide enfant de trois ans, saint Tar­cis et saint Pancrace de Rome, saint Agapit de Palestrina, saint Sympho­rien d'Autun, les saints Donatien et Rogatien de Nantes; Agnès, la jeu­ne vierge de Rome; Philomène, la thaumaturge du XIXe siècle, et tant d'autres martyrs; puis tous ces jeunes saints qui conservèrent dans l'ado­lescence l'innocence des enfants, saint Stanislas, saint Louis de Gonza­gue, saint Berchmans, saint Charles Spinola de Gênes, saint Casimir de Pologne, saint Herménegilde d'Espagne, saint Pierre de Luxembourg, et de nos jours les vénérables Gabriel de l'Addolorata, Nunzio Sulpicio, etc.

Le Cœur de Jésus enfant débordait d'amour pour les enfants.

Résolution. - O Jésus enfant, donnez-moi l'esprit d'enfance chrétien­ne, l'innocence, la pureté, la simplicité. Donnez-moi la grâce de victime de votre Sacré-Cœur. Inspirez-moi le zèle pour la sanctification des en­fants et la crainte de leur nuire.

SIXIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR ET LA FUITE EN EGYPTE

Après son oblation au Temple, le Sacré-Cœur de Jésus veut vivre de suite de la vie de sacrifice. Il est avide de souffrir pour notre amour. Son Père lui donne satisfaction en permettant la persécution d'Hérode et l'exil en Egypte. Le petit semeur divin va jeter dans les déserts de l'Egypte la semence des vertus héroïques qui fleuriront pendant plu­sieurs siècles dans ces solitudes privilégiées.

Lorsque les Mages furent partis, l'ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil et lui dit: «Levez-vous, prenez l'Enfant et sa Mère, fuyez en Egypte, et demeurez-y jusqu'à ce que je vous avertisse; car Hé­rode va chercher l'Enfant pour le faire mourir». Joseph se leva et, la nuit même, prenant l'Enfant avec sa Mère, il partit.

Le Cœur de Jésus a une joie secrète, parce qu'il va souffrir l'exil et porter ses bénédictions à l'Egypte et aux peuples païens.

Joseph réunit quelques outils, Marie emporte les langes de Jésus et un peu de linge, et les voilà partis pendant la nuit.

C'est l'exil, et il n'y a que six semaines environ que Jésus est né. C'est l'exil pour sept ans!

Les premiers sourires de Jésus soutiennent le courage de Marie et de Joseph pendant ce long et pénible voyage au désert. Les nuits sont bien longues sur la terre nue. Jésus pleure parfois, parce qu'il veut ressembler à tous les enfants. Bien des frayeurs ont dû jeter l'angoisse dans les cœurs de Marie et de Joseph. Le désert a des bêtes fauves, il a des habi­tants à demi sauvages qui rançonnent les voyageurs et les menacent.

Marie et Joseph ne voient que Jésus et ne vivent que pour lui. Oh! qu'il est doux de souffrir, les yeux fixés sur Jésus qui souffre!

«Allons, mon âme, s'écrie saint Bonaventure, accompagne ces trois augustes et pauvres bannis,… compatis à leurs souffrances, … prie la Sainte Vierge qu'elle te permette de porter son divin Fils sur ton cœur».

Le Cœur de Jésus enfant n'a pas seulement aimé l'exil pour nous ou­vrir la patrie céleste, il a aussi aimé la pauvreté pour nous combler de ri­chesses spirituelles.

La sainte famille se fixa dans la ville d'Héliopolis. Sa vie, dit saint Bo­naventure, est celle des pauvres… pauvre habitation… pauvre lit, pau­vre nourriture…

C'est à peine si, en se fatiguant, Marie et Joseph peuvent trouver de quoi subsister au jour le jour.

Le saint Enfant ne parle pas, mais son Cœur renouvelle sans cesse l'oblation de ses souffrances et de toutes les oeuvres de sa vie! Adorons les premiers pas de ce Dieu qui chancelle, et les premières paroles du Verbe incarné qui balbutie.

Jésus mange le pain du pauvre et Marie lui confectionne le petit habil­lement d'un enfant d'ouvrier.

Ce n'est pas seulement Marie e Joseph qui travaillent à Héliopolis comme de pauvres ouvriers. Mais voici que Jésus a cinq ans, six ans, sept ans.

Le Créateur et le Maître du monde s'essaie à soulever un morceau de bois pour aider saint Joseph.

Qui pourrait dire les impressions du jeune apprenti? Comme son Cœur d'enfant a dû compatir au labeur, aux privations, aux souffrances des ouvriers de tous les temps!

Lui qui devait dire plus tard: «Vous tous qui travaillez et qui souffrez, venez à moi», il a dû embrasser en son Cœur tous les labeurs des pau­vres, et leur préparer mille grâces de patience et de courage; il a dû pré­voir et mériter, pour les sociétes chrétiennes, toutes les industries de la charité publique ou privée.

Ah! si tous ceux qui possèdent les dons de la fortune méditaient la vie de Jésus à Héliopolis et à Nazareth!

Ah! si tous les ouvriers pensaient aux travaux, aux fatigues, aux pri­vations de Jésus ouvrier!

Résolution. - O Jésus-enfant, soyez béni de toutes les humiliations et de toutes les souffrances que vous avez endurées pour moi en Egypte. A la lumière de votre vie, je comprends que ma patrie, ce n'est pas la terre. je ne suis ici qu'un voyageur. Prenez-moi pour compagnon, faites-moi vivre dans la plus constante union d'amour avec vous!

TROISIEME MYSTERE

Le Sacré-Cœur de Jésus
dans sa vie cachée à Nazareth

PREMIERE MEDITATION

VIE CHACHEE DU SACRE-CŒUR EN DIEU

«Initiavit nobis viam novam». Saint Paul parlant de Jésus-Christ dit «qu'il est venu abroger la loi de crainte et nous ouvrir la voie nouvelle, la voie d'amour» (ad Hebr. X). Ce texte, nous pouvons l'appliquer au Cœur de Jésus. C'est ce Cœur qui a toujours été pour l'Eglise la voie pour aller à Dieu; les saints de tous les siècles en vivant de la vie de Jésus-Christ allaient au Cœur de Jésus, même quand ils n'y pensaient pas. Mais cette voie nouvelle s'illumine pour l'Eglise depuis les révéla­tions faites à la Bienheureuse Marguerite-Marie et les communications fréquentes de Notre-Seigneur depuis cette époque. Cette voie nouvelle a été annoncée par Notre-Seigneur quand il promettait un moyen nou­veau, un dernier effort de son amour pour réchauffer le monde refroidi à la fin des temps, quand il promettait à la Bienheureuse que la dévotion à son Cœur ferait aller vite et bien haut dans le chemin de la perfection. Nous sommes déjà un peu entrés dans cet esprit nouveau, et si nous tâ­tonnons encore, c'est que nous sommes des débutants. Nous avons étu­dié le point de départ de la voie nouvelle dans l'oblation faite par amour, le perfectionnement de cette voie dans la dépendance amoureuse; nous arrivons à la consommation de cette voie nouvelle, consommation qui est l'amour même, l'amour d'une âme toute perdue en Dieu avec le Cœur de Jésus.

La vie cachée est celle qui n'a pas d'actes extérieurs apparents, ou des actes très simples. La vie cachée à l'extérieur, tantôt Dieu la veut, tantôt Dieu ne la veut pas. Il a voulu la vie cachée extérieure pour lui pendant trente ans. La vie cachée en Dieu, il la veut toujours, elle est le principe de l'union la plus intime avec Dieu. La vie cachée en Dieu est l'immola­tion du cœur par excellence, c'est elle qui perfectionne les dis­positions de la profession d'immolation.

En quoi consiste-t-elle? C'est la communication continuelle ou pres­que continuelle avec Dieu. Elle ne se fait pas du dehors, comme si quel­qu'un frappe à la porte, mais du dedans, comme avec quelqu'un qui est dans la maison: Esto mihi in domum refugii (Ps. 30). Le Sacré-Cœur , dans toute sa vie, a toujours été perdu en Dieu par une oraison continuelle qui consistait dans l'amour et l'oblation de soi-même continuellement répé­tée. Ni trouble ni inquiétude n'étaient dans ce Cœur . Non seulement il faisait des actes continuels d'oblation et d'amour, non seulement il com­muniquait habituellement avec son Père, c'était plus que cela: c'était chez lui un état stable, immuable, il était établi en Dieu. Aucun terme n'exprime mieux cette idée, c'était un état habituel.

Applications pratiques. - Pour nous-mêmes, nous ne pouvons aller à Dieu que par le Sacré-Cœur ; c'est dans le Cœur de Jésus que nous de­vons nous unir à Dieu et communiquer avec Dieu; là nous trouverons le Père et le Saint-Esprit dans le Cœur du Fils.

Nous devons nous unir à lui par l'amour et l'oblation de nous-mêmes continuellement répétée, afin que notre vie soit continuellement cachée, dans le Sacré-Cœur . Il faut veiller surtout sur les désirs et les affections, de manière à ce que tous nos actes aient pour objet le Sacré-Cœur im­médiatement ou médiatement: immédiatement par la contemplation pu­re, médiatement par l'amour des créatures rapporté au Sacré-Cœur ; éviter les actions que l'on fait uniquement par amour-propre et vanité. Toutes les fois que nous faisons un acte d'amour propre, nous volons quelque chose au Cœur de Jésus. Que diriez-vous de quelqu'un qui ap­porterait le matin un don sur l'autel et qui viendrait le reprendre dans la journée? Si une personne déposait une pièce d'or dans le tronc du Sacré-­Cœur pour servir à honorer ce divin Cœur par quelque chose de grand dans son culte, et qu'elle vint ensuite ouvrir furtivement le tronc pour reprendre son or, est-ce que votre cœur ne se soulèverait pas dans un sentiment d'indignation? Voilà ce que nous faisons quand l'amour­ propre ravit au Sacré-Cœur le mérite de nos oeuvres. N'est-ce pas une rapine dans l'holocauste? N'est-ce pas une espèce de sacrilège? Ce qui a été déposé sur l'autel du Cœur de Jésus est consacré, sanctifié; le déro­ber, n'est-ce pas nous approprier ce qui est à Dieu? Il y aura sans doute encore chez nous des pensées d'amour-propre, des mouvements pre­miers qui échapperont à notre faiblesse; mais en fait d'actes délibérés, il ne doit plus y en avoir un seul fait par amour-propre.

Pour que la vie soit entièrement cachée en Dieu, il faut que l'amour soit désintéressé. Le Sacré-Cœur ne cherchait ni sa propre gloire, ni ses propres intérêts, mais uniquement ceux de Dieu. Ce désintéressement rentre dans notre vocation, puisque nous consacrons nos mérites au Sacré-Cœur . Donc il faut nous tenir dans l'humilité, l'abandon, et ne pas nous inquiéter de savoir quel est notre degré de sainteté; ne pas avoir de troubles sur nos imperfections et nos défauts; en un mot, nous regar­der peu nous-mêmes, mais regarder d'abord le Sacré-Cœur , pour le ser­vir, le contenter et l'aimer.

Les personnes cachée dans le Sacré-Cœur ont seules un pouvoir très grand sur le Sacré-Cœur . C'est que le Cœur de Jésus se donnera com­plètement à celui qui s'abandonnera totalement à lui; il lui communi­quera une sorte de toute-puissance, une toute-puissance suppliante. C'est par là que les prêtres voués au Cœur de Jésus feront d'immenses conquêtes dans les âmes comme Notre-Seigneur l'a promis à la Bienheu­reuse Marguerite-Marie.

Seules les personnes cachées dans le Sacré-Cœur sont vraiment victi­mes d'amour pour Dieu. Cet amoureux abandon est plus méritoire que des mortifications extraordinaires. Les seuls holocaustes agréables à Dieu sont ceux qui sont unis à l'oblation amoureuse du Cœur de Jésus, qui seul est le véritable autel et le véritable Prêtre. Il n'y a pas d'autre autel sur lequel nous puissions apporter nos cœur s, pas d'autre prêtre qui puisse les offrir à Dieu, pas d'autre feu qui puisse les consumer. No­tez un fait remarquable qui se reproduit souvent dans l'histoire du peu­ple de Dieu. Quand les juifs, au retour de la captivité, reprennent les sa­crifices interrompus, quand le prophète Elie offre des victimes au Dieu d'Israël en face des prêtres de Baal, c'est un feu divin, un feu descendu du ciel qui consume la victime et le bois du sacrifice. Il en doit être ainsi de nos sacrifices: fournissons la victime, qui est nous-mêmes, apportons le bois du sacrifice par notre bonne volonté et par la contemplation assi­due des mystères d'amour du Cœur de Jésus, alors le feu divin descen­dra du ciel, c'est-à-dire, du Cœur de Jésus et consumera nos cœur s. Seules les personnes cachées dans le Sacré-Cœur peuvent réparer, à proprement parler, car elles ont là un trésor qui leur permet de payer pour elles-mêmes et pour les autres. «Deus intuetur cor: Dieu ne fait atten­tion aux actions extérieures que selon le cœur ». Celui qui fait des péni­tences extérieures sans pratiquer cette union étroite avec la Cœur de Jésus n'offre qu'une réparation humaine, personnelle, surnaturelle peut-être, sanctifiée par la grâce de Dieu, mais qui n'a pas une grande valeur. Au contraire, l'âme perdue dans le Sacré-Cœur , présente à Dieu des sa­tisfactions qui ont une valeur divine, qui sont une extension de celles de Notre-Seigneur.

Ceux qui pratiquent la vie cachée en Dieu avec fidélité s'élèvent dans la vie d'oraison et d'union, ce que nous devons désirer, non pas tant pour notre bien que pour la gloire du Sacré-Cœur .

Premier moyen indispensable: la confiance. On peut entrer par deux portes dans le Sacré-Cœur : la pénitence et la confiance, dit saint Gertru­de. Par la pénitence, on entre dans le vestibule, pas à l'intérieur; mais par la confiance, on blesse délicieusement le Cœur de Notre-Seigneur, on s'empare de lui et on entre en lui. Par conséquent, pour arriver à la vie cachée en Dieu, il faut s'appliquer à la confiance, en faire des actes fréquents, et détruire constamment ce qui y serait contraire.

Deuxième moyen: l'amour, qui s'exerce par la contemplation habituel­le du Sacré-Cœur , de sorte que nous l'ayons toujours devant nous. Pour arriver à cet amour, il faut pratiquer la mortification intérieure et exté­rieure, l'oubli des créatures et de soi-même. Pour la pratique de cette mortification, il y a aussi deux moyens: le moyen ordinaire qui consiste à commencer par la mortification extérieure, et à monter peu à peu jusqu'au Sacré-Cœur , jusqu'à Dieu; le moyen nouveau qui consiste à s'exercer dans les actes d'amour envers le Sacré-Cœur , dans le désir de l'aimer, fréquemment répété; nous serons alors facilement mortifiés par l'inspiration de Notre Seigneur et par le désir de l'imiter.

C'est la voie nouvelle. L'amour du Sacré-Cœur abrège le travail et nous fait parcourir plus vite les divers degrés de la vie purgative et de la vie illuminative, et enfin arriver au but, à la vie unitive, à l'union. C'est le Cœur de Jésus qui l'a promis à la Bienheureuse Marguerite-Marie, et le Cœur de Jésus ne trompe pas.

L'amour du Sacré-Cœur nous portera à l'oubli de nous-mêmes et des créatures, et nous rendra capables des sacrifices les plus héroïques.

Notre-Seigneur lui-même a dit à la Bienheureuse Marguerite-Marie que, par la dévotion au Sacré-Cœur , il conduirait rapidement et facile­ment les âmes à la plus haute perfection.

Dès que le Sacré-Cœur voit qu'on a un désir sincère de s'unir à lui par l'amour, il accorde des grâces spéciales qu'il augmente de plus en plus, et l'effet de ces grâces aide à la correction des fautes et complète la mortification.

Il y a aussi une mortification à s'obliger à désirer ou à faire des actes continuels d'amour au Sacré-Cœur : elle complète l'autre (P. Surin). «Tu auteur cum oraveris intra in cubiculum tuum, et, clauso ostio, ora Patrem tuum, in abscondito et Pater tuus qui videt in abscondito, reddet tibi» (Math. VI, 6): quand vous priez, entrez dans votre appartement le plus retiré, et là priez votre Père». La prière dont parle Notre-Seigneur, c'est la contem­plation; la chambre la plus intime, où nous puissions nous renfermer, est le Sacré-Cœur, où, loin du monde et dans le secret de l'amour, nous sommes vus de Dieu seul qui nous accorde l'amour que nous sollicitons de lui.

Résolution. - Je veux vivre dans le Cœur de Jésus, avec ses disposi­tions, son oblation: Hoc sentite in vobis… Le Cœur de Jésus est ma retrai­te, mon sanctuaire, mon repos. C'est là que je veux demeurer pour ai­mer Jésus, dans le calme, le recueillement et la vie cachée.

DEUXIEME MEDITATION

PRIERES DU SACRE-CŒUR DANS SA VIE CACHEE

Nous considérerons d'abord les dispositions intimes du Cœur de Jésus, puis nous méditerons les divers actes dont se compose sa prière.

L'anéantissement devant Dieu constitue l'humilité du Sacré-Cœur . Cette humilité est basée sur la connaissance que Notre-Seigneur a du néant de la créature devant Dieu. Pour nous, nous n'avons qu'une pau­vre connaissance de cette vérité capitale; nous voyons Dieu de trop loin pour bien connaître sa Majesté, et nous nous voyons nous-mêmes de trop près pour comprendre notre misère, et quoique nous soyons des atômes, nous nous croyons quelque chose de grand. Notre-Seigneur sent très vivement cette vérité, parce qu'il est à la fois Dieu et homme: Dieu, c'est-à-dire, tout; homme, c'est-à-dire rien: tanquam nihilum ante te. Par conséquent il ne s'approprie aucune des grâces qu'il possède; il n'a ni complaisance, ni retour sur lui-même. C'est la vraie humilité de cœur .

En second lieu, son humilité a pour motif la connaissance parfaite qu'il a de son humanité et des dons de la grâce dont Dieu a enrichi cette humanité. Quelque parfaite, quelque sainte que fût son âme, elle ne pos­sédait que par la grâce cette haute sainteté, il ne la tenait pas de sa natu­re. Nous, au contraire, peu intelligents dans le discernement des dons de Dieu, nous nous imaginons volontiers avoir quelque chose de notre fonds naturel.

Un troisième motif, c'était l'union hypostatique elle-même; son hu­manité n'avait point de subsistance propre et ne subsistait que par son union avec la personne du Verbe. Comme cette vue lui faisait sentir le néant de sa nature humaine!

Enfin, en qualité de victime, il portait tous nos péchés et se regardait comme digne de tous les fléaux de la colère divine.

Comment se peut-il faire que nous soyons si orgueilleux, nous qui avons autant et plus de motifs d'humilité que le Cœur de Jésus? Comme son humanité, nous sommes tirés du néant. Mais où est notre sainteté? Et si nous possédons quelques degrés de sainteté, qu'est-ce que notre di­gnité en comparaison des trésors de grâces renfermés dans le Cœur de Jésus? Et le péché, nous ne le portons pas comme une dette empruntée, comme une dette contractée par amour; le Cœur de Jésus, lui, faisait encore un acte de sainteté en prenant sur lui les péchés de tout l'univers, parce qu'il en acceptait la charge par amour. Mais nous, c'est de nos pé­chés personnels que nous sommes chargés, du péché originel et de nos fautes quotidiennes.

Applications pratiques. - Unissons-nous à l'humilité du Sacré-Cœur ; peu de réflexions sur nous-mêmes, regardons plutôt le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur. Cette humilité est le sacrifice de l'esprit, la vraie adora­tion: Pater quaerit tales adoratores (Père Grou). La voie nouvelle consiste à penser habituellement au Sacré-Cœur . Elle amène avec elle l'oublie de soi-même, parce que la pensée du Sacré-Cœur est tellement puissante, qu'elle absorbe l'esprit et, par suite, elle écarte nécessairement de nom­breuses tentations d'amour-propre, surtout pour les commençants.

Nous ne négligeons pas pour cela de veiller sur notre âme et d'y culti­ver la vertu, mais nous le faisons comme secondairement et à un autre point de vue, pour ne pas attrister le Cœur de Jésus.

Quel est l'objet de la prière du Sacré-Cœur ? Il demande la gloire de son Père et notre salut, parce que c'est un Cœur qui n'a pas de vie pro­pre, ou plutôt, toute sa vie s'absorbe dans l'amour de Dieu et des hom­mes. Examinons ce qui regarde Dieu. Toute la prière du Sacré-Cœur peut se résumer dans les trois demandes du Pater vis-à-vis de Dieu: Sanc­tificetur nomen tuum, Adveniat regnum tuum, Fiat voluntas tua. C'est là le pur amour dont tous les actes se rapportent à Dieu.

Pour nous, c'est dans le Cœur de Jésus que nous devons faire enten­dre à Dieu nos demandes. Qu'est-ce qu'un Pater tombé de nos lèvres? Bien peu de chose, une goutte d'eau; mais un Pater sorti du Cœur de Jé­sus, c'est un torrent de grâces. Haurietis acquas de fontibus Salvatoris. En­trons donc dans son Cœur pour y formuler ces demandes; pour que le Père céleste les confonde avec celles de son Fils, prions Dieu de leur don­ner toutes les significations et toute la puissance d'intercession qu'elles ont sur les lèvres de son Fils.

Applications pratiques. - Nous ne devons avoir que cette seule occupa­tion, ce seul désir: que le Sacré-Cœur soit aimé et glorifié par nous et par tous les hommes. Notre-Seigneur a promis à ceux qui auraient ce dé­sir que leurs noms ne seraient jamais effacés de son Cœur . Par consé­quent, oublions nos intérêts propres, même spirituels, pour ne penser qu'aux intérêts du Sacré-Cœur. Notre méthode spirituelle nous amène­ra nécessairement à cet acte, à ce sacrifice du cœur ; ayant toujours de­vant les yeux ce Cœur si aimable, nous n'aurons plus le temps de nous aimer nous-mêmes, et nos actes d'amour deviendront très purs et très parfaits.

Le Sacré-Cœur semble se définir lui-même par cet amour: «Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes!».

Il ne dit pas.: «Voilà ce Cœur qui a tant glorifié et aimé Dieu!». Non, il semble n'être venu que pour les hommes, et son amour pour son Père, il le sous-entend. De même, dans l'Evangile, il est toujours question du salut des hommes, rarement de la gloire de Dieu; le Cœur de Jésus sem­ble avoir aimé premièrement les hommes, tant il mit de soin à affirmer cet amour.

Nous aimer, c'est sa manière à lui d'aimer Dieu et c'est ainsi qu'il réalise le grand précepte de la loi: l'amour de Dieu et du prochain: «Ma­]orem hac dilectionem nemo habet ut animam suam ponat quis pro amicis suis. Per­sonne n'aime plus son prochain que celui qui sacrifie sa vie pour lui». Il faut entendre ici par le sacrifice de la vie, non seulement l'immolation du corps, mais encore le sacrifice de toutes ses pensées: Christus dilexit me et tradidit semetipsum pro me. Ce Cœur s'est tellement sacrifié pour moi qu'il a consacré tous ses instants à se souvenir de moi; et ce souvenir plein d'amour est une prière qui nous a mérité toutes les grâces dont nous avons besoin. L'homme le plus abandonné peut se dire qu'il y a un Cœur qui se souvient toujours de lui et qui n'a pas d'autres préoccupa­tions. Notre-Seigneur se souvenait de nous dans son Cœur , appliquait à chacun de nous d'une manière spéciale les grâces de ses mystères, et sur­tout de certains mystères en particulier; ainsi les mystères de la vie ca­chée pour les âmes contemplatives, ceux de la vie apostolique et de la Passion pour les missionnaires, etc. En y réfléchissant, nous verrons que par l'action de la grâce, notre attrait se porte précisément vers les mystè­res que le Sacré-Cœur nous a appliqués d'une manière spéciale.

Après nous être bien affermis dans l'amour du Sacré-Cœur, nous pourrons nous dévouer au prochain et nous en aurons l'attrait, mais tou­jours en vue du Sacré-Cœur, pour lui gagner des amis, pour convertir des pécheurs qui le blessent, pour lui donner des saints qui le loueront et l'aimeront au ciel.

Applications pratiques. - Le Sacré-Cœur s'est toujours souvenu de nous, souvenons-nous de lui toujours, n'ayons pas d'autre amour que son amour. Dans nos prières, demandons son règne et son triomphe, mais, par amour pour lui, prions pour notre prochain, aimons les âmes comme Jésus les aime et soyons dans la disposition de travailler et de souffrir pour elles dans la mesure où Jésus le trouvera bon.

Résolution. - O Jésus, c'est dans votre Cœur , avec lui et pour lui, que je veux prier. Il sera l'autel et l'hostie de mes sacrifices, et l'inspiration de mes prières. Par lui, mes prières seront agréables à votre Père et fé­condes pour mes frères.

TROISIEME MEDITATION

VIE CACHEE DU CŒUR DE JESUS
RELATIVEMENT AU PROCHAIN

La vie simple et sans éclat avec l'amour de la solitude et du silence ai­de à la vie cachée intérieure.

La vie cachée du Sacré-Cœur , c'est une vie commune qui ne se com­pose que d'actes obscurs, qui n'attirent pas sur eux l'attention. Cette vie ne comporte pas les actes de sainteté extraordinaires en apparence. Elle est tout à fait différente, quant à l'extérieur, de la vie de saint Jean­-Baptiste dans le désert, qui était extraordinaire et qui a été imitée par les Pères de la Thébaïde. Saint Thomas, parlant de ces deux vies, dit que la vie commune est préférable parce qu'elle a été choisie par Notre­-Seigneur lui-même. C'est aussi celle que nous devons pratiquer, à moins d'exceptions autorisées par une grâce spéciale.

Les hommes ont tort de ne voir la sainteté que dans ses manifestations prodigieuses. Notre-Seigneur nous donne une autre leçon, c'est de prati­quer d'une manière non commune les actions les plus communes, c'est-­à-dire avec un amour parfait. L'enfant Jésus donnant un coup de balai dans la maison de Nazareth méritait plus que saint Jean-Baptiste se don­nant aux pénitences les plus extraordinaires, parce qu'il aimait davanta­ge. C'est donc à ces actions communes, dédaignées, méprisées, que nous devons rattacher notre sainteté. C'est la vie préférée de Jésus, de Marie et de Joseph.

Bien que la vie de Nazareth ne ressemblât pas à celle de saint Jean­Baptiste dans le désert, elle était pourtant un modèle de pauvreté, de cet­te pauvreté qui est d'autant plus agréable à Dieu qu'elle est imposée par la Providence divine. Il n'y avait rien dans cette vie pour le plaisir des sens: tout était réglé par une simplicité admirable, soit dans le vêtement, soit dans la nourriture. La condition d'ouvrier, à laquelle avait voulu se réduire Notre-Seigneur, apportait avec elle des mortifications toutes providentielles que la sainte Famille supportait avec joie et amour.

Applications pratiques. - Telle est la pauvreté que nous devons imiter; elle consiste surtout dans la simplicité de la vie. Le religieux doit s'y atta­cher de tout son cœur et accepter avec joie les privations que la Provi­dence lui ménage. Notre méthode de spiritualité qui consiste à avoir tou­jours devant les yeux le Sacré-Cœur de Jésus et ses amabilités nous dé­barrassera de l'attache aux biens de ce monde qui est le plus grand obs­tacle à la perfection.

La vie de Nazareth est le modèle le plus parfait pour les âmes vouées au Sacré-Cœur . Après la contemplation, nos exercices peuvent se rédui­re aux suivants: 1° pratique de l'obéissance, 2° travail, 3° silence, 4° conversations édifiantes.

Premier exercice: Pratique de l'obéissance. C'est elle qui résume toute la vie extérieure du Sacré-Cœur à Nazareth: Et erat subditus illis. Notre­Seigneur était Dieu; même en adoptant une vie simple et cachée, il pou­vait légitimement garder le droit qu'il avait de commander. Il y a renon­cé par amour pour nous et il s'est anéanti jusqu'à se faire le serviteur de Marie et de Joseph. Dans cette maison de Nazareth, dit saint Alphonse de Liguori, le premier et le plus digne de tous était le domestique de tous; Notre-Seigneur nous a dit lui-même: «Je suis venu pour servir et non pour être servi». Qu'il était beau de voir l'Enfant-Dieu obéissant ponctuel­lement à sa Mère et à celui qui lui tenait lieu de père, et embrassant les emplois de la plus pauvre condition! Il aidait sa sainte Mère dans son pe­tit ménage, il était l'apprenti de saint Joseph. Bien plus, il se mettait aux ordres de tous ceux qui faisaient travailler son père et il leur obéissait.

Applications pratiques. - Notre vie ordinaire se compose de tout petits actes semblables à ceux de l'Enfant Jésus à Nazareth. Il faut changer ces atômes en pièces d'or de l'amour le plus pur, en les accomplissant d'abord par amour pour le Sacré-Cœur qui répand sa grâce à flots sur ces petites actions qui ont fait sa vie extérieure pendant trente ans, et en second lieu en les pratiquant avec la plus parfaite obéissance aux supé­rieurs qui représentent pour nous la sainte Vierge et saint Joseph. Celui qui obéit a le privilège de représenter l'Enfant Jésus. Il n'est pas ques­tion pour nous de cette obéissance imparfaite, incomplète, qui murmure et qui ne cède qu'à la force. La nôtre doit être complète, sans raisonne­ment, comme celle de l'Enfant-Dieu, et pleine de joie; c'est le tribut du cœur et de l'amour que nous offrons à Celui qui n'a jamais fait sa volon­té propre.

Deuxième exercice: le travail. Cet exercice est lui-même un acte d'obéis­sance continuel quand il se fait selon la Règle et selon la volonté des Su­périeurs. Considérons quel était l'objet du travail de l'Enfant Jésus. C'était d'abord la lecture de l'Ecriture sainte qu'il paraissait étudier, car, étant uni à l'intelligence infinie, il la comprenait parfaitement. En second lieu, les travaux manuels dont nous avons parlé. Nous devons étudier l'Ecriture sainte d'abord qui est la manifestation du Sacré­-Cœur , puis les sciences sacrées qui s'y rattachent. Mais, pour le faire avec fruit, il faut allier cette étude à la contemplation, ce qui est facile si nous entretenons en nos cœur s la présence habituelle du Sacré-Cœur , et si nous savons le découvrir sous l'écorce de la lettre. Il faut donc bannir toute idée profane et surtout la vaine gloire de ces études qui devraient sanctifier et qui perdent quelquefois les prêtres. Que dire de ces savants qui ne recherchent que leur plaisir ou la gloire de ce monde, sinon ces paroles de l'Ecriture sainte: «Periit memoria eorum cum sonitu: leur gloire périra avec leur nom» (Ps. 9). Pour les travaux plus simples, imitons l'humilité incomparable du Sacré-Cœur . En un mot que le travail soit un moyen et non pas une fin.

Lorsque notre devoir nous oblige à nous occuper de sciences profanes, usons de grandes précautions. C'est alors surtout que nous devons nous souvenir du Sacré-Cœur de Jésus, qui a fait de l'Ecriture sainte sa seule occupation scientifique à Nazareth.

Troisième exercice: le silence. Le silence consiste surtout dans la sépara­tion du monde et dans la solitude du cœur . Notre-Seigneur Jésus-Christ a toujours gardé ce silence admirable. «C'est, dit saint Paul, un pontife saint qui est séparé des pécheurs». Son Cœur , constamment uni à Dieu, ne pouvait trouver de plaisir dans les délices du monde. De plus, il est à croire que dans la sainte solitude de Nazareth il avait des moments con­sacrés au silence afin de sanctifier par l'amour de son Cœur ce grand exercice de la vie religieuse.

Applications pratiques. - Il ne peut y avoir de vie intérieure sans la pra­tique du silence; c'est lui qui nous sépare du monde, de ses faux plaisirs et de ses vices. Il faut donc observer avec grand soin les temps de silence ordonnés par la Règle. Mais cela n'est pas suffisant et deviendrait même impossible si le cœur est rempli des pensées et des désirs du monde. Si donc nous voulons observer le silence, il faut que notre cœur soit perdu dans le Cœur de Jésus. Ce divin Cœur doit nous servir de lieu de retrai­te. En un mot pour garder le silence il faut conserver dans son cœur le souvenir du Sacré-Cœur et avoir sa pensée toujours présente à notre esprit. Pour arriver là, nous devons d'abord le désirer ardemment, le de­ mander au Sacré-Cœur qui ne refuse jamais cette grâce, puis employer divers moyens pour cela; par exemple, fixer nos regards sur l'image du divin Cœur , faire monter vers lui de fréquentes oraisons, jaculatoires et nous élever vers lui par des actes d'amour, surtout dans les moments de trouble et de tentation. Nous devons aussi lui rapporter nos diverses af­fections, afin qu'il les sanctifie et les surnaturalise par son amour. C'est ainsi que nous gagnerons le Sacré-Cœur et que nous aurons l'avantage d'entretenir avec lui une conversation perpétuelle, ce qui est le vrai moyen de garder le silence religieux.

Quatrième exercice: conversations édifiantes. Le saint Evangile nous dit que l'Enfant Jésus croissait en grâces devant Dieu et devant les hommes. Ce­la signifie, non pas que sa vertu augmentait, mais qu'il ne cessait de se rendre agréable à Dieu et aux hommes par son amabilité. Combien son Cœur rayonne dans ses rapports avec les hommes! Combien il est aima­ble pour sa Mère et pour son Père adoptif! Il répond à leurs caresses, il leur parle toujours avec bonté, soumission et douceur. C'est Dieu qui fait l'objet de leurs célestes entretiens, comme il fait l'objet de leur amour, car on se plaît à parler de ce que l'on aime. On peut croire pieu­sement que le saint Enfant communiqua à saint Joseph tous les secrets de son amour, qu'il lui exposa les grands mystères qu'il devait accom­plir: la Rédemption et l'Eucharistie. Dans ses rapports avec les autres hommes et avec les enfants de son âge, le saint Enfant Jésus faisait briller la plus grande charité et la plus admirable condescendance. Bien plus que saint Paul, il se faisait tout à tous afin de les gagner tous à son Cœur . Il était humble et petit avec les enfants, comme s'il eût été sim­plement l'un d'eux. C'est ainsi qu'il les gagnait par son incomparable amabilité.

Surtout, que nos conversations soient pleines de charité quand nous parlons des prêtres et du peuple choisi! S'il y a au fond de nos cœur s un sentiment de tristesse et un désir de réparation pour quelques âmes qui affligent le Cœur de Jésus, n'ayons jamais aucune parole dure et amère à l'égard des personnes. Même quand nous parlons des ennemis de l'Eglise, tout en portant haut et ferme le drapeau de la vérité, sans faire aucune concession à l'erreur, soyons pleins de bonté pour les personnes. Agir autrement, ce serait être hors de notre vocation.

Applications pratiques. - Quelle riche moisson de mérites à offrir au Sacré-Cœur dans nos entretiens et nos rapports avec le prochain! Les anciens Ordres contemplatifs étaient astreints à un silence perpétuel, mais ils avaient moins l'occasion de pratiquer la charité et la patience que les Congrégations modernes. Les récréations sont donc un exercice de la plus haute importance, dans lequel nous pouvons, comme disait Notre-Seigneur à la Bienheureuse Marguerite-Marie, composer de ma­gnifiques bouquets pour son Cœur . Afin de ne pas perdre le recueille­ment, parlons souvent du Sacré-Cœur d'une manière simple et aima­ble.

Résolution. - Aimons le silence et le travail. Que notre conversation revête l'incomparable amabilité de ce divin Cœur ; qu'elle soit simple, humble, enjouée. Dans une société vouée au Sacré-Cœur , l'union la plus parfaite doit exister entre les cœur s; rien ne doit la blesser dans les entretiens, et nous aurons cette grâce si notre cœur est perdu dans le Sacré-Cœur , cette source intarissable de paix, de bonté, de miséricorde.

QUATRIEME MEDITATION

LA DEPENDANCE DU CŒUR DE JESUS

Nous allons établir la dépendance du Sacré-Cœur vis-à-vis de son Pè­re et des hommes. Cette dépendance, il la pratiquera toute sa vie, mais elle éclate ici particulièrement; nous pourrons comme la toucher du doigt dans les mystères de son enfance.

C'est une dépendance toute filiale; la filiation éternelle du Verbe divin s'est comme étendue à la nature humaine par l'union hypostatique; le Cœur de Jésus est un cœur de Fils, par conséquent un cœur aimant et dépendant par amour. Il se complaît dans la volonté de son Père, et ce que veut son Père est toujours bien: «Ita, Pater, quoniam sic fuit placitum an­te te». Il est à Nazareth renfermé dans le sein de Marie et il sait que, d'après les décrets de son Père, il doit naître à Bethléem. Il attend que son Père fasse naître les circonstances qui l'enverront au lieu où il doit manifester son amour au monde. Bientôt il faudra fuir en Egypte: il n'y va pas de lui-même, on l'y porte, il s'abandonne entièrement à la con­duite de la Providence, il y va avec une amoureuse dépendance sachant qu'il doit y déposer un germe de salut, un principe de conversion pour le peuple d'Egypte; qu'il doit inaugurer le règne de son Père par le renver­sement des idoles sur cette terre d'Egypte où grandira plus tard une égli­se si florissante. Pourtant, il y a dans cette fuite une souffrance pour son Cœur à la pensée que Marie et Joseph seront dans une plus grande gê­ne, qu'ils devront habiter un pays inconnu, au milieu d'un peuple qui n'adore pas le vrai Dieu. Néanmoins il va en Egypte avec une joyeuse obéissance. Cette dépendance est toute d'amour et il n'en pouvait être autrement, car les sentiments du Cœur de Jésus sont les sentiments d'un Fils. Jamais la moindre résistance, la moindre opposition, jamais un mouvement de volonté propre. Uni à son Père dans l'unité d'essence, et sa sainte humanité jouissant de la vision béatifique, il ne pouvait y avoir qu'une parfaite conformité entre sa volonté et celle de son Père, et nous croirions lui faire une sanglante injure si nous supposions que, pour un seul instant, il y a eu la plus petite contradiction entre les volon­tés du Père et du Fils, cela n'est pas concevable. Et cette absolue dépen­dance, le Cœur de Jésus l'inspirait aux Cœur s de Marie et de Joseph.

Ce qui est bien plus étonnant, c'est sa dépendance vis-à-vis des hom­mes. On comprend encore sa dépendance à l'égard de Marie et de Joseph, volontés droites et pures qui se conformaient sans cesse à la volonté de Dieu. Mais sa dépendance s'étendait aux volontés imparfaites des au­tres hommes; il dépendait d'Hérode quand il fuyait en Egypte; il dépen­dait de César quand il payait le tribut; il dépendait de toutes les autori­tés, soit religieuses, soit civiles; il dépendait des prêtres, il dépendait de la synagogue. A Nazareth, dans son travail, il dépendait non seulement de saint Joseph, mais de tous ceux qui faisaient travailler son Père adop­tif; il dépendait de leurs volontés parfois injustes et capricieuses. Partout et toujours la dépendance, et cette dépendance était encore toute d'amour. Ah! c'est que toute autorité terrestre descend de la Paternité divine; il voyait son Père à travers les ordres des hommes, et il étendait aux volontés imparfaites de ceux-ci sa complaisance à l'égard de la vo­lonté infiniment aimable de son Père. Et cette dépendance, il s'y assujet­tissait aussi par amour pour nous. Absorbé par son amour pour Dieu et pour nous, il n'était même pas question pour lui de la possibilité d'un acte de volonté propre.

Pour nous, le Cœur de Jésus est le Cœur de notre Père et de notre Dieu. C'est de lui que nous voulons dépendre et dépendre par amour. Son Père lui a remis toutes choses; c'est donc le Cœur de Jésus qui s'est chargé de notre Providence. Et quand même Dieu ne lui aurait pas tout confié, il nous aurait au moins confiés à lui, nous, les enfants chéris de son Cœur . Ne craignons donc pas de nous abandonner à la conduite de ce divin Cœur . Mais que notre dépendance soit filiale et toute d'amour! Plus nous aimerons, plus nous serons dépendants. Et cette dépendance nous procurera la paix, la joie, le bonheur. Tant que nous ferons notre volonté propre, nous serons inquiets, agités, nous sentirons qu'il y a en nous deux volontés: la volonté du Cœur de Jésus et la nôtre; c'est com­me si nous disions au Cœur de Jésus: «Vous voulez ceci, moi je veux ce­la; je n'aime pas ce que vous aimez pour moi». Cette résistance est une folie, quoiqu'elle ait parfois l'apparence de la sagesse. Quoi! nous sau­rions mieux que le Cœur de Jésus ce qui nous convient le mieux! Ne savons-nous pas que tout ce qui arrive se fait parce qu'il le permet, et qu'en le voulant ou en le permettant, il n'a et ne peut avoir que des des­ seins d'amour?

Cette dépendance par amour est de la plus haute importance, c'est un point capital dans l'affaire de notre sanctification. Plus nous agirons sous la dépendance du Sacré-Cœur , plus nous mériterons, plus nous console­rons ce divin Cœur , plus nous aurons d'influence pour procurer sa gloi­re au dehors. Et cette dépendance, il faut la pratiquer non seulement dans nos actes extérieurs, mais encore dans notre vie intérieure; ne pré­venons pas d'une manière imprudente l'heure de sa grâce; pas d'efforts humains pour dépasser le degré d'amour qu'il veut mettre en nous; bon­ne volonté et laisser-faire continuel; abandonnons notre esprit et notre cœur entre ses mains pour qu'il les façonne à sa guise. Prenons garde d'être sourds à sa parole, aux sollicitations de sa grâce. Laissons le Cœur de Jésus embraser notre Cœur et y verser l'amour comme il lui plaît. Il peut et il veut allumer en nous le feu de l'amour; abandonnons ­nous donc à sa direction. Cette dépendance par amour est un des secrets du Cœur de Jésus, une de ces vérités qui sont connues un peu de tout le monde, mais qui sont peu ou point mises en pratique. Si nous compre­nons bien cela, si nous vivons habituellement dans cette dépendance amoureuse, nous irons loin et vite dans la voie où Notre-Seigneur veut nous conduire. C'est là un des ineffables privilèges de notre vocation.

Chaque fois que nous faisons un acte de volonté propre, nous détrui­sons quelque chose de la vie du Cœur de Jésus en nous, nous amoindris­sons le Cœur de Jésus, puisqu'il est la vigne dont nous sommes les bran­ches, puisqu'il est le chef du corps mystique dont nous sommes les mem­bres; nous enlevons un rameau à cette vigne, un membre à ce corps, une fibre à ce Cœur . Oui, chacun de nos cœur s doit être une fibre du Cœur de Jésus, et ne plus avoir de battement que sous l'impulsion des batte­ments du Cœur de Jésus. Le Cœur de Jésus a voulu, par amour pour nous, être susceptible d'extension, il veut s'agrandir en nous par son union avec nos cœur s; il veut, par cette augmentation de lui-même, se rendre plus fort et plus puissant pour procurer la gloire de son Père et le salut des âmes. Sans doute, il aurait pu tout faire à lui seul, mais il a vou­lu associer nos cœur s à cette oeuvre de la Rédemption: «Adimpleo ea quae desunt passionum Christi: Je complète ce qui manque à la Passion du Christ», disait saint Paul; et nous, nous pouvons dire: «Adimpleo ea quae desunt Cordis Christi: je complète ce qui manque au Cœur de Jésus». De même que par la grâce de l'adoption, nous participons à la nature divi­ne, ainsi par notre union avec Notre-Seigneur, nous recevons une com­munication du Cœur de Jésus.

Résolution. - Que le Cœur de Jésus vive en nous! Que notre dépen­dance vis-à-vis de lui soit telle que véritablement nous ne vivions plus de notre vie propre. Qu'il multiplie en nous les actes de sa vie divine! Qu'il aime en nous, qu'il nous fasse soupirer d'amour comme fait la colombe, qu'il répare en nous, qu'il triomphe en nous, ce Cœur tout aimable et adorable, ce Cœur de notre Dieu, de notre ami, de notre frère, de notre époux, ce Cœur qui est notre cœur !

CINQUIEME MEDITATION

VIE CACHEE DE LA SAINTE VIERGE
ET DE SAINT JOSEPH A NAZARETH

Le cœur de Marie et le cœur de Joseph sont associés d'une manière admirable aux mystères de la vie cachée du Sacré-Cœur de Jésus. Le di­vin Cœur a voulu les associer à son acte d'oblation, à sa vie perdue en Dieu, à son amour pour nous.

La sainte Vierge et saint Joseph nous donnent l'exemple de la contem­plation d'amour. Ils avaient le bonheur de voir tous les jours l'Enfant Jé­sus; les liens qui les unissaient à lui surpassent tout ce qu'une intelligen­ce créée peut imaginer. Marie aimait l'Enfant-Dieu comme son Fils et l'Enfant divin l'aimait comme sa mère. Bien que saint Joseph ne fût que son Père adoptif, Dieu lui avait fait part de ses droits et de son amour pour le divin Enfant qui pourra dire l'excellence de l'oraison qui résul­tait de là? quelle tendresse et quelle générosité!

Marie et Joseph avaient le droit d'embrasser et de caresser l'Enfant-­Dieu, de le presser sur leur cœur ! et l'amour fort et généreux de ce Cœur divin agissait sur eux! Ils participaient à son acte d'oblation. Déjà lé Cœur de Marie, ce Cœur si tendre et si généreux, immolait son Fils pour le salut du monde et pour la gloire de Dieu. A un degré inférieur, saint Joseph participait à l'amour tendre et généreux de Marie. On ne remarque pas assez la part que ce grand saint a prise à la Rédemption. C'est lui qui nourrissait l'Enfant-Dieu, c'est lui qui conservait et prépa­rait le sang divin qui devait être le prix de notre rançon. Il connaissait certainement ce grand mystère. C'est aussi à saint Joseph que les prêtres doivent jusqu'à un certain point le sang de l'Eucharistie.

N'est-ce pas au prix de ses sueurs et de ses fatigues que saint Joseph fournissait à l'Enfant-Dieu la nourriture de chaque jour? C'était en s'épuisant, en donnant le sang de son propre cœur , qu'il entretenait la vie du Cœur de Jésus. Le sang de l'Eucharistie, qui provient véritable­ment du sang de Marie, est donc aussi, d'une certain manière, le sang de saint Joseph; le Cœur de Marie et le Cœur de Joseph sont le Cœur même de Jésus. Entrons dans le Cœur de ce grand saint qui a si bien connu et aimé le Sacré-Cœur , et prions-le de nous communiquer son grand amour.

Applications pratiques. - La dévotion au Sacré-Cœur nous associe plus que toute autre dévotion à l'habitude de la contemplation telle que la pratiquaient Marie et Joseph. Par l'amour qu'elle nous inspire, elle nous rend présent l'Enfant-Dieu, elle nous fait pénétrer jusqu'à son Cœur . Dans la contemplation du Sacré-Cœur , nous pratiquons facile­ment des actes très parfaits des vertus les plus élevées: les actes de foi, d'espérance, de confiance, d'abandon, de générosité. Que dire, si la contemplation, comme cela doit se faire, persévère toute la journée. Quels trésors incalculables de mérites nous puisons dans le Sacré-Cœur ! Quelle multiplication de grâces! La méditation, même la mieux faite, ne préserve pas du péché, tandis que la contemplation, dit le P. Surin, rend le péché presque impossible. Afin de rendre la contemplation plus par­faite, afin même de la rendre possible dans les commencements, allons au Cœur de Jésus par les Cœur s de Marie et de Joseph et souvenons-nous que saint Joseph est le patron, non pas de la méditation, mais de l'oraison, comme dit sainte Thérèse.

L'ordre de Dieu était que la hiérarchie de Nazareth fut ainsi organi­sée: saint Joseph était le chef de la Sainte Famille, Marie venait après lui, et, comme dit saint Alphonse, l'Enfant Jésus était le serviteur de Joseph et de Marie. Il y avait donc un ordre formel de Dieu qui consistait en ceci: que Joseph et Marie devaient commander à l'Enfant divin com­me s'il eût été un enfant ordinaire: et erat subditus illis. Il ne faut pas ad­mettre facilement les révélations particulières qui prétendent que Marie et Joseph priaient l'Enfant Jésus au lieu de lui commander. Mais s'il y avait à l'extérieur un commandement réel et absolu, quelle humilité à l'intérieur! Marie et Joseph connaissaient leur bassesse, leur indignité même, comparées à la Majesté souveraine qui s'anéantissait sous leurs yeux. Avec quel respect intérieur, avec quel amour ineffable ils com­mandaient à cet enfant que Dieu leur avait donné! Cette humilité s'al­liait à une confiance absolue. La confiance seule pouvait leur donner le droit à la familiarité avec laquelle les parents traitent leurs enfants. Sans confiance, il n'y a pas d'humilité surnaturelle.

Applications pratiques. - Notre-Seigneur aime tant à obéir qu'il n'a pas voulu en être dispensé, même dans sa vie glorieuse. Il n'obéit plus à Ma­rie et à Joseph dans le ciel, mais il obéit à ses prêtres sur la terre. «Il de­scend à ma voix, disait en pleurant le curé d'Ars, et une fois descendu, j'en fais ce que je veux; je le mets ici ou là, je le porte où je veux». C'est là le pouvoir extérieur que les prêtres, même indignes, exercent sur la personne adorable de Jésus. S'ils le voulaient, s'ils avaient un peu de foi et d'amour, quel pouvoir ils exerceraient sur son Cœur ! sur ce Cœur qui est là entre leurs mains.

Quels sentiments extraordinaires d'humilité ne devons-nous pas avoir en exerçant ce commandement sur la personne adorable de Notre­-Seigneur! Mais cette humilité doit être mêlée d'amour et de confiance comme celle de Marie et de Joseph.

Dans la contemplation aussi, le Sacré-Cœur de Jésus se livre à nous: Nobis datus, nobis natus. Il devient non seulement pour nous un cœur de père, de frère et d'ami; il veut encore que nous exercions sur lui une sor­te de paternité spirituelle et il devient comme le cœur de notre fils, ainsi que le dit Notre-Seigneur dans l'Evangile: «Si quelqu'un fait ma volon­té, etc.», et comme dit Isaïe: «Un petit enfant nous est né et nous a été donné». Saint jean dit aussi: «Ils le pleureront comme s'il était leur Fils unique». Sachons donc avoir une familiarité sainte avec le Sacré-Cœur ; sachons lui commander en quelque sorte par une confiance pleine d'amour et qui n'hésite pas, et alors rien ne nous sera refusé de ce que nous lui demanderons.

La vie cachée est si précieuse devant Dieu qu'elle est le partage unique de Marie et de Joseph. Marie immaculée, si élevée au-dessus des anges et des saints, la Fille du Père, la Mère du Fils, l'Epouse du Saint-Esprit, cette Vierge déiforme, comme l'appelait saint Denis l'Aréopagite, ne pa­raît que très rarement dans les scènes de l'Evangile, et, depuis la Pente­côte jusqu'à sa mort, il n'est plus question d'elle. A quoi passait-elle son temps? Aux travaux modestes du ménage, à des actes tellement obscurs qu'elle se confondait avec le commun des femmes. Elle ne s'exerçait pas dans ces vertus extraordinaires qui ont jeté tant d'éclat sur quelques saints; elle ne jouissait pas du privilège de sainte Catherine de Sienne de pouvoir vivre sans manger; elle ne prêchait pas, elle ne faisait pas de miracles; en un mot son Cœur très saint réalisait à la lettre ce mot du Cantique des cantiques: «Hortus conclusus, fons signatus, soror mea, spon­sa. Tu es un jardin fermé, une fontaine scellée, ma sœur et mon épouse». Ce Cœur fermé aux hommes n'était accessible qu'au Sacré­-Cœur et c'est là ce qui fait le mérite de la vie cachée. Estimons donc beaucoup les petites actions qui la composent; si l'amour les anime, elles ont plus de mérite devant le Sacré-Cœur que les actes de pénitence et de mortifications les plus élevés accomplis avec moins d'amour, parce que ce Cœur si humble s'abaisse volontiers vers ce qui est petit, tandis qu'il méprise ce qui est élevé. Si toutefois Dieu nous appelle aux travaux apostoliques ou aux souffrances extraordinaires de la Passion, suivons sa volonté, tout en laissant notre cœur dans la vie cachée, c'est-à-dire dans la contemplation.

Quant à saint Joseph, sa vie cachée est, pour ainsi dire, encore plus extraordinaire que celle de la sainte Vierge. On ne l'entend jamais par­ler dans le saint Evangile, mais on le voit toujours obéir à la voix de l'an­ge. Il nous donne par là l'exemple de ce silence intérieur, qui doit être toute notre vie, et de cette obéissance parfaite aux ordres de la Providen­ce, qui honore tant Notre-Seigneur. Le métier de charpentier auquel il était soumis était avilissant aux yeux des juifs, tandis qu'ils avaient en honneur les travaux des femmes. Aussi les pharisiens ne cessent de re­procher à Notre-Seigneur l'humble condition de son père adoptif; ils ré­pètent avec mépris: «C'est le fils du charpentier». Et le bon saint Joseph accepte avec amour cette condition dégradée, lui qui était prince et fils de David, lui qui exerçait les droits du Père éternel sur son Fils. Saint Joseph aime tant la vie cachée que Dieu n'a pas permis qu'il assistât aux grandes scènes de la Passion, de la Résurrection et de l'Ascension. Bien plus, on dirait qu'il a voulu continuer sa vie cachée dans le ciel, car ce n'est que de nos jours que sa gloire commence à se faire connaître. Mais le Dieu qui tient à exalter les humbles veut enfin manifester à tous la di­gnité et la gloire incomparable de Celui qui fut son Père sur la terre. Si donc nous voulons plaire au Cœur de Jésus, aimons saint Joseph. La dé­votion à ce saint, dont le cœur était tout aimable, fera de notre cœur un petit parterre où croîtront ces vertus que l'on n'aperçoit pas, mais qui embaument l'Eglise de leurs parfums délicieux.

Résolution. - Imitons l'humilité et l'esprit d'abandon de Marie et de Joseph. Il faut être disposé à être pris et abandonné au premier signale des supérieurs. Tout ce que Jésus veut est bon; or il veut toujours que nous obéissions à nos supérieurs. - Aimons la vie simple et commune plus que l'éclat des oeuvres. Unissons-nous chaque matin à la vie de la Sainte-Famille à Nazareth.

SIXIEME MEDITATION

JESUS AU TEMPLE

Jésus, pour obéir à l'amour qui le presse, réveille dans le cœur des prêtres et des fidèles du Temple le sentiment de l'attente du Messie. Il a hâte de travailler à la gloire de son Père. Il a hâte d'instruire les hommes qu'il veut sauver.

Le Cœur du divin Enfant est dévoré, consumé de zèle pour les inté­rêts de son Père et pour notre salut.

Il va au Temple. C'était l'usage que les jeunes gens accompagnassent leurs parents aux trois grandes solennités de l'année. Jésus y allait avec joie. Sa piété ravissait l'assistance. Il offrait avec amour ses prières à Dieu son Père.

La célébration de la Pâque surtout le mettait hors de lui. Ces agneaux immolés le représentaient. Il voyait là tout le symbole de da Passion. Son Cœur formule déjà les désirs qu'il exprimera plus tard: «J'at­tends mon baptême de sang -j'ai désiré manger la dernière Pâque avec vous».

C'est à la fête de Pâques, quand il avait douze ans, que son amour pour nous l'emporte sur la pieuse attente de Marie et de Joseph. Il les laisse partir seuls. Il reste au Temple, et par voie d'interrogations, il ex­plique les prophéties et réveille dans les cœur s l'attente du Messie. Il veut préparer les âmes à la rédemption.

Ah! si nous avions un peu de ce zèle, de ces flammes d'amour du Cœur de Jésus, comme nous serions ardents au travail pour le salut des âmes! Comme nous saurions parler de Dieu et le faire aimer!

Jésus est tout amour. C'est pour nous et pour notre bien, qu'il a voulu cette épreuve de Marie et de Joseph. Il les délaisse pour trois jours. Il voit leurs larmes et ne les sèche pas. Il veut nous préparer aux épreuves de la vie et en particulier aux aridités spirituelles. Il y aura pour nous des jours sans consolation. Notre cœur , pour se purifier davantage, doit se détacher de tout, même des joies spirituelles. Nous songerons alors à l'épreuve incomparable de Marie et de Joseph.

O Marie, ô Joseph, quelle fut alors votre douleur? Quelle inquiétude extrême! Quelle cruelle nuit! Où pouvait bien être votre Jésus? Ne l'aviez-vous pas perdu par votre faute? Quand vous aviez fui en Egypte, votre douleur était moins grande, parce que Jésus était avec vous.

Et nous, hélas! nous perdons la présence de Jésus sans nous troubler! Nous ne ressentons pas d'inquiétude loin de lui! Nous le forçons à nous chercher lui-même! Quelle leçon d'amour nous donnent Marie et Joseph!

C'est au Temple qu'on retrouve Jésus. C'est dans la prière et le re­cueillement. Ce n'est pas dans le tumulte du monde, ni même dans les douces réunions de la famille. Au temple, Dieu nous fera entendre sa pa­role et il se manifestera à notre cœur .

Quelle joie pour Marie et Joseph lorsqu'ils retrouvèrent leur fils bien­aimé! Qu'ils furent bien dédommagés de leurs fatigues et de leurs re­cherches!

Qu'est-ce que Jésus répond à leurs doux reproches: «Ne faut-il pas, dit-il, que je sois tout à l'œuvre de mon Père!». L'œuvre de son Père, c'est notre salut, c'est la préparation de grâces, de lumières, de consola­tions de toutes sortes pour nos âmes. C'est là le grand souci du Cœur de Jésus.

Marie et Joseph acquiescent à ses paroles sans les bien comprendre, et Jésus reprend sa vie de recueillement, d'où il n'était sorti que pour les nécessités de l'apostolat.

Faites, ô divin Cœur de Jésus, que je reçoive vos lumières avec docili­té, que je recueille vos grâces fidèlement; que si j'ai eu le malheur de vous perdre, j'aie la joie de vous retrouver pour toujours!

Résolution. - Le Cœur de Jésus adolescent a touché mon cœur . Je veux profiter des leçons de ce délicieux mystère. Jésus me prêche le déta­chement, le zèle, le désir de sa présence. Je veux surtout aujourd'hui m'attacher à ses pas et rechercher sans cesse sa présence pour lui témoi­gner mon amour.

QUATRIEME MYSTERE

Le Sacré-Cœur de Jésus
dans sa vie apostolique

PREMIERE MEDITATION

PREPARATION DE NOTRE-SEIGNEUR A SA VIE APOSTOLIQUE

La vie active a pour but de répandre dans les âmes le feu dé l'amour divin. «Ignem vent mittere in terrant, et quid volo nisi ut accendatur: Je suis venu allumer l'incendie et je désire qu'il se propage». C'est l'expansion au de­hors de la vie du Sacré-Cœur. Or Notre-Seigneur a été le premier mis­sionnaire de son Cœur. La vie active considérée dans Notre-Seigneur se divise en trois branches: 1 ° Jésus-Christ a enseigné, il a été docteur; 2° il a travaillé au salut des âmes, il a été le premier des apôtres et des mis­sionnaires; 3° il a été le charitable médecin des corps et des âmes. Les âmes vouées au Sacré-Cœur peuvent réaliser ces trois aspectes de la vie active.

Les unes s'appliquent à l'étude et à l'enseignement de la doctrine, non pas par voie de prédication, mais d'une manière scientifique. A ces âmes est réservé de faire connaître ce Cœur où sont renfermés tous les trésors de la science divine.

D'autres exercent l'apostolat proprement dit: leur mission spéciale est d'attirer les âmes au Sacré-Cœur et de le faire aimer. Elles doivent ra­mener tous les enseignements divins au Sacré-Cœur.

D'autres encore doivent arriver à l'âme par le soulagement du corps. Elle s'embrassent toutes les oeuvres de miséricorde corporelle; elles doi­vent imiter la tendre compassion du Sacré-Cœur pour toutes nos misè­res, même pour nos misères temporelles qu'il a prises sur lui, comme dit saint Mathieu, après Isaïe (Mat. VIII. 17).

Notre-Seigneur s'est préparé à sa vie active par les mystères de son baptême au Jourdain, de son jeûne au désert et de ses tentations.

Il y a deux choses à considérer dans le baptême de Notre-Seigneur: la purification, et la descente du Saint-Esprit sous la forme d'une colombe. 1° La purification a été pour Notre-Seigneur un acte d'humilité pro­fonde à laquelle il s'est soumis pour nous donner l'exemple, pour nous mériter des grâces de pureté. Notre-Seigneur n'avait pas besoin de puri­fication, mais pour nous, c'est un besoin urgent. Celui qui travaille au salut des âmes doit: 1° n'avoir aucun péché mortel sur la conscience, 2° n'avoir l'habitude d'aucun péché véniel, 3° avoir une grande pureté d'intention. Sans ces conditions, le ministère ne porte aucun fruit sé­rieux dans les âmes.

Or quel sera le Jourdain où nous pourrons recevoir le baptême de l'apostolat, sinon le Sacré-Cœur de Jésus? Par la contemplation habi­tuelle du Sacré-Cœur, nous empêchons en nous le règne du péché mor­tel, nous détruisons les racines du péché véniel, et comme nous voyons partout et toujours le Sacré-Cœur, nos intentions seront nécessairement pures.

2° Le Saint-Esprit, après le baptême de Notre-Seigneur, descend sur lui en forme de colombe, et le Père éternel fait entendre ces paroles: «C'est là mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances». Si nous voulons sanctifier notre ministère, il ne suffit pas que nous ayons la conscience pure, il faut que le Saint-Esprit descende en nous, il faut que l'esprit du Cœur de Jésus devienne le nôtre. «Induimini Dominum Jesum-Christum. (Ad Rom). Revêtez-vous de Jésus-Christ», c'est-à-dire, reproduisez sa vie, ses intentions, son zèle.

L'esprit apostolique est un esprit de zèle uni à une grande douceur et à une humilité profonde. La colombe est le symbole de ces vertus. Si cet esprit nous anime, nous reproduirons en nous la vie des grands apôtres des temps passés, des Paul, des Dominique, des François-Xavier, etc. Le vrai apôtre doit dire comme saint Paul: «Ce n'est plus moi qui vis, c'est, Jésus, c'est le Cœur de Jésus qui vit en moi».

Poussé par le Saint-Esprit, Notre-Seigneur va dans le désert, où il jeû­ne pour expier nos fautes et pour nous mériter des grâces.

L'homme apostolique est en contact habituel avec le monde; il a donc, plus que personne, besoin de la mortification, même extérieure. Les or­dres pénitents, comme les Trappistes et les Cisterciens, reproduisent, autant qu'ils le peuvent, la mortification extraordinaire de Jésus pen­dant ses quarante jours de jeûne, sans avoir pour but prochain le salut des âmes. Pour nous, dans la vie active, l'apostolat est notre but pro­chain, immédiat, et, à moins d'un attrait spécial, la pénitence extraordi­naire de Notre-Seigneur n'est pas reproduite par nous. Cependant, nous devons avoir assez d'amour envers le Sacré-Cœur, pour embrasser la voie de sacrifices et de privations qu'entraîne le soin du prochain. De plus, nous devons être prêts à nous imposer même des sacrifices extraor­dinaires pour le salut des âmes. Voilà pourquoi les missionnaires ont be­soin d'habiter continuellement sur le Calvaire et de mettre dans leur cœur la croix qui s'élance du Cœur de Jésus. Ils doivent surtout accep­ter généreusement les croix que la Providence sème sur leur route. C'est pour eux une heureuse occasion de féconder leur ministère.

Au désert, le démon apparaît à Notre-Seigneur et le tente de sensuali­té, de présomption et d'ambition. Ce sont les tentations de l'homme apostolique.

Première tentation: la sensualité, à laquelle beaucoup succombent. Cette sensualité animale, qui nous porte à nous plonger dans les délices, dé­truit tout le fruit de l'apostolat. Usons pour la combattre du remède que donne Notre-Seigneur. Il dit au démon: «L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu». Notre­ Seigneur admet que le pain matériel et ce qui s'y rattache est nécessaire à l'homme, mais ce n'est pas son unique et principale nourriture: l'apô­tre du Sacré-Cœur doit vivre avant tout du Sacré-Cœur lui-même, c'est-à-dire de l'oraison, de l'union à Notre-Seigneur, de l'amour de l'Eucharistie; alors, la sensualité n'aura plus d'attrait pour lui. L'amour du Sacré-Cœur l'occupera, le dominera et le purifiera.

Deuxième tentation: la présomption, qui consiste, pour l'homme apostoli­que, à négliger la grâce divine pour s'appuyer sur des moyens humains. La présomption fait que l'apôtre se prêche lui-même au lieu de prêcher le Cœur de Jésus. Sa parole vaine, étudiée, ne demande pas le salut des âmes, n'est pas l'écho de l'amour du Sacré-Cœur. Nous devons éviter de toutes nos forces cet écueil dangereux, en ayant une grande confian­ce, non pas en nous-mêmes, mais dans le Sacré-Cœur, et en employant, pour atteindre une fin surnaturelle, uniquement des moyens surnatu­rels, c'est-à-dire, un tendre et généreux amour pour le Sacré-Cœur de Jésus, alimenté par la vie de foi, le détachement, le sacrifice, l'oraison. Troisième tentation. l'ambition, fruit de l'orgueil comme la présomption. Ceux qui se laissent aller à ce vice dans l'exercice des oeuvres de charité sont les apôtres du démon qu'ils adorent. Saint Liguori est terrible pour ces orgueilleux et ces ambitieux. Sur eux retombent aussi les malédic­tions de Notre-Seigneur contre les pharisiens. Imitons l'humilité et le dé­sintéressement du Sacré-Cœur et répétons après saint Paul: «Je ne cher­che ni mes intérêts ni ma gloire». Je ne cherche que les intérêts et la gloi­re du Sacré-Cœur de Jésus.

Nous avons un moyen excellent d'éviter tous ces écueils, c'est la vie intérieure, c'est l'union constante au divin Cœur de Jésus, c'est l'exer­cice de la contemplation, qui est plus nécessaire aux hommes apostoli­ques qu'aux contemplatifs eux-mêmes.

Résolution. - Pour féconder mon zèle, je puiserai dans le Cœur de Jésus, son humilité, son esprit de sacrifice. -je me préparerai à l'aposto­lat dans la solitude, la prière et la mortification. Dans l'union avec le Cœur de Jésus, je trouverai une source inépuisable de zèle et de force. Son amour me préservera des tentations ou me rendra la victoire promp­te et facile, surtout si je suis bien nourri de l'Ecriture Sainte et de l'esprit du Cœur de Jésus.

DEUXIEME MEDITATION

CHOIX DES APOTRES

C'est Notre-Seigneur qui choisit ses apôtres, c'est là leur force et la source de leur confiance. C'est aussi une grande faveur qui les oblige à la reconnaissance et à l'amour.

Avant de choisir ses apôtres, Notre-Seigneur passe la nuit en prières; c'est aux soupirs de son Cœur, à ses angoisses au sujet du salut des âmes, à l'ardeur de son zèle, à sa prière, que les vocations apostoliques doivent d'exister.

Vous tous qui êtes des apôtres du Sacré-Cœur, vous l'êtes par la pré­dilection et par l'appel spécial du Sacré-Cœur. jamais il n'y a eu et il ne peut y avoir de vocation religieuse, sacerdotale, apostolique, qui ne soit surnaturelle. Vous devez tous recevoir une grâce particulière pour l'apo­stolat auquel vous êtes destinés. Ne sentez-vous pas comme cette grâce découle de cette prière nocturne, de cette veille prolongée que fit Notre­Seigneur sur la montagne, avant de choisir ses apôtres? Croyez-vous qu'alors il pensait seulement aux douze qu'il allait appeler? Non, il de­mandait à son Père la grâce de l'apostolat pour tous ceux qui devaient contribuer à répandre son règne, et en particulier pour les apôtres de son Cœur. Ouvrons nos cœurs à l'influence de cette prière, demandons au Cœur de Jésus de nous faire répondre complètement à cet appel, de nous faire comprendre tout ce à quoi nous sommes appelés.

En même temps qu'une source de grâces, cette prière est un exemple pour nous. Si nous concourons à la formation du clergé, soit dans les écoles apostoliques, soit dans les séminaires, nous aurons souvent à choi­sir des apôtres, à déterminer des vocations. Souvenons-nous de la prière du Cœur de Jésus, prions et gémissons longuement à ses pieds pour ob­tenir la lumière nécessaire; que notre choix se décide dans une prière cal­me, recueillie et solitaire, dans une prière où l'on n'entend que Dieu seul.

Celui qui reçoit l'appel divin doit vivre dans une union continuelle au Sacré-Cœur, autrement il risque de perdre sa vocation. Une vocation qui est née dans le Sacré-Cœur, ne peut se conserver que là. Elle vit, elle s'entretient et se développe dans le Sacré-Cœur, comme le poisson vit dans l'eau et l'oiseau dans l'air.

Les apôtres devaient être les colonnes de l'Eglise, les princes de la cité de Dieu; chacun d'eux préside à une faveur spéciale de la grâce parmi les fidèles.

Ces caractères distinctifs des apôtres, vous les trouverez indiqués ça et là dans les Pères, chez les mystiques, ou bien ils éclatent dans les symbo­les sous lesquels on représente les différents apôtres; ou bien ils corre­spondent exactement à l'idée que l'Evangile nous donne d'eux. Ainsi la foi de saint Pierre se manifeste partout dans l'Evangile.

Saint Pierre est l'apôtre de la foi, saint Jacques le Majeur de l'espé­rance, saint Jean de la charité, saint André de l'amour des croix, saint Philippe de la joie spirituelle, saint Barthélemy de la force, saint Ma­thieu de la science divine, saint Jacques le Mineur de la contemplation, saint Thomas de la confiance au Sacré-Cœur qu'il a acquise en le tou­chant de ses mains, saint Thaddée de l'action de grâces et saint Mat­thias, successeur de judas, de l'humilité. Tous les saints qui sont venus après eux, et surtout ceux qui avaient pour mission l'apostolat, n'ont fait qu'hériter de ces attraits divers, qui d'ailleurs peuvent tous se ramener aux grandes divisions de la foi, de l'espérance et de la charité. Ces grands fleuves se rattachent tous à une même source, le Sacré-Cœur: l'incarnation est un mystère de foi; la passion est un mystère d'espéran­ce, l'eucharistie est un mystère d'amour. Saint Jean doit être notre mo­dèle principal parce que l'amour seul contient tout. Etudions-le dans son évangile, ses épîtres et son apocalypse. Tous ceux qui sont appelés à l'apostolat du Sacré-Cœur, doivent aimer saint Jean et imiter son im­mense charité.

Notre-Seigneur ne choisit pour ses apôtres que des hommes simples, pauvres pour la plupart, bien que quelques-uns fussent de race royale, mais remplis de bonne volonté et d'amour pour leur Maître.

Plus tard, il appellera les riches et les savants; il trouvera des grands et des nobles à Rome, à Athènes, à Constantinople; il trouvera des hom­mes de science et d'éloquence, comme les Augustin, les Chrysostome, les Thomas d'Aquin; il trouvera des hommes dont les oeuvres pourront rehausser la splendeur de son nom et de son culte; mais, au début, il ne veut que des hommes simples et de condition modeste. S'il eût appelé d'abord des riches et des savants, ceux-ci auraient cru apporter à Notre­ Seigneur quelque chose de grand, ils auraient voulu agir par leurs pro­pres forces, et, se fiant à leur richesse et à leur science, ils auraient bâti à moitié sur le sable, au lieu de bâtir uniquement sur le fondement du Cœur de Jésus.

Ne. craignons pas d'admettre dans nos écoles apostoliques des enfants simples et pauvres, pourvu qu'ils aient du cœur, c'est-à-dire de la bonne volonté et de l'amour.

Admirons aussi la bonté incomparable de Notre-Seigneur pour ses apôtres. Quelle admirable patience pour les supporter! quelle douceur! quelle tendresse! Il les embrasse, il les appelle ses amis, ses enfants, eux si imparfaits! Il va même jusqu'à les louer. Il s'oublie pour eux. Ainsi doivent faire les apôtres du Sacré-Cœur pour leurs disciples. Qu'ils ai­ment comme le Sacré-Cœur et comme l'apôtre du Sacré-Cœur!

Nous devons surtout faire attention à la vie des apôtres après la Pente­côte. Or cette vie se partage en deux parties: «Nos vero orationi et ministerio verbi instantes erimus: Nous nous appliquerons à l'oraison et à la prédica­tion». Orationi. c'est la sainte, l'amoureuse contemplation du Sacré­Cœur. Ministerio verbi: la prédication, la doctrine du Sacré-Cœur et l'administration de ses divins sacrements.

Notre-Seigneur forme longuement ses apôtres. Il y a des périodes de retraite. Il les tient parfois à l'écart avec lui dans la prière. Il les instruit abondamment et longuement. Il a des enseignements spéciaux pour eux, comme à la montagne de Tibériade. Il leur explique en particulier les paraboles qu'il propose au peuple. Il les essaye aux oeuvres et à l'apostolat en les envoyant deux à deux et en leur demandant compte de leurs succès au retour. Toute vie apostolique doit être préparée longuement dans la prière et l'étude.

Résolution. - Jésus m'a aimé et m'a choisi; ma vocation apostolique est née dans son Cœur, c'est là aussi qu'elle doit se conserver et se déve­lopper. C'est là que je dois chercher la lumière, la force et toute direc­tion.

TROISIEME MEDITATION

L'APOTRE DU SACRE-CŒUR

Il est bien manifeste que saint Jean a eu parmi les apôtres une mission spéciale. Il est l'apôtre de la charité, l'apôtre du Sacré-Cœur. L'Evangi­le l'indique en maint endroit, et tous les Pères de l'Eglise le remarquent en signalant le rôle spécial de saint Jean à la Cène et au Calvaire.

Combien Jésus a aimé saint Jean! C'était son Benjamin, son fils préfé­ré, comme le remarque Corneille de la Pierre après les Pères de l'Eglise. «Jésus, en pressant saint Jean sur son Cœur pendant la Cène l'adopta pour son fils: les parents n'ont-ils pas la coutume de tenir ainsi leurs en­fants embrassés? C'est pour cela que Jésus mourant l'a donné à sa Mère comme fils, parce que les petits enfants succèdent aux droits de filiation et d'hérédité du fils quand il est mort».

Jésus a voulu donner à son Benjamin toutes les gloires, et placer sur son front toutes les auréoles. Il l'a fait apôtre, et l'un des trois qui furent le plus aimés. Il l'a fait prophète par l'Apocalypse. Il l'a fait docteur, docteur de l'amour et évangéliste du Verbe incarné. Saint Jean a été vierge et il a été martyr, car s'il fut sauvé de la mort, comme les trois en­fants dans la fournaise, ni le mérite de son sacrifice, ni la gloire de son martyre n'en ont été amoindris.

Jésus le voulait toujours auprès de lui, et leur intimité était beaucoup plus grande que ne le révèle l'Evangile.

Quand sainte Gertrude vit saint Jean reposant sur la poitrine de Jésus, Jean avait ses bras passés autour du cou de son Maître bien-aimé. Et quand Jésus révéla à la bienheureuse Baptista Varani les scènes de sa Passion, il lui dit: «Jean était plus mort que vif quand il me vit, au la­vement des pieds, traiter judas avec tant de bonté. Lorsque je m'appro­chai de lui, le dernier, car son humilité lui avait fait prendre la dernière place, voyant que je m'inclinais pour lui laver les pieds, il ne put plus se contenir. A peine eus-je fléchi les genoux qui'il me prit entre ses bras, où il me tint assez longtemps enlacé, pleurant, sanglotant et me disant dans son cœur, sans proférer une parole: «O mon Père, ô mon cher Maître, ô mon Frère bien-aimé, ô mon Seigneur et mon Dieu, comment avez-vous le courage de laver et de baiser, de votre bouche sacrée, les pieds mau­dits de judas, de ce traître infâme».

O sainte familiarité, que ces traits nous permettent d'entrevoir!

Saint Jean a bien indiqué dans ses écrits inspirés l'esprit de la dévotion au Sacré-Cœur, mais il ne l'a pas formellement fait connaître, parce que la Providence réservait cette grâce pour les derniers temps du monde. Mais quand Jésus veut faire connaître cette dévotion par des révélations privées, quel est le héraut et l'apôtre de ses messages? C'est le plus sou­vent saint Jean.

C'est saint Jean qui enseigne à sainte Gertrude l'amour du Sacré-­Cœur. Il l'invite même à se reposer avec lui sur le Cœur de Jésus, où el­le puise toutes les lumières que ses écrits nous révèlent sur l'amour du Sacré-Cœur.

Saint Jean instruit également sainte Mechtilde, sainte Angèle de Foli­gno, sainte Colette.

Il concourt avec Notre-Seigneur à former la bienheureuse Margue­rite-Marie, l'évangéliste du Sacré-Cœur. Au jour de sa fête, le 27 juin 1674, la Bienheureuse a comme lui la grâce de reposer sur le Cœur de Jésus. Elle fête tous les ans le souvenir de cette grâce et c'est dans ces jours privilégiés qu'elle reçoit le plus de lumières.

Celui qui a l'honneur et le bonheur d'y être appelé, doit d'abord s'y donner, s'y consacrer tout entier. «Heureux, dit Marguerite-Marie, sont ceux que le Sacré-Cœur emploiera pour l'exécution de ses desseins!».

«Il faut, écrit-elle à son frère et au P. Croiset, que vous vous consa­criez tout à ce Cœur adorable pour lui rendre et lui procurer tout l'amour, l'honneur et la gloire qui sera en votre pouvoir, tant par vous­-même que par ceux qui seront à votre charge».

Il faut se donner à ce divin Cœur, imiter ses vertus et travailler à le faire connaître et aimer par tous les moyens d'apostolat: la parole, la presse, la souffrance et les oeuvres.

Résolution. - O mon bon Maître, ô mon Père, je me donne à vous. Permettez-moi d'imiter saint Jean dans son amour pour vous, et Marguerite-Marie dans son zèle pour travailler au règne de votre Cœur.

QUATRIEME MEDITATION

ENSEIGNEMENTS DE NOTRE-SEIGNEUR

Il y a deux grandes sources des enseignements divins: l'Ancien et le Nouveau Testament. Dieu a parlé aux hommes, d'abord par les patriar­ches et les prophètes, puis par son Fils unique Jésus-Christ. La révéla­tion du Sacré-Cœur n'est qu'une révélation privée, mais elle nous ap­porte quand même de grandes grâces et un esprit nouveau qui a cepen­dant son point de départ et sa source dans l'Ancien et le Nouveau Testa­ment.

La doctrine de Notre-Seigneur, ses divins enseignements se résument tous en celui-ci: «Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de toute votre âme, de tout votre esprit, de tout votre cœur, de toutes vos forces, et vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes». C'est là, dit Notre­-Seigneur, toute la loi et tous les prophètes. C'est aussi tout l'Evangile. Enfin, c'est tout le Sacré-Cœur, qui est l'amour incarné de Dieu pour les hommes et des hommes pour Dieu. Que l'on examine bien toutes les prédications de Notre-Seigneur, toujours on y trouvera l'enseignement de cet amour, dévoué, généreux et filial pour Dieu; tendre, suave et plein de force pour les hommes, que Jésus traite tout à la fois en maître, en ami, en frère, en Sauveur. Les apôtres du Sacré-Cœur doivent donc: 1° puiser toute leur éloquence dans le Saint Evangile; c'est le livre qu'ils doivent sans cesse étudier, méditer, et, pour ainsi dire, dévorer; 2° pré­senter ce livre divin sous sa forme nouvelle, c'est-à-dire tout ramener à la prédication du Sacré-Cœur. Le dogme, la morale, la liturgie, les dé­votions particulières, la mysticité, tout doit être ramené là. Toutes nos instructions doivent rouler sur le Sacré-Cœur présenté de différentes manières. C'est ainsi que nous réaliserons l'ardent désir de Notre­ Seigneur: «Ignem veni mittere in terram; et quid volo, nisi ut accendatur: Je suis venu sur la terre pour y allumer le feu de l'amour».

Notre-Seigneur nous l'apprend en s'appliquant à lui-même ces paro­les d'Isaïe: «Spiritus Domini super me, eo quod unxit me (Luc V, 18); l'esprit de force et d'amour repose sur moi, et remplit mon Cœur d'une onction ineffable». Donc la prédication du Sacré-Cœur est pleine de charité, de cet amour ineffable, si tendre et si forte, qui ravissait tous ceux qui l'en­tendaient et leur faisait dire: «Nul homme n'a parlé comme cet homme». «Speciosus forma prae filiis hominum, diffusa est gratta in labiis tufs: Cet homme est aimable entre tous; la grâce est sur ses lèvres». Entrons donc dans le Sacré-Cœur, prenons son amour pour prêcher l'amour aux hommes. Imitons en ce point, comme en tous les autres, l'apôtre saint Jean.

Isaïe nous décrit l'apostolat du Sauveur: «Evangelizare pauperibus misit me». Prêcher aux pauvres! Voilà ce que désire ce Cœur qui aime les pe­tits, les faibles et les enfants. Or quelle est la qualité qui suit de là, sinon la simplicité? Simplicité dans l'expression, simplicité dans l'idée, ce qui n'exclut pas la grandeur; quoi de plus simple et de plus sublime que l'Evangile? Nous devons donc abandonner l'éloquence mondaine et théâtrale des prédicateurs modernes pour prendre celle du Saint Evangi­le et des Pères.

«Sanare contritos corde», c'est-à-dire, consoler les affligés. C'est là un point de vue que notre prédication dure et mondaine ignore absolument, mais que le Sacré-Cœur, qui est la consolation par excellence, ne saurait oublier. Et comment consoler les affligés? Ce n'est pas par des banalités, mais en leur ouvrant le Sacré-Cœur, en leur inspirant une confiance en lui absolue, entière, inaltérable.

«Praedicare captivis remissionem et caecis visum, dimittere confractos in remissio­nem. Prêcher la délivrance aux captifs, aux blessés la guérison». Par ces paroles, Notre-Seigneur désigne la classe innombrable des pécheurs. Il s'agit de briser par la parole les chaînes des captifs, d'ouvrir les yeux des aveugles, de rendre la santé aux malades. Ah! la grande et noble mis­sion! Tâchons d'inspirer aux pécheurs le désir d'aimer le Sacré-Cœur, poussons-les à le prier, à gémir devant lui sur leurs misères, et sa grâce sera plus puissante que toutes nos paroles.

«Praedicare annum Domini acceptum et diem retributionis». Prêcher le grand jubilé d'amour et de miséricorde, c'est la dévotion au Sacré-Cœur qui'il nous faut annoncer à tous de manière qu'elle enflamme les cœurs de tous. C'est pour nous le premier des devoirs, que nous remplirons bien, si nous-mêmes, nous sommes pleins d'un amour tendre et généreux en­vers le Sacré-Cœur (Ps. 61).

L'Evangile est, comme la sainte Eucharistie, le sacrement du Cœur de Jésus. Ce divin Cœur est là, sous la lettre, caché avec son amour et ses trésors de grâces; ses paroles sont esprit et vie. Nous devons aimer et étudier tous les Evangiles, mais il en est un pour lequel nous devons nous passionner: c'est celui de saint Jean. Afin donc de réussir dans la prédication, le principal n'est pas d'étudier Massillon, Bourdaloue et Bossuet, à plus forte raison les auteurs tout à fait profanes, comme Cicé­ron ou Quintilien. Il faut étudier le Sacré-Cœur dans l'Evangile: tout est là.

Rappelons-nous les promesses faites par Notre-Seigneur à ceux qui prêcheraient la dévotion au Sacré-Cœur. Ces promesses sont infailli­bles. Ayons une confiance absolue. Cette confiance peut produire des miracles. «Ceux qui travaillent au salut des âmes, disait Notre-Seigneur à la Bienheureuse, auront l'art de toucher les cœurs les plus endurcis et travailleront avec un succès merveilleux, s'ils sont pénétrés eux-mêmes d'une tendre dévotion à mon divin Cœur».

Méditons et développons les belles pages de saint Jean sur le retour de l'enfant prodigue, sur la résurrection de Lazare, sur les noces de Cana, sur la conversion de la Samaritaine. Etudions les paraboles du Bon Maî­tre sur le Bon Pasteur, sur la Vigne mystique et les effusions de son Cœur dans le discours après la Cène. Tous ces enseignements ont une efficacité particulière. Ils sortent directement du Cœur de Jésus.

Résolution. - Je me nourrirai constamment de l'Evangile, surtout de celui de saint Jean. Je lirai de préférence les écrits des Saints qui ont eu la mission de nous révéler le Sacré-Cœur. C'est le Cœur de Jésus que je veux faire connaître et aimer en exerçant l'apostolat.

CINQUIEME MEDITATION

CONTRADICTIONS
QU'EPROUVE NOTRE-SEIGNEUR

La lumière a brillé au milieu des ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise: il est venu parmi les siens et les siens ne l'ont pas reçu» (Saint Jean I).

Notre-Seigneur a consacré trois années à sa vie publique. Les deux premières ont été assez calmes, mais la troisième a été toute remplie par les contradictions qui préparaient peu à peu le drame du calvaire. Notre­Seigneur voulait nous donner l'exemple et nous mériter des grâces dans les contradictions que rencontrerait notre apostolat.

Notre-Seigneur éprouve des contradictions d'abord parmi ses amis, ses apôtres, ses disciples, ses parents, qui ne pouvaient jamais saisir quel était le but réel de sa mission, qui ne comprenaient pas ou comprenaient mal ses enseignements. La cause de ces contradictions venait de ce que le Saint-Esprit n'avait pas encore dissipé par ses lumières les préjugés dont ces saintes âmes avaient été nourries. Ce fut là pour le Cœur aimant de Jésus une croix très douloureuse qu'il supporta avec une douceur et une patience incomparables. Ses apôtres eux-mêmes s'étonnaient de sa bon­té. Ils ne comprenaient pas qu'il parlât à la Samaritaine. Ils auraient voulu le voir faire descendre la foudre sur les villes rebelles à ses ensei­gnements. Jamais sa bonté ne se démentit. Il ne devança pas non plus le temps que Dieu avait fixé pour éclairer les âmes de ceux qu'il aimait. Les apôtres du Sacré-Cœur doivent comme lui prêcher et enseigner. Eux aussi rencontreront des contradictions qu'ils devront supporter avec patience et en union avec le Sacré-Cœur.

Les épreuves nous viendront peut-être de personnes bien intention­nées qui croiront bien faire en nous humiliant: notre force sera dans le si­lence et dans la confiance au Cœur de Jésus. Mais nous devons rester fi­dèles à la grâce du Sacré-Cœur.

Nos amis ou nos parents s'opposeront peut-être à notre vocation ou à nos oeuvres. Nous saurons leur répondre avec Notre-Seigneur: Ne faut-­il pas que s'accomplisse l'œuvre que mon père du ciel me demande?

Notre-Seigneur éprouve la plus vive contradiction de la part des or­gueilleux Pharisiens et des Scribes. Ils sont entichés de leurs prétendues traditions. Ils sont fiers et blâment Notre-Seigneur de sa bonté pour les pécheurs. Les apôtres du Sacré-Cœur seront toujours les disciples les plus fidèles du Saint-Siège. Ils propageront tous les enseignements du Vicaire de Jésus-Christ. En cela aussi, ils seront contredits par les or­gueilleux qui croient en savoir plus que le Pape, comme les Pharisiens croyaient en savoir plus que le Messie. Qu'ils ne cèdent jamais sur ce point là! Ils doivent être pour le vicaire de Jésus-Christ ce que saint Jean était pour Jésus lui-même, des disciples aimants, dévoués, fidèles jusqu'au calvaire, s'il le faut. Même pour les doctrines qui ne s'impo­sent pas à notre foi, ils suivront de préférence les directions et les conseils du Saint-Siège.

Des esprits orgueilleux trouveront notre dévotion au Sacré-Cœur exa­gérée ou trop mystique. Laissons-les dire. Leur doctrine froide et sans cœur passera comme celle des gallicans et des jansénistes. Nous sommes en bonne compagnie avec saint Jean, avec sainte Gertrude, Marguerite­-Marie et tous les saints des derniers siècles. Nous n'avons qu'un repro­che à nous faire, c'est de ne pas assez leur ressembler.

Les contradictions que Notre-Seigneur eut à souffrir lui vinrent aussi d'un côté tout opposé, de celui des hommes sensuels, débauchés, ou niant l'existence de l'âme, et attachés à la cour d'Hérode, de manière à n'avoir pas d'autre religion qu'une pratique toute mondaine: ce sont les Saddu­céens et les Hérodiens. Ces deux sectes existent encore aujourd'hui, et nous voyons avec quelle rage elles se soulèvent contre la doctrine du Cœur de Jésus qui anéantit leurs projets immondes. Tous les voluptueux tiennent par un point à la secte des Sadducéens, tous les faux politiques à celle des Hérodiens. Nous ne devons jamais pactiser avec eux, et cependant nous devons les accueillir avec bienveillance, prier pour leur conversion, miracle que le Cœur de Jésus peut seul opérer.

Dans les épreuves qui nous viendront des hommes du monde et de la politique, notre patience trouvera un trésor que nous offrirons pour le salut des âmes et pour la réparation des outrages dont le Cœur de Jésus a tant à souffrir. Jésus a été doux et patient envers Hérode et Pilate. Comme lui, nous souffrirons humblement les persécutions en offrant nos humiliations et nos souffrances au Cœur de Jésus, pour le salut de la so­ciété.

Saint Paul nous invite à considérer souvent, pour nous encourager, les contradictions que le Bon Maître lui-même a eues à souffrir. «Contemplez, dit-il, l'auteur et le consommateur de votre foi et de vo­tre salut: il a choisi la croix sans s'inquiéter de la confusion qu'il fallait subir. Il a souffert tant de contradictions de la part des pécheurs, que vous vous fatigueriez à les énumérer et vous n'arriveriez pas au bout» (Aux Héb. 12). Et tout cela pour notre amour!

Résolution. - Je serai bon et patient pour les hommes, tout en restant attaché avec une fermeté invincible à la doctrine du Sacré-Cœur, à sa règle d'amour et d'immolation. Je serai toujours docile aux enseigne­ments et aux directions du Saint-Siège.

SIXIEME MEDITATION

L'AMOUR DU SACRE-CŒUR INSPIRE LE ZELE
DU SALUT DES AMES

C'est surtout après la sainte communion que l'âme toute enflammée d'amour pour Jésus est prête à tout pour sauver les âmes qui sont si chè­res à Notre-Seigneur. La B. Marguerite-Marie nous en donne l'exemple dans toute sa vie et dans ses écrits.

Un jour de communion, comme la Bienheureuse faisait son action de grâces avec le désir de faire quelque chose pour son Dieu, le Bien-aimé de son âme lui demanda intérieurement si elle ne serait pas bien aise de souffrir toutes les peines que les pécheurs méritaient, afin qu'ils soient sauvés et que Dieu soit glorifié dans ces âmes. «Aussitôt, dit-elle, je lui offris mon âme et tout mon être en sacrifice pour faire sa divine volonté; quand même mes peines dureraient jusqu'au jour du jugement, pourvu qu'il fût glorifié je serais contente».

La Bienheureuse est prête à tout souffrir, n'est-ce pas exagéré? Non, elle sait bien à qui elle se confie (scio cui credidi), Notre-Seigneur ne lui de­mandera que ce qu'elle peut facilement porter.

Souvent Notre-Seigneur accepta son offrande et lui fit supporter des angoisses crucifiantes pour sauver quelques âmes. Mon Souverain, dit­-elle, m'a fait porter souvent ces dispositions douloureuses, parmi lesquelles m'ayant une fois montré les châtiments qu'il voulait exercer sur quelques âmes, je me jetai à ses pieds, en lui disant: «O mon Sau­veur, déchargez sur moi toute votre colère et m'effacez du livre de vie, plutôt que de perdre ces âmes qui vous ont coûté si cher».

Mais ce n'est pas seulement par la souffrance que la Bienheureuse sauvait les âmes, elle exerçait aussi par ses paroles et par ses écrits un apostolat incessant.

«Ne disputez donc plus avec la grâce, écrit-elle à une âme, je vous en conjure par tout l'amour du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus­ Christ; car il ne faut pas vous flatter, cette grâce se relâchera et se retire­ra, si vous n'y correspondez pas».

«Votre cœur s'épanche trop dans la créature, dit-elle à une autre. Lorsque vous cherchez l'amour des créatures, vous perdez les bonnes grâces du Créateur…».

On pourrait citer cent autres témoignages. Son zèle déborde et ne tarit jamais.

Rien ne coûte à la B. Marguerite-Marie pour aider les pauvres âmes souffrantes. Elle s'est offerte à Notre-Seigneur pour elles et il a accepté son oblation. «Le Sacré-Cœur de Jésus, dit-elle, donne souvent sa chéti­ve victime aux âmes du purgatoire, pour les aider à satisfaire à sa divine justice; c'est dans ce temps que je souffre une peine à peu près comme la leur, ne trouvant de repos, ni jour, ni nuit».

«Une nuit du jeudi-Saint, que j'eus permission de passer devant le Très Saint-Sacrement, je fus une partie du temps comme toute environ­née de ces pauvres âmes souffrantes avec lesquelles j'ai contracté une étroite amitié; et Notre-Seigneur me dit qu'il donnait à elles toute cette an­née pour leur faire tout le bien que je pourrais. Depuis, elles sont souvent avec moi, et je ne les nomme plus que mes amies souffrantes».

Et nous, que faisons-nous pour ces âmes chères à Notre-Seigneur? El­les attendent de nous des prières, des sacrifices, des messes, des indul­gences.

Plus les âmes ont été comblées de grâces, plus leur ingratitude est sen­sible à Notre-Seigneur. La bienheureuse était prête à tout pour sauver ces âmes ingrates qui faisaient souffrir Notre-Seigneur.

«Un jour, dit-elle, Notre-Seigneur me découvrant son Cœur amou­reux, tout déchiré et transpercé de coups: Voilà, me dit-il, les blessures que je reçois de mon peuple choisi. Les autres se contentent de frapper sur mon corps; ceux-ci attaquent mon cœur qui n'a jamais cessé de les aimer. -je ne peux dire, ajoute-t-elle, combien cela me fit souffrir». - «Pendant ce temps, écrit-elle encore, je ne cessais de demander à mon Dieu une véritable conversion pour toutes ces âmes consacrées contre lesquelles sa justice était irritée, m'offrant à sa divine bonté, pour souf­frir toutes les peines qu'il lui plairait de m'envoyer, même d'être anéan­tie et abîmée, plutôt que de voir périr ces âmes qui lui ont coûté si cher».

Et nous, pensons-nous chaque jour à prier, à offrir nos sacrifices pour les âmes les plus chères à Notre-Seigneur?

Résolution. - O Cœur tout brûlant d'amour, que n'enflammez-vous le ciel et la terre de vos plus pures flammes, pour en consommer toutes les créatures, afin qu'elles ne respirent plus que pour votre amour! je veux prier, agir, souffrir pour les âmes en union avec vous.

CINQUIEME MYSTERE

La miséricorde du Cœur de Jésus

PREMIER MEDITATION

DE LA COMPASSION DU CŒUR DE JESUS
POUR NOUS

Le Sacré-Cœur de Jésus est très bon et plein d'amour pour nous; il doit donc compatir à nos misères. C'est là ce qu'affirme saint Paul: «Non habemus pontificem qui non possit compati infirmitatibus nostris». Le Sacré­-Cœur compatit à toutes nos infirmités, spirituelles et corporelles, avec une tendresse infinie. Il en a souffert plus que nous n'en souffrons nous­mêmes. Ce Cœur généreux s'oublie lui-même, ne s'occupe pas de ses peines pour penser aux nôtres. Il nous le déclare lui-même lorsqu'il dit aux filles de Jérusalem: «Nolite flere super me, sed super vos ipsas flete», c'est­a-dire, songez plutôt à votre malheureux état qu'à mes souffrances, puisque moi-même je souffre plus de vos misères que de mes propres douleurs.

Il n'y a pas une de nos souffrances, même physiques, grandes ou peti­tes, pas une de nos tortures morales, pas une de nos tristesses, de nos amertumes, de nos craintes que son Cœur n'ait partagées par sa com­passion; pas un de nos péchés, pas un de nos défauts, pas une de nos im­perfections qui ne lui ait fait verser des larmes; il a pris toutes nos misè­res, excepté le péché, encore a-t-il pris du péché tout ce qu'il en pouvait prendre, la responsabilité.

Et tout cela parce qu'il est réellement notre cœur, comme nous som­mes son corps mystique, et que le cœur est l'organe de toutes les affec­tions joyeuses ou pénibles du corps. Jésus vit en nous, il souffre, il prie, il se réjouit en nous, son Cœur est vraiment notre cœur.

Pour ce qui regarde les infirmités spirituelles, le péché mortel ou vé­niel, les défauts, les imperfections, la compassion du Sacré-Cœur est in­ finie, car il est venu en ce monde précisément pour expier le péché. Il connaît sa malice, et comme il nous aime infiniment, avec quelle com­passion ne regarde-t-il pas les malheureux qui sont atteints de cette lè­pre! Il gémit en tant qu'homme sur le pécheur, il ne s'irrite pas contre lui, mais il désire l'arracher à son malheureux état. Sa miséricorde est un abîme. Ni les reniements de saint Pierre, ni les crimes du Larron, ni les faiblesses de Madeleine ne l'ont trouvée insuffisante. Elle éclate dans tout l'Evangile. Sa bonté pour les pécheurs n'était-elle pas le scandale des Pharisiens? Après Marie et Joseph, Jésus a deux préférés, saint Jean et sainte Madeleine, pour montrer qu'il unit dans son Cœur la tendresse pour les âmes pures et la compassion pour les pécheurs.

Ce qui est moins connu, c'est la compassion du Sacré-Cœur, pour nos maux physiques, et cependant l'Evangile en parle formellement. Voici ce qu'en dit saint Mathieu (VIII. 16). «Et omnes male habentes curavit. Ut adimpleretur quod dictum est per Isaiam prophetam dicentem: ipse infirmitates nostras accepit et aegrotationes nostras portavit». Ce passage signifie que le Sacré-Cœur avait tant de compassion pour nos infirmités, même corpo­relles, et pour nos maladies, qu'il les prenait pour lui et qu'il les souffrait par une immense et tendre compassion. Telle est la source de sa miséri­corde, de ses miracles, de ses bienfaits: la tendre compassion qu'il avait pour nous. La compassion le forçait, le nécessitait à opérer des miracles; il voyait les malades, son Cœur s'apitoyait et il les guérissait. Si nous avons, comme le Cœur de Jésus, une grande compassion pour les infor­tunés, si nous répondons bien aux désirs miséricordieux du Sauveur, pourquoi ne serions-nous pas aussi les instruments de son Cœur pour des grâces de guérison?

Ceux qui, dans la vie active, sont employés aux oeuvres de charité, auront habituellement, s'ils puisent la compassion dans le Cœur de Jésus, un don particulier pour convertir les pécheurs et consoler les affli­gés; mais pourquoi n'auraient-ils pas aussi quelquefois la puissance de guérir? Notre-Seigneur n'a-t-il pas promis que ceux qui croiraient en lui feraient toutes les oeuvres merveilleuses que lui-même avait faites? Priez avec confiance: «Demandez et vous recevrez». Donnez aux malades l'image ou la médaille du Sacré-Cœur et vous obtiendrez parfois des guérisons inattendues.

En terminant, remarquons que la joie, une joie infinie, coexistait dans le Sacré-Cœur avec une douleur infinie, celle qu'il avait pour nos péchés et nos autres misères. Ces deux sentiments ne sont pas contradictoires, parce qu'ils n'avaient pas le même objet. Du reste, il y avait en lui un phénomène particulier, il était tout à la fois comprehensor et viator, c'est-à­-dire qu'il unissait les joies du ciel aux tristesses de la terre. Au jardin des Oliviers seulement, le Sauveur permit que la joie infinie qu'il éprouvait par la contemplation et la jouissance de Dieu ne produisît pas ses princi­paux effets sensibles. C'était pour payer plus amplement nos dettes.

Cette douleur par compassion et cette joie qui résulte de l'union avec le Sacré-Cœur doivent aussi exister en nous simultanément. C'est-à­dire que si nous sommes bien unis au Cœur de Jésus, nous trouverons toujours dans cette union un fond de douce joie qui persévérera à travers nos souffrances.

Résolution. - J'aurai une confiance sans limites dans la miséricorde du Cœur de Jésus. Dans ma compassion pour les pécheurs et les affligés, j'invoquerai sans hésiter le Cœur de Jésus et j'en espère de très grandes grâces.

DEUXIEME MEDITATION

MISERICORDE DU CŒUR DE JESUS
POUR LES PECHEURS

Le rigorisme janséniste ou gallican a tout fait pour faire croire aux âmes que notre doux Sauveur n'avait pour les pauvres pécheurs que des verges et des châtiments. Un des motifs principaux de l'établissement de la dévotion au Sacré-Cœur a été certainement de détruire des idées si fu­nestes qui éloignaient les âmes du Saint-Sacrement et finissaient par les précipiter dans l'enfer.

On peut dire que le jansénisme était comme une révélation du cœur dur et haineux du démon, et la France est encore aujourd'hui en grande partie sous l'influence du jansénisme, non pas de la doctrine elle-même, mais de ses conséquences pratiques. Cet état particulier de la France a donc été la cause déterminante de l'époque et du lieu de la manifestation du Cœur de Jésus. C'est aux apôtres du Sacré-Cœur qu'il appartient de réagir contre les déplorables résultats de ce rigorisme désastreux.

On a trop répété aussi que la miséricorde était l'apanage unique de la sainte Vierge, et que Notre-Seigneur s'était réservé le domaine de la ju­stice. Il n'en est rien; le domaine de la justice n'est exercé par Notre-­Seigneur qu'après la mort, au moment même où cesse aussi pour la sainte Vierge le règne de la miséricorde. Pendant cette vie, le Cœur de Jésus restera toujours pour nous le Cœur d'un ami, d'un tendre père, d'un époux. Il exercera toute sa commisération envers ceux qui recour­ront à lui en toute confiance, fussent-ils plus criminels que judas; et il ne punira que les malheureux qui obstinément refuseront de recourir à sa miséricorde. Afin de bien faire cette méditation, il suffit de se rappeler les passages magnifiques où Notre-Seigneur proclame sa miséricorde pour les pécheurs: les paraboles si touchantes du pasteur qui va chercher la brebis égarée dans le désert et la rapporte sur ses épaules, de la drach­me perdue, de l'enfant prodigue et du bon samaritain. Considérons aus­si la bonté de Jésus en action, vis-à-vis des pécheurs; il pardonne à la femme adultère et à la samaritaine, à Madeleine, au Larron, à S. Pierre.

Jésus et la bonté, c'est tout un. Jésus est tout cœur même pour les pê­cheurs.

Avant de proclamer cette miséricorde de son Cœur, il nous la met sous les yeux par une action symbolique. On lui présente un paralyti­que. Il ne lui dit pas: tu es un pécheur, tu ne mérites pas que je te guéris­se; il commence par le guérir de son infirmité spirituelle et le délivre en­suite de son infirmité corporelle: «Va, lui dit-il, tes péchés te sont remis», et il ajoute: «Prends ton lit et retourne à ta maison».

Un moment après, il témoigne aux pauvres pécheurs, une bonté, une condescendance, vraiment étonnantes. Il vit familièrement avec eux, il les invite à sa table, et son indulgence va jusqu'à scandaliser les Phari­siens. Ceux-ci interpellent les apôtres et leur disent: «Pourquoi votre maître mange-t-il avec des pécheurs?» Mais Jésus leur répond: «Le mé­decin ne s'inquiète pas des gens bien portants mais des malades».

Jésus a pour nous un cœur d'ami et de médecin, et non un cœur de juge. Il dit encore aux Pharisiens: «Euntes auteur discite quid est: misericor­diam volo et non sacrificium». Allez, consultez les prophètes, hommes au cœur dur, et sachez ce qu'Osée a dit en mon nom: J'aime mieux la mi­séricorde que le sacrifice, c'est-à-dire l'offrande d'un cœur miséricor­dieux est plus agréable à mon Père et à moi que tous le sacrifices de l'an­cienne loi: «Non enim veni votare justes sed peccatores». Je suis venu principa­lement pour sauver les pécheurs, et en second lieu, pour appeler les ju­stes, mais je ne suis pas venu pour les faux justes qui méprisent et rebu­tent les pécheurs.

Quels reproches fait-il à la samaritaine? Elle était bien coupable, elle avait eu plusieurs maris, et celui qu'elle avait alors n'était pas le sien. Cependant, il n'a pour elle que des paroles de douceur: «Si scires donum Dei: Si tu connaissais le don de Dieu!». Et qu'est-ce que ce don, sinon l'eau de la grâce et de la miséricorde qui jaillit jusqu'à la vie éternelle?

Les juifs lui amènent la femme adultère; ici, il est entouré d'hommes qui ont un cœur de juge, et qui même veulent obtenir de lui une sentence de juge contre cette pécheresse. Que fait le Cœur de Jésus? Non seule­ment il ne l'accueille pas en juge; mais il retourne tout si bien en sa faveur que personne n'ose plus la juger. Et alors que dit-il: «Nemo te condemnavit? - Nemo, Domine. - Nec ego te condemnabo: Personne ne t'a condamnée, je ne te condamnerai pas non plus». Et aujourd'hui encore, a-t-il un tribunal sur la terre? Oui, mais c'est un tribunal où l'on ne prononce que des sen­tences d'acquittement, le tribunal du sacrement de pénitence.

Il comble de ses faveurs Madeleine gémissante à ses pieds, et il assure pour un seul acte de contrition le paradis au bon larron.

Lisez dans l'Evangile les touchantes paraboles par lesquelles Notre­Seigneur exprime sa miséricorde. Le bon pasteur a-t-il un cœur de juge qui donnera tous ses soins aux quelques brebis fidèles et laissera se per­dre la pauvre brebis égarée? Au contraire, par un renversement appa­rent de toute justice, il néglige les quelques brebis fidèles pour courir après la brebis infortunée et la rapporter sur ses épaules. Nous voyons la même chose dans la parabole de la drachme perdue. Et quand l'enfant prodigue revient à la maison paternelle, trouve-t-il un cœur de juge dé­cidé à donner toute sa tendresse au fils aîné qui ne l'a point quitté, et à chasser de sa présence le fils ingrat? Non, par un nouveau renversement de la justice, il accorde toutes ses faveurs au coupable et semble oublier l'enfant qui lui est resté fidèle, oubli que l'aîné lui reproche formelle­ment. Le pauvre blessé sur le chemin de Jérusalem à Jéricho voit passer devant lui beaucoup de juges; ceux-ci sont d'avis qu'il faut le laisser dans sa détresse, que c'est bien là sa place, que c'est de sa faute s'il souf­fre, qu'il l'a bien mérité par ses péchés; mais le bon samaritain, lui, n'a pas un cœur de juge, mais un cœur de père, de frère et d'ami; et vous savez qui est le bon samaritain, c'est Jésus.

Nous devons prêcher cette miséricorde du Sacré-Cœur pour les pé­cheurs, y croire fermement et la pratiquer. Rappelons-nous qu'une seu­le image de ce divin Cœur peut suffire à elle seule pour convertir les pé­cheurs. On peut aussi avoir la confiance qu'un enfant qui se consacrerai sérieusement à ce divin Cœur ne saurait périr: «Eum qui venit ad me non ejiciam foras: Celui qui est venu à moi, je ne le rejetterai pas». La miséri­corde du Sacré-Cœur le ramènerait au bercail avant la mort.

Résolution. - Je comprends de mieux en mieux la bonté du Cœur de Jésus. elle me saisit, elle m'emprisonne. Ma confiance est sans bornes. J'espérerai dans le Cœur de Jésus et je ne serai pas confondu. C'est par la douceur et la bonté que je chercherai à gagner les pécheurs.

TROISIEME MEDITATION

COMPASSION DU CŒUR DE JESUS
POUR CEUX QUI SOUFFRENT

Nous avons déjà dit que le Sacré-Cœur éprouvait une immense com­passion même pour nos infirmités physiques. C'est ce que nous montre toute la vie publique de ce divin Sauveur.

A peine voyait-il quelqu'un souffrir qu'il se sentait ému de compas­sion. Voyez comme il est sensible aux larmes de la veuve de Naïm, et comme il pleure en voyant le deuil de Marthe et de Marie! Son Cœur, comme dit un pieux auteur, lui faisait étendre les bras pour bénir, par­donner et guérir. Mais quels sont les motifs qui poussaient le Sacré-­Cœur à cette tendre compassion? C'est sa qualité de frère, de père, d'ami, d'époux, comme nous l'avons déjà dit.

Dans l'Ecriture sainte, comme il ne fallait pas encore dévoiler la dévo­tion au Sacré-Cœur, Jésus est appelé le chef du corps mystique dont nous sommes les membres; aujourd'hui que tout doit être dévoilé, que nous possédons la clef des Ecritures, nous ajoutons que le Cœur de Jésus est notre cœur. La tête est le symbole de l'intelligence et du commande­ment, le cœur est le symbole de l'amour. Jésus est notre chef en ce sens qu'il nous illumine, nous commande et nous dirige, il est notre cœur par l'amour qu'il a pour nous et qu'il nous inspire; il est plus encore notre cœur qu'il n'est notre chef, car l'amour surpasse tout: «Super omnia auteur haec caritas». L'amour est l'acte par excellence, dont la pensée n'est qu'une préparation, dont l'action n'est qu'une conséquence.

A travers les maladies physiques, le Sacré-Cœur saisissait leur cause principale, le péché originel, qu'il venait expier, il appliquait déjà aux malades le fruit de la Rédemption.

Plusieurs de ces maladies étaient la suite ou la punition de péchés ac­tuels. Jésus avait hâte de faire fructifier ses mérites. Son Cœur compa­tissant appliquait déjà aux malades les grâces temporelles que son sang allait acheter en même temps que les grâces spirituelles.

Ceux qui ont la mission de vaquer aux oeuvres de miséricorde doivent s'inspirer de la tendre compassion du Cœur de Jésus.

Il faut qu'à l'imitation du Cœur de Jésus nous prenions notre parte de toutes les souffrances de nos frères; et comme nous sommes Cor unum et anima una in Corde Jesu, comme le Cœur de Jésus est notre propre cœur en même temps qu'il est le propre cœur de tous les autres, nous devons être aussi un peu le cœur de tous nos frères.

Souvenez-vous de la parabole du Samaritain, figure de Jésus, qui ver­se sur les plaies du blessé le vin et l'huile, l'huile de la consolation, qui procède d'un cœur animé de la charité, et le vin de la force qui donne de bons conseils et arrache les âmes au péché, et les porte à souffrir tout au moins avec résignation les peines que leur envoie la divine Providence.

Hélas! les pauvres, les petits, les enfants, les malades, les délaissés, sont éloignés de la voie de Dieu parce que le prêtre et le lévite oublient leurs devoirs vis-à-vis d'eux, parce que leur cœur est sec, leurs paupiè­res sans larmes et que leurs mains oublient qu'elles peuvent et qu'elles doivent guérir. Les âmes nous échappent parce que nous ne sommes pas assez compatissants, généreux, charitables. Notre égoïsme éteint en nous la tendre charité du Cœur de Jésus.

La vue continuelle du Sacré-Cœur nous préservera des abus qu'en­traîne la pratique des oeuvres de charité. Souvent on croit que l'on a tout fait quand on a donné de l'argent et fait beaucoup de fracas de paroles, d'annonces et de réclames. Mais on ne donne pas son cœur parceque notre cœur n'est pas uni au Cœur de Jésus, si tendre, si dévoué, si gé­néreux, si oublieux de soi-même.

Ceux qui se livrent aux oeuvres de charité ne doivent pas omettre la contemplation, s'ils veulent accomplir ces oeuvres en vrais disciples du Cœur de Jésus, dans le doux et continuel souvenir de ce divin Cœur.

Pietas ad omnia utilis est. L'amour du Cœur de Jésus aide à toutes les bonnes oeuvres. Il les purifie, il les féconde, il les élève. C'est la pierre philosophale qui change tout en or.

Jésus compatissant pour toutes les souffrances l'est particulièrement pour ses amis de Béthanie. Quand Lazare devient malade, ses soeurs font avertir Jésus. Elles savent qu'il s'intéresse aux souffrances de ses amis. Elles lui envoient ce message: «Maître, celui que vous aimez est malade». Jésus ne va pas le guérir, parce qu'il prépare un plus beau mi­racle. Mais un peu après, Jésus voit Madeleine et les amis du défunt qui pleurent. Là se place une scène qui révèle la merveilleuse compassion du Cœur de Jésus. Le bon Maître frémit en voyant pleurer Madeleine et les amis de Lazare. Il frémit et toute son âme est troublée. Infremuit spiritu et turbavit seipsum. Il se contient un moment, puis ses larmes lui échappent. Et lacrymatus est Jésus.

O bon Maître, comment douterais-je de votre infinie compassion, quand je vois couler vos larmes? Saint Paul a raison de dire: «Nous n'avons pas un maître dur, qui ne sache pas compatir à nos infirmités» (Aux Heb. IV, 15).

Résolution. - Je puiserai dans le Cœur de Jésus la compassion pour toutes les infirmités de mes frères. je resterai uni à ce divin Cœur pour pratiquer avec lui et en lui les oeuvres de miséricorde.

QUATRIEME MEDITATION

UN APPEL DU SACRE-CŒUR:
VENEZ A MOI VOUS TOUS QUI SOUFFREZ

Le Sacré-Cœur a voulu, une fois, exprimer toute l'intensité et toute l'universalité de sa miséricorde. Il avait devant lui ses disciples, mais sa pa­role portait plus loin. Il exposait sa doctrine, il parlait de son Eglise et il di­sait: «Vous tous qui souffrez, vous tous qui êtes dans la peine, venez et je vous guérirai, venez et je vous soulagerai: Venite et ego reficiam vos». Vous tous, dans tous les temps, venez, j'ai soif de vous soulager. Venez sans crainte, je suis tout puissant, mon Père m'a donné tout pouvoir: omnia mihi tradita sunt a Patre meo. Venez tous, j'ai soif de faire miséricorde.

«Si j'étais resté au ciel, vous ne pourriez pas venir à moi. Vous trouve­riez que je suis trop élevé, trop puissant, que ma gloire vous effraie et que ma grandeur vous intimide. Mais je me suis fait petit comme vous. Le Verbe s'est fait chair. Il est venu en Judée et il demeure au Taberna­cle. Il est tout près de vous, venez, vous n'avez qu'un pas à faire.

«Voyez, dès la Visitation je vais moi-même porter mes grâces à Za­charie, à Elisabeth, à Jean-Baptiste. Je fais de même en vous visitant dans l'Eucharistie. Venez à moi.

«Vous n'oserez pas vous présenter devant mon Père? Venez, je vais au Temple vous présenter avec moi sur les bras de Marie.

«Vous êtes malade, pauvre, attristé et besogneux, venez, venez tous. On m'apportait tous les malades et je les guérissais tous, pour peu qu'ils aient confiance. Venez tous et venez avec confiance».

«Venez tous. S'il n'est pas dans les desseins de mon Père de vous gué­rir de vos maux temporels, je les allègerai. Je vous ferai goûter les dou­ceurs du sacrifice. Je vous rendrai vos souffrances légères et aimables.

Voyez, à la Circoncision, je donne quelques gouttes de sang, mais Marie est là pour panser la plaie et en adoucir les souffrances. A la Puri­fication, je m'offre en victime pour tous. Le prophète annonce que je se­rai en butte aux contradictions, mais Marie veut bien coopérer au salut des âmes: un glaive transpercera son cœur. Mon Père vous demandera un sacrifice, quelques gouttes de sang, le détachement de la terre, l'ex­piation, la pénitence. Je veux qu'on me ressemble. Je suis le premier-né. Venez avec Marie, faites votre offrande généreusement. Marie pansera vos plaies. Les souffrances soulagées par Marie sont douces et donnent de la joie. Elles sont très méritantes, car Marie donne à ses enfants la pa­tience qui a fait les grands saints»

«Avez-vous perdu la paix, la lumière, le vrai chemin? Avez-vous per­du les biens temporels nécessaires pour une vie paisible?

«Voyez Marie et Joseph, quand ils m'ont perdu, ils cherchent sans se lasser, et ils me retrouvent au Temple. Cherchez-moi dans le sanctuaire et dans la prière.

Voyez ces gens qui m'apportaient un paralytique à guérir. Trouvant la porte obstruée, ils entrent par les toits, quelle persévérance! «Voyez les lépreux, ils crient jusqu'à ce que je les guérisse. Et la Cha­nanéenne, elle insiste, malgré mes paroles assez dures.

Voyez Marie à Cana. Elle me demande une faveur temporelle pour les époux. Je lui réponds que mon temps n'est pas venu; que l'heure en doit être fixée par mon Père et non par elle. elle renouvelle sa demande, et je cède et je fais un miracle pour récompenser sa persévérance.

Venez avec persévérance. La persévérance obtient même des mira­cles».

Résolutions. - O mon bon Maître, je suis pauvre, attristé, dénué de tout, surtout de vertus et de grâces. Je viens: Jésus, Fils de Dieu, ayez pitié de moi. Si vous voulez, vous pouvez me guérir. Dites seulement une parole et je serai guéri. J'attends, je frappe à la porte de votre Sacré­-Cœur, je ne vous quitterai pas que vous ne m'ayez exaucé.

CINQUIEME MEDITATION

LE CŒUR DE JESUS EST TOUT AMOUR ET MISERICORDE

«Le Cœur de Jésus n'est pas seulement la sainteté même, dit la Bien­heureuse Marguerite-Marie: Il n'est qu'amour et miséricorde». Saint Jean avait dit: «Dieu est amour, Deus caritas est». Aussi les premières images, faites sous l'inspiration de la Bienheureuse, portaient dans l'ouverture pratiquée par la lance, le mot: caritas.

Toute la dévotion au Sacré-Cœur se résume en cette pensée: Le Jésus est tout amour et il demande notre amour.

«Regardez Notre-Seigneur comme un vrai et parfait ami», dit la Bien­heureuse Marguerite-Marie2). L'amitié du Cœur de Jésus est fidèle, sin­cère, persévérante. Un véritable ami ne se contente pas d'aimer en paro­les, il prouve son affection par des actes. Tel a été et tel est l'amour de Notre-Seigneur pour nous». «Mais, mon Dieu! qu'il est grand cet amour du Sacré-Cœur de Jésus! s'écrie la Bienheureuse. Cet adorable Cœur a tant aimé les hommes, qu'il s'est tout consumé sur l'arbre de la croix pour leur témoigner son amour, et qu'il continue de le faire au Très Saint Sacrement».

Saint Paul avait dit: «Jésus ressuscité continue à vivre pour nous: Sem­per vivens ad interpellandum pro nobis» (ad Heb. 7). Au ciel et au tabernacle, Jésus est toujours notre ami fidèle. Il vit, il prie, il offre ses mérites pour nous; il nous aide, nous console, nous sauve.

Marguerite-Marie répète souvent cette pensée: «Cet aimable Cœur ne cesse de se consumer de l'amour qu'il a pour nous. Il nous aime avec tant d'ardeur, qu'il en brûle continuellement au Très Saint Sacrement»3).

Marguerite-Marie exprime cela mieux que personne ne pourrait le faire. Le Cœur de Jésus lui était ouvert. Elle sentait ses battements. C'était son livre d'amour. «Eh bien! ma chère Mère, écrivait-elle à la Mère de Saumaise, que dirons-nous du Cœur Sacré de notre tout aima­ble Jésus? Son amour est plein de miséricorde. Jamais je n'ai découvert en lui tant de miséricorde. Je m'en vois environnée de toutes parts, et je m'y sens abîmée, sans en pouvoir sortir. Oh! que les miséricordes et les libéralités de mon Souverain sont grandes! Je m'en trouve tellement remplie, que jamais je ne me suis sentie moins capable de les exprimer ni de les distinguer. Souvent elles ne me laissent d'autre expression sinon de dire: «Misericordias Domini in aeternum cantabo. Je chanterai éternelle­ment les miséricordes du Seigneur».

«Ayez une grande confiance en Dieu, disait-elle aux novices, et ne vous défiez jamais de sa miséricorde, qui surpasse infiniment toutes vos misères. Abîmez toutes vos misères dans le divin Cœur de Jésus».

Notre-Seigneur nous aime tous d'un amour d'amitié, mais pas toute­fois d'une façon égale. Il a ses amis privilégiés. Quels sont-ils? Marguerite-Marie nous signale la sollicitude spéciale de ce divin Cœur pour les âmes affligées, pour les âmes ferventes.

«Que devez-vous craindre en entrant dans ce divin Cœur, écrivait la Bienheureuse à la Mère de la Barge? N'est-il pas le trône de la miséricor­de, où les misérables (les affligés) sont les mieux reçus, pourvu que l'amour les présente dans l'abîme de leur misère?».

Le Cœur de Jésus manifesta souvent aussi à sa servante une tendresse particulière pour les âmes tièdes. Il a tellement pitié de ces âmes qui ont été ferventes et qui sont tombées si bas! Que de fois il engagea la Bien­heureuse à se sacrifier pour ces âmes infidèles! «Cette forte persécution de la grâce, écrivait-elle à une âme tiède (lettre 72), marque l'ardent dé­sir que Dieu a de sauver votre âme…».

Cependant, c'est surtout pour les âmes ferventes que le Cœur de Jésus réserve toutes les tendres prédilections de son amour.

«La plus humble, disait la Bienheureuse, sera la plus avant dans le Sacré-Cœur; la plus détachée le possédera davantage; la plus mortifiée en sera la plus caressée; la plus obéissante le fera triompher; la plus cha­ritable en sera la plus aimée; la plus silencieuse en sera la mieux ensei­gnée».

Résolution. - O Jésus, notre divin ami, merci pour votre tendresse. Je veux y répondre par une grande ardeur pour la perfection et par une constante union avec vous.

SIXIEME MEDITATION

DE LA CONDITION QU'EXIGE LE CŒUR DE JESUS POUR EXERCER SA MISERICORDE: LA CONFIANCE

Cette méditation, la dernière de la retraite, est très importante, elle ré­sume toutes le autres. Si l'on embrasse la pratique qu'elle suggère, tout est gagné; si on ne le fait pas, le fruit de la retraite sera nul.

Notre-Seigneur se présentant aux malades ou les attirant à lui par son incomparable bonté, n'exigeait qu'une condition pour les guérir: une confiance en lui absolue. Saint Jean-Baptiste n'opérant pas de miracles se contentait de prêcher la pénitence avec le zèle d'Elie. Mais celui qui était venu pour sauver ce qui avait péri exigeait avant tout la confiance. Au lépreux qui se prosterne plein de confiance devant lui en disant: «Sei­gneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir», il se hâte de répondre: «Je le veux, soyez guéri». A d'autres qui lui demandent son secours pour eux ou pour leurs enfants, il dit: «Croyez-vous? Avez-vous confiance? Tout est possible à celui qui croit». Et le pauvre père de l'enfant démo­niaque s'écrie alors: «Je crois, Seigneur, aidez mon incrédulité».

Si ces juifs charnels avaient assez de confiance pour obtenir leur gué­rison, que dirons-nous des chrétiens de nos jours, des chrétiens pieux qui n'en ont pas du tout ou qui en ont une si faible qu'elle ne persévère pas? Mais nous, apôtres du Sacré-Cœur qui opère tant de merveilles au mi­lieu de nous, si nous venions à manquer de confiance, ce serait un outra­ge considérable envers ce divin Cœur, se serait lui dire: «Non, vous n'êtes pas assez bon, ni assez puissant, et je n'espère pas en vous. Par conséquent je ne vous aime pas». Ce blasphème implicite ne manquerait pas d'éloigner de nous sa divine miséricorde. La confiance et l'amour se tiennent de bien près. Celui qui aime est aimé et il ne doute pas de la bonté de son ami.

Mais aussi quel trésor renferme la confiance, surtout la confiance au Sacré-Cœur. C'est tout ensemble un acte de foi, un acte d'espérance, un acte de charité; et cet acte, un et multiple, cet acte sublime touche le Sacré-Cœur, le blesse doucement et lui fait dire ces paroles si consolan­tes: «Ayez confiance, ma fille, votre foi vous a sauvée».

Oui, c'est la confiance qui nous sauvera, c'est la confiance qui nous amènera à la vie intérieure, à la contemplation; c'est la confiance qui nous rendra parfaits en produisant l'oubli de nous-mêmes; car ceux qui n'ont pas ou n'ont que peu de confiance au Sacré-Cœur excèdent en confiance pour eux-mêmes. Or cette confiance au Sacré-Cœur naît de l'Evangile et se nourrit de l'oraison. Relisons, méditons l'Evangile. Goûtons et voyons combien le Cœur de Jésus est bon, et notre confiance comme notre amour sera sans limites.

Que tout le fruit de cette retraite se résume donc dans ces mots: «In te, Cor Jesu, speravi, non confundar in aeternum: J'ai espéré dans le Cœur de Je­sus, je ne serai pas confondu».

Ce fruit nous sera facile à cueillir, si nous songeons que le Sacré-Cœur est le cœur de notre père, de notre frère, de notre ami, de notre époux, bien plus il est notre cœur, comme disait le vénérable P. Jean Eudes, après saint Bernard.

L'amour qui a fait descendre le Fils de Dieu sur la terre ne l'a plus quitté. Saint Paul a dit: «Il m'a aimé et il s'est livré pour moi». (ad Gal. II). Son amour l'a conduit à Bethléem, à Nazareth, au Calvaire. Il m'a aimé, et il m'a donné son corps et son sang dans l'Eucharistie; il m'a donné ses sacrements et sa grâce. C'est encore l'amour qui a ouvert son Cœur et qui nous le révèle aujourd'hui.

Son amour pour nous bouillonne dans son Cœur. Une de ses révéla­tions à sainte Mechtilde nous aide à le comprendre: «Viens ici te reposer et dormir à mes pieds, dit Jésus à la Sainte». Obéissant aussitôt, elle posa sa tête sur les pieds de Jésus, si bien que son oreille était collée à la plaie du pied; de là, elle entendit cette plaie bouillonner comme une chaudière en feu, «Quel bruit, lui dit le Seigneur, sort de cette chaudière bouillan­te?». Mechtilde pensant en elle-même qu'elle n'en savait rien, le Sei­gneur reprit: «Cette chaudière bouillante fait un bruit qui semble dire: Cours, cours! Et c'est ainsi que l'amour ardent et bouillant de mon Cœur m'a toujours pressé me disant: Cours, cours de travaux en tra­vaux… Jamais il ne m'a laissé de repos, jusqu'à ce que j'eusse accompli tout ce qui était nécessaire à ton salut».

Voilà bien le sang de Jésus, il bouillonne dans son Cœur, comme il bouillonne dans ses pieds pour le faire courir après les âmes. Il bouillon­ne d'amour pour nous. Ayons donc une confiance sans mesure. Jésus désire bien plus nous aider, nous pardonner, nous sanctifier, nous sau­ver, que nous ne le désirons nous-mêmes. Il nous suit des yeux, il prend à cœur tous nos intérêts, tous nos besoins, toutes nos souffrances. Il nous aime tendrement, c'est tout dire.

Résolution. - In te, Cor Jesu, speravi, non confundar in aeternum. Je me re­poserai dans ma confiance au Cœur de Jésus. Confiance et amour, c'est tout un. Celui que j'aime est si bon, comment douterais-je de lui! Com­ment ne l'aimerais-je pas!


1)
Invocations du Vén. P. Eudes.
2)
Ecrits divers, vol. II, p. 461.
3)
Lettre à la Mère de Saumaise.
  • ospcam-0001-0001.txt
  • ostatnio zmienione: 2022/06/23 21:40
  • przez 127.0.0.1