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PREMIERE PARTIE

LE SACRE-CŒUR DE JÉSUS

DANS LE PLAN DIVIN DE LA CREATION, DANS LES SAINTES ECRITURES ET DANS LA LONGUE PERIODE DE DEVOTION LATENTE QUI A PRECEDE L'INTERVENTION DE NOTRESEIGNEUR A PARAY-LE-MONIAL

Chapitre I

Le Cœur de Jésus dans le plan divin,
dans la création et dans la nature

A. - Le Cœur de Jésus dans le plan divin

Que Dieu ait eu en vue le Cœur de Jésus dès le commencement et quand il créait toutes choses, la sainte Ecriture nous l'indique à plusieurs reprises.

Isaïe surtout, qui a toujours des vues si élevées, nous décrit cela dans son beau chapitre 42.

C'est Dieu qui parle et il dicte un cantique à la louange du Rédempteur: «Voilà, dit-il, mon esprit, il jugera les nations. Il ne criera point, mais il sera plein de douceur; il ne fera point acception de personnes dans ses jugements; il ne brisera point le roseau incliné et n'éteindra pas la mèche qui fume encore; il jugera le monde dans la vérité, la justice et la miséricorde. Il ne sera point triste ou fâcheux, ni précipité dans sa conduite, mais il instruira les hommes avec douceur jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la terre». En ces paroles, Dieu décrit toute l'âme et le Cœur du Christ.

Et quand Dieu dit-il cela? - «Dès le commencement, quand il créait toutes choses, quand il étendait les cieux, qu'il affermissait la terre, la fécondait et donnait le souffle et la vie à tous les êtres qui l'habitent: Haec dicit Dominus Deus creans coelos……

Puis, le Seigneur continue son cantique en forme de prosopopée: «Moi, le Seigneur, dit-il, je t'ai appelé et je t'ai suscité, ô Christ! je t'ai pris par la main, je t'ai délivré de tes ennemis, je t'ai établi pour être le réconciliateur du peuple et la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles et pour briser les chaînes des captifs».

Et ces prévisions du commencement, Dieu les répète à Isaïe: «Je vous le dis à nouveau, comme je l'ai déjà promis à vos pères: chantez un cantique nouveau, le règne de Dieu s'étendra à toutes les nations».

L'idéal divin a toujours été le même. Ce que Dieu avait en vue en créant le monde, c'était le Messie et sa préparation; c'était le Christ, chorège de la louange divine et de l'amour de Dieu. Il le redit plusieurs fois quand les temps sont accomplis, quand le Sauveur est venu. Il répète les paroles qu'il adressait à Isaïe: «Celui-là est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances». Il le redit au jour du baptême de Notre-Seigneur et au jour de la transfiguration.

L'Evangile le rappelle aussi à l'occasion des miracles du Sauveur (Mat. 12-18).

S. Matthieu répète les paroles d'Isaïe. - S. Paul y fait allusion dans l'épître aux Colossiens (1-19): «Il a plu à Dieu de mettre dans le Christ la plénitude pour se réconcilier le monde».

Dieu avait donc en vue le Sauveur, en créant le monde. Cette grande vision d'Isaïe a une importance capitale. Dieu la rappelle lui-même dans les grandes circonstances de la vie du Sauveur.

Il se complaisait dans le Sauveur. C'était l'idéal divin, la pensée dominante de la Divinité: In quo mihi bene complacui.

Dieu se complaisait dans tout le Christ, le parfait adorateur et le réparateur de toutes choses.

Mais dans le Christ lui-même, la pensée divine n'avait-elle pas encore un idéal spécial, un point de mire, un objet plus précis de ses complaisances?

Oui, sans aucun doute, et cet objet privilégié, c'était le Cœur de Jésus. Rappelons-nous ce que Dieu disait à Samuel lors-qu'il l'envoyait pour choisir un roi parmi les fils d'Isaïe: «Ne t'arrête pas, lui disait-il, à la stature ou aux charmes du visage, ce que Dieu regarde, c'est le cœur: Dominus enim intuetur cor».

Voilà le secret de Dieu. Dès le commencement il s'est complu dans son Christ, mais surtout dans le Cœur tout aimable du Rédempteur. Il l'avait en vue quand il créait le ciel et la terre, et les plantes et tous les êtres vivants; il disposait toutes les créatures de façon à ce qu'elles pussent servir à la gloire du Cœur de Jésus, l'objet de ses prédilections et le terme préféré de son regard divin.

Au psaume 39, le Christ nous rappelle que c'est dans son cœur qu'était inscrite sa loi d'amour et d'immolation: lex tua in medio cordis met. Et c'est cette vie d'amour et d'immolation du Sauveur qui ravissait son Père.

La Sagesse divine, c'est le Verbe et quand le Verbe préparait toute la création avec le Père, l'humanité et le Cœur du Christ étaient là dans l'idéal divin: Cum eo eram cuncta componens (Prov. 8, 30).

La Sagesse divine était là prévoyant et réglant tout; et le Verbe incarné était là aussi, contemplé, aimé et servant de type à toute la création. Le Cœur de Jésus était là, comme la part la meilleure du Verbe incarné, comme l'objet principal des complaisances divines.

Notre interprétation est autorisée par l'Eglise. Dans les litanies du Sacré-Cœur, c'est le Cœur de Jésus qui est l'objet des complaisances éternelles du Père: Cor Jesu in quo Pater sibi bene complacuit.

Dieu créait le monde pour y être connu et aimé, pour être aimé surtout, et son regard qui cherchait l'amour s'arrêtait sur le Cœur de Jésus, qui devenait l'objet principal de la création, l'objectif divin, avec une telle supériorité, un attrait si dominant que tout le reste ne pouvait avoir de charme que par quelque ressemblance avec le Cœur de Jésus.

La pensée divine s'arrêtait principalement sur la créature idéale, la fleur de la création, le roi des créatures, Jésus, Fils de Dieu, Jésus Roi des rois, Prince des Anges et des hommes. Et dans Jésus, Dieu considérait ce que nous appelons d'un mot, «le Cœur de Jésus», c'est-à-dire, l'intérieur de Jésus, l'âme de Jésus, son intelligence et son amour avec le cœur de chair dont les battements correspondaient aux sentiments de Jésus: «Voilà mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances».

B. - Le Cœur de Jésus
dans la creation et dans la nature

Au tout commencement, quand il créa la matière, Dieu posa comme principe fondamental du mouvement et de la vie du monde, des attractions et gravitations où l'on peut voir le prélude et le symbole de toutes les attractions morales et de toutes les gravitations qui portent les anges et les justes vers Dieu, vers Jésus et son divin Cœur.

«Toute la matière des mondes, dit Gratry, est un ensemble, un tout, ayant un centre de gravité commun. Ce centre de gravité de l'univers visible, point d'appui mécanique des mondes, immobile d'une immobilité mathématique et absolue, au sein de tous les mouvements et de toutes les perturbations et révolutions que la matière a éprouvés et éprouvera jamais, point central qu'un illustre astronome appelle le trône de Dieu, autour duquel marchent toutes les étoiles, est un splendide symbole. Il représente le centre de gravité de l'univers moral, céleste point d'appui des âmes, immobile, immaculé, au milieu des agitations et des perturbations du mal et de l'erreur. Ce point, c'est le Verbe incarné, c'est Jésus et son divin Cœur» (Gratry: Le mois de l'Immaculée Conception).

Centre de gravité de l'Univers, pôle magnétique, ce sont là les symboles les plus saisissants du Cœur de Jésus dans le monde matériel.

* * *

En contemplant l'œuvre de la Rédemption et le règne éternel de l'Agneau divin, Dieu voyait en Jésus le soleil du monde des âmes, un soleil dont l'action serait pleine à la fin des temps, dans la cité des justes: «La sainte cité, dit l'Apocalypse, n'aura plus besoin du soleil matériel ni de la lune, parce que la clarté de Dieu l'illuminera et son soleil sera l'Agneau de Dieu» (Apoc., 21-23).

Cet idéal divin dominait évidemment la pensée du Créateur et il y rapportait toutes choses. Il se faisait un jeu d'esquisser partout dans les espaces des soleils matériels pour en réjouir sa vue en y voyant de tous côtés le symbole du Soleil divin.

Quelles sont les œuvres du soleil? Il éclaire, il échauffe, il vivifie. Il est lumière, chaleur et force. Telles seront, dans l'ordre spirituel, les œuvres du Christ Jésus, les œuvres du Sacré-Cœur. C'est du Sauveur, de ses mérites et de son Cœur que nous viennent toute lumière, tout amour, toute vie surnaturelle.

Le soleil est la vie du monde, au point que les païens en ont fait un dieu. Là où va le soleil apparaissent la végétation et la vie. Nous devons au soleil tout le charme de la nature, la beauté des fleurs et la saveur des fruits. C'est que Dieu s'est plu à esquisser dans la nature l'œuvre du Sacré-Cœur, la beauté de ses vertus symbolisées par les fleurs, l'excellence de ses mérites représentés par les fruits, la fécondité de son action figurée par toutes les forces que le soleil met en œuvre.

Quand Dieu eut créé le soleil et les plantes, il les destina à être aussi des symboles du Cœur de Jésus.

Le soleil par sa lumière vivifiante nous prêche l'action du Sauveur, sa puissance et l'amour de son Cœur, et nous restons indifférents! Pardonnez-nous, Seigneur, notre folie et notre ingratitude.

Notre-Seigneur a fait connaître lui-même à sainte Marguerite-Marie les rapports symboliques du soleil avec son divin Cœur. «Les premiers vendredis du mois, écrit-elle (dans sa Vie, p. 327), ce Sacré-Cœur m'était représenté comme un soleil brillant d'une éclatante lumière, dont les rayons tout ardents donnaient à plomb sur mon cœur. Il les jetait de toutes parts et sur chaque cœur, mais d'une façon bien différente, selon les dispositions de ceux sur lesquels ces rayons tombaient; car les âmes des réprouvés s'endurcissaient encore davantage, comme la boue s'endurcit aux rayons du soleil; et au contraire, le cœur des justes en devenait plus pur et se ramolissait comme la cire». - Voilà bien comme agit le soleil.

«Une autre fois, dit-elle encore, le jour de la Visitation, en 1688, je vis un trône de feu sur lequel était l'aimable Cœur de mon adorable Jésus rayonnant de tous côtés, plus brillant que le soleil. Il était au milieu des flammes de son pur amour, sa plaie jetait des rayons ardents et lumineux» (Sa Vie, p. 360).

La chère Sainte attribuait au Cœur de Jésus, dans le sens spirituel, toutes les fonctions que le soleil remplit dans la nature. «Priez le Cœur adorable de Jésus, disait-elle, qu'après avoir été un soleil divin toujours éclairant et échauffant, faisant croître les vertus et dissipant les ténèbres et les brouillards de vos âmes, il vous soit une source d'eau vive» (63e Avis).

O bienfaisant soleil, éclairez mon âme, chassez-en les ténèbres du péché et les brouillards de la tiédeur, réchauffez mon pauvre cœur qui est si froid, faites croître en moi les vertus qui sont symbolisées par les fleurs et les fruits de la terre.

Cœur de Jésus, fournaise ardente de charité, ayez pitié de nous.

La pluie qui fait contraste avec le soleil n'en est pas moins un mémorial du Cœur de Jésus. Que de fois dans la mystique la pluie symbolise les grâces qui descendent du Cœur de Jésus.

* * *

Le Cœur de Jésus, source de grâces, source de mérites et de vie, est aussi présent à la pensée divine dans le plan de la création.

Il y a une source de vie au centre du Paradis terrestre, un fleuve mystérieux qui se divise en quatre. Ce fleuve, c'est le sang de Jésus qui coule des quatre sources: de son côté, de ses mains et de ses pieds, car les deux pieds cloués ensemble ne donnent qu'un fleuve de sang. Ce symbolisme nous est expliqué par l'Apocalypse: Saint Jean voyait descendre du trone de l'Agneau ces quatre fleuves sacrés. Il nous fait ainsi connaître la pensée du Créateur.

Et Dieu, charmé par la pensée du Sacré-Cœur qui absorba toutes ses complaisances, en met partout le symbole, non seulement dans le fleuve central du Paradis, mais dans toutes les sources qu'il sème sur la terre et qui auront pour mission de rafraîchir, de purifier, de vivifier, de féconder.

Rien ne représente mieux l'œuvre de vie et de salut du Sacré-Cœur que ces sources et ces fleuves qui sont comme le sang et les veines de la terre.

La grâce du Sacré-Cœur circule comme les fleuves et porte partout la fécondité et la vie. Bien des fois la sainte Ecriture explique ce symbolisme. «Le Sauveur viendra, dit Isaïe et il ouvrira les sources de la vie» (Is., 49, 10).

La grâce qui console et fortifie sur la terre deviendra au ciel le don qui réjouit et glorifie et ce don découlera toujours du Cœur de Jésus: «Du trône de l'Agneau, dit saint Jean, découleront les sources de la vie dans la Jérusalem céleste» (Apoc., 7, 17).

Marguerite-Marie voyait sans cesse la source divine et y puisait avec avidité. Un des décrets qui précédèrent sa béatification signale ce cachet de sa vie: «Le Rédempteur du monde qui, élevé sur la Croix, avait résolu de tout amener à lui, attira merveilleusement sa sainte servante Marguerite-Marie. Il la fit approcher de son Cœur, afin qu'elle goûtât, à la source même, la douceur de l'infinie charité, et la répandît parmi les hommes. Aussi les eaux de suavité que la chère Sainte puisa au côté ouvert du Christ, se répandirent par elle comme un fleuve dans toute la terre.

L'unique et ardent désir du Sauveur était de purifier les cœurs des hommes dans cet océan d'eaux vives, afin que dans ces cœurs apparût une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle» (Décret de tuto).

La Sainte décrit elle-même abondamment et à plusieurs reprises ce gracieux symbolisme. «Priez le Cœur adorable de Jésus, dit-elle en son 63e Avis, qu'après avoir été un soleil divin toujours éclairant et échauffant, il vous soit aussi une source d'eau vive. Considérez ce Sacré-Cœur, au milieu de votre cœur, comme la source des eaux vives, pour arroser le parterre de votre âme, où les fleurs de vos vertus sont toutes fanées. Il leur redonnera leur beauté naturelle, afin que votre âme devienne le parterre de ses délices. - Ainsi qu'il le promit à notre bon Père de la Colombière, le Sacré-Cœur de notre bon Maître se rendra une source abondante de miséricorde, de grâce, de pur amour et de toutes sortes de délices. C'est une source qui prend plaisir à s'écouler avec affluence en faveur de ses amis, et qui ne cherche qu'à se répandre et à se communiquer surtout à des âmes fidèles» (Lettres, 48 et 100).

- «Rendons-nous donc fidèles à ce Sacré-Cœur, lequel nous sera une source de tous biens, tant que nous lui serons fidèles. Si au contraire nous lui sommes ingrats, il nous abandonnera ou deviendra insensible à nos besoins» (Avis, 63).

- «Une fois la Sainte Vierge me le fit voir comme une source où il y avait cinq canaux, qui coulaient avec complaisance dans cinq cœurs de la communauté: Venez, me dit cette Reine de bonté, venez puiser les eaux du salut dans ce divin Cœur, source féconde de bénédictions et de grâces» (Lettres, 74 et 105).

- «Vous pouvez considérer aussi le Sacré-Cœur de Jésus, ajoute la Sainte, comme un divin canal, par lequel le Père éternel fait découler continuellement ses miséricordes au milieu de nos cœurs et sur les cœurs endurcis des pécheurs, pour nous attirer à sa connaissance et à son amour». (Lettre 97 et Avis, 63).

Elle écrivait au P. Croiset: «Le Sacré-Cœur est une source intarissable, où il y a trois principaux canaux qui coulent sans cesse: premièrement un canal de miséricorde pour les pécheurs, sur lesquels découle l'esprit de contrition et de pénitence; le second est un canal de charité, qui s'étend pour le secours de tous les misérables qui sont en quelque nécessité, et particulièrement pour ceux qui tendent à la perfection: du troisième découlent l'amour et la lumière pour les parfaits amis qu'il veut unir à lui, pour leur communiquer sa science et ses maximes, afin qu'ils se consacrent entièrement à lui procurer de la gloire, chacun en sa manière».

En rappelant ces symboles, le P. Yenveux conclut pieusement: «Accourons tous à cette source divine; si elle est ouverte surtout aux âmes fidèles, les pauvres pécheurs n'en sont pas exclus. Qu'ils ne disent pas comme la Samaritaine: La source est trop profonde pour que nous puissions l'atteindre: puteus altus est; car si le Cœur de Jésus est la source des eaux vives, il se charge de conduire ces eaux jusqu'à nous».

Cœur de Jésus, source de vie et de sainteté, ayez pitié de nous.

* * *

La création a ses abîmes, ses immensités: abîmes de l'océan, immensités de l'espace, de la mer ou du désert. L'Esprit-Saint, dans les lumières qu'il donne à Marguerite-Marie, lui montre dans les abîmes de la nature un symbole des abîmes du Cœur de Jésus.

Et d'abord le Sacré-Cœur est l'océan infini de la miséricorde, c'est l'expression même de Notre-Seigneur parlant à Marguerite-Marie. Elle ajoutait: «Parfois je me trouvais dans ce divin Cœur de notre tout aimable Jésus comme un petit poisson dans le vaste océan de la mer. Il me semblait encore être comme une petite goutte d'eau dans cet océan du Sacré-Cœur. Je m'y sentais comme toute perdue» (Lettres au P. Croiset et à la Mère de Saumaise).

Les pages de la Sainte sur les abîmes du Cœur de Jésus sont connues, elles sont délicieuses. Ce n'est pas le lieu de les reproduire ici. Citons seulement le résumé que la Sainte elle-même en donnait au P. Croiset: «Oui, ce divin Cœur est un abîme de toutes sortes de biens, où les pauvres doivent abîmer leurs nécessités; un abîme de joie, où il faut abîmer toutes nos tristesses; un abîme d'humiliation pour notre orgueil; un abîme de miséricorde pour les misérables, et un abîme d'amour, où il nous faut abîmer toutes nos misères…».

L'Ancien Testament nous parlait des abîmes de la justice et de la sagesse de Dieu, le Nouveau nous présente les abîmes de la miséricorde et de l'amour du Sacré-Cœur.

Saint Paul souhaite aux Ephésiens la grâce de comprendre les abîmes de la charité et de sonder la sublimité et la profondeur, la longueur et la largeur de la charité du Christ (Eph., 3-18).

Cœur de Jésus, abîme de toutes les vertus, ayez pitié de nous.

* * *

Ajoutons encore à ces symboles les trésors de la terre, l'or, l'argent et les gemmes de toutes couleurs. Dieu y voyait les trésors du Cœur de Jésus, trésors de science et de vertu, dont le symbolisme sera mis en relief dans les ornements du Temple et des vêtements sacerdotaux choisis par l'inspiration divine.

Cœur de Jésus, en qui sont tous les trésors de sagesse et de science, ayez pitié de nous.

* * *

Jusqu'ici le règne minéral nous apparaît comme une esquisse du Sacré-Cœur sous la main créatrice de Dieu. La lumière, la chaleur, les sources, les abîmes sont de splendides symboles du Sacré-Cœur.

Mais le Sacré-Cœur c'est la vie et nous en trouvons les plus merveilleuses prémices dans la vie végétale, dans la vie animale et humaine. La vie végétative, c'est une vie inférieure, mais, c'est déjà la vie. En la créant, Dieu devait y voir l'image de la vie surnaturelle dont le SacreCœur est la source.

La sève circule dans la plante, comme le sang dans le corps humain, comme la grâce dans le corps mystique du Christ. La plante se nourrit, se développe, se reproduit. Ainsi la grâce„ par les sacrements qui sont ses organes, produit la vie surnaturelle, la nourrit et la développe.

La sève puissée dans le sol va se purifier et se vivifier dans les feuilles au contact du soleil et de l'air; ainsi la vie humaine puisée dans la nature, se purifie et s'élève par la grâce qui est comme le contact avec le ciel.

La vie végétative donne des fleurs et des fruits. La vie surnaturelle donnera les fleurs de nos vertus et les fruits de nos mérites, qui ne sont que le reflet des vertus et des mérites du Sacré-Cœur. Aussi Dieu se complaisait en son œuvre, quand il eut fait éclore les plantes avec leurs fleurs et leurs fruits, et nous pouvons penser qu'il se complaisait surtout dans les fleurs et les fruits du Cœur de Jésus, dont il avait créé seulement une gracieuse esquisse.

* * *

Nous ne connaîtrons que dans le ciel combien la pensée du Cœur de Jésus a dominé toute la création.

Quand Dieu sème le monde d'arbres magnifiques, ne voit-il pas partout le bois de la croix, sur lequel Jésus sera suspendu pour présenter son Cœur à la lance du centurion?

Quand il prépare le fer pour l'industrie humaine, ne voit-il pas la lance sacrilège du centurion?

Les oliviers et leurs fruits lui rappellent Gethsémani, le jardin des oliviers ou du pressoir, le lieu sinistre où Jésus, pressé par la douleur, versera ses larmes et le sang de son Cœur, comme les olives écrasées donnent leur huile.

Quand Dieu fait croître le froment et la vigne, n'a-t-il pas en vue l'Eucharistie, le don du Cœur de Jésus? Le blé est le symbole de la chair humaine qu'il alimentera. Ses grains seront moulus comme la chair du Christ. Le vin sera la figure du sang et il deviendra sur les autels le sang même du Rédempteur.

En vérité, toute fleur symbolise Jésus qui est la fleur de Jessé, la fleur de l'humanité, la fleur du ciel. Le pistil de la fleur est le Cœur de Jésus. Tout fruit est Jésus, tout fruit rappelle le vrai fruit de vie, le fruit qui nourrit l'âme dans l'Eucharistie, le fruit mystique du Paradis.

Le vent, le souffle de l'air, rappellent l'Esprit de Dieu que le SacréCœur nous envoie.

* * *

Cependant Dieu se plaît à perfectionner ses esquisses.

Il a créé la vie végétale avec la charme de ses fleurs et de ses fruits, il va créer la vie animale, avec le don du mouvement et des différentes relations servies par les sens, avec divers centres de vie et d'action, qui sont le cœur, le cerveau et les centres nerveux.

Le cœur est le grand moteur qui fait circuler le sang, source de la chaleur et de la vie.

Le cerveau et les centres nerveux président au mouvement et à la sensibilité, symboles de l'action spirituelle et morale.

Dieu avait en vue le Rédempteur et l'auteur de la grâce et spécialement le Sacré-Cœur, symbole et organe conjoint de toute la vie intérieure du Christ.

Dans le règne animal, combien de figures spéciales du Christ, de son sang et de son Cœur.

Les agneaux de la prairie figurent Jésus, sa douceur, son innocence, son sacrifice.

C'est Dieu qui inspire à Abel de lui offrir des agneaux et qui ordonne à Moïse d'établir au Temple le sacrifice quotidien des agneaux et le sacrifice plus solennel de l'agneau pascal en mémoire du salut accordé aux juifs à la suite du sacrifice des agneaux en Egypte.

Mais c'est la création de l'homme et du cœur humain qui prépare le plus directement la venue du Sauveur.

La chair et le sang d'Adam sont déjà la chair et le sang de Jésus. Les battements du cœur d'Adam se propageront jusqu'à ceux du Cœur de Jésus, comme les vagues de l'océan se poussent d'un rivage à l'autre.

Le cœur humain, merveilleux instrument de la circulation, figure la force et l'activité de la grâce de Jésus qui rayonnera de son Cœur pour atteindre toutes les âmes de bonne volonté, après et avant la Rédemption.

Comme la Sagesse divine dont il est le symbole, le Sacré-Cœur de Jé-sus peut dire: «J'étais avec Dieu dès le commencement, préparant tout et composant tout dans l'unité de l'amour divin, en me jouant dans la création et en mettant ma joie à vivre avec les hommes: Cum eo eram cuncta componens… ludens in orbe terrarum… » (Prou., 8-30).

Chapitre II

Le Cœur de Jésus dans l'Ancien Testament

A. - Dans la période patriarcale

En étudiant le Sacré-Cœur dans l'Ancien Testament, il faudrait reprendre au commencement de la Genèse toutes les figures du Sacré-Cœur que nous présente la nature: le soleil, les abîmes, les sources, etc., mais ce serait une répétition.

Voici maintenant le paradis lui-même, paradisus voluptatis, le jardin de toutes les délices, où s'épanouissaient les fleurs les plus gracieuses, où mûrissaient les fruits les plus délectables. C'était pour Dieu l'image du Cœur de Jésus.

L'Église appelle le Sacré-Cœur les délices de tous les Saints. Au ciel, le paradis des âmes, c'est le Sacré-Cœur.

C'est l'Agneau divin, c'est son Cœur qui est le temple du ciel, templum ejus est agnus. Les Saints vivent dans la lumière de l'Agneau, qui est le soleil de la Jérusalem céleste. Les gemmes du temple éternel sont les vertus du Cœur de Jésus. C'est l'éclat de ces vertus qui fera la joie éternelle des Saints. Ils ne se lasseront pas de contempler et d'admirer les vertus, les bontés, les mérites infinis du Cœur de Jésus et tous les trésors des perfections divines renfermées dans ce divin Cœur.

Le paradis, c'est le Sacré-Cœur.

Les Saints qui ont eu les vues les plus élevées sur le Sacré-Cœur, comme sainte Gertrude, sainte Marguerite-Marie et saint Bernard, se sont plu à le comparer au paradis.

Sainte Gertrude, à la fin de sa vie «entrevit le Cœur de Jésus, source inépuisable de tous les biens, devenu pour elle comme un jardin d'une beauté merveilleuse. Les désirs de l'humanité sainte y paraissaient comme une verdure qui ne devait jamais se flétrir, et toutes les pensées divines y étaient peintes sous la forme de violettes et de roses et de toutes sortes de fleurs qui peuvent rendre un jardin délicieux. Les vertus héroïques du Sauveur y étaient représentées par une vigne d'une grandeur admirable et qui paraissait mille fois plus féconde que n'était autrefois la vigne d'Engaddi, dont les raisins, d'une douceur merveilleuse, sont si fameux dans l'Ecriture. Cette vigne étendait ses branches autour de Gertrude comme pour lui former un berceau agréable. Il lui semblait même que Jésus prenait les fruits de cette vigne et en tirait une liqueur divine qu'il lui donnait à boire pour relever ses forces».

On reconnaît dans cette vision le beau symbolisme du paradis terrestre et du fruit de l'arbre de vie.

Sainte Marguerite-Marie avait vu aussi le Cœur de Jésus sous la poétique image d'un jardin. «Une fois, dit-elle, Notre-Seigneur, m'honorant de sa visite, me dit: entre, ma fille, dans ce parterre délicieux pour ranimer ton âme languissante. Je vis que c'était son Sacré-Cœur, dont la diversité des fleurs était aussi aimable que leur beauté était admirable… Mais la Sainte ne demanda que la myrrhe, se réservant les autres fleurs pour le paradis du ciel.

Saint Bernard a des pages merveilleuses sur ce paradis de l'amour dans son livre de la Vigne mystique.

«Voyez, dit-il, comme les fleurs de ce jardin charment à la fois la vue et l'odorat! Les abeilles les butinent pour en faire un miel très doux. Ces abeilles sont les âmes qui ont la science et le pouvoir de s'élever par les ailes de la contemplation, qui peuvent abandonner leurs ruches, c'est-àdire le soin de leurs corps, pour voler vers le jardin des délices où elles trouvent toutes les fleurs. Ce jardin est un paradis, car il est écrit dans le cantique de l'amour: Vous avez donné naissance, ô Vierge très féconde, à un jardin.

«Ce Paradis, qui nous a été donné par Marie, est rempli de toutes les fleurs et de tous les fruits…

Courage donc, élève-toi, âme misérable et infirme, élève-toi sur les ailes de la foi et de la charité jusqu'à ce Paradis de l'amour, pour y cueillir le miel de la dévotion. Monte à ce Cœur si haut, car Celui que tu cherches a été à la fois élevé et humilié… Approche-toi avec confiance de ce Paradis; reconnais ton Sauveur à ses bras étendus, embrasse son amour, qui t'appelle à ses étreintes».

Saint Bernard conduit l'âme d'abord aux plaies des mains et des pieds du Sauveur, qui sont comme des roses empourprées du sang de Jésus, puis il ajoute: «Enfin, il faut nous approcher du Cœur très humble de notre grand Jésus par la porte de son côté blessé par la lance. Là est caché le trésor ineffable de sa toute désirable charité».

Le paradis, c'est le Sacré-Cœur. Le fleuve sacré du paradis, c'est la vision béatifique, par laquelle Dieu versera abondamment tous ses biens dans le cœur des bienheureux.

Le spalmiste voyait cela quand il disait: «Ils seront enivrés par les délices de votre maison et vous les abreuverez par un torrent de voluptés» (Ps. 35).

«Le fleuve de vie, dit saint Jean, est splendide comme le cristal, il descend du trône de Dieu et de l'Agneau». Il découle du Sacré-Cœur et des plaies salutaires de ses mains et de ses pieds.

Au milieu du paradis terrestre, dit la Genèse, il y a l'arbre de vie.

Au centre du paradis céleste et comme en son forum, dit l'Apocalypse, il y a aussi un arbre de vie. C'est l'Agneau, c'est le Sacré-Cœur, qui est l'arbre de vie du ciel. Il croît sur les deux rives du fleuve, il donne des fruits variés suivant les douze mois de l'année, c'est-à-dire que pour les bienheureux, il y aura une perpétuelle rénovation de leur immortelle félicité.

* * *

Le fruit de vie est un symbole souvent reproduit par l'art chrétien: L'Enfant Jésus porte un fruit dans sa main, c'est le nouveau fruit de vie, c'est l'Eucharistie, c'est aussi le Sacré-Cœur, aliment de toute vie spirituelle, fons vitae et sanctitatis, fruit délicieux, deliciae sanctorum omnium.

Et l'arbre de vie n'a pas seulement des fruits savoureux, mais aussi un feuillage frais et vert, folia ligni ad sanitatem gentium; ces feuilles sont les qualités accidentelles de la vision béatifique. Non seulement les bienheureux contemplent les perfections divines en Dieu, mais il jouissent, à l'exemple du Sauveur ressuscité, de diverses qualités de l'âme et du corps: la joie, la santé, la beauté, la force, l'agilité, la clarté, la subtilité, l'impassibilité. Ce sont là comme des feuilles verdoyantes, au milieu desquelles brille le fruit de vie, blanc et vermeil, le Sacré-Cœur, rempli de ses divines perfections.

Heureux, ajoute l'ange de l'Apocalypse, ceux qui lavent leurs vêtements dans le sang de l'Agneau, c'est-à-dire ceux qui par leurs vertus et leurs pénitences se purifient dans les mérites et les expiations du Sacré-Cœur.

Ils auront droit au fruit de vie, à la béatitude puisée au Sacré-Cœur, parce qu'ils seront entrés dans la Cité par les vraies portes, qui sont la foi au Christ et l'imitation des vertus de son Cœur (Apoc., 22, 14).

A mesure que la création se complète, l'idée du Sacré-Cœur perce de plus en plus dans l'œuvre divine. Voici que Dieu crée l'homme, le premier Adam. Si Dieu avait des émotions comme nous, quel trouble et quelle joie n'aurait-il pas ressentis en créant Adam?

Adam était le type du Christ, son père selon la chair, son sang même. Le cœur d'Adam et son âme correspondaient au Cœur naturel de Jésus, à ce Cœur qui devait être élevé, sanctifié, divinisé et fécondé de manière à devenir la source de toute grâce, de tout mérite et de toute gloire.

Ce cœur d'Adam qui allait tant souffrir dans une longue vie de pénitence et qui devait se briser dans la mort, figurait et préparait toutes les douleurs, tous les amours, toutes les vertus, tous les mérites du Christ. Du moins, c'en était l'ombre et la faible ressemblance. Quand Dieu disait: «Faisons l'homme à notre image», il avait surtout en vue l'intelligence et la volonté humaine, qui sont une belle esquisse des propriétés divines, mais pouvait-il ne pas penser aussi à la ressemblance du premier et du second Adam?

En créant Adam tout resplendissant de beauté, comme le Roi de la création, plein de vie, d'intelligence et d'amour, Dieu devait se complaire déjà dans la vue du nouvel Adam. En donnant à Adam la sensibilité, Dieu prévoyait la faculté de souffrir qui se développerait après la chute et contemplait au loin la Passion du Sauveur.

Le côté d'Adam, son cœur, symbole du Sacré-Cœur, Dieu le contemplait avec tendresse, et comme l'amour divin est essentiellement fécond et bienfaisant, Dieu tira de ce côté d'Adam, la première femme, Eve, qui devenait l'image de Marie et de l'Eglise. Les Pères de l'Eglise ont reconnu et signalé ce symbolisme.

L'Eglise est sortie du Cœur de Jésus, comme Eve est sortie du côté d'Adam. L'Eglise était symbolisée par l'eau et le sang qui représentaient les sacrements, ceux qui purifient l'âme et ceux qui la vivifient; l'eau représentant particulièrement le baptême, et le sang figurant l'Eucharistie. Nous lisons cela dans les homélies de saint Augustin, de saint Jean-Chrysostome et de saint Bonaventure, citées dans l'office du Sacré-Cœur.

Quelles devaient être les pensées de Dieu, quand il contemplait les chastes amours d'Adam et d'Eve avant leur chute? Il voyait dans le lointain l'union mystique du Christ et de l'Eglise, l'union du Cœur de Jésus avec toutes les âmes saintes.

Le Saint-Esprit préparait l'épithalame qu'il dicterait un jour à Salomon et dont il inspirerait le commentaire à saint Bernard.

Le Verbe entrevoyait toutes les vierges qui deviendraient ses épouses dans le Nouveau Testament. Il jouissait d'avance de l'union que son Cœur humano-divin aurait avec ses épouses mystiques.

Le paradis terrestre était dans son ensemble la splendide figure du Paradis céleste qui sera le royaume du Sacré-Cœur.

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Les premiers hommages, les premiers sacrifices du cœur d'Adam à Dieu étaient la préparation des sacrifices du Cœur de Jésus et ils en tiraient leur valeur. Cette pensée est bien développée dans le livre de M. Buathier sur le Sacrifice.

«De grands docteurs, saint Jérôme, saint Augustin, saint Bernard nous disent que l'Incarnation fut révélée au premier homme dans l'état d'innocence, de sorte que, semblable aux anges, il possédait la foi avant sa chute et ne la perdit point quand il eut failli. Assurément, cette révélation ne lui fit pas voir un Rédempteur dans la personne du Verbe incarné, puisque le péché n'avait pas encore donné une raison d'être à la rédemption, mais elle lui fit voir le divin Adorateur, offrant à Dieu un hommage infini, comme le chef, comme le chorège de l'humanité et de la création».

Adam, poussé par l'inspiration divine, offrait sans doute à Dieu les prémices des plus beaux fruits, quand Dieu daignait venir s'entretenir avec lui au milieu des splendeurs du paradis, et Dieu lui laissait la faveur de manger de cette offrande comme pour communier à l'hostie qu'il offrait.

Comme le cœur d'Adam était ému quand il offrait ces sacrifices! il était tout rempli de tendresse et de piété. Nous pouvons penser qu'il s'unissait au Cœur de celui qui viendrait plus tard pour être le chef, le roi et le prêtre de l'humanité, et Dieu voyait déjà dans le cœur d'Adam la piété et l'amour du Cœur de Jésus.

N'est-ce pas ce prélude et cette union, qui attiraient déjà le Seigneur à ses doux colloques avec nos premiers parents?

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Après le paradis terrestre, voici Abel, une figure de Notre-Seigneur. Abel est mis à mort par son frère. Il verse tout son sang. C'est la première de ces innombrables victimes qui figurent le Rédempteur et qui permirent à saint Jean d'appeler Notre-Seigneur «l'Agneau immolé dès le commencement». Le Sauveur, Jésus, était immolé en Abel comme il devait l'être en chacune des victimes du Temple. Le sang du cœur d'Abel préludait au sang du Cœur de Jésus.

Abel était mort, un autre symbole de la douceur et de la piété devait le remplacer dans la série des patriarches. Ce fut Seth, dont la naissance réjouit Adam, qui s'écria: «Dieu m'a donné un autre descendant à la place d'Abel».

Enos inaugure la prière commune et les sacrifices publics. C'est le patriarche au cœur sacerdotal.

Noé aussi est un autre Adam, chef et père du peuple. Il presse le raisin, et le vin qui en découle deviendra un élément de l'Eucharistie. Il érige un autel et offre le sacrifice de l'action de grâces.

Une autre belle figure du Sacré-Cœur est l'arche elle-même. Huit personnes entrèrent par la porte de l'arche et y trouvèrent le salut. Saint Augustin signale ce symbolisme à propos de l'ouverture du côté de Jésus au Calvaire. «L'ouverture du Cœur de Jésus, nous dit-il, est la porte de la vie, et il ajoute: Ce mystère a été figuré d'avance lorsque Noé reçut l'ordre de faire une porte dans le côté de l'arche afin d'y faire entrer tous les êtres vivants qui ne devaient pas périr dans le déluge et par lesquels l'Eglise était symbolisée».

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Quelle page délicieuse nous donne saint Bernard sur la ressemblance mystique de l'âme pieuse, avec la colombe de Noé, qui revint à l'arche plutôt que de se reposer sur quelque objet flottant parmi les eaux boueuses du déluge! «Vous avez dans cette arche, dit-il, une fenêtre, par laquelle votre bien-aimé passe sa main, et il excite de sa voix sa colombe: Lève-toi, lui dit-il, mon amie, ma toute belle, ma colombe, et viens. Et lorsque votre colombe revient à vous dans l'arche, ô Jésus, vous la prenez de votre main et vous la replacez dans sa secrète demeure…

Le corbeau, une fois en liberté, ne sait pas revenir, parce qu'il poursuit le monde avec une intention qui n'est pas droite, il est arrêté et submergé dans le déluge de la vanité… mais la colombe, ne trouvant rien de pur où poser le pied, revient à l'arche…» (Saint Bern., Méd. sur la Passion, VIII).

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Il faut signaler aussi l'autel et le sacrifice de Noé. Il ne s'agit pas là d'un sacrifice ordinaire, de la simple immolation d'un agneau ou d'un bélier. Lisons-en le récit: «Noé dressa un autel au Seigneur, et prenant de tous les animaux et de tous les oiseaux purs, il les lui offrit en holocauste sur cet autel. Le Seigneur reçut ce sacrifice en odeur de suavité, et il dit: (Je ne répandrai plus ma malédiction sur la terre à cause des péchés des hommes, parce que les pensées de l'homme sont portées au mal dès sa jeunesse. Je ne frapperai donc plus de mort, comme j'ai fait, tout ce qui est vivant et anime …» (Gen., VIII).

C'est un sacrifice considérable, où sont immolés toutes sortes d'animaux choisis. C'est le symbole tout spécial du Christ offrant à son Père en hostie de louange éternelle toutes les âmes qu'il aura sauvées. C'est ainsi que l'ont compris les Pères de l'Eglise. - Sacrifice magnifique par son symbolisme, disent saint Jean Chrysostome et Bossuet (Elév. sur les mystères), parce qu'il représente le sacrifice rédempteur du Calvaire, mais aussi sacrifice éminent par la générosité de Noé, par sa magnificence, par sa confiance et son abandon à la Providence.

Mais cet autel exceptionnel n'est-il pas la figure du Sacré-Cœur? C'est en son Cœur divin que le Sauveur au Calvaire offre avec sa vie le sacrifice de toutes les âmes saintes unies à lui. C'est sur l'autel d'or de son Cœur qu'au ciel le Prêtre éternel offre son sacrifice de louanges avec celui de tous les Saints.

Sainte Gertrude vit au ciel cet Autel d'or du Cœur de Jésus, brillant comme un feu ardent. Les anges préposés à la garde des âmes offraient sur cet autel des oiseaux vivants qui signifiaient toutes le bonnes œuvres et toutes les prières accomplies par ceux dont ils étaient chargés. Tous les Saints approchaient ensuite offrant leurs mérites sur ce même autel pour la louange de Dieu et pour le salut des âmes. Enfin, le Seigneur lui même présentait son Cœur à son Père et l'offrait pour son Eglise… (vél. de Ste Gertrude, liv. 4, c. 60).

La vén. Marie de l'Incarnation vit aussi le rôle mystique de l'autel du Cœur de Jésus. «C'est sur cet autel, lui dit Dieu le Père, qu'il faut offrir tes prières, tes demandes, tes sacrifices. - Par cette pratique ajoutaitelle, j'ai reçu des grâces à profusion» (Mois du Sacré-Cœur, A. M. D. G.).

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Un mot de l'arc en ciel.

Sans être une figure proprement dite du Sacré-Cœur, il était un signe d'alliance préparatoire.

«Mon arc sera dans les nuées, dit le Seigneur, et en le voyant, je me souviendrai de l'alliance éternelle qui a été faite entre Dieu et les hommes» (Gen., 9, 8). - Signe magnifique, digne de la splendeur divine.

«L'arc-en-ciel, dit Bossuet, parut dans les nuées avec de douces couleurs, il devint un signal de la clémence de Dieu. Le sacrifice de Noé qui est celui de tout le genre humain, avait précédé en figure le sacrifice de Jésus-Christ, qui était pareillement l'oblation de toute la nature humaine. La promesse de la clémence suivit, et ce fut le présage heureux d'une nouvelle race, qui devait naître sous un visage bénin de son Créateur, et sous des promesses favorables» (Elév. 8e sera.).

«Au sens allégorique, dit Corneille de la Pierre, l'arc-en-ciel est un signe de la Loi Evangélique, qui nous a apporté la grâce, le pardon et la gloire». Il est aussi une figure du Verbe incarné, revêtu d'une chair mortelle, illuminée des purs rayons de la divinité. Il a trois couleurs principales: le bleu, figure de l'oraison continuelle et céleste du Christ; le vert, qui indique l'efflorescence de toutes les grâces et de toutes vertus, et le rouge, son sang répandu sur la croix… (Tome 1, p. 133).

De beaux vitraux du moyen-âge, comme ceux de Saint-Quentin, nous montrent le Christ miséricordieux assis sur l'arc-en-ciel de la grâce et du pardon.

L'Eglise a pris pour symbole de la Rédemption, la croix rayonnante et glorieuse, mais le développement de la révélation mystique, nous apporte un nouveau signe d'alliance, un nouveau labarum, comme disait Léon XIII, le Sacré-Cœur de Jésus, organe et symbole de la miséricorde divine.

Voici maintenant la seconde lignée patriarcale: Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Juda, sont autant de figures du Sauveur et de son Cœur Sacré. Ces familles patriarcales étaient les figures de la Sainte Famille, les figures de l'union du Sauveur avec son Eglise. Elles transmettaient le sang d'Adam et d'Eve, qui devait aboutir par une providence spéciale au cœur de Marie et de Jésus.

La bénédiction divine tombait périodiquement sur cette lignée privilégiée, sur ces cœurs animés par la foi et fortifiés par l'espérance du salut d'Israël.

«Toutes les nations seront bénies en toi», disait le Seigneur, à Abraham, à Isaac, à Jacob, et Dieu bénissait les cœurs de ces patriarches, leurs âmes, leur sang qui descendait du premier Adam jusqu'à la Vierge Marie en passant par le cœur des patriarches, puis par la lignée des rois et des prêtres énumérés dans les généalogies évangéliques.

Abraham représentait Dieu le Père, quand il sacrifiait son fils sur le Mont Moriah; mais il était aussi la figure du Sauveur en sa qualité de chef du peuple de Dieu en formation. Comme le Sauveur, Abraham passa par l'Egypte et il eut à subir bien des luttes et des épreuves. Quand Dieu lui demanda le sacrifice de son fils, il eut son cœur percé d'un glaive comme Marie au Calvaire.

Pour les juifs, les élus trouvent leur repos éternel dans le sein d'Abraham, mais en réalité c'est dans le sein de Dieu et dans le Cœur de Jésus dont Abraham était la figure.

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Il faut dire un mot en passant d'Agar et du puits d'eau vive.

Agar et Isamël symbolisaient les incroyants, tandis que Sara et Isaac représentaient les fils de Dieu, comme le remarque saint Paul (Gal., 4). Agar s'enfuit avec Ismaël, et après son retour elle est expulsée par Abraham.

Mais les deux fois, l'ange du Seigneur la console au désert et lui fait trouver une source qui lui sauve la vie. La source d'eau vive, c'est bien le symbole du Sauveur et du sang que son Cœur a versé. Le Sacré-Cœur est la source d'eau vive d'où le salut viendra pour les juifs et pour les Gentils.

«Le Christ, disait le Cardinal de Mora au XIIIe siècle, c'est la source qui rendit la vie à Agar».

Isaac est une belle figure du Christ et du Sacré-Cœur. Il accepte le sacrifice que Dieu demandait de lui, et il présentait déjà son cœur au glaive de l'immolation, quand l'ange du Seigneur intervint.

Lui aussi eut à souffrir de la jalousie d'Ismaël, comme Jésus devait souffrir de l'envie des Pharisiens. Les patriarches passaient par des épreuves qui symbolisaient les douleurs du Cœur de Jésus.

A côté d'Abraham et d'Isaac, il faut signaler Melchisédec, le roi de Salem, le roi de la paix, le seul prêtre qui offre le pain et le vin.

Il a dû avoir le pressentiment de l'Eucharistie, qui est le don du Cœur de Jésus, et il a dû entrevoir le symbolisme du pain et du vin qui représentaient la chair de Jésus et le sang de son Cœur.

Le Cardinal de Mora, au XIIIe siècle, voyait aussi le Sacré-Cœur dans le puits où Rebecca puisa pour désaltérer le serviteur d'Abraham et pour abreuver ses bêtes de somme. Ce puits symbolisait les miséricordes du Cœur de Jésus.

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Jacob est une figure bien sympathique du Christ et du Sacre-Cœur. Il est aussi le fils de la promesse. Il porte en son cœur le sang de l'immolation. Son alliance avec Rachel figure l'union du Christ avec l'Eglise, mais il n'obtient la main de Rachel qu'en passant par de longs travaux, comme Jésus prépara la fondation de l'Eglise par tous les labeurs et toutes les souffrances de sa vie.

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L'échelle de Jacob est une autre figure de la Rédemption, et l'œuvre de la Rédemption n'est-elle pas l'œuvre du Sacré-Cœur? Jacob vit une échelle mystérieuse qui unissait la terre au ciel. Mais en réalité qui a réuni le ciel à la terre? C'est Jésus. C'est en son Cœur, par ses souffrances, par ses mérites, par sa miséricorde, qu'il a refait l'union entre Dieu et l'homme déchu.

Jacob voyait le Seigneur appuyé sur le haut de l'Echelle. Saint Augustin voit là le Christ suspendu sur la croix (Serm. 79). On peut voir dans les degrés de l'Echelle les ancêtres du Christ. On peut y voir aussi les vertus du Christ. Il s'élève de l'humilité de son Incarnation et de la pauvreté de sa crèche au zèle de sa vie publique, à la charité suprême de sa Passion. Mais le lien de l'union est surtout son Cœur. C'est là que la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, que la justice et la paix se sont embrassées.

C'est par la miséricorde de son Cœur que Jésus est descendu jusqu'à nous. C'est par les mérites et la grâce de son Cœur que nous montons jusqu'à Dieu.

Notre-Seigneur a promis à toutes les âmes vouées à son Cœur une ascension rapide vers la perfection. Les âmes tièdes y retrouveront la ferveur; les âmes consacrées y trouveront l'esprit de charité et de sacrifice.

Le Père Marin de Boylesve décrit l'œuvre des anges sur l'échelle mystique.

«Les Séraphins puisent au Cœur de Jésus les flammes de la charité dont ils embrasent toutes les volontés.

Les Chérubins empruntent à ce divin Cœur les lumières de la vérité dont ils éclairent toutes les intelligences.

Les Trônes s'y inspirent de l'ordre qui assure l'harmonie et la paix dans le monde spirituel et matériel.

Les Dominations reçoivent du divin Cœur l'empire et l'autorité qu'elles exercent sur les esprits pour les gourverner et les élever à Dieu. Les Vertus empruntent au Cœur divin la force d'opérer les miracles dans l'ordre matériel et dans l'ordre spirituel.

Les Puissances reçoivent du divin Cœur le pouvoir et la force de maintenir le monde dans l'ordre et de vaincre les puissances infernales. Les Archanges trouvent dans le Cœur de Jésus le modèle de toute supériorité et de tout commandement, et d'après ce parfait modèle, ils inspirent les supérieurs qu'ils ont mission de diriger.

Enfin les Anges gardiens sont les messagers des inspirations qu'ils reçoivent pour nous du Cœur de Jésus; ils gardent Jésus dans notre cœur et ils nous gardent dans le Cœur de Jésus».

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Les douze fils de Jacob n'ont-ils pas quelque rapport avec les douze apôtres, chers au Cœur de Jésus?

Juda n'est que le quatrième des fils de Jacob et il n'est pas le fils de Rachel, mais de Lia, cependant c'est à lui que passeront les promesses, parce qu'il a montré un cœur généreux en sauvant son frère Joseph de la mort et en se portant garant pour Benjamin. C'est de sa tribu que naîtra le Messie. Jérusalem et Bethléem lui appartiendront. Jésus sera appelé le fils de Juda comme le fils de David. Jacob loue magnifiquement son fils Juda dans sa suprême bénédiction. Juda régnera sur le peuple de Dieu par David et ses descendants (Gen. c. 49).

Juda attachera à la vigne l'ânesse et son ânon, quand Jésus réunira dans l'Eglise les juifs et les païens. Juda lavera dans le sang de la vigne sa robe et son manteau et cela se réalisera quand Jésus sauvera les hommes par le sang de son Cœur.

* * *

Joseph, frère de Juda et fils de Jacob, sera aussi une grande figure du Christ. Il surpasse ses frères par la douceur et la pureté de son cœur. Vendu par eux, il passe en Egypte, il est accusé et condamné injustement. Il devient le sauveur de tous les siens.

Sa tunique teinte de sang est signalée par les Pères et les mystiques comme le symbole de l'humanité du Sauveur, toute rougie par le sang rédempteur du Sacré-Cœur de Jésus.

Les frères de Joseph étaient jaloux de lui. Ils étaient troublés par les songes qu'il leur racontait et qui prophétisaient son élévation en Egypte, figure de la royauté du Rédempteur.

Comme Jacob l'avait envoyé vers eux, ils complotèrent sa perte. Il portait une tunique brodée, symbole des vertus qui orneraient l'humanité du Sauveur. Ses frères qui voulaient le livrer à la mort, lui arrachèrent sa tunique. Ils la trempèrent dans le sang d'un chevreau et l'envoyèrent à leur père en lui disant: «Nous avons trouvé cette tunique ensanglantée, n'est-ce pas celle de votre fils qui aurait été déchiré par une bête fauve?».

Tout cela nous parle des plaies cruelles du Sauveur et du sang de son Cœur. Aussi l'Eglise fait allusion à cette tunique dans l'office des Cinq Plaies. «Regardez, Seigneur, dit-elle avec saint Bernard, de votre sanctuaire et du plus haut des cieux où vous habitez, jetez les regards sur cette Hostie sacrée, que vous offre notre grand Pontife Jésus, votre Fils très saint, pour les péchés de ses frères et laissez-vous fléchir malgré l'excès de notre malice, Reconnaissez, ô Père, la tunique de votre fils Joseph: Hélas! une bête féroce l'a dévoré, et dans sa colère a foulé aux pieds son vêtement, voilà les cinq plaies lamentables qu'elle y a laissées» (S. Bern. Serm. de Passione).

Saint Bonaventure fait écho aux paroles de saint Bernard. «Le Christ, nous dit-il, tout couvert de son sang qu'il avait surabondamment versé, dans la sueur du jardin des Olives d'abord, ensuite dans la flagellation, dans le couronnement d'épines, enfin dans le crucifiement et par le coup de lance qui le frappa au cœur, fut ainsi revêtu de la pourpre des Pontifes et nous est apparu vraiment, suivant les paroles d'Isaïe, vêtu d'une rouge comme celle du vigneron qui foule les raisins dans le pressoir. C'est le véritable Joseph, abandonné dans le sang d'un chevreau, doit être envoyée à son père pour en être reconnue».

Ajoutons avec saint Bonaventure ces invocations: «Reconnaissez donc, ô Père très clément, la tunique de votre fils Joseph, de votre Fils bien-aimé par-dessus tous les autres, que l'envie de ses frères selon la chair a dévoré à l'instar d'une bête féroce qui, foulant aux pieds ses vêtements, en aurait souillé la beauté par les traces du sang, en y laissant cinq lamentables déchirures… Mais vous aussi, ô Marie, ô très miséricordieuse Souveraine, regardez ce vêtement très saint de votre fils bienaimé, formé de vos chastes entrailles par l'opération du Saint-Esprit, et demandez grâce pour nous qui nous réfugions vers vous avec lui, afin que nous méritions d'échapper à la colère des jours à venir» (S. Bonav. Lignum vitae, p. 78).

* * *

Le puits de Jacob (S. Jean, IV - Gen. 33, 19).

Il y a là une belle figure du Sacré-Cœur, appartenant elle aussi à l'Ancien Testament. Notre-Seigneur lui-même en a donné l'interprétation. Saint Jean seul parmi les disciples l'a comprise.

Ce symbole était déterminé par la Providence. Jacob avait acheté près de Sichem un champ mystérieux qu'il avait payé au prix de cinq agneaux. Il y avait creusé un puits. Ses fils et lui y avaient bu. (Gen., 33). Il avait légué ce champ tout spécialement à Joseph et les Israélites, au retour de l'Egypte, ensevelirent là le corps du fils préféré de Jacob.

Notre-Seigneur s'arrêta là un midi auprès de ce puits symbolique. La Samaritaine vint et Jésus engagea avec elle le dialogue si connu. - Il avait une source meilleure que ce puits, une eau nouvelle, la grâce du Nouveau Testament, une eau qui désaltère vraiment, tandis que celle du puits de Jacob, celle de la Loi Ancienne, laissait la soif inassouvie.

C'est l'eau du Sacré-Cœur, l'eau prédite par Isaïe: «Vous puiserez avec joie aux sources du Sauveur».

Jésus était là fatigué, à la fin d'une longue route. Il était midi. Ainsi à la fin de sa vie, au milieu du jour, les sources de ses Plaies s'ouvriront pour donner passage à son sang qui sera à la fois le prix et le symbole de la grâce.

«Si vous saviez le don de Dieu! dit Notre-Seigneur, vous me demanderiez cette eau vivifiante, vous puiseriez à mon Cœur cette grâce enivrante et fortifiante».

Jacob, Joseph et ses fils et leurs troupeaux ont trouvé le rafraîchissement, la force et la vie au puits de Sichem.

Maintenant que le Sacré-Cœur nous est ouvert largement par l'intervention de Notre-Seigneur, à Paray, les âmes vont le comprendre peu à peu, elles boiront à cette source. Elles y puiseront la force, la générosité, l'amour du Bon Maître, l'esprit de sacrifice, et nous verrons les merveilles du règne du Sacré-Cœur.

L'Évangile de saint Jean est tout plein de ces mystères du Sacré-Cœur qui ne devaient être compris, que de notre temps.

A. - Dans la période mosaique

On peut voir dans tout l'Ancien Testament un prélude et une esquisse de la vie de Jésus.

Pendant la période patriarcale, c'est la vie de famille, la vie de Nazareth. Ces patriarches, comme Abel, Seth, Noé, Abraham, Jacob, Joseph, peuvent dire comme Jésus: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur».

Voici venir la période mosaïque. Moïse et Aaron sont deux chefs et deux sauveurs du peuple. Ils descendent de Lévi et sont de race sacerdotale. Ils inaugurent la période théocratique de l'histoire du peuple de Dieu.

Moïse, Josué et les juges sont des hommes au cœur vaillant, qui luttent pour établir le royaume d'Israël, comme Jésus dans sa vie publique travailla pour fonder son Eglise.

Tout était figure dans l'Ancien Testament, dit saint Paul, et l'ensemble de l'histoire sacrée nous montrait dans les amis de Dieu les précurseurs du Sauveur, enrichis de quelques-unes des grâces de son Cœur Sacré.

Moïse a une mission analogue à celle du Rédempteur. Il a un cœur de père et de sauveur pour son peuple. Il gémit sur le sort des Israélites, en Egypte. Il a un cœur vaillant et il lutte contre le Pharaon. Il délivre son peuple de l'esclavage.

Tout est symbolique et figuratif dans la sortie d'Egypte, qui annonce la sortie du peuple de Dieu de la servitude de l'Ancienne Loi et son entrée dans l'Eglise.

Le passage de la Mer Rouge, c'est le baptême; la Manne du désert, c'est l'Eucharistie; la fente du rocher, c'est l'ouverture du Cœur de Jésus, source de la grâce et des sacrements.

Saint Paul nous a expliqué toutes ces figures.

Notre-Seigneur lui-même n'a-t-il pas comparé la Manne à l'Eucharistie et montré l'infériorité de la figure vis-à-vis de la réalité?

Le signe du salut, à la sortie d'Egypte, c'est le sang de l'agneau, qui préserve les maisons des Israélites au passage de l'ange des vengeances divines.

Le sang de l'agneau, n'est-ce pas la figure la plus positive du sang rédempteur sorti du Sacré-Cœur? Et depuis ce grand jour, pendant toute la durée de l'Ancien Testament, le sang des agneaux versé quotidiennement sera toujours le signe du salut.

Moïse a un cœur de prêtre, et il institue le culte de l'Ancienne Loi, comme Jésus organisera le culte chrétien. Les Saints Livres exaltent sa foi et sa douceur. Il était aimé de Dieu et des hommes. Il est une des plus belles figures du Christ et de son divin Cœur (Exod., ch. 6 et 11. - Eccli., ch. 45).

Aaron est loué autant que Moïse par la Sainte Ecriture. Il est le chef du sacerdoce ancien. Lui aussi a un cœur de prêtre, comme Jésus.

Le Grand-Prêtre représente le Sauveur: ses vêtements sont symboliques. Il porte le nom des tribus sur ses épaules, comme le Rédempteur portera la croix libératrice de tous les peuples.

Sa tunique de lin, est ouverte sur la poitrine: le Rational couvre cette ouverture. C'est une bourse mystérieuse sur laquelle des pierreries enchâssées symbolisent les douze tribus. Le prêtre doit porter son peuple sur son cœur, comme fera le Sauveur du monde.

Dans le Rational est placé un symbole, sans doute une autre pierre précieuse, appelée Urim et Thummim, Doctrine et vérité.

Le juge suprême, en Egypte, portait aussi une image en saphir, qu'on appelait pierre de vérité. Le saphir est une pierre transparente et azurée, très propre à symboliser le ciel.

Ce saphir représente les mérites du Sauveur, le prix de son sang et les vertus de son Cœur. Il en sera de même de la pierre de jaspe dont parle l'Apocalypse (ch. 21), et qui est comme le soleil de la Jérusalem céleste. Quelques versets plus loin, saint Jean explique lui-même le symbolisme de cette gemme: «La lumière du ciel vient de l'Agneau - Lucerna ejus est Agnus». C'est du Sauveur et surtout de son Cœur Sacré que vient la lumière de la grâce et de la gloire, comme Notre-Seigneur l'a fait voir à sainte Marguerite-Marie.

Pendant le séjour des Israélites au désert, il y a encore de beaux symboles du Sacré-Cœur.

Il y a la Manne, qui nous rappelle l'Eucharistie, le grand don du Cœur de Jésus.

Le serpent d'airain est élevé dans le désert, comme Jésus sera attaché à la croix pour nous y présenter son Cœur ouvert par la lance.

Il y a surtout la source miraculeuse que Moïse fait sortir du rocher. Saint Paul nous explique ce symbole. La pierre, dit-il, c'est le Christ (Cor., 10). Ajoutons: le bâton de Moïse, c'est la lance du Centurion, et l'eau qui jaillit du rocher est le symbole de la grâce qui découle du SacréCœur.

Cette eau miraculeuse du désert sera dans l'Ancien Testament le symbole de la grâce, issue du Cœur de Jésus. - Tous les ans, la fête des Tabernacles rappellera le séjour au désert, et ce jour-là les Juifs iront puiser de l'eau à la fontaine de Siloé et répandront cette eau devant l'autel avec un peu de vin pur, pendant qu'on chantera le verset d'Isaïe: «Vous puiserez des eaux avec joie, aux fontaines du salut». Saint Jérôme le remarque: ces eaux du salut sont les grâces qui découlent des plaies de Jésus.

Notre-Seigneur lui-même autorise notre interprétation. C'est à la fête des Tabernacles qu'il dit ces paroles: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive», et par là il exprime le symbolisme des eaux du désert, de la fontaine de Siloé et de la libation du jour des Tabernacles.

C'est saint Jean qui rappelle ces paroles du Sauveur (Chap. 7, 37). L'apôtre du Sacré-Cœur comprenait déjà ou soupçonnait le merveilleux symbole des eaux du désert.

Il n'est pas étonnant qu'après l'annonce de l'effusion de ces eaux mystérieuses, Isaïe chante le plus sublime cantique de reconnaissance:

«Louez Jéhova, invoquez son nom.

Publiez ses œuvres merveilleuses parmi les peuples;

Rappelez la grandeur de son nom!

Chantez Jéhova parce qu'il a opéré des merveilles.

Que ses œuvres soient connues par toute la terre!».

Isaïe a entrevu les splendeurs du règne du Sacré-Cœur.

Josué a un beau nom, le nom de sauveur. Il verra la terre promise avec Caleb, et il y conduira son peuple, parce qu'il a gardé son cœur fidèle et confiant et qu'il n'a pas murmuré contre Moïse et contre Dieu.

Les juges, dit le livre de l'Ecclésiastique, furent des hommes au cœur pur et vaillant, qui n'ont pas dévié de la loi divine, quorum non est corruptum cor (Eccli. 46). Leur nom est resté célèbre. On connaît Othoniel, Barac, Gédéon, Jephté, Samson… Leurs succès présageaient les luttes et les triomphes du Christ et de son Eglise.

Samuel mérite un éloge spécial. Il était cher au Seigneur, nous dit l'Ecclésiastique, il était admirable dans sa foi, dans la constance et la piété de son cœur. Il maintenait le peuple dans la loi de Dieu, il offrit en sacrifice un agneau immaculé. Dieu voyait en lui aussi une image du Sauveur.

* * *

Voici maintenant le période des Rois. Tous ont représenté plus ou moins fidèlement la royauté de Jésus, selon qu'ils reproduisaient plus ou moins les vertus de leur père David.

Les pieux Israélites crieront plus tard a jérusalem: «Jésus, fils de David, ayez pitié de nous», c'est-à-dire: «Jésus qui avez, comme David et plus que lui, un cœur royal, un cœur vaillant, un cœur patient et doux, un cœur généreux et miséricordieux, ayez pitié de nous».

Si la série des rois n'a pas toujours pratiqué les vertus de David, elle a au moins gardé son sang et quelques traits de ce caractère que Jésus devait renouveler, purifier et élever jusqu'à l'union divine.

David est la plus noble des figures du Christ.

Aucun nom n'est plus uni à celui de Jésus que celui de David. Plus de cinquante fois le Nouveau Testament rappelle que Jésus est le fils de David.

David était le type des rois dont Jésus est le descendant.

Chacun des rois de Juda est apprécié d'après sa ressemblance avec David.

Les livres des Rois et des Paralipomènes nous disent de chacun d'eux, s'il a vécu comme David, s'il a gardé son cœur fidèle et pieux comme le cœur de David.

Deux seulement ont été complètement dignes de David, nous dit l'Ecclésiastique, c'est Ezéchias et Josias. Sept ou huit sont loués pour leur vie privée, mais ils ont toléré l'idolâtrie pratiquée par le peuple.

David était beau de corps et de visage, pulcher aspectu decoraque facie (I Reg. 16, 12).

Il avait sans doute la ressemblance physique avec Adam et avec Jésus. Il était doux, aimable et bon (Ps. 131). Il avait séduit Saül et Jonathas. Sa douceur plaisait à Dieu lui-même, comme celle de Jésus, Memento Domine David et omnis mansuetudinis ejus. Il avait reçu l'Esprit de Dieu, l'Esprit divin qui lui donnait un cœur noble et royal, une âme douce et pieuse: Spiritus Dei erat in David a die illa.

Il passa comme le Bon Maître par de grandes épreuves. Il fut poursuivi par les traîtres et il se retirait vers la montagne des oliviers. Il pleura aussi en gravissant le sentier de Gethsémani (Liv. 2 Reg., 15).

En décrivant ses peines, il s'élève prophétiquement jusqu'à décrire celles du Sauveur. Le psaume 21, Deus meus respice in me, est comme un récit anticipé de la Passion. Nous le rappellerons, en parlant des prophéties du Sacré-Cœur.

Quel bel éloge l'Ecclésiastique fait de David et de son cœur! «David a été tiré d'entre les enfants d'Israël comme la graisse ou la moelle de l'hostie, que l'on offre à Dieu» (Les parties de choix de l'hostie sont la graisse et le cœur, dit le Lévitique, adipem et pectusculum).

«Dès sa jeunesse, David s'est joué avec les lions comme avec des agneaux. N'a-t-il pas tué le géant qui insultait Israël?» (Ces traits marquent la vaillance de son cœur).

«En tous ses actes, il rendait gloire à Dieu, il l'a loué de tout son cœur. Il a magnifiquement organisé le service de l'autel, les chants et les cérémonies».

«Dieu lui a pardonné son péché et lui a promise une gloire éternelle» (Par ses successeurs d'abord et surtout par le Christ, son fils selon la chair).

Le cœur de David, figure du Cœur de Jésus, restera la mesure selon laquelle tous les rois, ses successeurs, seront appréciés.

Salomon ne fut pas fidèle jusqu'au bout, mais il fut quand même une belle figure de Jésus et du Sacré-Cœur.

Son Cœur eut de belles qualités, mais il ne fut pas entièrement uni à Dieu comme le cœur de David. Non erat cor ejus perfectum cum Domino Deo suo, sicut cor David (3 Reg. 11, 4). Dans la série des rois, Dieu contemplait toujours le cœur de David et le Cœur de Jésus.

Salomon, élevé auprès de David, avait profité de sa sagesse et de sa piété. Il régna dans la paix et Dieu lui épargna les soucis de la guerre, pour qu'il pût donner tous ses soins à la construction du plus magnifique des temples.

Son cœur débordait de science et de sagesse et il les déversait comme un torrent. Toute la terre admira ses poésies, tel son Cantique des cantiques, ses proverbes et ses livres de science. Pour construire le temple, il amoncela l'or et l'argent, comme on a coutume d'amonceler l'airain ou le plomb.

Malheureusement, il s'est laissé séduire par les femmes, mais on peut penser que Dieu lui a fait miséricorde, en souvenir de David.

* * *

La grande grâce de Salomon a été de construire le Temple du Seigneur. Or, le Temple de Dieu, et ses principaux accessoires, le Saint des Saints, les autels, le tabernacle, sont bien les plus merveilleux symboles du Sacré-Cœur.

Dieu habitait en son Temple d'une manière spéciale. Il y rendait des oracles: Il y recevait les sacrifices de son peuple et il écoutait ses prières. Nos églises remplacent le Temple, mais Dieu y habite plus intimement. Jésus est là avec son Cœur qui est le vrai sanctuaire où nos âmes se rencontrent avec le Sauveur pour entendre ses oracles, pour offrir nos sacrifices et formuler nos prières.

Sainte Marguerite-Marie écrivait à la mère Greyfié: «Notre-Seigneur m'a donné à connaître que son Sacré-Cœur est le Saint des Saints, le Saint d'amour».

Dans le temple s'élevaient les autels. Le Sacré-Cœur est le véritable autel du sacrifice, dit Marguerite-Marie. Elle écrit: «Vous vous mettrez dans ce Sacré-Cœur, comme une victime qui se présente à son sacrificateur, pour être égorgée et immolée sur l'autel. Le pur amour de ce divin Cœur doit, de ses flammes divines, la consumer comme un holocauste, afin qu'il ne lui reste plus rien d'elle-même, et qu'elle puisse dire avec saint Paul: Non, ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi» (Écrits divers, p. 470).

Le Cœur de Jésus, c'est donc l'autel d'or des holocaustes.

C'est l'Arche d'alliance qui contient la loi nouvelle, comme l'Arche du Temple contenait les Tables de Moïse. N'est-ce pas le Cœur de Jésus qui nous a donné la loi d'amour et qui nous la rappelle tous les jours du fond du Tabernacle?

Le Temple avait aussi le feu sacré, qui ne devait jamais s'éteindre. Le feu sacré de nos sanctuaires, c'est l'amour du Cœur de Jésus qui ne s'éteint jamais dans l'Eucharistie.

S. Bernard a bien compris ce symbole. En parlant du côté de Jésus et de son Cœur, il disait: «Dans ce Temple, dans ce Saint de Saints, dans cette Arche précieuse, je vivrai, j'adorerai, je louerai! O Jésus, tirez-moi de mes iniquités, purifiez-moi de toute tache.

«O, le plus beau des enfants des hommes, votre sacré côté n'a été percé que pour nous ouvrir l'entrée de votre Cœur et votre Cœur lui-même n'a été ouvert qu'afin que nous puissions habiter en lui dans la liberté et dans la paix» (Tract. de passione, c. 3).

Notre-Seigneur dit à sainte Gertrude: «Regarde mon Cœur, je veux que ce soit ton temple» (Rev., liv. 3, ch. 16).

IIIe livre des Rois. Chap. 6. Vers 8.

Le Temple avait une porte au côté droit, comme l'Arche de Noé, et c'était aussi un beau symbole du Sacré-Cœur. C'est l'interprétation de Rupert. C'est aussi celle de saint Augustin. (Liv. 12, Contra Faustum, ch. 16 et 39; et liv. 15, De Civitate Dei, ch. 26).

«Cette porte, dit-il, est certainement la blessure du Cœur de Jésus». Le coup de lance a été porté à droite, c'est la tradition, mais il a été assez violent pour atteindre le cœur. C'est le sentiment d'Innocent III, dans son livre second sur le Ministère de l'autel. C'est aussi l'opinion de saint Athanase, à propos d'une image du Christ frappée sacrilègement (In libro de passione imaginis Christi).

Ezechiel confirme cette interprétation dans son beau chapitre 47.

Il voit sortir une source abondante de la porte droite du Temple. Ces eaux grossissent comme un torrent. Elles envahissent la terre, elles vont vers tous les peuples et portent partout la fécondité et la vie. (Vivent omnia ad quae venerit torrens).

C'est une belle description prophétique du règne du Sacré-Cœur.

L'encensoir d'or au temple présageait l'encensoir d'or du ciel qui est le Cœur de Jésus, dans lequel sont offertes les vertus des Saints.

C'est au Temple que devaient être offerts dans le cours des siècles une infinité d'agneaux, et chacun de ces agneaux était la figure du Sauveur.

L'agneau était frappé au côté comme Jésus. Son sang et ses entrailles étaient offerts à Dieu. Le ciel voyait là tous les jours l'image du sacrifice du Calvaire.

Salomon qui a tout fait pour le Temple de Dieu, ne sera sans doute pas exclu des tabernacles éternels.

Après Salomon, Asa et Josaphat, Joatham, Amasias et Azarias ont été corrects dans leur vie privée, mais ils n'ont pas détruit les autels des faux dieux.

Il semble cependant que Dieu leur ait fait grâce. Ils meurent dans la paix et ils sont ensevelis auprès de David.

Ezéchias et Josias sont deux vrais fils de David, deux dignes ancêtres du Christ. «Sauf David, Ezéchias et Josias, dit l'Ecclésiastique, tous les rois de Juda ont péché», en adorant ou en tolérant les dieux étrangers.

Ezéchias fut docile aux conseils d'Isaïe. Il fit ce qui était agréable à Dieu; il marcha courageusement dans la voie de David, son père, sous la direction d'Isaïe, un grand prophète et un grand saint aux yeux du Seigneur» (Eccli., 48).

Josias reçoit de l'Ecclésiastique les éloges les plus touchants: «la mémoire de Josias est comme un parfum d'une odeur merveilleuse, composé par un excellent parfumeur. Son nom sera doux à la bouche de tous les hommes comme le miel, et agréable aux oreilles comme un concert de musique dans un festin de vin délicieux. Il a été destiné divinement pour faire entrer le peuple dans la pénitence; il a exterminé les abominations de l'impiété. Il a tourné son cœur vers le Seigneur; et dans un temps de péchés il s'est affermi dans la piété» (Ecclé., 49).

Les cœurs d'Ezechias et de Josias reproduisaient celui de David et préparaient celui du Christ.

Les fautes des rois qui suivirent amenèrent la captivité de Babylone. Après la captivité, Zorobabel représentera dignement la famille de David, puis elle restera dans l'ombre jusqu'à la naissance du Sauveur, pendant que le pouvoir sera aux mains des persécuteurs.

En punition de leurs infidélités, les juifs restèrent durant cinq cents ans sous le joug des Assyriens et des Egyptiens, sauf pendant le dernier siècle, où les Macchabées exercèrent la royauté.

Pendant tout ce temps, les Grands-Prêtres faisaient fonction de chefs du peuple. Parmi eux il faut signaler Esdras et les Macchabees, hommes héroïques, au cœur loyal et pieux, qui furent l'objet des complaisances divines.

Esdras peut être comparé aux grands rois, David, Ezéchias, Josias. Il fut, comme ces deux derniers, un grand réformateur des moeurs et de la religion du peuple de Dieu.

Esdras aussi, dans son second livré, chapitre 9, verset 15, rappelle les faveurs divines qui figuraient et prophétisaient les dons de la grâce: c'est la manne, figure de l'Eucharistie et pain du ciel; c'est aussi l'eau sortie du rocher, eau mystérieuse si souvent rappelée dans l'Ancien Testament et dont saint Paul nous a expliqué le symbolisme.

Néhémias, après lui, puis Simon, fils d'Onias, furent des restaurateurs du Temple et de la ville et des réformateurs des moeurs.

Quel bel éloge l'Ecclésiastique a fait de ce Simon! L'Esprit-Saint voyait en lui un précurseur du Sauveur, un chef du peuple de Dieu qui renouvelait les saintes dispositions du cœur de David.

«Simon, fils d'Onias, a restauré la maison du Seigneur. Il a eu un soin particulier de son peuple et l'a sauvé de la perdition. Il a brillé pendant sa vie comme l'étoile du matin au milieu des nuées, et comme la lune lorsqu'elle est en son plein. Il resplendissait dans le Temple comme un soleil éclatant de lumière. Il a paru comme l'arc-en-ciel qui brille à travers les nuages. Il rappelait les roses qui fleurissent au printemps, les lis qui croissent sur le bord des eaux et l'encens qui répand son parfum pendant l'été.

«Il était comme un vase d'or orné de pierres précieuses; et quand il officiait, entouré de lévites, il avait la majesté du cyprès et ressemblait à l'olivier au milieu de ses rejetons.

Il offrait le sang de la vigne pendant que les enfants d'Aaron sonnaient de la trompette ou chantaient leurs cantiques.

Invoquons avec lui le Dieu tout-puissant qui nous a comblés de ses miséricordes. Il nous donnera la joie du cœur et fera régner la paix en Israël».

Sûrement en cette page éloquente l'Esprit-Saint louait le prêtre selon le Cœur de Dieu et le chef du peuple selon le cœur de David.

* * *

Les Macchabées, comme les juges d'autrefois, ont été des chefs et des sauveurs du Peuple de Dieu, suscités par le Seigneur, pour conserver la foi en Israël et pour figurer le Messie par la vaillance de leur cœur.

Ces héros avaient le sens chrétien, même avant le christianisme.

Ils reproduisaient d'avance les vertus du Sacré-Cœur. Ils étaient prêts à souffrir tous les tourments plutôt que de contrevenir aux lois de Dieu. Ils supportaient les épreuves comme de justes châtiments par lesquels Dieu nous montre son amour en nous purifiant pour nous ramener à lui.

Ils restaurèrent le Temple et rétablirent l'autel, le Saint des Saints et les sacrifices. Ce sont là les symboles du Cœur de Jésus.

Où en serait la préparation de la venue du Sacré-Cœur, s'il n'y avait plus le tabernacle, l'autel, le feu sacré et le sacrifice quotidien des agneaux?

Avec quel soin, avec quels sentiments ardents et délicats, judas rétablit tout cela, poussé par l'esprit de Dieu!

En voyant l'autel profané, il pleure avec son peuple, il prie, il fait pénitence, il se prosterne le visage contre terre. Cela nous rappelle Jésus, pleurant sur Jérusalem et se livrant à la douleur réparatrice de son agonie.

Il choisit des prêtres saints et purs, religieux observateurs de la loi de Dieu. Ceux-ci purifièrent les lieux saints, élevèrent un nouvel autel des holocaustes, firent de nouveaux vases sacrés et rétablirent l'autel des parfums et la table des pains de proposition. C'est tout le symbolisme du Sacré-Cœur qui revivait.

Judas Macchabée et ses frères furent agréables au Cœur de Dieu comme David l'avait été et comme l'était Salomon dans les premières années de son règne.

De pieux auteurs nous invitent avec raison à imiter le zèle de judas Macchabée en sanctifiant le sanctuaire de notre cœur, selon le modèle du Cœur de Jésus. Purifions-le d'abord par les larmes d'une sincère pénitence; détruisons l'autel que le feu étranger d'une affection désordonnée a souillé; faisons-y un autel de pierres neuves, un cœur nouveau pour y brûler tous les jours l'hostie de l'humilité et du sacrifice par le feu de la charité.

* * *

Après ces grands livres historiques, il faut signaler comme de touchants épisodes les récits de Tobie, de Judith, d'Esther et de job.

Ces Saints de l'Ancienne Loi recevaient par avance les grâces du Sacré-Cœur.

Tobie et job sont des figures du Sauveur, Judith et Esther sont des figures de la Vierge Marie.

Tobie est admirable par sa piété envers Dieu et par sa charité envers le prochain. Il exerce toutes les œuvres de miséricorde. Il est le Bon Samaritain, comme le Sauveur. On dirait dans le monde qu'il avait un cœur d'or.

Il prie de tout son cœur. Memor fuit Domini in toto corde suo (1-13). Il est

dépouillé de ses biens par la persécution. Il devient aveugle par accident en rentrant la nuit après avoir enseveli les morts. C'est l'occasion des railleries de sa femme et de tous les siens qui lui demandent à quoi servent ses bonnes œuvres.

Dieu lui envoie l'ange Raphaël, c'est peut-être le même archange qui viendra soulager Notre-Seigneur à Gethsemani. L'ange révèle au jeune Tobie l'efficacité du cœur et du foie d'un poisson pour guérir son père et pour chasser les démons.

Les exégètes n'ont pas manqué de voir dans le cœur et les entrailles du poisson l'image du Cœur de Jésus, qui est représenté par un poisson dans l'iconographie chrétienne.

* * *

Job, l'iduméen, est une figure de Notre-Seigneur par ses grandes souffrances. Tous les malheurs fondent sur lui: la perte de ses biens et de ses enfants, et une maladie atroce. Comme Tobie, et plus encore, il subit les railleries de son entourage.

L'apôtre saint Jacques loue la constance de job et la compare à celle du Sauveur.

Le cœur de job est broyé comme celui de Notre-Seigneur. Job est un saint, dit le livre de Tobie. C'est un intercesseur puissant, et ses amis qui ont insulté à sa douleur sont obligés de recourir à ses prières pour que Dieu leur pardonne.

* * *

Il faut dire un mot de Judith et d'Esther, deux figures de la Vierge Marie, deux femmes au cœur pur et vaillant.

Esther obtient le salut de son peuple en allant au péril de sa vie intercéder auprès d'Assuérus.

Judith donne la mort à l'ennemi l'Israël.

Mardochée a vu dans un songe les fruits de l'intervention d'Esther pour le Peuple de Dieu: c'est une source qui devient un grand fleuve et qui répand au loin ses nappes d'eau.

Mais combien cela est plus vrai pour le concours donné par Marie à la rédemption et pour son intercession dans l'Eglise!

Le cœur de Marie est comme celui de Jésus la source symbolique d'où découlent tous les biens.

* * *

Le Cantique des cantiques est le chant de l'amour, le chant du Sacré-Cœur.

A quelle occasion Salomon l'a-t-il composé? Est-ce pour exalter ses épousailles avec la fille de Pharaon? N'est-ce pas plutôt pour louer la chaste union de David avec Abisang la Sunamite? Beaucoup le pensent. Mais les théologiens reconnaissent que ce cantique n'est pleinement explicable que dans un sens mystique et symbolique. .

Salomon était inspiré pour décrire la merveilleuse union du Christ avec son Eglise et l'union intime du Sauveur avec l'âme fervente.

Ce sont les épanchements du Cœur de Jésus, qui alternent avec les effusions de cœur de son épouse mystique.

Le Cantique a huit chapitres et tous chantent le Sacré-Cœur.

Au chapitre premier, dès le premier verset l'épouse exalte le cœur de l'Epoux mystique: «Que cet époux vienne donc, dit-elle, et qu'il me donne un baiser de sa bouche», puis en lui adressant la parole: «Votre sein est meilleur que le vin, il répand les parfums les plus précieux». Meliora sunt ubera tua vino… Mais il faut savoir que le mot hébreu Dod, traduit par Ubera, signifie en hébreu les mamelles, la poitrine ou le sein, et qu'il est pris au sens métaphorique pour le cœur ou l'amour, comme en latin les mots cor et pectus.

C'est donc bien le Sacré-Cœur que l'épouse mystique loue dès le premier verset de son chant.

Le Sacré-Cœur nous donne son sang comme un vin mystérieux et enivrant dans la sainte Eucharistie, et il répand les parfums de ses vertus, symbolisées par toutes les fleurs les plus suavement odorantes.

L'épouse insiste au troisième verset: «Entraînez-moi après vous, mon bien-aimé, nous courrons à l'odeur de vos parfums. - Le Roi m'a fait entrer dans ses celliers; nous nous réjouirons en vous et nous serons ravies de joie en nous souvenant que vos mamelles sont meilleures que le vin». Vos mamelles, cela veut dire votre cœur, ubera tua.

L'épouse mystique puise au Cœur de Jésus le saint amour, la force et toutes les vertus, comme l'enfant boit le lait aux mamelles de sa mère. Les versets douzième et treizième sont appliqués par l'Eglise au mystère de la Pietà. La Vierge Marie reçoit son divin Fils entre ses bras à la descente de croix. Il est pour elle comme un bouquet de myrrhe, comme un raisin parfumé d'Engaddi, tout écrasé par les cruautés de la Passion. Ainsi les âmes pieuses qui méditent sur les douleurs du Cœur de Jésus portent le Sauveur sur leur cœur comme un bouquet de myrrhe.

Au chapitre deuxième, le quatrième verset s'illumine par le mystère du Sacré-Cœur. «L'Epoux m'a fait entrer dans le cellier où il met son vin et il a réglé mon amour». Quel est ce cellier des vins choisis? C'est le Cœur de Jésus, dont le sang devient du vin généreux dans le calice eucharistique. Ordinavit in me charitatem: le texte hébreu dit: «Il m'a rangé sous l'étendard de l'amour». C'est que l'Ancien Testament était la loi de crainte tandis que le Nouveau est la loi d'amour, surtout dans ces derniers siècles où la Providence donne à l'Eglise un nouvel étendard, le symbole du Sacré-Cœur.

Les versets sixième et septième nous représentent les âmes reposant sur le Cœur de Jésus comme saint Jean au Cénacle. Laeva ejus sub capite meo. - «Il met sa main gauche sous ma tête, dit l'Epouse, et il m'entoure de sa main droite». Et l'Epoux dit aux filles de Jérusalem: «Laissez ma bien-aimée reposer sur mon sein autant qu'elle voudra».

Les versets 10 et 14 sont particulièrement intéressants. L'époux dit à l'épouse: «Venez, ma bien-aimée, hâtez-vous, ma colombe, ma toute belle… Venez, ma colombe, et retirez-vous dans le creux de la pierre, dans les enfoncements de la muraille. Montrez-moi votre beau visage et faites-moi entendre votre douce voix». Ici les mystiques sont unanimes. La colombe, c'est l'âme, qui se retire dans le Cœur de Jésus et dans ses plaies sacrées. C'est ainsi que le comprennent saint Bernard et saint Bonaventure. Saint Paul n'a-t-il pas dit aux Corinthiens que «la pierre qui déversa ses eaux mystérieuses était le Christ?».

Notre-Seigneur appelait souvent sa colombe bien-aimée, Marguerite-Marie, dans la retraite de son Cœur: «Le Cœur adorable de Jésus est, dit-elle, une délicieuse retraite où nous vivrons à l'abri de tous les orages. Un jour, m'ouvrant ce Cœur Sacré, mon divin Maître me dit, en m'y mettant: Voici le lieu de ta demeure actuelle et perpétuelle, où tu pourras conserver sans tache la robe d'innocence dont j'ai revêtu ton âme» (Lettre au P. Croiset).

«Une fois, dit-elle, mon Souverain me fit entendre: qu'il voulait me retirer dans la solitude, non dans celle d'un désert comme lui, mais dans celle de son Sacré-Cœur, où il voulait m'honorer de ses plus familiers entretiens, comme un ami avec sa bien-aimée; et que là il me donnerait de nouveaux enseignements de sa volonté, et me ferait prendre de nouvelles forces pour les accomplir».

Le décret de béatification de la Sainte reproduit la même pensée: «Qui serait assez dur et insensible, dit le Bref, pour ne point se sentir porté à rendre amour pour amour à ce Cœur plein de douceur, qui a voulu être transpercé par un coup de lance, afin que notre âme trouve en lui une sorte d'asile et de refuge, où elle puisse se retirer et se mettre à l'abri contre les incursions et les pièges de ses ennemis».

Enfin le verset 16 du même chapitre second exprime le cœur à cœur de l'époux et de l'épouse: «Mon bien-aimé est tout à moi et je suis toute à lui».

Au chapitre troisième, nous voyons l'épreuve de l'aridité. L'époux s'éloigne et effarée le cherche avec angoisse, mais il revient et accorde à l'épouse un cœur à cœur plus tendre et plus ardent. Ce sont des épousailles, où le cœur de l'époux est enivré de joie.

Au chapitre quatrième, verset neuvième, l'époux nous dit la tendresse de son cœur: «Vous avez blessé mon cœur, ô ma soeur et mon épouse, par l'ardeur de votre contemplation, in uno oculorum tuorum et par le soin des petites choses, in uno crine colli tui». Il veut que le cœur de son épouse soit fermé à tout autre qu'à lui.

Au chapitre cinquième, l'époux invite l'âme à venir dans son jardin où elle trouvera la myrrhe de la pénitence, le lait de la doctrine, le vin du calice eucharistique, qui est le sang du Sacré-Cœur.

L'époux frappe à la porte de l'épouse. Son cœur ardent voudrait deverser ses grâces.

Aux chapitres sixième et septième, c'est encore le cœur à cœur de l'époux et de l'épouse: Ego dilecto meo et dilectus meus mihi. je suis toute à mon bien-aimé, à moi son regard, à moi son cœur: Ad me conversio ejus.

Enfin, au chapitre huitième, nous voyons encore l'épouse reposer sur le cœur de l'époux: «Sa main gauche est sous ma tête, et il m'entoure de sa main droite».

Puis l'Esprit-Saint loue la puissance de cette union: «L'amour est fort comme la mort, et les grandes eaux n'ont pas pu en éteindre la flamme».

Tout ce Cantique n'est-il pas vraiment le chant du Sacré-Cœur? Les livres sapientiaux donnent des préceptes de morale et n'ont guère d'allusions au Sacré-Cœur.

Les splendides éloges qu'ils font de sa Sagesse incréée reportent cependant notre pensée vers le Cœur de Jésus en quoi sont tous les trésors de la Sagesse.

Au chapitre huitième des Proverbes, la Sagesse invite les âmes à s'unir à elle dans les intimités de l'oraison, c'est déjà le présage de l'union au Cœur de Jésus.

Au chapitre neuvième, la Sagesse s'est bâti une maison richement ornée, elle y prépare un festin, où elle offre la chair des victimes et le vin du sacrifice.

Saint Thomas d'Aquin a vu là le symbole de l'Eucharistie et il en a tiré la première antienne de son office du Saint Sacrement: Sapientia aedificavit sibi domum.

Le livre de la Sagesse, au chapitre 11, versets 4 et 8, exalte le rocher mystérieux et prodigieusement élevé, d'où coula l'eau du miracle: Data est illis aqua de petra altissima; et il oppose au sang des victimes humaines qu'immolaient les impies, l'eau du rocher, symbole et annonce prophétique du sang rédempteur de Jésus.

Nul doute que le magnifique chapitre 24e de l'Ecclésiastique, le plus beau de ce livre, ne soit une splendide prophétie du Sacré-Cœur.

«Le Seigneur, y est-il dit, a promis à David, son serviteur, de faire sortir de lui le Roi très puissant qui doit être éternellement assis sur un trône de gloire:

Roi qui répand la sagesse, comme le Phison et le Tigre répandent leurs eaux, au temps des fruits nouveaux;

Roi qui répand l'intelligence comme l'Euphrate déborde au printemps;

Roi qui fait rejaillir la science comme la lumière et qui multiplie ses eaux comme le Gehon au temps de la vendange…».

Ici l'auteur introduit une prosopopée. Il fait parler le Christ: «Je suis la Sagesse qui ai fait couler de moi des fleuves.

- Je suis sortie du Paradis comme un torrent, comme le débouché et le canal d'un réservoir. J'arroserai mon jardin et mes parterres. Mon canal est devenu comme un fleuve et comme l'océan…».

Quelques interprètes ont entrevu dans ce texte les grâces du SacréCœur. Raban Maur rappelle ici les paroles du Christ: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi…».

L'iconographie chrétienne a mis les quatre fleuves mystiques au pied du Calvaire. Le sang issu du Cœur de Jésus se répand par ses plaies pour inonder l'Eglise comme les fleuves du Paradis terrestre, sortis d'une source unique portaient partout la fécondité…

«Le canal, dit l'Ecclésiastique, est devenu un grand fleuve et comme

une mer». La grâce du Christ va se répandre plus abondamment par le règne du Sacré-Cœur (Chap. 24. vers. 43).

C. - Dans les Psaumes

Nous arrivons aux Psaumes.

Qu'est-ce que les Psaumes?

Ce sont les épanchements du cœur de David. Mais, le cœur de David c'était la préparation, le type et le symbole du Cœur de Jésus.

Dans les psaumes, David prie, il loue Dieu, il rend grâces, il pleure, il exprime sa confiance. C'est Jésus qui prie et qui pleure en David. Jésus a toujours été la source et l'inspirateur de toute prière, de toute réparation, de tout acte surnaturel… Il n'y a pas d'autre nom en qui nous puissions être sauvés. Il n'y a pas d'autre source de grâces que son divin Cœur.

Le Cœur de Jésus parlait par la bouche de David pour donner la formule de la prière dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament. L'Eglise pourrait-elle nous donner les psaumes comme le thème de notre prière quotidienne, s'ils n'étaient pas un épanchement du Cœur de Jésus, la seule source de grâces pour nous?

Souvent la transparence est frappante: David semble parler de lui-même et c'est du Christ qu'il parle.

Au psaume 2, c'est la conjuration des rois contre le Christ. Hérode, Pilate, Tibère veulent anéantir le Sauveur et son œuvre: Quare fremuerunt gentes… Mais Dieu se rira d'eux, et le Christ, Fils de Dieu, recevra les nations en héritage.

Au psaume 15, le Christ exprime par la bouche de David ses espérances de résurrection: «Mon Cœur tressaille de joie, dit le Sauveur, et ma langue chante mes espérances: Laetatum et cor meum et exultavit lingua mea… Vous ne laisserez pas, Seigneur, mon âme dans l'enfer et vous ne permettrez pas que votre Saint éprouve la corruption du tombeau».

Au psaume 21, c'est la Passion décrite par le détail: l'abandon de Jésus par son Père. - Deus, Deus meus, ut quid dereliquisti me; les railleries du peuple - Omnes videntes me deriserunt me, locuti sunt labiis et moverunt caput. - Les paroles mêmes du peuple sont prédites: «Il a espéré au Seigneur, que le Seigneur le délivre». «Mon Cœur, dit le Sauveur, a perdu sa force, il s'est amolli comme la cire: factum est cor meum tanquam cera liquescens». - «Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont partagé mes vêtements et tiré ma robe au sort». Le prophète Zacharie préçisera un jour et dira: «Ils me regardent après m'avoir transpercé: Aspicient ad me quem confixerunt».

Puis le psaume de la Passion s'achève par le chant du triomphe. «Délivrez mon âme, ô mon Dieu, dit le Sauveur, et je chanterai vos louanges dans l'Eglise. Les pauvres mangeront la chair de la victime que j'ai offerte et ils en seront rassasiés. Toutes les nations de la terre se convertiront, ce sera le règne de Dieu. Mon âme, ou mon cœur, vivra pour Dieu, anima mea illi vivet, et ma race ou mon peuple le servira…».

Le psaume 28 nous promet un déluge de grâces. «C'est par la divine blessure du Cœur de Jésus, dit saint Ambroise, que les grâces du Seigneur ont coulé sur le monde et l'ont embaumé, de même que certains arbres odorants n'émettent leur parfum que quand on les blesse» (Serm. 3 in ps. 28).

Psaume 35, versets 9 et 10. - Ce psaume annonce la rédemption. Il nous promet un torrent de délices et la source de la vie: Torrente voluptatis tuae potabis eos, quoniam apud te est fons vitae.

Sans doute la volupté sans mélange et la vie parfaite ne régneront qu'au ciel, mais ne sont-elles pas commencées dans l'Eglise et sous l'action de la grâce? Elles ont leur source dans le Cœur du Sauveur, comme toute l'Ecriture en témoigne.

Après saint Augustin, la vénérée Sœur Gertrude Marie disait: «Ce fleuve part du sein même de Dieu», ce qu'il faut entendre du Cœur de Notre-Seigneur, source de toute grâce. - L'office du Sacré-Cœur nous l'atteste: «De lui découle la grâce comme un fleuve à sept branches:

Ex hoc perennis gratia

Ceu septiformis fluvius».

Psaume 45, verset 4. - «Un fleuve impétueux verse la joie dans la cité de Dieu - Fluminis impetus laetificat civitatem Dei».

C'est toujours la source de vie, figurée par le fleuve mystérieux du Paradis terrestre. Ce sont les sources du Sauveur promises par Isaïe: «Vous puiserez avec joie aux sources du salut».

Psaume 63, verset 7. - Ce psaume est une plainte et une prière de David persécuté par Saül, mais il est en même temps une allusion à la Passion du Sauveur et une prédiction.

Le verset 7 est appliqué par saint Augustin au Sacré-Cœur: Accedet homo ad Cor altum et exaltabitur Deus. «Le Christ viendra, il se recueillera en son Cœur humble et profond, où il a résolu de se manifester sous la forme d'un esclave en cachant sa divinité; mais son Père le glorifiera et sa Sagesse divine apparaîtra quand on verra qu'il s'est humilié et qu'il s'est livré à la mort pour sauver le monde».

Cette interprétation est conforme à la version des Septante et au vieux texte grec, tel que l'ont connu saint Hilaire, saint Jérôme et saint Augustin.

Quelques modernes veulent en changer le sens à la suite des Rabbins. Mieux vaut s'en tenir au sens de saint Augustin et des Septante: «Le Christ s'humilie et se sacrifie au plus profond de son Cœur et son Père le glorifiera».

Cette vue de David semble bien correspondre à celle qu'il exprimait au psaume 39 et qui est rappelée par saint Paul (aux Héb., 10, 5). Le Christ vient s'offrir pour victime à la place des sacrifices inefficaces de l'Ancienne Loi, son Père l'accepte et il écrit cette volonté paternelle au plus profond de son Cœur, in medio Cordis. C'est la même pensée: le Cœur de Jésus recèle et conserve les desseins d'humiliation et de sacrifice du Sauveur.

Le psaume 67 est le chant de l'Ascension et de la Pentecôte. Saint Paul l'explique aux Ephésiens: «En s'élevant au ciel, dit-il, le Christ a délivré les captifs de Satan et il a reçu de Dieu le Père des dons pour les distribuer aux hommes. Ce sont les paroles mêmes du psaume: Ascendisti in altum, cepisti captivitatem, accepisti dona in hominibus».

Plusieurs psaumes rappellent le beau miracle figuratif du désert: «Moïse frappa le rocher et l'eau du salut coula par torrents». David le rappelle dans les psaumes 77, 104 et 113. «Le rocher, dit saint Paul, c'était le Christ». qui laissa déborder de son Cœur le torrent de la grâce.

Au psaume 77, David montre bien l'importance de ce symbole. Il aurait pu se contenter de dire que Dieu procura de l'eau aux Hébreux par un miracle, mais il se complaît à décrire ces torrents dont il sent l'importance figurative: «Dieu ouvrit la pierre au désert, dit-il, et il désaltéra les Hébreux comme par un abîme ou un torrent d'eau: Velut in abysso multa. Il fit sortir l'eau de la pierre et elle coula comme des fleuves: deduxit tanquam flumina aquas. Il frappa la pierre, l'eau coula et des torrents inondèrent le désert: et torrentes inundaverunt».

C'est là une magnifique figure des torrents de grâces, qui coulent du Sacré-Cœur.

Le psaume 95 annonce le règne du Christ, le jugement dernier et les joies éternelles qui le suivront: «La terre tremble, les cieux tressaillent de joie, le Christ vient juger tous les peuples et affermir son royaume». Enfin le psaume 109 mérite une mention particulière. C'est comme un résumé de la Rédemption: «Le Dieu du ciel a dit à mon Seigneur (au jour de son ascension): Asseyez-vous à ma droite pendant que je réduirai vos ennemis à vous servir de marchepied. Le Dieu des armées va faire sortir de Sion le sceptre de votre puissance et il étendra votre empire sur toutes les nations. Votre principauté est éternel selon l'ordre de Melchisedech. Le Seigneur est à votre droite pour combattre vos ennemis. Le Christ boira cependant de l'eau amère du torrent, puis il relèvera la tête et régnera».

Tout se trouve dans ce psaume, même les amertumes du Cœur de Jésus et son agonie sur les bords du Cédron.

Au psaume 101, le Sauveur est comparé au pélican du désert. Plusieurs des Pères de l'Eglise, comme saint Augustin et saint Isidore, ont vu là un symbole du Sacré-Cœur. La tradition chrétienne adopta cette interprétation. L'art chrétien nous offre comme symbole du Christ le pélican qui passe pour nourrir ses petits de son sang. L'oiseau mystérieux s'ouvre la poitrine pour que ses oisillons y viennent boire le sang vivifiant.

D. - Dans les Prophetes

Isaïe est à tous les points de vue le prince des prophètes, par la noblesse du sang, par la perfection du style, par l'importance et la précision de ses vues sur la Rédemption, qui l'ont fait classer comme un cinquième évangéliste.

Isaïe est de race royale, descendant de David par Joas, son aïeul, frère du roi Amasias, parent de Joathan, d'Achaz, d'Ezechias et de Manassès, sous les règnes desquels sa mission se continua. Il couronna sa glorieuse carrière par le martyre, livré par Mariasses au supplice de la scie.

Le Saint-Esprit a fait lui-même son éloge dans l'Ecclésiastique. «Isaïe, dit ce livre, fut un grand prophète, et fidèle aux yeux du Seigneur. Le soleil pendant ses jours retourna en arrière, et il ajouta plusieurs années à la vie du roi. Il vit la fin des temps par un grand don de l'Esprit, et il consola ceux qui pleuraient dans Sion. Il prédit ce qui devait arriver dans les siècles à venir, et il découvrit les choses secrètes avant qu'elles n'arrivassent» (eccl. c. 48).

Isaïe, en décrivant la venue du Sauveur, sa vie et sa Passion, ne pouvait pas manquer de nous révéler à chaque instant les vertus, les souffrances et les grâces du Sacré-Cœur. Il n'a guère de chapitres qui ne parlent de la Rédemption. Mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'il décrive le Sacré-Cœur comme on le ferait au XXe siècle. Il parle du Sacré-Cœur comme l'Evangile en parle, c'est-à-dire qu'il le décrit sans cesse, sans le nommer beaucoup. Il esquisse toute la vie du Sauveur, tous les dons, toutes les vertus de son cœur.

Au chapitre quatrième, il annonce le germe divin, le fruit glorieux de Juda, le Sauveur qui effacera les péchés de son peuple et qui répandra l'esprit de justice et de charité.

Mais comment le Rédempteur lavera-t-il les souillures de son peuple, si ce n'est par le sang de son Cœur et quel est cet esprit d'ardent amour qui le guidera, si ce n'est l'amour généreux de son Cœur: in spiritu judicii et spiritu ardoris.

Le Sauveur substituera à l'arche sainte un tabernacle nouveau qui sera pour les fidèles de la nouvelle loi un abri contre la chaleur du jour et une retraite salutaire, où ne pénétreront ni les tempêtes ni les orages. Quelle sera cette retraite? Nos sanctuaires, l'Eucharistie et mieux encore au sens spirituel le Cœur de Jésus.

Au chapitre 7, c'est la belle prophétie qui nous annonce qu'une Vierge enfantera et que son fils sera nommé Emmanuel, Dieu avec nous. C'est la vision de la Mère de Dieu avec son Fils tout aimable sur ses bras.

Le chapitre 9 développe la même vision: «Un petit enfant nous est né, un fils nous est donné. Il portera sur son épaule le signe de sa principauté. On l'appellera l'Admirable, le Conseiller, le Dieu fort, le Père du siècle futur, le Prince de la paix…». Ce signe de la royauté du Rédempteur n'est-ce pas la croix sur laquelle Notre-Seigneur présente son Cœur à la lance du centurion?

Si l'on tient à voir nommer par le prophète le Cœur même du Sauveur, voici le chapitre 11, où nous voyons la tige de Jesse donner sa fleur divine, et sur le Dieu sauveur ou dans son Cœur repose l'Esprit du Seigneur: «l'Esprit de Sagesse et d'Intelligence, de Conseil et de Force, de Science, de Piété et de Crainte de Dieu. Dans la miséricorde de son Cœur, il jugera les pauvres selon la justice et il se déclarera le juste vengeur des humbles».

Et ici le prophète va nommer le Cœur ou l'intérieur de Jésus, non pas selon le symbole latin du cœur, mais par les autres organes que citaient les Hébreux pour indiquer les émotions de l'âme: «La justice, y est-il dit, sera la ceinture de ses reins et la foi sera le bouclier de son côté, erit justitia cingulum lumborum ejus, et fides cinctortum renum ejus».

Au chapitre 42, voici le caractère du Messie, que Notre-Seigneur a résumé en ces mots: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur».

«Voici mon serviteur, dit le Seigneur, voici mon élu dans lequel j'ai mis toute mon affection. je répandrai sur lui mon esprit. Il enseignera la justice aux nations. Il ne criera point, il ne fera point acception de personnes, il ne brisera point le roseau incliné et n'éteindra point la mèche fumante…».

N'est-ce point là le type de l'extrême douceur?

Au chapitre 45, c'est le beau texte que l'Eglise aime à redire: Rorate coeli desuper… «Cieux, envoyez d'en haut votre rosée, et que les nuées fassent descendre le juste comme une rosée salutaire; que la terre s'ouvre et donne naissance au Sauveur et que la justice naisse en même temps que lui».

Le chapitre 60 est celui de l'Epiphanie où les Rois des nations apportent leurs présents au divin Enfant tout aimable.

Comme David, Isaïe rappelle plusieurs fois le beau miracle figuratif du désert, dont saint Paul nous a révélé le symbolisme:

Chapitre 48, verset 21 et chap. 49, verset 10: «Dieu a ouvert la pierre et des torrents d'eau salutaire ont découlé pour son peuple: Aqua, de petra produxit eis, scidit petram et fluxerunt aquae».

Toute la tradition a vu dans ces chapitres l'annonce des grâces de la Rédemption. Par un instinct mystique, les prophètes entrevoyaient l'ouverture du Cœur de Jésus.

Aux chapitres 55, verset 1 et 58, verset 11, Isaïe annonce encore les grâces du Sacré-Cœur. Au chapitre 55, le Sauveur parle prophétiquement et ses paroles expriment le même thème qu'il développera dans son entretien avec la Samaritaine et dans l'Apocalypse: «Vous tous qui avez soif, venez à moi, venez vous désaltérer aux sources de la grâce. Ces eaux sont douces comme le lait et fortifiantes comme le vin».

Le chapitre 61 décrit vraiment la miséricorde et la bonté du Cœur de Jésus: «Le Seigneur, dit le Messie, m'a sanctifié par l'onction divine; il m'a envoyé pour annoncer sa parole à ceux qui sont doux et humbles, pour guérir ceux qui ont le Cœur brisé de douleur, pour apporter la rédemption aux captifs et la liberté à ceux qui sont dans les chaînes, pour publier l'année du pardon…».

Je ne cite pas tous les chapitres où Isaïe décrit l'Eglise avec toutes les faveurs qu'elle devra à l'affection de son divin époux.

Mais le vrai chapitre du Sacré-Cœur, c'est le douzième. On ne l'a compris pleinement que depuis les manifestations du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial.

Il n'est pas téméraire de penser que ce chapitre prédisait l'effusion des grâces du Sacré-Cœur spéciale à notre temps.

L'Eglise nous autorise à le croire en empruntant les paroles de ce chapitre pour l'office du Sacré-Cœur: «En ce jour-là, dit le prophète, vous chanterez ce cantique: Je vous rends grâce, Seigneur, de ce que votre colère s'est apaisée et vous m'avez consolé. Je sais maintenant que mon Dieu est mon Sauveur. J'aurai confiance, je ne craindrai plus; le Seigneur est ma force et ma gloire, il s'est fait mon salut. Peuples, vous puiserez avec joie aux sources du Sauveur: Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris. Chantez les louanges du Seigneur, publiez sa magnificence; maison de Sion, tressaillez de joie parce que le Saint d'Israël est au milieu de vous pour vous bénir».

C'est le cantique du Sacré-Cœur. Les sources du Sauveur sont les grâces qui découlent du Cœur divin de Jésus-Christ.

Mais au chapitre onzième, lui-même, je trouve une belle prophétie du Sacré-Cœur que je n'ai pas encore vue signalée. Ce chapitre annonce deux levées d'étendard du Christ, aux versets 10 et 12.

Au verset 10, c'est le signe de la croix, le signe du Fils de Jessé, dont le tombeau sera glorieux. C'est par l'étendard de la croix que se fera la diffusion de l'Eglise parmi les nations: Ipsum gentes deprecabuntur.

Mais plus tard le Seigneur interviendra à nouveau pour ramener les restes d'Israël: Adjiciet Dominus secundo manum suam ad possidendum residuum populi sui. Il s'agit bien d'une seconde campagne du Sauveur. Il levera un nouvel étendard. Il le présentera aux nations, mais par lui atteindra le peuple d'Israël: Et levabit signum in nationes, et congregabit profugos Israel et dispersos Juda.

Et ce qui nous autorise à penser qu'il s'agit bien là de l'étendard du Sacré-Cœur, c'est que cette annonce est immédiatement suivie du beau chapitre XII, où personne n'hésite plus aujourd'hui à reconnaître la prophétie du règne splendide du Sacré-Cœur: «Vous puiserez avec joie aux sources du Sauveur… Louez le Seigneur, il a fait des choses merveilleuses, annoncez-le par toute la terre. Maison de Sion, tressaille de joie et bénis Dieu parce que le Saint d'Israël vient à toi avec sa magnificence… ».

Confiance! l'étendard du Sacré-Cœur régnera sur le monde et préparera la conversion d'Israël.

Le Chapitre 53, tout entier consacré à la Passion et à ses fruits, mérite aussi une mention spéciale. La Passion, c'est la manifestation du SacréCœur. L'Eglise nous fait lire les plus beaux textes de ce chapitre dans les offices du Sacré-Cœur et de la Passion. «Le Sauveur a pris sur lui nos péchés et les peines que nous devions subir, Vere languores nostros ipse tulit… Il a été percé de plaies pour nos péchés, Ipse autem vulneratus est propter iniquitates nostros. Il a été conduit à la mort comme un agneau qui va recevoir le coup de glaive… Isaïe a donc bien entrevu et annoncé le coup de lance du Sauveur et ses plaies sacrées.

* * *

Jérémie a beaucoup moins de vues sur le Messie et le Sacré-Cœur. Il a eu surtout la mission de publier dans Jérusalem les reproches et les menaces que le Seigneur faisait à cette ville infidèle, à ses princes, à ses prêtres, aux faux prophètes et au peuple, menaces d'ailleurs toujours tempérées par l'appel à la pénitence et la promesse du pardon à ceux qui se convertiraient.

Victime de sa mission, il a été persécuté par ce peuple ingrat. Il était la figure de Notre-Seigneur par ses souffrances et par sa mort, par son ardent charité et par son intercession dans l'autre vie. C'est de lui que parlait le grand-prêtre Onias quand il disait à Juda Macchabée, dans une vision: «C'est là le véritable ami de ses frères et du peuple d'Israël: c'est Jérémie, le prophète de Dieu, qui prie beaucoup pour ce peuple et pour la ville sainte».

Jérémie a quelques vues bien formelles sur le Messie, sur sa justice, sa sainteté et la bonté de son Cœur.

Au chapitre 23, verset 5: «Le temps vient, dit le Seigneur, où je susciterai un héritier de David qui régnera dans la justice et l'équité et qui sauvera Israël et Juda…».

Au chapitre 30: «Le temps viendra où les Israélites serviront fidèlement le Seigneur, leur Dieu, et le fils de David, leur roi, que je leur susciterai. Ne craignez donc pas, ô Jacob, mon serviteur, car je vous délivrerai».

Au chapitre 33, nouvelles promesses de salut, de relèvement et de paix. Jérémie annonce en même temps le retour des Israélites de la captivité et le salut général par le Christ et l'Eglise: «On entendra encore, dit-il, dans Jérusalem des cris de joie et des chants d'allégresse, des cantiques de l'époux et de l'épouse, mêlés aux voix qui diront: Bénissez le Dieu des armées, parce qu'il est bon et que sa miséricorde est éternelle». Le vrai cantique de noces, ce sont les chants de la liturgie, dans lesquels le Christ et l'Eglise, l'Epoux et l'Epouse expriment les sentiments de leur cœur.

* * *

Les prophéties d'Ezéchiel ont bien des rapports avec celles de Jérémie, mais le style en est plus élevé. Il a écrit pendant la captivité du roi Joachim à Babylone. Il confondait les faux prophètes et annonçait de nouveaux châtiments pour les juifs dont il voyait en esprit les abominations commises jusque dans le sanctuaire.

Mais il a aussi quelques vues sur la Rédemption, sur l'humanité du Sauveur, sur la bonté de cœur du Pasteur de la nouvelle alliance. Chapitre 17. - Nabuchodonosor avait dit: «Je prendrai un rameau au sommet des cèdres pour le replanter dans la terre de Juda». Il voulait dire qu'il prendrait Sédécias, un rejeton de la race royale, pour le remettre sur le trône de Jérusalem. Mais le Seigneur dit par son prophète: «C'est moi qui prendrai un rejeton de la pure moelle des cèdres, pour le planter sur une haute montagne et il deviendra un grand arbre et il abritera tous les oiseaux sous son ombre…».

Dieu voulait parler du Messie, rameau de la tige de Jessé, qui sera le Sauveur, le protecteur et l'abri de tous les fidèles, et son Cœur sera comme le nid où se blottiront les âmes mystiques.

Chapitre 34. - C'est le Bon Pasteur. Dieu dit: «Je viendrai moimême chercher mes brebis et les visiter. Je les délivrerai et je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, le long des ruisseaux et dans les pâturages les plus fertiles. Je les ferai paître moi-même et les ferai reposer…». Il y a là tous les traits de la bonté du divin Pasteur. Il nourrit ses brebis par les sacrements, il les fait reposer sur son sein.

Au verset 23, le Seigneur se répète et s'explique: «Je susciterai, dit-il, un Pasteur unique, mon serviteur David (ou plutôt son descendant); il aura soin de mes brebis. Je serai leur Dieu; et mon serviteur, le vrai David, sera au milieu d'elles comme leur prince».

Au chapitre 37, c'est la même pensée: «Je prendrai les enfants d'Israël pour n'en faire qu'un seul peuple sous un même roi. Je les purifierai de leurs péchés. Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. Mon serviteur David régnera sur eux et sera leur Prince pour toujours. Ils garderont mes commandements. Je ferai avec eux une alliance de paix, une alliance éternelle. Mon tabernacle sera chez eux pour toujours, et les nations sauront que c'est moi qui suis le Seigneur, et le sanctificateur d'Israël». C'est toute l'histoire de l'Eglise que le Bon Pasteur comble de ses bienfaits en lui prodiguant les tendresses de son Cœur.

Le chap. 47 d'Ezéchiel est comme un hymne au Sacré-Cœur. Le prophète prend un ton plus élevé. Il voit sortir du sanctuaire et du côté droit du Temple une source qui devient un torrent et qui va répandre ses eaux dans toute la terre sainte en portant partout la fécondité et la vie. Ce sont bien les eaux du Sacré-Cœur.

Saint Isidore et saint Athanase ont vu là le sang du Christ, sortant de la blessure de son côté, pour inonder le monde de sa grâce.

Tout le chapitre d'Ezéchiel est à étudier dans ce sens. Le torrent traverse le désert et va à la mer: la grâce du Sacré-Cœur se répandra partout. Les eaux contiennent d'innombrables poissons grands et petits. Sur les bords du torrent croissent des arbres variés. Les grâces du Sacré-Cœur toujours fécondes donneront plus ou moins de fruits selon les dispositions de ceux qui les recevront.

Le Sacré-Cœur est comme le fruit de l'arbre de vie.

Les fruits de l'arbre sont un aliment et ses feuilles un remède. Le Sacré-Cœur nous alimente par l'Eucharistie et par la grâce; il nous guérit par sa Passion et par la pénitence qu'il nous inspire.

* * *

Daniel est une aimable figure du Sauveur. Les premiers chrétiens aiment à le représenter dans la fosse aux lions pour rappeler le Christ entouré de ses bourreaux et les martyrs dans leurs supplices.

Daniel a vu en résumé tout le cours de l'histoire jusqu'au Messie d'abord et ensuite jusqu'au jugement dernier.

Au chapitre 7e, il voit le Fils de l'homme qui s'avance vers l'Ancien des jours. Les anges le présentent à l'Eternel, et Dieu lui donne la puissance, l'honneur et la royauté, et tous les peuples le serviront.

Au chapitre 9, c'est la grande prophétie qui fixe la date de la venue du Sauveur: «Encore soixante-dix semaines d'années, dit le prophète, et les péchés des hommes seront effacés, les prophéties seront accomplies et le Christ, le Saint des Saints, recevra l'onction divine. Il sera mis à mort. Le peuple déicide sera puni. Jérusalem sera détruite et le sanctuaire sera dévasté». Voilà bien la Passion du Sauveur, les souffrances de son Cœur et l'avènement de la loi nouvelle.

* * *

Jonas est la figure du Sauveur par son séjour dans ce mystérieux tombeau qu'est le ventre du poisson. Là, il prie en son cœur pour obtenir sa délivrance, comme le Sauveur, dans le psaume quinzième, prie pour sa résurrection.

* * *

Michée nous a donné la belle prophétie qui désigne Bethléem pour le lieu de naissance du Sauveur. Là, naîtra le Bon Pasteur qui convertira les fils d'Israël et qui réunira tous les peuples dans la paix. C'est toujours le Messie, fils de David, au Cœur généreux, dévoué et pacifique.

* * *

Aggée annonce la venue du Désiré des nations. Il honorera de sa présence le nouveau Temple, le temple restauré par Zorobabel. La gloire de cette maison du Seigneur sera grande parce que le Messie y apportera la paix au monde.

* * *

Zacharie a de belles prophéties. Il prédit la venue du Messie, sa naissance de la tribu de Juda, son entrée dans Jérusalem et diverses circonstances de sa vie et da sa mort.

«Ecoutez, grand-prêtre, dit-il au chapitre 3, je vais faire l'Orient qui est mon serviteur, Adducam servum meum orientent. Il sera la principale pierre de mon temple. Il y a sept yeux sur cette unique pierre, et je la taillerai et graverai moi-même, et j'effacerai l'iniquité de cette terre».

Oui, le Christ qui est la pierre fondamentale a sept yeux, qui sont les dons de l'Esprit-Saint. Et Dieu sculptera cette pierre par les clous de la croix et par la lance du soldat.

«Fille de Sion, soyez comblée de joie, dit ailleurs Zacharie, poussez des cris d'allégresse, voici votre Roi qui vient à vous, ce roi juste qui est le Sauveur; il est pauvre et il est monté sur une ânesse et sur le poulain de l'ânesse», ce qui montre qu'il ne veut régner que par la douceur et la charité.

Mais voici dans les chapitres 12 et 13 des prophéties formelles sur le Sacré-Cœur, comme en témoigne saint Jean qui cite Zacharie à l'occasion de l'ouverture du Cœur de Jésus par le centurion.

«Je répandrai, dit le Seigneur, sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de prières; ils regarderont mon côté qu'ils auront transpercé, Aspicient ad me quem confixerunt; et ils pleureront comme on pleure un fils unique… En ce jour-là, il y aura une source ouverte pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem, Erit fons patens domui David, pour y laver les souillures du péché… Et le peuple dira au Messie: D'où viennent ces plaies que vous avez au milieu des mains? Il répondra: j'ai été transpercé ainsi dans la maison de ceux qui disaient qu'ils m'aimaient. Dieu l'a voulu, il a dit: O glaive! réveilletoi, viens contre mon pasteur, contre l'homme qui m'est uni, frappe le pasteur et les brebis seront dispersées, mais j'étendrai ma main sur les petits pour les sauver…».

L'Eglise ne manque pas de citer ces textes dans les offices de la Passion et du Sacré-Cœur.

Au chapitre 14, Zacharie rappelle encore cette source d'eaux vives du Cœur de Jésus, ouverte à toute l'Eglise pour l'inonder de grâces.

* * *

Malachie est le prophète de l'Eucharistie, qui est le don du Cœur de Jésus et le renouvellement de son sacrifice.

«Je ne veux plus de vos sacrifices, dit le Seigneur aux lévites. Bientôt, du levant au couchant, mon nom sera grand parmi les nations, on m'offrira partout des sacrifices et on me présentera en tout lieu une oblation toute pure, In omni loco sacrificatur, et offertur nomini meo oblatio munda» (Chap. 1er).

Et plus loin: «Je vais envoyer mon ange, qui préparera la voie devant moi; et aussitôt viendra le Seigneur que vous cherchez et l'Ange du testament que vous désirez. Le voici qui vient, il sera comme le feu qui fond les métaux et comme l'herbe des foulons. Il purifiera les enfants de Lévi et le sacrifice de Juda sera agréable au Seigneur comme ceux des patriarches. .. ».

Voilà bien le Sacré-Cœur, le feu ardent qui purifie les âmes et l'agneau immolé agréable au Seigneur comme le sacrifice d'Abel. Sans doute, en toutes ces citations les prophètes ne nomment pas explicitement le Sacré-Cœur, mais l'esprit de Dieu qui annonçait le Messie, l'Agneau divin et la victime réparatrice ne pouvait pas avoir d'autre objectif que le Cœur du Sauveur, dans lequel se réconcilieraient l'humanité et la divinité.

* * *

Pour compléter l'esquisse du Sacré-Cœur dans l'Ancien Testament, il faut encore montrer comment Dieu y a des amis et des consolateurs dans le cœur desquels il se complaît, comme il se complaira dans le Cœur de son Fils bien-aimé.

La plupart ont déjà été nommés dans cette étude, Rappelons leur nom brièvement.

C'est Abel d'abord, qui offre à Dieu des sacrifices de choix. Dieu considère ses présents avec satisfaction. (Gen., 4, 4).

Plusieurs autres sont loués au livre de l'Ecclésiastique (Chap. 44 et suivants).

Hénoch était agréable à Dieu.

Noé, au temps de la colère divine, fut un consolateur et un réparateur: factus est reconciliatio.

Abraham surpassa tous les autres en fidélité et Dieu lui a voué une complaisance impérissable.

Il en fut de même d'Isaac et de Jacob.

Juda, qui protégea Joseph, la douce figure de Jésus, plut à Dieu et en reçut la promesse d'être le père du Messie.

Moïse, dit le texte sacré, fut aimé de Dieu et des hommes et sa mémoire est en bénédiction.

Aaron aussi fut un consolateur et sa famille reçut en récompense la perpétuité du sacerdoce.

Samuel était aimé du Seigneur, son Dieu: dilectus a Domino Deo suo. David surtout fut un préféré, comme un morceau choisi dans la victime du sacrifice: quasi adeps separatus a carne.

Isaïe compte parmi les plus glorieux amis de Dieu, et il est réservé pour être encore à la fin des temps un réparateur et le réconciliateur des juifs avec le Sauveur: qui scriptus es in judiciis temporum lenire iracundiam domini, conciliare cor patris ad filium et restituere tribus Jacob.

Ezéchias a fait ce qui était agréable à Dieu: fecit quod placuit Deo. La mémoire de Josias est semblable à un bouquet de parfums. Les Macchabées n'ont rien à envier aux précédents.

Dieu a toujours désiré des consolateurs et des répareteurs. Il dit dans Ezechiel (ch. 22): «J'ai cherché un homme qui s'interposerait comme une barrière entre moi et la terre pour que je ne la frappe pas».

Et dans Joël, Dieu indique ce rôle à tous les prêtres: «Entre le vestibule et l'autel les prêtres, ministres du Seigneur, pleureront et diront: Pardon, Seigneur, épargnez votre peuple, Parce Domine, parce populo tuo».

Mais le Christ, le Verbe incarné, qui est tout Cœur, demande encore plus instamment la réparation et la consolation. Il emprunte la bouche de David pour nous dire: «J'ai cherché des consolateurs, j'ai cherché des amis qui pleureraient avec moi, et je n'en ai pas trouvé (autant que je voudrais), Sustinui qui simul contristaretur, quaesivi qui me consolaretur, et non inveni» (Ps. 68).

C'est l'appel du Sacré-Cœur à la réparation, formulé par avance dans l'Ancien testament.

Chapitre III

Le Sacré-Cœur de Jésus dans l'Evangile

Le Cœur de Jésus, l'amour de Jésus, c'est tout l'Evangile.

Jésus est venu sur la terre par amour pour son Père et par amour pour nous.

L'Evangile, c'est la vie de Jésus, c'est la récit de cette grande manifestation d'amour qui a duré trente-trois ans.

Ouvrez saint Jean: Le Verbe était en Dieu et il était Dieu, mais il s'est fait homme: il a déifié la nature humaine en s'unissant à elle par l'Incarnation; il s'est abaissé jusqu'à nous pour nous élever jusqu'à lui. Il nous a donné le glorieux privilège de l'adoption et de la filiation divine.

Il est venu «plein de grâce et de vérité», plein de douceur et d'amabilité, le Cœur plein d'amour et les mains pleines de ses dons.

Il est venu pour être l'Agneau de Dieu, Ecce agnus Dei, l'agneau victime, l'agneau immolé, l'agneau au cœur transpercé par la lance.

Le premier, chapitre de saint Jean annonce et résume tout l'Evangile: Jésus est l'amour même, il est plein de grâce et d'amabilité, il mourra par amour pour nous.

Il n'y a pas à chercher dans l'Evangile autre chose que l'amour de Jésus, depuis son Incarnation jusqu'à sa mort.

Ce que saint Jean insinue dans le premier chapitre de son Evangile, il le répète dans ses Epîtres: Toute la Rédemption est amour, nous dit-il… Voyez de quel amour Dieu nous a aimés, puisqu'il nous a faits ses enfants d'adoption… On reconnaît son amour en voyant qu'il a envoyé son Fils unique dans le monde pour nous sauver… Et le Fils de Dieu nous a aimés jusqu'à donner sa vie pour nous.

Le Verbe s'est incarné, c'est par amour pour nous. Jésus est né dans la pauvreté à Bethléem, c'est par amour. Il s'est offert au Temple, c'est pour commencer son sacrifice d'amour. Il a vécu dans la pauvreté et le travail, c'est toujours par amour. Il a prêché, il a guéri les malades, consolé les affligés, organisé son Eglise, c'est toujours par amour pour nous.

Et nous ayant aimés toujours, cum dilexisset suos, il nous a aimés davantage encore, si c'est possible, à la fin de sa vie, in finem dilexit eos, en souffrant, en mourant pour nous et en nous laissant l'Eucharistie.

L'autre grand apôtre théologien, saint Paul, ne résume pas autrement l'Evangile: il écrit à Tite: C'est la grâce de notre Dieu Sauveur, qui s'est manifestée à nous. Il s'est donné pour nous, afin de nous délivrer du péché et de nous former à la vertu… C'est la bonté, la bénignité, l'humanité du Sauveur qui s'est manifestée à nous pour nous sauver par sa mort et nous justifier par sa grâce…

Tout l'Evangile est là, c'est l'histoire du Sacré-Cœur.

Quand donc nous cherchons les manifestations du Sacré-Cœur dans l'Evangile, nous voulons seulement voir s'il n'y a pas dans cette histoire complète des grands mystères d'amour du Sauveur, des manifestations très spéciales de son Cœur, des pages où son Cœur est nommé et signalé comme l'inspirateur, la source, le lieu propre et le tout de ces mystères d'amour.

Et ces pages, nous les trouvons. Cette longue vie de trente-trois ans, tantôt mystérieuse et cachée, tantôt publique et agitée, Jésus lui-même la résume comme la manifestation de son Cœur: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur» (S. Mat., XI, 29). Nous ne trouverons que cela dans ces trente-trois années: un Cœur toujours humble et doux.

Le grand mystère de l'Eucharistie est symbolisé par le repos de Jean sur le Cœur de Jésus. Et la Passion est résumée par l'ouverture du Cœur de Jésus. Le Cœur de Jésus, c'est tout l'Evangile.

En quoi consiste, en effet, selon la théologie la plus précise, la dévotion envers le Cœur Sacré de Jésus? «Elle consiste, dit Clément XIII dans la Bulle d'institution de la fête, à reconnaître et à honorer, sous le symbole du Cœur de Jésus, tout l'amour dont il aima les hommes, mais surtout l'amour qu'il leur montre en mourant pour eux sur le Calvaire et en instituant l'Eucharistie, vivant souvenir de sa mort».

Ainsi, trois éléments dans la dévotion au Sacré-Cœur:

Le Cœur de Jésus nous aimant dans toute sa vie mortelle;

Le Cœur de Jésus nous manifestant son amour au Cénacle et dans l'Eucharistie;

Le Cœur de Jésus nous prouvant son amour au Calvaire en se laissant ouvrir par la lance.

A. - Le Cœur de Jésus pendant ses trente-trois années de vie prives et publique

Discite a me quia mitis sum et humilis Corde. (Mat. XI, 29).

Sicut dilexit me Pater, et ego dilexi vos… (Jean, 15, 9).

Bonus homo de bono thesauro cordis sui profert bonum… Ex abundantia enim cordis os loquitur (Luc, VI, 45).

«Apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur» (Mat., XI, 29).

«Comme mon Père m'a aimé, je vous ai aimés» (Jean, 15, 9).

«L'homme bon tire de bonnes paroles du beau trésor de son Cœur… C'est en effet de l'abondance du cœur que parle la bouche» (Luc, VI, 45).

C'est dans toute la vie de Jésus que son Cœur se manifeste.

Il s'offre à son Père.

Il s'immole lentement dans l'humilité, la pauvreté, l'obéissance et le travail.

Il se dépense dans sa vie apostolique. Il compatit, il console, il aime, il guérit, il pleure, il prie. C'est toujours son Cœur qui agit et qui inspire tous ses actes, un Cœur d'ami et de frère.

Dans ce bouquet de fleurs qui sont toutes des fleurs d'amour et d'immolation, choisissons quelques fleurs, comme ferait la bouquetière de saint François de Sales.

Voici d'abord saint Paul, qui nous présente le Cœur de Jésus dans l'Incarnation.

Saint Paul écrivant aux Hébreux (chap. X), cite et explique le psaume 39. Il nous montre le Sauveur entrant dans le monde par son Incarnation et il nous décrit son premier battement de cœur, son premier acte, sa première pensée. Le Sauveur dit à son Père: «Vous n'avez plus voulu des sacrifices de l'Ancienne Loi, voici que je viens à la place de ces victimes (inefficaces). Ecce venio. Je viens pour accomplir votre volonté qui est écrite dans mon Cœur». Vous m'avez donné un corps, une vie humaine, je viens m'offrir aux souffrances réparatrices et au glaive de l'immolation, à la place des agneaux de la loi mosaïque. Et legem tuam in medio cordis mei. Voilà bien le Cœur de Jésus nommé, signalé et montré, comme l'organe de la réparation, comme l'autel, le prêtre et la victime du sacrifice. C'est en son Cœur que Jésus s'offre pour nous.

Avançons. Nous voici à Bethléem. Le Cœur de Jésus-enfant bat sous la main de Marie qui offre au ciel ces battements sacrés, et les anges chantent: «Paix aux hommes de bonne volonté». Paix aux hommes par la rédemption, par le sacrifice du Cœur de Jésus, paix aux hommes par la grâce, par la vérité, par la charité, par les enseignements et les exemples de celui qui dira: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur et vos âmes trouveront la paix (dans mon imitation)».

Voici bientôt la Présentation de Jésus au Temple. C'est la victime qui est offerte, c'est le véritable Agneau de Dieu. Il n'est racheté que provisoirement, il sera immolé un jour, son Cœur sera percé par la lance. Le prêtre Siméon l'annonce: «Jésus sera en butte aux contradictions et le cœur de Marie sera transpercé par un glaive»; mais quel est ce glaive? C'est la lance qui ouvrira le Cœur de Jésus sous les yeux de Marie.

Les Mages viennent. Ils apportent des dons symboliques. Mais personne ne s'y est mépris: les Pères de l'Eglise, comme les écrivains mystiques, voient dans ces dons une représentation des actes du Cœur de Jésus. L'or, l'encens et la myrrhe, l'amour, la prière et le sacrifice, c'est tout le Cœur de Jésus, c'est tout ce qu'il offrira à son Père; c'est tout ce que nous devons offrir au Sacré-Cœur et avec lui à Dieu le Père, pour la réparation, pour l'holocauste et la prière.

Les trente ans de la vie de Jésus en Egypte et à Nazareth se résument en un mot: «Il était obéissant, erat subditus illis». «Apprenez de moi, dira-t-il, que je suis doux et humble de Cœur», doux et humble, obéissant, laborieux, soumis, aimant.

Voilà le Cœur de Jésus, modèle de toute vie chrétienne. La prédication évangélique n'a pas de meilleur modèle à nous donner pour la formation de notre cœur: imitons les dispositions du Cœur de Jésus, ayons comme lui un cœur humble, obéissant et doux.

Une gracieuse tradition rapporte que Jésus-enfant et adolescent avait toujours le sourire sur les lèvres, le doux sourire qui témoigne de la paix du cœur, de la charité et de la joie céleste. Les enfants de Nazareth disaient: Allons à celui qui est la douceur même: eamus ad suavitatem. Allons aussi à lui pour l'imiter.

Nous arrivons à sa vie publique. Jean-Baptiste prêcha une grande mission de pénitence au bord du Jourdain. Jésus y va pour donner l'exemple. Il s'adonne à la pénitence plus que les autres, il fait trente jours de jeûne dans une grotte au désert. Il a pris sur lui le poids et la responsabilité de nos péchés. Il les pleure, il les expie, il les répare. Son Cœur est brisé et humilié: Cor contritum et humiliatum. Mais Dieu se complaît dans ce Cœur qui s'est fait victime de pénitence et d'expiation pour ses frères, et il proclame cette complaisance quand Jésus va recevoir le baptême de Jean: «C'est là mon Fils en qui j'ai mis ma joie, dit une voix céleste: Hic est filius meus in quo complacui».

Jean-Baptiste reconnaît et salue l'Agneau de Dieu, l'Agneau divin dont le Cœur sera percé par le glaive.

Jésus va commencer son apostolat. Son Cœur est un aimant qui attire tous les cœurs. André et Jean l'ont vu, ils ne peuvent plus le quitter. Ils le suivent et passent la nuit à l'écouter.

Bientôt Pierre, Jacques, Barthélemy et tous les douze seront gagnés par la séduction de ce Cœur aimant.

Nous voici au festin de Cana. C'est Marie d'abord qui a compassion des époux, mais les Cœurs de Marie et de Jésus ne font qu'un. Jésus a compassion aussi, il change l'eau en vin et les urnes sont remplies jusqu'au bord, et du vin le meilleur.

Jésus va choisir et réunir ses apôtres. Il les regarde, il les aime, il les appelle, c'est tout un. Tout son Cœur passe dans son regard pénétrant d'amour: «Intuitus eum dixit. Tu es Simon, tu vocaberis Cephas». Il dit à tous: «Venez à moi, suivez-moi». Cela veut dire: Venez avec moi, parce que mon Cœur vous aime et vous veut auprès de lui (Joan, 1, 42).

Dès lors Jésus prêche la pénitence, au bord du lac de Tibériade et dans toute la Galilée. Son Cœur déborde encore des sentiments qu'il a nourris pendant sa retraite au bord du Jourdain.

Il guérit tous les malades, qu'on lui amène en grand nombre (Mat., 4, 23). La grande pitié de son Cœur pour toutes nos misères ne sait plus se contenir.

Il est dévoré du zèle apostolique. Il réunit sur la montagne trois mille, quatre mille auditeurs. Il annonce la loi d'amour qui va succéder à la loi de crainte du Sinaï.

«Bienheureux ceux qui ont l'esprit de pauvreté, ceux qui sont doux, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif de la justice, les miséricordieux, les pacifiques, ceux qui ont le cœur pur». C'est-à-dire: Bienheureux ceux qui imitent le détachement,. la pureté, la douceur, la bonté, la patience du Cœur de Jésus.

Il développe ce thème et conclut en disant: «Aimez-vous les uns les autres. Aimez même vos ennemis. Imitez le Cœur de Dieu qui est bon pour tous».

Les apôtres le voyaient prier. Ils désiraient savoir quelle prière il formulait en son Cœur. Ils le lui demandent, et Jésus leur enseigne la prière de son Cœur, le Pater, qui sera notre prière jusqu'à la fin du monde (Mat., 6).

Il leur recommande l'abandon, qui est la confiance d'un cœur aimant:

«Ne soyez pas inquiets, leur dit-il, votre Père vous aime, il aura toujours soin de vous. - Priez-le, il vous exaucera».

Voici maintenant une série de beaux miracles, où l'on voit la bonté du Cœur de Jésus en action.

Saint Mathieu, chapitre VIII: Comme Jésus descendait de la montagne, les foules gagnées par son affabilité le suivaient. Un lépreux a la confiance de lui demander sa guérison. «Oui, dit Jésus, sois guéri». Puis c'est le centurion qui vient avec une grande foi demander la guérison d'un jeune serviteur. Jésus est touché, il loue la grande foi de cet étranger.

Jésus s'arrête à Capharnaüm, chez saint Pierre. La belle-mère de Pierre est malade. Jésus aime cette famille, il touche la main de cette femme et elle est guérie.

Le soir, les apôtres sont éprouvés par la tempête sur le lac. Ils ont peur. Mais Jésus leur dit: N'avez-vous pas confiance en ma bonté? - Et d'un signe il calme la tempête.

S. Mathieu, chapitre IX: Voici le paralytique, Jésus admire sa foi et lui dit: «Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis». Puis il ajoute: «Lève-toi, prends ton grabat et va-t'en». Les Pharisiens murmuraient. Jésus se plaint de leur mauvais cœur, lui qui n'avait dans le sien que des pensées de pardon et d'amour.

Vient ensuite Jaïre, le chef de la synagogue. Sa fille est morte, il a confiance que Jésus peut la lui rendre. Jésus le suit. En chemin, il guérit l'hémorroïsse. Arrivé à la maison, il prend la main de l'enfant et elle se lève.

Deux aveugles le suivent: «Avez-vous foi, leur dit-il, en ma puissance, en ma bonté? - Oui, répondent-ils. - Eh bien! soyez guéris».

Puis, c'est un sourd-muet. Et d'ailleurs il guérissait tous les malades, tous les infirmes: Sanabat omnem languorem et omnes infirmitates.

Il regardait tout ce monde, son Cœur était ému. Il avait pitié de tous ces pauvres gens, si mal dirigés par les lévites dégénérés. Il avait hâte de voir surgir le sacerdoce nouveau, il disait à ses disciples: «Ces foules misérables sont comme un troupeau sans pasteur, la moisson est grande, priez donc le Maître d'envoyer des ouvriers pour la récolte».

C'est dans ces jours-là qu'il appela saint Mathieu à l'apostolat, et comme il avait accepté de dîner avec le publicain et ses amis, plusieurs murmuraient. Mais il proclama la générosité de son Cœur en rappelant ce passage de l'Ecriture qu'il citera encore plus tard: «Ce que je veux, c'est la miséricorde (la bonté du cœur), plutôt que le sacrifice: Misericordiam volo et non sacrificium».

Au chapitre X de saint Mathieu, c'est la mission des apôtres. Le Cœur de Jésus s'y révèle encore. (Je vous envoie, leur dit-il, comme des brebis au milieu des loups…». C'est-à-dire: Vous imiterez ma douceur, ma bonté, ma patience. Et pour bien marquer son affection pour eux, il ajoute: «Celui qui vous reçoit me reçoit. Ne vous donnât-il qu'un verre d'eau, il en aura la récompense».

Au chapitre XI, nous avons un des plus tendres épanchements du Cœur de Jésus: «Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes dans la peine, et je vous soulagerai. Prenez mon joug, il est doux. Soyez comme moi, doux et humbles de cœur, et vos âmes jouiront d'une grande paix».

Au chapitre XII, nouvel épanchement de son Cœur. On lui annonce que sa Mère et ses frères sont là pour l'attendre et il répond: «Mais vous tous qui m'écoutez et qui voulez faire la volonté de mon Père, vous m'êtes chers comme ma Mère et mes frères».

Le chapitre XIII donne les plus belles paraboles, qui sont toutes l'expression des sentiments du Cœur de Jésus. C'est d'abord la parabole du semeur, où Jésus décrit son propre zèle pour la prédication. Et il ajoute: «Beaucoup de juifs ont le cœur dur comme la pierre et ne veulent rien entendre, mais vous, vous avez bon cœur». Et il leur explique sa parabole.

Il leur montre dans un champ le bon grain et la zizanie. Mais le maître est patient, leur dit-il, et il attend la moisson pour séparer le bon grain.

Saint Bernard voit aussi un symbole du Sacré-Cœur dans la perle précieuse de la parabole: «Trésor précieux, perle rare que votre Cœur, ô bon Jésus, trouvée en fouillant le champ de votre corps! Qui pourrait rejeter cette perle précieuse? Je donnerai tout pour l'acheter» (Tract. de Passione. c. 3).

Pour encourager ses disciples et pour exciter leur zèle, Jésus compare la foi à un trésor et à une pierre précieuse. Et pour résumer ses paraboles, il termine en disant: «Voilà comment un bon maître tire du bon trésor de son cœur des arguments anciens et nouveaux» (Saint Luc, chap. 7).

Deux fois Notre-Seigneur multiplie les pains (Saint Mat., chap. XIV et XV). Une fois ils sont cinq mille hommes, une autre fois quatre mille. Ce sont de belles manifestations de la bonté du Cœur de Jésus: «J'ai pitié de cette foule, dit-il, voilà trois jours qu'ils me suivent et ils ont faim». C'était un miracle symbolique. Notre-Seigneur voulait signifier qu'il aurait toujours pitié des pauvres, particulièrement de ceux qui le suivraient et qu'il ferait tout ce qui serait nécessaire pour les soutenir. C'était aussi une figure du miracle eucharistique et à cette occasion Notre-Seigneur épanche son Cœur en un discours eucharistique que saint Jean nous a conservé. Le disciple aimant était plus apte que les autres à comprendre et à retenir ces effusions du divin Cœur. Notre-Seigneur nous y montre l'Eucharistie comme la source et le moyen de l'union avec lui. La communion nous fera vivre de sa vie, de la vie surnaturelle, de la vie de son Cœur: «C'est le pain du ciel que mon Père vous donne. Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura plus faim… Je suis le pain de vie, celui qui mangera de ce pain vivra éternellement. Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant, je vis en lui et celui qui me mange vivra pour moi…».

Tout ce chapitre exprime la vie du Cœur de Jésus en nous et notre vie dans le Cœur de Jésus par l'Eucharistie.

Quelques traits encore de l'indulgente miséricorde du Cœur de Jésus: voyez la Chananéenne, la Samaritaine, la femme adultère.

La Chananéenne a sa fille tourmentée par le démon. Elle demande un miracle. Notre-Seigneur paraît indifférent, mais c'est pour exciter et mettre en relief la foi de cette femme, et finalement il lui dit: «Femme, votre foi est grande, je vous accorde ce que vous voulez».

Comme il est bon pour la Samaritaine! C'est là une vraie scène du Sacré-Cœur. Ce puits de Samarie symbolise le Sacré-Cœur. «Si tu étais instruite, dit Jésus à cette femme, tu me demanderais à boire aux sources de la grâce, aux sources de mon Cœur… L'eau que je donne à boire, c'est une eau jaillissante pour la vie éternelle».

Nous avons déjà expliqué ce symbole à propos du Puits de Jacob dans l'Ancien Testament.

Comme il est bon aussi pour la femme adultère! Il éloigne ses accusateurs et il lui pardonne. Sa miséricorde pour les pécheurs éclate à chaque pas.

Au chapitre XVI, c'est la préparation de l'Eglise par les promesses faites à saint Pierre, et la prédiction de la Passion. Le Cœur de Jésus est tout ému de sa mort prochaine. Il désire cette mort pour notre salut. Il commence à expliquer à ses apôtres qu'il devra aller a Jérusalem, y souffrir persécution, mourir et ressusciter.

Au chapitre XVII, c'est la transfiguration de Jésus, sous les yeux de ses disciples préférés. C'est une grande marque d'amitié qu'il leur donne. Le chapitre XVIII marque toute la tendresse de Notre-Seigneur pour les enfants. Il les veut auprès de lui, il leur témoigne son affection, il ne veut pas qu'on les scandalise.

Plus loin il donne la parabole de la brebis perdue. Il faut rapprocher de ce chapitre les pages délicieuses de saint Jean sur le Bon Pasteur. C'est sous cette figure que les premiers chrétiens honoraient le Sacré-Cœur. Le Bon Pasteur a un Cœur bon et généreux. Il porte sur ses épaules ou sur son Cœur la brebis souffrante. Il donne sa vie, il donne le sang de son Cœur pour ses brebis.

La parole de Jésus «Ego sum pastor bonus» veut dire: je suis le Pasteur au Cœur aimant et dévoué, le Pasteur qui souffre et meurt pour ses brebis bien-aimées.

Le chapitre XIX organise la société chrétienne. Il met à sa base la famille et l'indissolubilité du mariage. Il dit l'excellence de la virginité pour ceux qui en ont la grâce. Le Sauveur y bénit les enfants avec une tendresse particulière pour nous montrer l'importance de l'éducation chrétienne. Il promulgue les conseils de perfection et prépare toute la floraison des ordres religieux. C'est en raccourci toute la vie sociale chrétienne, animée par l'esprit du Sacré-Cœur.

Au chapitre XX, comme quelques disciples manifestaient de l'ambition, Notre-Seigneur nous révèle le secret de son Cœur: «Je ne suis pas venu pour être servi, dit-il, mais pour servir et pour donner ma vie pour le salut de plusieurs».

Au chapitre XXI, c'est le triomphe de la douceur du Sauveur. Il fait son entrée à Jérusalem sur un ânon. Isaïe avait dit: «Fille de Sion, voici que ton Roi vient à toi plein de douceur, assis sur une ânesse suivie de son ânon».

Au chapitre XXII, c'est la parabole des noces royales. Le Roi fait inviter non seulement les notables et les riches, mais les petits, les pauvres, les déshérités. Puis Jésus résume toute la loi dans le précepte de la charité: «Vous aimerez votre Dieu de tout votre cœur et de toute votre âme, c'est le premier commandement. Vous aimerez votre prochain comme vous-même, c'est le second commandement, qui est semblable au premier».

Les chapitres XXIV et XXV nous préparent au jugement dernier. Mais quelle sera la grande loi de ce jugement? Ce sera le signe du Fils de l'homme, le signe de la croix, le symbole du Sacré-Cœur. Les pécheurs verront la croix, qu'ils ont dressée et le Cœur qu'ils ont transpercé, et ils seront saisis de frayeur et se condamneront eux-mêmes.

Les épisodes de Béthanie sont les plus touchants. Jésus a rencontré là des cœurs brûlants d'amour. Madeleine, convertie, aimait Jésus sans mesure et sacrifiait tout pour lui. Marthe et Lazare étaient admirablement dévoués à Jésus et aux apôtres. Jésus aimait cette famille qui lui était si attachée. Quand Madeleine est méprisée il la défend. Quand Lazare est malade, Jésus est ému; quand Lazare est mort, Jésus pleure, et le peuple dit: «Voyez, comme il l'aimait».

C'est qu'il aimait ardemment, Jésus! Comme il aimait saint Jean! Tout le monde le remarquait. Comme il aimait Pierre! Il l'avait regardé avec affection avant de l'appeler à l'apostolat: Intuitus eum, il le regarda encore avec tendresse pour le convertir. Il aimait André et Jacques et les prenait avec lui dans les principales circonstances de sa vie publique. Parfois, on ne correspondait pas à son affection. Il aima ce jeune homme qui vint le trouver pour se mettre à sa suite: Intuitus eum, dilexit eum; mais le jeune homme manqua de courage et se retira.

Les larmes sont une grande manifestation de l'affection. Jésus pleura sur Lazare. Il pleura aussi sur Jérusalem qui se montrait si ingrate. Les larmes semblent venir du Cœur et en attestent l'émotion.

Nous avons assez montré que tout l'Évangile est la manifestation du Cœur de Jésus.

B. - La revelation du Sacre-Cœur au cénacle
et dans l'eucharistie.
«erat recumbens in sinu jesu, (jean, xiii, 23)

En posant longuement sa tête dans le sein de Jésus, le disciple bien-aimé montre que l'amour répandu à profusion dans l'institution de l'Eucharistie vient du Cœur du Sauveur plein d'amour pour les hommes. Œuvre d'amour, l'Eucharistie appartient au Sacré-Cœur et le réclame comme son principe et son lieu d'origine. Saint Jean l'a appris au monde en allant faire son action de grâces pour le don inénarrable qu'il venait de recevoir au foyer même d'où il le savait venir, sur le Cœur de Jésus.

L'apôtre que Jésus aimait apparaît le révélateur du Sacré-Cœur, non pas inconscient comme Longin, mais choisi pour ce rôle par la prédilection du divin Maître et préparé à le remplir par une pureté virginale, jalousement gardée, par une fidélité généreuse et empressée, qui n'a point connu de défaillance au service de Jésus. Seul, un cœur pur et fidèle était digne de deviner le Cœur de Jésus et de recevoir la confiance de son plus grand amour.

«Erat recumbens unus ex discipulis ejus in sinu Jesu, quem diligebat Jésus: Un de ses disciples, celui qu'il aimait, était couché sur le sein de Jésus». Ce n'est pas au hasard que Jean occupait cette place à la Cène. Les juifs avaient pris des gentils la coutume de s'étendre pour les rapas sur des divans autour d'une table. Ils se mettaient trois sur chaque divan. La première place était au milieu, la seconde à gauche, la troisième à droite. (Corn. à Lap. in Cap. XIII Joan). Pierre, depuis longtemps désigné comme chef du collège apostolique, occupait tout naturellement la première place à la gauche du Sauveur. Jean devait la seconde place au choix de Jésus (Ibid). Jésus avait pour ce jeune disciple auquel l'attachaient d'ailleurs les liens du sang, une affection privilégiée. (Sanguine proxime attigit Christum, ejusque fuit consanguineus in secundo vel tertio gradu. Corn. a Lap. Procem. in Ep. Joan). Sa pureté angélique, sa jeunesse, son caractère affable, et le grand fonde de bonté de son cœur, toujours porté à la charité, avaient attiré l'attention du Sauveur, et il était son préféré, son Benjamin (Corn. in cap. XIII).

C'est bien le Cœur de Jésus que Jean cherche en reposant sur sa poitrine.

Les mots sinus, pectus, n'indiquent littéralement que l'enveloppe, mais moralement ils indiquent le cœur.

Qu'est-ce qui fait la valeur et la sécurité, la douceur et le charme de la poitrine d'un ami, dans les bras de qui l'on se jette en toute assurance à une heure d'angoisse, comme la barque s'enfuit dans une anse abritée quand gronde l'orage? Du giron maternel où se serrent avec empressement les enfants pour s'y sentir réchauffés et heureux? Qu'est-ce qui donne à la poitrine de l'homme cette chaleur et cette douceur, cette force et cette sécurité, ce prix et cette grandeur morale, sinon le cœur qu'elle renferme, le cœur qu'elle protège, le cœur qu'elle livre aussi, répercutant ses battements, transmettant sa chaleur, oppressée avec lui dans ses perplexités, dilatée dans sa joue, soulevée par ses enthousiasmes, vibrant à l'unisson de ses amours?

Et le cœur humain, ce n'est pas seulement l'organe vital qui vivifie le sang; c'est l'organe sensible de toutes les affections de l'âme, de ses désirs et de ses craintes, de ses amours et de ses haines, de ses joies et de ses douleurs morales. «Pectus est quod disertos facit», dit Quintilien. Il s'agit bien là du cœur et de la sensibilité morale. - «Amare toto pectore», dit Cicéron. Pectus a ici le même sens. - «Pectus Purum», c'est un cœur pur, une conscience droite. - «Pectus anxium», c'est une âme inquiète. - Enfin ce «Pectus amicitiae», dont parle Horace, n'est-ce pas le cœur de l'ami, cet organe de la vie, avec l'intelligence et l'amitié qui lui sont étroitement liées?

C'est sur le Cœur du Maître bien-aimé, ce Cœur de l'amitié par excellence, qu'a reposé saint Jean, à la Cène. - C'est ce Cœur qu'il cherchait pour consoler Jésus de la perfidie de Judas, pour adoucir la douloureuse indignation dont il frémissait devant l'endurcissement du traître. (Cum haec dixisset Jésus, turbatus est spiritu, et protestatus est, et dixit: Amen, amen dico vobis, quia unus ex vobis tradet me. Joan, XIII, 21). - C'est le Cœur de Jésus qu'il cherchait pour se consoler lui-même de la séparation prochaine, que le Maître bien-aimé venait d'annoncer et dont l'annonce avait rempli de tristesse tous les disciples. C'est ainsi qu'on presse en des étreintes plus tendres l'ami qui va partir. (Procumbebant super collum Pauli et osculabantur eum. Act. 20, 37). Il semble qu'en se serrant sur le cœur de l'ami, on y pénètre pour s'en emparer et le garder quand l'ami ne sera plus là. C'est le Cœur de Jésus qu'il cherchait surtout quand, ayant entendu les paroles solennelles de la consécration, ayant vu Jésus rompre le pain eucharistique et changer dans le calice le vin en son sang, il eut reçu sa part de la chair et du sang de son Bien-aimé! Eperdu alors d'admiration et de reconnaissance, ne sachant comment l'exprimer, il étreignit plus étroitement Jésus, et, les yeux fixés amoureusement dans ceux du Sauveur, il mit son oreille sur son Cœur et entendit ses sublimes secrets; il colla ses lèvres sur son Cœur et but d'ineffables délices; il posa son cœur contre le Cœur de Jésus et se transforma en lui-même, s'identifiant à sa vie, à ses amours, à ses pensées, à ses douleurs. C'est là, dans ce sein de Dieu, devenu le Cœur de Jésus, où il faut pénétrer pour trouver la vraie vie, qu'il rentra, se plongea et devint et le fils de Marie et le fils du Père (Fuit Joannes filius Christi ideoque in sinu ejus, quasi Benjamin, re-cubuit. Corn. Prooem. in Ep. Joan).

Après ce témoignage du texte sacré, donnons celui des Pères. - C'est bien du Cœur de Jésus, symbole de son âme immatérielle que Jean a puisé ce que saint Jérôme appelle «les flots immaculés de ses enseignements: qui a pectore Salvatoris purissima doctrinam fluenta potavit». - «C'est bien du Cœur de Jésus que Jean a reçu selon saint Augustin, la confidence des plus profonds secrets de la Sagesse divine et des dons de grâce connus de lui seul en cette mesure: E Christi pectore arcana divinae sapientiae et gratiarum altiora prae coeteris fluenta potavit» (Tract. 18 in Joan). - «C'est dans le Cœur de Jésus, dit le vén, Bède, que Dieu s'était plu à cacher tous les trésors de la sagesse et de la science; et c'est sur ce Cœur que vient se reposer celui que Dieu veut enrichir des dons d'une sagesse et d'une science incomparables: qui in pectore Christi sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi, merito super pectus ejus recumbit, quem majore coeteris sapientiae et scientiae singularis munere donat» (Beda, Hom. in Joan).

Entendons enfin le témoignage de saint Jean lui-même. Eh bien! il a déclaré à sainte Gertrude que la tête appuyée sur la poitrine de Jésus, c'est sur son Cœur qu'il reposait, qu'il en sentit les battements et reçut la connaissance intime de son amour et de ses secrets. - C'était en la fête de saint Jean. Sainte Gertrude était fort attentive à fêter le bien-aimé disciple de Jésus; celui-ci lui apparut et la combla de faveurs. Et quelle grâce pourrai-je obtenir de Dieu, lui dit-elle, en votre fête qui est si douce et si favorable? Il lui répondit: «Venez avec moi, épouse chérie de mon Maître, et reposons-nous ensemble sur la très douce poitrine du Seigneur, dans laquelle sont renfermés tous les trésors de la béatitude!». Et la transportant par l'esprit en la présence de Jésus, il lui dit: «Je vous ai placée vis-à-vis de l'ouverture de ce Cœur divin, afin que de cette source vous puisiez abondamment les consolations célestes que l'impétuosité de l'amour divin répand incessamment en ceux qui les désirent».

Et sainte Gertrude, sentant son âme remplie d'une douceur ineffable par les battements d'amour qu'elle discernait dans le Cœur de Jésus, dit à saint Jean: «Bien-aimé du Sauveur, n'avez-vous pas goûté les mêmes délices en ces battements amoureux, lorsque le jour de la Cène vous reposiez sur la poitrine du Sauveur!». - «Oui, vraiment, dit-il, je les ai éprouvées bien vivement; elles ont pénétré mon âme, comme une liqueur pénètre le pain; et mon cœur en a été embrasé aussi ardemment que le bois jeté dans une fournaise ardente!».

C'est aussi à la fête de saint Jean, 27 déc. 1674, que sainte Marguerite-Marie, après avoir reposé sur le Cœur de Jésus, comme saint Jean, reçut la première des grandes révélations sur le Sacré-Cœur.

C'est le Cœur de Jésus que saint Jean montrait comme l'inspirateur de l'Eucharistie:

Saint Jean laisse aux autres Evangélistes le soin de raconter le fait de l'institution eucharistique. Ayant vu plus loin, ayant plongé plus profondément dans les abîmes du Cœur de Jésus, il s'applique à dire la nature, la raison d'être, et le caractère de l'Eucharistie; et il la caractérise d'un mot: la fin de l'amour, «in finem dilexit».

Dire que l'Eucharistie n'est qu'amour; montrer dans l'amour porté à sa dernière limite la nature, le caractère, la vertu de l'Eucharistie; expliquer par l'amour tout ce que renferme de secrets incompréhensibles à la raison ce mystère de la foi, c'est démontrer que l'Eucharistie est l'œuvre propre du Cœur de Jésus. C'est ainsi que saint Jean révèle au monde l'origine authentique de l'Eucharistie.

C'est bien l'institution de l'Eucharistie que saint Jean désigne par ces paroles mémorables: Cum dilexisset suos qui erant in mundo, in finem dilexit eos. Le contexte l'indique clairement. «Jésus, dit saint Jean, se souvient que l'heure est venue de passer de ce monde à son Père». Il va donc quitter la terre du travail et du combat pour joindre au ciel le terme de son repos. Il voit d'un rapide coup d'œil toutes les œuvres, tous les bienfaits dont son amour a semé sa route depuis qu'il est entré en ce monde; il voit surtout quels biens et quels honneurs a procurés sa présence à ces humbles artisans qu'il a distingués entre les autres, qu'il s'est plu à instruire et à former et dont il a fait ses témoins, ses confidents et ses coopérateurs. Il leur a donné le don de la parole et celui des miracles. Il leur a assigné le monde entier à vaincre par la vérité et par l'amour pour le gagner à Dieu. Et il les voit inquiets de ce départ qui va les laisser seuls aux prises avec la haine des juifs et l'orgueil des païens. Par delà ses apôtres il voit la foule qu'il a touchée par sa bonté, émerveillée par ses miracles et comblée de ses bienfaits; plus loin encore, l'humanité tout entière dont il a puis le sang, partagé les travaux et subi les douleurs. Tant de liens l'unissent aux hommes qu'il peut les appeler «les siens» et donner ce témoignage qu'il 'a aimé les siens qui étaient dans le monde.

Mais c'est par le bienfait de sa présence humaine qu'il leur a tout donné. Cette présence a été le gage et le moyen de tout: de ses enseignements, de ses bontés, de ses exemples, de ses miracles, à ce point que chacun d'eux peut dire: Tous les biens me sont venus par vous, ô Sagesse incréée, qui vous êtes incarnée: Omnia bona mihi venerunt pariter cum illa. Eh bien! les ayant tant aimés que de se faire homme et de vivre avec eux, va-t-il leur retirer sa présence et tarir cette source de ses bienfaits, qui s'est ouverte avec sa venue ici-bas? Si son amour n'est pas épuisé, si son Cœur ne s'est pas fatigué de l'ingratitude des hommes, il voudra leur continuer sa présence; sinon, ayant accompli toute justice et consommé l'œuvre que son Père lui a confiée, il remontera au foyer paternel pour y prendre son repos. Non! il n'a pas rejeté de son Cœur les enfants des hommes. Les ayant aimés jusqu'ici, il les aimera toujours, et il leur continuera sa bienfaisante présence: voilà l'Eucharistie!

Mais son amour s'excitant lui-même par chacune de ses œuvres à faire davantage, cette présence de l'Eucharistie ajoutera des merveilles d'amour à celles qui remplirent la vie mortelle du Sauveur. Il avait aimé en conversant, il aimera en se donnant en nourriture; il avait aimé en mourant pour les siens, il aimera en renouvelant sa mort tous les jours. Il ne pourrait rien au delà de cet effort suprême de son amour. Il en a atteint les extrêmes limites: «Cum dilexisset suos qui erant in mundo, in finem dilexit eos!».

C'est dans cet amour infini que Jean a vu, au fond du Cœur de Jésus, se former l'Eucharistie. In finem dilexit! In finem scilicet amoris et dilectionis… (Corn. a Lapide).

Comment définir autrement cette œuvre immense, colossale et merveilleuse du Cœur Sacré qui ne se peut mesurer que par les dimensions de l'amour infini lui-même? - Haute comme les cieux et livrant à l'homme la Divinité apaisée, réconciliée et tellement gagnée à ses intérêts, qu'elle se fait la nourriture de la créature révoltée, pour lui rendre sa dignité divine, son héritage éternel! - Profonde comme le néant et descendant par les anéantissements de l'état sacramentel jusqu'à l'état de victime immolée, de poussière inerte, pour relever l'homme de la mort, guérir ses plaies et le porter de progrès en progrès jusqu'aux sommets lumineux d'une vie céleste au travers des brumes de cette vallée de misères? - Large, grande comme le monde, étendue à tous les lieux, à tous les climats, à toutes les races, à toutes les multitudes humaines, passant par-dessus les montagnes et les océans et ne connaissant pas de frontières. - Longue comme la durée, constante, perpétuelle et obstinée à descendre le cours du temps avec les générations qui se hâtent, laissant tomber les années et s'effondrer les siècles, sans connaître aucun déclin de sa vigueur et de sa jeunesse, présente à tous ceux qui passent, s'offrant à leur détresse, se posant sur leur dernier souffle pour changer en vie éternelle et bienheureuse la triste vie expirante que va leur ravir la mort.

Pour opérer ces merveilles, l'amour de l'Eucharistie livre le Christ personnel dans la plénitude de sa vie de Dieu, d'homme et de ressuscité; il le livre en nourriture, en breuvage; il le jette au fond de l'être, le fait pénétrer jusqu'à l'âme, pour la vivifier dans sa substance et dans toutes ses puissances, en passant par les sens qu'il restaure, par le cœur qu'il renouvelle. Il poursuit la régénération, la restauration, la déification des hommes par la transformation et l'identification avec Jésus, le Verbe qui est descendu pour refaire l'œuvre divine de l'amour créateur par les merveilles de l'amour rédempteur.

Mais parce que la vie est en Dieu comme en sa source et dans le Verbe incarné comme en son unique don répandu ici-bas, il faudra de toute nécessité que l'homme communique à la clair du Verbe incarné pour retrouver la vie que Dieu lui avait donnée si gratuitement au début et qu'il a si misérablement perdue, séduit et aveuglé par les savoureuses apparences d'un fruit trompeur. - Quoi! manger de la chair humaine, boire du sang humain, qui le peut accepter? Mais non, l'amour a tout prévu, et le Cœur de Jésus fera les miracles nécessaires: c'est du pain qu'il rompt, c'est du vin qu'il offre au sacré calice de la Cène! Et cette nécessité de devenir notre pain, semblable au pain de nos tables, pour se faire facilement agréer de nous, pour se donner à tous, même aux plus pauvres, explique et fait accepter, non seulement sans répugnance mais avec reconnaissance, toutes les énigmes du mystère qui enveloppe dans ses ombres la réalité vivante du Fils de Dieu fait homme. On admet alors et on admire cette forme, cette pauvreté, cette vulgarité, cette obscurité, cette dépendance: l'amour a imposé au Christ toutes les conditions du pain pour le pouvoir donner à tous, étant l'élément nécessaire de la vie pour tous. Le mystère de l'amour explique le mystère de la foi: l'amour supplée à tout, et répond à tout, surtout quand il se déploie sans réserve. Voilà la révélation de l'Eucharistie, voilà la splendeur du mystère impénétrable. Saint Jean l'a fait éclater d'un mot: elle est l'amour: il l'a vue sortir du Cœur de Jésus dans la suprême étreinte dont il embrassa l'humanité: In fine, dilexit.

Saint Jean a goûté et reproduit, dans le discours après la Cène, les paroles où Jésus déroule devant ses apôtres ravis les magnificences du don qu'il vient de leur départir.

L'amour que je vous témoigne en instituant pour vous mon sacrement, dit le Sauveur, l'amour que vous prouve et vous livre mon Eucharistie, c'est l'amour d'une immense pitié pour l'isolement, le dénuement et les dangers qui sont la condition de votre misérable vie dans ce monde: cum dilexisset suos qui erant in mundo!

C'est l'amour du Père qui sait la nécessité de sa présence au milieu de ses enfants pour leur assurer pain, abri et protection: «Non, je ne vous laisserai point orphelins: non reliquam vos orphanos!».

C'est le tendre amour de la mère qui réchauffe ses enfants dans son sein, les nourrit de son lait, se les identifie en versant en eux goutte à goutte sa propre vie, et peut leur dire: vous êtes miens, vous êtes ma substance et mon sang, vous êtes moi-même: cum dilexisset suos!

C'est l'amour de l'époux réclamant l'union permanente, l'unité indissoluble des deux êtres, qui s'aiment, dans une tradition mutuelle d'euxmêmes, sans réserve et sans fin: Manete in me, manete in dilectione mea: qui manet in me et ego in eo!

C'est l'amour de l'ami pour l'ami, établi sur l'égalité, entretenu par l'échange de toutes les pensées, même les plus secrètes, de toutes les affections, même les plus intimes: Vos amici met estis… quoniam quaecumque audivi a Patre meo nota feci vobis!

C'est l'amour du frère d'armes, armé pour les mêmes combats, y apportant tous les secours et en partageant tous les travaux, mais en assurant le succès: In mundo pressurant habebitis. sed confidite, ego vici mundum!

C'est l'amour actif, industrieux, infatigable, appliqué à nos œuvres, ne se désintéressant de rien, assurant la fécondité, les fruits innombrables et de bon aloi, qui ne périssent point: qui manet in me et ego in eo, hic fert fructum multum, quia sine me nihil potestis facere!

C'est L'amour magnifique, dotant la créature de la puissance de Dieu et la rendant hardie, audacieuse, capable de soutenir d'héroïques travaux et de produire des merveilles: Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et majora horum faciet!

C'est l'amour fidèle, secourable, empressé à exaucer toutes les prières, mettant son bonheur à combler les désirs: Si manseritis in me, quodcumque volueritis petetis et fiet vobis!

C'est l'amour qui fait entrer l'âme en la société des Personnes divines, qui la constitue la demeure aimée du Père et la confidente des secrets du Saint-Esprit: Pater meus diliget eum, et ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus!

C'est l'amour qui unit les hommes ensemble comme des frères et les

dévoue tout entiers au service les uns des autres: Mandatum novum do vobis, ut diligatis invicem sicut dilexi vos!

C'est l'amour qui répand et garde la paix, chassant toutes les inquiétudes, parce qu'il assure du contentement de Dieu et de sa possession très réelle: Pacem meam do vobis: non turbetur cor vestrum, neque formidet!

C'est l'amour d'où découlent les consolations durables, les vraies joies, qu'aucun malheur ne peut altérer, qui triomphent de toutes les tristesses et sont l'avant-goût des joies de la patrie: Iterum videbo vos, et gaudebit cor vestrum, et gaudium vestrum nemo tollet a vobis!

C'est l'amour qui introduit déjà dans la gloire éternelle, parce qu'il fait vivre dans l'unité de la vie du Père et du Fils, dans leur mutuelle sainteté, dans leur mutuel amour, dans leur mutuelle lumière: Tu Pater in me et ego in et s, ut et ipsi in nobis unum sint!

Tels sont ces amours, et il en est d'autres innombrables, que contient, que révèle, qu'opère et que répand l'Eucharistie. Saint Jean les montre sortant, avec le don de l'Eucharistie, du Cœur de Jésus. Il est le révélateur de l'amour du Sacré-Cœur dans l'institution du sacrement de tous les amours!

Certes, Dieu a bien le droit d'avoir des prédilections, lui qui n'étant obligé d'aimer personne, met gratuitement en ses créatures les qualités qui attireront ses complaisances. Il avait comblé Jean de dons exquis: à cause de cela, il l'aimait plus que les autres et cette préférence dont les apôtres ne songeaient pas à se plaindre, puisqu'ils l'appelaient couramment le disciple que Jésus aimait, lui valut la place qu'il occupa pendant la Cène à la droite du Sauveur. Jésus avait besoin au moment des suprêmes effusions de sa tendresse de sentir auprès de lui un ami capable de le comprendre; au moment où il allait souffrir si cruellement de la trahison de judas, il voulait un cœur compatissant, empressé à partager ses angoisses.

Jean n'avait qu'à faire un mouvement pour que sa tête rencontrât la poitrine du Sauveur. La mélancolie et l'intimité de cette Cène, qui devait être la dernière, où Jésus, ayant mangé l'agneau pascal selon le rite des juifs, commença avec ses disciples le repas ordinaire, qu'il termina par le festin mystérieux dans lequel il se donna lui-même en nourriture, amena saint Jean à prendre cette position affectueuse sur le sein du Sauveur. Il garda longtemps cette place permise à la piété filiale: Erat ergo recumbens. Jésus qui l'y avait attiré se complaisait à l'y retenir: quem diligebat Jésus. Le privilège de cette auguste intimité, en une circonstance aussi grave que celle du dernier repas d'adieu, avait tellement frappé les apôtres, que plus tard, après la résurrection, Pierre, voulant qualifier Jean, disait de lui: «le disciple qui, à la Cène, reposa sur la poitrine de Jésus: Qui et recubuit in coena super pectus ejus» (Joan, XXI, 20). Le repos sur la poitrine de Jésus était devenu la note caractéristique de saint Jean.

C. - L'ouverture du Cœur de Jésus par la lance

La révélation du Sacré-Cœur au Calvaire: Unus militum lancea lattis ejus aperuit (Jean, XIX, 34)

=====I. – La lance du soldat ouvre le Cœur de Jésus pour accomplir un mystère divin

Jésus avait exhalé son dernier soupir en poussant un grand cri… Le voile du Temple pendait lacéré du haut en bas; et les rochers montraient béantes les crevasses qu'une force inconnue venait tout d'un coup d'ouvrir dans leurs flancs séculaires. La nature et la loi avaient subi le contrecoup de ce brisement, exigé par la colère divine et rendu nécessaire par le péché de l'homme qui séparait violemment l'âme très sainte du Sauveur de son très saint corps.

Un autre abîme allait s'ouvrir à l'instant et projeter de ses profondeurs une lumière plus brillante que celle de l'éclair qui fend la nue, pour ouvrir à tous les regards les trésors d'amour renfermés dans les entrailles du Sauveur et permettre de lire les admirables mystères cachés dans le Saint des Saints de son Cœur.

Accomplissant une prescription relative aux crucifiés, les soldats de garde s'approchèrent pour achever leur supplice d'un coup mortel. Ils brisèrent les genoux des deux larrons. Mais quand ils arrivèrent au troisième crucifié, ils le trouvèrent bien mort. Sa tête inclinée sur sa poitrine, sa pâleur semblable à l'albâtre, sa bouche entr'ouverte d'où ne sort plus aucun souffle, l'immobilité absolue de tout son corps, dont pas un muscle ne se contracte, tous ces signes annoncent avec évidence que le supplice a achevé son œuvre. Il ne leur restait donc rien à faire à son égard. Ils décidèrent de ne pas lui briser les genoux, vu l'évidence de sa mort. «Ad Jesum autem cum venissent, ut viderunt eum jam mortuum, non fregerunt ejus crura». Il se disposaient à se retirer. Mais voici qu'un d'entre eux, apparemment sans s'être entendu avec ses compagnons, se retourne, va droit au Christ et d'un coup violent du fer de sa lance, lui ouvre le côté, d'où jaillit aussitôt un flot de sang et d'eau: Sed unus militum lancea latus ejus aperuit, et continuo exivit sanguis et aqua (Joan., XIX, 34).

La lance de Longin ouvre le Cœur de Jésus pour accomplir un mystère. Le coup de lance de Longin nous révèle la pensée inspiratrice de la Passion qui est l'amour.

Le coup de lance de Longin opère l'œuvre capitale de la Passion qui est la formation de l'Eglise.

La lance du soldat ouvre les sources des dons de la Passion: source pure et délicieuse, lieu de refuge et de prière, abri sûr, école d'amour.

=====II. – Le coup de lance nous révèle la pensée inspiratrice de la passion, qui est l’amour

Longin devient à son insu un prophète chargé de révéler au monde les secrets de la Sagesse éternelle; un coopérateur du Tout-Puissant dans l'accomplissement d'une de ses plus belles œuvres; le ministre de la Bonté divine en ses souveraines largesses. Dieu lui donne la glorieuse mission de révéler le Cœur de son Fils unique, et de dire au monde, en l'ouvrant violemment, dans le solennel silence qui semble convier l'attention de tous les siècles sur le drame du Calvaire: Sachez que c'est de ce Cœur qu'est sorti l'immense amour qui a porté le Christ innocent à mourir pour vous.

C'est Dieu même qui s'empare de Longin, qui lui met la lance en mains et conduit son bras. Cette arme de mort est un très fin stylet qui va écrire des merveilles, un inestimable instrument qui produira un chef-d'œuvre, une clef des trésors divins. Le coup qu'elle porte n'est pas pour meurtrir et pour déchirer, mais pour révéler et faire déborder les magnificences de l'amour. Aussi, dit saint Augustin, l'Evangéliste n'a point écrit que le soldat avait de sa lance frappé ou blessé le côté de Jésus; attentif aux merveilles accomplies, il a employé cette lumineuse parole: «Le soldat ouvrit le côté du Sauveur: Vigilanti verbo usus est Evangelista, ut non diceret: lattis ejus percussit aut vulneravit, aut quid aliud, sed aperuit» (Tract. 120 in Joan). - Aperuit. Longin ouvre le Cœur de Jésus pour fixer sur lui l'attention et montrer en lui le foyer de cet amour inexplicable qui brille dans le dessein, dans l'œuvre et dans les bienfaits de la Passion.

Le dessein, la pensée inspiratrice de la Passion. - Ouvre donc, ouvre-nous le Livre aux sceaux mystérieux que personne ne peut lire si celui qui l'a écrit n'en révèle les secrets. Je vois bien que le Verbe incarne, ce livre vivant qui contient tous les mystères de Dieu, est déployé au sommet de la croix, comme sur un ambon dressé devant les regards du monde, pour être étudié, lu et compris par tous les hommes. - Mais, d'abord, je ne puis comprendre le mystère de cette mort que subit l'Auteur de la vie et le Maître de la mort. Comment celui qui d'un mot ou d'un signe a fait tant de fois reculer la mort, a-t-il pu tomber sous son joug?… Longin me montre, à travers la blessure sanglante, la vraie cause de sa mort: une blessure d'amour secrète, invisible, spirituelle, mais d'autant plus poignante, qu'il l'avait au Cœur depuis sa naissance. Voilà révélée la raison de la Passion et de la mort du Verbe de vie: son amour pour nous: Propterea vulneratus est in Corde ut invisibile vulnus videamus. Quomodo hic ardor melius ostendi potest nisi quod non solum corpus, verum etiam ipsum cor lancea vulnerari permisit? carnale vulnus, vulnus spirituale ostendit (S. Bern.). - L'Eglise chante en vers la pensée de saint Bernard à l'hymne des Laudes de la fête:

Te (cor) vulneratum caritas

Ictu patenti voluit,

Amoris invisibilis

Ut veneremur vulnera.

Mais la mort du Fils de Dieu dans l'excès des douleurs et des ignominies, n'est pas seulement un mystère étonnant; elle est pour le juif un scandale, pour le païen une folie. Il est scandaleux pour la foi juive de voir le Messie attendu depuis des siècles condamné comme un blasphémateur, le Fils de David, vengeur d'Israël, honteusement exécuté par le représentant d'une puissance étrangère et exécrée; il est stupide pour la raison païenne de présenter ce crucifié pour un réformateur et un rénovateur du monde. Qui vengera le dessein héroïque du Rédempteur et montrera que cette mort dans la douleur et l'humilité est le triomphe de la sagesse de Dieu?

Et Longin, ce révélateur inconscient des pensées divines, ouvre le Cœur de Jésus et le montre dominé et conduit par son amour aux plus héroïques excès. C'est l'amour pour son Père, à la justice duquel il veut donner pleine satisfaction en payant rigoureusement la dette du péché des hommes. Au fond du divin Cœur, on voit gravée en lettres de feu cette parole déterminante de la Passion: «Afin que le monde sache que j'aime mon Père, allons au Calvaire: ut cognoscat mundus quia diligo Patrem eamus hinc»1). C'est l'amour pour les hommes, qu'il veut porter jusqu'au paroxysme, en choisissant cette mort ignominieuse comme moyen de leur rachat, attendu qu'il n'y a pas de plus grande preuve d'amour que de mourir pour ceux qu'on aime: Commendat caritatem suam Deus in nobis, quoniam Christus pro nobis mortuus est…2).

Ce n'est pas assez pour l'amour de se justifier devant la conscience des hommes, il veut gagner leur attachement et conquérir tous les cœurs. Il faut pour cela que l'amour du divin Crucifié apparaisse dans toute sa splendeur, se répande avec toute sa force, coulant sans cesse de son Cœur sur le monde.

Ah! Cœur Sacré, ne vous refermez pas! déployez la force victorieuse de votre amour. Fixez sur vous et captivez nos regards émus et compatissants! Que la plaie qui nous révèle votre amour demeure a jamais ouverte, éclairant tous les traits de votre Passion, répandant sans cesse sa chaleur pénétrante à laquelle personne ne puisse résister! Approche, Longin, fends plus profondément le Cœur du Crucifié; retourne le fer dans la plaie, creuse et élargis encore! Et voilà que semblables aus eaux du déluge descendent du Cœur ouvert par la lance et se répandent dans les âmes des enfants de Dieu, les larges nappes de l'esprit de grâce et de prière (Zach., XII, 10). Nos regards épris et attendris se fixent sur le divin Blessé. Ils ne peuvent plus s'en détacher. Ils pénètrent dans ses plaies, dans son Cœur, dans son âme; ils descendent dans ses tristesses et se plongent dans ses amertumes. Ils l'aiment et ils pleurent sur lui les larmes d'amour que verse la mère sur le premier né, sur son unique bien-aimé ravi par la mort à sa tendresse inconsolable (Zach., XII, 10).

Voilà dix-neuf siècles que le Christ, exalté sur la croix, attire à lui les hommes. Et le charme qui du foyer de son Cœur transpercé se répand par le rayonnement de l'amour sur ses opprobres et ses souffrances est si puissant, que rien n'a pu le rompre. Le maudit du Golgotha est non seulement cru, révéré et accepté des hommes, mais aimé, chéri, adoré, avec passion, à la folie, sans réserve et sans mesure, la reconnaissance envers lui trouvant son bonheur et sa récompense dans les excès par lesquels elle s'efforce de répondre aus excès de son amour pour nous! Oui vraiment, l'Evangéliste s'est servi d'une lumineuse parole: Vigilanti verbo usus est…

=====III. – Le coup de lance opère l’œuvre capitale de la passion, qui est la formation de l’Eglise

La lance qui vient d'ouvrir une si profonde perspective sur les insondables arcanes de la Sagesse divine, est aussi l'instrument de la Toute-Puissance pour opérer l'œuvre capitale de la Passion, c'est-à-dire la formation de l'Epouse du nouvel Adam.

Comme Dieu, parachevant sa création, avait daigné s'appliquer à ouvrir le côté d'Adam assoupi dans un extatique et fécond sommeil, pour former d'une de ses côtes la femme qu'il lui donna à aimer autant que lui-même, parce qu'elle était l'os de ses os et la chair de sa chair (Gen. II); ainsi la Majesté de Dieu enveloppa-t-elle ce soldat et conduisit-elle son bras à pratiquer dans le flanc de Jésus une savante ouverture pour donner naissance à la nouvelle Eve, pensant qu'il dormait plongé dans les suprêmes ivresses de son amour, voyant dans ses rêves «toute belle, sans tache et sans ride, l'épouse bien-aimée», qu'il allait recevoir de la sollicitude de son Père.

S. Aug. Sent. 328: Dormit Adam ut fiat Eva; moritur Christus ut fiat Ecclesia. Dormiente Adam, fit Eva de latere; mortuo Christo lancea perforatur lattis, ut superfluant sacramenta, quibus formetur Ecclésia3).

«Dieu, dit saint Bonaventure, voulant tirer du côté du Christ endormi l'Eglise, son épouse, c'est en vertu d'une conduite dirigée par lui-même que le soldat ouvre et traverse de sa lance le flanc du Sauveur, afin qu'avec le sang et l'eau s'en échappe le prix de notre salut, lequel descend de la source profonde de son Cœur, pour donner leur force surnaturelle aux sacrements de l'Eglise» (Lib. de ligno vitae). - «Non, dit saint Chrysostome, ce n'est pas par le hasard d'un coup de lance porté sans raison que jaillissent ces fontaines de sang et d'eau, qui sont les forces constitutives de l'Eglise et composent l'Eglise elle-même: car le baptême inaugure sa vie, l'Eucharistie l'achéve» (Hom., 84).

En se réveillant le matin de la résurrection, le Fils de Dieu put la contempler dans sa beauté et dans sa force, cette épouse bien-aimée; il se complut en elle parce qu'il la voyait sortie de lui, faite de son sang, l'os de ses os, la chair de sa chair. Il l'avait aimée de toute éternité et il la désirait ardemment depuis quarante siècles; enfin il avait pu se livrer à la mort pour elle et par sa mort lui donner la vie! Elle est bien à jamais l'épouse de son Cœur.

Mais cette mystérieuse union du Christ et de l'Eglise ne peut demeurer stérile: il est le père, elle est la mère des vivants; d'innombrables rejetons doivent couronner la flamme ardente de leur amour à son premier matin. Aussitôt, à travers la baie ouverte dans le Cœur Sacré, évoqués des régions de la mort, où ils gisaient misérablement, entrent en foule, pour y naître à la vraie vie, tous les fils du salut, l'innombrable généra-tion des rachetés, comme autrefois pénétrèrent dans l'arche, par la porte que Noé avait su ménager à son flanc, tous ceux qui voulurent échapper à l'universelle destruction: Hoc praenuntiabat quod Noe in latere arcae ostium facere jussus est quo intrarent animalia quae non erant diluvio peritura, quibus praefigurabatur Ecclesia (S. Aug., loc. cit).

A cette magnifique création, à cette légion d'âmes glorieuses, toutes belles et immortelles, innombrables comme les étoiles aux cieux, ne reconnaissez-vous pas la Toute-Puissance de l'amour créateur devenu l'amour rédempteur? Le coup de lance du soldat, en montrant qu'elles sortent du Cœur de Jésus, proclame qu'il est l'incomparable ouvrier du chef-d'œuvre de la Passion.

=====IV. – La lance du soldat ouvre les sources des bienfaits de la passion

L'humanité, pourchassée par la colère de Dieu, est errante dans les déserts brûlants de son exil, altérée, haletante, dévorée par le besoin de la vérité, de la justice et de la paix. Aucune des fontaines vers lesquelles elle s'est penchée n'a pu apaiser sa soif; ses lèvres n'ont bu aux coupes des voluptés, de la cupidité et de l'orgueil que des breuvages empoisonnés, qui redoublent sa fièvre; la science, le bonheur, l'amitié ont pu tromper un instant son tourment sans le satisfaire. Qui aura pitié d'elle, car elle se meurt? Pourquoi l'avoir créée, ô Dieu redoutable, si vous deviez l'abandonner mourante au désert de cette misérable vie? Cur fecisti nos exire, ut occideres nos siti? (Exod., XVII). - Et la lance a frappé le rocher vivant qui couronne le mont du Calvaire: Petra autem erat Christus; et le cœur du rocher s'est ouvert et les eaux fraîches ont bondi (Ps. 77). Percussit petram, et fluxerunt aquae et torrentes inundaverunt. La source en resta toujours ouverte à tous. Erit fons patens domui David et habitantibus Jerusalem (Zach., XIII).

Source pure, qui lave toutes les souillures; Source aine, qui donne toutes les énergies; Source délicieuse, qui enivre de toutes les suavites;

Source intarissable, au-dessus de laquelle est écrit ce miséricordieux appel: «La colère du Seigneur s'est changée en consolations pour vous. Voici votre Dieu et votre Sauveur: confiance! Le Seigneur se fait votre force, et vous relève et vous rend la vie. Venez et puisez avec allégresse les eaux vivifiantes aux sources du Sauveur! Bénissez-le dans la joie, invoquez son nom dans la souffrance: Faites connaître à tous les peuples ses merveilleuses inventions! Chantez cette œuvre magnifique. Que toute la terre l'entende!» (Is. XII). Conversus est furor tuus et consolatus es me… etc.

A ces exilés sans toit et sans patrie, sans abri pour leur faiblesse et sans toit pour leur religion, il faut rendre une demeure, ouvrir un lieu de refuge et de prière. Regarde, ô exilé, sur le faîte du Calvaire! «Voilà que ton Sauveur s'offre à toi comme une ville forte, munie de mur et d'avant-mur… Entrez, ô nations, qui voulez être justes et garder la vérité et la paix» (Is., XXVI).

«Seigneur, supplie saint Bernard, accordez-moi d'habiter tous les jours de ma vie dans votre Cœur. C'est pour que nous puissions y demeurer à l'abri de toutes les intempéries du dehors que votre Cœur a été ouvert. Ah! qu'il est bon et doux d'habiter dans ce Cœur! Certes je donnerai tout, j'abandonnerai toutes mes préoccupations et tous mes désirs; je jetterai tout mon souci dans le Cœur de Jésus, et je suis assuré qu'il se chargera de moi» (Serm. III, de Passione).

Ouvrez donc, Seigneur, à ma faiblesse un abri sûr dans votre Cœur et à mon âme un sanctuaire où elle vous trouve, où elle puisse vivre avec vous et se répandre à vos pieds dans les intimes effusions de la prière, de la louange et de l'amour.

Le Cœur de Jésus est le ciel où Dieu habite corporellement dans la plénitude de sa vie et où il se donne contre l'homme pour accepter son repentir et lui donner en échange le baiser de la réconciliation.

Ce Cœur est le Saint des Saints où le Pontife toujours écouté entre le premier pour offrir son sacrifice, et appelle tous les hommes à mêler leurs prières aux siennes, se chargeant de les faire agréer sûrement de son Père. - «Seigneur, j'irai vous adorer dans ce temple, et je vous chercherai dans ce Saint des Saints, dans cette arche de l'alliance éternelle, et je dirai avec David: j'ai trouvé mon cœur pour prier mon Dieu. Inveni cor meum, ut orem Deum meum. Oui, j'ai trouvé le très doux Jésus. Et alors quelle crainte pourrait me retenir de prier? Avec votre Cœur donc, qui est aussi le mien, ô très aimable Sauveur, je vous prierai, car vous êtes en même temps mon Dieu. Ah! daignez seulement laisser pénétrer mes prières dans ce sanctuaire où vous les exaucerez toujours; non, ce n'est pas assez, mais prenez-moi tout entier et me jetez dans votre Cœur pour y vivre à jamais!» (Saint Bern., Serm. III, de Passione).

Faut-il ne voir dans l'acte de Longin qu'un accès de brutalité? Ou les soldats, qui n'ont pas cru devoir briser les jambes au Christ, ont-ils voulu justifier leur abstention en démontrant par ce coup de lance qu'il était bien mort? Ces raisons ont leur valeur, mais il faut monter plus haut pour expliquer ce que les Pères ont appelé un grand mystère.

Et d'abord c'est bien le Cœur et non pas seulement le côté de Jésus qu'a transpercé la lance du soldat. C'est un de ces points de doctrine qui tiennent de si près à la foi révélée qu'on ne saurait les mettre en doute sans grande témérité. La tradition le rapporte, l'Eglise l'enseigne dans sa liturgie, la raison naturelle le démontre, mais davantage encore la raison divine, les grands mystères que Dieu voulait opérer par cet événement. - Corneille de la Pierre pense que la lance traversa la poitrine et le Cœur de Jésus de part en part, de droite à gauche (In Joan. ad loc). Suarez pense que le soldat frappa à gauche pour atteindre le cœur (Disp., XVI, s. 1, § 3).

Nous citerons ailleurs Augustin, Chrysostome, Bernard, Bonaventure. «Mon cher fils, dit la Mère des Douleurs à sainte Brigitte, fut percé si cruellement dans le Cœur que la pointe de la lance ne s'arrêta qu'après avoir traversé le Cœur d'outre en outre» (Rev. liv, 2, c. 21). Ecoutez l'Eglise dans les hymnes où elle célèbre le Cœur adorable de Jésus et la lance qui l'a frappé:

En ut superba criminum

Et saeva nostrorum cohors

Cor sauciavit innocens

Merentis haud tale Dei…

Vibrantes hastam militis

Peccata nostra dingunt.

Ex corde scisso Ecclesia

Christo fugata nascitur.

(Off. SS. Cordis).

Quaenam tibi, o Lancea, debitas

Grates pro meritis est apta rependere?

Christi vivificum namque aperis lattis

Unde Ecclesia nascitur

(Off. Lanceae et Clav).

La raison naturelle le déclare à l'évidence. A quoi bon ce coup de lance s'il n'eût visé le Cœur de Jésus? Et d'où viendraient ce sang et cette eau, sinon de leur réservoir naturel?

=====V. – Conclusion. Le Cœur de Jésus, école d’amour

La raison de la mort de Jésus, cette invisible plaie d'amour dont meurt le Christ, bien plus que des tourments de la Passion; l'œuvre magnifique du salut de l'humanité, devenue l'épouse féconde de son amour; l'apaisement de tous nos désirs, le remède à tous nos maux: voilà la magnifique floraison qui s'épanouit au flanc du Sauveur sous le coup de lance du centurion.

Ce dessein, cette œuvre, ces bienfaits sont les fruits authentiques de l'amour du Rédempteur, les manifestations, par conséquent, du Cœur de ce Fils de Dieu qui, de par la volonté du Père et avec la coopération du SaintEsprit, a rendu la vie au monde par sa propre mort.

La plaie du Cœur de Jésus est une éloquente école d'amour. En la contemplant, on est irrésistiblement gagné par l'amour, et l'on veut aimer de ce bel amour de compassion qui, fondant d'abord le cœur en d'infinies pitiés, le relève ensuite fortifié pour tous les dévouements.

«Qui pourrait ne pas aimer ce Cœur si profondément blessé? dit encore saint Bernard, le docteur du Sacré-Cœur. Qui pourrait ne pas rendre amour à tant d'amour? Encore que la misérable condition de notre infirmité pèse si lourdement sur nous, aimons tant que nous pourrons; aimons encore, embrassons de toute l'ardeur de nos tendresses ce bienaimé Blessé dont les fils impies ont percé les mains et les pieds, le côté et le Cœur; demeurons penchés sur lui jusqu'à ce que nous sentions notre cœur si dur toujours et si rebelle à la pitié, saisi dans les liens de son amour, blessé du même trait qui a transpercé son Cœur!» (Serm. III, de Passione).

Chapitre IV

L'iconographie du Sacré-Cœur
dans la période préparatoire

A. - Aux catacombes

Nous ne prétendons pas trouver là le culte explicite de l'image du Sacré-Cœur, mais nous y voyons partout le culte de l'amour du Sauveur pour nous et souvent même une allusion à son Cœur qui est le symbole de l'amour et l'organe le plus affecté par les sentiments et les affections humaines. Parcourons le cycle des représentations les plus familières aux chrétiens ses catacombes.

Voici d'abord l'image du Bon Pasteur. Elle est partout, au cimetière du Vatican, dans ceux de Domitille et de Saint-Calixte, dans la crypte de Lucine, etc.

Le Bon Pasteur, c'est le Pasteur au Cœur tendre, au Cœur doux et humble. Il est entouré de ses brebis; il les regarde, il les aime. Il en porte une sur ses épaules et retient ses pattes croisées sur son Cœur.

Le Pasteur a deux symboles: le pedum et le vase de lait.

Le pedum ou la houlette, c'est la croix du Sauveur, la croix sur laquelle il a versé tout le sang de son Cœur. Parfois même la houlette a la forme d'une croix.

O les délicieuses représentations du Pasteur doux et affectueux, au cimetière de Domitille, à la crypte de Lucine!

Qu'est-ce que le seau de lait que le Pasteur tient à la disposition de ses agneaux? Le lait, n'est-ce pas la grâce, l'Eucharistie, la doctrine sainte et alors le seau de lait n'est-ce pas le Cœur du Pasteur d'où découlent tous ces dons?

Que ce vase de lait soit le calice ou le Cœur de Jésus, source du sang eucharistique, les Pères nous autorisent à le penser.

Saint Ambroise applique à l'Eucharistie ces paroles du cantique: «J'ai bu mon vin avec mon lait».

Saint Zénon de Vérone disait, dans une exhortation aux néophytes:

«L'Agneau a infusé avec amour son doux lait dans vos lèvres entr'ouvertes et vagissantes» (Aux néoph., 2, 45).

Le Pasteur prend parfois la figure d'Orphée, le poète sibyllin, qui par la douceur de ses chants ravissait les animaux eux-mêmes.

Une autre cycle est celui de l'Agneau. L'Agneau est représenté de cent manières. L'Agneau, c'est la victime du sacrifice destinée à être immolée par le coup de glaive reçu en sa poitrine.

Dans les cryptes vaticanes, sur le tombeau de Junius Bassus, l'agneau est le héros de toute l'épopée évangélique, il prêche, il baptise, ils ressuscite Lazare…

Au cimetière de Domitille, l'agneau est au pied de la croix, pour signifier son immolation et la colombe représentant l'âme chrétienne vient auprès de la poitrine de l'agneau avec une branche d'olivier à son bec. C'est l'âme qui vient puiser au Cœur de Jésus la grâce et la paix.

Dès le IVe siècle, l'agneau est représenté sur une colline d'où découlent les quatre fleuves mystiques. Mais nous étudierons ce symbole séparément.

La Colombe aussi symbolise le Sauveur victime. Elle s'offrait tantôt avec l'agneau, tantôt à la place de l'agneau. A la Présentation de NotreSeigneur, ce sont bien deux colombes qui le représentèrent.

La colombe ne fut-elle pas au déluge la messagère de la paix et la figure du Messie pacificateur?

A la crypte de Lucine, le Sauveur est représenté par plusieurs symboles accumulés: la colombe portant le rameau d'olivier et l'agneau sous une ancre barrée en forme de croix.

Les colombes représentent plus souvent les âmes, mais il n'est pas douteux que ce symbole ne soit parfois attribué à la personne de NotreSeigneur. Ce passage de Prudence ne laisse aucun doute:

Tu mihi, Christe, columba potens,

Sanguine pasta cui cedit avis.

«Tu es pour moi, ô Christ, cette colombe puissante à laquelle cède l'oiseau de proie repu de sang, ou le démon».

Sur le disque d'une lampe trouvée naguère au cimetière chrétien de Saint-Catherine de Chiusi (voir Martigny, Antiquités chrétiennes, p. 187), se voit une colombe dont la tête est surmontée d'une croix; elle porte en outre un rameau d'olivier au bec, ce qui rappelle le mot de Tertullien (adv. Valent., c. III), au sujet de la colombe: divinae pacis praeco, messagère de la paix divine. Il n'est pas douteux que, se présentant avec le double attribut de la croix et de l'olivier, cette colombe ne soit ici le symbole de Jésus-Christ, de qui saint Paul a dit: «Qu'il pacifie par le sang de sa croix, la terre et les cieux» (Coloss., 1, 20).

La petite colombe victime donnant son sang pour la paix, quel beau symbole du Sacré-Cœur!

Après la colombe, nous trouvons le poisson, symbole du Christ, cent fois répété aux catacombes. Le nom grec du poisson, ichtus, se compose des premières lettres de cette phrase: Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Le poisson apparaît dans le pain eucharistique, sur l'autel du sacrifice et à la table de communion: c'est le Christ. Il est parfois accosté à l'ancre ou transpercé par le trident, c'est le Christ crucifié (Cat. de Saint-Calixte).

Mais où est le symbole du Sacré-Cœur dans le poisson? Ah! il est bien marqué par les signes du crucifiement, l'ancre et la croix qui rappellent l'ouverture du Cœur de Jésus. Mais il y a mieux encore, le poisson des. catacombes est une allusion au poisson de Tobie, dont le cœur a guéri Tobie et lui a rendu la vie. Saint Prosper d'Aquitaine confirme cette interprétation: «Notre-Seigneur, dit-il, s'est offert à tous comme poisson sauveur qui chaque jour illumine et nourrit, par les remèdes tirés des entrailles: Cujus ex interioribus remediis quotidie illuminamur et pascimur».

On ne pouvait pas parler plus clairement du Sacré-Cœur au siècle de Prudence.

Il y a d'ailleurs un détail extrêmement significatif dans le symbolisme de ces figures de Tobie. Souvent, dit Martigny, le jeune Tobie tient la main dans la gueule du poisson, il en retire un objet qu'on croit être le cœur et le fiel du poisson. Cet objet est bien marqué sur plusieurs fonds de coupes, et, dans une fresque des catacombes, on voit le jeune Tobie précédé de son chien et portant en courant cet objet qui guérira son père. N'est-ce pas là un beau symbole du Cœur de Jésus, dont les grâces nous illuminent et nous guérissent: Cujus ex interioribus remediis quotidie illuminamuret pascimur (Martigny, p. 76 1).

Dans les siècles suivants, c'est la croix qui est le signe du salut, le labarum de l'Eglise catholique, en attendant le signe plus explicite du Sacré-Cœur; mais dans les premiers siècles, l'Eglise n'a pas cru devoir présenter son Dieu sous la forme d'un homme condamné au supplice des esclaves.

A cette époque, l'instrument de la rédemption n'était pas inconnu, mais il ne figurait que sur des objets privés, anneaux, pierres gravées, médailles.

Cependant les fidèles avaient trouvé moyen d'y faire allusion dès l'époque des catacombes. Ils représentaient souvent l'ancre marine, qui symbolisait l'espérance, mais qui rappelait aussi la croix du Christ. L'ancre a par elle-même de l'analogie avec la croix et souvent on la barrait au milieu pour en faire une vraie croix, (crypte de Lucine, etc.), ou bien on mettait auprès d'elle l'Agneau qui donna sa vie sur la croix.

Le Chrisme formé par les premières lettres du nom du Christ, était aussi une croix déguisée. La lettre X s'y prêtait si bien! Dans les inscriptions, le monogramme sert souvent d'abréviation pour le nom du Sauveur. A noter au cimetière de Saint-Laurent une représentation de l'Epiphanie où le Chrisme dessiné dans l'étoile annonce la venue du Sauveur.

Tous ces signes indirects de la croix, ancre, trident et chrisme sont des symboles du Sacré-Cœur, puisque la croix n'est que l'autel sur lequel a coulé tout le sang rédempteur du Cœur de Jésus.

Voici encore un symbole très significatif, c'est Moïse faisant jaillir l'eau du rocher. Le rocher, c'est le Christ, (Petra erat Christus, 1 Cor. 10). Le baton de Moïse, c'est la lance du centurion. L'eau du rocher, c'est le sang rédempteur, c'est la grâce, ce sont les sacrements qui découlent du Cœur de Jésus.

Abraham aussi est souvent représenté dans l'acte de son sacrifice. Il y a là tout le calvaire. Isaac, c'est Jésus. Le bélier en est la figure. Le glaive représente la lance du centurion. Le bois du sacrifice figure la croix.

Le sang du bélier symbolise le sang du Calvaire. Tout le Sacré-Cœur est là.

Jonas et Daniel sont souvent représentés aussi.

Jonas est sacrifié pour le salut de ses compagnons de navigation. Il est enseveli dans le sein du monstre et il reparaît. C'est la figure du sacrifice et de la résurrection du Sauveur.

Daniel est jeté dans la fournaise, puis livré aux bêtes, et il est deux fois sauvé. C'est une autre figure du Christ persécuté et ressuscité. Mais Habacuc, le prophète, lui apporte un réconfortant mystérieux, un repas où figurent un pain et un poisson, c'était le symbole de l'Eucharistie, le don du Cœur de Jésus, qui vient nous fortifier dans nos épreuves.

Les catacombes sont toutes remplies du culte voilé du Sacré-Cœur.

B. - Dans les premiers siècles chrétiens

Dans les catacombes, nous avons surtout considéré les peintures. Dans le premier épanouissement du culte extérieur, nous rencontrons des manifestations bien plus variées du symbolisme chrétien.

Les basiliques ont leurs peintures, leurs mosaïques, leurs vases sacrés. Les cimetières ont leurs sarcophages. Le culte privé a des lampes, des coupes et d'autres menus objets.

Mais il faut mettre de suite en relief le grand symbole voilé du SacréCœur, l'Agneau victime, au cœur percé d'un glaive.

Je me plais à le voir représenté à l'abside des vieilles basiliques, à Rome, à Ravenne, à Milan, et particulièrement dans la principale église du monde, à Saint-Pierre au Vatican.

Le mystère de l'Agneau est là. C'était la grande vision de saint Jean: l'Agneau divin victime, source de toutes les grâces terrestres et de toutes les joies célestes, symbolisées par les quatre fleuves du paradis.

A Saint-Pierre (dans l'ancienne basilique) le tableau est double. En haut, c'est le Christ régnant, assis sur son trône. En bas, c'est l'agneau symbolique au pied de la croix, mais sous le trône du Christ, comme sous les pieds de l'agneau découlent les sources sacrées, image des joies et des grâces qui sortent du Cœur de Jésus.

C'est bien le culte voilé du Sacré-Cœur qui s'exprimera par la vision de l'agneau pendant les dix premiers siècles et même jusqu'au quinzième. Après l'agneau, c'est le crucifix qui préparera le culte plus explicite du Sacré-Cœur.

Combien je regrette que la Renaissance n'ait pas respecté ou reproduit l'ancienne abside de Saint-Pierre!

Pour saint Jean, Le Sauveur est l'Agneau immolé depuis le commencement du monde (Apoc.). Il était immolé d'abord dans ses figures. Il l'a été en réalité au Calvaire. Il reste comme immolé (tanquam occisus) au ciel par les traces de ses stigmates et par l'offrande perpétuelle de son sacrifice.

Dans l'art, voici quelques figures de l'Agneau au Cœur transpercé. C'est Abel, d'abord, souvent représenté sur les sarcophages. L'aimable adolescent porte en ses bras son agneau, qui sera immolé en victime réparatrice. Lui-même donnera son sang et sera la première figure du Rédempteur. Le cœur d'Abel n'était-il pas, comme le Cœur de Jésus, doux, humble, pieux et sacrifié par la haine et la jalousie?

Le sacrifice d'Abraham était un sujet très populaire chez les premiers chrétiens. On le trouve sur toutes sortes d'objets. Il était souvent represente sur les murailles des basiliques à Rome, à Ravenne et ailleurs. On le retrouve à Reims et à Florence. Ce souvenir historique avait pour but d'inspirer aux fidèles la résignation dans la persécution, et surtout l'amour et la reconnaissance envers l'Agneau de Dieu immolé pour le salut des hommes? Abraham transperça le cœur du bélier, en attendant que le véritable Isaac laissât ouvrir son cœur sur la croix.

Le caractère essentiel du Rédempteur était celui de victime. Il n'est donc pas étonnant, fait remarquer Martigny, que l'agneau soit la plus ancienne figure sous laquelle il est désigné dans les Livres saints (Gen., 4. - Exod., 12 et 29). Les prophètes de l'Ancienne Loi (Isaïe, 16. - Jérémie, 53), comme ceux de la Loi nouvelle (I Petr., 1. - Apoc., 16), et le Précurseur lui-même lui donnent constamment le titre d'Agneau; et cette figure est passée dans le langage des Pères comme aussi dans celui de l'Eglise (Justin, dial. avec Tryph., 11. - Tertul., Adv. Jud., 8. - Euseb., Démonst. évang., 10, etc.). Il était donc tout naturel que l'image de l'agneau fût adoptée comme ornement symbolique dans les monuments de toute nature de l'Eglise primitive, tant orientale, qu'occidentale. Elle avait l'avantage de rappeler aux fidèles le souvenir du divin Agneau percé au Cœur par le glaive et immolé pour leur salut, sans trahir aux yeux des païens les mystères sacrés, ni scandaliser la foi des néophytes par des représentations directes de la Passion de l'Homme-Dieu. L'Agneau était le crucifix de ces temps agités par la persécution, et, en suivant, à travers les six premiers siècles, les diverses représentations qui en sont faites, nous le voyons subir des transformations incessantes qui, en lui donnant des attributs de plus en plus tranchés du Dieu Sauveur, préparent graduellement l'image du crucifix et celle du Sacré-Cœur.

Le premier rang appartient à l'agneau portant les attributs du Bon Pasteur, c'est-à-dire le vase à lait au bout de la houlette. Nous l'avons vu déjà au cimetière de Domitille. Les délinéaments de cette image n'ont-ils préparé le chrisme P, le labarum, qui est déjà un symbole voilé du Sacré-Cœur?

Le second rang appartient à l'agneau mystique, source des quatre fleuves, si souvent représenté depuis les basiliques et les sarcophages du IVe siècle, jusqu'au chef-d'œuvre de la peinture du XVe siècle à Gand. Le culte du Sacré-Cœur y est à peine voilé.

Bien des monuments représentent l'agneau avec le nimbe simple ou crucifère. Dans d'autres, l'agneau tient une croix. La croix est toujours l'autel du Sacré-Cœur.

Une lampe antique, décrite par M. de Lastérie dans Les Mémoires des Antiquaires de France (tome XIIe), mérite ici une mention toute spéciale. La lampe affecte la forme d'un agneau, ce qui évidemment fait allusion au passage de l'Apocalypse (21-23), où il est dit que l'agneau tient lieu de soleil à la cité céleste, lucerna ejus est agnus. Du sein de cet agneau jaillit une source d'huile qui donne aux hommes lumière et ferveur. La poitrine de cet agneau et marquée de la croix. Le Cœur de l'Agneau divin est la source de toute lumière et de toute joie.

Au VIe siècle, voici venir l'agneau portant une croix hastée et reposant sur un livre. C'est ainsi qu'il paraît souvent sur la main de saint Jean-Baptiste, qui est appelé agnifère.

Désormais l'agneau est couché sur un autel, au pied d'une croix gemmée, tanquam occisus. Un peu plus tard, il a le flanc ouvert et le sang coule de cette plaie ainsi que de celles de ses pieds (Bosio, de cruce). Dans quelques mosaïques, l'agneau est debout sur un trône au pied d'une croix, et le sang qui s'échappe de son flanc tombe dans un calice. Du pied de ce calice s'échappent quatre ruisseaux. Ici le culte du Sacré-Cœur est à peine voilé.

Quand les représentations du crucifix commencent, il y a souvent derrière le crucifix un agneau sur la croix. Le doux symbole accompagne la réalité.

Parfois, au lieu d'une croix, l'agneau porte une lance. Est-ce en souvenir de sa transfixion?

Enfin, vers les VIIIe et IXe siècles, la glorification de l'Agneau se présente avec toutes les magnificences des visions de l'Apocalypse, notamment dans les splendides mosaïques des arcs triomphaux des Saints-Côme et Damien et de Sainte-Praxède.

Ou bien l'agneau marqué du Chrisme est debout sur une colonne qui figure l'Eglise (Garrucci, Hagioglypta, p. 222).

Il faut rapprocher du symbole de l'agneau les autres symboles du sacrifice, puisque tout le sacrifice rédempteur se résume dans le sang versé par le Cœur de Jésus.

Les ancres et les tridents figurent la croix. Que de fois auprès de l'ancre apparaît l'agneau ou le poisson, c'est-à-dire la victime rédemptrice, sacrifiée sur la croix!

Le poisson a guéri Tobie par son cœur. Souvent dans les verres et les coupes qui servaient aux agapes le jeune Tobie est représenté plongeant le bras dans la gueule du poisson ou portant à la main les entrailles qu'il en a retirées. N'est-ce pas pour nous inviter à faire comme Tobie et à chercher dans le Cœur de Jésus, poisson mystique, le salut et la grâce? (Garrucci).

La colombe aussi est mille fois représentée avec sa branche d'olivier, pour symboliser le Sauveur qui nous a délivrés par le sang de son Cœur. La colombe n'était-elle pas aussi sacrifiée journellement au Temple avec l'agneau?

Nous avons parlé du cycle du Pasteur à propos des catacombes.

Le Bon Pasteur a souvent la brebis sur les épaules. Parfois il tient les pattes de l'agneau croisées sur sa poitrine, ou même il tient la brebis toute entière sur son Cœur, comme dans certains monuments d'Afrique, et cela rappelle un hémistiche de Tibulle:

Non agnamve SINU pigeat faetumve capellae

Desertum oblita matre referre domum.

(Annuaire archéol. de Constantine, 1856-1857).

Parfois la piété accumulait les symboles, comme sur une cornaline du IIe siècle (Garrucci). On y voit à la fois: l'ancre accostée de deux poissons, la croix en tau surmontée de la colombe avec l'agneau à sa base, l'arche de Noé avec la croix en tau, le poisson, le Bon Pasteur.

En résumé, le signe de l'agneau victime, immolé et frappé au cœur domine dans les premiers siècles. Son cœur est la source des fleuves qui symbolisent la grâce.

Le symbole du crucifix lui succède. Le Christ sur la croix a son côté ouvert. Longin est souvent représenté avec sa lance. un calice est parfois présenté par un ange pour recevoir le sang du côté de Jésus.

La lance devient un instrument liturgique, principalement chez les Grecs. Dans la liturgie de saint Chrysostome, le prêtre avant la messe marque et coupe l'hostie avec des paroles et des actes qui sont tout inspiré par l'esprit du Sacré-Cœur.

Le couteau sacré a la forme d'une lance. «Le prêtre saisit de la main gauche le pain et de la droite la sainte lance, avec laquelle il trace le signe de la croix sur le sceau de la forme ouverte et dit trois fois: En mémoire du Seigneur de Dieu et Sauveur. Jésus-Christ. Et aussitôt il enfonce la sainte lance dans la partie droite du sceau, et l'ouvrant, il dit: Comme une brebis, il a été conduit à la mort. Enfonçant de même cette sainte lance dans la partie gauche, il dit: Et comme un doux agneau qui se tait devant celui qui le fond, il a été conduit à la mort. Enfonçant de nouveau la sainte lance dans la partie supérieure du pain, il dit: Après ces humiliations, il a été délivré de la mort… Puis le prêtre, dirigeant la sainte lance obliquement dans la droite de la forme offerte, en détache le saint pain, disant: Sa vie est enlevée de la terre, éternellement, maintenant et toujours, amen. Et inclinant le pain sur la patène, après que le diacre a dit: «Immolez, Seigneur!» le prêtre le sacrifie en forme de croix, disant: Est immolé l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, pour la vie et le salut du monde! Alors, il tourne le pain de l'autre côté qui a une croix au-dessus, et le diacre dit: «Percez, Seigneur!» Le prêtre, le perçant du côté droit avec la sainte lance dit: Et un des soldats ouvrit son côté avec sa lance; et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau» (Martigny, page 401).

Ne sommes-nous pas ici en pleine liturgie du Sacré-Cœur? Des coutumes semblables régnaient en occident, mais elles n'ont pas persévéré. La fraction ou incision du pain avait lieu avant la messe des fidèles (avec la lance eucharistique) comme on le voit dans Honorius d'Autun (Gemma animae, liv. 1).

Saint Remi avait fait graver sur son calice une épigraphe qui montre sa dévotion au Cœur voilé de Jésus:

Hauriat hinc populus vitam de sanguine sacro

Injecto aeternus quem fudit vulnere Christus,

Remigius reddit domino sua vota sacerdos.

«Qu'ici le peuple puise la vie dans le sang sacré, - que de son flanc ouvert répandit le Christ éternel. - Le prêtre Remi rend ses vœux au Seigneur».

Le cycle de l'Agneau aux sources sacrées et le cycle du crucifix au côté ouvert préparaient le culte manifeste du Sacré-Cœur.

Le culte du crucifix se complète par celui du Sauveur ressuscité, portant les signes de ses stigmates et souvent avec saint Thomas qui fouille son Cœur, comme on le voit au sarcophage de saint Celse, à Milan.

Terminons par la description d'une curieuse représentation de la Sainte Vierge. Il s'agit d'une pierre gravée du musée Vettori. La Sainte Vierge a l'Enfant Jésus contre sa poitrine, dans le style byzantin. Tous deux sont placés dans une espèce d'urne ou de calice d'où s'échappent deux sources. Autour des figures, sont les mots grecs, qui signifient Mère de Dieu et Source. Ce dernier mot s'applique au divin Enfant, dont le cœur est pour nous la source de tous les biens, selon le mot d'Isaïe: Haurietur aquas in gaudio de fontibus Salvatoris; source à laquelle nous devons aller par Marie, qui à son tour est appelée dans le Cantique des cantiques, le Canal des grâces: Puteus aquarum viventiuni, quae fluunt impetu de Libano, le puits des eaux vives, qui coulent avec impétuosité du Liban (Martigny, Antiquités, p. 293).

Au Moyen-Age, le cœur est l'emblème de l'amour et de la fidélité. Il apparaît dans les broderies, les émaux, l'orfèvrerie.

Le cœur étant considéré comme l'organe noble par excellence, on aimait à conserver le cœur des personnages éminents.

On peut citer le cœur de Richard, Cœur de Lion, à Rouen, celui de saint Louis, à la Sainte-Chapelle de Paris, celui de saint François de Sales, à Venise (à la Visitation).

C. - Les quatre fleuves mystiques

(Extrait de notre revue Le Règne du Sacré-Cœur, 1902)

Pendant les premiers siècles chrétiens et pendant le Moyen-Age, l'art chrétien s'est complu à représenter quatre fleuves ou quatre sources aux pieds du Sauveur, aux pieds de la croix ou de l'Agneau mystique. Ce symbole se retrouve fréquemment dans les sculptures des sarcophages, dans les coupes ornées de figures et dans les mosaïques des églises. Il figurait en première place à l'abside de l'ancienne basilique vaticane. On le voit encore à l'abside de Saint Jean de Latran, à celle de Saint-Clément, à celle de Sainte-Cécile et à plusieurs autres. Ce symbole est abandonné dans l'art chrétien et je me demande si on le comprend encore. Quel dommage! C'était un splendide symbole, qui prêchait le Sacré-Cœur à toutes les générations, depuis les catacombes jusqu'au Moyen-Age.

Au sens éloigné, c'étaient les quatre fleuves du paradis terrestre, symbole des quatre sources de sang sorties des plaies de Jésus; au sens mystique, toutes les grâces de la loi nouvelle, les évangiles, les sacrements, les vertus et les faveurs célestes.

Les sources jaillissent, dans ces figures symboliques, d'un monticule ou d'un rocher sous les pieds du Sauveur ou aux pieds de l'Agneau mystique; des brebis et des cerfs viennent s'y désaltérer.

Comment ne pas reconnaître là le symbole du Sacré-Cœur? C'est la traduction de la prophétie d'Isaïe: «Vous puiserez avec joie aux sources du Sauveur». Or, ces sources du Sauveur, les Pères et les écrivains mystiques nous disent que ce sont les plaies de Jésus et particulièrement celle de son Cœur.

Le texte hébreux d'Isaïe peut même se traduire par «les entrailles du Sauveur», ce qui indique formellement son Cœur.

Isaïe faisait allusion à la source de Moïse, à laquelle les Israélites buvaient avec joie, et il nous indique encore là une splendide figure du Sacré-Cœur.

C'est le Sacré-Cœur, en même temps que le baptême, que les fidèles des catacombes avaient en vue, quand ils représentaient si souvent Moïse faisant jaillir l'eau du rocher. La baguette de Moïse, c'est la croix et la lance; la source, c'est le Cœur de Jésus: Petra autem, erat Christus (1 Cor., 10).

Le Pape Innocent VI, dans son sermon sur la sainte Lance, a dit: «Cette lance a fait couler les fleuves de la divine miséricorde pour nous purifier de nos péchés».

Mais pourquoi quatre fleuves? C'est qu'il n'y a eu vraiment que quatre sources de sang au Calvaire.

Les deux pieds du Sauveur étaient cloués l'un sur l'autre, comme nous l'avons dit plus haut, et ne donnaient qu'une coulée de sang. Quand les fresques du Moyen-Age plaçaient au Calvaire des calices portés par des anges pour recevoir le sang rédempteur, il n'y avait jamais que quatre calices: un aux pieds, deux aux mains et un au côté. Souvent aussi un seul calice, recevant le sang du Cœur de Jésus ou du côté de l'Agneau résumait tout.

C'est aussi une allusion aux quatre fleuves du paradis, parce que, comme le disent saint Augustin et saint Ambroise, allégoriquement le Christ c'est le paradis, et l'Eglise aussi c'est le paradis.

Saint Paulin expliquant les peintures mystiques disait:

Petram superstat ipse Petra Ecclesiae

De qua sonore quatuor fontes meant.

«Le Christ, pierre fondamentale de l'Eglise, est debout sur le rocher du Calvaire, duquel découlent quatre sources au doux murmure». Par là, saint Paulin nous rappelle que le Christ lui-même a donné le sens de notre beau symbole, quand il a dit, en se comparant à la source de Moïse: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive», et encore: «Si quelqu'un boit de l'eau que je donnerai, il sera rassasié de délices» (S. Jean. chap. 4 et 7).

Saint Bernard, le dernier des Pères de l'Eglise, comprenait encore notre beau symbole du Sacré-Cœur: «Le Christ est notre paradis, disait-il, et il nous offre en ses plaies quatre sources: une source de miséricorde pour effacer nos péchés, une source de sagesse où nous pouvons puiser le discernement spirituel, une source de grâce pour enrichir nos œuvres de la sainte ferveur; une source de charité pour donner à nos actions le condiment de l'amour de Dieu» (Serm. 1, de Nativ.).

Il n'y a de nouveau dans la dévotion au Sacré-Cœur que l'image spéciale du Cœur de Jésus. Notre-Seigneur a dû nous donner ce signe nouveau, parce que l'humanisme et la Renaissance nous avaient fait perdre l'intelligence de nos beaux symboles chrétiens.

La grande mosaïque absidale de l'ancienne basilique de Saint-Pierre mérite un étude spéciale.

Presque toutes les basiliques de Rome, construites du IVe au XIIe siècle, reproduisaient le même sujet. Sept ou huit au moins l'ont encore conservé. C'est le plus saisissant symbole du Sacré-Cœur et c'était le symbole chrétien le plus populaire et le plus universel depuis l'époque des catacombes jusqu'à la Renaissance.

Mais les quatre sources mystiques se trouvent deux fois dans la mosaïque qui avait la place d'honneur à l'ancienne basilique de Saint-Pierre. Il y a là deux scènes superposées. Dans le haut, sur un fond de ciel étoilé, on voit les sources jaillir sous les pieds du Sauveur et des cerfs symboliques viennent s'y désaltérer. Sur le plan inférieur, les sources coulent aux pieds de l'Agneau victime et de la croix, et vers elles se dirigent les brebis qui viennent de l'Orient et de l'Occident, de la cité juive et de la cité païenne.

Les fleuves mystérieux se voient donc au ciel aussi bien que dans l'Eglise militante.

Dieu se plaît dans les unités de concept. Au paradis terrestre, il place une source maîtresse, qui se divise en quatre fleuves pour porter partout la fécondité et la vie: Et fluvius egrediebatur de loco voluptatis ad irrigandum paradisum, qui inde dividitur in quatuor capita (Gen., 2).

Au désert, le peuple de Dieu a aussi une source de vie et de salut, celle qui jaillit du rocher sous le bâton de Moïse.

Dans la Terre-Sainte, la Terre-Promise, au pied de Jérusalem et de Sion, jaillit une source qui a aussi un caractère mystérieux et qui sert à l'alimentation de toute la ville, c'est la fontaine de Siloé.

Tout cela était figuratif: Omnia in figuris contingebant illis.

La Terre Promise avait été comme un second paradis. L'Eglise vient, elle est un paradis d'un ordre plus élevé, en attendant le paradis céleste. L'Eglise a son arbre de vie, qui est la croix et ses fleuves sacrés qui coulent des plaies du Christ. Et ces quatre fleuves ont une source commune, le Cœur de Jésus.

Les prophètes l'avaient annoncé: «Le Christ, disait Zacharie, sera une source ouverte dans la maison de David: Erit Fons patens domui David» (C h. 13).

Isaïe en parle jusqu'à quatre fois: «Vous boirez avec joie aux sources du Sauveur» (Ch. 12). «Dieu répandra ses eaux sur ceux qui ont soif» (Ch. 44). «Le peuple de Dieu ne souffrira plus de la soif, parce que le Sauveur le conduira aux sources jaillissantes» (Ch. 49). «Vous tous qui avez soit, venez puiser aux eaux du salut» (Ch. 55).

Mais ces sources avaient un rapport particulier avec l'Agneau sauveur, qui était attendu depuis la révélation primitive. Isaïe a entrevu ce rapport. Au chapitre 12e, il annonce avec allégresse les sources du Sauveur; au 16e, il nous révèle que ce Sauveur sera l'Agneau qui doit régner sur toute la terre; au chapitre 49e, il nous montre ce Sauveur conduisant les peuples aux sources rafraîchissantes: Miserator eorum ducet eos ad fontes aquarum et potabit eos.

Mais c'est l'apôtre saint Jean qui dans l'Apocalypse met ce mystère en plein lumière. Pour lui, le Sauveur est toujours l'Agneau. Plus de trente fois, il nous montre l'Agneau rachetant les âmes par son sang et recevant au ciel les hommages des Saints. Il ne sépare pas l'agneau des sources du salut. Au chapitre 7e, il reprend le texte d'Isaïe et il nous dépeint l'Agneau conduisant les élus aux sources de la Rédemption. Au chapitre 22e, il précise davantage encore le symbole du fleuve de vie, et il le montre jaillissant du trône de Dieu et de l'Agneau: Angelus ostendit mihi fluvium aquae procedentem de sede Dei et agni.

On sait que les premiers siècles chrétiens empruntaient surtout leur symbolisme à l'Apocalypse. De là ce trône de l'Agneau et ces fleuves mystérieux cent fois représentés dans l'art chrétien primitif et souvent commentés par les Pères de l'Eglise jusqu'à saint Bernard.

L'Agneau règne dans l'Eglise et dans le ciel. Ses bienfaits sont représentés par quatre fleuves sortant d'une source unique.

Dans l'Eglise, les sources mystiques sauvent les fidèles par le sang rédempteur de l'Agneau; elles les nourrissent par l'Eucharistie, qui est sortie également du Cœur de Jésus.

Dans le ciel, les sources qui découlent du trône de l'Agneau sont la gloire et la joie des élus. N'est-ce pas leur gloire d'avoir été sauvés par ce sang précieux et leur joie éternelle d'avoir été aimés à ce point?

Ce symbole n'est-il pas un admirable résumé de toute la doctrine de l'Eglise? Il nous rappelle à la fois la création, la rédemption et le paradis céleste.

L'art chrétien du Moyen-Age a connu ce symbole aussi bien que l'art primitif des catacombes et des basiliques. Le pavé de la cathédrale de Reims représentait autrefois les quatres fleuves découlant de l'autel et figurés par des personnages humains tracés en mosaïques, avec les noms des fleuves paradisiaques (Martigny, Antiquités chrétiennes).

Les pieuses peintures de Van Eyck, au XVe siècle, donnaient encore l'Agneau Sauveur et les sources sacrées.

Quand l'art de la Renaissance eut apostasié et préféré les travaux d'Hercule et les mythes païens au symbolisme chrétien, Jésus vint en personne nous rappeler à la réalité et il montra à sainte Marguerite Marie la véritable source de vie en la priant d'en propager l'image.

D. - L'agneau de Dieu, et le Sacré-Cœur

L'Agneau de Dieu, c'est le Sauveur au Cœur doux et humble, le Sauveur au Cœur transpercé par le glaive.

Dans la Sainte Ecriture, dans la tradition, dans l'art chrétien, dans la liturgie, nous avons rencontré l'Agneau de Dieu qui n'est autre que le Sauveur, au Cœur toujours aimant et toujours immolé.

Un pieux missionnaire, le P. Joseph Blanc, a eu l'heureuse pensée d'écrire un livre pour nous montrer comment le symbole de l'Agneau est le symbole préféré du Sauveur et le vrai surnom de Jésus, au point que l'Agneau de Dieu et le Sauveur sont deux noms qui peuvent s'échanger l'un pour l'autre.

L'auteur prend l'Agneau de Dieu au moment où saint Jean-Baptiste nous le présente: Ecce Agnus Dei, Voici l'Agneau de Dieu.

Deux fois saint Jean-Baptiste salue l'Agneau de Dieu.

Une première fois devant la foule qui venait pour le baptême de pénitence. Jean-Baptiste, voyant Jésus qui venait à lui, s'écria: «Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde». Et le lendemain, plus intimement, devant deux disciples privilégiés, André et Jean, il dit encore: «Voici l'Agneau de Dieu». Et les deux disciples s'attachèrent à Jésus et le suivirent et ce fut le commencement de l'Eglise.

André et Jean allèrent trouver Pierre et lui dirent: Nous avons trouvé l'Agneau de Dieu, le Fils de David, le nouveau Moïse, le Messie sauveur et rédempteur.

Saint Jean a dû avoir dès ce moment-là une vive lumière sur le mystère de la Rédemption.

Jésus est l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, comme l'agneau pascal et les sacrifices de l'Ancienne Loi effaçaient les péchés du peuple. Saint Jean a compris que Jésus serait victime, au moins par l'humiliation et par la persécution. La grâce céleste a dû lui faire entre voir même le sang rédempteur, mais son cœur trop aimant a dû se refuser à croire que les choses iraient jusque-là.

Saint André aussi eut quelques lumières sur le victimat du Sauveur. Saint Pierre fut troublé par ce nom d'Agneau qui lui resta présent et qu'il répéta dans sa première Epître, quand il nous rappela que nous étions rachetés par le sang de l'Agneau immaculé.

Voici l'Agneau de Dieu, c'est le Sacré-Cœur que saint Jean-Baptiste présente à toute l'humanité, au point de jonction de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Voici l'Agneau de Dieu, c'est-à-dire: Voici la douce victime qui sera frappée au cœur pour sauver les hommes en effaçant leurs péchés. Saint Jean-Baptiste nous présente à la fois tous les sacrifices de l'Ancienne Loi et spécialement les agneaux immolés pour la sortie de l'Egypte et les agneaux qu'on immola par millions pour les fêtes de Pâques. Ils étaient tous des symboles de l'Agneau rédempteur.

Il nous présente aussi d'avance le grand sacrifice du Calvaire et tous les sacrifices eucharistiques qui en seront la reproduction et l'application.

(Quelle parole merveilleusement éloquente: Ecce Agnus Dei!

L'apôtre saint Jean ne perdra plus de vue cette parole: Conservabat omnia verba haec. Il la méditera sans cesse, il la comprendra toujours davantage, il la redira dans son Evangile et à chaque page de l'Apocalypse. Pour lui, Jésus sera toujours l'Agneau, parce que la principale fonction du Verbe incarné a été son sacrifice victimal.

Tout l'Ancien Testament s'illumine aux yeux de saint Jean, comme plus tard il s'illuminera aux yeux de saint Paul. Sa lumière, c'est l'Agneau, Lucerna ejus est Agnus, c'est l'Agneau immolé, c'est l'Agneau frappé au Cœur.

Il a été immolé dès le commencement, nous dira plus tard saint Jean. Il a été immolé avec Abel lui-même et ses blancs agneaux, avec le pain et le vin de Melchisédech, qui symbolisaient la chair et le sang de l'Agneau; avec le bélier d'Abraham; avec tous les agneaux immolés au Temple pour la Pâque et pour les autres sacrifices.

Saint Jean voyait tout l'Ancien Testament à la lumière de l'Agneau, c'est-à-dire à la lumière du Sacré-Cœur.

Le mystère de l'Agneau immolé est surtout manifest dans la Genèse où le sang de l'agneau est le signe du salut pour la sortie d'Egypte et pour les fêtes pascales de chaque année.

Les prophètes ont entrevu comme Moïse le mystère de l'Agneau.

Jérémie, qui est lui-même une figure du Christ persécuté, se compare au doux agneau qui est conduit au sacrifice (Ch. 11, 19).

Isaïe, dans son beau chapitre 53, où la passion du Sauveur est si nettement marquée, nous décrit le Messie comme un agneau qui se laisse immoler en silence.

Saint Jean reçoit peu à peu l'intelligence de toutes ces prophéties et quand il voit au Thabor Jésus s'entretenir d'une manière émue avec Moïse et Elie, il comprend qu'ils parlent entre eux du sacrifice prochain de l'Agneau au Calvaire.

Après le coup de lance de Longin, il n'y a plus de mystères pour saint Jean. Le Sacré-Cœur est le soleil qui illumine la Jérusalem terrestre et celle du ciel.

Toute l'Apocalypse est écrite sous cette lumière.

Dans la première partie, saint Jean nous présente le Divin Pasteur qui s'est fait agneau victime pour sauver ses brebis: Primogenitus mortuorum, qui dilexit nos et lava nos a peccatis nostris in sanguine suo. L'Agneau pasteur instruit les sept Eglises qui figurent toutes les églises de la terre.

Dans la seconde partie, du chapitre 4e, au verset 10 du chapitre 19e, Jésus, l'Agneau divin, Agnus stans tanquam occisus ante thronum Dei, nous montre son Eglise unie à son sacrifice et toujours militante et persécutée pendant tout le cours des siècles.

Les sept sceaux qui sont ouverts successivement par l'Agneau ne sont pas autre chose que les sept périodes des persécutions dans lesquelles l'Eglise subit les diverses phases de sa grande immolation.

Enfin, dans la troisième partie, l'Agneau de Dieu règne avec les siens. Le Verbe de Dieu est son nom, mais son manteau royal est aspergé de sang, parce que l'Agneau victorieux a donné tout le sang de son Cœur pour sauver son Eglise.

Puis saint Jean, en décrivant le règne de l'Agneau, nous trace les premiers traits de l'art et du symbolisme chrétien.

L'Agneau sera sur le trône ou aux pieds du trône. Des sources mystérieuses découleront de ses plaies divines. Les fidèles, sous l'aspect de brebis, viendront boire à ces fleuves mystiques qui symbolisent les Evangiles, les sacrements et toutes les grâces de la vie chrétienne.

Et par ces symboles, saint Jean nous donne la clef des figures de l'Ancien Testament. Il nous apprend à reconnaître les grâces du Sacré-Cœur dans les fleuves mystérieux du paradis terrestre, dans la fontaine miraculeuse de Moïse, dans les sources du Sauveur prédites par Isaïe. Les visions apocalyptiques vont inspirer l'art chrétien. L'Agneau de Dieu apparaîtra à l'abside de toutes nos vieilles basiliques. Ce sera le culte voilé du Sacré-Cœur. Nous en avons le témoignage dans toutes les régions où l'art ancien a laissé des traces marquantes, à Rome, à Aquilée, à Ravenne.

L'Agneau de Dieu dominera dans la liturgie. Ecce agnus Dei, dira-t-on plusieurs fois au sacrifice de la messe.

Comme nous l'avons déjà dit, on emploiera dans la vieille liturgie le couteau en forme de lance pour diviser le pain en souvenir du sacrifice de l'Agneau.

La liturgie orientale surtout, qui a mieux gardé des traditions johanniques, a des actes et des paroles qui rappellent l'occision de l'Agneau.

Chapitre V

La dévotion latente au Sacré-Cœur

Nous allons donner de nombreux extraits des Pères de l'Eglise, des Docteurs et des Saints, c'est une mine de pieuses lectures qui aidera les amis du Sacré-Cœur à s'unir aux sentiments des Saints dans cette longue période de préparation au culte public du Sacré-Cœur.

A. - Les pères de l'Eglise

Plusieurs auteurs, l'abbé Thomas4), l'abbé Baruteil5) et d'autres ont recherché s'il y avait trace du culte du Sacré-Cœur dans les écrits des Pères.

Nous leur accordons bien volontiers que les Pères n'ont pas honoré explicitement le Cœur de chair du Sauveur comme symbole et organe de son amour. Il n'y a pas chez eux de culte formel du Sacré-Cœur.

Mais chez eux, comme dans l'Ecriture, il y a le culte implicite et voilé du Sacré-Cœur, c'est-à-dire, le culte rendu à l'amour divin du Sauveur pour nous, à ses vertus, à ses souffrances, avec l'emploi fréquent de la métaphore du cœur humain pour signifier l'amour, les vertus intimes, le dévouement, le sacrifice.

«Le cœur, disait saint Jérôme, c'est le sentiment, c'est l'amour; c'est l'âme avec l'intelligence et la volonté» (In Jerem., liv. 1, c. 4).

«Vous avez blessé mon cœur, dit l'Epoux du cantique», 4, 9. «Cette blessure, dit saint Justin, c'est la dilection du cœur» (In Cant). «Vous avez blessé mon cœur, dit Théodoret, cela veut dire: Vous m'avez enflammé d'amour pour vous» (In Cant., 3).

«Partout, dit Baruteil, les Saints Pères traduisent le cœur par l'amour».

C'était une métaphore qui devait un jour être représentée par un symbole manifeste et conduire à un culte formel du cœur matériel lui-même.

Le cœur, chez les Grecs et les Latins, le sein ou les entrailles chez les juifs, étaient des métaphores très appropriées pour signifier l'amour, le dévouement et la douleur, à cause de la répercussion qu'exerce sur ces organes, et surtout sur le cœur, la vivacité de nos sentiments.

La métaphore devait conduire peu à peu à la représentation et au culte de l'organe qui était si uni à l'amour divin.

D'ailleurs, il est bien évident que les Pères, avec toute l'Eglise, ont fait de ce culte du Cœur de Jésus le centre de toute la liturgie au Saint Sacrifice de la messe. Rappelons de nouveau le couteau en forme de glaive qui coupait l'hostie: la liturgie grecque y ajoutait des paroles rappelant le coup de lance. - La goutte d'eau a toujours été unie au vin dans le calice, pour rappeler le sang et l'eau sortis du Cœur de Jésus. Le sacrifice de l'Agneau divin ne se faisait pas sans rappeler l'ouverture du cœur. C'était le culte intime et voilé mais quotidien du Sacré-Cœur.

Origène, un grand ami des figures et des symboles, nous explique comment il faut lire l'amour dans les métaphores où l'Ecriture parle du cœur, du sein ou des entrailles. «Remarquons, dit-il, que dans les divines Ecritures ce que l'on entend principalement par le cœur, porte des noms divers, dont on se sert suivant les circonstances. Parfois on l'appelle cœur: Bienheureux ceux qui ont le cœur pur. Dans un festin, d'après l'ordre et la disposition des convives, on l'appelle ou sein ou poitrine, comme saint Jean le relate dans l'Evangile.

Là, en effet, il est certain que Jean reposa sur ce qui est principal dans le Cœur de Jésus, in principali Cordis Jesu, pour y scruter les trésors de la sagesse et de la science cachés en Jésus-Christ… Donc, comme nous le disions, ce qui surtout est le cœur (la charité), est désigné de diverses manières dans les saintes Ecritures.

D'après cela, même dans ce passage, puisqu'il y est question du drame de la dilection, par le mot sein, in uberibus, nous entendrons principale cordis, ce qui est principal dans le cœur, la charité» (Origen. In Cant., 13, 87).

Dans le même livre, Origène, faisant allusion au Cantique des cantiques, disait: «L'épouse était appuyée sur son bien-aimé, c'est-à-dire qu'elle reposait sur sa poitrine, et cela est dit de l'âme épouse et du Verbe. Celle-là repose sur la poitrine de celui-ci, parce que dans la poitrine réside le principal de notre cœur (la charité)».

Honorius d'Autun est plus clair encore dans l'explication de la métaphore ou du symbole:

«Par le cœur, dit-il, c'est l'amour que l'on entend, lequel, parait-il, est dans le cœur, de sorte que le nome de ce qui contient sert à désigner ce qui est contenu.

C'est dans ce sens que le Christ a été blessé sur la croix par son amour pour l'Eglise» (In Cant., p. 1, ch. 172).

En résumé, chez les Pères, comme dans l'Ecriture, c'est l'amour de Notre-Seigneur pour nous qui est loué et honoré, avec une allusion de plus en plus claire et fréquente à l'organe qui passe pour être le siège de l'amour, jusqu'à ce que cet organe vienne à être lui-même dessiné et représenté pour exprimer l'amour.

Certains passages de la Sainte Ecriture étaient l'occasion pour les Pères d'exprimer cette métaphore.

Dans la Genèse, la création d'Eve, tirée du côté d'Adam, était comparée à la formation de l'Eglise symbolisée par le sang et l'eau sortis du Cœur de Jésus. Et si les Pères ne nomment pas explicitement le cœur, il est bien clair par les contextes qu'ils voient dans le côté ou le Cœur de Jésus la métaphore de l'amour.

De même que du côté d'Adam est sortie Eve, sa compagne bien-aimée, l'os de ses os, la chair de sa chair, de même du Cœur de Jésus et sortie l'Eglise, son épouse tant aimée.

«C'est pour cela (parce que le côté du Christ devait être ouvert par la lance) que la première femme a été faite du côté du premier homme pendant son sommeil, et elle fut appelée la Vie et la Mère des vivants; elle était la signification d'un grand bien, avant le grand mal de la prévarication. Le second Adam, ayant incliné la tête, s'endormit sur la croix, pour que, durant son sommeil, l'Eglise, son épouse, fût formée de son côté. O mort par laquelle les morts reviennent à la vie!

Qu'y a-t-il de plus salutaire que cette blessure? - N'est-ce pas une invitation à fouiller cette blessure et à pénétrer jusqu'au cœur d'où sortirent le sang et l'eau?» (S. Aug., tr. 120, In Joan., 19).

Saint Athanase nous apporte le témoignage de l'Eglise grecque: «Ce n'est pas ailleurs mais au côté d'où découlèrent le sang et l'eau, que le Christ fut transpercé: de même que par la femme, formée du côté d'Adam, était venue la chute, ainsi par le côté du second Adam devait être opérée la rédemption et la purification du premier: la rédemption par le sang, la purification par l'eau» (Hom. In Passionem, n. 25).

De même saint Chrysostome: «Ils ouvrirent son côté avec une lance, dit-il, et il en sortit du sang et de l'eau…, par ces deux éléments l'Eglise a été constituée. Les initiés ne l'ignorent pas, car, régénérés par l'eau, ils sont nourris par le sang et par la chair.

C'est là (dans le Sacré-Cœur) que les mystères ont leur origine, et chaque fois que vous participez à l'admirable calice, approchez-vous comme si vous alliez puiser au côté même du Sauveur» (Hom. 85).

«De même qu'Eve, dit saint Jérôme, fut tirée du côté d'Adam, ainsi du côté du Christ est sortie la rédemption de l'Eglise: le sang, c'est la rémission des péchés, l'eau le baptême» (In Joan., 1, 30).

«Ce fut par un soin providentiel, dit saint Paschase Radbert, que la divine Sagesse fit jaillir de son côté le sang et l'eau, afin que où la première femme fut créée, l'Eglise aussi fût formée, le Christ ayant effacé le peché sur la croix» (De Corp. Dom. ).

* * *

Souvent aussi les Pères ont vu dans la porte de l'arche le symbole de l'ouverture du Cœur de Jésus: «Le côté de Jésus fut frappé de la lance, dit saint Augustin, et il en sortit du sang et de l'eau qui figuraient les sacrements de l'Eglise. Cela avait été annoncé et préfiguré par la porte que Noé dut ouvrir sur le côté de l'arche pour y faire entrer les animaux, symbole de l'Eglise ou des âmes rachetées par le Christ» (Tract. 120, In Joan).

Le rocher frappé par Moïse avait évidemment un sens symbolique. «La pierre était le Christ», dit saint Paul (I ad Cor). Ce trait de l'histoire du peuple de Dieu est longuement rapporté au livre des Nombres et dans celui de l'Exode. Il est rappelé aussi par plusieurs psaumes. A la suite de saint Paul, plusieurs Pères de l'Eglise reconnaissent là le côté du Christ ou le Cœur de Jésus frappé par la lance et laissant échapper la source intarissable des grâces.

Saint Jérôme réunit ici plusieurs figures: «D'après les Septante, dit-il, il est dit à ceux qui persécutent la justice, de regarder cette pierre très solide qu'ils taillèrent, et la fosse de la carrière qu'ils creusèrent, c'est-à-dire, le Sauveur dont parle l'apôtre: la pierre était le Christ, car ils lui transpercèrent le côté avec une lance, et il en sortit du sang et de l'eau… et il est appelé Abraham, c'est-à-dire, Père d'une multitude de peuples» (Sur Is., c. 51). La pierre, ici, c'est le rocher de Moïse, d'où sort la source salutaire; c'est aussi Adam, pierre fondamentale de l'humanité, dont le côté ouvert a donné naissance à Eve; c'est encore Abraham, que le prophète Isaïe regarde comme la pierre fondamentale du peuple de Dieu, avec Sara qui fut comme Eve une figure de l'Eglise.

Au Cantique des cantiques plusieurs passages donnent aux Pères de l'Eglise l'occasion de parler du Sacré-Cœur de Jésus d'une manière voilée:

«Vous qui êtes ma colombe, dit le Cantique, vous qui vous retirez dans le creux de la pierre et dans les enfoncements de la muraille, montrez-moi votre visage» (2, 14)

Et ce texte: «Il m'a fait entrer dans le cellier où il met son vin, il a mis en moi son amitié…» (2, 4).

Et encore: «Vous avez blessé mon cœur, ô ma sœur» (4, 9).

Sur le premier texte, saint Grégoire-le-Grand disait: «Par les trous de la pierre je désignerais volontiers les plaies des mains et des pieds du Christ suspendu à la croix, et par le creux de la muraille la blessure de son côté» (Super Cant. Cant).

Au sujet du troisième texte, Théodoret disait: «Vous avez blessé mon cœur: par vos regards, par l'ornement de votre cœur, vous avez excité mon amour pour vous».

Saint Bede disait: «Vous avez blessé mon cœur, ô ma sœur: cette parole semble exprimer le grand amour de Notre-Seigneur pour l'Eglise, symbolisée par la blessure de son Cœur».

Mais c'est surtout au XIIe siècle que ces textes sont exploités par les pieux écrivains qui expriment leur dévotion privée envers le Sacré-Cœur.

Nous les citerons au chapitre suivant.

Nous pourrions rapporter au culte voilé du Sacré-Cœur tout ce que les Pères disent du poisson mystique comme symbole du Christ.

Le Christ est appelé le poisson divin, ichtus, à cause de l'acrostiche formé par les lettres de ce nom, mais surtout par allusion au poisson de Tobie dont le cœur a servi de remède pour guérir le vieux Tobie. L'archéologie chrétienne sert d'illustration à ces textes. Tobie, ainsi que nous l'avons déjà dit, est représenté plongeant le bras dans la gueule du poisson et en rapportant son cœur comme un remède salutaire. Le cœur du poisson symbolisait le Sauveur, le Cœur de Jésus et l'Eucharistie.

Une inscription très intéressante, celle d'Aschandius, décrite par le Blant (Inscriptions chrétiennes de la Gaule), justifie notre interprétation. C'est une inscription eucharistique, dont voici la traduction: «Race divine, prends le Cœur auguste du céleste Poisson, recevant ainsi l'immortelle vie en ta mortelle existence». C'est une allusion évidente à la guérison de Tobie par le cœur du poisson.

Après ce texte de Tobie, nous arrivons à ceux d'Isaïe et de Zacharie. Tous deux ont annoncé des sources mystérieuses qui jailliraient de la maison de David et du Sauveur lui-même. Zacharie a dit: «Vous puiserez avec joie aux source du Sauveur» (12, 3).

Les deux prophètes faisaient allusion aux sources de Moïse. L'iconographie chrétienne y a fait écho cent fois comme nous l'avons vu et les Pères de l'Eglise commentent ce symbolisme.

Tertullien disait: «Afin de nous appeler à lui par l'eau du baptême et de nous rendre dignes de nous désaltérer au calice de son sang, Jésus-Christ a ouvert ces deux sources dans la blessure de son côté transpercé» (De Bapt. 1).

Dans la relation du martyre de saint Sanctus à Lyon, en 178, l'auteur explique l'invincible constance, la joie même du jeune héros chrétien, en ces termes: «C'est que, dit-il, il était arrosé et fortifié par la source céleste de cette eau vive qui coule du côté du Christ (ex visceribus), (Euseb. caes., Hist. eccl., li. 5).

C'est une adaptation du texte d'Isaïe.

Saint Jérôme disait: «Le côté du Christ a été frappé par la lance (comme le rocher par le bâton de Moïse) et les symboles du baptême et du martyre ont coulé de cette source» (Ep. 83, ad Oceanum).

Saint Cyrille d'Alexandrie, en commentant le prophète Zacharie, a dit: «Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé: les soldats de Pilate ont en effet transpercé le côté du Christ, comme on le lit en saint Jean. Ces paroles de Zacharie s'appliquent donc bien à la personne du Christ».

Pour ces textes des prophètes comme pour ceux du Cantique, nous trouverons des commentaires bien plus saisissants dans les auteurs du XIIe siècle.

* * *

Passons au Nouveau Testament.

«Apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur», dit Notre-Seigneur dans saint Mathieu. Sans doute, les Pères de l'Eglise ne vont pas à ce propos parler explicitement de l'image du cœur de chair de Notre-Seigneur, mais ils en parlent selon le sens métaphorique: c'est le Cœur de Notre-Seigneur qui est doux, clément et humble, parce que ces dispositions réagissent sur le cœur sensible en le pacifiant, comme les dispositions contraires l'agitent et le troublent: «O Maître, dit saint Augustin, votre humilité est un remède à l'orgueil qui est pour nous une potion empoisonnée» (De B. Virginitate, 35).

Les commentaires sont plus précis pour le texte où saint Jean se représente reposant sur la poitrine du Sauveur. «Ce disciple, dit saint Bède, se reposait sur le sein de Jésus. C'est là en réalité, dans cette poitrine, qu'est la retraite, le séjour de la sagesse» (In Joan).

Et le Pape saint Gélase: «Dans le banquet de la Cène mystique, l'évangéliste saint Jean avait puisé à la source éternelle de la vie, la céleste doctrine dont les eaux coulent incessamment. Il s'y pénétra de ces profondes et mystérieuses révélations qui l'élèvent au-dessus des choses créées dans les hautes sphères où il contempla et annonça le Verbe qui était Dieu» (Praef. Gelastana, p. 1, 121). Dans ce texte, saint Gélase appelle la poitrine de Jésus «la source éternelle de la vie», comme le font les vrais dévots du Sacré-Cœur.

Nous avons déjà cité Origène (In Cant): «L'épouse s'appuie sur son bien-aimé, dit-il, c'est-à-dire qu'elle repose sur son sein, et cela est dit de l'âme pieuse et du Verbe. L'âme, comme saint Jean, repose sur la poitrine du Sauveur, parce que là, dans la poitrine est le cœur, dont le sens principal est l'amour».

Le texte de saint Jean relatif à l'ouverture du côté de Jésus par la lance est le plus explicite.

Les chrétiens des premiers siècles et l'élite des écrivains ecclésiastiques voient dans ce mystère l'accomplissement des symboles de l'Ancienne Loi.

S'ils ne nomment pas souvent le cœur, c'est que cette métaphore n'était pas encore bien déterminée.

Le cœur, le côté, le sein, les entrailles, tout cela est synonyme.

Ces organes intérieurs sont unis à l'amour et aux souffrances de Jésus, ils en ressentent le contre-coup, ils en expriment le symbole.

«L'un des soldats, dit saint Augustin, ouvrit le côté du Christ avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau, afin que la porte de la vie fût ouverte, à l'endroit d'où sortirent les sacrements sans lesquels on n'entre pas dans la vie qui est la vraie vie. Ce sang qui fut répandu fut répandu pour la rémission des péchés: cette eau est mêlée au calice du salut» (Tract. 120, in Joan).

«Afin de nous appeler à lui par l'eau du baptême, dit Tertullien, et pour nous rendre dignes de nous désaltérer au calice de son sang, Jésus Christ a ouvert ces deux sources dans la blessure de son côté transpercé» (De bapt., 9).

«Ils ont ouvert le côté du Christ par la lance, dit saint Chrysostome; il en sortit du sang et de l'eau et par ces deux mystères l'Eglise a été constituée. Les initiés savent cela. Par l'eau ils sont régénérés, par le sang et la chair ils sont nourris… Quand vous approchez du calice, c'est comme si vous alliez puiser au côté du Christ lui-même» (Hom. 85).

Saint Chrysostome ne vivait-il pas de cette dévotion, lui qui introduisit dans la liturgie, comme nous l'avons dit, le couteau en forme de lance pour frapper et ouvrir le pain d'autel avant qu'il soit consacré par les paroles rituelles?

Mais plus que par tous ces détails, le culte latent des Pères envers le Sacré-Cœur se manifestait par leurs envolées de louanges à l'amour divin et humain du Sauveur, pour son Père et pour nous.

Saint Augustin, plus qu'aucun autre, épanche souvent toute la reconnaissance de son cœur envers l'amour divin.

On dit que le Manuel qui lui est attribué n'est pas de lui. Soit! C'est un recueil de pages de saint Augustin et d'autres auteurs. Mais toute la tradition y a reconnu l'esprit et le cœur de saint Augustin.

En en citant quelques pages nous aurons bien exprimé la quintessence de la dévotion des Pères envers l'amour divin.

«Ce Dieu humanisé, dit-il, donne son sang à l'amour, pour laver nos âmes et pour expier nos crimes; il lui donne ses plaies pour blesser nos cœurs; il lui donne sa vie pour triompher de nous avec plus de puissance. Quand mon âme contemple ces tendresses et ces excès de la charité de Jésus-Christ, il ne lui est plus possible de résister; elle se rend, elle se déclare vaincue, et la vue de ses faiblesses et de ses misères cessant de lui ôter la confiance, lui fait prendre la liberté d'entrer dans les plaies sacrées et amoureuses de ce Sauveur adorable, où la sainte ardeur qu'elle y puise lui fait espérer de ménager sa réconciliation avec Dieu. Elle aperçoit par ces plaies le Cœur aimable de Jésus-Christ et les entrailles de sa miséricorde: elle les baise et elle s'efforce de se les rendre favorables; et si sa contrition n'est pas aussi parfaite qu'elle doit l'être, elle puise ce qui y manque dans cette miséricordieuse et immense charité de Jésus-Christ, laquelle se répand sur elle par ces mêmes plaies. Elle voit, par celle de son côté, jusque dans le Cœur de son Dieu, la rémission de ses péchés et tous les secrets de sa miséricorde…

«O plaies! ô sources d'amour, de pitié et de douceur, que les juifs ont ouvertes avec le fer, pour épuiser le sang et la vie de Jésus-Christ, mais qui méritez de l'être par les traits de l'amour et par les désirs de vos amants! O divines plaies, après avoir pleuré sur vous et vous avoir essuyées de mes larmes, ne me sera-t-il pas permis d'aller jusqu'au cœur de cet époux divin, pour y goûter les délices de son amour, pour expérimenter combien il a de douceur, de bonté et de miséricorde pour tous ceux qui l'invoquent, qui le cherchent, qui l'adorent et qui l'aiment en esprit et en vérité! O sources infinies de grâces, de mérite, de rédemption, de vertu et de bonheur! Je veux que mon âme vous soit toujours unie, afin que le ruisseau de l'eau sacrée et du sang adorable, qui coule perpétuellement de vous, ne cesse point de couler en elle (Ch. 20).

«Lorsque mon âme est tourmentée par les fantômes impurs de la concupiscence, elle surmonte ces tentations par la contemplation des plaies amoureuses de Jésus-Christ. Quand le démon me dresse des embûches, je me sauve dans ces plaies sacrées dont cet ennemi vaincu n'oserait approcher.

«Dans toutes mes tentations et mes afflictions, je n'ai point de remède plus efficace que le souvenir et le mérite des plaies de Jésus-Christ: mon âme, pour cette raison, les choisit pour y faire sa demeure et pour s y reposer en assurance (Ch. 21).

«Jésus-Christ a fait de ses plaies comme autant de bouches pour prêcher avec une éloquence pathétique aux plus grands pécheurs la rémission des péchés et la vie éternelle. Il a voulu, dans sa passion, qu'on lui ouvrît Le Cœur, afin qu'il leur présentât comme un lieu de refuge pour les préserver du précipice où le désespoir les pourrait engager. Puis donc que la foi et la confiance m'ont fait entrer dans ce Cœur Sacré, j y veux vivre et j'espère y mourir» (Ch. 22).

Saint Augustin indiquait déjà la division de notre Couronne ou rosaire du Sacré-Cœur. Se demandant ce que Dieu avait fait pour gagner les cœurs des hommes, il répondait: «Il s'est fait homme par l'incarnation; il leur a mérité la grâce par la mort qu'il a soufferte sur le moyen de la divine Eucharistie, et il répand la grâce qu'il a acquise sur l'autel de sa croix».

Tout ce que Notre-Seigneur demandera à Marguerite-Marie pour la dévotion privée au Sacré-Cœur est déjà pratiqué par les Pères de l'Eglise et spécialement par Saint Chrysostome, Origène et Saint Augustin. Le Sacré-Cœur est pour eux la source d'amour, de grâce et de mérites. Ils le choisissent pour y faire leur demeure et pour s'y reposer en assurance. C'est pour eux un lieu de refuge, ils veulent y vivre et y mourir!6).

B. - Les grandes familles religieuses

L'Ordre bénédictin.

Les Chartreux.

Les moines de Cîteaux.

L'Ordre franciscain.

Les Dominicains.

L'Ordre du Carmel.

La Compagnie de Jésus.

Sainte Brigitte et l'Ordre du Sauveur.

Les Ursulines.

Les Filles de la Charité.

L'Oratoire.

Les Chanoines séculiers et réguliers7).

Dans toutes ces citations le Sacré-Cœur apparaîtra comme la source de toutes les grâces, le modèle de toutes les vertus, l'asile et le refuge des âmes aimantes, le paradis réouvert aux fils d'Adam.

C'était une aurore et comme le soleil du matin qui s'est épanoui dans le plein jour des révélations de Paray.

Nous donnons tous ces extraits pour montrer que la théologie du Sacré-Cœur, contenue en substance dans la Sainte Ecriture, symbolisée dans l'iconographie chrétienne et déjà si clairement proposée par les Pères, s'est développée de jour en jour jusqu'à la pleine lumière des révélations de Paray.

Aux catacombes, l'image du Bon Pasteur avec toutes ses variétés prêchait la bonté, la douceur, la miséricorde du Cœur de Jésus. L'agneau divin disait sa douceur et son humilité. La colombe rappelait la tendre piété de l'âme qui s'abrite dans le Cœur de Jésus.

Chez les Pères, nous rencontrons les plus touchants commentaires des textes de l'Ecriture relatifs au Sacré-Cœur: l'ouverture du côté de Jésus, la création d'Eve, la colombe de l'arche, etc.

En lisant ces pages, nous nous unirons aux pieux sentiments de tant de Saints qui pendant des siècles ont vécu de l'esprit du Sacré-Cœur sans avoir besoin d'en dessiner le symbole.

Saint Anselme d'Aoste, le père de la scolastique, abbé du Bec et archevêque de Cantorbéry, manifeste bien sa dévotion intime envers le Sacré-Cœur de Jésus.

Ses méditations sont toutes dans cet esprit. Sa première méditation est sur le cœur-à cœur de l'époux et de l'épouse: «Que mon oraison, dit-il, soit comme la conversation de l'époux et de l'épouse: que j'ouvre mon cœur à l'Epoux divin et qu'il me révèle la source mystérieuse de sa douceur, Dulcendinis secreta».

Méd. XII. «De son côté, il répandit du sang pour moi et de ses entrailles, de visceribus, il répandit de l'eau».

Méd. XV. «Alors l'un des soldats avec sa lance lui transperça le côté. - Il y a pour toi une source dans la pierre, des blessures dans ses membres, dans son corps le mur, la caverne, etc.».

La Méditation X est plus formelle encore: «Jésus est doux dans la transfixion de son côté, car cette ouverture nous a révélé les richesses de sa bonté, c'est-à-dire la charité de son Cœur pour nous».

L'office de l'Octave du Sacré-Cœur pour l'Amérique du Sud a deux leçons de Saint Anselme, tirées de ses méditations et d'un sermon sur la Passion qui lui est attribué (Nilles, t. 2, p. 195).

Saint Anselme trouve dans le Cœur de Jésus la «source mystérieuse de sa douceur» - les «richesses de sa bonté». - C'est bien la dévotion intime au Sacré-Cœur.

Egbert, l'éloquent abbé bénédictin de Saint-Florin de Schönau (Trèves) + 1185, mérite aussi de figurer parmi les premiers initiateurs du culte du Sacré-Cœur. Il rappelle avec une affectueuse reconnaissance les angoisses du Cœur de Jésus à Gethsémani.

«Cette sueur de sang, ô Jésus, dit-il, qui pendant votre prière tombait de votre très saint corps jusqu'à terre, indiquait très certainement les angoisses de votre Cœur…, elle nous apprend que véritablement vous avez pris sur vous nos langueurs, et que, non sans de vifs sentiments de douleur, vous avez parcouru les sentiers de la souffrance» (Serm. de vita et passione Domini).

C'est une méditation sur les angoisses du Cœur de Jésus à Gethsémani.

Soeur Mechtilde de Magdebourg, (+ 1293), de même que ses admirables compagnes, Sainte Gertrude la Grande et Sainte Mechtilde du monastère d'Helfta, brûlait du plus vif amour pour le Cœur Sacré du Sauveur. Elle témoigne d'abord que Notre-Seigneur, par son Cœur et par ses paroles, lui donna l'ordre d'écrire son livre intitulé: Lux divinitatis, La Lumière de la Divinité. - Dans cet ouvrage elle dit: «Comme j'étais affligée d'une grave maladie, Jésus-Christ, aide incomparable de l'infirmité humaine, se manifesta à moi et me montra la blessure de son côté en disant: Regarde et considère les cruelles souffrances qu'ils m'infligèrent. Et je lui dis: Pourquoi, Seigneur, vouliez-vous souffrir de si atroces tourments, puisque les précieuses gouttes de votre sang qui coulèrent jusqu'à terre pendant votre sainte prière suffisaient pour racheter tout l'univers? Le Seigneur me répondit: Cela ne suffisait pas à mon Père; tout ce que j'ai enduré, ma pauvreté, mes travaux, ma passion, les mépris, frappèrent à la porte du ciel, jusqu'à ce que le sang qui par le coup de lance du soldat coula de mon Cœur eût arrosé la terre. Alors fut ouverte la porte du royaume, et l'accès en est libre pour tous ceux qui désirent y entrer» (Lux divinitatis, 1. 1, c. 8).

Dans une autre apparition, Notre-Seigneur lui dit: «Regarde, ô mon épouse, et contemple la clarté de mes yeux, la vérité de ma bouche, la charité enflammée de mon Cœur». On pourrait multiplier ces citations.

Cet amour du Sacré-Cœur, mais un amour poussé jusqu'à la plus admirable familiarité, on le retrouve, au même monastère d'Helfta, dans Sainte Mechtilde et Saint Gertrude.

Sainte Mechtilde d'Hefta (1241-1298). Notre-Seigneur lui découvrit les trésors de douceur et de grâce qui sont cachés dans deux cœurs, les plus saints qui aient jamais été et que nous pouvons nommer avec raison deux vives sources de tous biens, et il lui enseigna le moyen d'y avoir son recours.

Le premier est le Cœur embrasé du grand Roi, Jésus, l'unique prince d'amour, qu'elle apprit à saluer en plusieurs manières en y cherchant ses plus doux entretiens…

Le second est le Cœur très pur de Marie. Elle aimait à dire cette prière: «O Cœur de Jésus, débordant de mansuétude, de tendresse, de charité! J'ensevelis dans l'abîme de votre miséricorde mes iniquités et mes négligences. Je vous offre mes travaux et mes douleurs, mes angoisses et mes misères; je vous recommande ma vie et la fin de ma vie».

Pour Sainte Mechtilde, comme pour Sainte Gertrude et Marguerite-Marie, le Cœur de Jésus est la source de toutes les grâces et de toutes les suavités. Il est l'autel sur lequel nous pouvons avec le plus de fruit lui offrir nos actions et nos sacrifices (Voir le P. Poiré et le P. Eudes).

Sainte Mechtilde craignait de n'avoir pas tous les jours de sa vie servi Notre-Dame avec toute la dévotion qu'elle aurait dû: dans sa douleur, elle pria le Seigneur de lui accorder de servir dorénavant sa glorieuse Mère avec diligence et ferveur, sans que pour cela elle sentît aucun empêchement à la charité qui l'unissait à lui. Elle vit aussitôt Notre-Seigneur la recommander à sa Sainte Mère. La bienheureuse Vierge la présenta alors à son divin Fils, et le Seigneur, la recevant avec une douceur ineffable, lui fit appliquer la bouche contre son divin Cœur, en disant: «A l'avenir vous prendrez là tout ce que vous désirez offrir à ma Mère». - Une autre fois la glorieuse Vierge Marie, à laquelle elle exposait une semblable négligence de la part d'une autre personne, lui donna le Cœur de Jésus semblable à une lampe ardente, et lui dit: «Je vous donne ce très digne et très noble Cœur de mon Fils bien-aimé, pour que cette personne me l'offre avec toute la fidélité et la dilection qu'il a eues et qu'il aura éternellement pour moi, afin de réparer ses négligences dans mon service».

On pourrait faire un volume des citations de Sainte Mechtilde, et cependant ses écrits ne disent pas tout. Elle-même disait: «S'il me fallait écrire tous les biens qui me sont venus de ce très doux Cœur, un livre gros comme celui des Matines n'y suffirait pas» (Livre de la grâce spéciale, 11, 131-156).

Sainte Gertrude la Grande, 1256-1302. «Si l'homme, dit Baruteil, est d'autant plus véritablement grand qu'il aime Dieu davantage et qu'il en est plus aimé, Sainte Gertrude fut vraiment grande».

Il est impossible sans avoir lu ses deux ouvrages, le Legatus divinae pietatis et les Exercitia spiritualia, d'avoir une idée des ineffables effusions de l'amour du Cœur du Sauveur envers sa servante, et de l'admirable retour de dilection du cœur de la Sainte pour le Cœur de Jésus. Parmi des milliers de ces manifestations, empruntons-en deux ou trois au recueil de Baruteil pour-abréger. «Pendant les vêpres, dit-elle, quand on chantait: Vidi aquam egredientem, le Seigneur me dit: Regarde mon Cœur, désormais il sera ton temple; et maintenant, choisis dans mon corps d'autres endroits où tu puisses te retirer, car il sera ton cloître. - Elle répliqua: je ne sais, Seigneur, ce que je pourrais demander de plus, parce que dans votre Cœur, que vous daignez appeler mon temple, je trouve de si délectables trésors, qu'il me serait impossible de trouver en dehors de lui la nourriture ou le repos. - Ah! si j'avais le bonheur, moi chétive, de me reposer un moment à l'ombre de votre amour! Vous fortifieriez mon cœur par une seule de vos paroles vives et consolantes. Mon âme entendrait de votre bouche cette gracieuse nouvelle: Je suis ton salut, le sanctuaire de mon Cœur est ouvert pour toi.

«Joie et allégresse soient à vous, ô Jésus, pour votre divin Cœur, que l'amour a transpercé pour moi jusque dans la mort! Joie et allégresse soient à vous dans ce Cœur très aimant et très fidèle, qui m'a été ouvert par la lance, afin que mon cœur pût y entrer et y prendre son repos» (Exerc. spir., c. V et VI).

Les paroles suivantes dépeignent l'ineffable tendresse du Cœur de Jésus envers ceux qui l'invoquèrent avec confiance. Jésus dit à notre Sainte: «Si quelqu'un qui est attaqué par la tentation se réfugie sous ma protection avec une ferme espérance, il est compris parmi ceux dont je puis dire: Une est ma colombe, élue entre mille, qui par l'un de ses regards transperce mon divin Cœur, à tel point que si je savais de ne pouvoir lui venir en aide, mon Cœur en serait si profondément désolé, que toutes les délices célestes ne pourraient le consoler» (Legatus dia. piet., 1. 3, c. 7).

Mais le plus beau passage de Sainte Gertrude est le récit de la célèbre vision où l'apôtre Saint Jean révéla à cette grande Sainte les destinées providentielles du culte du Sacré-Cœur: «En la fête de Saint Jean l'Evangéliste, ce disciple, que Jésus aimait tant, lui apparut. Elle lui dit: Quelle grâce pourrais-je obtenir en votre très douce fête? Il lui répondit: Venez avec moi, vous, l'élue de mon Seigneur, et reposons ensemble sur le sein si doux de mon Seigneur, où sont cachés tous les trésors de la béatitude éternelle. Et la conduisant, il la présenta au Sauveur, la plaça à droite, et il fit un détour pour se placer à gauche. Comme tous les deux reposaient doucement sur la poitrine du Seigneur Jésus, Saint Jean touchant du doigt, avec une respectueuse tendresse, la poitrine du Seigneur, dit: C'est là le Saint des Saints, qui attire à lui tout ce qui est bon, dans le ciel et sur la terre. Alors elle demanda au bienheureux apôtre pourquoi choissant pour lui le côté gauche, il l'avait placée au côté droit. Il répondit: Parce que, ayant déjà triomphé de tous mes ennemis et n'étant qu'un même esprit avec Dieu, je contemple à découvert ce qui reste voilé à ceux qui combattent sur la terre… Je vous ai placée à l'entrée du divin Cœur, pour que plus librement vous y goûtiez la douceur et la consolation que l'impétuosité du divin amour répand si largement sur tous ceux qui le désirent. Or, comme elle éprouvait une joie ineffable, causée par les très saintes pulsations du divin Cœur, elle dit à Saint Jean: N'avez-vous pas, ô bien-aimé de Dieu, quand vous reposiez à la Cène sur la douce poitrine du Sauveur, goûté le bonheur de ces très suaves mouvements, dont j'éprouve maintenant les délices? Il répondit: Oui, je l'avoue, je l'ai senti et ressenti, et la suavité en a pénétré mon âme; ce fut comme le plus doux hydromel qui imprègne de sa douceur une bouchée de pain frais. Et même mon âme en a été échauffée avec autant de force qu'une chaudière l'est par un feu ardent qui la fait boullir. Elle reprit: Pourquoi donc avez-vous gardé là-dessus un silence si absolu, que vous n'avez jamais rien écrit, si peu que ce fût, qui le donnât à entendre pour nous en faire profiter? Il répondit: Ma mission était autre: à l'Eglise encore jeune, j'avais à transmettre, sur le Verbe incréé de Dieu le Père, une seule parole: elle suffira, jusqu'à la fin du monde, à satisfaire l'intelligence de la race humaine toute entière, et personne ne parviendra jamais à la pleinement comprendre. Quant à exprimer la douceur de ces pulsations, c'est chose réservée aux derniers temps: le monde vieilli, en entendant ce mystère, reprendra dans l'amour divin quelque chaleur: ut ex talium audientia recalescat jam senescens et amore Dei torpescens mundus» (Legatus div. piet., 1).

La Préface des Révélations de Sainte Gertrude, (chez Oudin), résume les principales visions de la Sainte sur le Sacré-Cœur.

Tantôt le divin Cœur lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses. C'est une lyre touchée par l'Esprit-Saint, au son de laquelle se réjouissent la très Sainte Trinité et toute la cour céleste. Puis c'est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre et ces torrents de délices où s'enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C'est un encensoir d'or… C'est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects et où le Prêtre éternel s'immole lui-même. C'est une lampe suspendue entre ciel et terre. C'est une coupe où s'abreuvent les Saints. En lui le Pater a été conçu et élaboré, il en est le doux fruit. Par lui sont suppléés les hommages que nous avons omis de rendre à Dieu. en lui nos œuvres revêtent leur perfection.

Par lui découlent toutes les grâces. C'est la demeure suave qui s'ouvre aux âmes et où elles trouvent d'ineffables délices pour l'éternité.

Unissons-nous à cette belle prière de Sainte Gertrude:

«O Cœur tout plein de miséricorde, faites que je meure d'amour pour votre amour. O Cœur de Jésus, mon bien-aimé, absorbez et abîmez mon pauvre cœur dans le vôtre… invitez-moi à vos festins qui donnent la vie aux âmes… que l'excès de votre amour supplée à ma tiédeur et à mon indigence. Combien je désire que vous offriez présentement pour moi ce divin Cœur en paiement pour tous les jours de ma vie que j'ai laissés passer sans avoir fait ce que je devais. Plongez mon esprit dans ce Sacré-Cœur… faites que j'y trouve un entendement plein de clartés et des affections bien épurées…» (Au liv. des Exercices - cité par le P. Eudes, lib. XII, ch. XVII).

Pour le culte intime et privé du Sacré-Cœur, Sainte Gertrude égalait Marguerite-Marie, autant que nous pouvons en juger.

La Vén. Louis de Blois (1506-1565). Louis de Blois, de la noble maison de Blois et familier de Charles-Quint, était abbé de Liessies en Hainaut. Il parle du Sacré-Cœur avec autant de précision et d'ardeur que l'ont fait Sainte Gertrude et Sainte Mechtilde.

«Je vous salue, dit-il, Blessure aimable de merveilleuse suavité, par où nous est ouvert un passage vers le trésor cher entre tous les trésors, votre divin Cœur, ô Jésus.

Approchons-nous avec la soif du désir et de l'amour de cette source vive qui nous donnera, gratuitement et sans compensation, l'eau de la vie. Voyez cette délicieuse et pure fontaine jaillissant des flancs déchirés du Christ et arrosant toute la terre.

N'hésitons pas dans toutes les tentations, les afflictions, les misères de cette vie, demandons un refuge aux trous de la pierre.

Ayez soin d'offrir vos bonnes œuvres, vos exercices, au très doux et très Sacré-Cœur de Jésus, afin qu'il les purifie et les perfectionne. Ce Cœur, plein d'amour et de tendresse, se plaît à cela, et il est toujours prêt à perfectionner en vous, d'une manière très excellente, ce qu'il y a d'imparfait.

Les personnes spirituelles doivent avoir cette pratique de recommander leurs actions au très doux Cœur de la Divinité, d'où découlent toutes sortes de bien, afin qu'il les corrige et qu'il les perfectionne» (Recueil d'instructions très utiles).

Mettant lui-même ses conseils en pratique, il prie ainsi: «Père éternel, je vous offre l'amour embrasé et les désirs ardents du Cœur de Jésus, votre Fils bien-aimé, pour suppléer à l'aridité et à la froideur de mon chétif cœur». Et encore: «Plaise à Dieu que ce tendre et aimable Cœur où est renfermé tout ce que la béatitude a de plus doux, soit à ma mort mon salut et ma consolation, et après ma mort le lieu de mon séjour éternel!».

Eléonore de Bourbon, abbesse de Fontevrault. Le P. Ménétrier rapporte que lors des funérailles d'Eléonore de Bourbon, sœur d'Antoine de Bourbon roi de Navarre et du cardinal de Bourbon, tante du roi Henri IV, le 26 mars 1610, on voyait autour des armoiries, outre la crosse et la cordelière, des triangles, les chiffres sacrés des noms de Jésus et de Marie et les figures des cinq plaies. On voulait par là indiquer la dévotion de la pieuse princesse à la Sainte Trinité, à Jésus et à Marie et aux cinq plaies du Sauveur. Les plaies étaient représentées par les mains et les pieds percés et par le Cœur transpercé et surmonté d'une croix, ce qui était tout nouveau alors et comme une préparation des visions de Paray.

Le P. Benoît Hoeffen, prévôt du monastère bénédictin d'Afflighem, publait, en 1629, à Anvers son livre: L'Ecole du Cœur.

Parmi les vignettes, une représente le Miroir du cœur dans les cinq plaies. Jésus tient un miroir: les cinq plaies y sont représentées, le divin Cœur au milieu. Le texte contient ces enseignements:

«Un miroir est offert à mon cœur dans les profondeurs du Cœur ouvert de mon Sauveur. En effet, toutes les pensées qui doivent s'imprimer dans mon cœur, je les trouve dans ce Cœur Sacré, car votre Cœur, Seigneur, est la règle et la mesure des cœurs humains… J'irai donc à ce Cœur si haut, au Cœur de mon Dieu, et je considérerai ses perfections, afin de les infuser, avec le secours de sa grâce, dans mon propre cœur. Je vous en supplie donc, Seigneur, faites que je sois conforme à votre propre Cœur, que je le considère et que je rectifie mon cœur selon ce divin modèle… De ce miroir brûlant de votre Cœur, lancez dans le mien des rayons embrasés qui l'enflamment et le rendent conforme à votre Cœur Sacré» (Grimouard de Saint-Laurent: Les images du Sacré-Cœur).

Dès son origine, l'Ordre de Saint Bruno fut animé de l'esprit de la dévotion au Sacré-Cœur du Sauveur. Un monument d'un grand intérêt l'atteste, c'est le chiffre de Jésus traversé par la lance, le Chrisme à la lance, que l'on voit exécuté dans la première église de la Grande-Chartreuse, construite au plus tard en 1375. Dès cette époque, la plaie du côté était regardée comme une porte ouvrant sur le Sacré-Cœur.

Entre beaucoup d'ascètes de cet Ordre prêchant le Sacré-Cœur, brille au XIVe siècle Ludolphe le Chartreux, du monastère de Strasbourg, auteur de la grande vie de Jésus-Christ.

Voici quelque chose de ses accents enflammés:

Ludolphe le Chartreux (1295-1378). «Pourquoi, le Cœur de Jésus a-t-il été blessé d'une blessure d'amour, si ce n'est afin que nous puissions pénétrer par la porte de son côté jusqu'à son Cœur? Là nous unirons notre amour à son amour pour ne plus former qu'un seul amour, de même que le feu brûlant ne forme qu'un seul corps avec l'objet qu'il consume…

«En faisant ouvrir votre Cœur, ô mon Dieu, vous avez entrouvert à vos élus les portes de la vie… Empressons-nous d'entrer dans le Cœur de Jésus.

C'est dans le Cœur percé de Jésus qu'on est allé prendre notre rançon. Elle est dans le Cœur de Jésus comme dans sa source… Ce Cœur blessé ne blessera-t-il pas notre cœur? N'aurons-nous pas compassion de lui? Ne l'aimerons-nous pas? Certes, il est bien clair maintenant que c'est en lui que se trouve la miséricorde et une surabondante bénédiction. - Maître, oubliez mes iniquités qui vous engageraient à me fermer la porte de la grâce».

Et encore

«Le Cœur de Jésus ayant été blessé d'une blessure d'amour à cause de nous, nous devons lui rendre amour pour amour, afin que nous puissions pénétrer par la porte de son côté jusqu'à son divin Cœur. L'âme doit conformer sa volonté tout entière à la volonté de Dieu par reconnaissance pour cette blessure d'amour que Jésus-Christ reçut sur la croix, lorsque la flèche d'un indomptable amour transperça son Cœur plus doux que le miel. Que l'âme donc s'empresse d'entrer dans le Cœur de Jésus; qu'elle rassemble tout l'amour dont elle est capable et l'unisse à l'amour divin. - Le sang qui était resté dans son Cœur ou dans sa poitrine, Jésus le répandit par l'ouverture de son côté» (Vie de N -S. J. -C., part. 2, chap. 64).

Jacques de Clusa, vicaire de Chartreuse d'Erfurt (1386-1466), «Voyez mes pieds, mes mains et mon côté, voyez les blessures profondes qui s'y trouvent.

Cette invitation renferme une grande leçon et voici ce qu'elle nous apprend: Si nous aimons froidement Notre-Seigneur, regardons son côté percé et ouvert pour nous, et soudain le feu de la charité embrasera de nouveau notre âme; parce que nécessairement un cœur entr'ouvert doit allumer le feu de l'amour dans l'âme qui le contemple» (Cité par Dom Bautrais).

Le pieux chartreux voyait à travers la plaie du côté de Jésus son Cœur entr'ouvert.

Denys le Chartreux, prieur de Ruremonde (+ 1471), était uni à Notre-Seigneur par les mêmes sentiments de dévotion envers le Sacré-Cœur. Dom Bautrais cite de lui cette belle prière:

«Seigneur, ce n'est pas pour ma vie temporelle que je vous prie; mais pour le salut de mon âme, ô vous qui êtes la vie éternelle… Oh! que ne puis-je faire en sorte que l'amour et la douleur me fassent répandre dans votre Cœur très doux toutes les gouttes de mon sang et vous les offrir avec mes larmes» (Dom Bautrais).

Pierre Dorland, prieur de Diest, (1440-1507). Nous avons de lui un délicieux dialogue entre la très Sainte Vierge et Saint Dominique sur les mystères de la Passion.

Dominique: «Vos enseignements, douce Vierge Marie, me donnent une grande confiance; vous venez de m'apprendre que tout ce qu'a fait et souffert votre divin Fils a été inspiré par l'amour, l'humilité et la plus grande miséricorde. C'est également, si je ne me trompe, par bonté que Jésus a voulu qu'après sa mort son côté fût ouvert par la lance d'une soldat; la blessure de son côté montre l'amour de son Cœur, car la lance pénétra jusqu'au Cœur.

Marie: - Maintenant, vous le voyez sans peine, les fils d'Adam n'ont plus à se plaindre que la porte du paradis soit fermée. Voici qu'une autre porte leur est ouverte, donnant sur un jardin plus riant, plus agréable et plus fertile que le paradis terrestre. Par cette porte, ils peuvent entrer dans le Cœur du Sauveur, de son Cœur dans son âme, de son âme dans l'abîme de la divine clarté, où l'on cueille des fruits d'une admirable douceur, des fruits qui ne se gâtent point, mais qui se conservent éternellement. Là, point de serpent à redouter; là, point de tristesse et nulle crainte d'être chassé. Chaque fois que vous serez tenté, entrez dans cet asile du Cœur de Jésus, et tenez-vous-y jusqu'à ce que passent les fureurs de la tempête» (Dom Bautrais).

Lansperge le Chartreux, prieur de la Chartreuse de Juliers (1489-1539). Exercices d'amour et de piété envers l'aimable Cœur de Jésus, tiré de son livre: Pharetra divini amoris.

«Ayez soin de vous exciter et animer à la vénération du Cœur très miséricordieux de Jésus, qui est tout rempli d'amour et de miséricorde pour nous. Visitez-le souvent avec dévotion et ferveur, le baisant en esprit, respect et affection, et mettant en lui votre demeure. - Demandez à Dieu par lui tout ce que vous avez à lui demander, et par lui offrez à sa divine Majesté tous les exercices de piété que vous ferez, parce que c'est en lui que sont renfermés toutes les grâces et tous les dons du ciel. C'est la porte par laquelle nous allons à Dieu et par laquelle Dieu vient à nous. - Afin de vous souvenir de cet exercice et de vous exciter par ce moyen à l'amour de Dieu; mettez en quelque lieu de votre maison par lequel vous ayez à passer souvent, quelque image de ce divin Cœur de Jésus; et en la regardant, souvenez-vous de votre exil, de votre misère et de vos péchés; et élevez votre cœur à Dieu avec une ardente dévotion, soupirant et gémissant après lui. Criez à lui intérieurement, désirant que votre cœur soit purifié et que votre volonté soit parfaitement unie au divin Cœur de Jésus et au bon plaisir de Dieu. - Vous pourrez aussi, dans la ferveur de votre dévotion, prendre cette image du Cœur de Jésus, et la baiser tendrement, portant votre pensée et votre intention à son véritable Cœur, désirant que votre âme se perde et s'abîme en lui et que votre cœur attire en soi l'esprit, la grâce, les vertus de cet aimable Cœur qui est un abîme de vertu et de sainteté. C'est une chose très bonne et très agréable à Dieu que vous honoriez avec une dévotion particulière ce Cœur adorable. Recourez à lui dans toutes vos nécessités et vous en recevrez secours et consolation. Il ne vous abandonnera jamais».

Lansperge le Chartreux parle donc de l'image elle-même du SacréCœur plus d'un siècle avant Marguerite-Marie. Il nous conseille d'exposer cette image, chez nous, de vénérer et de pénétrer en esprit dans le Cœur deJésus, abîme de vertu et de sainteté, source de grâces et de consolations.

Marguerite-Marie ne parle pas autrement.

Pour les Chartreux, voir: Dom Bautrais, Un précurseur de Marguerite-Marie, Lansperge le Chartreux, Grenoble, 1878.

- Mois du Sacré-Cœur, d'après d'anciens auteurs chartreux, Montreuil, 1886.

Ancient devotions to the Sacred Heart by carthusian monks of the 14th-17th centuries, Londres, 1896.

Dont Bautrais cite aussi le R. P. Dom Jean Michel de Coutances, 44e Général de l'Ordre et le P. d'Eschius (1507-1578).

Il rappelle aussi cette pensée de Denys le Chartreux sur le chapitre 26 de la Genèse: «Foderunt in torrente et invenerunt aquam vivant: Ils ont creusé le torrent et ils ont trouvé de l'eau vive». «Le torrent, dit Denys, c'est le Cœur du Christ, les apôtres y ont creusé et y ont trouvé la doctrine du salut».

Nous avons mis à part Saint Bernard, le grand initiateur du culte intime envers le Cœur de Jésus. Il a fait école et cette dévotion se répandit dans toutes les maisons de l'Ordre de Cîteaux. Nous en citerons seulement quelques exemples.

Voici Guillaume, abbé de Saint-Thierry (+ 1148). «Lorsque je m'empresse, dit-il, d'aller au Sauveur, comme Thomas dont les désirs furent si ardents, je souhaite de bien le voir et de le toucher; j'aspire même à m'approcher de la sacro-sainte blessure de son côté - entrée qui fut pratiquée sur le côté de l'arche - et à y introduire non seulement mon doigt ou ma main, mais je veux entrer tout entier jusqu'au cœur même de Jé-sus, dans le Saint des Saints, dans l'arche du Testament, jusqu'à l'urne d'or, l'âme de notre humanité, qui contient en elle-même la manne de la divinité» (De contemplando Deo, 1, 3).

Nous lisons dans le même auteur: «Les inscrutables richesses de votre gloire, Seigneur, étaient cachées en vous, dans le mystère de votre ciel, jusqu'à ce que le côté de votre Fils, Notre-Seigneur et Rédempteur ayant été ouvert par la lance du soldat, les sacrements de notre rédemption en sortirent; dans son côté nous n'introduirons pas uniquement le doigt ou la main, comme Thomas, mais nous pénétrerons tout entiers par l'entrée ouverte, ô Jésus, jusqu'à votre Cœur, siège assuré de la miséricorde jusqu'à votre âme remplie de toute la plénitude de Dieu, pleine de grâce et de vérité, de notre salut et de notre consolation. Ouvrez, Seigneur, cette porte qui a été pratiquée sur le côté de votre arche, afin que tous ceux qui vous devront leur salut, fuyant ce déluge de corruption qui inonde le monde, puissent entrer; ouvrez-nous le côté de votre corps, pour qu'ils s'y introduisent, tous ceux qui aspirent à connaître les secrets du Fils, et qu'ils puisent là les sacrements qui en découlent avec le prix de leur rédemption. Ouvrez cette porte de votre ciel, pour que ceux que vous avez rachetés et qui travaillent encore sur la terre où l'on meurt, voient et possèdent un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants…» (Idem., Medit. VI).

Non moins expressif est le bienheureux Guerric, abbé d'Igny, (+ 1151). «Bienheureux, écrit-il, celui qui pour me permettre de me réfugier dans les trous de la pierre, a voulu que ses mains, ses pieds et son côté fussent transpercés; et il s'est totalement ouvert à moi, pour que je pénètre dans le lieu du tabernacle admirable. Vraiment pieux et miséricordieux, il a ouvert son côté, afin que le sang de sa blessure te vivifie, que la chaleur du corps te ranime, et que par cette voie il puisse donner un libre essor aux sentiments de son Cœur. Là, tu te cacheras sans crainte, jusqu'à ce que soit passée l'iniquité; là tu ne redouteras pas le froid, parce que dans les entrailles du Christ la charité ne se refroidit pas» (Serm. IV, In Dom. Palmarum.).

Dans son commentaire sur le Cantique des cantiques, Gilbert de Hollande (+ 1172), exprime en ces termes son affection pour le divin Cœur: «Et quel est le cœur de notre Salomon? Vous êtes, dit l'Apôtre, le corps et les membres du Christ. Heureux, en effet, quel qu'il soit, tout membre de ce chef, mais celui qui est son cœur est parmi les principaux. Et considérez s'il n'est pas le Cœur celui qui est élevé dans les secrets de Dieu, dans l'ardeur vitale des affections et dans la méditation. Ce sont les pensées et non les œuvres qui viennent du cœur (Mat., XV, 19). A bon droit, par conséquent, il est le cœur celui qui est toujours dans les pieuses pensées, dans les trésors de la grâce, au sein de la vérité et de la sagesse, etc. Venez, vous aussi, ô filles de la nouvelle Sion, et revêtez-vous des affections de ce Cœur» (Serm. 21).

Et dans le 30e sermon, il ajoute: «O la chose admirable, mes frères! N'est-elle pas bienheureuse l'âme qui par ses pieuses affections transperce le Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ et y pénètre? Elle est vive et efficace, et vraiment violente, ô bon Jésus, l'affection qui mérite et attire la vôtre! Grande et violente est la force de la charité qui atteint les sentiments de Dieu lui-même, et qui, semblable à une flèche, transperce son cœur. Blessure glorieuse d'où viennent les bienfaits. Une femme toucha le bord du vêtement touché, mais blessé? Cette blessure est réellement sentie: dirige donc vers elle tes regards, ô mon âme, et considère-la comme le but que les flèches de tes désirs doivent atteindre» (Serm. 30, In Cant).

Sainte Ludgarde, abbesse de l'Ordre de Cîteaux (1182-1236), peut être placée à côté du séraphique stigmatisé du Mont Alverne. Un jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui apparut subitement. Il lui ouvrit sa poitrine sacrée et lui montrant son Cœur: «Regarde ici, lui dit-il, ce que tu dois aimer: laisse là les attraits de l'amour humain, et tu trouveras en mon Cœur d'ineffables délices». Et à quelque temps de là, pour la récompenser, car elle avait immédiatement renoncé à toute espérance de bonheur humain, Notre-Seigneur lui apparut attaché à la croix et rayonnant d'amour. Comme elle le contemplait ravie, il détacha un de ses bras, il attira la sainte contre sa poitrine adorable, et toute défaillante de bonheur céleste, il lui fit mettre ses lèvres sur la plaie de son Cœur» (Bolland. Acta SS., junii III, 239).

Comme nous le voyons, les grandes grâces du Sacré-Cœur reçues par Saint Bernard rayonnaient sur tout l'Ordre de Cîteaux.

- Voir le P. Bainvel, p. 112.

Au XIIIe siècle, ce sont les Franciscains et les Clarisses qui se distinguent entre tous dans le culte du Sacré-Cœur.

Saint François d'Assise, (1182-1226), comme tous les stigmatisés a éminemment la dévotion au Sacré-Cœur. La plaie de son côté est comme le sceau de cette dévotion. La tradition lui attribue trois cantiques où l'on peut lire les effusions de cette dévotion. Dans le premier, Saint François dit au Sauveur: «Que mon cœur, ô Jésus, ô mon espérance, soit transpercé par la même lance dont le vôtre fut blessé».

Dans le second, c'est Jésus qui dit à François: «Embrasse mon côté ouvert, regarde-moi, et vois en quel état l'amour m'a réduit, j'ai le Cœur transpercé par une lance, mon Cœur appelle ton cœur» (Annales franciscaines, IX).

Sainte Claire d'Assise (1193-1253) était l'émule du séraphique patriarche dans la pratique de ce culte d'amour. Elle récitait fréquemment et faisait réciter à ses Sœurs certaines prières composées par elle-même en l'honneur des cinq plaies du Sauveur.

Voici sa prière à la plaie du côté: «Louange et gloire vous soient rendues, ô très aimable Jésus, pour la très sainte plaie de votre côté. Par cette plaie sacrée, par l'ouverture de votre Cœur, vous nous avez manifesté votre immense miséricorde…» (Annales franciscaines, IX, 145).

Comme Marguerite-Marie, elle lisait dans le Cœur de Jésus la miséricorde du Sauveur.

Sainte Claire, comme Saint François, aimait à contempler avec amour ardent les plaies du Sauveur. Elle y était tellement absorbée, qu'elle restait quelquefois plusieurs jours en extase. Le Cœur de Notre-Seigneur était surtout l'objet de ses ravissements. Elle assure que c'est à la tendre dévotion qu'elle avait pour le Sacré-Cœur, qu'elle devait ces délices dont son âme était comblée toutes les fois qu'elle s'approchait du Saint Sacrement.

Elle était insatiable de peines et de souffrances, pour réparer l'outrage fait à Dieu par les crimes du monde. Saint François fut obligé de modérer son ardeur pour les pénitences. Elle restait de longues heures, la nuit, devant le Saint Sacrement, baignée de larmes et prosternée contre terre, gémissant sur les outrages dont les pécheurs abreuvent son bien-aimé.

Saint Antoine de Padoue, le grand thaumaturge, (1195-1231), se montra le très digne fils de Saint François, par son ardent amour pour le Sacré-Cœur. Dans maints endroits de ses sermons, il exalte avec une grande éloquence, le divin Cœur. Parmi ces beaux témoignages, nous citerons les plus courts avec l'abbé Baruteil:

«Jésus-Christ, dit-il, a donné pour vous son Cœur sur la croix. C'est pour cela qu'il a voulu que son côté fût ouvert» (Eccli., 38, 31. Cor suum dabit in consummatione operis) (Sermon 3 de plur. aut uno apostolo).

Il dit encore: «Nous devons purifier deux autels, parce que nous devons considérer deux choses en Jésus-Christ: l'amour dans son Cœur, la douleur dans son corps; l'autel d'or, c'est la charité dans le Cœur du Christ; l'autel d'airain pour l'holocauste, ce sont les douleurs et les angoisses de son corps» (Sermon de Multiplici Coena Dni).

Le Cœur de Jésus est l'autel d'or, l'autel de l'holocauste et de l'amour. Sainte Gertrude et Marguerite-Marie ne parlent pas autrement.

On connaît la belle prière de Saint Pierre d'Alcantara. O plaie du précieux côté du Sauveur, faite par son amour pour les hommes, bien plus que par le fer de la lance cruelle! O porte du ciel, entrée du paradis, lieu de rafraîchissement, fort inexpugnable, sanctuaire des justes, sépulture des pèlerins, nid des colombes simples».

Tous ces titres sont ceux-là même que la grâce révéla à Marguerite-Marie.

Saint Bernardin de Sienne, (+1440). «Le Sauveur, dit-il, a toujours tiré du bon trésor de son Cœur, qui est l'amour, les dons qu'il nous a faits, et particulièrement ses meilleurs dons, quand il était, par amour pour nous, suspendu à la croix. Là il a montré que son Cœur était une fournaise d'ardente charité pour enflammer et embraser le monde entier.

C'est pour cela qu'il a proféré sept paroles mystérieuses et ardentes comme autant de flammes d'amour. La première flamme était d'une admirable indulgence (mirae remissionis); la seconde d'une admirable donation (mirae donationis); la troisième d'une admirable union (mirae confoederationis); la quatrième d'un admirable abandon (mirae derelictionis); la cinquieme d'une admirable attraction (mirae attractionis); la sixième d'une admirable consommation (mirae consummationis); la septième d'un admirable recueillement (mirae reductionis), (De Passione Dni, serm. 51. In die oct. off. SS. Cordis).

En interprétant le récit de la Passion, Saint Bernardin de Sienne disait: «Le voile du Temple s'est déchiré, le côté du Christ s'est ouvert et par là s'est révélé le mystère du salut par la Passion du Christ…».

Sainte Colette (1380-1447), réformatrice de l'Ordre des Clarisses, fut l'objet des faveurs extraordinaires du Sacré-Cœur de Jésus. Elle disait un jour au divin Maître: «Mon Dieu, je voudrais bien vous aimer, mais mon cœur est trop petit». Elle vit alors descendre un grand cœur tout enflammé, et elle entendit ces paroles: «Aime-moi maintenant tant que tu voudras». Son cœur fut inondé d'amour et de joie d'avoir ainsi le Cœur de son cœur pour l'aimer lui-même d'une manière digne de lui» (Fastes de la dévotion au Sacré-Cœur).

Sainte Marguerite de Cortone, (1251-1297). Le Sauveur crucifié apparut un jour à Marguerite et lui dit: «Mets tes mains dans les ouvertures que les clous ont faites à mes mains».

Et comme Marguerite tout intimidée répondait: «Non, Seigneur, je n'oserai jamais», soudain les très aimant Jésus lui montra toute grande ouverte la plaie de son côté sacré, et dans cette caverne d'amour, elle put contempler le Cœur adorable de son Sauveur. A cette vue, toute crainte disparaissant, Marguerite embrassa le Sauveur crucifié. Alors elle entendit entre autres paroles du Sauveur, celles-ci: «Ma fille, transmets aux prédicateurs ce que tu as appris à cette plaie de mon côté, et qu'ils le prêchent pour le bien des âmes» (Acta SS. III, feb. 335).

Sainte Françoise Romaine (1384-1440), du Tiers-Ordre de Saint François, fondatrice des Oblates. En cent endroits de ses visions, elle parle du Sacré-Cœur. Citons-en un ou deux traits seulement. «J'ai été introduite, dit-elle, dans une grande lumière, j'ai vu le trône sublime de la majesté divine, et sur ce trône Notre-Seigneur glorifié dans son humanité. De ses plaies sortait une splendeur dont il est impossible de donner une idée, cependant la clarté de ses divines plaies n'était pas égale; celle de ses mains était plus vive que celle de ses pieds, mais celle du Sacré-Cœur était incomparablement plus resplendissante. Les divers rayons qui jaillissaient de toutes ces blessures se répandant sur toute la cour céleste, communiquaient à tous les esprits, tant angéliques qu'humains, une gloire admirable, accompagnée d'une vive joie et d'une incroyable jubilation» (Vision 14e, Annales franc., IX, 282).

Elle vit une autre fois un très beau tabernacle sur lequel était un agneau d'une blancheur éclatante. Elle remarqua qu'une source jaillissait du côté blessé et ouvert de l'Agneau immaculé.

Dans la blessure, elle vit un abîme de lumière et le Cœur blessé du Seigneur, et à plusieurs reprises elle entendit ces mots: «Que celui qui a soif vienne à moi et qu'il boive» (Sa Vie, par le P. Cepari, liv. 3, chap. 10).

Sainte Catherine de Bologne (1413-1463). Au milieu de ses Sœurs prosternées et attentives, la vénérable abbesse en extase exalte le Sauveur crucifié et l'adorable plaie de son Cœur: «Contemple cette plaie que ton Sauveur porte au côté droit; vois, le sang qui en découle a payé toute la dette de ton péché; considère comment il a été blessé par une lance cruelle, et comment, en faveur de chaque fidèle, il a voulu qu'un fer lui transperçât le Cœur» (Annales franc., IX, 310).

Sainte Jeanne de Valois (1464-1505), du Tiers-Ordre de Saint François, fondatrice de l'Ordre des Annonciades. «Le très Saint Sacrifice venait de s'achever; Jeanne avait reçu la sainte communion. Noyée dans ses larmes, ravie en extase, elle se vit soudain transportée dans un lieu éclatant de lumière et assise à une table, où Jésus et sa très Sainte Mère lui offraient le banquet mystérieux qui lui avait été promis la veille. C'étaient leurs Cœurs sacrés qu'ils lui présentaient sur un plateau étincelant, et la très Sainte Mère de Dieu l'invitait à se nourrir des aliments divins qui lui étaient offerts. Et Jésus demanda à Jeanne si elle ne voulait pas elle aussi contribuer au festin en y joignant son cœur. Alors il lui sembla qu'elle cherchait son cœur dans sa poitrine et ne l'y trouvait pas. Et comme elle était saisie d'étonnement et de crainte, son céleste Epoux lui dit: Il n'est pas étonnant, ma fille, que tu ne trouves plus ton cœur en toi; il est depuis longtemps uni au mien…».

La B. Angèle de Foligno, du Tiers-Ordre de Saint François. Elle a vécu dans le monde. Engagée d'abord dans le mariage, et mère de nombreux enfants, elle perdit successivement son époux et ses fils. Dans son affliction, elle éleva ses pensées vers le ciel et s'écria: «Désormais mon cœur sera dans le Cœur de Dieu, et le Cœur de Dieu sera dans mon cœur».

C'est, en effet, le Cœur de Jésus qui se chargea de la consoler. Elle avait prié la Sainte Vierge et Saint Jean, l'évangéliste du Sacré-Cœur, lorsque dans un sommeil extatique, elle vit le Cœur du bon Maître et il lui dit: «Dans ce Cœur, tout est vérité, rien n'est mensonge».

Bientôt après, Notre-Seigneur se fit voir plus clairement. «Il m'appela, dit-elle, m'attira, me dit d'appliquer ma bouche sur la plaie de son côté. Il me semble que je le faisais et que je buvais le sang qui découlait de son Cœur, et il me fut donné de comprendre que la vertu de ce sang me purifiait. Alors je ressentis une grande joie. Je priai le Seigneur de me faire répandre tout mon sang pour son amour: je désirais souffrir pour lui comme il a souffert pour moi».

Notre-Seigneur se plaignait à elle, des crimes du monde, comme il le fit plus tard à Marguerite-Marie. Il lui montrait l'immense douleur que lui causa, pendant sa vie, la noire ingratitude des hommes. Il disait en même temps l'amour ineffable dont il était animé pour ces ingrats, et la joie que lui donnait leur conversion.

Il lui disait le besoin qu'éprouvait son Cœur de répandre sur nous ses bienfaits, mais combien peu d'âmes voulaient les recevoir. Dès lors, elle pleura les péchés du monde avec plus d'amertume encore que les siens propres, embrassant tous les peuples dans la ferveur de ses pénitences.

Notre-Seigneur lui fit comprendre combien cet apostolat était cher à son Cœur. Il lui fit voir les âmes qu'elle avait ramenées dans la voie du salut. Il les pressait sur son Cœur; quelques-unes même y entraient et y disparaissaient (Fastes du Sacré-Cœur).

Paroles prophétiques du F. Ubertin de Casal, au XIVe siècle (1305). Il nous montre d'abord l'annonce des fruits de la contemplation du Cœur de Jésus dans la deuxème multiplication des pains, celle des sept pains de froment (l'autre est celle des cinq pains d'orge)… Il montre aussi le présage des fruits de cette dévotion dans le mystère de Saint Jean, reposant sur le Cœur de Jésus. «A la fin des temps, dit-il, l'Eglise sera élevée à une contemplation si suave, qu'elle reposera en vérité sur le Cœur de Jésus. Alors, il y aura dans l'Eglise des légions d'âmes généreuses qui, enivrées des douceurs du repos goûtées sur le Cœur de Jésus, ne respireront que pour leur divin Maître et travailleront merveilleusement pour lui. Elles seront comme des fièches choisies entre les mains du Sauveur. Il les lancera sur ses ennemis pour les terrasser, détruire en eux le péché, les convertir et les sauver» (Arbor vitae, 1. 3 et 5. - Annales franciscaines, t. XI, p. 331).

La bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé, tertiaire de Saint François (1332-1414). Comme elle était encore enfant, elle s'unit intimement au Cœur de Jésus.

La très Sainte Vierge lui apparut et l'aspergea du sang rédempteur de Jésus-Christ, en l'exhortant à méditer souvent la Passion. La pieuse enfant se prosternant fit à l'Enfant Jésus cette prière: «Seigneur Jésus, vrai Dieu et vrai homme, je me donne à vous de tout mon pouvoir et sans réserve; acceptez-moi, je vous prie, comme votre fille; et, comme je vous offre mon cœur, donnez-moi le vôtre ou plutôt que votre Cœur et le mien désormais n'en forment plus qu'un» (Sa Vie, p. 9).

Notre-Seigneur lui révéla un jour son Sacré Cœur pour elle-même, sans lui donner mission de le faire connaître.

La nuit, elle s'était prosternée et méditait sur la Passion. Tout à coup se présenta à elle la sainte humanité du Christ. Elle vit ses plaies et tout son corps suspendu à la croix. Puis elle se vit elle-même placée directement en face de la blessure de son côté… Le Christ lui adressa certaines paroles qu'elle n'a jamais révélées, mais qui alors, disait-elle, l'avaient remplie de consolation, en la faisant entrer dans une connaissance de plus en plus intime de la vie intérieure et des douloureux mystères de l'homme-Dieu.

N'est-ce pas une révélation personnelle de son Sacré Cœur?

Elle aimait à méditer sur les plaies du Sauveur et à relire la Passion selon Saint Jean.

Un jour, à la sainte Messe, elle vit dans l'Hostie l'Enfant-Dieu avec des plaies saignantes au côté, aux mains et aux pieds.

Elle s'offrit à Notre-Seigneur en victime de réparation et d'amour.

La Bienheureuse Baptista Varant, supérieure des Clarisses de Camerino (1458-1527). La Bienheureuse a été comblée des grâces du Sacré-Cœur. «C'est au monastère d'Urbino, écrit-elle, que j'ai rencontré le nid caché des secours et des faveurs célestes. Doucement poussée par l'Esprit-Saint, je sentis naître en moi un désir ardent de pénétrer jusqu'au Cœur de mon très doux Jésus, pour y découvrir ses plus intimes souffrances… Toutes les forces vives de mon âme, je les rassemblais en moi pour me plonger dans l'océan d'amertumes qui inonda le Cœur de Jésus et pour m'y perdre à jamais. - O bon Jésus, ce n'était pas merveille, si je désirais pénétrer dans votre Cœur, car je savais que mon nom s'y trouvait inscrit. Vous avez voulu me le montrer alors que je ne pouvais croire à votre amour envers une créature telle que moi. Comme pour vous excuser et m'expliquer cet amour, vous m'avez dit: - «Je ne puis faire autrement que de t'aimer; je porte ton nom écrit dans mon cœur… Regarde». Et à travers la plaie de votre côté, vous m'avez laissée lire ces mots si consolants pour moi: «Ego, te diligo, Camilla». … O ma pauvre âme, pourquoi ne prends-tu pas courage au souvenir de cette bonté et de ce grand amour de ton bien-aimé?

«Tandis que je méditais à Urbino la douloureuse passion du Christ, je fus introduite, par une grâce admirable, dans son Cœur souffrant. C'est un océan de tristesse où nul ne peut naviguer de lui-même».

La Bienheureuse, dans ce qui suit, parle à la troisième personne par humilité. Elle écrit par ordre de son confesseur, et entre autres preuves de sa dévotion au Sacré-Cœur, elle dit: «Il fut une âme dévote grandement affamée de la passion du très aimant et très doux Jésus. Après avoir employé un grand nombre d'années à sa réforme spirituelle, à la communication des peines intérieures du Cœur affligé de cet Homme-Dieu… Sur les douleurs de son divin Cœur, Jésus lui-même lui fit cette communication: Oh! ma fille, lui dit le divin Maître, un glaive empoisonné que l'on eût enfoncé et retourné continuellement dans mon Cœur, ne l'eût pas fait souffrir plus que la prévision déchirante de la trahison de judas. Enfin arriva la dernière Cène dans laquelle je m'humiliai jusqu'à laver les pieds de mes disciples, et je m'agenouillai devant lui comme je l'avais fait devant les autres. Mon Cœur était brisé et j'arrosai de larmes amères les pieds de ce malheureux. Intérieurement je disais: O Judas, que t'ai-je fait pour… Pendant que mon Cœur parlait ainsi, mes larmes arrosaient ses pieds, mais il n'y prenait pas garde; j'étais à genoux devant lui et mes longs cheveux retombant sur mon visage, l'empêchaient de voir que j'étais tout éploré… Ces témoignages de mon amour pour lui devaient être les derniers, puisque son désespoir allait bientôt le ravir pour toujours à ma tendresse. Aussi je pressais ses pieds sur mon Cœur, et je les baisais avec une tendre compassion» (Annales franc. IX, 172).

Donnons un extrait de sa merveilleuse révélation des douleurs intérieures du Cœur de Jésus:

«Laissez-vous fléchir, Seigneur, disait la Bienheureuse, et introduisez-moi dans le lit sacré de vos douleurs intérieures; submergez-moi dans cette mer d'amertume que renferme votre Cœur; c'est là que je veux mourir. Oh! la douce vie de mon âme! Dites-moi, Jésus, combien furent cruelles les peines qui affligèrent votre Cœur Sacré».

- «Puisque vous ignorez, ma fille, la grandeur de mes peines, répondit Notre-Seigneur, je vous dirai qu'elles furent aussi grandes que l'amour que je portais à mon Père et aux pauvres humains».

Et comme la Bienheureuse ne se contentait pas de cette connaissance générale, Notre-Seigneur lui énuméra et lui expliqua les principales causes de ses douleurs:

1° La perte éternelle des réprouvés, qui sont des membres de son corps mystique, arrachés et séparés pour toujours.

2° Les péchés des élus qui sont des blessures incessantes de ses membres et les souffrances des âmes du purgatoire, en y joignant les souffrances expiatrices des martyrs et de tous les justes.

3° Les douleurs de sa très Sainte Mère. «Quel glaive aigu perçait mon Cœur, lui dit Notre-Seigneur, toutes les fois que je pensais à la douleur que mes souffrances et ma mort devaient causer à ma pure et innocente Mère!».

4° L'extrême affliction de Marie-Madeleine, de Saint Jean et des disciples, mais surtout celle de Madeleine qui a été, après la Sainte Vierge, la plus compatissante aux douleurs du Sauveur.

5° Les épreuves et le martyre des apôtres, auxquels il portait un amour si tendre et si cordial et qui étaient comme ses frères et ses enfants bien-aimés.

6° La trahison et la réprobation de judas, qu'il avait comblé de tendresses.

7° L'horrible ingratitude du peuple juif qui avait été si favorisé… N.-S. n'a pas été plus explicite, ni plus confiant en révélant à sainte Marguerite-Marie les souffrances de son divin Cœur.

Le P. Bernardin de Paris, capucin, publiait, en 1662, un livre sur l'esprit de Saint François. Ce livre est tout rempli de la dévotion au Sacré-Cœur. Au chapitre quinzième de la troisième partie, il traite des mouvements du Cœur de Jésus dans ses rapports avec Saint François et dans l'impression des stigmates. Le chapitre trente-deuxième est relatif à la vie intérieure du Fils de Dieu sur la croix et aux dispositions secrètes de son Cœur.

On pourrait citer en entier les chapitres 42 à 45, bornons-nous à quelques passages. - «Le Cœur de Jésus humanisé est le centre de tous les cœurs et tous doivent tendre vers lui». - «La grâce et la charité répandues en nos cœurs sont comme un poids qui les porte vers le Cœur de Jésus. Ce Cœur est la source féconde d'où elles sont sorties, et elles remontent vers lui comme à leur première origine. Mais pour entrer en ce saint Cœur, il nous faut sortir de nous-mêmes» (Chap. 44). - «Dieu est charité, dit l'apôtre Saint Jean, et qui est dans la charité demeure en Dieu. Aimez donc et vous demeurerez dans le Cœur divin du Sauveur. Dans l'ordre de la nature, le corps charnel est le principe de la vie naturelle et de tous les mouvements du corps humain. Et dans l'ordre divin de la grâce, le Cœur divin de Jésus est le principe de la vie surnaturelle de son corps mystique, qui est l'Eglise. C'est là ce Cœur nouveau, qu'il donne à son corps nouveau. Il a ouvert son côté pour admettre tous les cœurs de ses enfants dans le sien. Il veut que son Cœur soit la vie du nôtre et le principe de tous ses mouvements… Que cet aimable Cœur vous soit tout en toutes choses, un port assuré dans la tempête; une tour de défense, si vous êtes attaqué par vos ennemis; une retraite, s'ils vous poursuivent; qu'il soit enfin votre lieu de repos parmi les lassitudes de la vie» (Chap. 45).

C'est donc à juste titre que les Franciscains, dans leur écusson le plus complet, font figurer, comme des quartiers de noblesse, les cinq plaies et le divin Cœur de Jésus.

Un pieux cordelier de l'abbaye de Fontenay-le-Comte, Pierre Regnart, au XVIe siècle, dans un petit livre intitulé Le Cœur crucifié, publié en 1523, fait une application des trois clous et du Cœur de Jésus aux vœux de religion. En tête du livre, une vignette explique ces relations. Elle représente un cœur surmonté de la croix, entouré de la couronne d'épines, au milieu duquel on distingue le fer de la lance et les trois clous qui y pénètrent et lui font autant de blessures. La lance est nommée Charité; les clous: «Obédience, pauvreté, chasteté».

Le Cœur crucifié de Pierre Regnart ouvre la série des associations du Cœur avec le monogramme de Jésus. La vignette qui résume le livre nous prêche les vertus du Sacré-Cœur. C'est comme un commentaire du chapitre cinquième de l'Epître de Saint Paul aux Romains et du chapitre sixième de l'Epître aux Galates. La tribulation supportée en union avec la Passion du Christ est la source de la grâce:

A tribulatione patientia: patientia spem operatur. Et les fruits du Saint-Esprit, qui sont aussi les ornements du Cœur de Jésus, sont la charité, la joie, la paix, la patience, la longanimité, la bénignité, la bonté.

- Pour les Franciscains, voir le P. Henri de Grèges: Le Sacré-Cœur de Jésus, Etudes franciscaines, Paris, 1890.

- Pour le Tiers-Ordre: Marguerite de Cortone, Angèle de Foligno, etc., voir Les Fastes du Sacré-Cœur.

Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) plongea son regard jusqu'au Cœur blessé de Jésus, vers lequel, de son propre cœur il faisait monter l'encens des plus ardentes prières. On ne pouvait pas moins espérer du génie et de la sainteté du docteur angélique. Dans son opuscule 51, c. 27, il écrit:

«L'esprit, le sang et l'eau rendent un triple témoignage sur la terre, (le témoignage de l'amour): l'esprit que Jésus rendit de son corps (en mourant pour nous), l'eau qui coula de son côté et le sang qu'il répandit de son Cœur sont le témoignage de la plus grande dilection». Et dans le chapitre suivant, il ajoute: «Il répandit son sang de la blessure de son côté et de son Cœur, afin de réchauffer et de vivifier ses disciples et beaucoup d'autres tentés dans la foi et à cause de cela froids et presque morts… puis semblable au cerf blessé, il marque de son sang la voie du ciel. - Tel qu'un cerf rapide, fuyez, mon bien-aimé (Gant. V. M). - Comme si l'épouse disait: courez devant nous comme le cerf blessé au cœur et par les traces de votre sang montrez-nous le sentier du ciel». Saint Thomas et ses contemporains interprètent le texte du Cantique: «Vous avez blessé mon cœur», non dans le sens d'une blessure d'amour, mais dans le sens de la blessure réelle, qui donna du sang et de l'eau (Baruteil).

«L'assidue contemplation du Cœur percé de Jésus, dit Saint Thomas d'Aquin, est une marque de prédestination» (Cité par Mgr Bougaud).

Saint Vincent Ferrier (1346-1419). «Le soldat prit sa lance et l'enfonça dans le Cœur du Christ. D'après Alexandre de Halès, cette blessure, Jésus ne la reçut pas à l'endroit où d'habitude on la place, mais plus bas, au-dessous des côtés, d'où elle monta jusqu'au cœur.

Pourquoi donc la représente-t-on de la sorte? C'est parce que la peinture est l'écriture du peuple, et ainsi il est indiqué d'une manière plus expressive aux laïques que la lance pénétra jusqu'au Cœur du Christ, en signe qu'il nous pardonna nos péchés du fond du Cœur par sa mort» (Sermon pour le Vendredi Saint).

Saint Antonin de Florence (+1459). «Ils couronnèrent le Seigneur d'une couronne d'épines, en lui ouvrant le côté, son Cœur même ne fut pas épargné… car seuls sa langue et son Cœur étaient restés indemnes; mais afin qu'ils eussent leurs tourments, ils lui offrirent à boire du fiel et du vinaigre, et après sa mort son côté fut ouvert avec une lance» (Œuvres, p. 4, tit. 15, c. 41).

Le même Saint dit un jour: «Le Cœur de Jésus est un livre écrit avec des lettres d'amour: étudions-y les caractères d'amour, de compassion et de crainte qu'il renferme».

Ces paroles rappellent ce que Notre-Seigneur disait à Marguerite-Marie: «Je te donne mon Cœur comme un livre pour y lire mon amour et ma miséricorde…».

Le B. Henri Suso (1295-1365). Le pieux dominicain de la Souabe est appelé l'Amant passionné de la divine Sagesse.

Notre-Seigneur avait dit: «J'en ferai un homme selon mon Cœur». Henri, dans une douce extase s'était vu pressé tendrement contre le Cœur de Jésus.

Dès lors, il envisagea le divin Cœur comme son asile et son espérance. Il vivait en union avec le Sacré-Cœur. Dans ses épreuves, c'est toujours au Sacré-Cœur qu'il a recours.

Jusque dans les repas, il s'unissait au Cœur de Jésus. Il s'imaginait Jésus près de lui et se penchait de temps en temps, comme pour s'appuyer sur le divin Cœur. Quelquefois même, il trempait en esprit sa nourriture dans le Cœur de Jésus.

Il a écrit:

«Je me serais estimé bienheureux si j'avais pu recueillir une goutte de sang de la blessure du Cœur de Jésus! et voici que par son Sacrement je reçois dans ma bouche, dans mon cœur et dans mon âme tout ce précieux sang qu'adorent les anges.

N'oubliez jamais, ô très doux Jésus, cette douleur immense de votre Cœur, quand vous vîtes au pied de votre croix votre Mère affligée; que vos douleurs unissent votre Sacré-Cœur au mien.

O mon amour crucifié, n'oubliez pas la charité de votre très aimable Cœur: que vos douleurs, ô très miséricordieux Sauveur, guérissent les miennes, et que votre Cœur, embrasé d'amour, frappe, blesse, enflamme mon âme!».

Dans de pieuses contemplations qu'il composa et que l'on a ajoutées à la fin de sa biographie, le bienheureux Henri Suso exprime en ces termes sa confiance et sa reconnaissance pour le divin Cœur: «O mon Jésus, vous le Très-Haut, souvenez-vous de cette lance impitoyable, qui déchira votre poitrine et blessa cruellement votre Cœur. Votre Cœur blessé est devenu pour nous une fontaine d'eau vive» (Sa vie, ch. 7).

Un jour, Notre-Seigneur lui fit voir une des âmes placées sous sa direction, appuyée sur son divin Cœur. Elle y reposa longtemps et lorsqu'elle se releva, son visage était si rayonnant de beauté et de joie céleste, qu'Henri comprit aisément les grâces inestimables que cet heureux disciple savait puiser dans le Cœur adorable de Jésus.

Dévoué à ce Cœur béni, il versait des torrents de larmes en méditant continuellement sur les plaies du Sauveur. Il pleurait amèrement tous les péchés des hommes, et pour gagner des âmes à son Dieu et lui épargner des outrages, les plus terribles pénitences faisaient ses délices; il acceptait généreusement les peines intérieures de la plus grande intensité, qui faisaient de sa vie un martyre continuel, si bien qu'il s'étonnait quand Dieu lui laissait quelque trêve, disant alors que ses affaires allaient mal. C'était bien, lui-aussi, un Saint du Sacré-Cœur.

Jean Taulère, surnommé le Théologien sublime (1294-1361). Il médite sur la Passion du Sauveur, et en arrivant à la plaie du Cœur, il dit: «Que pouvait-il faire de plus? Il nous a ouvert son propre Cœur pour nous y introduire. Il nous a donné ce Cœur Sacré, cruellement blessé, comme le lieu de notre demeure, afin que nous y purifiant et y acquérant une parfaite conformité avec ce Cœur divin, nous soyons dignes d'être reçu avec lui dans le ciel» (Tauèrr, Exercitia in vitam et passionem Christi, c. 9).

«Habiter dans le Cœur de Jésus, y méditer ses mystères et ses vertus pour s'y conformer, c'est la plus pure dévotion au Sacré-Cœur. - Pour dormir, reposons-nous sur le Cœur de Jésus, ses bras nous couvriront. Pour manger, trempons nos bouchées dans ses plaies…».

Sainte Catherine de Sienne (1347-1380), du Tiers-Ordre de Saint Dominique. Elle s'écriait: «Mon Dieu, vous avez blessé mon cœur, et il lui semblait que son cœur se perdait dans celui de son céleste époux». - «Approche tes lèvres de mon côté, lui disait-il, je te découvrirai les secrets de mon Cœur». Notre-Seigneur lui donna son Cœur en échange du sien, et lui imprima, comme à Sainte Gertrude, d'une manière invisible mais douloureuse les stigmates de sa Passion. - Un jour, elle lui demanda pourquoi il avait voulu que son côté fût ouvert; elle reçut de lui cette réponse: «La principale fin que j'avais en vue était de révéler aux hommes le secret de mon cœur, afin qu'ils comprissent que mon amour est plus grand que les signes extérieurs que j'en donne. Car mes souffrances ont eu un terme, mais mon amour n'en a point». «C'est pourquoi ce fut après la fin des souffrances, après sa mort, que son Cœur fut ouvert» (Sa Vie, par la Comtesse de Falvigny).

Manifestations du Sacré-Cœur a Sainte Catherine de Sienne (Sa vie, publiée par Cartier).

Un jour, dans l'église des Frères Prêcheurs, elle vit tout à coup Notre-Seigneur Jésus-Christ près d'elle; il sortait de sa poitrine une lumière éblouissante, dont les rayons remplissaient la vaste enceinte de l'église. Ce spectacle inonda le cœur de la vierge d'une ineffable consolation… - Une autre fois, Notre-Seigneur apparut à Catherine en compagnie de Marie, sa Mère, et de Saint Dominique. Il s'approcha d'elle, découvrit de ses mains la plaie ouverte de son côté, et la Sainte vit que celle plaie s'agrandissait par la charité, qu'elle y entrait, et qu'elle tirait de cette blessure sacrée la robe nuptiale de la pureté qu'elle désirait pour en revêtir et réchauffer son cœur et celui de ses compagnes…

Dans ses extases, il lui semblait reposer dans les bras de Jésus-Christ et s'appuyer sur son sein…

Après un ravissement, elle expliqua à son confesseur que sa joie venait du bonheur inexprimable de son cœur, en voyant Jésus-Christ qui lui montrait la blessure de son côté. «Cette douceur, disait-elle, ne peut être comprise par l'intelligence qui n'est pas éclairée d'une grâce spéciale d'en haut…».

Elle allait un jour vers un monastère voisin. Notre-Seigneur l'attendait sur le chemin: il lui montra pour preuve de son amour ineffable, la blessure de son côté tout inondé de sang. Catherine ressentit une nouvelle vigueur à cette vue. Elle se hâta d'entrer dans l'église et se prosterna très humblement à terre pour adorer Notre-Seigneur, qui l'attira tendrement vers la blessure de son côté et lui permit d'en approcher ses lèvres.

Cette union dura longtemps et Catherine se retira tout embrasée du feu de l'amour divin.

Elle avait tous les soirs de longs ravissements dans lesquels elle puisait l'amour divin au Cœur de Jésus. Elle disait ensuite: «Ah! si tous ceux que les sens et les plaisirs aveuglent avaient éprouvé la douceur ineffable du saint amour, il leur serait impossible de ne pas détester sur-le-camp les jouissances honteuses de la chair; ils accourraient avec empressement se désaltérer aux sources divines de la douceur…».

Un jour, au sortir d'une extase, elle dit à son confesseur: «Mon Père, ne vous apercevez-vous pas de l'état où je me trouve?». Le Père lui dit: «dans quel état êtes-vous?» - «Sachez, lui répondit-elle, que le Seigneur daigne, en ce moment, approcher de mes lèvres la plaie de son côté, comme une tendre mère approche de son sein la bouche du petit enfant qu'elle nourrit; et je ne mens pas en disant que je sens en ce moment les douceurs ineffables de la divinité…».

Une soir du 13 décembre, elle trouva sous sa main une bouchée de pain faite avec de la farine grossière; Notre-Seigneur lui dit alors: «Donne-moi ce pain». Il le prit, le trempa dans son côté ouvert et le retira pour le donner à Catherine en disant: «Ma fille, prends ce pain et mange-le en recevant ma bénédiction». Elle le mangea et cette bouchée de pain devint dans sa bouche aussi douce que le lait et le miel.

Dieu lui proposa trois degrés pour sa sanctification: les pieds du Sauveur pour se purifier de ses péchés, son Cœur pour acquérir ses vertus, sa bouche pour la vie d'union.

La chère Sainte a dit aussi: «Si j'avais été la pierre et la terre où fut plantée la croix du Sauveur, quelles consolations j'aurais eues de recevoir le sang qui coulait de son Cœur!».

Et encore: «Quelle grâce désiré je obtenir du ciel, ô mon Dieu, si ce n'est que pour vous mon cœur se consume d'amour sur cette terre! Non, mon Seigneur, je ne désire que vous seul, et jamais je ne trouverai de repos, jusqu'à ce que je sois parvenue à me cacher tout entière dans votre divin Cœur».

C'était vraiment une Sainte du Sacré-Cœur.

La Vén. MèreAgnès deJésus, dominicaine (1602-1638). «Elle eut un jour un grand ravissement, qui dura plus de quatre heures. Dans cette vision, qui était intellectuelle, il lui sembla être à genoux devant le Sauveur, la bouche appliquée à son sacré côté. Cette caresse de son divin Epoux la combla de tant de joie, qu'elle dit en esprit ces paroles que Saint Pierre prononça autrefois sur le Thabor: «Oh! qu'il fait bon être ici!» Et elle s'y trouvait si bien en effet que tout son désir eût été d'y demeurer…» (Sa Vie, par M. de Lantages, 1, 331).

«Un jour que M. l'archiprêtre de Langeac lui parlait de la Passion de N.-S., la sainte fille l'écoutait avec de grands sentiments de dévotion et avec des désirs si véhéments de participer aux souffrances de son divin Epoux que quand ce pieux ecclésiastique vint à parler du coup de lance qui ouvrit le côté de J.-C., elle en eut le cœur tout pénétré d'amour et de désirs de pâtir; et la douce violence de ces mouvements la mit dans cette posture et jouissance de ses délices intérieures et se retira» (Sa Vie, p. 284).

«Une autre fois encore, considérant dans l'oraison le coup de lance qui perça le côté du Fils de Dieu, elle se sentit blessée au cœur et versa à l'instant beaucoup de sang très vermeil par le nez et par la gorge. Les religieuses qui l'ont observée croient que depuis ce jour-là elle porta fort longtemps une plaie au côté. Et ce qui le leur persuada, c'est qu'on a aperçu souvent qu'elle y mettait du linge et l'en tirait plein de sang, le plus secrètement qu'il lui était possible. Ceci lui arriva notamment durant le carnaval de 1628, temps où elle souffrait ordinairement d'une manière très cruelle et où elle s'offrait à la divine Majesté en expiation pour les péchés du monde…

Elle ressentit alors de tels assauts de l'amour de Dieu que son côté gauche s'ouvrit et qu'il en sortit du sang tout vermeil» (Sa Vie, p. 297). «Un joue qu'elle souffrait et priait pour les âmes du purgatoire, elle jeta les yeux sur son crucifix et elle vit qu'il versait du sang de la plaie du côté» (P. 301).

Dans ces circonstances, elle poussait des exclamations comme celle-ci: «O amour, que tu es puissant! Amour, que tes forces sont grandes! Amour, que tu es invincible! Non, mes Sœurs, je n'ai point de cœur, l'amour l'a emporté, aimons l'amour qui nous a tant aimées…» (P. 303). Ce sont là les effusions de la vraie dévotion au Sacré-Cœur.

Voir encore: le V. Louis de Grenade, la Ven. Mère Villain (P. Eudes), la Mère Catherine Paluzzi (de Gallifra), Le P. Ignace del Nente cinq méditations), Letierce, t. I, p. 100.

Sainte Thérèse (1514-1582). Sainte Thérèse, l'illustre fondatrice du Carmel, tient sa place parmi les âmes qui, avant les révélations du XVIIe siècle, fixèrent leurs regards sur le Cœur de Jésus.

Elle écrivait à l'évêque d'Osma qui lui demandait une méthode d'oraison: «Vous mettrez devant vos yeux, ceux du corps ou de l'âme, l'image de Jésus cruficié que vous considérerez attentivement et en detail, avec tout le recueillement et l'amour dont vous serez capable… La plaie de son côté, par laquelle il vous laisse voir son Cœur à découvert, vous révélera l'indicible amour qu'il nous a marqué, lorsqu'il a voulu que cette plaie sacrée fût notre nid et notre asile, et qu'elle nous servît de porte pour entrer dans l'arche au temps des tentations».

Une de ses pratiques les plus chères, était de se transporter en esprit, le soir en prenant son repos, au jardin de l'Agonie. Elle méditait sur les angoisses du Sauveur, compatissait, s'unissait à Lui. N'était-ce pas l'Heure Sainte?

Et son propre cœur transpercé par le dard enflammé du Séraphin, qui lui causait un si suave martyre, ne la faisait-il pas rêver sans cesse de la plaie d'amour de son Jésus crucifié?

Du reste, la réparation des crimes du monde, l'apostolat du salut des âmes par la prière et la souffrance, est un des côtés les plus saillants et les plus pratiques de la dévotion au Sacré-Cœur, comme il sera révélé à Paray. Or, à la pensée des iniquités des hommes, son âme défaillait de douleur; elle versait d'abondantes larmes. Ses angoisses étaient si grandes, qu'en les comprimant dans son intérieur, elles devenaient pour elle comme une mort continuelle. Elle offrait sans relâche, en réparation, tout son être, qui se consumait comme une sanglante victime dans les austérités et les pénitences les plus terrifiantes. Son cœur était toujours en soupirs et en prières pour donner des âmes à son Jésus. (Je donnerai mille vies, disait-elle, pour bannir les péchés du monde et gagner les cœurs à son service». On lui conseillait un jour de prendre un peu de repos. «Je n'en ai pas besoin, répondit-elle, je ne veux que souffrir». Aussi cette âme séraphique est-elle appelée par l'Eglise, Victima caritatis, victime de l'amour. (Fastes de la dévotion au Sacré-Cœur).

Vivre dans le Sacré-Cœur, y habiter, y prier, y faire réparation, c'était toute la vie de Sainte Thérèse comme celle de Marguerite-Marie.

Sainte Madeleine de Pazzi (1566-1607). La vie des filles de Sainte Thérèse a été marquée, pour un grand nombre, dès l'époque du commencement du Carmel, du cachet du Sacré-Cœur.

Sainte Madeleine de Pazzi entra au Carmel l'année où la sainte fondatrice monta au ciel. Notre-Seigneur lui apparut un jour pour lui montrer son Cœur. A partir de ce moment, elle fut tellement remplie de l'amour divin, que pour soulager l'incendie qui la consumait, elle était obligée d'entr'ouvrir ses habits ou de se répondre dans d'interminables paroles qui ressemblaient à des chants.

Elle s'écriait: «O Cœur de Jésus, les hommes ne vous ont pas connu, ils vous ont délaissé!». Et elle répandait des larmes si abondantes et paraissait si accablée, qu'elle faisait compassion à ceux qui la voyaient.

Elle prodiguait à son crucifix les démonstrations de l'amour le plus tendre, le dévorant en quelque sorte avec les yeux, baisant ses plaies, et notamment la plaie de son Cœur, avec une affection si touchante, qu'un jour on crut qu'elle allait mourir.

«O amour, ô amour, s'exclamait-elle, donnez-moi une voix assez forte pour que je me fasse entendre de l'Orient à l'Occident et de toutes les parties du monde, afin que vous soyez reconnu et aimé partout comme le véritable amour».

Souffrir pour expier les iniquités de la terre était toute son ambition. «Je ne vous demande qu'une chose, disait-elle aux Mères qui entouraient sa couche d'agonie, c'est que vous vous embrasiez continuellement de souffrir pour son amour» (Fastes de la dévotion au Sacré-Cœur).

La Vén. Soeur Marguerite du Saint Sacrement. Notre-Seigneur lui ouvrit son Cœur et la cacha dans ce Saint des Saints. Tantôt ce divin Cœur la brûlait d'un feu très vif, consumant ses imperfections; tantôt l'amour de Jésus l'emportait, avec tant d'impétuosité, qu'on la voyait élevée de terre, belle et enflammée comme un Séraphin; tantôt elle s'y trouvait comme teinte dans l'innocence même et embaumée de pureté.

Elle trouvait dans ce Cœur Sacré un aliment surnaturel qui la soutenait sans manger et qui plus noblement que n'eût fait le fruit de vie, rétablissait toutes ses forces. Il lui semblait parfois qu'il s'écoulait de ce Cœur divin une liqueur sacrée dans tout son corps, tantôt en forme d'une huile très douce, tantôt comme un lait très pur, tantôt comme une manne agréable qui fortifiait son corps et son âme (P. Eudes, liv. XII, chap. XIX).

Pour Marguerite-Marie aussi, le Sacré-Cœur sera un feu ardent, une source de sainteté, une manne, un fruit de vie. Notre-Seigneur lui dira: «Bois et mange à la table de mes délices pour te rafraîchir, afin que tu marches courageusement, car tu auras un long et rigoureux chemin à faire».

Pour l'Ordre du Carmel, voir encore:

Saint Jean, de la Croix.

La Vén. Mère de la Passion, (Victoire Colonna).

Le P. Hubin Joseph de Saint-Nicolas, voir Letierce, t. I, p. 104.

La Vén. Marie-Madeleine de Saint Joseph.

Révélations de Sainte Brigitte (1302-1373) Liv. 3, ch. 101.

La Mère de Dieu dit à la Sainte: «Le Cœur de mon Fils est suave comme le miel, et très pur comme une fontaine bien claire, car c'est de lui que découle comme d'une source tout ce qu'il y a-t-il de plus doux. Qu'y a-t-il de plus doux pour un homme sensé que de considérer l'amour du divin Cœur dans la création, la rédemption, dans ses travaux, sa doctrine, dans sa grâce et sa patience? Sa charité ne s'écoule pas comme l'eau, mais elle s'étend et dure, car elle demeure avec l'homme jusqu'à la fin, de sorte que si un pécheur était aux portes de la perdition et que là il criât vers Dieu avec la volonté de se corriger, il serait sauvé. - Pour parvenir au Cœur de Dieu, il y a deux voies. La première est l'humilité d'une vraie contrition, et elle conduit l'homme au Cœur de Dieu et aux entretiens spirituels. La seconde est la considération de la Passion du Sauveur qui éloigne la dureté du cœur de l'homme et le fait courir avec joie au Cœur de Dieu».

Un vendredi après l'Ascension, Sainte Brigitte était à Jérusalem dans l'église du Saint-Sépulcre au lieu du crucifiement. Dans une belle vision, elle assista à toute la Passion du Sauveur. Elle vit Longin qui accourait avec furie et qui enfonçait si violemment sa lance au côté droit de NotreSeigneur, qu'elle semblait le transpercer en entier. Quand il la retira, des flots de sang s'écoulèrent. La lance et sa hampe en étaient rougies. Marie gémit et trembla. On voyait à ses traits altérés qu'elle avait le cœur transpercé par une violente douleur. Plus tard elle reçut dans ses bras le corps de Jésus et elle essuya ses plaies avec tristesse… (Liv. 7, ch. 15).

(Liv. 1, ch. 35) - Pensée touchante:

«La douleur du Sauveur à la Passion, dit Marie, était la mienne, parce que son Cœur était le mien. Comme Adam et Eve ont perdu le monde par un seul fruit, ainsi mon Fils et moi avons sauvé les hommes par un seul Cœur». - Ce fruit que portent Jésus et Marie sur les vieilles images de la Madone peut donc symboliser le Cœur de Jésus, fruit de l'arbre de vie.

Dans ses prières, Sainte Brigitte manifeste sa dévotion au Sacré-Cœur.

«Soyez béni, Seigneur Jésus, dit-elle, vous qui pour notre salut avez permis que la lance transperçât votre côté et votre Cœur, et qui pour nous racheter avez répandu si abondamment votre précieux sang et l'eau de votre côté».

Et encore:

«Louange, honneur, action de grâces, à vous, Seigneur Jésus, parce que votre Cœur béni, vraiment royal et magnifique, n'a pu être détourné ni par les tourments, ni par la crainte, ni par la jouissance, de la défense de votre royaume de vérité et de justice, et parce que vous n'avez pas épargné votre sang très précieux, mais avec un Cœur magnifique vous avez combattu fidèlement pour la justice et pour la loi et vous avez prêché intrépidement à vos amis et à vos ennemis les préceptes de la loi et les conseils de perfection.

«Pour leur défense, vous avez obtenu la victoire en mourant dans le combat avec les Saints qui vous ont suivi. Il est donc juste que votre Cœur invincible soit toujours exalté au ciel et sur la terre et qu'il soit incessamment loué par toutes vos créatures et vos soldats dans un chant de triomphe. Les soldats vont à la mort pour leurs chefs; vous, Seigneur, vous avez affronté la mort pour vos esclaves. Il est donc juste que votre Cœur si glorieux et si intrépide soit loué par tous vos serviteurs que vous avez ainsi délivrés et qu'il soit de même adoré par tout le monde et loué par tous les chœurs des anges. Amen».

(Révél. citées par le P. Eudes. Liv. XII, ch. XIII).

«Mon Cœur, lui dit Notre-Seigneur, était tout plein de douleurs et d'autant plus qu'il était d'une nature très excellente et très délicate… Venant à ouvrir les yeux, je vis ma très chère Mère abîmée dans une mer d'angoisses et de larmes, ce qui m'affligeait plus que mes propres souffrances. je vis aussi mes amis accablés d'affliction.

«Or, étant dans un tel supplice, mon Cœur creva par le milieu, par la violence et par l'effort de la douleur (Cor meum crepuit prae violentia passionis). Et ce fut alors que mon âme sortit et se sépara de mon corps».

Sainte Brigitte fonda l'Ordre du Saint Sauveur, selon la Règle de Saint Augustin.

Saint Ignace (1491-1556). La Compagnie de Jésus devait avoir une grande part dans la propagation de la dévotion au Sacré-Cœur.

Saint Ignace, en propageant par ses Exercices la méditation des mystères de Notre-Seigneur, conduisait les âmes à cette dévotion. Aussi voit-on un bon nombre de ses religieux la pratiquer et l'enseigner.

Il avait lui-même une tendre dévotion pour les Saints Cœurs de Jésus et de Marie. Notre-Seigneur lui fit même à plusieurs reprises, dit le P. Bernier, le don de son propre Cœur.

Après sa mort, il apparut en compagnie de Saint François-Xavier, au Vénérable Bernard de Hoyos, le grand initiateur de la dévotion au Sacré-Cœur en Espagne. Il l'entretint longuement de cette dévotion et la lui recommanda vivement.

Le Bienheureux Canisius (1521-1597). Après avoir fait ses vœux entre les mains de Saint Ignace, Canisius devint provincial des jésuites en Allemagne. Il fut une des grandes lumières du Concile de Trente. Il est rangé parmi les plus glorieux précurseurs de Sainte Marguerite-Marie, et fut un des apôtres privilégiés du Sacré-Cœur. Le divin Cœur s'était révélé à lui, l'avait rempli de l'esprit de cette dévotion et lui avait appris à puiser en lui les vertus apostoliques.

Saint Ignace disait un jour la sainte messe à Rome, entouré de ses premiers disciples. Le Père Canisius allait faire sa profession et devait partir pour l'Allemagne, dont il allait être l'apôtre. Cette perspective troublait son âme, et la pensée de son indignité l'effrayait. Tout à coup, au moment de l'élévation, Notre-Seigneur apparaît au Bienheureux et lui montre son Cœur adorable comme un refuge et le foyer des grandes forces dont il aura besoin.

«Mon âme était gisante à terre, dit-il. Tout à coup, ô mon divin Rédempteur, vous m'avez entr'ouvert votre Cœur adorable, et vous m'avez permis d'y plonger mon regard; vous m'avez invité à puiser en vous le salut, ordonné de boire à vos fontaines sacrées. Oh! combien alors je désirais être inondé des flots d'amour, d'espérance et de foi que j'en voyais jaillir! Quelle soif de pauvreté, de chasteté, d'obéissance! Je vous conjurais de me revêtir d'innocence comme au baptême. Enfin, approchant mes lèvres brûlantes de votre Cœur, j'osai me désaltérer à cette source divine».

Chaque matin, il offrait son cœur, ses pensées, ses paroles, ses œuvres au très doux Cœur de Jésus, son fidèle ami.

Pendant la journée, au commencement de toutes ses actions, il renouvelait son offrande à Dieu le Père, en union avec les sentiments du Cœur de son Fils, tout brûlant d'amour.

Chaque soir, au moment de s'endormir, il disait: «Je soupire, ô bon Jésus, en union avec toutes les prières qui ont dérivé de votre Cœur dans celui des Saints, pour le bonheur éternel des vivants et des trépassés».

Dans les tentations: «O mon âme, hâte-toi de te réfugier dans le Cœur tout aimable de Jésus».

A ses religieux: «Etablissons notre demeure et notre nid dans le creux de cette pierre sacrée».

Pour résumer sa dévotion, on grava sur son tombeau les instruments de la Passion avec un cœur.

Pour lui comme pour Marguerite-Marie, le Sacré-Cœur est un asile, un refuge, la source de toutes les grâces, de toutes les vertus.

Saint François de Borgia (1510-1572). Comme le bienheureux Canisius, les autres fils les plus marquants de Saint Ignace, Saint François de Borgia, le P. Lefèvre, le vén. Louis Dupont, Corneille de la Pierre, Alvarez de Paz invitent les âmes à pénétrer dans le Cœur de Jésus pour y faire leur demeure.

Ainsi Saint François de Borgia, qui fut le troisième Général de l'Ordre, s'écrie: «O fer de la lance, en m'ouvrant par une aussi glorieuse blessure le sein de mon Créateur, et en me dévoillant le sanctuaire de cette beauté divine, tu m'as donné entrée dans l'asile du salut».

«O précieuse blessure, secours puissant contre tous les dangers du monde, remède efficace contre nos fautes, attiré par votre douceur, je fixe en vous ma demeure, et je dépose dans votre sein tout ce que je suis, tout ce que je possède, tout ce que j'espère».

A la sainte messe, il appliquait les intentions de son Memento aux plaies de Notre-Seigneur, il mettait le clergé dans la plaie de la main droite, l'Etat dans la main gauche, au pied droit les Ordres religieux, au pied gauche ses amis, se réservant à lui-même la plaie du Cœur, s'enfonçant dans les trous de cette pierre, demandant là le pardon de ses fautes et toutes les grâces dont il avait besoin.

De même, le P. Alvarez, un des plus grands maîtres de la perfection chrétienne que l'Espagne ait produits, écrit: «Entrez dans le Cœur de Jésus pour le contempler tel qu'il est, afin de former votre propre cœur à la ressemblance de ce Cœur divin. Ce Cœur Sacré est la voie par où l'on va au séjour éternel. C'est la porte par où l'on entre dans la contemplation de la divinité.

«O Jésus, Sauveur des hommes, dont l'imitation fait toute notre perfection, ouvrez-moi, je vous en conjure, votre Sacré-Cœur, la porte de la vie et la source des eaux de la grâce, afin que, par ce Cœur divin, j'entre dans la connaissance de vous-même, et que je puisse boire les eaux salutaires des véritables vertus, qui éteignent la soif de toutes les choses temporelles».

Saint Louis de Gonzague (1558-1591). Saint Louis de Gonzague est appelé le Saint du Sacré-Cœur. Il avait reçu sans doute cette dévotion dès son enfance, comme un trésor de famille, ses parents étant en possession du précieux sang qui coula des plaies du Sauveur.

Il y avait une union continuelle de son cœur au Cœur de Jésus dans les actes de sa vie.

Sainte Madeleine de Pazzi atteste, sous la foi du serment, qu'il lui fut révélé que lorsqu'il était dans le monde, il décochait sans cesse des fleches d'amour au Cœur du Verbe, «C'est à cette dévotion, dit-elle, qu'il doit la gloire extraordinaire dont il jouit au ciel».

Par une circonstance providentielle, le jeune Saint mourut le vendredi qui suit l'octave de la Fête-Dieu, le jour que Notre-Seigneur devait choisir pour la fête du Sacré-Cœur.

Sainte Marguerite-Marie le regardait si bien comme le Saint du Sacré-Cœur, qu'elle choisit le 21 juin, jour de sa fête, pour se consacrer solennellement au Sacré-Cœur avec le Père de la Colombière. Le Père Croiset, d'autre part, dans le premier livre qui traite officiellement de la dévotion au Sacré-Cœur, indique le recours à Saint Louis de Gonzague comme un des moyens principaux d'obtenir cette dévotion.

Dévoué sur la terre au culte du Sacré-Cœur, notre Saint en devient du haut du ciel le promoteur et l'apôtre.

Le 6 janvier 1735, il apparaît, avec le Père de la Colombière et d'autres serviteurs du Sacré-Cœur, pour confirmer la mission confiée au Père de Hoyos, de promouvoir dans toute l'Espagne ce culte sacré. - Le 9 février 1765, trois jours après l'approbation de l'office et de la messe du Sacré-Cœur par Clément XIII, il vient déclarer que c'était ratifié au ciel et comme preuve de sa mission, il guérit Nicolas Célestin, auquel il dit: «A ma prière, Dieu te guérit. Mais il faut que tu t'appliques à acquérir la perfection religieuse, et que durant toute ta vie, tu t'efforces de propager la dévotion au Sacré-Cœur, si agréable au ciel…».

Quelques jours après, il se montrait encore, brillant de gloire, à un orphelin de Rome, et le guérissait aussi, en lui faisant promettre d'honorer les saints Cœurs de Jésus et de Marie.

Le Père Saint Jure: «Pour la vie unitive, ce Cœur divin en est le vrai sanctuaire… C'est là où nous devons produire les actes de l'amour de choix, de complaisance, de bienveillance, de préférence, d'aspiration; c'est là qu'il faut exercer les adorations, les glorifications, les louanges, les intentions très pures, les remerciements, les offrandes, les hommages, les abandonnements de soi, les abaissements, les dégagements de toutes les créatures et les élévations par-dessus toutes les choses du monde; c'est là que nous posséderons la joie et le repose en Dieu comme dans notre centre…; il y faut préparer nos œuvres et nos conversations» (Vie illuminative).

La Mère Marie de l'Incarnation (1599-1672). Cette fondatrice et première Supérieure des Ursulines du Canada, objet de l'admiration de son siècle, appelée avec raison la Thérèse de la France, eut pour le Cœur de Jésus une dévotion qui lui fut communiquée par le ciel.

«J'étais sans cesse, dit-elle, en instantes prières pour l'ampliation du royaume de Jésus-Christ. Dans une lumière intérieure, je vis que le Père éternel avait pour agréables mes poursuites pour une si juste cause, mais qu'il voulait de moi quelque chose qui me manquait pour être exaucée. J'eusse voulu être condamnée à souffrir toutes les peines imaginables pour être dans l'état de pureté requise pour fléchir mon Dieu. Je me consumais à ses pieds, je m'abîmais dans mon néant, afin qu'il plût à sa divine bonté de mettre en moi ce qui lui plairait davantage pour mériter d'être exaucée en faveur de mon Jésus. Alors j'expérimentai un écoulement et un rayon divin en mon âme, lequel fut aussitôt suivi de ces paroles: demande-moi par le Cœur de Jésus, mon très aimable Fils. C'est par lui que je t'exaucerai, que je t'accorderai tes demandes».

«Dès ce moment, l'esprit qui me dirigeait m'unit à ce divin et très adorable Cœur de Jésus, en sorte que je ne parlais et ne respirais que par lui. Toujours j'expérimentais de nouvelles infusions de grâces dans ce divin Cœur, qui me faisait produire des choses ineffables au sujet de l'ampliation du royaume de Jésus-Christ».

Depuis cette faveur, elle ne cessa aucun jour d'honorer le Cœur du Sauveur, de prier par lui, et d'achever toutes ses dévotions par lui. C'était l'autel sur lequel elle s'immolait elle-même au Père éternel.

Le Sacré-Cœur, d'ailleurs, la poursuivait de ses faveurs. «Je regrettais le sommeil, quoiqu'il fût très court, et je me plaignais de ce qu'il fallait être si longtemps sans penser au Sauveur. Je m'éveillais fort souvent en oraison, et une nuit je vis Notre-Seigneur avec deux cœurs en sa main. C'étaient le mien et le sien. Il les enchâssa l'un dans l'autre, de manière qu'ils me paraissaient n'en faire qu'un seul».

- Ajoutons un autre récit relatif à la chère Sainte: «Un tableau décore le sanctuaire de l'église de la Mission à Aix. Il représente une apparition du Sacré-Cœur à la vénérable Marie de l'Incarnation: Marie de l'Incarnation que Bossuet appelait «La Thérèse de son temps et du Nouveau-Monde» et que M. Emery mettait dans son estime à côté de la Vierge inspirée d'Avila. Si telle est sa place comme mystique, elle peut aussi, comme apôtre, être associée à la gloire de saint François-Xavier. Sa vie rapproche ces deux éléments qui semblent s'exclure: d'une part, le silence du cloître et le repos de la contemplation; de l'autre, le mouvement et l'action de l'apostolat. Drame et épopée: ainsi les historiens résument son existence. Le drame se passa dans l'ombre d'une cellule d'Ursuline, à Tours: l'épopée fut l'évangélisation des pauvres sauvages de Québec où, dès 1642, elle bâtit le premier monastère de son Ordre dans le nouveau monde.

«C'est cette sainte qui est représentée dans le tableau; l'inscription qui le termine en fait foi en sa naïve orthographe: La vénérable mère Marie de l'Incarnation fondatrisse des religieuses Sainte Ursule de la Nouvelle France décédée à Québec le 75e de son âge.

«On la voit au premier plan, ravie en extase et jouissant de sa douce vision; au second plan Marie Immaculée, le front couronné des 12 étoiles symboliques, fait monter vers le Cœur de son Divin Fils l'hommage de sa profonde adoration. Du haut du ciel se penche Dieu le Père, dans cette attitude qui est la manière de Raphaël et de ses élèves. Mais ce qui, dans ce tableau, est l'attrait de tous les personnages, c'est le Cœur Sacré de Jésus. Il apparaît au milieu d'une légion d'Anges, brillante cohorte d'honneur, sous cette forme que l'art chrétien a tant propagée de nos jours. Une croix le surmonte. Il envoie ses flammes ardentes vers la majesté de son Père Céleste à travers les fleurons d'une couronne d'épines, tandis que son sang régénérateur s'échappe par la blessure de la lance.

«Ne se croirait-on pas en présence d'une de ces images que fit dessiner et peindre Sainte Marguerite-Marie? Mais, quand Marie de l'Incarnation avait sa vision, la voyante de Paray n'était pas née encore, et le monde catholique devait attendre plus de cinquante ans les célèbres communications du Sacré-Cœur…!

«C'était en 1635. La sainte Ursuline était sous-maîtresse des novices au monastère de Tours.

Un soir qu'elle priait Dieu pour l'extension de son royaume, elle connut par une lumière intérieure que la divine Majesté ne l'écoutait pas. L'âme remplie de tristesse, elle continua de prier avec ardeur, et sa pieuse instance fut récompensée par une consolation indicible de l'âme accompagnée de ces paroles: «Demande-moi par le Cœur de Jésus, mon très aimable Fils; c'est par Lui que je t'exaucerai!» «Dès ce moment, ajoute la sainte, l'esprit qui me dirigeait m'unit à ce Divin et Très adorable Cœur de Jésus en sorte que je ne parlais et ne respirais que par Lui».

«Telle est cette communication qui place Marie de l'Incarnation parmi les privilégiés du Cœur du Divin Maître, à côté de l'apôtre bienaimé, de saint Bernard, de saint François de Sales, du vénérable P. Eudes, de sainte Gertrude, de sainte Catherine de Sienne, de sainte Thérèse et de sainte Marguerite-Marie.

Le Ciel a laissé tomber ce rayon de lumière sur l'ordre de SainteAngèle pour le récompenser de sa ferveur qui ne décrut jamais. Il s'est souvenu de l'immense popularité que le culte de sainte Ursule eut de temps immémorial sur les hauteurs de Montmartre» (Alexandre Audibert, O. M. I.).

La Vén. Louise de Marillac (1591-1660). La vén. Louise de Marillac qui, avec Saint Vincent de Paul, fonda la Congrégation des Filles de la Charité, était tout animée de la dévotion au Cœur du Sauveur.

On conserve quelques aquarelles composées par elle en sa jeunesse. Dans l'une d'elles on voit le bon Pasteur entouré de brebis, dont quelques-unes cherchent à s'abreuver dans l'eau qui jaillit de ses pieds, tandis qu'une autre, portée sur ses genoux est admise à se désaltérer à la blessure du côté. On devine que c'est l'innocente artiste elle-même.

On possède également un tableau peint par la vénérable fondatrice, représentant Notre-Seigneur portant sur la poitrine un cœur rayonnant, et semblant de ses deux mains percées inviter tous les hommes à venir à lui. C'est à peu près ainsi que le Sauveur se montrera cinquante ans plus tard.

C'était dans le Sacré-Cœur qu'elle cherchait l'aliment de sa vie spirituelle. Ayant lu l'évangile du «bon semeur», elle dit: «J'ai désiré semer au Cœur de Jésus toutes les productions de mon âme et les actions de mon corps, afin qu'ayant croissance de ses mérites, je n'opère plus que par lui et en lui».

Elle formait pour la montagne que Saint Denys a arrosée de son sang, un vœu dont le célèbre sanctuaire de Montmartre est aujourd'hui la réalisation.

Aussi, est-ce sous les auspices du Sacré-Cœur, le jour de la fête du Sacré-Cœur, qu'en 1882 on décida d'entreprendre la cause de la béatification de la sainte fondatrice, qui vient d'en recevoir les premiers honneurs en étant déclarée vénérable. C'est aussi dans le mois du Sacre-Cœur que cette auréole a été déposée sur son front, coïncidence que le Supérieur général des Lazaristes a fait remarquer dans sa circulaire à toutes ses maisons, en invitant tous leurs membres à recourir au Sacré-Cœur (Fastes du Sacré-Cœur).

Le Cardinal Baronius, de l'Oratoire, rapporte dans ses Annales plusieurs faits historiques qui sont aussi des témoignages de la tradition relative au Sacré-Cœur.

C'est d'abord le beau miracle de Béryte, en Syrie, en l'an 787:

Un crucifix transpercé par les juifs donna du sang et de l'eau qui guérirent une foule de malades. La plupart des juifs de Béryte se convertirent (Conf. Martyrol. rom., 9 nov.).

C'est ensuite la découverte d'une fiole du Précieux Sang dans le tombeau de Saint Longin, à Mantoue, en 804. - Le Pape Léon III et Charlemagne se rendirent à Mantoue pour vénérer la précieuse relique. Saint Léon IX y alla aussi en 1057. Une partie de la relique passa à Weingarte, en Allemagne.

C'est encore l'invention miraculeuse de la Sainte Lance à Antioche, en 1098. Ce fut le prélude de la prise de Jérusalem.

On en lit le récit dans Baronius et dans une lettre d'Anselme de Ribemont reproduite dans l'ouvrage de Guibert de Nogent: Gesta Dei per Francos, liv. 5, c. 4.

A rapprocher de ces traditions celle relative à la conservation du sang du Calvaire que le pieux martyr Barypsaba aurait reçu des disciples du Sauveur. (Acta Sanctorum, 10 Sept). N'est-ce pas une partie de ce sang qui est venue à Bruges au temps des croisades?

Saint Laurent justinien (1381-1455). Ce grand Saint était chanoine régulier du monastère de Saint-George, à Venise. Il avait été élu Supérieur général de son Ordre et il y avait apporté de grandes réformes. Le Pape l'appela au siège patriarcal de Venise.

Il a laissé des pages nombreuses qui respirent la plus tendre dévotion envers l'aimable Cœur de Jésus.

C'est dans le Cœur du Sauveur qu'il faisait toutes ses actions. C'est là qu'il nous exhorte à vivre.

«Cette blessure, dit-il, unit notre cœur à son Cœur. Oh! qu'il fait bon d'être ici! Là, je veux me délasser, prendre mon sommeil, faire mes actions, traiter toutes mes affaires. Là, je parlerai à son Cœur et j'obtiendrai tout ce que je désire».

«Heureuse lance, à qui il a été donné d'ouvrir ce Cœur! Oh! si j'avais été à ta place, je n'aurais jamais voulu sortir. J'aurais dit: C'est le lieu de mon repos pour les siècles des siècles; c'est l'habitation que j'ai choisie».

«O fils insensés des hommes, cœurs trop lents à croire, que tardezvous d'entrer par ces plaies sacrées pour posséder le Fils de Dieu! Dans le transport de son amour, il vous a ouvert sa poitrine, et il veut vous donner son Cœur. Unissez-vous à lui inséparablement. Vous sentirez alors une telle joie, votre cœur sera tellement enflammé, que vous vous efforcerez d'habiter comme matériellement dans les blessures de JésusChrist».

«De ce Cœur, comme d'une source inépuisable, découle toute suavité. L'homme s'y enivre d'une douceur indicible. Ravi hors de lui, il s'endort en Jésus-Christ et se repose délicieusement dans les embrassements du Bien-aimé».

Richard de Saint-Victor (+1173): «Si nous fixons notre attention sur le Cœur du Christ, nous reconnaîtrons qu'il n'est rien de plus doux ni de plus indulgent. Rien parmi toutes les créatures n'a pu ni ne peut être plus doux que ce Cœur. Aucun cœur n'a exulté plus pleinement que ce Cœur. Après un examen approfondi, dis-moi, si tu le peux, la douceur de ce Cœur, que la cruauté de la Passion n'a pu atténuer. Infiniment mieux que tous, le divin Emmanuel a eu un Cœur de chair pour compatir à nos misères, parce que sa tendresse et ses pieuses affections ont été sans mesure» (De Emmanuele, 1. 2, ch. 21).

Lire aussi.

Hugues de Saint-Victor: traité de Anima, lib. IV.

Pierre de Blois, archidiacre de Londres, ( + 1200): «Le fer, dit-il, transperça son âme, et son Cœur a été ouvert afin que ses arcanes nous fussent manifestés. Les blessures de son corps nous découvrent les entrailles de la miséricorde de Dieu, dans lesquelles il nous a visités, in quibus visitavit nos exurgens ex alto» (Luc. 1).

Le prophète dont les regards ne pouvaient pas encore s'arrêter sur les trous et les fissures des clous, est dans l'étonnement et il dit: «Qui peut connaître les desseins du Seigneur et qui a été son conseiller?» (Is. 40, Rom. 11). La lance m'a dévoilé le secret du Seigneur, prédit par Isaïe: «Mon secret est à moi, mon secret m'est réservé» (Is. 24). «C'est la lance qui m'a montré combien doux est le Seigneur» (Serm. 19, de Coena Domini).

Saint Thomas de Villeneuve (1487-1555). Après avoir contemplé le mystère de l'ouverture du Côté de Jésus, Saint Thomas adressait ces paroles à son peuple: «Etenim passer invenit sibi domum et turtur nidum sibi ubi ponat pullos suos: Le passereau s'est trouvé une demeure, et la tourterelle un nid pour y déposer ses petits. Comme le Fils de Dieu a trouvé une demeure dans le sein de son Père, ainsi l'Eglise a trouvé son nid dans le Cœur de son bien-aimé, où elle entre par l'ouverture du côté, où elle repose en paix et dépose avec sécurité les enfants qu'elle met au monde… Autel sacré, autel inaccessible à l'ennemi, où la tourterelle met ses petits en sûreté, jusqu'au jour où leurs plumes auront grandi, c'est-à-dire jusqu'à ce que notre chair corruptible se revête d'immortalité».


1)
Joan., XIV, 31
2)
Rom. V, 8
3)
Christus dilexit Ecclesiam et seipsum tradidit pro ea, ut illam sanctificaret, mundans lavacro aquae in verbo vitae; ut exhiberet ipse sibi gloriosam Ecclesiam, non habentem maculam aut rugam aut aliquid hujusmodi, sed ut sit sancta et immaculata. Eph. V.
4)
Théorie de la dévotion au Sacré-Cœur.
5)
Genèse du culte du Sacré-Cœur.
6)
Sur les Pères de l’Eglise et le Sacré-Cœur, – Voir: Vie de Anne de Rémusat, p. 153. Hist. de Marg. -Marie, par Bougaud, c. 7. Eusèbe. – Ep. Martyr. Lugdun. Tertulien. – De Baptism., c. 16 et de Anima, c. 43. S. Cypr. – De Monte Sinaï et Sion. S. Ambroise. – In Ps. XLV et in Ps. CXVIII. Serm. 1 et 3. S. Ambroise. – De Spir. Sanct., lib. II, c. 5. S. Chrisost. – Hom. in omn. martyr. S. Aug. – Tract. CXX in Joan., etc. S. Cyrill. Alex (P. Eudes).
7)
Pour les religieux. – Voir: Genèse du Culte du Sacré-Cœur, Paris, 1904. Alet. – La France et le Sacré-Cœur, Paris, 1889. Letierce. – Etude sur le Sacré-Cœur, 2 vol. Paris, 1891. Le Sacré-Cœur, ses apôtres et ses sanctuaires. Nancy, 1886. Voir aussi Les Fastes de la dévotion au Sacré-Cœur. Evreux, 1901. Les Annales franciscaines, 1875. Les Trinitaires: Saint Michel des Saints; et les Capucins: P. Joseph Tremblay, cités par du les Fastes.
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